Raj Jugernauth

Ile Maurice : Quand des touristes découvrent la culture du pays et la marijuana

Les touristes des hôtels de plage de l’ile Maurice savourent le paysage paradisiaque et l’hospitalité mauricienne en se cantonnant dans le luxueux cocon sécurisé de ces établissements. Certains vont cependant à l’aventure et sont accueillis en roi dans les rustiques foyers du petit peuple pour des voyages initiatiques souvent agrémentés de rhum-coca et parfois de cannabis.

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Les éblouissantes plages de l’île Maurice sont quasi désertes en jour de semaine. Photo : Raj Jugernauth

Assis sur la blanche plage de Mon Choisy, j’écris ces mots. Le doux susurrement du vent dans les vertes brindilles des casuarinas élancés est interminable. A I’ile Maurice tout le monde appelle filaos ces arbres de bord me mer. Mais peu d’élus arrivent à percevoir leurs chants.

Quelques touristes silencieux sont installés sur des transats un peu plus loin et se bronzent aux reflets de ce lagon tantôt émeraude, tantôt turquoise de l’océan Indien qui bagne tout le littoral de l’île Maurice.

Le parfum des crèmes solaires occupe déjà une partie de l’éblouissante longue plage, désertée en jour de semaine.

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Colporteurs, skippers, tours opérateurs proposent inlassablement leurs marchandises et services aux touristes sur la plage. Photo Raj Jugernauth.

Tout à l’heure, un Mauricien, croulant presque sous le poids  de ses sacs est venu jusqu’ici. Il a passé des heures à déballer et remballer ses pacotilles – des coquillages, des colliers en tout genre, des paréos et des t-shirts. Des produits souvent faits maison.

Il n’a intéressé aucun des rares touristes.

Il est vite reparti vers d’autres plages, à la recherche d’une de ces ventes miraculeuses dont parlent les colporteurs de plage qui rêvent tous de belles maisons et de voiture.Comme toute l’ile Maurice d’ailleurs.

Une vieille dame, la soixantaine bien sonnée, de petite taille, fluette, à l’aspect délicat et portant sari est arrivée à son tour.

Un énorme sac en toile de jute posé en équilibre sur la tête, elle propose des fruits locaux : ananas, bananes, letchis, mangues, papayes qu’elle lave et découpe sur place pour ses clients. Elle a eu un peu plus de succès que le marchand de collier.

Ils sont nombreux ces colporteurs, skippers, tours opérateurs qui inlassablement proposent leurs marchandises, des sorties en mer, des parties de pêche et une multitude de services aux touristes sur la plage de Mon Choisy, mais aussi celles de Trou-aux-Biches, Grand-Baie, Belle-Mare, Flic-en-Flac, Blue-Bay, Le Morne, l’Ile-aux-Cerfs…

Bref, tout autour de l’ile Maurice. Ils sont souvent chassés par la sécurité de ces hôtels de luxe qui ont poussé comme champignon sur le littoral.

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Certains touristes ne se cantonnent pas dans le luxueux cocon des hôtels. Ils vont à l’aventure. Plage du Morne-ile Maurice. Photo ; Raj Jugernauth

Certains de ces colporteurs ou skippers arrivent en titubant presque. On dirait des égarés. Ils parlent et déballent leurs marchandises presque au ralenti.

Ceux-là offrent souvent de la marijuana (appelée gandia à l’ile Maurice et dont la dépénalisation est sans cesse réclamée par des groupes de rastas du pays).

Ces commerces illicites tournent souvent au harcèlement. Quelques fois au vol et à l’arnaque, car le gandia n’est souvent que des feuilles de papayers séchées et réduites en petit morceaux.

Mais les marchands des plages de l’île Maurice sont en général honnêtes, travailleurs et humbles.

Il arrive que des amitiés se tissent entre ces blancs venus d’ailleurs et les colporteurs mauriciens qui ouvrent alors les portes de leurs pauvres demeures à ces riches amis venus d’horizons lointains.

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Le jour se lève sur la plage de Belle-Mare, île Maurice. C ‘est une aventure qui commence pour les touristes téméraires. Photo Raj Jugernauth

Les touristes s’embarquent alors dans un tout autre voyage pour découvrir la culture et l’hospitalité peuple de l’ile Maurice, ses mœurs, ses coutumes, ses croyances, son folklore, sa cuisine, son cari tangue, son rhum-coca, ses dholl puri, et quelques fois sa marijuana fumée de plus en plus dans des bongs à eau depuis l’interdiction du papier à rouler à Maurice, ou encore consommée sous forme de bhang, préparation à l’indienne avec du lait, les feuilles et fleurs de la plante femelle du cannabis.

Les effluves et la fumée du cannabis n’arrivent cependant pas à cacher les misères, les vies ruinées et précaires, les rêves brisés, ainsi que les faux espoirs de ces petites gens presque pas scolarisés et engagés dans une économie informelle.

Ils forment toute une race dans laquelle on retrouve des personnes venant de différentes ethnies, de différentes cultures et de différentes religions.

Ces gens de peu sont des débrouillards, mais sont aussi et surtout des gens sans voix.

Je les regarde déambuler sur la plage et je me remémore des écrits de l’ethnographe David M. Fetterman et le sociologue Sudhir Alladi Venkatesh qui a été rendu célèbre par ses ethnographies, notamment à travers son ouvrage Dans la peau d’un chef de gang (Gang leader for a day, en anglais).

C’est David M. Fetterman qui a dit que l’ethnographie offre au peuple le moyen de s’exprimer à partir du milieu dans lequel ils vivent.

Il dit aussi que l’ethnographe doit s’appuyer sur des citations verbatim et des descriptions en profondeur de la vie de tous les jours de ces gens et que le récit doit être écrit à travers leurs regards.(Fetterman in Ethnography – Step-by-Step, Overview-First Step, page 2, 3e Edition, 2010 by SAGE Publications, Inc)

Ce sont en fait des récits de vie de ces gens de peu, des ethnographies réalisées dans les règles qui parsèmeront, entre autres, ce blog que j’ouvre avec beaucoup de retard aujourd’hui après ma sélection par RFI au concours Mondoblog.

En attendant, le prochain billet ethnographique sur un de ces colporteurs, un diaporama sur le lever et le coucher du soleil à l’ile Maurice est en préparation.

NB L’accent circonflexe n’a pas été utilisé sur le « i » de « ile Maurice », comme le permet la réforme de la langue française, afin de faciliter le référencement du blog.