Christopher Pereira

Postcolonialisme et questions linguistiques

Turista Conquista
Turista Conquista – Sur les murs de Lisbonne Crédit photo : Sarah Amadio

Entre langue et domination, entre oppression et culture, un peuple muet s’exprime parfois, souvent, sur les murs. Cet article est donc naturellement illustré de photographies de graffitis, essentiellement de Lisbonne. En solidarité avec toutes les formes d’expression qui s’opposent à toutes les formes d’oppression.

La domination des pays colonisateurs sur leurs colonies se réalise à travers plusieurs aspects, dont le principal, celui qui saute aux yeux, est la violence et la barbarie de l’exploitation de l’homme par l’homme. C’est cette question raciale, cette question de la mise en esclavage cruelle d’un homme par un autre, et de quel droit ? C’est le pillage des richesses d’un territoire, au bénéfice de puissances européennes, et autres, sans aucune culpabilité de voir réduits à l’extrême pauvreté, voire à la mort, les natifs mêmes de ces territoires, ces natifs considérés, finalement, comme matière première, ou comme outils d’exploitation de matière première.

On parle moins, je trouve, de la question de la langue, qui a pourtant un rôle essentiel dans la mise en place de cette domination. C’est la langue du colon qui devient la langue officielle de la colonie et non celle des natifs. Interdire de parler une langue, c’est tenter de réduire à néant les références propres à la culture d’une communauté et ainsi la rendre malléable. Et c’est d’autant plus important lorsque cette communauté ne connaît pas de culture écrite et que son histoire se transmet essentiellement de façon orale!

 

L'étranger à Lisbonne
Exemple d’interculturalité – Un pochoir marquant « L’étranger », certainement en rapport avec l’ouvrage de Camus, sur un mur de Lisbonne. Crédit photo : Ré Mokta

Je ne suis certes pas un spécialiste de ces questions-là, mais rien n’empêche de s’interroger, au contraire! Lors d’un voyage au fin fond de la Turquie, en pleine région kurde, j’ai pu remarquer qu’il était interdit aux populations locales de s’exprimer dans leur langue. La langue officielle était le turc, et s’exprimer en kurde était répréhensible. C’est une atteinte directe aux libertés mêmes d’un peuple de s’exprimer, peu importe la langue! L’empêcher de parler, c’est l’empêcher d’exister de la manière la plus naturelle possible, et dans ce cas, provoquer la possibilité d’une expression violente, comme un grand sursaut de vitalité qui explose comme un exutoire d’une parole trop longtemps oppressée.

Le sociologue Pierre Bourdieu et d’autres ont abordé cette question du langage comme outils de domination d’une classe par une autre. Il est aussi discriminant d’avoir un langage de souche populaire dans un entretien d’embauche que d’avoir un handicap physique. Les relations sociales sont profondément marquées par notre langage. Et je pense que dans l’histoire du colonialisme, une réflexion très intéressante a sûrement déjà été faite à ce sujet. Il en est des langues comme des religions, finalement… On les impose à la culture d’un peuple, pour l’annihiler et mieux le dominer.

Je me suis posé cette question, car une chose m’avait sautée aux yeux, en tout cas au niveau des pays d’Afrique de langue portugaise. Lors de l’indépendance acquise durant l’année 1975, suite à la Révolution des oeillets qui mit fin à la dictature au Portugal le 25 avril 1974, ces pays ont gardé comme langue officielle la langue des colonisateurs, des occupants. Ils ne sont pas revenus aux langues autochtones. La langue d’Etat en Angola et au Mozambique reste le portugais.

Graffiti anarchiste à Lisbonne

A Liberdade vive quand o Estado Morre (Lisboa) Crédit photo : Ré Mokta

J’ai eu la chance d’assister à une communication très intéressante à ce sujet au moment du colloque Portugal : Art et Pensée, qui s’est tenu à Paris les 20 et 21 octobre 2014. Helena Carreira, professeur à l’université Paris 8 et spécialiste de linguistique portugaise nous a parlé de la diversité culturelle du portugais.

Cela va sans dire, certes, mais cela va mieux en le disant : les pays lusophones d’Afrique connaissent des contextes culturels plurimorphes. En effet, le portugais y est par exemple en contact avec des langues bantoues, et des langues non bantoues; les contacts sont nécessaires et inévitables. On peut se poser la question de la place du portugais pour les Angolais ou les Mozambicains. Par exemple, parlent-ils tous le portugais? Sont-ils revenus aux langues autochtones une fois acquise l’indépendance? Pas forcément…

Fresque mural
Fresque murale à Lisbonne
Crédit photo – Sarah Amadio

 

Helena Carreira l’explique très bien, et j’espère ne pas avoir mal compris son propos. Il existe, par l’avènement des partis indépendantistes, l’affirmation d’un pouvoir supratribal en Angola et au Mozambique. Il en résulte une situation complètement paradoxale que je tenterai de résumer ainsi : au sein de pays constitués par des relations pluritribales au cours des siècles, l’enjeu de la langue est essentiel. Comme je l’avais dit auparavant, la langue participe de la domination d’un peuple sur un autre. S’il était question de la domination des Portugais sur les peuples d’Angola, il est également question de la domination de certains mouvements indépendantistes sur d’autres. Il en vient une situation presque schizophrène où il est plus intéressant pour les mouvements indépendantistes au pouvoir de maintenir le portugais comme langue officielle, afin de maintenir un pouvoir qui dépasse les querelles tribales.

Certes, beaucoup d’Angolais ne connaissent que le portugais, du fait de la colonisation. Il est alors intéressant de se demander quel est le sentiment linguistique de cette personne, alors que souvent sa langue maternelle diffère de celle de ses parents? On a rapporté, lors du colloque, une situation qui illustre de façon éclairante cette problématique. Il était question d’un couple de Mozambicains originaires d’ethnies complètement différentes. Chaque langue étant également linguistiquement différente, le seul dialogue possible au sein du couple l’était par l’intermédiaire du portugais. Ainsi, par la langue de l’ancien pays colonisateur. Lorsqu’ils eurent un enfant, celui-ci fut naturellement élevé dans la langue portugaise, qui devint sa langue maternelle, au contraire de ses parents.

Alors, il est évident que cet article est plein d’approximations, mais je me contente de soulever des interrogations qui me sont propres, et qui à mon avis appellent des réactions, des témoignages. Je me demande ce qu’il en est des autres pays ayant été colonisés par d’autres nations que le Portugal. Le contexte, ou plutôt, le « sentiment » est-il différent? Comment se représente-t-on la langue de l’ancien pays dominateur? A quel moment est-elle synonyme d’oppression? A quel moment se l’approprie-t-on? Se transforme-t-elle à un moment, en un instrument de la liberté?

 

Graffiti anarchiste à Lisbonne
A tua Voz tem eco (Ta voix a un écho), à Lisbonne

Mais surtout, je remarque qu’il n’est pas nécessaire d’aller dans ce contexte métropole/colonie pour retrouver ses différences, quoiqu’avec un sentiment peut-être moindre de cette domination. D’autres échelles de lecture sont bien évidemment possibles. En parlant de la France, n’était-elle pas divisée en langue d’oc et langue d’oïl? N’a-t-on pas tenté d’éradiquer les langues régionales en imposant le français dans les écoles de la 3e République? Les mouvements régionalistes revendiquent leur culture et leur identité justement à travers l’enseignement et l’oralité de leur langue spécifique.

Mais, sur une autre échelle également, j’imagine le fils d’émigrés portugais, né en France, vivant en France, et qui n’a pas la même langue maternelle que ses parents. Qu’est-ce qui le rapproche, ou qu’est-ce qui l’éloigne, de ce petit enfant mozambicain ? Je crois qu’il est important de se rappeler que chaque langue, chaque culture, porte en elle sa richesse et sa vision du monde, et qu’elle mérite, pour cela, le respect et la curiosité que l’on peut avoir de la rencontre avec l’Autre.

Collage mural d'une poésie
Collage mural d’un poème de Florbela Espanca (Lisbonne)
Crédit photo – Sarah Amadio


Sur les rythmes d’Africa Negra, ou les « good vibes » de São Tomé-et-Príncipe

Cet été, vers la fin du mois d’août, alors que je réalisais un stage au département Afrique Lusophone de RFI, une collègue de la rédaction a annoncé quelque chose de ce genre-là:

« Hé! Les gars! Les Africains noirs se reforment cet été! »
[traduction personnelle et aproximative]

Et là, j’me suis dit que j’comprenais un truc de travers. Que vraiment, ce genre de pléonasme était d’un humour douteux. Pourtant, je remarquais quand même un certain enthousiasme de la part de la rédaction. Je me demandais ce qu’ils avaient tous, vraiment!

Ma surprise a atteint son paroxysme quand il y a eu la musique.

Pochette du disque Africa Negra
Pochette du disque Angelica, d’Africa Negra

Des percussions africaines, très joyeuses, que l’on imagine très bien être à l’origine de la musique des Antilles, par cultures exportées. Et de belles phrases de guitares électriques, langoureuses, répétitives, avec de belles voix sonores et ensoleillées, en créole, apparemment.

Et c’est là que je remercie ma curiosité. On répète souvent que la curiosité est un vilain défaut. Comme le disent les Normands : « Peut-être bien que oui, peut-être bien que non ». C’est comme tout, hein? Y a du pour, du contre… Enfin bref, je divague!

Quoiqu’il en soit, cette sacrée curiosité m’a fait me lever de mon fauteuil pour aller voir quel était ce groupe de musique qui me mettait tellement la pêche par cet après-midi pluvieux.

[Et là, je me permets un petit commentaire en apparté. Parce que vraiment, cet été à Paris, on aurait dit l’automne, avec sa pluie quotidienne et sa température aux alentours des 15 degrés! On était bien loin de l’Afrique et du soleil que me transmettait alors les rythmes sortant des baffles du petit ordinateur.]

Bref, je me lève pour me renseigner, et je vois le nom du groupe sur la vidéo : « AFRICA NEGRA »!

Et soudain, tout a pris sens, à mesure qu’une vague de soulagement me submergeait. C’est alors que j’ai pu revenir sur une traduction maladroite que j’avais fait cinq minutes plus tôt:

« Hé! Les gars! Y a les Africa Negra qui se reforment cet été! » [Traduction personnelle, mais beaucoup moins approximative que la précédente.]

Ouf! Et merci!

Mais il est vrai que j’avais peu de chances de connaître les Africa Negra, groupe de São Tomé-et-Príncipe qui se reformait après 20 ans d’absence. Et c’est pourtant un des grands noms de la musique de cette île, comme je l’ai découvert peu après, grâce, décidément, à cette sacrée curiosité!

Le groupe s’est formé dans le début des années 70, autour d’Emilio Pontes et d’un certain Horacio, pour finir par se baptiser, en 74, le Conjunto Africa Negra. Il fut rejoint peu à peu par les guitaristes Imidio Vaz et Leonildo Barros, ainsi que par le chanteur Joao Seria. De part la position géographique de l’archipel, leurs principales influences furent celles des musiques du Gabon, du Congo, du Cameroun, ainsi que les phrasés guitaristiques typiques de l’Afrique centrale.

Le peuple et l'armée attendent la rédition du dictateur Marcelo Caetano
Le peuple et l’armée se retrouvent devant le siège de la Garde Nationale Républicaine, au Largo do Carmo, à Lisbonne, où s’est réfugié le dictateur Marcelo Caetano.
Source : Centre de documentation du 25 de Abril, Université de Coimbra

Nous sommes alors en plein processus de décolonisation. En effet, les longues guerres coloniales du Portugal dans ses possessions africaines (Angola, Mozambique, Cap-Vert, Guinée-Bissau et São Tomé-et-Príncipe) ont épuisé les troupes de la métropole et provoqué leur révolte, entrainant la chute d’un régime déjà moribond. Le 25 Avril 1974, la Révolution des Oeillets met fin à la dictature et permet l’ouverture du processus d’indépendance. Les négociations avec le Mouvement de Libération de  São Tomé-et-Príncipe (MLSTP) se déroulent calmement, se concluant par la déclaration d’indépendance le 12 juillet 1975. Bientôt 40 ans, donc…

Je ne voudrais pas rentrer dans les détails d’une période et d’un pays que je n’ai pas connu. Mais il paraît clair que les années 80 furent celles du succès d’Africa Negra. Ils tournent régulièrement dans l’archipel, se rendant également de nombreuses fois en Angola, au Portugal et au Cap-Vert. Et d’après mes collègues, dont il était difficile pour moi de partager l’enthousiasme du fait de mon ignorance, il s’agissait réellement d’une référence pour la musique de São Tomé.

On trouve d’ailleurs dans ce groupe une musique qui lui est propre. Ce n’est pas cette mélancolie capverdienne, parfois commune aux mélodies angolaises. Non. Ce sont des rythmes tropicaux et propres à São Tomé-et-Príncipe. Et je le précise, car il est essentiel de percevoir la diversité de toutes ces cultures. Il faudrait éviter l’écueil de tout globaliser dans une culture qui serait celle des pays d’Afrique parlant le Portugais. Il serait en effet dommage de ne pas distinguer les subtilités culturelles inhérentes à chacun des pays concernés, et qui font leur richesse.

C’est pour cette raison aussi que je tenais à parler d’Africa Negra, car finalement, l’archipel de São Tomé-et-Príncipe demeure peu connu. On me demande souvent quelles étaient les anciennes colonies portugaises sur le continent africain. Si l’on se souvient facilement du Cap-Vert, de l’Angola, il n’en est pas de même pour cette petite île de 200 000 habitants, au milieu du Golfe de Guinée.

Quoiqu’il en soit, Africa Negra, en tant que formation musicale essentielle de São Tomé-et-Príncipe, contribue à la diversité de la Lusophonie. La reconnaissance de ces musiciens permet la visibilité de la singularité culurelle des Santoméens, et à travers cela, la prise en compte d’une culture créole, riche et variée, mêlée d’Afrique et de Portugal, et de tant d’autres influences.
Peut-être que le fait de jouer pour la première fois de leur vie dans un pays européen autre que le Portugal, au festival Wassermusik de Berlin, le 2 août 2014, est une première voie vers une plus grande reconnaissance?

Le groupe Africa Negra a Berlin en août 2014
Le groupe Africa Negra à Berlin en août 2014

Je me permets d’ailleurs de remarquer qu’à l’occasion des 40 ans de la Révolution des Oeillets, le festival a été dédié à la Lusophonie, et non uniquement au Portugal. C’est dire la perspicacité des organisateurs de dépasser le simple point de vue européo-centré pour avoir une réflexion globale des échanges culturels.

Africa Negra s’est également produit quelques jours auparavant au Festival des Musiques du monde de Sines (une référence!) le 23 juillet 2014. Ils n’avaient alors plus joué au Portugal depuis les années 80.

[Le festival a mis en ligne un extrait vidéo de leur concert, avec un petit résumé de leur histoire en voix off.]

En guise de conclusion à ce billet un peu long, j’aimerais citer une anecdote concernant la chanson Alice et relatée dans ce blog de la radio (elle aussi internationale) Voice of America :

« Alors qu’ils allaient monter sur scène un vendredi soir quelque part dans une banlieue de  São Tomé, un jeune homme désespéré s’est approchant de Leonildo Barros pour lui demander un service. Il lui a expliqué qu’en se rendant aux « fundoes* », une dispute assez sérieuse a éclaté entre sa petite-amie et lui, mettant fin à leur relation. La seule façon de la récupérer serait que le groupe chante une chanson d’amour à Alice, sa désormais ex-petite-amie. Leonildo a bien protesté qu’ils allaient monter sur scène, qu’ils n’avaient pas de parole, ni même le temps de chercher un thème pour improviser. Le jeune homme a insisté, promettant de payer sa tournée de bière à tout le groupe si ce dernier l’aidait dans son entreprise. Vers la fin du concert, Leonildo et le groupe ont improvisé le morceau désormais connu sous le nom d’Alice. »

Et pour les curieux qui comme moi s’intéressent aux musiques du monde en général, ou aux musiques de la Lusophonie en particulier, quelques recherches vous permettront d’écouter en ligne les jolies mélodies chaloupées d’Africa Negra!

*fundoes : Les fundoes étaient des bals en plein air qui réunissaient les différentes communautés locales : les métisses, les descendants des colons portugais et les esclaves africains, les Angolares, descendants des esclaves angolais ayant fait naufrage et se réfugiant dans les communautés de pêcheurs de la zone sud, et les descendant des travailleurs capverdiens et moçambicains qui étaient venus travailler dans les plantation de café et de cacao de l’île.
Source : https://www.buala.org/pt/palco/africa-negra


De Lisbonne à Timor, la Lusophonie comme espace culturel

Soleil couchant au 25 de Abril
Soleil couchant sur le pont 25 de Abril

Une légère brise souffle sur la ville de Lisbonne.
Le Tage s’écoule, imperturbable, vers l’Atlantique.
J’entends des voix qui résonnent le long des murs recouverts d’azulejos. Elles parlent une langue chaude et douce, qui se plisse, se recroqueville, puis se déroule. Les sonorités latines décorées d’arabesques sont chargées de la mélancolie et de la détermination qui accompagnèrent il y a tant d’années le départ des caravelles.

C’est l’histoire d’un peuple qui ne cesse de partir.
Une identité qui se vit comme déterritorialisée.
Par leurs découvertes, les marins lusitaniens ont « offert le monde au monde ». Orgueil d’un petit peuple qui cherchait la gloire pour exister. Mais funeste destin de ces contrées nouvelles, quand la traite négrière devint la principale finalité de ces aventures.

Le regard perdu vers l’horizon, je pense apercevoir de nouveaux mondes, et je me demande ce qu’il est advenu des caravelles.

J’entends encore ces voix, cette langue qui est comme le remous des vagues.
Ils sont nombreux, finalement, à la parler : Portugal, Brésil, Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Mozambique, São Tomé-et-Príncipe, jusqu’au Timor Oriental. Dans tous ces pays, aux cultures si variées, ils parlent cette langue qui, comme la mer, berce l’âme. Toutes ces anciennes colonies, au passé si humainement tragique, enrichissent de leur culture toute une communauté lusophone.

Croix solitaire faisant face à l'océan
Croix solitaire faisant face à l’océan

Finalement, c’est avec cet héritage que les caravelles sont revenues. Car du malheur de ces anciennes colonies est né un métissage culturel passionnant, et transcontinental. Le Brésil en est un exemple étonnant. On retrouve dans sa musique toute l’influence des rythmes africains, de la langue portugaise, des traditions indigènes.

[Le Canto das Três Raças, chanté par Clara Nunes, illustre très bien le mélange culturel du Brésil]

Curieusement, cet aspect musical de la lusophonie est très présent en France. L’attrait des Français pour les musiques du monde en est une raison probable. Que l’on songe au succès d’une Césaria Evora, d’un Gilberto Gil, d’une Cristina Branco, et dans une moindre mesure, de Bonga Angola, Mayra Andrade ou Flavia Coelho, qui tous ont leur public en France! Pourtant, même s’il nous est plaisant de danser sur les rythmes brésiliens, angolais ou encore capverdiens, que connaissons-nous réellement de leur culture, de leur histoire, de leur pays? Malheureusement, peu de choses…

[En témoigne la présence de Cesaria Evora, capverdienne, et Bonga Angola, angolais, chantant ensemble le morceau Saudade sur un plateau de télévision français.]

Cependant, en 2015, la plupart des pays lusophones d’Afrique fêteront les quarante ans de leur indépendance. Un pays comme l’Angola prend de plus en plus d’importance dans la vie du continent africain, sans pour autant connaître de réel progrès démocratique. De son côté, le Mozambique procède à une  élection présidentielle bien compliquée, faisant craindre le retour d’une guerre civile qui déjà a fait des ravages dans les vingt dernières années qui ont suivi l’indépendance du pays.

Malgré des situations dramatiques, des initiatives existent, des décisions sont prises, des actions sont faites pour les populations, donnant l’espoir, tout de même, d’un futur meilleur. A São Tomé-et-Príncipe, par exemple, la première université publique vient d’ouvrir le mois dernier.

Alors que je fixe un lointain voilier sur l’océan, je perçois une légère mélodie de guitare portugaise. J’entends claquer des draps aux fenêtres. Et, toujours le doux chuintement de la langue portugaise, si discrète, si riche!

Chaises vides ur le Tage
Chaises vides ur le Tage

Oui, les caravelles sont revenues, ramenant avec elles un monde nouveau, celui de la lusophonie. C’est mon monde à moi, partagé dans le même temps par des millions de locuteurs sur tous les continents. La beauté d’une langue qui s’est faite monde. Tantôt souriante au Brésil, chaleureuse en Angola, mélancolique au Portugal, une langue comme un océan, qui nous transporte d’aventures en aventures et de découvertes en découvertes.

Les caravelles sont revenues avec, dans leur ventre, un monde entier où je me sens chez moi. Et chez moi, c’est cette lusophonie et cette saudade qui m’accompagnent partout. Les mêmes qui ont accompagné mes grands-parents du Portugal à l’Angola, puis en France. Et qui m’accompagnent aussi, Français et Portugais, naviguant régulièrement entre les deux pays.

Face à moi, je regarde l’océan. La légère brise de fin d’après-midi s’est tue, et avec elle le doux murmure des rues lisboètes. Le Tage, lui, continue sa route vers l’océan, imperturbable, emportant avec lui la douce langueur des arabesques lusitanes.

Photographies : Ré Mokta