Mamadou Alimou SOW

Lettre de chagrin à ma mère

Ma mère -
Adama Oury Sow 1944 – 2012

Ma très chère petite maman,

En ce 21 mars, comme chaque 21 mars, j’aurais aimé avoir le talent du poète Senghor pour me souvenir de toi dans une ode aux vers perlés d’amour et de tendresse. J’aurais voulu posséder la prose de Camara Laye pour te décrire, en des mots si simples, l’irremplaçable vide que tu as laissé. Hélas ! Je me contenterai de ma plume effilochée de blogueur pour te griffonner ces quelques lignes empreintes de chagrin qui consume mon âme depuis 24 mois.

Maman, voilà deux ans que tu es partie. Tu reposes à jamais à Fârâto, en terre gambienne, où le 21 mars 2012, par une belle fin de journée ensoleillée, nous t’avons accompagnée à ta dernière demeure. Je n’oublierai jamais cet instant pathétique où, le tout dernier à quitter le cimetière, je jetai un dernier regard sur ta tombe recouverte de terre ocre sachant que je ne te reverrai plus.

Les voies du Seigneur sont vraiment impénétrables : naître dans les confins de Télimélé, en Guinée, et aller se reposer pour toujours au cœur de la Gambie.

J’ai séché mes larmes pour pleurer de l’intérieur. Mon cœur saigne. J’ai compris que rien, même pas la mort, ne peut entamer l’amour d’un fils pour sa mère et sans doute, vice-versa. La mort t’a ôté de mon regard pour te replacer dans le sarcophage de mon cœur où tu vivras tant qu’il palpite. Jamais nous n’avons été si proches Nênè!

J’ai compris aussi qu’une mère c’est comme le bonheur : on l’apprécie quand on l’a perdue. Je te regrette beaucoup maman même si, comme le recommande notre religion, je rends grâce à Allah qui m’a gratifié le bonheur de grandir aux côtés de ma mère, contrairement à toi qui a perdu la tienne dès la naissance. C’est dur de perdre une maman.

Dans cette épreuve du deuil, du chagrin et de la mélancolie, j’essaie d’avancer, de me rendre utile pour mériter ta confiance et ta fierté. A chaque fois que je lève les yeux dans le ciel, où tu te trouves dans la félicité de Dieu, j’ai peur de croiser ton regard réprobateur pour la moindre incartade.

Maman, je suis devenu un homme. Ton « taureau », comme tu te plaisais à me valoriser exagérément – mon aspect fluet me rapprochait plutôt d’un taurillon non ? –, se bat dans des corridas à la dimension de tes espérances. Je me porte bien, je travaille, je bouge, je blogue, je blague. Grâce à Dieu, par tes bénédictions.

Je suis devenu un homme, disais-je. Ton fils s’est marié maman ! Une petite princesse venue de Télimélé-ville. Elle s’appelle Ramatoulaye. C’est encore un petit poussin que je prendrai dans mon sein avec toute la délicatesse dont j’ai héritée de toi. T’inquiète.

Dommage que tu ne sois pas là pour orchestrer les préparatifs de la célébration du mariage civil qui pointe à l’horizon. Dommage que tu n’aies pas été là pour régler les détails du mariage religieux célébré au tout début de cette année. Je sais tout l’aura que tu aurais tenu à imprimer à ces évènements. Je vois ton empressement à diffuser la nouvelle auprès de tes amies qui me fendillent souvent le cœur en me rappelant vos meilleurs moments ensemble. Le plus dur pour moi, c’est de retourner à Pountougouré sachant que je ne vivrai plus l’instant magique d’être accueilli par toi; sentir ton odeur de femme rurale parfumée au cambouis et à la bouse de vache.

Maman, le jour où j’ai signé mon premier contrat à durée indéterminée, j’ai écrasé une larme. J’étais déchiré entre la joie du nouvel employé et le chagrin d’être orphelin de mère. Tu n’as pas pu profiter des fruits de l’arbre que tu as planté et arrosé de ton sang et de ta sueur. Tu t’imagines tout le bonheur que j’aurais éprouvé de te voir rentrer des lieux saints de la Mecque à mes frais ? Tu en rêvais, je voulais le réaliser mais le destin s’est interposé.

Loin de moi la volonté de te payer (pourrais-je jamais ?), mais ça aurait été une manière de te prouver que tes efforts n’ont pas été vains.

Je sais les conditions dans lesquelles tu nous as élevés. Comme toutes les mères de notre contrée, tu as trimé. Tu t’en es allée le dos voûté, non pas sous le poids de l’âge à 68 ans, mais sous l’effet du dur labeur des travaux champêtres et de la vie de femme au foyer. Les corvées d’eau aux aurores sous la rosée, les matins secs et frisquets de fin d’année, le potager à entretenir, la tapade à bichonner, la cuisine à faire, les gamins et les bêtes à nourrir et à surveiller… Bref, être femme au village c’est savoir être à la fois au four et au moulin. C’est consacrer tout son temps aux autres sans en avoir suffisamment pour soi-même. C’est de l’altruisme!

Je garde encore l’image de ces femmes rentrant des champs, trempées jusqu’aux os, un fagot de bois en équilibre sur la tête. Souvent la faim dans le ventre. Ce n’était pas que la fumée dans les cases qui rougissait vos yeux, mais aussi l’épreuve de la vie. Comment garder la ligne, être belle et raffinée dans ces conditions ? Votre beauté est interne, celle externe vous a été volée.

Je suis conscient que si ma peau est lisse aujourd’hui, c’est parce que la tienne a été rugueuse maman. Si la paume de mes mains est spongieuse, c’est parce que celle de tes mains était couverte de callosités au contact du pilon, de l’herbe et de la houe. Pour prouver aux autres ce que je sais faire, je leur fourbis un papier appelé CV. Toi, il te suffisait de tendre la main où étais écrit le livre d’une existence aguerrie sur le champ de bataille de la survie.

Tu nous as élevés dans la pauvreté matérielle mais dans le respect et la dignité. Tu n’imagines pas le bonheur et la fierté que je tire de mon éducation et de la ligne de conduite que tu nous as tracée, mes frères et sœurs et moi.

Nous te remercierons et te béniront jusqu’au jour où, Dieu dans sa mansuétude, nous réunira tous ensemble au Jardin d’Eden.

Repose en paix Nênan Adama Oury.

Je t’aime <3>


Top 10 de types de maris guinéens préfabriqués

Couple - Crédit image: cerfdellier.com
Crédit image: cerfdellier.com

Il n’y a pas que les hommes qui ont des préjugés sur le sexe opposé. Les filles en ont aussi avec une certaine discrétion. Elles n’en parlent pas souvent, par pudeur, mais y pensent tout le temps.

A la question de savoir quel type de mari tu voudrais épouser ? La réponse est convenue : « Un homme fidèle, responsable et qui m’aime », c’est-à-dire un héros de la collection Harlequin. Chimérique.

Mais comme c’est le terrain qui commande, elles ont le choix entre :
#10 – Les polygames

« C’est Dieu qui nourrit » est la devise des  polygames, véritables industries ambulantes de gosses (surtout les analphabètes) : 2, 3, 4 épouses (voire plus) et une ribambelle de marmots. Les polygames mènent une vie pimentée. Leur quotidien est fait de bruit et de querelles entre coépouses. Ils vivent au milieu d’un harem et passent leur temps à jouer au médiateur ou au sapeur-pompier. Ils contribuent à la réduction de la population de femmes célibataires, certes. Mais dans la  plupart des cas une femme qui épouse un polygame est une divorcée. Dieu commande aux polygames d’être équitables entre leurs épouses, mais beaucoup pensent que leur péril viendra de leur partialité en faveur de la « bâtè » (préférée).

#9 – Les tontons

Ils ont d’jà franchi le cap de la cinquantaine, mais entendent toujours croquer la vie à pleines dents. On dit que les tontons adorent trois choses : la musique classique,  l’actualité politique et les petites mineures auprès desquelles ils rêvent de se taper une cure de jouvence. Les tontons ont cela de tentant leur propension à dépenser pour leur « love ». Ils sont prêts à casser la tirelire pour entretenir la minette, élevée au rang de « bâtè », au détriment de leur 1ère, 2e ou 3e épouse. Ils traînent une image d’infidèles et disposent toujours d’un « second bureau », pense-t-on.

#8 – Les débrouillards

Ils sont employés chez tonton « Débrouillardise ». Ils sortent aux aurores et rentrent au crépuscule. Toujours avec la même incertitude. Toujours avec la même mine de macchabée déterré. Les débrouillards vivent au jour le jour. Les affaires sociales sont leur péché mignon. Dans l’espoir qu’on leur rende la monnaie quand ce sera leur tour. Ils détestent les femmes dépensières. Epouser un débrouillard, c’est comme jouer à la roulette russe : tu gagnes ou tu meurs. Toujours nerveux et aigris, ils ont la gâchette facile. Quand le ton monte, ils peuvent facilement distribuer des mandales à madame. Quand ils sont de bonne humeur ils lui promettent des châteaux en … Espagne !

#7 – Les « démarreurs »

Ce sont des machines à sous. On dit qu’ils « démarrent », ils sont donc pleins aux as : villa (s), voiture (s), compte (s) en banque (le fameux VVC) et tous les accessoires qui vont avec. Les démarreurs sont pour les filles célibataires ce qu’est la lumière pour les insectes : attractifs. Malheureusement, certaines arrivent pour se brûler les ailes. Les démarreurs se sentent forts de leur richesse. Ils sont convoités par everybody. C’est elle qui parle pour eux quand ils sont en quête d’une femme. Certes, y en a qui sont humbles et généreux, mais la plupart sont réputés casse-couilles, totalement aveuglés par leur argent. Les analphabètes d’entre ceux-là adorent collectionner les femmes, belles et nombreuses. En Guinée quand un « démarreur » meurt, ce sont deux ou quatre femmes qui partent en fumée veuvage !

#6 – Les diaspos

Ce sont les Guinéens de la diaspora qui, grâce à Marc Zuckerberg, ont tous trouvé la terre promise : Facebook. Ils y vivent, s’organisent, organisent des concerts, des débats, des expositions, des exhibitions, des élections et même des marches de protestation. On dit qu’épouser un « diaspo », c’est partir habiter sur Facebook. C’est vivre l’amour par procuration. Trois ans, cinq ans, jusqu’à 10 ans de communication virtuelle sans rencontrer le bien-aimé. Y en qui se marient, causent, se querellent et divorcent sans jamais se voir ! Pourtant, les diaspos ont connu leur heure de gloire. Dans un passé très récent, ils avaient la côte auprès des belles demoiselles qu’ils raflaient à coup de billets d’euro ou de dollar. A l’époque, un « diaspo » était présumé « futur  démarreur ». Mais ça, c’était avant. La crise est passée par là, Skype a remplacé le téléphone. Désormais, un « diaspo », s’il ne vit pas en Angola, est présumé «futur vigile » en Occident.

#5 – Les étudiants

Ils incarnent l’espoir, mais ils incarnent surtout la précarité. Derrière les chemises immaculées et repassées d’un étudiant guinéen se dissimulent la galère et le ressentiment. Ceux inscrits dans les écoles publiques comptent sur une misérable bourse abusivement qualifiée « d’entretien ». On pense qu’épouser un étudiant, c’est entrer par effraction à l’école de la vie où les cours sont dispensés par monsieur « la conjoncture ».

#4 – Les cousins

Ils sont les dignes représentants de l’endogamie. Un mariage entre cousins est un raccourci de mariage. C’est une liaison arrangée en famille. Une belle demoiselle aux yeux d’ambre se voit offrir à son boutonneux de cousin par son propre père. Quel gâchis ! Un mariage entre cousins qui réussit est un ferment de cohésion familiale. Malheureusement, c’est souvent le contraire qui se produit. On pense qu’épouser son cousin, c’est savoir avaler des couleuvres. Le problème est que le mari considère sa femme comme sa sœur et non pas comme son épouse légitime. Au moindre pépin, il se sent investi la mission de la « corriger ». La lune de miel ne tarde pas à devenir la lune de fiel. Le clash est retentissant.

#3 – Les hommes en uniforme

Ils constituent la dernière bouée de sauvetage à laquelle s’accroche une fille célibataire désespérée. Ils inspirent la méfiance. Policier, gendarme et militaire sont réputés autoritaires et violents. On pense, à tort ou à raison, qu’ils règlent les différends conjugaux non pas au tour de la table, mais à la force du ceinturon et des brodequins. Ils ont certes un revenu constant (leur solde) et une dotation en ration alimentaire à la fin du mois, mais comme leurs ennemis amis étudiants, ils connaissent aussi la précarité. Sur le champ de bataille de la loterie, les hommes en uniforme sont des guerriers invincibles. Quand ils implorent le Seigneur, c’est pour deux choses : toucher le jackpot ou bénéficier d’une élévation en grade.

#2 – Les fonctionnaires

On pense qu’ils sont plus pingres que Harpagon ; qu’on ne « mange pas leur argent ». Mais ont-ils seulement de l’argent à manger ? Payés au lance-pierre, les fonctionnaires (de l’Etat) mènent une vie de galérien : bancarisés, surendettés, frustrés. Le fonctionnaire guinéen est un être écartelé et tendu en permanence. Il est irritable et lunatique. Pour les filles, entrer chez un fonctionnaire c’est entrer dans les « Sérès ». C’est s’abonner à la tontine et aux « Mamayas », faire la queue à « Yété Mali », ne pas rater le 20 h 30 de la RTG si le courant est de tour, laver et repasser (au charbon) « Abacost » et « Borsalino », apprendre à lire et à interpréter les résultats de « Guinée Games ».

#1 – Les jeunes cadres :

Ils sont reconnaissables à leur toilette impeccable : costard-cravate (même par 40° C), souliers resplendissants, faux Rolex au poignet, iPhone ou SG4 constamment vissé à l’oreille. Ils sentent bon et parlent affaires. A midi, les jeunes cadres ne mangent pas : ils « déjeunent ». Dans les restos et non pas aux « tourne-dos » (gargotes). Ils sont la coqueluche des demoiselles en quête de mari, séduites par ce style de vie raffiné sorti tout droit des écrans télé. Il se dit que cette espèce de maris gère la popote familiale sur un tableur Excel. Chaque dépense est calculée au centime près. Leur boulot passe avant les affaires sociales qu’ils perçoivent comme des sources de dépenses imprévues. Ils louent des appartements sur mesure pour éviter tout envahissement familial. Travail – prospérité – liberté est leur devise, le scrabble leur « hoby ».

NB : Ce billet fait suite à celui consacré aux filles et ne reflète pas forcément le point de vue de l’auteur. Dans les deux cas, il s’agit d’un ramassis de préjugés sociétaux avec leur part de vérité et de mensonge.


Top 10 des clichés les plus loufoques sur les célibataires guinéennes

Mariée - crédit photo: instant précieux
Mariée – crédit photo: instant précieux

Quand on pose la question de savoir « quel genre de fille voudrais-tu marier » à un célibataire guinéen en quête d’épouse, la réponse se fait aussi vite que la diarrhée d’un cholérique : « une fille bien éduquée, issue d’une bonne famille ». Une phrase qui pue l’hypocrisie à mille lieues.

A la vérité le cousinage, le régionalisme et l’endogamie sont les trois critères qui gouvernent actuellement le mariage en Guinée, pays au tissu social fortement laminé.

A cela s’ajoutent la misère et la précarité qui ont conduit à la construction dans la conscience collective – conservatrice et machiste à souhait – de tout un schéma de clichés et de stéréotypes les plus loufoques sur les filles à marier.

Mesdemoiselles, chères célibataires de mon pays, voici ce que les mecs en quête de femme pensent de vous sans jamais oser le dire.

Bienvenue au pays des « on-dit »
#10 – Les jeunes filles

Elles ont entre 14 et 18 piges et respirent la santé. Elles sont prisées pour le parfum qu’exhale la fleur de leur jeune âge. Les hommes raffolent la fraicheur d’une jeune fille et tous les délices qui en émanent. Mais il y a le revers de la médaille. On dit qu’elles vivent à 100 à l’heure et prennent leur mari pour leur petit ami. Verbe haut, comportement irrévérencieux. Elles mettront du temps à se défaire de leur carapace de gamine doublée de « fille à papa ». L’époux devient à la fois père, mère et prof. Il doit tout enseigner, avec une approche pédagogique basée sur la persuasion. L’avantage est qu’une fois domptée, Monsieur est sûr d’avoir réussi à « fabriquer » sa femme à son image.

#9 – Les miss

A la vérité, tous les quêteurs veulent se marier à une belle femme. L’idée selon laquelle les hommes s’intéressent d’abord à la beauté intérieure est une grosse fumisterie savamment entretenue par eux. Le mâle guinéen est particulièrement porté sur la plastique des demoiselles. Le constat est simple : une belle fille, même chiante, a deux fois plus de chance de trouver un mari qu’une vilaine « bien éduquée et issue d’une bonne famille ». Et Dieu sait que les belles filles peuvent être une catastrophe ! Elles portent leur beauté comme un bouclier et s’imaginent que chaque regard masculin posé sur elles, signifie : « je veux de toi ». Une fois mariée, on dit qu’elles vont passer leur temps à se laver, se limer, se coiffer, se parfumer et se mirer. Un seul ongle cassé, Monsieur doit trouver une bonne pour faire la lessive, s’occuper de la cuisine et changer les couches de bébé.

#8 – Les analphabètes

Véritables usine à gosses, elles sont taillables et corvéables à volonté pour peu qu’elles tombent entre les mains d’un macho aveuglé par sa richesse. Elles sont souvent victimes de mariage forcé à cause de leur ignorance (surtout les villageoises). Réputées « béni-oui-oui », on pense que les analphabètes seront « femme au foyer ». Leur force réside dans la préparation de toutes sortes de mets, hyper salés ou hyper sucrés, qui ne tarderont pas à flanquer un diabète carabiné à leur mari. On pense qu’elles sont dépensières, l’essentiel de leur préoccupation étant comment paraître belles dans les cérémonies de mariages, de baptêmes et de Sèrès. On les accuse aussi de transformer la maison de leur mari en cour du Roi Pétaud où tous les parents du village débarquent sans crier gare.

#7 – Les élèves et étudiantes

On pense qu’elles sont éveillées et feraient bonne compagnie pour les sorties et le soutien moral. Mais en matière de dépenses, elles sont considérées comme le tonneau des danaïdes. Frais de transport et de scolarité, fournitures scolaires, argent de poche pour la lycéenne. Frais de transport et de scolarité, fournitures scolaires, argent de poche, plus tout un arsenal de chaussures, de fringues, de parfums, de perruques et de maquillage pour l’étudiante qui ne porte pas d’uniforme pour aller à l’école. On dit qu’avant de s’engager avec elles, il faut être sûr de soi.

#6 – Les diplômées sans emploi

C’est une espèce très recherchée. Elles ont l’avantage d’avoir terminé les études sans être trop jeunes ou trop âgées. Moins de dépenses donc. Elles sont en quête de deux choses : un mari et un job (pas forcément dans cet ordre). On dit que leur mariage ne passe pas inaperçu. Il doit être pompeux : cortège, réception, vin d’honneur et bectance à profusion. La légende veut qu’elles ne rentrent pas là où n’existe pas de télé (écran plat de préférence). En attendant de trouver un job, elles sont abonnées chez le pirate-vidéos du carré pour se rincer l’œil dans les soap-opéras sud-américains.

#5 – Les travailleuses

Celles-ci ont déjà un mari : leur travail. Ce sont les gardiennes du dicton (par elles inventées ?) selon lequel « le premier mari d’une femme, c’est son métier ». Celui qui les épousera servira juste de faire-valoir. Pourquoi pas de body-guard ou de valet de chambre selon les circonstances. A la maison, on pense que ce sont elles qui portent la culotte. Dans une dispute, elles ont toujours le dernier mot ragaillardies qu’elles sont par leur job.  Celui à qui ça ne plait pas, peut plier bagage. Les hommes qui les convoitent caressent l’idée de goûter au confort d’être assisté quand « c’est dur ». Dans les faits, ils sont réduits à vivre le pire dans l’expression « mariés pour le meilleur et pour le pire ». Si tu tombes sur une travailleuse amoureuse et généreuse, c’est ta chance. Tu entres au paradis.  Sinon t’es bon pour le purgatoire.

#4 – Les expatriées

Elles suscitent la peur. On a de plus en plus tendance à se méfier de ces oiseaux d’ailleurs. Elles sont réputées « trop éveillées », « trop civilisées », surtout si elles vivent en Occident. Les expat’s trainent une image de femme mondaine qui n’enchante pas les hommes en quête d’épouse. Elles sont jugées un peu féministes sur les bords et ne cèdent pas un seul pouce s’agissant de leurs droits. C’est du genre à avoir l’essentiel de la collection Dalloz en tête. Si l’expatriée est une étudiante, ses chances de trouver un mari au pays, en dehors du cadre familial, se réduisent comme peau de chagrin. Elles ont beau farcir leur Mur Facebook de photos plus éclatantes les unes que les autres, la mayonnaise peine à prendre. Au pays on pense : « si tu épouses celles-là, tu peux dire à dieu à ton autorité de mari ».

#3 – Les divorcées

C’est un produit de seconde main. Leur  valeur s’est fortement effritée avec le premier mariage, surtout si elles ont déjà fait un enfant. Les hommes les prennent en « pneu-secours » presque toujours comme 2ème ou 3ème femme. L’avantage avec elles, c’est l’expérience du foyer vécue ailleurs. Ensuite, elles savent déjà qu’elles jouent leur dernière  carte. Elles se sont assagies, échaudées par le premier divorce. Il se dit que quand elles arrivent, c’est généralement pour rester : pour le meilleur et pour leur vampire de mari.

#2 – Les grandes sœurs

Elles ont la trentaine bien révolue et la peau rugueuse. Pour retrouver leur fraicheur de jeune fille, il faut feuilleter leurs nombreux albums photos jaunis par le temps. Elles sont soupçonnées d’avoir « fait la vie ». Les grandes sœurs  sont à cheval entre les « divorcées » et les « travailleuses ». Elles n’ont pas de mari, mais se sont débrouillées à trouver un job. Abonnées aux marabouts, elles connaissent tous les secrets des philtres d’amour. Il parait qu’une fois au foyer, elles savent entretenir leur époux qui devient un petit roi avec pleines de gâteries. Le moindre de ses désirs se transforme en ordre pour madame. Malgré ce confort, ils sont peu nombreux à sauter le pas pour convoler en noces avec une vieille fille.

#1 – Les cousines

Elles sont, en théorie, à porter de main. « Les cousines sont faites pour les cousins » dit-on. Voilà un mensonger grossier. Sous nos cieux, un mariage entre cousins se termine souvent en eau de boudin. Ce mariage est censé perpétuer la sève, ressouder et raffermir les liens familiaux. Dans la plupart des cas, c’est le contraire qui se produit. Les disputes arrivent très vite. Chacun se croyant plus digne que l’autre, cousin et cousine finissent par détricoter les liens sacrés de leur mariage bâti sur du sable mouvant. Chaque famille se range derrière son enfant et la déchirure, inéluctable, s’approfondit. L’amour prend ses  jambes à son coup, la parenté se fissure. C’est le divorce.

NB : je répète que ce qui vient d’être dit ne sont que des ragots, n’est-ce pas mesdemoiselles ? 


Conakry, le calvaire du locataire

Un quartier de Conakry - photo: Alimou Sow
Un quartier de Conakry – photo: Alimou Sow

Me voici jeté en pâture ! Je suis à la merci des démarcheurs qui, après m’avoir méthodiquement désossé, refileront bientôt ma malheureuse carcasse aux concessionnaires pour le festin final. J’irai me reposer dans  le  caveau familial de la communauté des locataires indignés mais résignés de la capitale Conakry.

Arès vingt-un ans de vie tranquille à Conakry, me voilà en quête d’un nouveau gîte – changement d’état civil oblige. Presque un quart de siècle gracieusement coulé chez un oncle au cœur en or. J’ai déjà dit qu’en Guinée, il n’y a pas d’âge pour quitter ses parents : il y a juste un moment. Celui-ci est arrivé pour moi. Je dois m’en aller. Tanguy quitte sa famille.

Contrairement au personnage du film éponyme, je ne vais pas à Pékin. Je reste à Conakry pour chercher un logement. Un appartement.

Chemin de croix !

A Conakry, deux notions sont devenues  indissociables : logement et démarcheur. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Le Yin et le Yang. L’un ne va pas sans l’autre. Qui veut un logement a recours au service d’un démarcheur ; l’incontournable intermédiaire entre concessionnaires de maison et locataires.

Le démarcheur est un personnage sorti tout droit d’un roman de Ferdinand Oyono. Ces quinquas brulés par la chaleur humide de Conakry sont reconnaissables à leur Borsalino trentenaire et à leurs souliers éculés qui prouvent qu’ils ont foulé chaque centimètre carré de terre des quartiers de la capitale. Organisés parfois en réseau informel, ils ont le plan directeur de la ville en tête : ils connaissent tous les bâtiments, leur surface, leurs propriétaires, leur statut, et éventuellement leur prix de location.

Le démarcheur se rémunère sur une commission versée par le locataire et le propriétaire correspondant à un mois de location pour chaque partie. Mais c’est le locataire qui casque ses honoraires de déplacement journaliers (25.000 GNF en moyenne) pour la quête de l’appartement à louer. Et c’est là qu’il devient un véritable Bernard Madoff.

Le démarcheur connait toujours où se trouve un appartement libre. C’est à la dernière minute qu’il vous sort : « ouuuups, quelqu’un vient juste de le prendre ». Vous venez de perdre 25.000 francs pour la énième tentative. Parfois, il indexe un bâtiment au hasard et vous dit « là, bientôt un locataire va libérer deux-chambres-salon-cuisine-douche-interne ». Il se crée un nouveau marché de déplacement. Et ça dure une éternité.

Quand il vous aura sucé jusqu’aux os et se rend compte qu’il ne peut plus rien tirer de vous, il finit par trouver un appartement et vous refile au propriétaire.

Commence une nouvelle aventure.

Le manque d’encadrement juridique du loyer à Conakry, fait que les propriétaires de maisons fixent le prix à la tête du client. Et ça varie d’une zone géographique à une autre. Les quartiers les plus convoités sont Kaloum (centre-ville), Camayenne, La Minière, Kipé, Nongo, Lambanyi, et une partie de Kobayah au nord-est. Pour leur calme et leur confort relatifs. Il commence à s’y développer le phénomène de la gentrification. Il faut compter en moyenne 1.500.000 francs par mois pour un appart’ de trois-chambres-salon-douches-internes. Dérisoire comparé à d’autres pays de la sous-région pensez-vous ? Eh bien, il ne faut pas oublier une donnée importante : en Guinée, le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) est de 400.000 GNF (42 euros).

La fameuse caution d’acquisition de l’appartement est fixée en termes de mois de location au bon vouloir du propriétaire. Ici, on l’appelle « l’avance ». Ça varie en général entre 3 et 12 mois.

Le contrat de location étant  conclu verbalement, le prix du loyer suit toujours une courbe ascendante. Quand le propriétaire ou le concessionnaire (dans le cas d’une sous-location) se sent coincé, il augmente unilatéralement le prix. Pareil lorsque s’annonce la saison de pluies. Son seul argument : «tu paies ou tu te casses».

Résigné, tu restes. Obligé. En dépit des conditions de vie spartiates : bâtiment pas aux normes de sécurité, fourniture aléatoire du courant et d’eau obligeant les femmes à se lever au milieu de la nuit, quand le robinet coule, pour remplir tout ce qui est creux comme récipient.

Il y a aussi la promiscuité engendrée par la cohabitation difficile entre familles de locataire et de propriétaire. Jalousie entre les femmes qui se querellent pour un rien, transformant la concession en champ de bataille et leurs maris en Israéliens-Palestiniens. Tu rentres du boulot, courbaturé par les embouteillages et la chaleur, tu trouves ta femme et celle du concessionnaire aux prises parce que l’enfant de l’une a volé les billes de celui de l’autre. Bonjour le stress !

Un stress à l’échelle d’une ville. Cette crise du logement à Conakry est l’une des conséquences du développement déséquilibré du pays. La pauvreté en zone rurale a jeté des milliers de Guinéens sur les routes de l’exode ces trois dernières décennies. Les grandes villes ont servi d’aimant pour happer ces paysans miséreux en quête du mieux-être. Miroir aux alouettes. Conakry la capitale a été littéralement envahie. Résultat : une explosion démographique soudaine, suivie d’une urbanisation chaotique dépassant largement les capacités de fourniture de service de base : routes, eau, électricité, sécurité.

La crise du loyer a entraîné une crise du foncier. C’est la ruée ver la terre. Chacun veut bâtir sa propre maison pour sortir de la spirale du logement. Dans la zone de Conakry, les lopins de terre sont devenus hors de prix. Jusqu’à un milliard GNF (plus de 100.000 euros) pour une parcelle de quelques mètres-carrés.

Maintenant, c’est Coyah et Dubréka, les deux préfectures voisines de Conakry, qui sont en train d’être charcutées à coup de millions de francs guinéens. On ouvre un nouveau front dans la guerre d’usure propriétaire – locataire. David contre Goliath.


Non «Petit futé», Télimélé n’est pas un village !

Une rue de Télimélé - Crédit image : Nouhou Baldé
Une rue de Télimélé – Crédit image : Nouhou Baldé

Dans le jargon journalistique, ça s’appelle faire du « desk ». Une bombe pète à Bagdad (c’est quasi quotidien malheureusement). Depuis son bureau aseptisé d’une rédaction parisienne, à des milliers de kilomètres de là, un journaliste, cigarette au coin du bec, y consacre une double page. L’attentat a fait 7 morts, il arrondit le chiffre à 10 et désigne un « cerveau ». L’article est publié.

Double gain pour le journal : il a fait l’économie de l’envoyé spécial et écarté le risque pour son journaliste de se faire kidnapper ou dézinguer. C’est une pratique courante que le regain du business de prise d’otage au Sahel et au Moyen-Orient est en train de nourrir au biberon par les temps qui courent.

Ça, je le savais. Ce que j’ignorais, c’est que des guides touristiques, réputés de haute facture, se livrent également à la pratique du « desk ». Impossible pensez-vous ? Alors sortons de Bagdad pour feuilleter « Le Petit Futé ».

Dans son édition d’octobre 2012 consacrée à la Guinée, le célèbre guide touristique « Le Petit Futé » écrit à propos de Télimélé, page 103:

  • Le village fait partie actuellement de la région administrative Guinée maritime, mais historiquement est lié au Fouta Djalon. Télimélé est une tranquille bourgade endormie au sommet d’une colline, qu’il faut gravir après quelques virages en épingle à cheveux, dans lesquels de nombreux camions ou taxis sont souvent stationnés, le temps de refroidir leur moteur fatigué. Ce petit village de 13 000 habitants offre peu d’intérêt en lui-même, mais les pistes qui en rayonnent sont de toute beauté.

J’ai lu et relu. Je me suis dit que les rédacteurs de ce Petit guide sont vraiment futés ! Donc, Télimélé, ma préfecture natale, est un petit village inintéressant ?

Passé mon étonnement – et ma frustration – j’ai décidé, à travers ce billet, de servir de correspondant résidant au « Petit Futé » pour mettre à jour ses connaissances sur Télimélé.

Lexique du Petit Futé

Petit village de 13 000 habitants : ah oui, un petit village de 13 000 habitants c’est courant ça ? Alors un grand village lui en compte combien, hein Petit Futé ?

Télimélé est, en réalité, l’une des 33 préfectures que compte la Guinée, située à 260 km au nord-est de la capitale Conakry. D’une superficie de 9 000 km2 (soit 3 fois et demie la superficie du Luxembourg !), elle fait frontières avec pas moins de 8 préfectures : Pita et Lélouma à l’est, Boké et Boffa à l’ouest, Gaoual au nord, Fria, Dubréka et Kindia au sud. Cette situation exceptionnelle fait de Télimélé un véritable «hub» entre la Guinée maritime à laquelle elle appartient, la Moyenne Guinée et les pays limitrophes que sont la Guinée-Bissau et le Sénégal, dans la partie septentrionale.

Télimélé est subdivisée en 13 sous-préfectures, dont la plus éloignée, Daramagnaki, se trouve à 145 km du centre urbain. Des statistiques de la mairie indiquent que, la commune urbaine, qui comprend six quartiers et six districts, est peuplée de 56 000 habitants, soit près de deux fois la population de la principauté de Monaco (37 500 habitants).

… une bourgade endormie au sommet d’une colline : la colline en question est le célèbre col du mont Loubha que serpente une piste latéritique formant des virages en épingle. Et il faut arriver à Télimélé un samedi soir pour comprendre qu’elle est loin d’être une « bourgade endormie » avec ses discothèques comme « Janet » et « Africa », ou encore les  abords de la rivière Samankou qui prennent des allures de villégiature en période de fête.

Ce petit village (…) offre peu d’intérêt : cette affirmation pourrait déclencher une attaque cardiaque chez pas mal d’artistes guinéens, surtout les ressortissants de Télimélé comme Binta Laly Sow, Léga Bah ou encore Abdoulaye Breveté qui ont tous magnifié la beauté de la localité dans leur inépuisable discographie.

Au-delà des notes musicales, Télimélé est un véritable écrin de beauté pour touristes. Le climat de type foutanien, y est chaud et humide. La sous-préfecture de Brouwal Sounki – la mienne – est perchée à plus de 1 000 m d’altitude sur un plateau qui offre une vue  panoramique époustouflante sur les gorges creusées par la rivière Kakirima, à l’est, et les plaines encaissées qu’irrigue le fleuve Tominé à l’ouest, dans le Gaoual.  Dans le district de Kansaghi, à Pètè Baala, on retrouve une « valise naturelle » et de mystérieux pas d’un géant imprimés à jamais dans le granit. Au pied des falaises de Sogoroyah, prodigieusement sculptées par l’érosion éolienne, s’étale sur plusieurs kilomètres le village éponyme, l’un des plus grands de la Guinée.

Plus loin dans la commune rurale de Sinta, sur les sites de Guémé-Sangan et de Pètè-Bonôdji, on retrouve encore des vestiges de l’empire païen de Koly Tenguéla (16e siècle).

… historiquement lié au Foutah Djalon : sur ce point, Le Petit Futé n’a pas tort. Télimélé, étymologiquement de « Téli» (nom d’une essence végétale réputée pour sa rigidité et sa longévité) et « Méli » ou « Mélé » qui est toxique, appartient à la Région administrative de Kindia au même titre que Coyah, Forécariah, Dubréka, et Kindia. Mais pendant la période coloniale, le cercle de Télimélé relevait de Pita, au Fouta.

Selon le site Telimele.org, c’est après la bataille de Porédaka (Mamou) et le traité du 6 février 1897 que les Français ont installé un poste colonial à Koussy, un village situé au bord de la rivière Kakirima qui sert de frontière naturelle entre Pita et Télimélé. Poste transféré à Télimélé-centre en 1903. Sept ans plus tard, en 1910, Télimélé est érigé en circonscription administrative. A partir de 1984, avec le changement de régime, elle devient une préfecture composée de 13 communautés rurales de développement.

La localité, habitée naguère par les Djallonkés, est majoritairement peule. Les premiers Peuls musulmans sont originaires de Timbi (Pita), de Timbo (Mamou) et de Labé. On y retrouve également une importante communauté soussou.

Comme la quasi-totalité des villes intérieures de Guinée, Télimélé est confrontée aux défis du développement. La préfecture manque d’infrastructures, notamment routières, et les services publics d’eau et d’électricité sont à créer ou à améliorer. La population composée majoritairement d’agriculteurs et d’éleveurs est très dynamique. Sa diaspora est très active à l’image des associations des ressortissants et amis de Télimélé en Europe qui s’investissent dans le développement local, notamment dans les domaines de la santé, en équipant l’hôpital préfectoral, et l’éducation avec le projet de réhabilitation du lycée public de Ley-weindhou dans la commune urbaine.

Comme toutes les villes de Guinée également, Télimélé a ses mythes et ses légendes et suscite beaucoup de fantasmes. On attribue à ses habitants (principalement ceux de Bowé) des pouvoirs mystiques et une tradition assumée de marabout. Nous serions capables de cracher des abeilles ou de suspendre un village entre ciel et terre en cas de danger! Info ou intox? Allez savoir…

Mais tout cela concourt à dire que, contrairement aux allégations « deskées » du « Petit Futé », Télimélé n’est pas un petit village. CQFD

 


Un septuagénaire de génie nommé Abdoulaye Bah

Abdoulaye Bah avec Anonymous Photo: abkodo2
Abdoulaye Bah avec Anonymous Photo: abkodo2

S’il fallait résumer son parcours en une phrase, ce serait celle-là : une vie digne d’être vécue.  C’est aussi le titre d’une interview qu’il a accordée en mai 2013 au site Global Voices avec lequel il collabore depuis cinq ans, assidument. Et  bénévolement. A 72 ans bien sonnés, Abdoulaye Bah, citoyen italien et retraité de l’ONU, est un web-activiste débordant d’énergie.

Sa galanterie l’a conduit à découvrir le web 2.0. « Un soir de décembre 2008, raconte Abdoulaye Bah, j’étais alors à la retraite. Pour ne pas me disputer avec ma femme sur le choix du programme télé, je me suis mis à chercher une activité bénévole sur Internet ». Il tombe sur Global Voices et en tombe amoureux. Il se déchaîne. Déjà près de mille publications traduites ou écrites en français.  Dans la foulée, il  crée un profil Facebook, un compte Twitter et surtout un blog : Konakry Express. C’est le déclic pour cet amoureux de grandes causes et de chapeaux de feutre.

Sur son blog, à l’origine « né pour diffuser des informations sur les graves atteintes aux droits humains en Guinée lors des émeutes du 28 septembre 2009 », Abdoulaye Bah revisite les pages sombres de l’histoire récente de ce pays, notamment le régime dictatorial du premier président Ahmed Sékou Touré. Avec pédagogie, il plante sa plume dans la plaie de ce douloureux épisode de l’histoire de la Guinée ensevelie sous le sang et les larmes dont on sent le funeste fumet au fil des billets de blog. Une façon d’exorciser le mal qu’il couve depuis de longues années, souvent loin de sa Guinée natale.

Abdoulaye Bah est, en effet, un globe-trotter. Né en juin 1941 à Gongoré-Pita (Moyenne-Guinée) il est citoyen italien où il est arrivé il y a un demi-siècle. Aujourd’hui, il partage sa vie entre Rome et Nice, de l’autre côté des Pyrénées.

Son CV est une sorte de mappemonde sur laquelle l’on voyage à travers les continents avec comme boussole l’Organisation des Nations unies. 1975-1977, Addis-Abeba, Ethiopie : Commission économique de l’ONU pour l’Afrique (Uneca). Abdoulaye est rédacteur en chef du magazine Etudes des populations. Puis, il passe à l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi) qu’il connaît comme sa poche pour y avoir travaillé pendant 19 ans (1978-1997). On le retrouve ensuite dans diverses missions de maintien de la paix ou d’organisation d’élections de l’ONU : Cambodge, Rwanda, Haïti.

Ce fonctionnaire international, spécialiste en statistiques n’en est pas moins un talentueux journaliste. Il a prêté sa plume à de nombreuses revues italiennes imprimées ou en ligne : Amicizia, Solidarietà, Chiamafrica, Quaderni Radical, etc. Il a également été correspondant depuis Rome et Nice pour le groupe de presse guinéen, Le Lynx – La Lance.

Blogueur, fonctionnaire onusien, statisticien, journaliste, mais aussi humanitaire et traducteur. On l’a écrit, le massacre de 28 septembre 2009 pousse Abdoulaye Bah à créer Konakry Express. Mais il  était déjà membre actif du Forum de l’association des victimes du régime de Sékou Touré. Membre également de plusieurs ONG de défense des droits de l’homme, il a participé à la création de Pafodeg (Participation et Formation pour le Développement en Guinée). Ce grand-père polyglotte (il a appris au moins sept langues !) a plus d’un tour dans son sac. Il a mené, dans les années 1960, de nombreux travaux de recherche et de traduction pour l’Ecole de statistique de Florence en Italie. Expérience qu’il met au service du réseau mondial de blogueurs, Global Voices, depuis décembre 2008.

Cet activisme débordant est né probablement de son engagement précoce en politique. Années 1960-70 : le monde est en ébullition. Les soleils des indépendances brillent de mille feux  en Afrique, la guerre du Vietnam fait rage, lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, lutte contre la ségrégation raciale en Amérique. De toutes ces convulsions, le Parti radical italien est en première ligne. Abdoulaye Bah en devient membre. Il égraine les fruits des combats du parti dont il est fier de nos jours : initiative pour la création de la Cour pénale internationale, débat pour un moratoire sur la peine de mort, mobilisation contre les mutilations génitales féminines.

Pourtant, son destin aurait pu connaître une tournure moins lénifiante. En 1967 à la fin de ses études à Florence, le petit génie part chercher du travail à Paris. Objectif : trouver le prix du billet d’avion pour rentrer en Guinée. Son père l’apprend et saute dans un avion pour aller l’en dissuader. Le père sauve ainsi le fils des affres du régime révolutionnaire de Conakry. Il retourne finalement en Italie par la ruse pour vivre dans la clandestinité (sans-papiers). Il finit par trouver du boulot grâce à un prêtre. Deux ans plus  tard, en 1969 il rencontre son âme sœur : une Italienne.

Abdoulaye Bah, le musulman de Pita, dont le grand-père est mort à la Mecque, se marie au Vatican sous le coup de trois exigences : respecter la religion de son épouse, ne pas s’opposer à l’éducation catholique des enfants, reconnaître l’insolubilité du mariage célébré à l’église. Piqué par la flèche de l’amour, M. Bah accepte les yeux fermés et convole en noces.

Résultat : trois fils avec la liberté pour chacun d’embrasser la religion de son choix. Cela ne pose de problème à personne, surtout pas au père qui avoue ne pratiquer aucune religion.

Les voies du Seigneur étant insondables, Abdoulaye Bah a interprété le rôle d’un cardinal zambien dans le film « Habemus Papam » du célèbre cinéaste italien Nanni Moretti. « Une pure coïncidence » commente l’intéressé.

Vu son parcours, on pourrait s’imaginer que le Vieux s’est assagi et a fini d’accomplir son œuvre. Il n’en est rien. Le 4 mai passé, il a été victime d’une agression raciste dans un restaurant italien à Nice. De quoi raviver sa fougue d’étudiant engagé des années 60.  Il crie sa rage dans un billet de blog et engage une nouvelle bataille : la lutte contre la résurgence du racisme.

Un noble combat dans lequel l’infatigable Abdoulaye Bah pourrait faire de Christiane Taubira et de Cécile Kyenge des alliées de taille. N’est-ce pas Monsieur Claudy Siar ?


«Belgo», little Guinea à Bruxelles

Plat de fonio - Crédit Photo: Alimou Sow
Plat de fonio – Crédit Photo: Alimou Sow

Vendredi après-midi, rue de Liverpool à Anderlecht. La prière hebdomadaire vient de se terminer dans la mosquée d’à côté. La place est noire de monde, au sens premier du terme. Ça discute partout, par petits groupes, entre Africains. Un léger vent automnal, prémisse de l’hiver bruxellois, oblige à garder les mains dans les poches. Dans la forêt des chéchias qui coiffent les têtes, émergent de nombreux Poutos, le très caractéristique bonnet traditionnel peul.

« Ici, c’est un peu comme Madina », me sourit un ami improvisé guide.

La comparaison avec Madina, le principal marché de la capitale guinéenne, est parfaite. A plusieurs milliers de kilomètres de Conakry, la communauté guinéenne de Belgique a reconstitué une petite Guinée à «Belgo» un carré coincé entre la commune d’Anderlecht et celle de Molenbeek-Saint-Jean, au cœur de Bruxelles.

Belgo est le diminutif de la Belgo Malienne nv, une société d’export installée à Anvers, en Belgique, et fondée en août 1975 par un certain Dedrie Willy. Progressivement, elle ouvre des bureaux à Paris et à Bruxelles. L’immense entrepôt de la société, situé rue de Liverpool à Anderlecht, finit par imposer le préfixe «Belgo» au quartier.

Belgo, paradis de l’occasion-Bruxelles. C’est la porte du voyage sans retour vers l’Afrique de tous ces articles de seconde main qui inondent de plus en plus les rues de la capitale guinéenne : voitures, matelas, pneumatique, mobilier de bureau, électroménager, pièces détachées … et tutti quanti. Des objets, parfois muséaux, amassés et expédiés au pays à tour de bras.

Au-delà de la question de respect des normes de sécurité qui entoure cette activité florissante, c’est avant tout un business qui emploie et qui nourrit de nombreuses familles installées en Belgique ou restées au pays. Directement ou indirectement. De multiples activités parallèles se sont peu à peu développées autour de Belgo. La plupart exercées par des compatriotes guinéens.

Dans un local exigu, se bousculent une vingtaine de personnes. Dans les rangs, désordonnés, on s’interpelle en langue soussou et surtout poular. Un homme assis derrière un comptoir bancal est pendu au téléphone. Il égraine des chiffres et des codes inintelligibles. Un autre compte frénétiquement des liasses d’euros et délivre des reçus. C’est un bureau de transfert d’argent, «le plus important du pays en direction de la Guinée ».

C’est en fait un tout en un. Au fond de la petite salle, s’étale une enfilade de cabines téléphoniques pour, éventuellement, prévenir le correspondant de l’envoi du mandat. Tout autour, des articles divers sont jetés en vrac allant des canettes Vimto aux copies DVD du théâtre ouest-africain, y compris le fameux « Pessé » de Guinée. «Ce bureau ne désemplit pas, même en période de crise» me souffle mon accompagnateur.

C’est la preuve de l’importance de la manne financière rapatriée par la diaspora guinéenne de Belgique, de loin la plus importante d’Europe. Une diaspora non dépaysée.

Un peu plus loin, à l’angle des deux rues, une petite faim nous conduit à pousser la porte d’un bistrot qui ne paie pas de mine vu de l’extérieur. Dedans, une dizaine de personnes attablées. Toutes des Guinéens, du serveur au dernier client. Au menu : riz sauce feuille (manioc), riz au gras, fonio avec son inséparable sauce veloutée. La cuisine foutanienne presque au grand complet. Ces Guinéens de Belgique, de retour au pays, devraient avoir un sourire en coin quand surplace on se préoccupe à leur trouver des plats européens…

Dans le petit resto, l’ambiance est joviale. Conviviale. Les discussions sont animées. Entre deux blagues et les affaires sociales, reviennent les législatives guinéennes et le processus de sortie de crise qui polarisent les débats. Un leitmotiv.

La solidarité de la communauté se lit sur les murs intérieurs. Des annonces, ici un coiffeur «professionnel», là un tailleur, sont punaisées au mur du bistrot.

Dans la rue, discrètement, les affaires vont bon train bien que ce soit la Toussaint, jour férié. Des affaires qui n’échappent pas à la vigilance des autorités locales. Sur la rue de Liverpool, truffée des caméras de surveillance, un poste de police veille sur la sécurité et la tranquillité du coin. Il est situé en face de l’entrepôt Belgo. Pourtant tout semble être normal et licite. Pas de problème, tant que les agents de police ne décèlent pas du désordre ou de l’encombrement des voies de circulation.

Je me projette à Madina qui accueille la plupart de ces «occasions Bruxelles». Les pièces détachées (pas forcément venues de Belgique) y sont revendues sur une partie du marché qui porte bien son nom : la casse. Des pièces souvent volées au port de Conakry sur les véhicules d’occasion importés, et refourguées par des petits malins aux propriétaires des mêmes véhicules des fois. L’astuce qui consiste à démonter les accessoires et les planquer dans un endroit caché de la voiture n’est plus une panacée…

Comme à Madina, rares sont les Guinéens qui habitent Belgo. Ils viennent ici pour travailler et regagnent, le soir, leurs logements situés dans les quartiers plus éloignés.

Finalement, je sors de Belgo pour retourner à mon hôtel situé rue de la Loi, le centre d’affaires de Bruxelles, avec le sentiment d’avoir effectué un saut dans une Guinée en miniature.


Tabaski à Kansaghi

Tabala traditionnelle - Photo: Alimou Sow
Tabala traditionnelle – Photo: Alimou Sow

Ça me manquait grave ! Près de vingt ans de vie à Conakry et autant de fêtes de tabaski, je voulais changer d’air et de… mouton. Changer pour aller manger les agneaux ruraux aux flancs de coteaux. Partir revivre le rituel de la célébration de la plus importante fête musulmane dans ce qu’elle a de plus  authentique en pays peul. Cap sur Kansaghi, à 335 km de Conakry.

Presque une journée de voyage à travers monts et vallées sur les routes de Télimélé. L’effort de la montée vertigineuse des cols du mont Loubha et les falaises abruptes de Sogoroyah est récompensé par la fraîcheur et la pureté de l’air ambiant une fois au sommet. Perché à 1.500 mètres d’altitude dans les contreforts du Fouta occidental, Kansaghi, un des 13 districts de Brouwal, est un distributeur naturel d’oxygène à l’état pur. Je respire un grand coup, comme pour chasser de mes poumons l’air pollué de Conakry.

La nature s’étale dans toute sa grandeur, réduisant presque à néant les vains efforts de l’homme à la dominer. L’habitat, rare et rustique, est dispersé. Une stratégie des ancêtres selon les récits.

L’histoire, transmise de bouche à l’oreille, raconte que le premier conquérant  de la zone fut un certain Manga, armé de … tambours (kouloun). Rien que par le bruit de cet instrument à percussion et le feu qu’il alluma à plusieurs endroits pour effrayer l’ennemi, Manga réussit à chasser les occupants de ce vaste plateau les obligeant à se refugier en contrebas, sous la montagne. Le héros et ses tambours laissèrent leur nom à la localité, Manga-Kouloun, dont une partie est constituée d’une zone aride ainsi appelée Kansaghi en langue locale Poular.

Parmi les dépositaires du récit, y en a qui ont une version beaucoup plus belliqueuse. Mais personne n’est en mesure de démentir, preuve à l’appui, celle de l’autre. Et c’est tant mieux. A l’école primaire de Kansaghi, on nous parla bien de la science de René Caillé et de la bravoure de Napoléon, mais pas de la tactique de Manga-Kouloun contre ses adversaires. Je m’égare… Revenons à nos moutons.

Tabaski à Kansaghi. Je me revois à l’âge de dix ans, en compagnie de mes amis d’enfance… Le moindre bruit, le plus subtil parfum de campagne me parlent. Je suis en terrain connu, et même conquis. Sur ces interminables terres verdoyantes, j’ai coulé des jours heureux de mon enfance et une partie de mon adolescence.

Comme jadis, la fête a lieu à Missidé, le village qui abrite la mosquée principale. Sauf cas exceptionnel, les prières des fêtes musulmanes ne sont pas effectuées dans la mosquée. Par tradition, elles se tiennent à l’extérieur à l’orée du village, sur une aire aménagée à cet effet qu’on assainit à l’approche de chaque fête. L’endroit reste inchangé : beau et simple. Presque figé dans le temps.

Le parcours de la distance qui sépare la mosquée de cette aire de prière constitue le moment fort du cérémonial. L’imam, appuyé sur une longue canne surmontée d’une étoile, est escorté par une armée de sages qui répètent après lui des versets du Coran sous le son de la tabala traditionnelle, frappée à coups réguliers à l’aide des lanières aux extrémités remplies de cailloux. La procession est majestueuse. La symphonie, audible des kilomètres à la ronde, est captivante.

A pas lents, l’escorte rejoint l’aire de prière avec solennité. Les femmes, tenues à bonne distance, suivent la scène dans une discipline militaire.

Séance de prière - Photo: Alimou Sow
Séance de prière – Photo: Alimou Sow

Le sermon est lu en arabe, traduit en Poular de façon littérale. L’imam ne développe pas, ne commente pas. Le profane se perd dans les allégories. Puis des rangées se forment. Par mérite d’abord, puis par âge.

Au salut final de l’imam, je remarque un changement. Les garçons ne courent plus. A notre époque, sitôt le salut final prononcé nous sprintions pour nous retrouver à un endroit isolé afin de recomposer les nouveaux groupes d’amis au cours d’une mémorable compétition de lutte traditionnelle. Redoutable épreuve pour moi qui étais plus à l’aise avec la conjugaison des verbes du 2ème groupe que pour terrasser un adversaire. Je rusais pour y échapper, préférant la force du neurone à celle du muscle.

La prière terminée, l’imam est raccompagné chez lui par un autre chemin que celui par lequel il est arrivé. Puis, il procède au sacrifice du mouton donnant ainsi le ton. La tradition d’Abraham se répète alors dans chaque concession, donnant lieu à une véritable tuerie dans les villages pendant les trois jours qui suivent la fête. Les morceaux de viande font la navette entre les hameaux. On offre, on reçoit. Tout le monde se régale. Dans la discipline et l’humilité. Malgré la pauvreté.

Contrairement à Conakry, ici on ne vous harcèle pas pour un pauvre billet de banque. Chacun donne à son bon gré. Chacun se contente de ce qu’il a, de ce que Dieu lui a donné. Musulmans austères donc.

Musulmans très tolérants mais aussi très conservateurs. La célébration de chaque fête est déterminée par l’observation stricte du croissant lunaire. Pas de prédiction, pas de suivisme. Conakry, et même l’Arabie peuvent fêter la tabaski aujourd’hui, Kansaghi le lendemain. Comme ce fut le cas cette fois en 2013.

C’est cela la tradition dans la région du Fouta, ancienne théocratie au cœur des montagnes et des sources de la Guinée.


Bienvenue à Pounthioun où tradition et modernité se côtoient

Mosquée de Pounthioun - crédit photo Alimou Sow
Mosquée de Pounthioun – crédit photo Alimou Sow

La voix du muezzin, portée par des haut-parleurs perchés sur les minarets de la coquette mosquée, déchire l’aube naissante se perdant au loin dans l’horizon qui se moire. Plus près, un coq donne la réplique. Des tisserins nichés dans le feuillage des manguiers se joignent au concert. Peu à peu, Pounthioun se réveille.

Moi aussi. Je sors du lit au moment même où un timide rayon du soleil échappé de la montagne de Kolima tente d’entrer par l’embrasure de la fenêtre. Hadja Mariama, elle, est débout depuis 5H du matin. Peut être même bien plus tôt. A son âge, on dort peu.

Cette grand-mère de 75 ans, la démarche trainante, le physique marqué par la rigueur de la vieillesse, s’apprête à accomplir ce qui est devenu un rituel pour elle depuis près de 50 ans : chaque matin, elle fait la ronde  de Pounthioun pour dire bonjour aux voisins et savoir s’ils ont passé la nuit en paix.

Je décide de l’accompagner dans cette quête de nouvelles ; véritable travail du facteur. Un moyen pour moi de me rattraper. En trois ans d’absence, beaucoup d’évènements, heureux et malheureux, se sont accomplis à Pounthioun, un quartier où j’ai coulé cinq ans de vie d’étudiant au Centre universitaire de Labé. Je connais tous les recoins et presque chaque concession.

Je note quelques nouvelles naissances et beaucoup de décès. Des notables du quartier, parmi les plus respectés et influents, s’en sont allés à jamais. Dans l’enceinte de la petite mosquée jaune, le mausolée s’est agrandi d’une nouvelle pierre tombale surmontée d’un magnifique dôme. Hadja Mariama y jette un regard triste et secoue la tête de chagrin et de mélancolie. Elle se désole que « tous les sages sont en train de partir laissant derrière eux des maisons vides ».

L’architecture de Pounthioun est en constante évolution. Parmi les maisons au style ancien, poussent désormais des étages carrelés et vitrés. Signe de prospérité des fils ressortissants du quartier. Les habitations sont parfois délimitées par de simples haies faites de tiges de bois. Ici, on partage tout, jusqu’au sel de cuisine.

Les ruelles étroites qui faufilent entre les pâtés de maison sont parsemées de graviers couleur ocre qui crissent sous nos pas trainants. Des herbes sauvages colonisent les terrains vagues, les vaches, repues de mousse, continuent à être les reines de la route où elles s’affalent et ruminent en toute tranquillité. Pounthioun, un des 28 quartiers de Labé, est écartelé entre tradition et modernité.

Jusque dans un passé récent, cette sorte de village-quartier était constitué de pâturages autour desquels fumaient des cases rondes au toit de chaume. Le bétail s’abreuvait dans le Pounthiounwöl, la petite rivière qui ceint le côté ouest du quartier et dont il tire son nom. Image qui s’est considérablement effritées ces trente dernières années. L’exode a drainé les bras valides ailleurs.

Dans certaines concessions la pratique de l’élevage de bovins subsiste encore, matérialisée par de minuscules enclos accolés à des maisons modernes. Juste pour le symbole. Jadis signe de richesse pour les pasteurs Peuls musulmans, la vache est devenue un simple moyen de perpétuer la tradition à laquelle s’accrochent désespérément les personnes du troisième âge de Pounthioun.

Les petits-enfants, eux, ont la tête ailleurs. Dans une maison aux carreaux couleur grise, un groupe d’une demi-douzaine de jeunes garçons est plongé dans un jeu vidéo projeté sur un écran de télé. Au-dessus de leurs têtes, sur le mur du salon, pendent des clichés jaunis par le temps de leurs grands-parents et arrière-grands-parents vêtus de Leppi (tissu local) et enturbannés. C’est à peine si les gamins lèvent la tête en nous voyant entrer.

Intérieure cour d'une concession photo: Alimou Sow
Intérieur cour d’une concession à Pounthioun photo: Alimou Sow

Nous les laissons jouer pour aller dire bonjour à une vieille femme qui a reçu la visite d’un serpent la nuit précédente. Le reptile a été massacré par les jeunes nous explique la vieille sans afficher la moindre émotion. Elle est plutôt préoccupée par un rhumatisme qui la cloue au lit en ce matin frisquet. Un thermomètre accroché au dessus d’une jarre en terre cuite affiche 20 degrés Celsius.

Les deux vieilles  dames échangent des amabilités, s’en remettent à Dieu et Lui rendent grâce de tout ce qui arrive, en bien comme en mal. Elles me couvrent d’interminables bénédictions pour un simple billet de banque. J’imagine que leurs fils ressortissants qui pourvoient le matériel et qui les ont emmenées aux lieux saints de la Mecque doivent être blindés de bénédictions.

On termine la ronde en rendant visite à une autre vieille Hadja dont la concession fait face à un pylône de téléphonie mobile. Le ronronnement du groupe électrogène qui alimente le poteau n’est pas de son goût… Encore du gravier ocre, beaucoup de gravier qui tapisse la cour intérieure de sa maison. Des arbres fruitiers à foison : manguiers, avocatiers, orangers, papayers, citronniers forment un véritable verger. Tout près, quelqu’un élève des pigeons qui roucoulent et partent dans de lourds vols planés au-dessus des maisons.

Les yeux rongés par un glaucome, la vieille Hadja perd progressivement la vue mais garde la mémoire sur ses origines qui correspondent aux miennes. Elle me raconte comment la jeune fille de 18 ans native de Télimélé est arrivée à Labé au moment où presque toutes les maisons de Pounthioun étaient des cases rondes. Son visage est ravagé par une profonde expression de mélancolie. La nostalgie prend le dessus, elle écrase une larme.

Hadja Mariama met fin à sa traditionnelle ronde. Nous rentrons à la maison, elle satisfaite d’avoir pris des nouvelles, moi profondément ému et abreuvé des valeurs ancestrales qui cimentent les liens des habitants paisibles de cette localité depuis des années.

Dans un monde quasi-déshumanisé, cette belle balade m’a servi d’exorcisme et de ressourcement.

Que vive Pounthioun, où tradition et modernité se conjuguent au pluriel.


Guinée : le système électoral pour les nuls !

Crédit image: Edile.fr
Crédit image: Edile.fr

Sauf retournement spectaculaire de situation, – pas impossible –  les Guinéens se rendront aux urnes le mardi 24 septembre prochain pour élire les 114 députés de l’Assemblée nationale, 11 ans après le dernier scrutin législatif qui remonte au dimanche 30 juin 2002.

Soit cinq ans de mandat légal pour les députés (2002-2007), et six ans de cafouillage électoral pour le pays (2007-2013) ; pouvoir et opposition se détestant cordialement.  Le 3 juillet dernier, les protagonistes guinéens, chaperonnés par la communauté internationale, ont signé un accord politique permettant d’aller, enfin, aux élections législatives.

On y va donc le 24 septembre. Mais sait-on réellement pourquoi ? Les 5,3 millions électeurs que la CENI dit avoir inscrits font-ils tous la différence entre les deux scrutins : élection uninominale à un tour et liste nationale à la représentation proportionnelle ? Dans un pays où, selon les statistiques officielles, 72% de la population est analphabète, on peut raisonnablement douter.

Personnellement, j’ai cherché à mieux comprendre et je partage.

L’Assemblée nationale guinéenne, dont le rôle est le vote des lois et le contrôle de l’action gouvernementale, compte 114 députés élus pour un mandat de cinq ans renouvelable. Sur les 114, les deux tiers sont  élus sur une liste nationale et un tiers élu par circonscription.

La Guinée compte actuellement 38 circonscriptions électorales représentées par les 33 préfectures du pays, plus les cinq communes de la capitale Conakry.

Avant d’aller plus loin, précisons que tout citoyen guinéen présenté par un parti politique, sain d’esprit (quand j’écoute certains candidats battre campagne, je me demande si ce critère a été tenu compte pour ces législatives !),  jouissant de ses droits civiques, n’étant pas fonctionnaire de l’Etat (dans la circonscription où il se présente), n’étant pas militaire ou magistrat, peut être élu député.

Le système électoral en Guinée est mixte sans compensation. En termes clairs, il combine deux scrutins distincts dont l’un ne compense pas l’autre. Chaque électeur votera donc pour désigner simultanément :

  • Le député de sa circonscription
  • Le parti politique de son choix

A travers :

  • Le scrutin uninominal à un tour : littéralement, c’est un scrutin où on ne peut indiquer qu’un seul nom. Il est d’une grande simplicité. Le candidat ayant rassemblé le plus de voix dans sa circonscription est élu. Etant à un seul tour (contrairement à la présidentielle qui en a deux), une majorité relative de voix suffit pour gagner une élection. En cas d’égalité de voix entre deux candidats, le plus âgé l’emporte. Ce scrutin permettra d’élire donc 38 députés sur les 114 du parlement.  On vote plutôt pour un candidat que pour un parti politique.
  • Mode de calcul des résultats: le candidat qui recueille le plus de voix dans sa circonscription est déclaré vainqueur. Exemple : A, B, C sont candidats à l’uninominal dans ma circonscription, commune urbaine de Matoto (en réalité, ils sont au nombre de six pour ces législatives). A supposer que Matoto compte 10.000 électeurs. « A » recueille 3.000 voix, « B » 2.000 et « C » 5.000 voix. « C » est automatiquement déclaré vainqueur.

  • La liste nationale à la représentation proportionnelle : Dans ce scrutin, les électeurs votent pour un parti politique, puis les sièges sont attribués aux différents partis proportionnellement au nombre de voix obtenues. Les candidats sont élus dans l’ordre d’apparition sur la liste de leur parti. Deux tiers des députés doivent être élus avec ce scrutin, soit 76 députés. Un quota minimum de 30% est réservé aux femmes.
  • Mode de calcul : Un peu de maths, ma bête noire, pour comprendre. Ici, pour le calcul des résultats, on cherche ce qu’on appelle le « quotient » pour déterminer le nombre de voix requis correspondant à un siège de député. Simplifions : pour obtenir le quotient, on divise le nombre total de suffrage exprimés (nombre de votes moins les bulletins nuls) par le nombre de députés à élire.

Exemple : Après le toilettage du fichier électoral de la CENI, supposons que celui-ci contiendra en définitive 5 millions d’électeurs et que le jour du scrutin, on fera comme les Maliens, 400.000 bulletins nuls (je crains le pire). Le suffrage valablement exprimé sera donc 4.600.000 voix à repartir aux 76 députés. Posons l’opération : 4.600.000/76 =  60.520,31 (quotient).

En clair, dans notre exemple, pour obtenir un siège de député à l’Assemblée, chaque parti doit gagner 60.520 voix.

Supposons qu’il existe 3 listes nationales, « A », « B », « C » (en réalité, pour les législatives du 24 septembre il existe officiellement 22 partis en lice, donc 22 listes avec un total de 1672 « députables »). On sait que chacune de nos listes « A », « B » et « C » doit obtenir un minimum de 60.520 voix pour prétendre envoyer un député concurrencer les artistes de tout poil à notre Palais du peuple omni-évènements (siège de l’AN).

Au lendemain du 24 septembre, les résultats donnent : liste « A » = 2.000.000, liste « B » = 1.600.000, liste « C » = 1.000.000 de voix. Pour savoir le nombre de sièges obtenus par chaque liste, on divise le nombre de voix qu’elle a valablement obtenu par notre quotient (60.520). Ce qui donne dans l’ordre : « A » = 33,04 ; « B » 26,43, C  = 16,52. Mais la somme des députés (en oubliant les chiffres après la virgule) ne donnent pas 76 députés dont on a besoin (33+26+16 = 75).

Alors, on fait recours à ce qu’on appelle la règle du plus fort reste. Ici, la liste « C » a le plus fort reste (0,52). Ce parti remporte donc le siège restant. En cas d’égalité du plus fort reste, le siège revient à la femme ou, à défaut, au plus jeune, suivant les listes.

On obtient donc les 76 chanceux qui rejoindront les 38 autres issus de l’uninominal pour constituer les 114 députés qui vont être payés pour s’insulter cinq ans durant au perchoir (non je déconne, ils vont contrôler l’action gouvernementale !!!).

Sans rentrer dans les détails des avantages et inconvénients de ce système électoral, on peut remarquer d’ors et déjà deux choses : la complexité du mode de calcul des résultats (pour la proportionnelle) rallongera le délai d’attente de ceux-ci. Ensuite, il a le mérite, du moins théoriquement, de rapprocher l’électeur de l’élu (uninominal) et de s’éloigner ainsi de l’ethnisation du scrutin.

Les électeurs le savent-il ? Je doute. Une bonne partie de l’électorat rural, analphabète, ne fait aucune différence entre ces législatives et la présidentielle, croyant fermement qu’elles opposent une nouvelle fois les deux finalistes de l’élection de 2010.

Pendant ce temps, les candidats se succèdent à la télé, que personne ne regarde faute de courant, pour nous lire leurs CV touffus, au lieu d’expliquer aux citoyens  comment voter.

Le premier élu de ces législatives risque d’être le bulletin nul. Wait and see.


Top 10 des fautes de français qui collent les Guinéens à la peau

Crédit visuel - Alimou Sow
Crédit visuel – Alimou Sow

Le français est la langue officielle de la République de Guinée. Il est enseigné à l’école et parlé par au moins 28% de la population estimée à 10,22 millions d’habitants et composée de multiples groupes ethniques auxquels il sert souvent de passerelle de communication. Contraint de s’adapter aux dialectes locaux, le français parlé en Guinée  est parfois serti des perles qui feraient se retourner Molière dans sa tombe !

Voici le top 10 de fautes de français qui collent les Guinéens à la peau :

#10 – Des tribus et des… lettres : en dehors des traits physiques et des langues respectives,  l’autre trait caractéristique des groupes ethniques de mon pays est leur accent quand ils parlent le français. Tout instituteur sait que l’exercice d’apprentissage de certains sons syllabiques français aux écoliers guinéens est un véritable cauchemar. Et ce, suivant les ethnies :

  • Les Peuls : le son «V» n’existant pas dans la langue Poular, faire dire à un Peul illettré  « Vélo », « Voiture », « Vote », est un réel casse-tête chinois. Il simplifiera en remplaçant le « V » par « W » (Ce qui donnera Wélo, Watir,  Wôté). Pareil pour le son « Ch », « Sch ». Il est plus aisé pour un Peul analphabète (ou pas) de tuer son unique vache à lait par un coup de fusil que de prononcer les mots « Chimie », « Châssis », « Schéma », « Psychiatrie », ou « Torche» !
  • Les Kissis : ces habitants du sud de la Guinée semblent avoir un sérieux problème avec le son «GR». Du coup, dans leur bouche le mot «Grave» devient parfois « Glave » ou « Clave ». D’ailleurs, l’oreille d’un Peul a toujours l’impression qu’un Forestier (Kissi ou Guerzé) a une braise dans sa bouche quand il parle !!!
  • Les Soussous : ce peuple côtier dont la langue est très parlée à Conakry la capitale sait pêcher du poisson, mais pèche dans la prononciation du son « Dia ». Les Soussous vexent souvent les « Diallo » et « Diakité » qu’ils appellent « Monsieur Yallo » ou « Madame Yakité ».
  • Les Malinkés : je ne connais pas un son précis que les Malinkés ne savent pas prononcer, mais ils ont le tic de transformer le mot « donc » en « Donkou » quand ils parlent. Et, soit dit en passant, personne au monde ne sait parler plus fort qu’un Malinké ou un Bambara du Mali (tous des Mandings). En Europe, quand deux femmes Malinkés entrent dans un train, le silence s’enfuit par les fenêtres !

#9 – « Bonne voyage » : c’est une énigme. Personne ne sait pourquoi les Guinéens disent au voyageur « bonne voyage » alors qu’ils savent pertinemment que le nom « voyage » est masculin. La faute se retrouve même gravée sur des plaques situées au bord de la route.

#8 – « Ça descend » : ce bout de phrase qu’on crie dans les transports en commun à Conakry est une traduction littérale en français de l’expression Soussou « ä goroma ». « Ça descend » ne signifie pas qu’un sac de riz descend, mais plutôt « arrêt demandé » ou bien « Je descends ».

#7 – « Elle s’est accouché »: typique invention guinéenne, cette expression veut dire tout simplement «elle a accouché ». Tant pis pour ceux qui essaient d’expliquer que le verbe « accoucher » n’est jamais pronominal. Sans gêne on vous annoncera : « La femme de Fodé s’est accouché une fille ».

#6 – « J’ai passé chez toi » : cette faute de conjugaison colle à la peau des collégiens guinéens comme leur tenue couleur kaki. La leçon portant sur « le verbe passer et les auxiliaires  être  et  avoir » ne passe pas du tout, visiblement.

#5 – « J’ai intervenu » : même problème que précédemment à la différence qu’ici, élève et parent d’élève conjuguent le même auxiliaire « avoir » devant « intervenir » qui, normalement, s’accompagne du verbe « être ». « J’ai intervenu entre mon fils et son maître ».

#4- « Idem que moi aussi » : les linguistes appellent ça une tautologie, ici on s’en fout. Dialogue  sur la route de l’école : « Mon ami, j’ai faim ». « Idem que moi aussi» !!!!

#3- « Je les ai dit » : ce problème grammatical hante étudiants, cadres, journalistes et même des hauts dignitaires du pays. Beaucoup n’ont jamais su faire la différence entre les déterminants « le, la, les» et les pronoms personnels « la, lui, leur ». Parait que même en Conseil des ministres on peut entendre dire : « Il faut la donner ce dossier » !

#2 – « Je vais me déjeuner » : cette formule qui ferait danser d’étonnement l’excellent Ivan Amar de RFI, est une autre traduction littérale de l’expression soussou « N’khassa n’dèyba » (Je vais prendre mon petit déjeuner ». Matin de bonne heure, tu entends un gaillard dans les bas-fonds de Kindia, assis devant un faramineux plat de Foutty, annoncer : « Je vais me déjeuner » !

#1- « Faire partir » : la palme d’or revient à cette faute de français devenue un classique mêmes dans  nos amphithéâtres. Au collège, les profs ont enseigné que « quand deux verbes se suivent, le second se met à l’infinitif ». Alors beaucoup pensent que dans cette expression « faire » est suivi du verbe « partir » alors qu’il s’agit du nom commun féminin singulier « Partie ».

Faites-vous partie de ceux qui ne commettent pas ces fautes ? Connaissez-vous d’autres ? Je vous laisse la main pour les commentaires ; en attendant, je vais ME déjeuner !!!


Hôpital de Donka, ce grand corps malade du système de santé guinéen

CHU Donka- Crédit photo: Alimou Sow
CHU Donka- Crédit photo: Alimou Sow

C’est une insupportable rage de dent qui m’a fait pousser les portes de Donka. J’y suis ressorti la rage au ventre !

Le service dentaire du Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Donka, l’un des deux plus grands établissements sanitaires de la Guinée, ressemble plus à une forge qu’à un  centre de soins pour dents. On y retape les gueules presque au marteau !

Après avoir franchi l’imprenable grille de l’entrée principale de l’hôpital, le patient arrive au service dentaire en suivant l’une des interminables coursives qui bordent les bâtiments décatis du CHU.

A droite, une inscription décolorée au dessus d’une porte ouverte annonce le cabinet dentaire. Dedans, une antichambre grosse comme un mouchoir de poche au milieu de laquelle impatientent des patients entassés sur des fauteuils en lambeaux. Mines serrées, les-bouches-enflées se font la gueule dans un silence pesant.

Ce matin-là, tout le monde se tenait le nez entre le pouce et l’index. Une odeur fétide empeste l’atmosphère plusieurs mètres à la ronde. Une rigole passe juste derrière la fenêtre de la petite salle. Les canaux d’évacuation des eaux usées de Donka sont bouchés, m’explique-t-on. Une grosse mouche verte vient vrombir à l’intérieur de la pièce comme pour confirmer l’information.

Derrière une porte couverte de crasse, comme les murs intérieurs, les médecins dentistes burinent. Une spatule et une lampe torche pour inspecter l’intérieur de la bouche. Le courant électrique a déserté l’hôpital depuis plus d’une semaine. Sans gants, le dentiste me fait apprécier le goût salé de ses doigts qu’il plonge dans  ma bouche en même temps que des boulettes de coton pour essayer de la maintenir ouverte. J’ai failli gerber. Mais, ma pire crainte était de choper une maladie nosocomiale pour une simple rage de dent.

A propos de Donka, il se raconte des histoires à dormir debout : des femmes qu’on gifle dans les salles d’accouchement de la maternité, des malades que des médecins laissent trépasser parce que non accompagnés aux urgences et, plus hallucinant, des corps qui se décomposent faute de courant électrique dans la chambre froide de la morgue de l’hôpital.

Le seul capitaine à bord du bateau Donka, envasé dans la misère et la corruption, c’est l’argent. Le racket commence dès la grille d’entrée où son postés des agents qui filtrent les entrées par des billets de 5.000 ou 10.000 GNF. Au vu et au su de tout le monde. Les médecins ne font pas mieux. À quelques rares exceptions, le sermon d’Hippocrate ne vaut pas mieux que du papier-toilettes ici. 

Dans cet hôpital public construit en 1959 par l’aide de l’Union soviétique, l’urgence c’est l’argent. Vous payez, vous êtes soignés avec les moyens du bord, sinon vous partez les pieds devant.

Il y a 17 ans, en 1996, le cinéaste Thierry Michel a posé ses caméras à Conakry pour filmer la douleur de Donka. Six mois durant, il scrute le travail des médecins souvent vénaux et l’agonie des patients démunis. Le résultat est une radioscopie d’un hôpital africain (1H25’), film documentaire qui a fait une belle moisson des prix depuis.

Le film de Thierry s’ouvre sur les gémissements d’un homme foudroyé par une crise de méningite. Il a été ramassé au marché et jeté aux urgences de Donka, sans accompagnateur. Les médecins refusent de le toucher – et le disent dans l’objectif de la caméra – préférant attendre les parents du patient qui ne viendront jamais. Il rend l’âme à la tombée de la nuit.

Un drame parmi tant d’autres qui n’ont pas, eux, le privilège d’être filmés.

Laissé à lui-même à travers une gestion qui se veut autonome, Donka, comme la plupart des hôpitaux du pays, constitue le dernier recours des malades minés par la misère. Conséquence : l’hôpital est devenu un mouroir. Le documentaire révèle qu’en 1996 au service réanimation, le taux de mortalité était de 75%.

Mais Donka  est loin d’être une exception. À Ignace Deen, l’autre grand hôpital situé à moins de cinq km de là, le service neurologie ne dispose même pas d’un scanner !

Avec  ça vous vous demandez encore pourquoi nos chefs préfèrent aller mourir dans les cliniques aseptisées du Royaume chérifien?


Les «brouteurs» ivoiriens dans la prairie guinéenne

Crédit image: FranceTv info
Crédit image: FranceTv info

A Abidjan, mon pote serait passé pour un «Gawou». A Conakry, c’est quelqu’un qui a failli ruiner sa mère.

Mon ami est chômeur. Il cumule déjà près de cinq ans d’ancienneté dans ce métier qu’il a embrassé dès sa sortie d’université, affublé d’un diplôme de gestionnaire d’entreprise qui est en train de jaunir sous le matelas de son lit grinçant.

Le plancher de sa chambre est jonché de photocopies de son CV et des lettres de motivations qu’il ne cesse d’inonder les rares entreprises qui publient des annonces de recrutement. Même si ce recrutement concerne des plombiers ou des manutentionnaires, mon pote gestionnaire, veut tenter sa chance. Il «dépose», comme on dit ici. Son seul objectif est de changer de statut : passer de chômeur à salarié, même payé au lance-pierre.

En cinq ans d’expérience de recherche, il a fignolé son CV, répondu aux annonces dans la presse écrite, expérimenté les recommandations, usité les tuyaux (les fameux « bras longs »), investi les réseaux souterrains pour entrer dans la fonction publique, etc., mais que dalle.  Mon pote reste chômeur usant le fond de sa culotte sur des bancs en bois et noyant ses soucis dans du thé sous le manguier.

Alors il décide de se moderniser et de passer ainsi de chercheur de job ordinaire à chercheur de job 2.0. On lui a soufflé qu’en la matière, internet et les réseaux sociaux surtout, constituent un piédestal pour atteindre le graal : décrocher un taf ! Il file tout droit ouvrir une adresse mail et crée, dans la foulée, un profil Facebook. De toutes les manières, à défaut de trouver un job, c’est un moyen pour se faire des amis et échanger.

Mon ami sera servi.

Quelques mois après l’ouverture de son compte Facebook, il se fait des amis, naturellement. Parmi eux, UNE amie, Angélina dont il a accepté la demande d’amitié la bouche entrouverte, le cœur battant la chamade.  La photo de profil d’Angelina montre une débauche de beauté et d’élégance à l’état pur. Rien que pour chater avec elle, mon pote était capable de lécher les bottes du gérant du cybercafé de son quartier devenu son nouveau QG qu’il ne quitte que pour aller manger, prier ou pisser.

Un jour la «go» lui demande s’il taffe, il répond que NON !!! «Elle» lui révèle qu’elle bosse pour une institution internationale qui était, justement, en train de recruter des jeunes gens à envoyer d’abord à Londres pour formation, tous frais payés. Elle promet, en tant que chef de service du département ressources humaines, qu’elle donnera un coup de pouce à sa candidature. Mon pote jubile et jure que son heure de gloire est arrivée et que son étoile va bientôt briller dans le ciel lugubre du désespoir.

Son amie Facebook lui balance l’avis de recrutement sur son mail qu’il télécharge et imprime dans le plus grand secret. Il remplit tous les formulaires avec le plus grand soin et applique une nouvelle cure d’esthétique à son CV déjà joli.

Il s’apprête à tout renvoyer par mail à sa bienfaitrice d’amie, quand il reçoit un message de celle-ci précisant que le dossier doit être acheminé non pas par mail, mais par la poste, accompagné d’un billet de…  100 euros !!! Un petit doute veut s’incruster dans son esprit. Il le chasse très vite devant la perspective de révéler à ses potos du carré, et surtout à sa copine, qu’il doit aller à Londres pour une formation assortie d’un CDI dans une institution internationale.

Cent euros c’est une fortune pour un chômeur patenté comme lui, mais il va les trouver.

Il rentre à la maison en haletant : « Maman, je sais que tu ne me crois plus mais cette fois-ci ton fils a une occasion en or pour voyager et surtout trouver un bon emploi. Mais j’ai besoin de l’équivalent de 100 euros, c’est-à-dire neuf cent mille francs guinéens. Prête-les moi, s’il te plait maman».

La vieille cède, voyant les diamants qui brillent dans les yeux de son fils chômeur, fumeur, et buveur de thé, etc. Véritable calamité pour sa porte-monnaie.

Il convertit les neuf cent mille francs de la maman en un billet brillant de 100 euros qu’il entend poster à une certaine Angélina, rencontrée sur Facebook mais directrice de ressources humaines dans une institution internationale.

C’est pile au moment où il achetait les timbres postes pour affranchir le dossier, qu’il reçoit un appel affolé du seul ami qu’il avait tenu à informer de son coup de chance.

Arrête tout, c’est une grosse arnaque.

Je venais de me rendre compte, en effet, que le fameux avis de recrutement que j’avais demandé à mon ami de m’envoyer pour étude, était une grossière imitation cousue de fautes de français. Un vrai faux avis comme j’en trouve des dizaines dans le dossier Spam de ma boite électronique.

Une semaine après ce sauvetage in extremis, une voisine m’appelait matinalement pour m’annoncer qu’elle pensait avoir remporté le jackpot du loto d’un opérateur local de téléphonie mobile. Je n’ai pas eu de la peine de découvrir l’arnaque dès qu’elle m’a narré le procédé de son interlocuteur : envoyer les numéros de série de plusieurs cartes de recharge pour récupérer son cadeau.

Deux cas sur des centaines de procédés d’arnaque, devenus des banalités ailleurs, que mes compatriotes guinéens expérimentent depuis quelque temps. L’internet mobile et les plans promotionnels d’entreprises de jeux et de téléphonie commencent à arriver dans les foyers. Les «brouteurs» ivoiriens, ces fameux arnaqueurs sur le web, en profitent pour débarquer dans la prairie guinéenne encore toute fraîche.

Pour vous en premunir, voici le site ivoirien de la Plateforme de Lutte Contre la Cybercriminalité – PLCC


La Guinée, terre de superstitions !

Crédit image -etudiantguinee.org
Crédit image -etudiantguinee.org

Une secousse tellurique de magnitude encore inconnue a ébranlé, samedi 20 juillet 2013 à 21H33,  la capitale Conakry et une bonne partie de la Basse Guinée, jusqu’au Fouta oriental. Une secousse d’environ cinq secondes, suivie de deux répliques espacées de quelques minutes. Petite panique dans les concessions, mais aucun dégât, ni de blessé signalés pour le moment.

Ça, c’est ma version personnelle. Y’en a qui vous diront que la terre a tremblé pendant au moins cinq minutes et que tous les membres la famille ont dû soutenir le toit de la maison par la force de leurs bras pour l’empêcher de tomber…

Si la magnitude du séisme est encore inconnue, l’onde de choc produit sur Facebook doit être de 9,5 degrés sur l’échelle de Richter !  La petite secousse de Conakry a produit un vrai tremblement sur ce réseau social dont les Guinéens sont particulièrement friands.

Quelques secondes ont suffi pour que les murs soient inondés de messages annonçant la nouvelle ; et surtout les conséquences de celle-ci. Et c’est  ce qui m’intéresse ici.

C’est connu : un tremblement de terre est loin d’être un fait anodin. Et quand celui-ci se produit en Guinée, il prend les couleurs nationales. Surtout le rouge, synonyme de sang, de catastrophe, de mort. Celle du grand Chef !

La secousse de ce samedi nuit n’a pas échappé à la règle. Passés la frayeur, les jurons et la réaffirmation de la foi en Dieu le Tout Puissant (qu’est ce que les gens sont pieux dans le malheur !), les interprétations ont suivi. Elles convergeaient toutes vers un épicentre convenu : un séisme est un signe prémonitoire infaillible de la mort d’un chef, du Grand Chef en l’occurrence. La rumeur a voyagé à la vitesse des SMS et appels téléphoniques ayant suivi la secousse.

Dans les quartiers de Conakry comme sur Facebook, les géophysiciens spécialistes des interprétations sismiques ont, en un temps deux mouvements, tracé un maléfique triangle équilatéral : le tremblement de terre du samedi, les affrontements interethniques de N’Zérékoré, et le fait que la fête l’Aïd-el Fitr qui marque la fin du mois de ramadan 2013 tombe un vendredi. La conclusion est sans appel : un grand quelqu’un va mourir cette année !

Les vieilles personnes, sur le visage desquelles on peut lire une certaine inquiétude, ont la certitude de cette issue maléfique. On les comprend quand on regard dans le rétroviseur.

Le 22 décembre 1983 un tremblement de terre de magnitude 6° a secoué la partie Nord-Ouest de la Guinée,  notamment à Gaoual à 400 km de Conakry. 143 morts autour de l’épicentre situé dans la localité de Koumbia et d’énormes dégâts matériels avaient été enregistrés, les cases en banco s’étant effondrés comme un château de carte. La cata.

Je devais avoir deux ou trois ans à l’époque. Mais ce n’est que 18 ans plus tard, au lycée, que j’ai compris, et fini par admettre, que ce n’était pas la Terre entière qui avait tremblé en 1984 ! Car ceux qui avaient vécu cet épisode sismique en parlaient (en parlent encore) comme une apocalypse en y mettant des effets spéciaux à faire pâlir de jalousie les scénaristes du film Volcano !

Et le verdict tomba comme un couperet trois mois plus tard : le 26 mars 1984, le président de la République socialiste et Révolutionnaire de Guinée, Ahmed Sékou Touré, meurt aux Etats-Unis ! Les médecins de l’hôpital de Cleveland où il rendit l’âme concluent à une crise cardiaque. Les Guinéens, dans leur écrasante majorité, savaient que c’est le tremblement de terre de Koumbia qui avait eu raison du dictateur Sékou Touré. Ou, en tout cas, l’avait prédit.

Mon esprit cartésien cimenté par 17 ans de formation à l’école occidentale souffre assez souvent des superstitions de certains compatriotes. Récemment, une amie s’évertuait à me convaincre que sa copine a un mari de nuit qui l’habite et qui la fait délirer. Mon amie connait le nom du diable, ses intentions, ses capacités de nuisance, etc. Bref, ses moindres faits et gestes. Le tout, dans un monde métaphysique insaisissable pour moi.

Elle est autant convaincue de tenir la vérité sur l’origine des problèmes psychiques de sa copine, que moi de son immense erreur. Question de conviction.

Mais ceci n’est qu’un simple exemple de l’interminable série de signes annonciateurs de bonne ou de mauvaise nouvelles auxquels les Africains, les Guinéens en particulier, croient foncièrement : un oiseau qui chante une belle mélodie à l’orée du village signifie un ressortissant qui rentre de l’aventure ; un hibou qui ulule sur le toit d’une maison = un malheur proche ; une couronne se forme autour de la lune = un chef va mourir ;  la paume de la main qui démange = signe d’un gain d’argent rapide (équivaut à rêver de caca) !

Vous avez dit superstition ? 


Où vas-tu donc, étudiant guinéen ?*

Étudiant guinéen - Crédit photo: Alimou Sow
Étudiant guinéen – Crédit photo: Alimou Sow

C’est ton jour. Celui que tu attends depuis bien longtemps. Depuis deux  mois. Depuis trois ans. C’est le jour de la proclamation des résultats du Baccalauréat. Tu es déclaré admis !

Tu t’en fous de la mention, encore moins de ton rang. T’as vu ton nom, ton PV, ton école d’origine. C’est bien toi. Le reste n’est pas important. La joie t’envahit. Tu souris, tu ris. Tu sursautes, cries, passes des coups de fil de gauche à droite, distribues des SMS à tout va. T’en reçois.  Amis et parents te complimentent, te congratulent. Tu en es ravi. Fier.

Passera ? Passera pas ? Deux longs mois, depuis la tenue du Bac., que tu te poses ces questions. Des nuits blanches que tu repenses à la manière dont tu as traité telle ou t elle épreuve. Des jours entiers que tu pries, implores le Tout Puissant d’exaucer ton vœu : celui de te donner le Bac. Tu l’as, ton bac. Tu dis Alhamdoulillahi. Bien que t’avais jeté un furtif coup d’œil sur la copie de ton voisin. Mais ce n’est pas ça tricher, tu  n’avais pas d’antisèche sur toi. Ils ont dit «tolérance zéro», t’as respecté. Zéro faute.

Tu repenses à l’année scolaire qui a été longue et mouvementée, comme toutes les années  en Guinée. Dirigeants et Opposants, qui se détestent cordialement, ayant définitivement pris en otage la vie sociale du pays avec leur maudite politique. Tu revois le long chemin parcouru, les tonnes d’exos traités, les révisions, les séances de lecture au bord de la mer, sous les lampadaires de la station-service du coin, à la lumière blafarde d’une lampe chinoise ou d’une bougie tueuse.

Tu te repasses le film de tes longues journées de lycéen paumé. Obligé parfois de taper le Kanda (jeu) pour compléter le transport, d’aider la Vieille à écouler ses beignets ou ses haricots pour trouver le prix des cahiers, du table-banc. Pour assister le prof qui se marie, celui qui a un baptême, celui-dont la femme est malade, la directrice qui part encore «en mission». Tu revois tout cela, tu souris. Tu te dis que c’est fini. T’as relevé le défi, franchi le cap. Contrairement à certains potes, pleins de remords, d’amertume que le Bac. a malheureusement laissés.

Tu es désormais un étudiant. Adieu, le bleu-blanc. T’es devenu un grand. Bientôt on t’orientera. L’université. Là où les potes sont plus cools, les profs plus pro, les filles plus sexy, vu qu’elles ne sont pas en tenue. Tu jubiles. Si t’es lauréat, t’iras au Maroc : Casa, Rabat, Mohamedia ou Marrakech. Ce sera chouette. Si t’es pas lauréat, c’est pas grave. Dans un an ou deux, tu t’inscriras sur Campusfrance pour aller étudier en France. Là-bas ça bosse bien. Tu le sais, on te l’a dit. Tes frères partis, ne sont pas encore revenus, mais leur profil Facebook parle pour eux. C’est tentant.

Mais décevants, risquent d’être tes rêves jeune frère. Chiant ton quotidien.

Ça commencera quand on t’orientera à l’intérieur du pays si tu bossais à Conakry. Faranah, Kindia, Kankan, Boké, Labé, ou N’zérékoré. Mais t’avais déjà entendu parler de ces coins où les étudiants ont pour fidèles compagnes la faim et la mangue. Tu entres en rébellion, mets en branle tes relations. Tu recours à la corruption pour désorienter ton orientation. C’est Conakry ou rien. Après quelques remous, des va-et-vient, beaucoup de billets de banque, tu obtiens gain de cause. Tu restes à Conakry, la capitale. T’iras à Gamal ou Sonfonia, à défaut d’une université privée comme Ghandi ou Kofi.

Bonjour la galère, la chaleur, les embouteillages, les cafouillages, les amphis pléthoriques. Tu découvres le système LMD pour lequel tes amis te traduiront : Laisse-moi Me Débrouiller. Tu plonges dans les petites combines pour avoir des notes, pour éviter la seconde session. Tu redécouvres également les NTS, les Notes Sexuellement Transmissibles. Tu pénètres le monde des pécules impayés, des programmes bâclés, jetés par la fenêtre par des profs incompétents, des encadreurs arrogants et méprisants. Tu expérimentes les grèves étudiantes, t’encaisses les mesquineries, les jalousies, les hypocrisies et les délations de tes propres potes. Tu troques ton plat de «Lafidy» matinal contre du gaz lacrymal que viendront vous distribuer régulièrement les chacals de la police et de la gendarmerie. Tu goûtes aux délices de la matraque et du brodequin.

Là t’es devenu étudiant. Un vrai. Mais un matin tu dis «assez» ! Et tu décides de tenter ta chance sur Campusfrance. Deux mois de galère à entrer des notes sur un site rebelle, à photocopier, légaliser, téléphoner, t’aligner, te bousculer au CCFG pour déposer ton dossier et passer un entretien. Tu gardes dans un coin de la tête que ton oncle ou ta tante vont te prêter les 7.000 euros exigés comme caution pour la première année d’études.  Ils te l’ont promis. Admission et rendez-vous à l’Ambassade obtenus, on t’apprend que «nous ne pouvons pas te payer tout cet argent» ! Tu déchantes, redescends sur terre et entre en rogne. T’iras pas en France, pas cette année.

Retour à la case départ. Gamal. T’auras perdu la moitié de l’année, t’es en session dans au moins trois matières, t’auras surtout contribué à gonfler le compte bancaire de Moustapha Naïté, en réactualisant tes pauvres 5.000 GNF durement gagnés dans son cybercafé poussif de Mouna.

T’en veux à tout le monde.  Tu te démerdes maintenant pour obtenir ton diplôme de fin d’études pour foutre le camp d’ici. Quatre ans pour un carton de Licence qu’on te balancera à la figure. Que les entreprises te refourgueront à leur tour. «Formation inadéquate» qu’on te signifiera.

Après avoir griffonné des tonnes de lettres de motivation et CV, envisagé l’aventure, essayé le marché Madina (Bordeaux), tenu un télé-centre de quartier, déterré tes anciens talents de coiffeur, crié ta colère dans la Grogne Matinale sur Soleil Fm, tu reprendras ton souffle sous le manguier pour chercher une certification à la préparation du thé. Tu deviendras un inconditionnel de GuinéeGames ou replongeras dans le Kanda pour gérer le quotidien stressant. Les gos te fuiront, te trouvant radin et pas «classe». C’est le clash.

Véritable desperado des temps modernes, tu deviendras «bambétocosable», «autoroutable», proie à toutes les tentations politiques. C’est pas grave, tu cherches encore ta voie, Etudiant guinéen.

* Cet article été préalablement publié en juin 2012 sur mon autre blog.


Le Prix du «Meilleur blog francophone» expliqué aux Guinéens

Certificat du Meilleur blog francophone - Crédit photo: Alimou Sow
Certificat du Meilleur blog francophone – Crédit photo: Alimou Sow

Depuis le 7 mai 2013, je suis devenu un homme riche. Très riche. Immensément riche ! Je pèse combien ? Cinq mille, dix mille, cent mille, peut-être même … un million d’euros ! Merci à la Deutsche Welle. Que dis-je, merci à la calculette magique.

Le 7 mai dernier, le blog que vous lisez a été désigné « Meilleur blog francophone» 2013 du concours des Best of Blogs de la Deutsche Welle à l’issue du vote du public. L’annonce de cette victoire m’a fait passer instantanément, dans la tête de certaines personnes, du statut de blogueur à celui de «démarreur» et, à Conakry quand on dit de quelqu’un qu’il démarre, n’allez pas croire qu’il fonctionne au diesel hein; comprenez que l’intéressé est plein aux as.

La calculette interne de certains compatriotes m’a hissé au prestigieux rang de ceux qui ne connaissent pas la boue hivernale, la chaleur et les moustiques-drones de Conakry ; de ceux pour qui les taxis-fours, les petits déj’ au pain farci de haricot noir, les longues journées sans eau et les interminables nuits sans électricité ne sont que des légendes urbaines des temps modernes.

Je peux donc renouveler ma garde-robe aux Galeries Lafayette à Paris, me taper des grasses mat’ à la chaine, niquer mon boulot pour aller racheter des actions à la bourse de New York, me faire une Bentley et drainer un harem des plus belles nanas du pays. Puisque je suis devenu un Crésus local, dans leur imagination.

Les calculs estimatifs sournois ont commencé bien avant l’annonce des résultats du vote du public. Y en a qui ont fait recours à l’allusion :

Jeune homme, on a appris la bonne nouvelle, on va voter pour toi. Si tu gagnes, puisque tu gagneras, j’imagine que tu n’iras pas en Allemagne pour rien ?  Sous entendu : Combien s’élève le montant que tu iras chercher en Allemagne ? J’ai esquivé.

Quand les résultats sont tombés, les enchères ont monté d’un cran. Mes titres aussi. « Le boss », « Le Grand », « Le Big » me gratifie-t-on. A chaque fois, je formule une prière : « ne me vendez pas aux bandits armés de Conakry, please » !

Puis sont arrivées les mises en garde à peine voilées :

Tu fais notre fierté Alimou, mais petit on est là  hein, et on t’a vu grandir. Traduisez : «nous avons participé à ton éducation, nous attendons notre part de ce que tu vas percevoir». Je me fends d’un sourire gêné.

La médiatisation de la victoire ne m’a pas servi sur toute la ligne. En rentrant du boulot, je croise un vieux dans mon quartier, transistor collé à l’oreille. Il fonce sur moi comme une rapace, se plie en deux et décrète à mon intention en faisant de grands gestes :

Mon fils, j’ai entendu ton nom ici, dans ma radio! Je te bénis, tous les sages d’ici te bénissent. Vraiment, tu fais notre fierté. Mais cherche à augmenter les bénédictions hein ?

D’accord papa.  Mais ne croyez pas que ce prix soit….. Il me coupe court:

Laisse tomber « Mignan » (petit-frère)! Quand le Blanc parle de Prix, ce qu’il y a de quoi. On connait, on a tout entendu, tu as gagné le meilleur Prix, alors n’essaye pas de brouiller les pistes.

Je ravale mon explication.

A vrai dire, le mot « Prix » qui accompagne ce titre de meilleur blog francophone est une épine dans mon pied.

Sous nos cieux, «Prix», comme dans prix du pain, prix du sucre, prix du Cola, évoque directement des espèces sonnantes et trébuchantes. Alors n’essayez pas d’expliquer à un analphabète que gagner un prix ce n’est pas gagner de l’argent liquide. Que c’est juste un titre honorifique, un carton, un papier. Mieux, une simple dénomination. Vous passerez pour un menteur patenté. Pire, un radin qui ne veut pas partager !

D’ailleurs chez nous, les policiers sont les premiers à vous signifier que «c’est pas papiers qu’on mange». Et les vendeuses de beignets, elles, savent que c’est DANS papiers qu’on mange… leurs beignets ! Franchement, je n’aimerais pas être un livre en Guinée…

Dans ce cas, comment faire comprendre que ce prix du meilleur blog francophone n’est pas le Mo Ibrahim ? Qu’il n’y a aucune rémunération pécuniaire qui s’y rattache et que la seule chose qui le matérialise est un certificat accompagné d’un mini-lecteur MP3 offerts par la Deutsche Welle (innovation 2013) ? Comment convaincre que le voyage de douze jours que j’ai effectué en France et en Allemagne, mi-juin, a été entièrement pris en charge par l’Institut Français de Paris et non pas par la Deutsche Welle qui ne convie pas les gagnants de la catégorie langue ? Tout un programme…

Je suis conscient que partager reste une valeur cardinale sous les tropiques et que créer une fondation, quand on est riche, pour défendre une cause ou lutter contre un fléau est une action hautement gratifiante. Mais nous n’en sommes pas là avec ce Prix. Peut-être un autre dans un futur proche. Qui sait? Celui-ci récompense près de trois ans d’efforts accomplis dans des conditions pas souvent optimales. Il est comme il est: nu, modeste et simple comme un clic! Et je l’aime ainsi.

Sa particularité réside cependant dans le fait que c’est VOUS, chers (é)lecteurs, qui me l’avez offert. La Deutsche Welle n’a fait qu’entériner votre choix. Alors vous savez de quoi il est fait, pas besoin d’explication (sic).


Cologne: l’eau, les trains et les… poubelles

Un Thalys en gare du Nord - Crédit photo: Alimou Sow
Un Thalys en gare du Nord – Crédit photo: Alimou Sow

De Cologne, je ne connaissais que la fameuse eau éponyme. Maintenant j’en sais un peu plus sur ses trains et ses… poubelles.

Cologne, cette ville allemande de fondation romaine que j’ai traversée dans un premier temps et visitée pendant quelques heures ensuite, me laisse une impression mitigée. J’adore sa majestueuse cathédrale au style gothique, les ruelles de la vieille ville aux pavés centenaires; mais aussi et surtout son parfum mythique à la senteur exquise. Par contre, je déteste ses trains parfois bondés et pas toujours (ou trop) à l’heure (en tout cas pour les miens).

 Pour les poubelles de la gare centrale c’est plutôt tragi-comique.

En provenance de Paris, j’atterris pour la première fois à Köln HBF (Gare centrale de Cologne) ce lundi, 17 juin 2013. Je suis en route pour Bonn où je dois recevoir mon certificat de « Meilleur blog francophone » des Bobs 2013, grâce à l’Institut Français de Paris. Mon train de correspondance est en retard de 35 minutes, temps que je consacre à admirer le sublime tableau qu’offre l’été allemand en termes d’habillement pour les filles! Tennis, T-shirts et petites culottes ou collants transparents qui laissent découvrir des cuisses partiellement bronzées.

Je détourne mon regard de musulman pour le plonger dans… les poubelles installée sur les quais de la gare. Une espèce de borne futuriste en forme de frigo (oubliez le maudit frigo) sur laquelle des inscriptions invitent à classer les déchets selon leur nature dans des compartiments prévus à cet effet. Plutôt pratique, mais rien de révolutionnaire en soi (voir photo ci-dessous).

Le truc révolutionnaire c’est qu’en moins de cinq minutes j’ai vu trois mecs mal fagotés visiter successivement une poubelle, non pas pour y déposer des ordures mais pour en prélever! Ils sont munis de petites torches pour lorgner les coins sombres de la poubelle à la recherche des restes d’aliments ou de quelques centilitres d’alcool dans les bouteilles jetées. Un choc pour moi! Avec ça quand je pense qu’en Afrique (pas seulement) il existe des suicidaires prêts à affronter la Méditerranée à la nage pour rejoindre l’Europe… Je chasse rapidement l’idée de ma tête. De toutes façons, à chacun ses oignons.

Pour l’instant, les miens sont les trains. Je rattrape ma correspondance pour Bonn aux forceps. C’est un peu la cohue pour monter. On se marche dessus. Debout, j’arrive à me caser entre une blonde et un jeune hippie zébré de tatouages. Collé-serré. La chaleur est étouffante. Ça me rappelle un peu Conakry Express, le seul et unique train de transport que compte ma capitale (l’insigne « Siemens » en moins dans les wagons). Attention, avec celui-là 35 minutes de retard c’est pile à l’heure! Oubliez le mot « Express ». Et si vous râlez, allez prendre un Magbana.

Après trois jours de conférence à Bonn couronnés par la remise des prix aux lauréats des Bobs, une amie me fait visiter Cologne sur le chemin de retour pour Paris. Comme tout étranger, c’est l’eau de Cologne, la célèbre marque de parfum qui porte le nom de la ville, que je veux renifler en premier. Beaucoup de voyageurs se rabattraient sur la célèbre bouteille N°4711 dont l’enseigne est estampée sur le toit de la gare centrale.

Mais mon guide connaît mieux: Farina 1709.

On fait une descente dans l’antre de Farina, la plus vieille Maison de parfum au monde. La beauté du décor est à tomber par terre. Du parfum. Des bouteilles. De toutes les formes, de toutes les tailles, de toutes les bourses. Je me ravitaille, je m’enivre et je voyage dans le temps.

J’apprends, en effet, que c’est en 1709 que le parfumeur italien Jean Marie Farina s’installa à Cologne pour distiller de l’eau de vie à la senteur incomparable, appelée ainsi « Eau de Cologne » par les soldats français qui revenaient de guerre et qui contribuèrent à populariser la marque de l’Italien. Trois-cent quatre ans plus tard, un blogueur guinéen de passage à Cologne rapporte plusieurs fioles dans sa Guinée natale. Farina ne se l’imaginait probablement pas.

Moi non plus, pour la suite de mon voyage pour Paris au quai N° 8 de la gare. Enivré d’eau de Cologne, je mets à profit l’heure d’avance sur mon train pour faire du lèche-vitrines sur la principale artère commerçante de la ville. Je suis bluffé par la différence des prix avec Paris. C’est nettement moins cher ici de façon générale. La beauté des articles, la lumière et les vitrines aseptisées donnent envie de casser sa tirelire. Le consumérisme a pris le dessus par ici, me disais-je.

Plongé dans ces réflexions mercantilistes, je ne vois pas le temps passer, ni l’orage qui éclate soudain. Valse des parapluies. Je rejoins la gare au sprint et rate mon train pour Paris de deux minutes seulement! Le prochain est dans un peu plus de deux heures m’annonce le service de train Thalys. Patience. Impatience. Sur le maudit quai N° 8, je croise un trio de musiciens burkinabé en partance pour Bruxelles. Ils se mettent à me raconter leur participation au festival Africologne. Agglutinés au bout de la ligne, on ne voit pas le Thalys qui vient s’arrêter dans la section « B-C », embarquer et repartir sans nous! « Anne, j’ai encore raté le train! « 

Ma déconfiture laisse de marbre les agents du Thalys. « Monsieur vous payez un nouveau billet, c’est tout ». Je casque 121 euros, le cœur gros comme ça. Je finis par embarquer à bord du train en toute fin de journée.

Quelques minutes de repos, les relents de trois jours de bonheur à Bonn et la sympathie des journalistes de la Deutsche Welle me font vite oublier le déconvenue de la gare de Cologne. Je rentre à Paris, le cœur léger comme une plume. Cologne, je ne t’oublierai pas de si tôt.

Poubelle en gare de Cologne - Crédit photo: Alimou Sow
Poubelle en gare de Cologne – Crédit photo: Alimou Sow


Google Suggest: bienvenue dans le royaume des préjugés et autres conneries

« Pourquoi les femmes ont des jambes? » Rassurez-vous mesdames, j’ai toute ma tête et je suis tout sauf un macho. Personnellement, je ne poserais jamais une telle question, mais quelqu’un d’autre l’a fait! Vous brûlez d’envie de savoir « qui ». Je vais vous décevoir: je ne sais pas! Par contre, à la question de savoir « où » la question a été posée, j’ai des pistes.

 Et c’est loin d’être un endroit caché, puisqu’il s’agit de votre moteur de recherche préféré: Google. Plus précisément le service appelé Google Suggest ou saisie semi-automatique. Une fonctionnalité qui « prédit et affiche des requêtes basées sur les activités de recherche des autres internautes” comme le définit le plus grand moteur de recherche au monde lui-même.

 Lire la suite