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Les touristes ne rigolent plus à Berlin

L’esprit berlinois du moment, peint sur le verso d’une table pliante devant un supermarché de Kreuzberg

La fièvre anti-touristes fait frissonner Berlin. Les alternatifs, ou plutôt ceux qui prétendent l’être, ont décidé que tout ce qui ne parlait pas allemand était un sale capitaliste venu dépenser ses dollars dans des clubs technos super glitter. Une attitude étrangement oublieuse du passé allemand, à la limite du racisme, que tout Berlinois qui se respecte devrait surveiller de près

Samedi soir, vingt-trois heures, je marche dans une rue de Kreuzberg avec mon petit ami allemand, son meilleur pote et ma copine bosniaque, Ekatarina, avec laquelle je parle anglais. Une jeune femme titubante, une bouteille de Pils à la main frôlant gracieusement le béton à chaque pas, nous beugle au passage :

You can’t even speak German. Fuck you.

Nous lui rétorquâmes aussitôt en allemand d’aller se faire voir chez les Grecs. Ce qui la déstabilisa encore plus et nous craignîmes vite de la voir s’écraser contre un mur, ivre de bonne binouze bien de chez elle.

Vous imaginez-vous agresser un anglophone dans la rue à Paris parce qu’il a le malheur de ne pas parler français? Non. Eh bien, ceci n’est qu’un exemple – presque mignon – de l’attitude passive-agressive de certains jeunes Berlinois à tendance gaucho, à l’égard de tout ce qui ne leur semble pas être 100% deutsch, du cru, légitimement « d’ici ».

Le développement touristique de Berlin sur les dix dernières années est en effet impressionnant. Les clubs sont envahis, le week-end, de touristes venus s’amuser mieux que chez eux (il faut bien dire qu’on se fait super chier dans les fêtes parisiennes ou londoniennes si on n’a pas un rond). Parallèlement, le phénomène de la gentrification à l’œuvre depuis la Chute du Mur, dû en partie à l’afflux d’étrangers dans les quartiers branchés,  inquiète les vieux Berlinois qui se sentent dépossédés de leur ville.

Les parallèles se font vite : si les loyers augmentent, c’est parce que la ville devient hype, et si la ville est hype c’est parce que les jeunes étudiants et artistes étrangers nous envahissent, et donc tout ce qui parle autre chose que l’allemand est un sale connard de spéculateur en puissance venu nous voler notre pain, nos logements et nos femmes blondes. Tout ça en parlant anglais, en plus. La langue de Bush et de Schwarzenegger (ah, euh… à moins que la langue de Schwarzie ne soit l’allemand?).

Ces jeunes Berlinois, qui, parfois, aiment se promener avec des looks de punks à chien iroquois pour signifier à la société leur immense désaccord, se prétendent de gauche. La (vraie) gauche, c’est quoi? Voyons. Le fait de ne pas croire au système capitaliste? L’éducation pour tous? Des valeurs de partage, de tolérance?

Ah oui. Partage et tolérance.

On sait pourtant que les Berlinois ont mis des plombes à se sortir le nez de leur culpabilité post-nazisme. Longtemps, une blague raciste ou sur les Juifs (bien moche, telle qu’on en connaît en France) était un tollé absolu en Allemagne. Depuis deux ans, je sens un glissement. La peur qui étreint les Berlinois devant la hausse des loyers et l’ouverture de cafés vegan avec accès wifi est évidemment compréhensible, mais un peu exagérée. Et, pour notre malheur, la peur rend con.

Un bel exemple de connerie? Cette vidéo diffusée par le bar Freies Neukölln, dans la Weserstrasse, la rue de la fête à Neukölln (pour voir la vidéo cliquez ici). Cet antre « anarchiste » se permet d’insulter ouvertement ses clients d’origine étrangère et de moquer les étudiants qu’ils considèrent comme bobos dans une vidéo qui a fait scandale il y a un an. Les commentaires outrés des internautes germanophones prouvent cependant (ouf!!!) que les Berlinois allemands ont encore un peu de bon sens.

Cela fait onze ans que j’aime et que j’explore cette ville. J’y vis depuis quatre ans. Ce qui fait le charme inégalable de Berlin, c’est à mes yeux son fantastique cosmopolitisme. Ce sont mes amis allemands, autrichiens, grecs, italiens, français, américains, russes, marocains. Un de mes amis proches est un musicien de jazz israélien. Cela fait quatre ans qu’il vit à Berlin ; il y est devenu célèbre à force de travail et de talent. La dernière fois que j’ai bu un verre avec lui, il m’a annoncé qu’il voulait partir. Une bad vibe, me disait-il. Des relents pestilentiels pour le juif ashkénaze qu’il est.

– Et tu veux partir où?

– A Paris.

Mmmh. Ça sent mauvais tout ça, moi j’dis.



Occupy Mauerpark

Le parc culte de la bohème berlinoise va peut-être être rangé au rayon des souvenirs. Un plan de spéculation immobilière menace d’être approuvé par le Parlement. A moins que les citoyens ne se dressent pour défendre ce qui leur appartient.




Education Q à l’allemande

Copyright Jacob Hopkins, Berlin 2012

« Chienne! » Chienne, c’est ce que Sofie Peeters entend quand elle traverse la rue à Bruxelles dans sa robe d’été. Chienne! Salope! P’tites fesses! C’est à vous soulever le cœur de dégoût et son documentaire, « Femme de la rue », le prouve. A Berlin, les femmes entendent bien plus rarement (voire jamais) ce type d’insultes sur leur passage, peu importe leur tenue vestimentaire. Affaire de culture du cul, affaire d’éducation-cul. Éloge de la retenue allemande (pour une fois).

Sofie Peeters, une étudiante installée à Bruxelles, vient de défrayer la chronique avec son film Femme de la rue. Grâce à une caméra cachée, on découvre le quotidien d’une jeune femme qui déambule dans la rue dans une robe d’été même pas provocante : un parcours semé d’insultes et de harcèlements (j’t’offre un verre, mais chez moi, pas au café, l’hôtel direct tout ça tu connais…)

Triste réalité. Rien de nouveau sous le soleil, certes, mis à part le fait qu’une courageuse étudiante en cinéma a voulu en faire un film et que ce documentaire étale crûment la bassesse de ces propos masculins.

Moi qui partage mon existence entre Paris et Berlin, je pourrais ajouter quelques minutes au film de Sofie Peeters.

Première séquence, Berlin : votre blogueuse se rend à une fête de Nouvel An, habillée comme une outrageante drag queen. Legging en or qui moule le popotin, fausse moumoute blanche, paillettes vertes sur les pommettes, chaussures compensées et cheveux en folie (ben quoi, c’est la fête oui ou flûte?! on n’est pas sur un blog de mode ici, j’ai droit à l’excès et au mauvais goût, que je sache) Je traverse Schlesisches Tor, un quartier sympa de Kreuzberg bordé de restos turcs. Si les têtes se retournent, si les commentaires fusent, ils sonnent plutôt agréablement :

– Eh! t’es folle, j’adore!

– Je suis chercheur d’or, je t’offre une pizza ma pépite!

– Wow, ça flashe!

Pas de quoi foutre qui que ce soit en taule pour insulte sexiste, nous sommes d’accord.

Deuxième séquence, Paris : vers Charonne- Faidherbe, votre blogueuse, au mois de janvier, se promène en bottes de moto, blouson râpé et jean large. Tenue très peu sexuelle, il me semble.

– Tss tss, t’es charmante, tu suces?

– T’aurais pas dû laisser ton mec à la maison…

Troisième séquence, Berlin, été : votre blogueuse en robe très légère a encore oublié son soutif chez un bel Allemand. Mais de commentaires dans la rue, point. Je vais, sautillante, libre comme l’air, pensant que je vais peut-être brûler mes autres soutifs, comme ma mère il y a quarante ans. Quelques têtes se tournent, des yeux se perdent, n’osent pas insister – les Allemands ont presque honte de regarder les filles passer. Arrivée chez mon ami Helmut pour déjeuner, j’ai droit à des bras grand ouverts : « pas de soutien-gorge, c’est ça une vraie femme! »Et, à table, tout le monde me parle dans les yeux.

Quatrième séquence, Paris, été : pour échapper à l’insistance latine, je porte volontairement un futal volé à mon grand-père, mais par 30 degrés rien n’a pu me résoudre à porter cette affreuse prothèse de chez Princesse Bum-Bum.

– Ouh c’est chaud là, c’est dehors ou c’est toi? Chaude chaude, tss tss viens là…

– T’es bonne! 

– T’habilles pas comme ça si tu veux pas qu’on te parle…

N’est-il pas triste de penser qu’à mon âge avancé, mes parents s’inquiètent encore de me voir prendre le métro en jupe à Paris passé neuf heures du soir? Tandis que j’arpente, nue si je le veux, les rues de Berlin à l’heure du loup sans entendre le moindre commentaire? La seule et unique fois où l’on m’a mis la main au panier dans un bar à Berlin, c’était un… Français. La grande classe hexagonale, mec! Tu exportes avec habileté ce qu’on fait de mieux en France!

L’élégance à la française devra peut-être bientôt aller se réfugier dans des pays plus accueillants. Quand les rues de Berlin seront peuplées de minijupes frenchy même par -20 degrés, et que toutes les jolies gambettes de Marseille, Paris ou Tourcoing seront planquées dans des salopettes à la Coluche, il ne restera plus grand-chose au charme légendaire de la capitale de l’amour.

Et nos amis germains, eux, pourront se réjouir pour une fois d’être nuls en drague : à eux les petites robes, les décolletés et les œillades. Ach, wunderbar!