Serge

Dur, dur à Rio de Janeiro

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Universidade Federal do Paraná, Crédit photo: Deyvid Setti e Eloy Olindo Setti on Wikimedia Commons

Les africains rêvent tous d’aller en Europe ou en Amérique, et depuis quelques temps, le nouveau status du Brésil en a fait le nouvel El dorado des jeunes du vieux continent. Si à priori, ils s’attendent à vite rouler dans des grosses cylindrées, ils sont également nombreux à se casser le nez face à la dure réalité de la vie au Brésil.

Ce mois de juillet, un jeune étudiant béninois venu dans le cadre du programme d’étudiants PEC-G dirigé aux étudiants des pays en voie de développement a posté une video sur youtube dans laquelle il raconte des déboires cariocas.

Il y a évidemment du vrai et du faux dans ce qu’il dit, essayons donc de décrypter tout cela. Il me semble que les difficultés auxquelles le programme expose ces jeunes africains se doivent premièrement au contexte de la création de cet instrument d’integration afro-bréislien. Le programme a été créé à la fin des années 1990 (Protocole en pdf) au moment où l’Amérique Latine traversait l’une de ses plus grandes crises économiques, on se souvient du cas extrême de l’Argentine. Et par conséquent, le gouvernement brésilien, co-signataire avec ses différents organes fédéraux du Protocole qui régit la vie des étudiants PEC-G au Brésil, s’est dédouané (à l’époque) de toute responsabilité quant au maintient des étudiants étrangers.

Il existe ici deux contradictions: la première est relative au fait que le programme concerne les étudiants « pauvres » des pays en voie de développement, mais en même temps il est convenu dans le protocole – également signé par nos pays – que chaque étudiant se prend en charge dès son arrivé au Brésil. 

Deuxièmement, l’organisation même des institutions brésiliennes augmente ces difficultés et fait que chaque Etat est un cas particulier. En effet, le fédéralisme fait que chaque Université Fédérale est autonome et donc ne repond que partiellement à Brasília. Il arrive donc qu’une université au Sudeste offre des logements aux étudiants africains et qu’au centre du pays il n’en soit pas ainsi.

Le problème se situe également en Afrique lorsque les étudiants se préparent à venir étudier. Les informations qui leur sont fournies sont trop partielles et parfois occultent certaines réalités, comme par exemple le fait que le Brésil n’offre pas de bourse d’études au niveau de la licence (en master et doctorat, oui), mais qu’il s’agit ici de place dans une faculté du choix de l’étudiant. Une fois que l’étudiant arrive, il peut briguer à plusieurs bourses, néanmoins cela n’est possible qu’après le premier semestre des cours. Et encore, il convient d’établir une différence à ce niveau.

Tous les étudiants provenant des pays non- lusophones doivent passer une année à étudier le portugais, ensuite ils se soumettent à une épreuve nationale (Celpe-Bras) qui est l’équivalent du TOEFL.

Ce qui veut dire en pratique que l’étudiant francophone ou anglophone ne pourra prétendre à une bourse d’études qu’après une année et démie. Pendant toute cette période intiale, il est (en thèse) à la charge de sa famille. Ajoutons que celui qui échoue à l’épreuve doit rentrer dans son pays, mais combien d’africains sont capables de retourner dans leurs pays une fois qu’ils sont arrivés en Amérique?

Comme je l’ai dit, chaque Etat est un cas à part. La vie est par exemple plus chère à Rio de Janeiro et São Paulo qu’à Fortaleza ou João Pessoa. Ceux qui sont attirés par l’enchantement de la ville carioca peuvent très vite se rendre compte que survivre sans bourse à Rio de Janeiro est quasi impossible, cela relève pratiquement du miracle.

Il y a par ailleurs très peu d’accompagnement, hormis certaines universités comme l’UFF (Universidade Federal de Fluminense, à Niteroi/RJ). Il y a déjà eu des cas de décès d’étudiants africains au Brésil parce que les conditions ne sont pas réunies pour faciliter l’adaptation des jeunes qui immigrent très tôt, à 21 ans ou moins. Cette année (encore) une jeune fille du Nigéria est décédée de suite d’une maladie diagnostiquée trop tard.

Le jeune étudiants béninois a donc raison quand il critique l’irresponsabilité des autorités des différents pays impliqués dans le programme. On a parfois l’impression que tout est question d’accords économiques à un niveau supérieur, mais comme il dit lui-même dans la video: « pour dire vrai, ici c’est pas la merde, non plus ».

https://www.youtube.com/watch?v=6eRi_QhPpyI

Il y a beaucoup d’étudiants qui terminent leur cours, mais le taux d’évasion est très élevé surtout parmis les étudiants non-lusophones.

Les étudiants étrangers ne peuvent pas travailler non plus, cela rend encore les choses plus difficiles pour ces jeunes. C’est pourquoi le jeune béninois tranche sur une note de pessimisme: « si tes parents n’ont pas d’argents et si tu n’es pas un peu intelligent, t’es foutu ».

 


James Gandolfini, une mort annoncée

https://www.flickr.com/photos/zakmc/2040270328/sizes/m/in/photostream/
James Gandolfini: photo by zak mc on Flickr.com

Je me préparais mentalement pour la journée de jeudi 20 juin, jour prévu pour la marche des 20 centimes à João Pessoa quand j’appris que James Gandolfini était décédé d’une crise cardiaque en Italie.

L’information venait calmer mes ardeurs tant le choc fut grand. Mais à bien y penser, cela était plus que prévisible. Je m’explique.

Ceux d’entre vous qui aiment les films portant sur les gangs américains ou la mafia ont dû voir le dernier travail de l’acteur sur grand écran dans Killing them softly. Le film est sorti au Brésil en 2013 avec à l’affiche un certain Brad Pitt. Excellent film surtout grâce à l’interprétation plus que correcte de Brad dans le rôle d’un tueur à gages au service de la mafia new-yorkaise. Il doit régler leur compte à deux soldati déserteurs qui ont volé un paquet d’argent appartenant au chef de la mafia.

Le film est d’autant plus intéressant qu’il plonge le téléspectateur dans le contexte de la crise américaine, une crise non seulement économique mais aussi politique. Brad Pitt – qui est mis en constante opposition avec un Barack Obama (mais je ne dirai pas comment) frustré par la crise – fait d’intéressants commentaires qui démontrent le pessimisme ambiant dans cette nouvelle Amérique. C’est surtout la dernière scène du film qui vaut le billet; dans une espèce de critique directement adressée aux « pères fondateurs » de la démocratie américaine, le personnage de Pitt lâche: “America is not a country, it’s a business. You’re on your own”.

 

On retrouve également Ray Liotta et James Gandolfini dans le casting. Mais dans ce film, la star de la séries américaine Les Sopranos montrait déjà quelques signaux de sa mauvaise forme. Physiquement, on pouvait remarquait ses quelques kilos de trop. Il faut dire que son rôle dans le film s’y prêtait assez, mais certains signes ne trompent pas. Une prestation discrète pour un acteur qu’on savait très talentueux notamment dans le style mafieux.

 


L’affaire Snowden est partie du Brésil

Crédit photo: See-ming Lee FLICKR.COM/CC

Un réportage spécial diffusé sur la puissante chaîne de télévision brésilienne Rede Globo nous apprend que les documents rendus publics par Snowden ont été initialement remis à Glenn Greenwald, journaliste du Guardian résidant depuis sept ans au Brésil à Rio de Janeiro. Ce dernier affirme que le programme PRISM s’étend également aux pays émergents.

Les détails de cette collaboration quasi hollywoodienne entre Snowden et Greenwald peuvent être lus ici.

Selon le journaliste du  Guardian, qui a rencontré Snowden à Hong Kong après plus de quatre mois d’échange d’e-mails, les données trafiquées au Brésil sont  collectées “sans sélection” pour tous les Brésiliens. Cela permettrait d’emmagasiner des informations qui pourraient devenir utiles:

« As the headline suggests, the crux of the main article details how the NSA has, for years, systematically tapped into the Brazilian telecommunication network and indiscriminately intercepted, collected and stored the email and telephone records of millions of Brazilians. The story follows an article in Der Spiegel last week, written by Laura Poitras and reporters from that paper, detailing the NSA’s mass and indiscriminate collection of the electronic communications of millions of Germans. There are many more populations of non-adversarial countries which have been subjected to the same type of mass surveillance net by the NSA: indeed, the list of those which haven’t been are shorter than those which have. The claim that any other nation is engaging in anything remotely approaching indiscriminate worldwide surveillance of this sort is baseless ».

Ce qui est encore plus perturbant, c’est que le niveau d’espionnage par les USA du Brésil correspond à celui de la Russie.

Le journaliste américain explique en même temps que les données récoltées sur le Brésil sont particulièrement importantes vue la position stratégique de l’économie brésilienne; ainsi le Brésil serait le pays le plus espionné d’Amérique Latine.

Le gouvernement brésilien a manifesté sa grande insatisfaction après ces révélations. Par ailleurs, les partis d’opposition parlent d’une convocation de l’ambassadeur américain pour donner des explications au congrès. Le ministère des affaires étrangères brésilien – Itamaraty – a déjà signifié qu’une démarche similaire serait adoptée à Washington où l’ambassadeur brésilien demanderait des explications à l’administration Obama en même temps qu’il déposerait une plainte aux Nations Unies. 

Même si cela n’étonne presque personne, étant donné que même l’Union Européenne n’échappe à ce contrôle, l’affaire réveille les mauvais démons qui hantaient les relations bilatérales entre les deux pays, notamment pendant l’administration Bush.

Le moins que l’on puisse dire c’est que les relations entre le gouvernement américain et ses homologues sud américains ne vont pas au mieux surtout après le récent “cafouillage” impliquant l’avion du président bolivien Evo Morales.

Ayant moi-même participé à une formation pour journalistes et blogueurs où il était (entre autres sujets) question d’apprendre des techniques de codage, la manière dont le journaliste anglais a mené à bien cette enquête est très instructive. Il est plus que jamais essentiel que les journalistes et les blogueurs s’emparent de ces techniques de cryptage sur le web.

On sait maintenant que les révélations portées au public jusqu’à présent ne sont que la pointe de iceberg, Glenn Greenwald aurait en sa possession plus de 5 000 documents renfermant des informations toutes aussi compromettantes. Ce lundi 08 juillet, The Guardian a publié une deuxième partie de l’interview de Snowden acordée à Greenwald.

Le lien du reportage de la Rede Globo (Fantástico) est disponible ici.

 


Brésil: le crépuscule des idoles

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O futebolista brasileiro Ronaldo Nazário (Crédit photo: Antônio Cruz/ABr on Wikimedia Commons)
Pelé est connu pour être le roi du football, son héritier Ronaldo pour en être le phénomène, l’unique, le seul et légitime « Ronaldo » du sport mondial. Les deux hommes créent la polémique après leurs déclarations douteuses sur les manifestations politiques dans les grandes villes brésiliennes.
Ces deux personnalités ont atteint un succès qui les placent au dessus de toute critique. Durant les manifestations qui secouent le Brésil, Pelé et Ronaldo se sont risqué, pour leur plus grand malheur, en politique.
D’abord, le roi (manipulé par la toute puissante Globo?) a adressé un message surréaliste au peuple, disons à l’audience de plus de 40 millions de personnes. Vêtu de l’éternelle vareuse de 1970 flanquée de la marque CBD (Confédération Brésilienne des Sports), ancêtre de l’actuelle CBF. Une croix du christ à son cou, le roi a demandé au peuple « de ne pas confondre les choses, d’oublier toute cette confusion ainsi que ces manifestations, car le Brésil se prépare à accueillir une événement majeur de son histoire ».

https://www.youtube.com/watch?v=6NLuUSdVFBM

Pour le roi, plus important que les protestations politiques il y a bien évidemment « sa seleção« . Celle qui représente le peuple depuis toujours, son sang, sa vie.
Ronaldo, l’héritier, le phénomène, l’unique, le seul légitime « Ronaldo » de l’histoire du sport a fait mieux que le roi. Le plus grand buteur des tous les temps de l’histoire de tous les mundiais a déclaré sans ambages « qu’une Coupe du monde ne se fait pas avec des hôpitaux, mais avec des stades ». Vous l’aurez compris, il s’agit de sa réponse aux manifestants descendus dans les rues pour exiger plus de dignité, d’éducation, une meilleur politique de santé publique et j’en passe.

https://www.youtube.com/watch?v=b0_GgXzta70

Arrogance, innocence, indifférence, égoïsme ou simplement l’ultime preuve que le football ne crée que des monstres?
Jamais le texte de Nietzsche n’aura été si actuel.


Manifestations au Brésil: la fin des illusions

La date du jeudi 20 juin 2013 rentrera dans l’histoire politique contemporaine du Brésil comme le jour où un million des brésiliens descendirent dans la rue pour protester contre la corruption de la classe politique. 

Cependant, une contextualisation des derniers événements se fait nécessaire pour ne pas tomber dans les clichés, trop facilement adoptés par les médias depuis les révolutions arabes. Premièrement, il convient de dire que les manifestations au Brésil n’ont aucune filliation avec les Printemps arabes ou le mouvement des indignés en Espagne, et ce malgré les affirmations des plus optimistes. Il serait encore plus erroné de croire que ces manifestations s’assimilent au fameux Occupy Wall Street.

Qui sont les manifestants?

Le mouvement a commencé à São Paulo comme une réaction des jeunes étudiants de gauche contre l’augmentation des tarifs des autobus dans la capitale de l’Etat de São Paulo. Ces jeunes sont pour la plus part liés aux partis politiques de gauche, voir d’extrême gauche, comme le Parti travailliste, le PSOL, le PSTU, etc. Initialement, le mouvement adopta le nom de Mouvimento Passe Livre (MPL), son objectif à court terme étant la réduction du prix du bus de 3,50 à 3,20 reais. A long terme le MPL milite pour la tarif zéro pour tous les étudiants brésiliens et certaines catégories sociales. Je l’ai brièvement expliqué dans un article précédant.

Lorsque les manifestations ont commencé à São Paulo, le mouvement réunissait quelques dizaines de milliers de manifestants faisant croire aux autorités que la colère du peuple s’estomperait d’elle-même. Néanmoins, la répression dont furent victimes les manifestants aggrava la situation, et vit une mobilisation plus ample de la société civile. Et c’est peut-être à ce moment là que les choses ont pris une dimension dangereuse, non seulement pour la gauche elle-même, mais également pour la démocratie brésilienne.

 

Un mouvement sans contenu

Dans un premier moment les grands médias ont fortement critiqué les manifestations,  plusieurs éditorialistes conservateurs comme Arnaldo Jabor s’en sont pris aux manifestants les traitant de Militants Imaginaires (voir ici et ). La forte mobilisation de la population qui a suivit la répression de la police, mais surtout le fait que plusieurs journalistes aient eux-même été victimes de la violence policière a complètement changé l’abordage de l’affaire par les médias. Désormais, ils s’affirmaient en faveur des jeunes manifestants; cependant il fallait donner une nouvelle nature aux manifestations.

D’un point de vue historique les mouvements de gauche au Brésil n’entretiennent pas des bonnes relations avec les grands médias. Donc, ces derniers ont commencé à appeler le peuple à un soulèvement contre la corruption en générale, transformant ainsi une manifestation dont l’objectif était clair en un mouvement diffus, sans identité, ou du moins adoptant tous les slogans et tous les combats. Cela s’est donc transformé en un mouvement contre la vie chère, ou contre la corruption. « Muda Brasil », « o gigante acordou » sont des slogans qui ont fait le tour du monde notamment sur les réseaux sociaux, or dès le début des manifestations, le mouvement se dénommait MPL ou mouvement des 20 centimesDésormais, on manifeste contre tout et contre rien du tout. 

 Ce changement n’est pas dérisoire. Il fut un moyen d’exclure peu à peu les partis de gauche des manifestations, une façon également de modifier le profil des manifestants. On voyait maintenant des jeunes bourgeois de classe moyenne en grande partie ayant eux-mêmes des voitures, appartenant à cette partie privilégiée de la population aller dans la rue. La principale cible des manifestants changeait également de nom, ce n’était plus la tarif des autobus mais le gouvernement Dilma.

Sur les différents affiches, on lisait ce jeudi 20 juin des « tu verras dans les urnes Dilma », « le Brésil n’est pas rouge », « allez au Venezuela ou à Cuba », « il faut guérir les homosexuels », « stop à la bourse pour les pauvres », etc. 

Tous ces slogans se caractérisaient par leur connotation de droite et leurs caractères fascistes dans la mesure où les partis politiques étaient devenus les cibles des manifestants. Je me suis surpris à me retrouver côte à côte avec des médecins conservateurs qui scandaient des propos xénophobes contre les médecins cubains auxquels le gouvernement brésilien avait fait appel pour combler un déficit dans le secteur. Or, je suis totalement opposé à cette attitude xénophobe. Les manifestations ne sont plus ce qu’elles étaient. Une bonne analyse doit prendre en compte ses différentes transformations.

Le risque pour la démocratie

 

Un mouvement conservateur refait surface au Brésil. Que ces manifestants revendiquent désormais un amour pour le pays, transformant la manif des 20 centimes en une vague nationaliste en est la preuve. Jeudi était un jour étrange. Je descendais dans la rue avec toutes mes illusions, mais j’allais justement les laisser mourir sur l’autel de la déraison et de la démesure.

Comment expliquer qu’un mouvement comme celui qui a débuté à São Paulo réunissent des skinheads  des punks, des homophobes et qu’on l’appelle un mouvement démocratique? 

Evidemment la gauche est consciente de ce détournement idéologique, et dès vendredi, un peu partout au Brésil des jeunes étudiants se réunissaient dans les universités pour réévaluer les événements de ces dernières semaines. J’ai pris part à une de ces réunions. Et je pense qu’il est important que la gauche se remobilise puisque la droite s’organise, et spécialement la plus conservatrice.

Aucune démocratie ne peut survivre sans partis politiques et sans des espaces institutionnalisés d’action politique. Toute affirmation contraire est démagogique et risque de faire sombrer le pays dans le fascisme. Ce que l’on a vu ce jeudi fut un grand mouvement politique marqué par l’intolérance et l’extrémisme.

Vendredi soir, la présidente Dilma a fait une apparition à la télévision dans laquelle elle annonçait que 100 % des royalties du pétrole seraient reversés dans l’éducation, qu’une réforme politique rentrerait dans l’agenda immédiat du congrès, la création d’un plan national de mobilité urbaine. entre autres promesses. Un positionnement ferme de la présidente était nécessaire, mais on espère que cela ne soit pas trop tard.

On attend pour les prochaines semaines des nombreuses manifestations de la gauche organisées dans tout le pays.


Brésil: cinq impressions sur Lula

Je me rends de plus en plus compte que la plus part des personnes hors du Brésil ont une image caricaturale de l’ancien président Lula da Silva.

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Luiz Inácio Lula da Silva, crédit photo: Ricardo Stuckert/PR, Agência Brasil – Wikimedia Commons

Avec son air de père noël, on lui trouve rapidement des vertus qui parfois ne sont qu’un mythe, ou au contraire, on profite d’une de ses déclarations ici ou  pour dénoncer le mal communiste en Amérique du Sud.

En cinq points, que peut-on retenir de ce personnage hautement charismatique?

  1. La lutte contre la dictature militaireRien ne le prédestinait à la politique car en fait c’est son frère aîné qui s’engagea premièrement dans le syndicalisme paulista, historiquement reconnu pour son importante résistance face à la dictature, mais également pour son articulation vis-à-vis des entreprises étrangères qui envahissaient le marché national. Quand son frère trouva la mort dans une prison de l’Etat, Lula entrait dans la vie politique pour s’imposer comme le plus grand leader travailliste de l’histoire du pays après Getúlio Vargas. Son héritière Dilma Rousseff a également participé à cette incroyable épopée de la gauche brésilienne.
  2. La lettre adressée au peuplemalgré sa grande popularité, il lui manquait une bonne compréhension du système politique de son pays, c’est la principale raison de ses trois échecs aux élections présidentielles d’avant 2002. Son radicalisme ne rassurait pas les oligarchies agricoles, minières ainsi que les grandes entreprises de l’automobilisme. On ne savait pas encore s’il comptait payer la dette à la FMI, et les médias redoutaient une « révolution bolivarienne » au Brésil. Il fallait donc qu’il fasse des concessions; ce fut le cas quand il rédigea une « lettre aux brésiliens » (Carta ao povo brasileiro). Cette lettre permet de comprendre toutes les actions postérieures de l’homme qui allait propulser l’émergence définitive de l’économie brésilienne. Par cette lettre il formait une grande majorité autour de lui, une coalition politique qui répondait aux exigences du présidentialisme de coalition (selon Sérgio Abranches); son vice-président José Alencar faisait parti du patronat, les mouvements syndicalistes entraient dans le gouvernement en même temps que les grands patrons. Son discours était devenu modéré, mieux adapté au modèle médiatique brésilien. Vous trouverez ici et  deux textes très instructifs sur les forces politiques au Brésil.
  3. Le mensalão: inculpés dans une affaire de corruption politique, certains proches de l’anciens présidents ont été condamnés par la justice brésilienne. L’actuel président de la Cour Suprême de Justice aura été un coupe amer pour le PT jusqu’à la fin du procès du mensalãoJoaquim Barbosa n’a pas épargné les proches de Lula accusés d’acheter le vote de certains députés pendant le premier mandat de l’ex-président. Cet épisode restera comme une tâche noire dans l’histoire de la présidence brésilienne même s’il n’a jamais été prouvé que le président savait les agissements de son directeur de cabinet et d’un membre important de son parti.
  4. La réélection et ses adieux: Après le fameux scandale du mensalão peu d’observateurs donnaient Lula vainqueur des élections de 2006 et pourtant l’homme fort de São Bernado (ville où il réside) avait encore quelques trucs dans sa manche. Plus impressionnante encore fut son attitude très démocratique lorsqu’il réfusa de modifier la constitution de façon à lui permettre de réaliser un troisième mandat, cela était bien possible, cependant Lula a priorisé l’alternance et l’avenir plus stable des institutions de son pays. On reconnait ici l’erreur de Chávez.
  5. L’homme sans compromis: Ce qu’il faut maintenant comprendre c’est que Lula hors de son palais présidentiel n’a plus les mêmes responsabilités que par le passé et donc que certaines de ses déclarations n’engagent que lui et non plus son parti politique, le PT. Actuellement, il émet des critiques qu’il ne se serait pas permis de prononcer contre le Vénézuela à une époque où il cherchait à construire une union sud-américaine. Sans Chávez cela aurait été impossible, on le sait. C’est vrai aussi que Lula doit toujours préserver son statut de « faiseur de roi », néanmoins il n’est plus sous la même pression médiatique, ses déclarations n’ayant donc plus l’impact d’antan.


Mama África chante la samba

https://3d-car-shows.com/2013/miriam-makeba-mamma-africa/
Hômmage de google à Miriam Makeba qui aurait eu 81 ans en 2013.

En 2008, année de mon arrivée au Brésil, j’ai suivi des cours intensifs de portugais à l’université. Ce fut alors mon premier vrai contact avec un style musical qui n’allait plus jamais quitté le fond de mon âme : la samba.

A l’occasion, mes professeurs utilisaient certaines « méthodes expérimentales » d’enseignement de la langue aux étrangers, qui devait se faire par une immersion totale dans la culture locale, à savoir la brésilienne. C’est ainsi que j’ai écouté pour la première fois Mas que nada interprété par Milton Nascimento.

Il y a peu, j’ai été agréablement surpris en découvrant une version plutôt rare de Mas que nada remixée par une certaine « mama África » comme on la connait ici : j’ai nommé, Miriam Makeba.

Le morceau n’est ni de Miriam Makeba ni de M. Nascimento, c’est au contraire l’oeuvre d’un autre monstre sacré de la MPB (Música Popular Brasileira) Jorge Ben Jor. Cette chanson a été reprise par des stars de la musique internationale comme Al Jarreau – que j’aime particulièrement – et Ella Fitzgerard.

Cette chanson culte est magnifiquement interprétée par la star sud-africaine, son portugais est absolument remarquable, l’articulation est juste incroyable… Miriam Makeba surclasse la version de Nascimento (que j’adore également).

La « reprise » de Miriam Makeba date de 1967, soit 4 ans seulement après la version originale de Jorge Ben Jor. C’est un mélange très réussit de samba et de Maracatu –  la « batida qui rend hommage aux rois du Congo ».

Je trouve assez intéressant que mama áfrica fasse une telle tentative mixant samba et maracatu à l’époque, elle qui n’avait évidement pas un profond contact avec le Brésil. Mais bon, n’essayons pas de comprendre les artistes. Leurs voies sont souvent aussi impénétrables que celles de Dieu.

D’autres artistes se sont lancés dans un effort de rénovation de la musique  – de la samba notamment – brésilienne en passant par l’introduction du jazz. C’est dans cet ordre qu’il faut inscrire la Bossa Nova dont La fille d’Ipanema d’António Jobim et Vinícius de Moraes demeure le plus grand succès.


Oscar Niemeyer ? Immortel !

Ce n’est pas un article comme ceux que j’ai l’habitude d’écrire. A mon avis,  il y a peu à dire et beaucoup à voir concernant Oscar Niemeyer. L’architecte brésilien est décédé dans la nuit de mercredi à jeudi l’hopital Samaritano de Rio de Janeiro. Mais sa mort ne m’a inspiré qu’un seul mot : immortel !

Je ne connaissais pas l’homme, mais j’ai eu l’occasion d’admirer de très près une partie de son oeuvre. C’est pourquoi j’ai décidé de publier quelques images qui resteront gravées dans l’histoire de l’architecture contemporaine. Oscar Niemeyer a révolutionné l’architecture – d’autres diront qu’il est revenu aux fondamentaux de l’architecture médiévale italienne; lorsque celle-ci se confondait avec l’art. Il écrivait également des poèmes.

Niemeyer n’était pas seulement un architecte, c’était avant tout un intellectuel, un homme engagé politiquement dans toutes les phases cruciales de l’histoire du Brésil. Aux temps forts de la dictature militaire, il s’exila en France où l’on peut rencontrer plusieurs de ses oeuvres d’ailleurs. Communiste et ami personnel de Luís Carlos Prestes, l’un des plus grands leaders révolutionnaires d’Amérique Latine, il profita de son séjour en France pour ériger le siège du PCF, à Paris. Curieusement, sa mort m’a rappelé celle d’un autre grand Lusophone, José Saramago, lui aussi communiste.

L’architecte Oscar Niemeyer est surtout connu dans le monde pour avoir idéalisé la plus belle ville du monde: Brasília. Futuriste et originale, en forme d’oiseau, cette ville est le pure produit d’une imagination géniale. Mais la fondation de Brasília, sous l’impulsion du président Juscelino Kubitschek, a aussi des zones d’ombre, à savoir l’exploitation puis l’expulsion des candangos, ces ouvriers noirs et très pauvres, qui ont travaillé dans les chantiers du désert brésilien où se dresse aujourd’hui la cité. On reconnait assez facilement l’oeuvre de Niemeyer par les courbes qu’il imprimait à chacune des constructions qu’il supervisait. J’ai eu l’immense honneur de passer à Brasília en 2010 pour des raisons personnelles. Ce fut l’occasion de voir de très près l’oeuvre de ce génie brésilien.

Brasília est simplement une ville extraordinaire qui ne laisse personne indifférent. Elle résume assez bien les idées de progrès et de l’ordre qui sont inscrites sur le drapeau du Brésil.

Depuis mercredi, les hommages viennent du monde entier, et le plus beau à mon avis est celui du journal espagnol El pais qui définie simplement l’architecte en le surnommant « le poète des courbes ». C’est exactement l’impression que les bâtiments de Niemeyer laissent chez les touristes : ses oeuvres semblent aller au-delà de l’architecture, on dirait l’expression artistique d’une âme bénie. Oscar Niemeyer a laissé sa marque dans pratiquement chaque Etat du Brésil, comme par exemple le mémorial de l’Amérique Latine à São Paulo, ou le musée en forme d’oeil de Curitiba (ci-dessous), ou encore le musée d’art contemporain à Niterói.

(crédit photo: www.veja.abril.com.br)

 Le Brésil est souvent reconnu pour sa culture musicale – la Bosa Nova, la Samba – et pour le talent de ses joueurs de football, mais cet homme simple est entré dans la légende de l’architecture du monde entier. Cet après-midi, les personnalités du monde défilent au palais présidentiel où la dépouille de Niemeyer est exposée. Le monde salue un génie, un géant du siècle passé. Le succès n’a jamais fait qu’il oublia les problèmes du peuple : « Tant que la misère et l’oppression existeront le communisme sera notre solution » avait-il affirmé. Quand on lui demandait de parler de lui, il déclarait :

« Je suis un homme comme tous les autres, j’ai aimé, j’ai pleuré, je me suis amusé, j’ai travaillé, j’ai aidé les pauvres, rien de particulier dans tout cela. »

Je dis simplement que pour moi, de par son oeuvre et son engagement personnel en politique, Oscar Niemeyer est le plus grand brésilien du XXe siècle.


Les noirs meurent plus que les blancs au Brésil

Une étude publiée cette semaine à Brasilia fait état d’une situation plus que dramatique quant à la différence du taux de  mortalité entre les populations noires et blanches au Brésil. La recherche intitulé La carte de la violence a été faite sous la coordination de Julio Jacobo Waiselfisz, et vient avec un sous-titre révélateur, La couleur des homicides au Brésil. C’est le Ministère de la Santé qui constitue la principale source d’informations dans ce domaine avec son Système d’infomation sur la mortalité (SIM). Ce système étant institutionalisé par une loi obligeant les autorités compétentes à infomer les causes de chaque décès, aussi bien que l’âge, le sexe, la profession,  le lieu de la mort et la race de la victime.

Les informations sont soumises à une classification codifiée, ainsi le symbole x93 représente une mort provoquée par une arme à feu; x91, une pendaison ou un étranglement. A chaque décès on peut ainsi collecter des informations utiles sur les origines et les circonstances de la mort. Toutefois, la recherche pose certains problèmes méthodologiques étant donné que la classification d’une race est individuelle (l’auto-définition) , c’est-à-dire en gros que chaque citoyen déclare sa race – on rencontre ainsi des personnes blanches qui se révendiquent de la pupulation noire -. Ce phénomène d’autoclassification est le reflet d’un problème racial au Brésil qui constitue un tabu dans toutes les couches da société. Sur ce thème, le professeur Kabengele Munanga d’origines congolaises  est devenu une autorité nationale.

Le rapport révèle des chiffres dramatiques qui établissent l’importance de la race dans l’occurrence des homicides. Selon cette étude, entre 2002 et 2010, pas moins de 272.422 citoyens noirs seraient morts à cause de la violence urbaine contre 144.174 blancs. On note ainsi une différence de 89% du taux de mortalité entre les noirs et les blancs. Le chiffre n’est pas moins scandanleux lorsque l’on regarde la différence des homicides entre les jeunes noirs (159. 543) et les jeunes blancs (70.725).

On note également un taux élevé d’incidences au Nord du Brésil – qui est aussi la partie la moins riches du pays -, le Nord-Est brésilien domine la liste avec plus de 15.000 homicides contre des noirs alors que 1.500 blancs ont été victime d’homicide dans la même région (2010). Par ailleurs, la région Nord-Est présente une suprématie par rapport aux autres régions du pays en 2010: le Sud avec 1.234, le Sud-Est avec 9.519, le Nord avec 5.250 et le Centre-Ouest avec près de 3.500 décès violents.

Les cinéastes brésiliens font la fête

(crédit photo: www.tropadeeliteofilme.com.br)

Ces statistiques trouvent écho dans le cinema brésilien de ces dernières qui ne cesse de montrer sur le grand écran ce cadre violent  caractéristique des villes brésiliennes et se concentre essentiellement dans les quartiers majoritairement peuplés par les noirs. Le lancement en 2007 du film Troupe d’élite marque la médiatisation d’un phénomène social très polémique au Brésil, à savoir, la nature de l’action des forces de l’ordre dans les communautés pauvres – certaines associations vont jusqu’à dénoncer un génocide contre la population noire. La violence policière étant très souvent comparée à la violence des trafiquants, les forces de l’ordre ont très vite trouvé des défenseurs dans la presse, et d’une certaine façon, ce film vainqueur de l’Ours d’or en 2008 jouait ce rôle.

Plusieurs autres films ont suivi cet élan et ont eu relativement le même succès. Aujourd’hui ce genre fait débat dans les milieux académiques qui dénoncent la création et la reproduction des stéréotypes servant à stigmatiser une population victime d’injustice depuis des siècles. Exposer la population noire comme étant essentiellement violente cache justement le besoin d’oculter ces injustices sociales séculaires.

 On note néanmoins l’effort des autorités de changer l’abordage de l’action des forces de l’ordre dans les grandes villes, à l’approche des jeux olympiques et de la coupe du monde, ce changement est plus que bénéfique. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre la création des unités de police pacificatrices (UPP). Leur stratégie est aussi bien communicationnelle que sociale et consiste à remplacer la présence des trafiquants dans les favelas par une présence policière, qui s’occuppe entre autres choses d’activités éducatrices, sociales, culturelles et sportives. Leur objectif est de sécuriser les favelas et aussi d’éloigner les jeunes adolescents de la criminalité.

 


Les présidentiables que les municipales brésiliennes ont révélés

Un scénario se dessine après les élections municipales qui se sont déroulées au mois d’octobre au Brésil. Au lendemain de ces élections, on peut déjà dire que la course à la présidentielle est lancée dans le plus grand pays du Cone Sul. Malgré le système politique fédéral bien installé ici, les élections municipales représentent un enjeu majeur pour les politiques brésiliens. En effet, les Brésiliens ont tendance à indiquer leur inclinaison idéologique dès les municipales, comme le disait le grand intellectuel des années 1940 Victor Nunes Leal, dans son livre Coronelismo enxada e voto – O município e o regime representativo no Brasil. Le livre explique l’autonomie relative des municipalités par rapport à la politique fédérale, tout en relevant leur importance dans le cadre des élections présidentielles.

Le Parti des Travailleurs a certes remporté la mairie de São Paulo, plus grande métropole de l’hémisphère sud, mais ces élections ont révélé des personnalités capables de bouleverser l’ordre établi dans la classe politique brésilienne depuis 1989. Modèle politique calqué du bipartisme américain, le système politique auriverdé est en passe de devenir tripartite.

Pendant les huit ans qu’il resta au pouvoir Lula da Silva avait réussi à garantir à son parti l’appui des régions les plus pauvres du pays, notamment le Nord et Nord-Est, néanmoins des transformations d’ordre social pourraient amener le PT à revoir son approche vis-à-vis de cette population. Désormais, une grande partie de cette population jadis pauvre fait partie de la classe moyenne brésilienne, c’est aussi elle qui porte l’économie nationale basée sur la consommation.

Au Nord et Nord-Est, la nouvelle classe moyenne boude le PT et flirte avec le Parti Socialiste Brésilien (PSB) d’Eduardo Campos, gouverneur du Pernanbunco (ce dernier a fait élire le maire de Récife au détriment du candidat proposé par le PT). Le PSB controle maintenant les plus grandes capitales de la région Nord-Est dont Fortaleza (Céara), Récife (Pernanbuco), l’état de Paraíba, et même la deuxième ville la plus importante de l’état de São Paulo avec la mairie de Campinas, encore une fois en battant un candidat du PT. Il s’agit là d’une importante avancée pour ce parti politique relativement jeune mais qui peut prétendre à quelque chose de plus grand: Brasília en 2014? Pourquoi pas?

Cela dépendra des différents accords que le PSB sera capable d’articuler, notamment avec le PSDB (social-démocrate), éloigné de la présidence depuis 2002 faute de renouveler son discours et de l’avoir trop droitisé… Mais cet exercice pourrait s’avérer particulièrement difficile, presque de la contorsion idéologique, car le PSB est un parti bien plus à gauche que le PSDB et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il occupe les espaces qui appartenaient autrefois au PT. Une alliance avec la droite pourrait faire fuir des électeurs.

3427341094_ac6986eaabPour sa part, le PSDB a intérêt à rajeunir sa classe politique s’il veut revenir dans les bonnes grâces de la population brésilienne, surtout celle des régions les plus pauvres. Le sénateur Aécio Neves est donc l’homme providentiel pour le parti social-démocrate brésilien. Son histoire est assez particulière, puisqu’il est le petit-fils de Tancredo Neves, élu président du Brésil aux élections indirectes de 1985, et décédé peu avant le début de son mandat. Une histoire tragique qui est restée dans l’imaginaire du peuple et qui, dit-on, destinerait le petit-fils à accéder à la plus haute fonction du pays. Le sénateur Aécio Neves a été gouverneur de l’état de Minas Gerais (troisième par sa richesse après São Paulo et Rio de Janeiro).

C’est donc le scénario qui se dessine au Brésil après les élections municipales d’octobre. La présidente Dilma Rousseff est bien consciente du danger que représenterait une alliance entre les partis d’Eduardo Campos et Aécio Neves pour sa réélection. Une telle alliance pourait rencontrer un obstacle d’ordre psychologique, car on ne sait pas si l’un ou l’autre candidat se contenterait d’une éventuelle vice-présidence. Dilma Rousseff devra donc faire le possible – mais aussi l’impossible – pour séduire Eduardo Campos avant 2014 et isoler Aécio Neves si elle veut être sûre d’être réelue dans deux ans.


L’épopée de Fernando Haddad

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paulo, c’est 1 523 km² pour 11.253.503 d’habitants. C’est aussi le plus grand pôle industriel d’Amérique Latine avec plus de 20 000 usines. Une grande partie de l’industrie automobile du Brésil et d’Amérique Latine se concentre à São Paulo qui detient aussi le plus grand contigent populationnel du continent. L’économie de la ville est très moderne et s’oriente essentiellement vers le secteur privé qui domine surtout le demaine de la santé avec plus de 78% d’activité. Enfin, São Paulo , ville multiculturelle, est le plus grand collège électoral du Brésil.

 Depuis la fin de la dictature en 1989, la ville de São Paulo n’a eu que deux gouvernements de gauche (1989-1993 et 2001-2004 ), ni la période hégémonique de Lula da Silva n’y a changé quoi que ce soit. Les experts en politique brésilienne affirment que cela est dû au niveau de bien-être social atteint dans l’Etat le plus riche du pays où la plupart des habitants appartient à une classe moyenne très dynamique. La population de São Paulo est connue pour sa tendance à « voter à Droite », tout en étant très hostile à l’immigration en masse vers la capitale économique du pays qui attire des millions de personnes venant de tous les pays voisins et même d’autres Etats brésiliens.

Le Parti des Travailleurs était face à un défi historique, celui de faire élire un maire dans un Etat acquis à la droite, et ce, au beau milieu d’une affaire de corruption qui acablait ses principaux leaders politiques dont José Dirceu et José Genoino. L’ex-président Lula avait intérêt à lancer un candidat au-delà de tout soupçon. C’est ainsi qu’il a propulsé l’ancien ministre de l’éducation Fernando Haddad, docteur en philosophie de l’Université de São Paulo (USP). Haddad (d’origines libanaises) a eu une visibilité nationale après avoir fait de l’examen Enem (l’équivalent brésilien du Baccalauréat) un critère d’admission aussi bien dans les universités fédérales que privées.

Donné perdant au début de la campagne électorale, et en concurrence directe avec des adverssaires de poids, dont un « vieux loup », José Serra (PSDB), et aussi un candidat improbable (Celso Russomano) qui est vite devenu la sensation de l’année, le candidat du PT Fernando Haddad s’est frayé un petit chémin jusqu’au segond tour des élections municipales. S’il est vrai qu’au début de la campagne pour le premier tour, Fernando Haddad apparaissait avec un modeste 19% et pointait seulement à la troisième palce; à cinq jours de la tenue du second tour il ostentait des intentions de votes très flatteuses: 49% contre 32% pour Serra (surnommé le vampire par la presse partisane de gauche). Lors du premier tour, Celso Russomano comptait avec l’appui des évangélistes alors que José Serra avait réçu le soutient des grands médias.

L’incroyable épopée de Fernando Haddad se doit à l’immense popularité de Lula da Silva, à la bonne gestion de la très sérieuse Dilma Rousseff, mais aussi au charisme du nouveau maire de São Paulo. Fernando Haddad a apporté une touche de modernité à la campagne électorale dans une ville habituée à un discours conservateur. Ses origines de classe moyenne ont aussi oeuvré à son avantage puisqu’il parlait à ses semblables. Le fait qu’il soit lui-même fils d’immigrés fut un atout étant donné le niveau de métissage dans l’Etat de São Paulo. Si certains analystes pensaient que le départ de Lula scellait le déclin du PT – avec l’élection de Fernando Haddad avec 56% de votes – ce parti vient de montrer son incroyable capacité de rénovation.

En attendant, peu importe le maire, São Paulo a toujours les mêmes problèmes de violences urbaines et d’embouiteillages…

Interview du maire de São Paulo.


Le noir qui présidera la Cour Suprême

Joaquim Barbosa présidera la Cour Suprême de Justice du Brésil pendant deux ans. Pour la première fois dans l’histoire du pays, un noir occupera l’une des plus hautes fonctions de l’Etat. Car au Brésil, les membres de la Cour Suprême jouissent d’un status institutionnel supérieur à celui du président de la république. Cela se démontre aussi par le fait que les juges de cette cour ont le salaire le plus élevé de la fonction publique: 27000 reais par mois.

Ce docteur en droit public de l’Université Paris II s’est distingué pendant ses études secondaires puis universitaires à Brasília. Il a vite obtenu un master en droit étatique avant d’aller poursuivre ses études en Europe. Polyglotte, le « ministre » Barbosa parle cinq langues dont le français. Elevé dans une famille de huit enfants dans la plus grande misère du Brésil, Joaquim Barbosa représente la mentalité brésilienne qui consiste à ne jamais abandonner. Au pays du football, on peut trouver des milliers d’histoires comme celle de ce juge.

Pendant longtemps, les noirs brésiliens n’avaient pas de perspectives de croissance professionnelle dans la sphère politique. Pour eux, il n’ y avait que deux options: le football et la musique. Et parfois une troisème dans le crime. Avec des icônes tels que Pelé et Ronaldinho dans le sport, ou Gilberto Gil dans la musique, les noirs savaient leur place dans la société. Leurs héros étaient des stars du sport ou de la musique. Maintenant, les choses changent. Après l’ascension au pouvoir d’un prolétaire – Lula da Silva -, c’est au tour d’un originaire de ParacatuMinas Gerais – de monter sur le devant de la scène politique brésilienne.

Le juge Barbosa est connu pour son positionnement très libéral s’étant illustré à plusieurs reprises comme un progressiste. Il a defendu le mariage entre homossexuels, et a été  favorable à la recherche sur les cellules souches – sujet polémique ici -. Ces derniers mois, Joaquim Barbosa s’est distingué dans le jugement du Mensalão.

Si l’Amérique a surpris le monde en élisant son premier président noir, le Brésil montre encore une fois qu’il s’opère des changements dans sa structure sociale. Encore un élément qui fait du Brésil un géant de ce siècle. La présidence de Joaquim Barbosa commence le 22 novembre…