Mohamed SNEIBA

Mauritanie : élections casse-tête pour l’opposition

Ahmed Daddah, chef de file de l'opposition démocratique (Crédit photo: Google)
Ahmed Daddah, chef de file de l’opposition démocratique (Crédit photo: Google)

Encore une fois, le pouvoir du président Mohamed Ould Abdel Aziz met l’opposition – toute l’opposition – dos au mur. En cette fin de mandat pour le « président des pauvres » mais aussi pour ses soutiens au parlement et dans les conseils municipaux, ces élections là revêtent une importance capitale. Elles doivent déterminer le vrai rapport des forces entre les différents protagonistes de la crise qui secoue le pays depuis la présidentielle de juillet 2009. Il ne s’agit plus pour le pouvoir de faire échec à des tentatives de déstabilisation menées par la Coordination de l’opposition démocratique (COD), sous l’emprise du « printemps arabe », mais de défendre des acquis. Le retour aux citoyens, comme arbitres par les urnes et non dans la rue, ne se fait pourtant pas sans accrocs. On peut même dire qu’il est plus difficile aux hommes politiques de convaincre un électeur potentiel d’aller s’inscrire sur les listes que de manifester son soutien ou son opposition sur la place d’Ibn Abass.

Il reste cependant que le pouvoir semble voir trouvé, encore, la bonne stratégie pour embarrasser l’opposition. L’appel au dialogue, lancé par le Raïs, depuis Néma, lors de la quatrième édition du « liqa’e echab » (rencontre avec le peuple) et les concessions faites à l’opposition dialoguiste ont pour principal effet de mettre la COD dans la position défensive : refuser « l’ouverture » sur le pouvoir, et elle sera accusée par l’opinion publique nationale et internationale de va-t-en-guerre, ou accepter d’aller dans un processus fait sans elle, ce qui est synonyme, aux yeux de bon nombre d’observateurs, d’une nouvelle aventure !

C’est ce qui explique, en réalité, les divergences apparues au sein de la COD – et même de la CP-CAP. Cela ressemble, étrangement, au scénario de l’élection présidentielle de 2009, quand l’opposition, qui avait passé tout son temps à tergiverser, à demander des « accommodements » électoraux du genre « formation d’un gouvernement d’union nationale », a fini par céder sans savoir qu’elle courait à sa perte. Les protestations de l’opposition auprès de la communauté internationale, pour non application de l’Accord de Dakar, et ses tentatives de suivre la voie risquée des « révolutions » arabes, comme l’ont prouvé les scènes de guerre civile en Syrie, en Egypte, au Yémen et en Libye, ne lui ont apporté que désillusions et perte de crédit auprès de citoyens qui, sans être contents de la gestion du pays, se disent que rien ne vaut la stabilité que leur assure le pouvoir actuel.

Maintenant que le « zrig¹ » des élections municipales et législatives est prêt, faut-il le boire ou le bouder ? That is the question.

 1. Boisson locale, mélange d’eau et de lait.


Elections : Un jeu de poker menteur

Les signataires du dialogue en Mauritanie (crédit photo: elhourriya.net)
Les signataires du dialogue en Mauritanie (crédit photo: elhourriya.net)

L’organisation des prochaines élections municipales et législatives constitue, à n’en pas douter, l’ordre du jour en Mauritanie.

En fait, le sujet de discussion de tout le temps qui sépare encore de l’organisation d’un scrutin dont les modalités restent encore à définir. Même la date du 12 octobre 2013 fixée par le gouvernement (sur proposition de la CENI), n’a pas résisté plus d’un mois pour être remise en cause.

Elle aura tout de même permis d’éclaircir les positions des uns et des autres sur ce qui fait présentement l’essentiel de la crise politique en Mauritanie : les élections. La Coordination de l’opposition démocratique (COD) semble avoir mis de l’eau dans son zrig¹. Elle ne parle plus du « rahil » du président Aziz, dont le mandat arrive d’ailleurs à terme dans moins d’un an, mais seulement d’un « arrangement » politique pour qu’elle ne rate pas le train des élections, ce qui serait, pour elle, synonyme d’une longue traversée du désert de cinq ans.

Cette question des élections est également liée à celle de l’initiative du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, qui continue, elle aussi, à accaparer les discussions entre partis et coalitions politiques. Elle tient aussi à l’inhérence, entre autres probabilités, à cette fameuse proposition de gouvernement d’union nationale, que le président Mohamed Ould Abdel Aziz refuserait jusqu’au moment où la Coordination de l’opposition démocratique (COD) se prépare à donner une réponse définitive à l’initiative de Messaoud. Un autre sujet de débat même si l’acceptation du principe de « retrouvailles » politiques entre d’anciens compagnons d’armes ne constitue pas la garantie que des divergences ne puissent apparaître d’un moment à l’autre. Cette crainte vient d’abord, soulignent certains observateurs, du fait qu’au sein de la CAP (APP, Al Wiam , Sawab), Boydiel Ould Houmeid, qui a dirigé le dialogue avec la majorité, au nom de cette coalition, ne semble pas sur la même longueur d’ondes que Messaoud, en ce qui concerne les négociations avec la COD. Certains médias lui attribuent même des propos du genre : « les élections auront lieu, avec ou sans la Coordination », ce qui peut être vu comme une volonté de refuser, à tout prix, tout dialogue bis qui remettrait en cause celui qui a été donné par la Majorité et par la CAP, comme la meilleure démarche politique jamais entreprise par la Mauritanie, depuis l’avènement de la démocratie ou de ce qui en tient lieu.

Certains peuvent penser que le président du parti « Al Wiam », qui avait claqué la porte de la formation « Adil » pour incompatibilité d’humeur politique avec l’ex Premier ministre Yahya Ould Ahmed Waghf, veut voir multiplier ses chances d’avoir un bon score au Parlement et aux conseils municipaux, avec le boycott des formations de la COD. D’autres y voient plutôt un désir de ne pas se renier : le dialogue était bien, à tous égards, pourquoi alors le remettre encore sur la table ?

Quoiqu’il en soit, il est difficile de penser une sortie de crise sans un compromis qui s’approche, dans sa forme finale, de ce que propose le président de l’Assemblée nationale. Le refus d’Aziz, mais aussi les hésitations de la COD, peuvent n’être qu’une partie de ce jeu (de poker menteur) auquel les politiques nous ont habitué : refuser pour pousser l’adversaire à renoncer, le premier, à des revendications considérées comme utopiques. Par exemple, le « rahil » (départ) d’Aziz réclamé par la COD et le désir de la Majorité de plier cette dernière à sa volonté de prendre le train en marche, pour participer aux élections, sont en train de céder le pas à un « repositionnement », de part et d’autres, pour aller à des élections qui, en fin de compte, constituent l’unique solution à la crise. A condition qu’elles soient vraiment libres et transparentes.


Top 10 des présidents de partis les plus en vue en Mauritanie

Ben, ce n’est pas vraiment le top 10 que j’avais promis. Le croustillant – déjà entamé- a finalement été abandonné. J’ai jugé que puisqu’il ne s’agissait pas seulement de moi, je devais m’interdire de parler de la vie privée des autres. Oui, il s’agissait d’un échantillon d’échanges sur les réseaux sociaux avec des amies ! Et bien que j’aie pris soin de supprimer tous les indices pouvant mener à l’identité de ces braves dames, j’ai finalement renoncé pour vous parler, en fin de compte, d’un sujet qui est plutôt dans mes cordes : la politique. Avec le top 10 des chefs de partis les plus en vue en Mauritanie.

1-     1 Messaoud Ould Boulkheir comme tête de liste de ce top 10, pourquoi pas ? C’est un choix. Mon choix. C’est forcément subjectif. Mais je trouve quand même qu’un homme comme l’actuel président de l’Assemblée nationale, avec un demi-siècle de lutte pour l’émancipation des Haratines (plus de 45% de la population mauritanienne), l’égalité entre toutes les communautés nationales et la promotion de la démocratie, mérite bien des égards. Aujourd’hui, une partie de ses anciens compagnons d’armes pensent qu’il a trahi la « cause », parce qu’il a tout simplement pris de la hauteur, en s’inscrivant non plus dans l’optique de revendications « particularistes » mais nationales. Homme de consensus, il pilote aujourd’hui une initiative qui cherche à concilier entre les positions d’une Coordination de l’opposition démocratique (COD) faisant du départ du président Aziz, l’essentiel de son agenda politique, et un pouvoir sûr de son fait.

2-      2Le président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz : Constitutionnellement, il n’est à la tête d’aucun parti politique, mais, dans les faits, il est le véritable boss de l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir en Mauritanie. Ceci dit, on peut ne pas aimer l’homme qui préside actuellement à nos destinées mais reconnaissons lui quand même certains mérites : son franc-parler et mépris, non feint, qu’il a pour ceux qui prennent la politique pour un jeu d’intérêts ; même si on lui reproche d’avoir réhabilités certains anciens « valets » de Taya. Par nécessité de services (élections), ils sont là sans être là, confinés dans des postes d’ambassadeurs, de présidents de Conseils d’administration ou de conseillers. C’est l’un de ses échecs face au Système qui trouve toujours les ressources nécessaires pour rebondir de plus belle.

3-      3Mohamed Ould Maouloud : Le président de l’Union des forces de progrès (UFP) est, à l’image de sa formation de gauche, la politique personnifiée. Ils donnent un sens à l’Idéologie et à l’action que tout parti doit mener pour « vendre » ses idées aux électeurs dans une démocratie apaisée. La seule formation qui fonctionne comme une « machine » et non le parti d’un tel.

4-     4 Boidiel Ould Houmeid : Ancien syndicaliste, ancien ministre des Finances du président Taya, l’actuel président du parti d’Al Wiam (Entente), est l’un des principaux animateurs de la Coalition pour une alternance pacifique (CAP), l’aile modérée de l’opposition mauritanienne. Considéré comme l’alter ego de Messaoud Ould Boulkheir, il se refuse, depuis plusieurs années à suivre le discours d’un El Hor autonome, c’est-à-dire d’une communauté arabe scindée en deux. Une position qui dérange au sein de la communauté haratine mais fait gagner des points à Ould Houmeid au sein des anciens maîtres.

5-     5 Ahmed Ould Daddah : Frère cadet du premier président Mauritanien, Moctar Ould Daddah, Ahmed est rentrée d’exil, en 1992, à la faveur de l’ouverture démocratique en Afrique décrétée à la Baule par le président François Mitterrand.  Il se présente, à l’arraché, comme candidat de l’opposition contre Taya et obtient, malgré la fraude massive, 32% des voix à la Présidentielle. Ne s’entendant pas bien avec Messaoud Ould Boulkheir, alors secrétaire général de l’Union des forces démocratiques (UFD), Ahmed Ould Daddah manœuvre avec son groupe pour pousser leurs adversaires politiques à sortir de cette formation et à créer leur propre parti, Action pour le Changement (AC). Depuis, Ahmed Ould Daddah qui s’est séparé également de plusieurs autres groupes (islamistes de l’actuel Tawassoul et maoïstes de l’UFP), a recomposé ses militants au sein du RFD (Rassemblement des forces démocratiques) qui lui assure aujourd’hui d’être le chef de file de l’opposition démocratique.

6-      6Ely Ould Mohamed Vall : colonel de l’armée, président de la transition militaire 2005-2007, Ely Ould Mohamed Vall fut directeur général de la Sûreté nationale (DGSN) vingt ans durant sous le régime de l’ancien président Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya. Admiré pour avoir cédé le pouvoir au bout d’une transition de 19 mois, il voit son image se dégrader en 2009 quand il arrive largement derrière avec 3% à la présidentielle. Le pouvoir actuel a sans doute manœuvré pour qu’il en soit ainsi, le colonel Ely étant l’un des plus farouches adversaires du président Aziz, qu’il accuse d’avoir trahi son serment d’officier en renversant, le 6 août 2008, le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi faisant revenir le pays à la case départ.

7-      7Kane Hamidou Baba : Le président  du Mouvement pour la Rénovation (MPR) est un ancien du RFD dont il était l’un des vice-présidents. Elu député, en 2006, au nom de ce part, il le quittera lors de la crise de 2008, quand Ahmed Ould Daddah revient sur son soutien aux militaires putschistes. Il crée alors son propre parti, intègre la majorité présidentielle mais n’hésite pas à la quitter quand il se rend compte que le pouvoir n’a de considérations que pour l’Union pour la République (UPR) et considère tous les autres comme de simples satellites. Aujourd’hui, Kane Hamidou Baba fait partie de l’opposition « dialoguiste » (modérée) et critique de plus en plus les choix politiques et économiques d’un gouvernement accusé d’avoir choisi la fuite en avant plutôt que de faire face à une crise dont la solution nécessite que tous les pôles politiques reviennent à la table des négociations.

8-      8Yahya Ould Ahmed Waghef : Le président du parti Adil, et ancien Premier ministre de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi (2007-2008) est aujourd’hui, comme Kane Hamidou Baba, un déçu de la Majorité. Sa formation, bien que principale victime du coup d’Etat du 6 août 2008, a longuement hésité avant d’intégrer la majorité présidentielle. D’aucuns avaient considéré, à l’époque, que c’était une condition pour que cessent les poursuites engagées par le pouvoir contre Ould Waghf dans le cadre de ce que les Mauritaniens avaient appelé « l’affaire du riz avarié » et qui avait conduit l’ancien Premier ministre en prison. Mais même au sein de la Majorité, Ould Waghef n’avait pas cessé de critique la gestion du pays et à appeler à un dialogue avec la COD. Une attitude qui a provoqué une scission au sein de son parti, quand il avait pris la décision de sortir de la majorité, avec le PMR et le RD, pour former la Convergence démocratique (CP) et fusionner par la suite avec la CAP (APP, al Wiam et Sawab).

9-      9Naha Mint Mouknass : La Présidente de l’Union pour la démocratie et le progrès (UDP) a déserté la scène politique nationale depuis qu’elle a été débarquée de son poste de ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, au moment où son « protecteur », Kadhafi, se démenait pour rester au pouvoir. Fille du plus illustre des ministres mauritaniens des Affaires étrangères, Hamdi Ould Mouknass, Naha a hérité du parti créé par son père mais aussi de ses relations à travers le monde. Au sein de la majorité (même du temps de Taya), l’UDP est toujours le parti refuge de tous ceux qui expriment leur mécontentement par rapport au  pouvoir, sans avoir le courage d’aller à l’opposition.

10-   10Ibrahima Moctar Sarr : Le président de l’AJD/MR (Action pour la justice et la démocratie/mouvement pour la rénovation) a un parcours atypique. Ancien des FLAM (Front pour la libération des Africains de Mauritanie), journaliste et poète de renommée, il a longtemps milité avec l’actuel président de l’Assemblée nationale, au sein du parti AC dont il était secrétaire général. Taxé d’extrémiste, IMS continue toujours à réclamer un meilleur partage du pouvoir, une reconnaissance véritable des langues nationales (pulaar, wolof, soninké) et une reconsidération de certains attributs de la République (nom du pays, hymne et drapeau). Après un flirt avec le pouvoir actuel, il a préféré renoué avec l’opposition modérée sans aller jusqu’à intégrer officiellement la CP-CAP.


La rencontre avec le peuple : L’Etat de la nation selon le président Aziz

Accueil du Président Aziz à l'aéroport de Néma (photo: El hourriya.net)
Accueil du Président Aziz à l’aéroport de Néma (photo: El hourriya.net)

C’est l’une des rares fois où je regarde, de bout en bout, une émission de la télévision de Mauritanie. J’ai même renoncé à suivre la reprise, dans la soirée, des championnats d’athlétisme de Moscou qui me passionnent plus qu’une finale de coupe du monde ou de Champion’s Ligue de football. Le Président de la République va parler et il répondra, en principe, à toutes les questions. C’est donc une occasion à ne pas rater, pour savoir ce qu’il pense des questions de l’heure (élections, dialogue, initiative de Messaoud, crise économique) mais aussi réentendre sa version sur l’incident de « Toueila », connaitre son véritable état de santé et ses réponses aux accusations – graves – du député français Noëlle Mamère et de ce qui est connu sous l’appellation des « enregistrements d’Accra » relatifs à son implication, supposée ou réelle, dans une affaire de trafic de drogue d’ampleur internationale.

Le « Liqa’e echab » (rencontre avec le peuple) était en fait une grande « production » en deux épisodes : D’abord, le Raïs présente son bilan de quatre an, chiffres à l’appui, dans tous les secteurs. Et franchement, il n’y a là rien de nouveau ! Une compilation de chiffres, du déjà vu déjà entendu dans la bouche du plus anonyme des chefs de service au ministère des Finances ou des Affaires économiques, au Premier ministre dans son Discours de Politique Générale prononcé chaque année devant le Parlement. Reviennent donc en sourdine ces indicateurs de performances économiques « certifiés » par la Banque mondiale et le FMI et prenant toujours pour repère l’avant Aziz (2008) pour souligner que le pays avance depuis. Tout  y passe donc : croissance de 6%, inflation contenue à 3%, réserves en devises de plus d’un milliards d’UM, réduction du taux de chômage qui passe de 31% à 10%, et tant d’autres chiffres qui dénotent, selon le président Aziz, que la Mauritanie est sur la voie du progrès. Ainsi, au lieu d’avoir le bilan de l’année en cours (celle de cette quatrième édition du « liqa’e echaab », on revient, encore et encore, sur cette comparaison entre un avant  et un après.   Lassant non,

On pensait, à tort cette fois-ci, que la partie questions-réponses allait être plus « vivante », plus instructive mais surtout plus ouverte que celle où le président de la République ne fait que reprendre des données économiques qui laissent de marbre un auditoire profane n’ayant aucune connaissance de la macroéconomie ou des tendances du marché mondial. La manière même de gérer le débat laisse à désirer. Trop classique. Chaque journaliste est appelé à « exploiter » deux misérables petites minutes pour poser quelques questions au président de la République ! Et le premier qui passe, ne se prive pas : sept questions qui font sourire le Président mais décourage les autres journalistes, qui se disent qu’ils n’ont plus rien à dire. Et c’était vrai. Tout tourne en effet autour des élections, de l’initiative de Messaoud, du retour des « moufcidines » (gabégistes), des prix et de l’état de santé du président. Après la réponse apportée à cette première batterie de questions, tout le reste n’a été que rabâchage, avec l’impression quelques fois que certains journalistes n’étaient pas là pour pousser le Président à se livrer mais jouer le rôle dévolu traditionnellement aux soutiens du pouvoir : louer les réalisations du Raïs. Hum !


Lettre ouverte au « Président des pauvres »

Le président Aziz visitant un hôpital, le jour de la fête (Photo: Ami)
Le président Aziz visitant un hôpital, le jour de la fête (Photo: Ami)

Monsieur le Président…des pauvres. Oui, oui, vous êtes sans doute content que je renoue, à quelques mois des élections municipales et législatives, avec cette appellation que vos soutiens vous ont collée au lendemain de votre arrivée au pouvoir. Peu importe la manière. Coup d’Etat contre un président démocratiquement élu ou « Rectification » d’un processus qui était en train de nous ramener vers la case départ. C’est de l’histoire ancienne ça. Ce qui compte, Monsieur le Président donc, c’est de rappeler aux pauvres que vous êtes bien leur Président, avant d’être celui des riches ! N’est-ce pas les habitants de la « Mauritanie profonde » et ceux des « gazra[1] » de Nouakchott qui vous ont permis de battre vos adversaires politiques de l’opposition avec un score sans appel de 52% lors de la Présidentielle du 18 juillet 2009 ?

Il y a cinq ans, les pauvres, de Nouakchott et de l’intérieur du pays, avaient tout misé sur vous. Ils ont apprécié grandement la première « sortie » que vous leur avez réservée, en vous rendant dans cette immense « gazra » de Hay Saken (le quartier qui ne bouge plus) et en ordonnant, tout de go, qu’il soit loti et distribué à ses habitants pauvres ! Il est vrai que l’opposition d’alors avait vu en cela un coup médiatique, un acte de politique politicienne d’un général putschiste qui s’apprêtait à légaliser, par voie d’élections, un changement que ses partisans trouvaient déjà légitime. N’est-ce pas vous qui avait mis fin à vingt ans de dictature de Taya[2], rendu possible une transition de 19 mois et favorisé l’élection d’un « président qui rassure[3] » ? Oui, j’ai bien dit « qui rassure » ! Contre le retour en arrière, contre la chasse aux sorcières dont pouvait être victimes tous les soutiens de l’Ancien Régime, dont vous, Monsieur le Président, qui étiez le commandant du Bataillon de la Sécurité Présidentielle (Basep).

Monsieur le président…des pauvres, vous avez mené, au pas de charge, une série d’actions qui ont compté dans votre bilan économique et social : des routes, des hôpitaux, des écoles, et même des villes nouvelles (Chami, Nbeyket Lahwach, Termessa, Rosso). Mais revers de la médaille, vos adversaires politiques – toujours eux – pensent que tous ces chantiers ont été lancés pour faire tourner la machine des marchés qui ne profitent qu’à vous et à votre parentèle. On dit même que vous avez votre propre société de BTP, votre banque, votre société d’assurances, de transit, de pêche (avec les Chinois), d’immobilier, de distribution d’hydrocarbures, de…Bon, ce sont des « on-dit » comme vous l’avez signalé, il y a un an, à Atar, lors de la « Rencontre avec le peuple » (liqa’e echab) et ceux qui racontent ce genre de bobards à votre compte doivent en apporter la preuve.

Monsieur le Président…des pauvres, vous vous apprêtez à rencontrer le peuple, à Néma, ville de l’est mauritanien, dans la quatrième édition de « Liqa’e echab ». Une rencontre, à ciel ouvert, qui s’effectue chaque année, à l’occasion de la commémoration de votre accession au pouvoir et qui doit, en principe, permettre aux sans voix de pouvoir parler des problèmes qu’ils rencontrent tous les jours. Mais monsieur le Président, dans cette capitale d’une région considérée comme le premier réservoir électoral du pays, située à 1200 kilomètres de Nouakchott, qui elle concentre tous les riches du pays, les pauvres seront encore marginalisés par les « envahisseurs », ces politiques, ces applaudisseurs professionnels qui vous suivent partout et vous empêchent de voir la réalité. Ils parleront pour les autres, eux qui ne savent rien de leurs souffrances de tous les jours. Ils vous diront que tout « est bien dans le meilleur des mondes possibles », que les boutiques « Emel » (espoir) vendent les produits de première nécessité à des prix défiant toute concurrence, que l’eau potable est à la portée des populations, qu’il n’y a pas de coupures d’électricité, que les routes sont aussi bonnes que celles de la France, que les hôpitaux régionaux offrent des services de qualité, à tel point qu’on n’a plus besoin de parcourir des centaines de kilomètres sur des routes cahoteuses pour évacuer les malades vers Nouakchott. Personne ne vous dira, Monsieur le président…des pauvres, que la société mauritanienne d’électricité (Somelec) a déplacé, le temps d’une visite, des groupes électrogènes de capitales régionales pour que votre « rencontre avec le peuple » soit éclairée ! C’est ce qu’on appelle, Monsieur le président, le PARAITRE ; déshabiller Paul pour habiller Jean, ou encore plonger la ville d’Aleg dans la pénombre pour que Néma devienne une « ville lumière » durant votre séjour de vingt-quatre heures !

Monsieur le président… des pauvres, ce qui compte maintenant ce n’est pas ce qui est mais ce qui doit être. Le bilan de votre quinquennat  finissant est mitigé. Histoire du verre à demi plein ou à demi vide. Vous avez bien manœuvré, Monsieur le président, pour mettre au pas une administration fainéante. Les ministres, les directeurs et les chefs de projets ne sont plus lâchés, comme avant, pour n’en faire qu’à leur tête. Bon, je ne dis pas que la gabegie a cessé mais elle ne se pratique plus à ciel ouvert. Les arrestations de hauts responsables et d’hommes d’affaires, que l’opposition a mis sur le dos d’un règlement de comptes, ont poussé les gestionnaires à la prudence ; personne ne voulant séjourner dans le gnouf pour une durée indéterminée.

Vous avez bien agi également, Monsieur le Président, dans le domaine de la sécurité. Depuis votre arrivée au pouvoir, AQMI a cessé pratiquement ses incursions sur notre territoire. Vous avez même poussé l’exploit plus loin en s’attaquant à cette organisation terroriste sur ses propres terres, dans ce nord Mali où la France est allée à son tour livrer bataille aux groupes islamistes armés et permettre à Bamako de recouvrer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire malien. Mais Monsieur le Président, ça va mal à l’intérieur. Il faut une action énergique pour redorer le blason de la police et arrêter la vague de crimes, souvent odieux, qui s’abat sur la capitale Nouakchott. Meurtres crapuleux, vols et viols alimentent les colonnes des quotidiens nationaux. D’aucuns pensent que la police a baissé les bras parce que vous l’avez mise à l’écart en créant ce Groupement général pour la sécurité des routes (GGRS) simplement parce qu’elle a été commandée, cette police, vingt ans durant, par votre ennemi juré, l’ex colonel et président de la transition militaire 2005 – 2007, Ely Ould Mohamed Vall.

Monsieur le président…des pauvres, vous avez sans doute remarqué que je ne vous ai pas apostrophé cette fois pour parler politique. Seules les questions ayant trait à la vie économique et sociale des populations ont été abordées. La raison est simple : En matière de politique, on ne peut départager la majorité et l’opposition. Le verdict est sans appel : tous coupables ! Tous entretiennent la crise parce qu’elle sert leurs intérêts. Les députés, les maires et les sénateurs jouent les prolongations parce que la plupart d’entre eux craignent de perdre leurs fauteuils. Les partis politiques retardent les échéances électorales parce qu’elles constituent un facteur déterminant pour connaître le vrai rapport de forces. Les ministres s’accrochent à leurs postes et prient matin et soir pour que la crise continue, avec votre niet à la formation d’un gouvernement d’union nationale comme le propose l’initiative du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir.

Monsieur le « Président des pauvres », je sais que vous n’êtes plus le même depuis l’incident de « Toueila ». Tout le monde a remarqué les changements physiques intervenus mais certains trouvent que c’est normal, la « balle amie » ayant sans doute causé de sérieux dégâts. Mais le pire a été évité Al hamdoullilahi[4], grâce à nos médecins et à nos amis français qui vous ont traité par la suite.

Monsieur le « président des pauvres », un dernier mot avant de fermer cette lettre : Le peuple veut que vous retrouviez, à l’occasion de la rencontre de Néma, cette jovialité qui a toujours constitué votre force. Ce « liqa’e echab », dernière rencontre avec le peuple avant l’élection présidentielle de 2014, sera déterminant pour votre réélection. Car tout laisse présager que vous êtes candidat pour un second mandat et que l’opposition radicale, qui est sortie moult fois dans la rue pour demander votre « rahil » (départ), s’essayera au coup qui a permis aux voisins sénégalais de vaincre Me Wade par les urnes.

Sneiba Mohamed


[1] Squat, bidonvilles de Nouakchott.

[2] Président de la Mauritanie entre décembre 1984 et août 2005.

[3] Slogan de campagne du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi soutenu par l’actuel chef de l’état alors général et homme fort de l’armée.

[4] Dieu merci.


Critique de la raison « pire »

Crédit photo: Philipitt.fr
Crédit photo: Philipitt.fr

Pardonnez-moi d’abord cette hérésie. Pasticher la Critique de la Raison pure (en allemand, Kritik der reinen Vernunft) œuvre majeure d’Emmanuel Kant parue en 1781, en 856 pages. La comparaison s’arrête là. Lui parle de Raison, moi de déraison. Lui évoque, en connaisseur, des notions d’espace, de temps, d’analytique transcendantale, d’entendement, de dialectique, de l’Idéal de la raison pure (avec les trois preuves de l’existence de Dieu). Moi, je ne sais même pas de quoi je parle. En fait, j’ai commencé avec un projet d’écriture sur la critique de la raison « pire » en politique. Avec comme exemple la Mauritanie. Ce pays qui étonne par sa capacité à survivre aux crises qu’officiers supérieurs de l’armée et hommes politiques entretiennent, en fonction de leurs seuls intérêts. Une déraison commune à tous, qui apparait, chaque jour, dans leur incapacité à tendre vers ce que Kant appelle la « discipline de la raison pure ». Celle qui permet à chacun d’entre nous d’éviter d’agir en crétin et de penser les autres comme une image de lui-même. Quoi en effet de plus vexant que d’entendre un homme politique, ministre, député, sénateur ou maire parler de ce que l’on sait comme s’il était le seul à le connaître. Nous dire, par exemple, que l’ancien président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi a été destitué parce qu’il avait pris la décision de trop, celle de limoger, d’un trait de stylo, les quatre généraux qui tenaient en réalité le pays. Peut-on véritablement croire que la démocratie est un bien     acquis en Mauritanie ? Nous peinons à renverser la conception habituelle du pouvoir par la nature du savoir. En nous règne une confusion générale de la connaissance, politique ou autre, alors que Kant détermine très bien les limites entre le savoir et l’opinion qui est « une créance consciente d’être insuffisante subjectivement tout autant qu’objectivement. Si la créance n’est suffisante que subjectivement et est en même temps tenue pour objectivement insuffisante, elle s’appelle croyance. Enfin, la créance qui est suffisante aussi bien subjectivement qu’objectivement s’appelle le savoir. La suffisance subjective s’appelle conviction (pour moi-même), la suffisance objective s’appelle certitude (pour chacun).

Si de tels concepts sont clairs en nous, nous ne craignons plus alors d’être induits en erreur par nos hommes politiques ; leurs opinions ne pouvant plus s’élever au degré du réel que par les deux derniers schèmes décrits par Kant (la conviction, comme savoir pour moi-même et la certitude, comme certitude pour chacun) et non comme une « somme » d’opinions ne s’établissant nullement en Vérité. Si les partis de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) disent tout le mal possible du président Aziz cela ne le transforme pas en démon et si la Majorité l’adoube comme un saint, c’est loin d’être une transformation « réélisée ». Le tout est de pouvoir – savoir – faire le départ entre la réalité et l’image qu’en donnent les politiques et les intellectuels. Concernant ces derniers, on peut dire : «tous coupables.» Ce sont eux qui portent très haut, très loin, les idées de la politique dans tous ses états. Ils ont dit aux citoyens ordinaires que le changement du 03 août 2005 était parfait. La transition et ses querelles byzantines ont démenti la perception qu’on avait eu, à la hâte, de la « détayasition¹ ». La Rectification, qui a consacré la destitution de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, « premier président démocratiquement élu » en Mauritanie a achevé de nous convaincre que nous faisons encore fausse route. Depuis, nous tournons en rond, nous résonnons de nos errements, nous pourchassons les chimères d’une démocratie que nos politiques utilisent, depuis sa découverte tardive, comme « l’opium du peuple ». Pire que la pure des dictatures.

¹ De Taya, président mauritanien de 1984 à 2005.


24 H Chrono : Nouakchott – Dakar – Nouakchott

Taxi-brousse (crédit photo: Google)
Taxi-brousse (crédit photo: Google)

Vous aviez raison mes amis.  Etfou[1] essence ! Ce n’est vraiment pas la peine d’avoir une voiture qui carbure avec ce liquide dans un pays où 95% des véhicules consomment du gazole. Je m’en suis rendu compte, enfin, il y a une semaine quand ma bagnole, comme un vieux bourricot, s’est arrêtée net devant la caserne du Groupement général pour la sécurité des routes (GGSR), ce corps spécial – « mutant », disent les mauvaises langues – qui a remplacé la police dans sa mission la plus « lucrative » : Le fameux contrôle. Mais qui serait intraitable avec les automobilistes en infraction. Bon ça c’est une autre histoire, revenons à cette histoire de voiture et d’essence.

Après le diagnostic de mon mécano, j’ai parcouru, trois jours durant, tous les commerces de pièces détachées de Nouakchott. Avec les spécifications de mon brave mécanicien Barry en main. Rien. A croire que ce type de voiture n’a été conçu que pour moi ! Je me suis rabattu ensuite sur les « naharra[2] » qui achètent les vieilles voitures et les véhicules accidentés pour les revendre en pièces détachées. Un commerce qui rapporte gros, me dit-on, et qui attire du monde. Même les Maliens qui ont leur coin au Ksar, le plus vieux quartier de Nouakchott, et qui sont le dernier recours. Si vous ne trouvez pas ce que vous cherchez chez les Maliens, alors, il ne vous reste plus qu’à commander la pièce chez « Ehel Salek », une sorte de royaume de l’automobile, ou à vous rendre à Dakar. C’est donc décidé, j’irai à Dakar, une ville que je n’ai pas revue depuis le séjour des Mondoblogueurs. Dakar durant le Ramadan ce n’est vraiment pas Dakar. Ça il faut le préciser dès à présent pour stopper net toute supputation déplacée.

Vendredi 2 août, 8 heures :

Direction la gare routière du PK 7. J’ai pas attendu longtemps avant de m’embarquer, avec 7 autres personnes dans une vieille Renault 21, marque qui a détrôné les Mercedes et autres Toyota dans le transport interurbain. Deux cents kilomètres à parcourir. Deux à trois heures avant d’arriver à destination, tout dépendant du chauffeur. S’il a « le pied chaud[3] », il faut prier pour ne pas compter parmi les nombreuses victimes des routes mauritaniennes dont l’état lamentable n’est dénoncé par la presse que quand survient un accident mortel. Quarante kilomètres avant Tiguent, la pluie est venue gâcher la fière allure de notre voiture dont le chauffeur avait des ambitions de pilote de F1. Sans essuie-glaces, il était obligé de rouler à 30 Km/h, voire de s’arrêter carrément sur une route en réfection depuis quatre ans ! Pour seulement 48 kilomètres ! Finalement, on ne sera à Rosso qu’à 13 H30 et la prière du vendredi m’obligea à attendre encore une heure avant de franchir la frontière.

15 heures : La traversée (du fleuve pas du désert) :

La traversée du fleuve Sénégal (photo: Jiddou Derdeche
La traversée du fleuve Sénégal (photo: Jiddou Derdeche

Elle s’effectue dans une petite barque à moto où une vingtaine de personnes pressées comme moi n’avaient pas attendu le bac de Rosso pour sa première rotation de l’après-midi. Arrivé sur la rive gauche du fleuve Sénégal, deux jeunes m’abordent et me proposent de voyager avec eux dans un 4X4 qu’ils me montrèrent du doigt, garé derrière le poste de police. Le fait de savoir que c’est au même pris que les taxis-brousses qui attendaient cinq cents mètres plus loin m’incita à accepter mais après une demie heure d’attente, j’ai dû me résigner à aller à la gare routière. Pour me réserver une place de choix, à côté du chauffeur ou au milieu, je glisse 500 F au « coksseur [4]».

Comme entre Nouakchott et Rosso, la pluie va aussi changer la donne du voyage. Au lieu des quatre heures habituelles pour parcourir les 370 kilomètres, on mettra plus de cinq heures. A l’arrivée, je saute dans un taxi pour me rendre à l’hôtel le Fouta 2 que j’affectionne tant pour son calme et ses prix très abordables.

Samedi 3 août, 10 heures.

Direction Avenue 93 Blaise Diagne, plus connue sous le nom de Dufoncé qui rime pour les connaisseurs avec « pièces détachées » et accessoires automobiles. Je tombe sur  un jeune mécano qui me dit tout de suite qu’il a tout ce que je cherche. C’est à peine s’il ne m’a pas dit que c’est lui-même qui a fabriqué ma voiture !

« Assois-toi là, je reviens », me dit-il. Et c’était parti pour trois longues heures d’attente. Les pièces s’accumulaient devant moi au bout d’une longue recherche. J’avais pourtant une certaine appréhension : on n’a pas discuté du prix. Et apparemment lui n’était qu’un intermédiaire dont je dois supporter le « coût ». Et quand je demandais enfin les prix, les francs volèrent par milliers : 18.000 F pour la croix (ou chaîne, je ne sais plus) de distribution, 12.000 F pour le joint de culasse, 30.000 pour les soupapes, 6000 F pour les bougies. Je me dis que j’aurais pu m’épargner ce dur voyage et changer mon moteur essence contre un autre diesel. Lui doit se dire que puisque je suis là, je dois forcément acheter. C’était son calcul de Sénégalais qui connait bien la mentalité du Mauritanien, de son « Nar », comme nous appelle nos joyeux voisins. Moi aussi, je n’étais pas dupe, il n’a pas mis tout ce temps et fourni tant d’énergie pour me laisser partir. C’est pourquoi quand son ami intervient pour rapprocher nos vues, il accepta sans trop de difficultés. Il a dû faire une bonne affaire puisqu’il m’accompagne jusqu’au goudron, héla un taxi et négocia durement avec le chauffeur pour me faire économiser 200 F ! Pressé de rentrer chez moi, j’ai accepté le prix du taximan qui partit en trombe vers le garage Pompier.

13 heures : A la gare

Le taxi que je devais prendre était là, garé avec une montagne de marchandises sur le porte-bagages. Ça se comprend, on est à quelques jours de la fête d’Id El vitr. On est entré dans cette frénésie qu’on appelle en Mauritanie « weyloumak yel warrani » (gare au dernier ou quelque chose comme ça).

18 H45mn :

Le taxi-brousse a enfin ses 7 passagers habituels. Destination Rosso donc. Mais non, c’est à la sortie de la gare routière que le chauffeur nous apprend que c’est un « voyage mélange », eh oui, comme le dernier vol que j’ai pris à partir de Tunis, qui embarquait des gens allant à Nouakchott, Bamako, Conakry et je ne sais quelle autre capitale ouest-africaine. Sauf que l’avion a un trajet connu à l’avance. Dans notre cas, c’est en route qu’on a discuté de la « priorité ». Rosso d’abord ou Richard Toll, quinze kilomètres plus à l’est ? Ça devrait être facile : on vote ! 4 pour Rosso et 3 pour Richard Toll mais avant qu’on ne crie victoire, le « pilote » décide pour Richard Toll. Il est vrai qu’avec sa voix, c’est l’égalité parfaite mais il est le chef. Et son intérêt est de passer d’abord à Richard Toll, décharger les marchandises et continuer à Rosso où il doit passer une nuit tranquille. Mais c’était compter sans les contrôles. Un premier poste de gendarmerie colla à notre chauffeur une amende (ils appellent ça « reçu ») de 6000 f pour surcharge de bagages. « Immunisé » contre cette infraction, il allait se rendre compte que les « hommes de loi » avaient plus d’un tour dans leur sac. Défaut d’immatriculation, lumière faible, tout y passa pour soutirer au pauvre chauffeur une bonne partie du montant payé par les passagers pour leurs bagages.

Dimanche 4 août, 2 heures du matin :

Un léger écart de la route, au passage d’un gros camion venant en sens inverse, puis un étrange bruit qui se fait entendre au niveau du pneu droit avant. Le chauffeur est obligé de s’arrêter pour constater les dégâts : Un amortisseur foutu, à cause sans doute de la surcharge de bagages. Quarante kilomètres à parcourir au pas de tortue avant d’arriver à Saint-Louis où un mécanicien tiré de son lit parvient heureusement à réparer la voiture. Direction Rosso ou plutôt Richard Toll où on arriva à quatre heures du matin. Une demi-heure plus tard, on arrive à Rosso. Rapides formalités pour deux compatriotes et moi puis un piroguier se proposa de nous faire traverser à 2000 F par personne. La police devrait normalement fermer les yeux, me dit-on puisqu’il y a un pacte tacite entre elle et ces piroguiers qui agissent comme des passeurs de clandestins. Mais ils évitent à tout prix de prendre des étrangers.

Sur la rive mauritanienne, le gendarme de faction devant la grande porte refusa qu’on sorte par là. Il faut aller de l’autre côte, voir le poste de police et s’arranger avec leur chef pour sortir de l’enceinte du bac à cette heure. L’un de mes compagnons était apparemment bien connu des hommes de loi. On se mit à l’interroger en hassaniya s’ils nous connaissaient, ce qui provoqua ma colère. Je m’entendis dire au policier : « oui, nous aussi nous sommes Mauritaniens ». Vexé sans doute par ce propos dit sur un ton de reproche, le policier autorisa « sa connaissance » à humer l’air du dehors et me signifia que je dois attendre l’ouverture de la frontière, vers huit heures, pour sortir. « J’attendrais même après demain, rétorquai-je, mais la loi doit être la même pour tous. En voulant l’appliquer sur nous, vous l’avez enfreinte en autorisant votre « connaissance » à sortir. Alors attendez-vous à ce que l’affaire ne s’arrête pas là ». Surpris par cette riposte, sur la rive du fleuve où d’autres hommes de lois (gendarmes et douaniers) dormaient encore, il me demanda ma pièce d’identité que je lui remets avec ma carte de presse. Sous la clarté de l’aube naissante, je vis son visage se transformer. Il se dirigea vers la porte, l’ouvrit et nous invita à sortir tout en disant : « sachez tout de même que ce n’est pas un droit, je le fais pour vous arranger, c’est tout ».

Pour toute réponse, je réponds : « oui, ce n’est pas un droit, mais la loi s’applique à tous sinon elle devient autre chose ».

 


[1] Exprime le dégoût en Hassaniya, dialecte arabe de Mauritanie.

[2] Littéralement : dépeceurs – ou plutôt « dépiéceurs ».

[3] « Kraou hami », comme on dit en hassaniya d’un amoureux de la vitesse.

[4] Collecteur de l’argent des billets


A quitte ou double : Mali, Egypte, Tunisie…

Camp de réfugiés maliens (crédit photo: un.org)
Camp de réfugiés maliens (crédit photo: un.org)

Bon on a voté au Mali. Mieux à la date choisie par la France. Par François Hollande plutôt qui a, pour une fois, joué et gagné. Gagner la guerre contre les groupes islamistes armés qui avaient semé la terreur, une année durant au nord Mali mais gagné aussi le pari des élections dans un contexte qui, franchement, n’y était pas favorable. Question : Le président « normal » des Français va-t-il être l’artisan du retour de la « normalité » constitutionnelle au Mali ? Ou bien faut-il craindre qu’il ne s’agisse que d’un simple répit avant qu’un autre capitaine ou sergent ou caporal surgisse du néant et obligent les Maliens à revenir à la case départ ? Eh oui, ce n’est pas une improbabilité puisque cela est déjà arrivé quelque part (suivez mon regard). Pour contourner l’infamie qui frappe les coups d’Etats revenus à la mode en Afrique, les hommes en uniforme parlent de « rectification », de « tamaroud » (fronde) et de volonté du peuple ! Des raisons suffisantes pour remettre en cause tout processus démocratique – ou révolution – qui permet à un peuple de se débarrasser, d’une manière ou une autre, d’une dictature d’un autre âge. Mais s’il faut à chaque fois crier « le roi est mort, vive le roi », enterrer une dictature pour voir une autre renaître sur ses cendres, il y a de quoi être inquiet.

Ce qui se passe actuellement en Egypte et en Tunisie n’inspire pas confiance. Le « printemps arabe » s’avère n’être qu’un rapport de forces entre les groupes idéologiques qui l’ont déclenché. Ce qu’on pensait être une révolution n’est, en réalité, qu’une révolte. Contre un système ou une personne. L’essentiel est de mettre fin à une situation. On n’a pas véritablement pensé à la suite. En Tunisie tout comme en Egypte, il fallait chasser Ben Ali et Moubarak du pouvoir, organiser des élections sans penser aux garde-fous nécessaires pour empêcher le retour de la bête, sous les traits d’un parti islamiste peu soucieux des règles de la démocratie pluraliste ou d’un général véritable Pharaon des temps modernes ! Et, de nouveau, les foules sortent dans les rues. Elles font face à leur destin avec comme seuls choix de reprendre la lutte là où la conceptualisation de ses résultats à été mal pensée, favorisant les dérapages que l’on observe actuellement en Egypte et en Tunisie, ou de céder à la fatalité, comme cela risque d’être le cas en Syrie. Parce que, justement, la communauté internationale a manqué de cette fermeté qui a permis à la France de faire revenir l’Ordre en Cote d’Ivoire, du temps de Sarkozy, et au Mali avec Hollande. C’est un peu la réplique française de ce que les Bush avaient entrepris, après les attentats du 11 septembre, en Irak et en Afghanistan pour des considérations géostratégiques loin d’être évidentes. Mais qui sont sans doute pour quelque chose dans ce qui se passe actuellement dans le monde arabe. Une sorte de boite de Pandore où se sont les peuples des pays, théâtre de ces troubles, qui sont les apprentis sorciers.


Autour d’un thé : « La Chronique de mon frère » évoque cette semaine les journées mondiales et…nationales !

Photo : Google
Photo : Google

Journée mondiale de lutte contre le tabac. Le tabac fait un tabac. 600 000 victimes, chaque année, à cause des Marlboro, Congress, Gitanes et autres Camélia, Dunhil et Moneyja[1].

Des centaines de milliers de morts dont 6 000 (1% du tout) de victimes gratuites qui n’ont, dans cette affaire, « ni chamelle ni chameau »[2]. Et dont la seule grave faute est d’être ami, compagne, concubin ou concubine, voisin, collègue ou enfant d’un fumeur ou d’une fumeuse à tout va.

Journée mondiale de lutte contre l’hépatite. Yallah El Avia[3]. Il paraît qu’elle fait des ravages. Discrètement. Silence. Ils se meurent. Doucement.

Ils pouvaient, pourtant, bien attendre le déclenchement des opérations du recensement à vocation électorale, prévu ce 25 juillet. Comme ça, on aura un paquet de défunts potentiels qui pourraient voter, au cas où ils arriveraient à mourir avant les élections à venir.

Journée internationale de lutte contre le paludisme, la rougeole, la corruption, le Sida, la torture, l’injustice… Journées internationales des droits de l’Homme, de la femme, des enfants, des oiseaux, des arbres, des divorcés, des homosexuels, des dunes de sable, des phoques, du requin blanc…

Nous, on a besoin de journées nationales. Journée nationale de lutte contre le gaspillage. Un f’tour[4] dont les dattes viennent de Malaisie. Simplement pour le goût, mesdames, messieurs. Qui veut déguster bien ne doit pas ménager ses ouguiyas. Pour déguster bien, il faut aller loin. Le thé vert vient directement de Beijing. Le riz du dîner, de la Thaïlande.

Le vin – astaghfiroullah[5], que dis-je, c’est le Ramadan – le « zrig spécial » vient quelque part du sud de la France ou de l’Espagne. Gaspillage, gabegie. Quelle différence. C’est la même racine ga du latin « gatos » qui signifie voler. Schtari ga3[6] ? Une journée nationale contre l’applaudissement (ettesfagh).

Là, c’est simple : tout ressortissant de N’Beiket Lahwach[7] qui va accueillir le Président à Chami[8] sera flagellé cent fois. Et tout habitant de Bouli, au Guidimakha, qui viendra montrer sa tête à R’Kiz ou Mederdra, sera poursuivi pour double nationalité et gêne des autochtones.

Tout imam ou éminent érudit qui bravera le soleil, le vent ou toute autre intempérie pour venir saluer le Président, même dans sa moughataa[9], en se bousculant avec les citoyens ordinaires, sera, tout simplement, démis de son statut de Cheikh. Tout Président de parti politique de l’opposition, responsable ou pas responsable, qui, sous prétexte d’hospitalité, se résout à accueillir le Président, sera, systématiquement, viré à la majorité.

Tout ministre qui ira raconter des histoires, à Néma ou dans toute autre localité, ou des choses que le Président n’a pas encore faites, est passible de limogeage intempestif. « Ettesfagh » aveugle les dirigeants. C’est un véritable rideau, très opaque, qui cache les réalités et ne laisse rien transparaître.

Jusqu’au moment, fatidique, où tout devient noir, autour du chef, et qu’une corde est lancée à son cou : là, les applaudisseurs se dispersent d’autour de lui, pour aller embrasser la joue de son tombeur. Une journée nationale de lutte contre les coups d’Etat. Pas de retour en arrière. Comme si l’on pouvait retourner en avant.

Un ami, qui n’a pas fait long feu à l’école ou, si vous voulez, n’a pas entendu la balle à l’école – c’est tout comme ; mais il n’est pas Président ; heureusement d’ailleurs – bref, mon ami, disais-je, grand fumeur devant l’Eternel – oui, oui, encore le tabac – voulait, à travers un communiqué, interdire sa tabatière à tout usager indélicat.

Pour cela, il sort ses anciennes leçons de grammaire, d’orthographe, d’exercices structuraux, de syntaxe, de morphologie et autres et il écrit, avec un charbon, sur le mur : « Interdi à tout ce que ce que sont des tabatières de fumé dan ma tabatière ».

En paraphrasant notre Senghor national, on traduira : « Interdit à tout ce que ce que sont des militaires à faire, à partir de désormais, des coups d’Etat en République Islamique de Mauritanie ». Il n’y a pas de meilleure pédagogie que celle qui permet de faire passer un message. Tout le reste n’est que cogitation inutile.

Sneiba El Kory (Le Calame)


[1] Nom local du tabac à priser.

[2] Traduction d’une expression arabe qui veut dire : n’être concerné ni de près ni de loin »

[3] Que Dieu nous en préserve !

[4] Rupture du jeûne

[5] Expression du répentir.

[6] Quoi de neuf ? Expression qui vint tout de suite après les salamalecs d’usage. C’est devenu le nom d’un journal satirique mauritanien qui fait les meilleures ventes de la presse privées.

[7] Nouveau département, à l’extrême est du pays.

[8] Nouveau département, à l’extrême nord du pays.

[9] Département


Mauritanie 2 – Sénégal 0

Ambiance survoltée d'après match (crédit photo: Jemal Sevir)
Ambiance survoltée d’après match (crédit photo: Jemal Sevir)

La victoire de la Mauritanie sur le Sénégal, ce 21 juillet, au Stade Olympique de Nouakchott, est historique à plus d’un titre. C’est la première fois que la Mauritanie va prendre part, en Afrique du sud, aux phases finales d’une compétition continentale. Faire partie des 16 équipes (sur 54) est en soi un exploit. Plus important même que celui d’avoir battu le Sénégal qui, jusque-là, considérait ses sorties footballistiques contre les « Mourabitounes » comme une simple promenade de santé. Bon on me dira qu’il s’agit du CHAN (championnat d’Afrique des nations réservé aux locaux) et non de la CAN (où les pros sénégalais constituant l’ossature des Lions de la Téranga auraient sans doute fait la différence) mais c’est une donne qui ne change rien à la valeur or de cette victoire. Pour la première fois, les Mauritaniens, toutes tendances confondues, sans connotations raciales ou politiques se sentent fiers d’eux-mêmes. Dans les rues de Nouakchott, quelques minutes après la fin du match, il n’y avait plus de Blancs ou de Noirs, mais des Mauritaniens qui crient leur joie longtemps étouffée par une crise politique sans fin. Personne ne faisait une allusion quelconque à la composition de cette équipe qui vient de venir à bout du Sénégal. Pourtant, elle était formée, essentiellement, de Négro-Mauritaniens dont les noms résonnent comme ceux des adversaires qu’ils venaient de battre d’une si belle manière ! C’est cela le miracle du sport qui fait oublier les différences pour ne laisser apparaître que ce qui unit. Comme aux USA où les exploits en athlétisme sont souvent le fait de sportifs noirs mais comblent de joie toute une Nation qui oublie ses différences en pareils moments.

Cette victoire de la Mauritanie sur le Sénégal marque donc le début d’une nouvelle époque. Sans doute qu’avec elle, le gouvernement présent au grand complet aux côtés du président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, va investir – et s’investir – pour que la participation des Mourabitounes au CHAN 2014 en Afrique du sud apporte un plus aux performances déjà accomplies sous la houlette de l’entraîneur français Patrice Neveu. On saura alors que le sport est un facteur d’unité qui peut « réparer » tout ce que la politique – les politiques – s’attèlent à gâcher depuis qu’il leur est permis de s’adonner à un « sport » sans foi ni loi.


Sur les traces des Libyens de Sfax

Des voitures libyennes devant Le Pacha hôtel (crédit photo: Sneiba)
Des voitures libyennes devant Le Pacha hôtel (crédit photo: Sneiba)

Au départ, il s’agissait, véritablement, de ce qu’on pourrait appeler une « hypothèse de travail » : y a-t-il des Libyens à Sfax ? Une question qui n’en était pas une puisque la réponse nous était donnée à l’hôtel même où nous étions descendus. De luxueuses voitures estampillées du mot « Libya » (en arabe), garées à l’entrée de l’hôtel « Le Pacha » attestaient de la présence de Libyens dans la capitale du sud tunisien.

Et puis on se dit, Ridha et moi, que ce qui comptait, réellement, était de savoir si Sfax avait accueilli, accueillait encore, au moment de la tenue d’un Atelier de l’Institut Panos sur les faits migratoires, des Libyens arrivés massivement après la chute du régime de Mouammar Kadhafi, il y a un peu plus d’un an (20 octobre 2011). Et si ces « immigrés » d’un autre genre se soumettaient, d’eux-mêmes, à un exil provisoire ou définitif.

Tout est donc parti d’une série d’interrogations : combien sont-ils ? Comment vivent-ils ? Quel est leur profil ? Dignitaires de l’Ancien régime ou Libyens encore friqués venus en villégiature ou pour raisons de santé ? Et d’appréhensions : Où les chercher ? Comment les aborder ? Accepteront-ils de parler ? Questions qui soulèvent autant de paradoxes. Les Libyens sont bien là, et apparemment en nombre estimable ; le chiffre de 500.000 à 600.000 étant attesté par plusieurs sources comme l’UNHCR et le Centre tunisien pour la migration et l’asile (CETUMA) du chercheur Fethi Rekik mais ils donnent l’impression de « vivre cachés ». Pour vivre heureux ? Une idée du bonheur après Kadhafi, qui exigerait de camoufler une identité que ne reflète même plus l’immatriculation « Jamahiriya » badigeonnée de peinture noire sur des voitures de Libyens tiraillés entre un passé « qui refuse de mourir » et un présent plein d’incertitudes !

Ils sont là mais discrets

Liaison Tripoli-Sfax (photo: Sneiba)
Liaison Tripoli-Sfax (photo: Sneiba)

Les premières tentatives de contact avec ces Libyens donnaient déjà l’ampleur de la tâche. Il ne sera pas facile de les faire parler. Et même quand mon ami Ridha y parvient, les reconnaissant à leur accent un peu singulier, dans une clinique privée de Sfax (Salama), le motif de leur présence sera quasi invariable : raison de santé. Autant dire que c’est celui qui justifiait les séjours de cinq à dix jours dans une ville où le coût de la vie n’embarrassait nullement le Libyen moyen de l’après révolution du 15 février 2011. Une dépense « ordinaire » de 20 à 30 dinars (10 à 15 euros) par jour et par personne. Ce qui rapporté au nombre de Libyens vivant en Tunisie comme indiqué plus haut constitue tout de même entre 1,5 et 2,25 milliards de dinars par mois ! C’est une véritable manne financière pour la Tunisie qui vit encore les soubresauts de sa propre révolution – heureusement moins sanglante que celle de la Libye, du Yémen ou de la Syrie –

Chantier à Sfax (photo: Sneiba)
Chantier à Sfax (photo: Sneiba)

A Sfax, l’activité économique bat son plein. Difficile de trouver une corrélation évidente avec l’installation de Libyens qui préfèreraient la location d’appartements au séjour dans des hôtels de luxe. On voit pourtant, avec les chantiers de BTP qui poussent comme des champignons, que les Sfaxiens ne construisent pas autant de villas pour eux. Une nouvelle offre, probablement très forte, devrait favoriser le dicton qui dit que « quant le bâtiment va tout va ». sfax ne figurant pas sur la liste des villes touristiques très prisées en Tunisie (Jerba, Hammamet, Sousse, etc), le boom de l’immobilier devrait sans doute être favorisé par l’arrivée pour des séjours, plus ou moins longs, de Libyens préférant sortir mais pas loin de chez eux, en attendant que la situation revient à la normale.

C’est le vol régulier entre Tripoli et Sfax du 29 juin 2013 qui allait transformer en certitude ce qui n’était au départ qu’une supposition. L’ATR 112 de Tunis se vide de tous ses passagers (une trentaine) à Sfax avant de repartir vers Tunis avec une dizaine de nouveaux passagers dont cinq journalistes. Sfax est donc la destination privilégiée des Libyens.

Les Libyens fuient leur pays

Il est vrai que le miracle, en termes d’enquête journalistique, n’existe pas mais cela est arrivé pour une fois. Dans le Boeing 767 d’Atlantic Airways, effectuant la liaison Tunis-Casa pour le compte de la Royal Air Maroc, deux hommes assis, une rangée derrière moi, devisaient sur la situation en Libye après le « départ » du Guide. Mon arabe classique « acceptable » me permis tout de suite de suivre l’essentiel de leurs échanges dans un dialecte avec lequel je me suis déjà familiarisé à l’hôtel Le pacha, la clinique « Essalama » et certains commerces de Sfax. C’est une réponse donnée par l’un de ces libyens qui enclencha le sujet sur lequel je cherchais, depuis une semaine, à être fixé : il partait au Nigeria où il venait d’être engagée dans une compagnie pétrolière ! Son vis-à-vis ne comprenait pas comment il pouvait quitter la Libye – un pays assis sur le pétrole – pour aller offrir son expertise ailleurs. Et l’autre d’expliquer, avec une amertume non feinte, que Kadhafi n’a fait durant quarante ans que distribuer des rentes, et rien d’autre. Lui parti, on se retrouve avec rien. De 50.000 Dinars de revenu, certains Libyens sont obligés aujourd’hui de survivre avec 2000 dinars au plus ! Ou de s’exiler quand ils ont les moyens financiers ou l’expertise nécessaire pour refaire une vie ailleurs. Finalement, l’on se rend compte que la contre-révolution qui a balayé le régime de Kadhafi a certes mis fin à une dictature des plus implacable jamais connue en Afrique et dans le monde arabe mais qu’il faudra du temps aux Libyens pour voir le bout du tunnel.


La démocratie est « l’opium du peuple »

Manifestation populaire en Mauritanie (photo : facebook)
Manifestation populaire en Mauritanie (photo : facebook)

On devrait pouvoir organiser un référendum, dans tous les pays où la démocratie flanche, pour savoir si le peuple ne préfère pas, en fin de compte, le retour à la dictature. Militaire ou civil. Celle en Guinée équatoriale dirigée par Teodoro Obiang ou plus feutrée comme en Chine.

Je le dis parce que ce qui se passe actuellement dans la plupart des pays en voie de (sous) développement ne milite pas en faveur d’un concept que les pays occidentaux ont adapté, depuis des lustres, mais que les Africains n’arrivent pas encore à adopter. La démocratie pour nous est un simple jeu. Un paraître qu’on accepte comme tel. Voyez un peu ce qui se passe dans un pays comme la Mauritanie ou la Guinée. Une crise qu’on entretient oubliant qu’il suffit d’un peu de bonne volonté, de part et d’autre, pour pouvoir la transcender. On fait croire au peuple que cela fait partie intégrante de la démocratie, que majorité et opposition sont condamnées à ne jamais s’entendre sur les règles de ce jeu qui, ailleurs, ont été fixées une fois pour toutes pour permettre aux partis politiques d’utiliser le langage des programmes politiques, économiques et sociaux pour arriver au pouvoir. Mais pas seulement. Accepter aussi qu’un président « démocratiquement élu » achève son mandat. On imagine mal qu’un scénario comme celui arrivé en Mauritanie, en août 2008, avec la « Rectification » du pouvoir du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, ou la destitution du président Morsi en Egypte se passe dans un pays comme la France, où pourtant François Hollande est au plus bas des sondages ! Les Français l’ont élu ; ils se sont peut être trompés mais ils ne peuvent plus changer le cours des évènements. Sauf en cas de force majeure et suivant un mécanisme constitutionnel connu d’avance. Sans ces garde-fous mis en place par les démocraties dignes de ce nom, on pourrait revivre à répétitions ces « coups de têtes » qui soumettent les peuples du « second monde » à un éternel recommencement. Avec la possibilité de deux à trois putschs par an. Si une majorité n’est plus d’accord avec un président élu. Quand un puissant général n’est plus en phase avec un Raïs « élu » grâce au pouvoir de persuasion de ses soutiens militaires. Ou encore si les foules occupent la rue en très grand nombre et persuadent l’Occident, garant de notre « démogâchis » que ce pouvoir là n’est pas le « modèle » qu’il veut pour nous.

L’instabilité démocratique que connait l’Afrique est donc, véritablement, une remise en cause d’un concept et d’une pratique du pouvoir qui dénote de l’imperfection de notre classe politique. Celle-ci, s’appuyant sur l’ignorance de nos peuples mais aussi sur le manque de fermeté d’une communauté internationale régie par les puissants de ce monde (USA, France, Angleterre, Russie, Chine, Allemagne) tire sa force de sa parfaite connaissance du système d’opposition et de ses lois. Rien ne peut se faire contre la Syrie de Bachar Al-Assad sans l’aval de la Russie et de la Chine. Deux pays qui acceptent la destitution de Morsi en Egypte parce que les autres « partenaires » stratégiques dans la gouvernance collégiale du monde l’ont, peut être, favorisée ! Un « coup d’état démocratique » contre un dictateur « démocratique » cela donne la confusion générale qui empêche aujourd’hui de voir clair dans ce qui se passe en Egypte. Et qui risque de faire jurisprudence dans les pays où la force fait encore la loi.


Le patriotisme et le courage sont les deux vrais gages que nous pouvons offrir à notre patrie

B.S Bouleiba
B.S Bouleiba

‘’Le patriotisme désigne le dévouement d’un individu envers son pays qu’il reconnait comme étant sa patrie’’ et pour lequel il est prêt a sacrifier sa vie.

‘’ Le courage est un trait de caractère qui permet de surmonter la peur pour faire face a un danger’’.Il est  parfois inné chez l’individu ou hérité génétiquement.

Le patriotisme et le courage ne limitent pas au seul champ militaire qui celui du sacrifice par excellence. Les actes patriotiques peuvent être accomplis avec la même vaillance dans tous les autres aspects de la vie de la nation :

-Dans le service public : Un serviteur de l’état a tous les échelons peut en toute âme et conscience refuser d’exécuter des ordres supérieurs parce qu’il les juge non conformes aux lois et porter préjudice aux intérêts du pays. Si on veut lui forcer la main ou l’intimider, il doit démissionner ou demander à être déchargé de ses fonctions. Généralement le serviteur de l’état mu par son sens du devoir et de l’intérêt public ne rend pas publique sa démission, ni les raisons qui l’ont motivée. Les serviteurs de l’état sont tenus par un code moral autre que celui des hommes politiques qui peuvent  médiatiser tous les actes de leur vie, même ceux normalement relevant de la sphère privée.

-Dans le domaine civil ou civique : Les citoyens doivent faire leurs devoirs : ne pas enfreindre les lois, ne pas participer a des actions qui peuvent nuire au  pays, mais aussi exiger en contrepartie leurs droits : la liberté, justice et le respect de leurs biens et de leurs personnes.

-Dans le domaine politique : Quand un homme politique qui a brigue ou qui postule a briguer des mandats du peuple est coupable  de fautes graves et avérées, anciennes ou nouvelles a l’encontre des intérêts intérieurs ou extérieurs de la nation, le devoir lui dicte de les reconnaitre, de s’en expliquer publiquement devant le peuple ou la représentation nationale et en tirer les conclusions qui s’imposent.

Ce sont la quelques principes simples mais difficiles a respecter dans notre environnement social marque par la trop grande part prise par nos particularismes ainsi que notre perception trop récente des notions ‘’de L’Etat et de La Nation’’.

Dans notre histoire ancienne et récente nous avons beaucoup d’exemples de patriotisme et de courage : La résistance a l’occupation, la guerre  du Sahara et récemment la lutte contre le terrorisme ont révélé beaucoup d’hommes valeureux. Malheureusement nous avons tendance ces derniers temps à raconter les ‘’histoires de nos parcours personnels, celles de nos familles, de nos ethnies, de nos tribus ou de nos régions’’, quitte a occulter l’écriture de la vraie histoire qui est notre patrimoine commun. Je pense personnellement qu’il est très urgent de confier cette tache à une structure académique d’état qui a l’expertise et la neutralité nécessaires

J’écris généralement sur des sujets généraux qui touchent à la societe, la politique et l’economie, jamais sur les individus. La seule entorse à cette règle a été l’hommage      rendu à Feu le Président Moktar ould Daddah, travail dont je suis tres fier puisque le premier a le faire.

Mon intention en écrivant ces pages n’est pas de mettre en exergue une famille, ou un homme même s’ils le méritent amplement. Je veux surtout dire que les exemples d’abnégation ne sont plus légions, d’insister pour qu’émergent le patriotisme et le courage vrais  que des hommes ont paye de leurs vies, de leurs conduites exemplaires et sans fautes au service de la nation et qui leur ont permis d’acquérir aux yeux des citoyens des lettres de noblesse non usurpées. Morts, blessés ou vivants ils ont droit aux égards  la patrie reconnaissante. Le dernier grand acte de patriotisme, de courage et de sacrifice qui me vient à l’esprit est celui de mon ami de toujours, celui avec lequel j’ai partage la même table le premier jour de notre cursus a l’école primaire de Chinguetti, le fils de N’Deyane l’ami de mon père Sidi Mohamed que la terre leur soit légère et paix a leurs âmes. Entre 1978 et 2003, le Colonel Mohamed Lemine ould N’Deyane a occupe vingt six postes de responsabilités nationales, fonctions ou il a laisse des traces indélébiles marquées par la probite, la rigueur et la simplicité. Les mauritaniens sont unanimes sur la grandeur de son sacrifice pendant que notre pays traversait les jours les plus difficiles de son existence. Le Colonel Mohamed Lemine savait bien ce qui l’attendait en allant immédiatement à son bureau de Chef D’état Major. Il a choisi son devoir contre un possible gain de vie sur cette terre. Il est grand temps qu’on fasse son deuil officiel en l’inscrivant en bonne place dans notre panthéon national. En attendant repose en paix mon ami, toi si pieux, si altruiste et mort en CHEHID.

C’est hier que j’ai lu dans la presse que le Capitaine ould Ghotob  que je croyais guéri de ses blessures devait être opéré en France et cela m’a rappelé l’histoire  de son père crible de balles devant les locaux de l’ancien Palais Présidentiel Le 16 Mars 1981 entre 10 h et10h30. Je venais moi-même par je ne sais encore quel miracle de m’extraire avec une quarantaine de personnes des locaux. Des les premiers coups de feu, les commissaires Ghotob, Nde Habib et un agent du corps de la police  s’engouffrèrent dans une petite voiture de service et partirent vers le palais Présidentiel tout proche de la sureté nationale. Une fois arrives sur l’avenue qui va directement a la porte centrale l’un des occupants d’une land-rover qui les croisait en sens inverse les mitrailla a bout portant. J’ai essaye de trouver avec des anciens cadres de la police le nom de cet agent en vain. Cet agent et le commissaire Nde Habib perdront la vie, paix a leurs âmes et gloire a leur sacrifice pour la patrie. Le commissaire Ghotob sera handicape le restant de ses jours. Plusieurs interventions en milieu specialise, ne purent  enrayer son handicap permanent mais il conserva toute sa volonté de vivre et  de travailler. Avec sa chaise roulante, sa voiture pour handicapes, il continuera avec le même entrain, le même sourire, le même talent à accomplir  ses fonctions dans les différentes directions de la sureté jusqu’à sa retraite.

Quand à son fils le capitaine je n’en connais que ce que j’ai lu sur le net et les sacrifices qu’il a fait lui et ses hommes pour éviter a notre pays une hécatombe. J’ai entendu les propos du Président de l’assemblée nationale, le doyen Messoud ould Belkeir a sa sortie de l’hôpital militaire :’’Je suis venu visiter ses jeunes patriotes qui n’ont pas hésité à se sacrifier pour éviter a leur pays une catastrophe, imaginez  ce véhicule contenant plus d’une tonne et demi d’explosifs, explosant au milieu des populations de la ville, quel carnage. ?

Félicitation tardive mais sincère et bonne guérison pour le Capitaine ould Ghotob  auquel son père a servi d’exemple .Gloire et paix aux âmes de tous ceux morts ou blesses tombes au champ d’honneur a l’intérieur de nos frontières ou en dehors d’elles en protégeant notre patrie. J’en appelle aux jeunes générations : simples citoyens, fonctionnaires civils ou militaires a quelque niveau qu’ils se situent pour poser des actes concrets et quotidiens  dans toutes les missions qui leur sont confiées et qu’ils  nous réconcilient  avec les valeurs sublimes qui étaient les nôtres : patriotisme, courage, dignité et probité

Brahim Salem Ould Boubacar Ould Moctar Ould Sambe dit ‘’ould Bouleiba’’

Nouakchott, Juillet 2013


Parallèle entre la destitution de Morsi et la « Rectification » de 2008 en Mauritanie

Crédit photo: Google.com
Crédit photo: Google.com

Que s’est-il passé en Egypte ? Allez-y, répondez, SVP ! C’est la question casse-tête qu’un de mes amis m’a posée. Coup d’Etat militaire ou coup d’Etat… populaire ? Rectification. Restructuration. Réorientation. Redéploiement. Réajustement. Appelez-le comme vous voudrez. Quand l’armée adresse un ultimatum à un Président démocratiquement élu, ça s’appelle quoi ? Après tout, la légitimité émane du peuple. Et c’est ce peuple qui est sorti dans la rue. C’est ce peuple qui a signé une pétition à plus de vingt-deux millions de paraphes. Mouvement de redressement national. Comité de salut populaire. Quand un Président déconne, il faut le ramener à la raison. Et ça, il n’y a que l’armée qui peut le faire. A dictateur, dictateur et demi. Morsi s’est autoproclamé roi. Larges prérogatives présidentielles. Juges inamovibles. Stricte application des lois restrictives. Panne du tourisme. Parfois, on a bien besoin de quelques centilitres pour se rafraîchir la mémoire. Et d’une bonne compagnie, pour voir plus clair. Entre Sidi et Morsi, il n’y a pas grande différence. Deux paisibles musulmans. Tous deux élus, à presque 52%. Cependant, Morsi n’a pas attendu à démettre ses militaires. A ses risques et périls. Revanche. Ils l’ont démis. Sidi a attendu pour le faire et lorsqu’il l’a fait, c’était trop tard. Qu’est-ce que les militaires « voient sur Sidi et Morsi » ? Véritablement, je veux dire. Pas les justificatifs officiels que tout le monde connaît. Bon, récapitulons : Sidi voyage trop. Sidi prie trop. Sidi a trop dit qu’il ne peut pas faire venir la pluie. Sidi a trop découragé les pauvres. Sidi va trop à la mosquée saoudienne et dans les hôpitaux, à l’insu du Président – heu, non, président – de son cabinet militaire. Et, pour finir, il se réveille en pleine nuit et procède au limogeage de quatre chefs militaires, comme ça, pfuitt, d’un trait, d’une seule balle. Si, au moins, il avait attendu le jour et hop, d’un ! Hop, de deux ! Hop, de trois et hop, de quatre ! Alors il « n’a rien à voir que sur sa tête ». Les militaires sont les mêmes à travers le monde. Ils ont les mêmes arguments pour justifier leurs affaires louches. En Egypte, Morsi doit se plier à la volonté du peuple .Sinon, bye, bye ! En 1978, la guerre du Sahara a tué le peuple. Stop. En 1984, la dictature a tué le peuple. Ça va, ça va. En 2005, vingt-et-un ans de pouvoir sans partage. C’est trop. Vive le peuple ! En 2008, aucun espoir pour le peuple. Nous revoilà au garde-à-vous, cher peuple. Finalement, quelle légitimité ? Quelques heures après le limogeage de Morsi, Barak Obama commence à verser des larmes de crocodile. Certains pays de l’Union Européenne demandent à sauvegarder la paix sociale. L’Arabie Saoudite et le Qatar jubilent. Et les autres font profil bas. Finalement, suffrages, démocratie, votes, urnes, scrutins, majorité, opposition, valeurs démocratiques et patati et patata ne sont que des concepts qui ne renvoient pas à grand-chose. Coup d’Etat démocratique ? Y en a. Volonté populaire via la rue, égale intervention militaire pour déboulonner un Président légitime. Alors, présidents élus, faites attention ! Diminuez le prix du riz, du sucre, de l’huile, des dattes – on est à la veille du Ramadan ou même dedans – des boubous, des tiayas, des bananes, du carburant. Augmentez les salaires. Laissez tranquilles les maisons closes (ouvertes serait plus convenable, selon mon ami). Fermez les yeux sur tout genre de trafic et d’incommodités. Sinon, le peuple sortira dans la rue, pour demander à ce que sa volonté soit respectée. Et c’est suffisant pour que l’armée vous boute dehors. Vous, au moins, vous aurez juste quelques mois à réclamer. Qu’Allah préserve la Mauritanie du mauvais œil, des mauvaises langues et des mauvais esprits ! La Mauritanie est, incha Allah, du côté des saufs. Jusqu’à qu’elle organise ses élections. Toutes ses élections. Sans accrocs et sans défauts. Et puis, un Président ne peut être que de deux choses l’une : ou un militaire, ou un civil. Ou « la vierge de la mer » (sirène) : tenue civile et esprit militaire. Chassez le naturel…

SNEIBA El Kory (Le Calame)


Il était une fois le 10 juillet

Moctar Ould Daddah, 1er président mauritanien (photo: Elhourriya.net)
Moctar Ould Daddah, 1er président mauritanien (photo: Elhourriya.net)

Le 10 juillet 2013 est passé hier mercredi dans l’indifférence totale des Mauritaniens. Bon, pas tout à fait puisque ce 10 Juillet coïncide avec le début du mois béni de Ramadan. Mais personne ne s’est rappelé ou presque que c’est en ce jour de l’année de grâce 1978 que l’armée de la République Islamique de Mauritanie, éreintée par la guerre du Sahara, avait décidé de déposer le président Moctar Ould Daddah, le « Père de la Nation » et principal architecte de la « Mauritanie Nouvelle ». Des indépendances (1960), pas celle qu’on tente, sans succès, de nous « vendre » maintenant !

Le 10 juillet que les militaires fêtaient comme le jour de l’indépendance nationale (28 Novembre), avant l’avènement du 12/12 (1984) quand le colonel Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya avait déposé le colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla, est redevenu un jour ordinaire. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Mais nos braves militaires sont toujours là. Même quand l’actuel président Mohamed Ould Abdel Aziz avait troqué son uniforme de général contre son costume de président civil démocratiquement élu un certain 18 juillet 2009. C’est en tout cas l’impression qu’ont certains de la situation actuelle du pays mais c’est surtout l’avis de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) qui pense le militaires n’ont jamais quitté le pouvoir et qui continue à appeler au « rahil » (départ) d’un Ould Abdel Aziz qu’elle voit toujours, à tort ou raison, dans ses atours de général !

Le fait qu’aujourd’hui le 10 juillet ne signifie plus rien pour les Mauritaniens est symptomatique d’un état d’esprit général : celui de la « normalité » de la vie politique actuelle, issue d’une succession de révolutions de palais mais qui n’exclut pas toutes sortes de crises où l’armée peut, d’un moment à l’autre, avoir son mot à dire. D’ailleurs, dans ses mémoires « La Mauritanie contre vents et marées », feu Moctar Ould Daddah fait remonter les appétits pour le pouvoir des officiers mauritaniens au-delà même du 10 juillet 1978 quand il écrit, que dès le début des années 70, et bien avant la guerre pour l’unité nationale, les services de renseignements et l’homme de la rue faisaient cas, de temps en temps, de coup d’état fomenté par certains officiers et prêt à être mis en exécution. Le caractère naissant de ces services de renseignements faisaient qu’on accordait peu de crédit à leurs « analyses » et informations sur la situation politique et sociale du pays.

Les informations les plus précises sur le « péril » venant de l’armée sont évoquées par feu Moctar Ould Daddah quand il évoque qu’en novembre ou décembre 1977, lors d’une visite à Marrakech, le roi Hacen II lui a clairement signifié qu’il détient des informations faisant cas d’un coup d’état qui se prépare en République Islamique de Mauritanie. La source de cette information serait un jeune mauritanien du nom d’Ould El Wavi, qui aurait divulgué ce secret à Me Bouabeid.

Ould El Wavi va par la suite consigner les mêmes informations auprès d’un membre de l’entourage du Roi Hacen II et ce dernier va proposer au président Moctar Ould Daddah une copie de cet enregistrement mais il refusera, préférant laisser l’étranger, fut-il un ami et un frère, à l’écart des affaires intérieures de la Mauritanie. Et Moctar de se demander dans ses mémoires : avais-je raison ou tort ? Seul Dieu le sait.

Les mêmes informations seront aussi rapportées à Moctar par son ami Mobutu, qui évoquera des indiscrétions recueillies à Bruxelles, auprès de l’opposition zaïroise, et qui évoque l’imminence d’un coup d’Etat en Mauritanie. Très précisément, ces informations  que Mobutu s’empresse à faire connaître à son ami, cite le nom de l’ambassadeur de Mauritanie au Zaïre, parent proche du commandant de la 6ème région militaire, le commandant Ahmedou Ould Abdel Kader chargée de la sécurité de la capitale Nouakchott.

Il savait mais il a laissé faire !

Tout indique donc que le président Moctar Ould Daddah était au courant que quelque chose se tramait contre lui. C’est encore lui qui évoquera dans ses mémoires que, le 8 juillet 1978 (soit deux jours avant le premier putsch en Mauritanie), Ahmed Ould Zeine, lui rapportera, lors d’une réunion du Bureau politique nationale, dont il était membre qu’un entretien avec Sid’Ahmed Ould Bneijara, la veille, laissait entendre que les militaires mauritaniens étaient sur le point de passer à l’action. Tous les chefs de l’armée seraient alors impliqués dans ce qui allait devenir alors, pour nous Mauritaniens, l’éternel recommencement. Il y aura d’autres « 10 juillet » qui feront de la Mauritanie le pays le plus « capé » en nombre de coups d’Etat sur le continent africain. Six ou sept en tout. Le dernier en date, contre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, et le premier contre le président Moctar Ould daddah boucle-t-il la boucle de ces changements anticonstitutionnels en Mauritanie ? Rien n’est moins sûr. On continue encore, 35 ans après le premier coup d’Etat, à nous chercher, à remodeler cette démocratie imposée par la déclaration de la Baule de François Mitterrand,  en 1991, qui a obligé Taya a « civiliser » son régime militaire mais n’a pas empêché les militaires, quinze ans plus tard, à le pousser dehors à son tour. Un éternel recommencement, voilà ce à quoi pourrait mener l’implication de l’armée dans la politique si, réellement, nous ne comprenons pas qu’il s’agit plus d’un partage des rôles qu’une situation de conflictualité entre le politique et le militaire.