Taisez cette opinion que je ne saurais entendre
L’assistance, comme un acteur stoppé net en pleine action, transformé en statue, s’est figée. Une bonne dizaine d’yeux vifs, lançant des éclairs muets, le fixe avec gêne et stupéfaction. Une brume obscurcit son esprit. Le monde s’est arrêté. Rien ne bouge. Seul bruit perceptible. Le ronron du climatiseur déversant sur la salle un froid de pôle Nord. Il sent une sueur froide lui parcourir l’échine. Sans savoir pourquoi, sur l’écran plasma diffusant en boucle, le titre du spectacle de la soirée, il semble lire, ce qui est hautement improbable, ces mots de Kery James. « Les mots ont un poids. L’intelligence sert de balance. Pèse-les, analyse les causes et anticipe leurs conséquences ! »
Il est 4 heures quand il fait son apparition dans cette salle de la télévision. Sept heures plus tôt, il avait été invité à prendre part à cet exercice, qui au fond le révulse au plus haut point. À force de pression et de tractations, il a fini par céder. L’homme est fait, pour épouser le contour des circonstances s’est-il dit. L’enjeu est de changer en restant le même. La salle, agressée impudemment par une lumière vive, n’était pas immense. Six heures et demie, les filles faisaient leur apparition. Elles venaient de la capitale, Port-au-Prince. Pimpantes, souriantes, tirées à quatre épingles, elles étaient onze en tout à attendre de lui et de ses deux collègues qu’ils choisissent trois d’entre elles pour devenir miss Caramel-USB de l’année.
Trois chaises étaient alignées derrière une petite table. En face, les 11 jeunes filles, leur visage figé dans un sourire non provoqué, éternel. Au milieu, l’assistance. Composée de responsables et d’invités d’honneur. Que des dignitaires. D’un coup, le haut-parleur crache dans un français parisien, drôlement bien articulé, les mots de bienvenue. Les hostilités étaient lancées. Les propos de circonstance étaient brefs. Le directeur de la télévision égrenait sa satisfaction. Ensuite venait le directeur de l’institution hébergeant les filles, lui, faisait place aux membres du jury. Il était le dernier à prendre la parole.
Tel un prophète, il s’est senti investi d’une mission. La plus ultime qui soit. Être cohérent avec lui-même. Par respect de ses idéaux. Par substitution de sa personne à la cause qu’il défend depuis son plus jeune âge : le féminisme. Ça lui a fait un drôle d’effet d’entendre sa voix dans les haut-parleurs. Elle était blanche, profonde, lointaine et limpide. Comme celle des griots africains. Son introduction était simple : « Je m’appelle Mérancourt Widlore et je suis très content d’être là. Cependant, je dois vous avouer quelque chose. »
Ainsi commençait son discours où tour à tour vont passer le devoir d’acceptation de soi, la superficialité de la plupart des femmes haïtiennes modernes, le culte de la femme-objet que promeuvent les concours de beauté, la vraie valeur de la personne humaine, etc. Discours long de 10 minutes qu’il terminera ainsi : « La ringardisation par la marche du temps des idées réactionnaires et ineptes sous-entendant la supériorité de l’homme sur la femme oblige ce dernier à recourir à d’autres procédés pour distiller ses aberrations. Après maintes réflexions, il s’est dit : créons un concours de miss. Vous êtes femmes ? Soyez belles. On vous en donnera la définition. Et après, fermez-la !