Roméo Taka

Il était une fois : 1990

L'enceinte mythique du Stade Omnisports de Yaoundé
Crédits photo: Mboafootball.com

 

Imaginez-vous un instant dans la peau d’un reporter, parcourant les rues de Douala micro à la main dans le cadre d’un vox-pop portant sur le thème: « Quel est l’évènement qui vous a le plus marqué en 1990 ? ». Techniquement, la majorité des camerounais serait incapable de répondre à pareille question… La faute à une pyramide des âges qui fait du Cameroun l’une des populations les plus jeunes au monde, à en croire les chiffres très officiels du dernier recensement. Certes, pour ceux d’entre nous qui sont assez vieux pour s’en souvenir, cette année a vu se produire des bouleversements politiques majeurs. Beaucoup se souviendront sans doute du début de la marche forcée du régime Biya vers le multipartisme, dans ce climat de contestation, d’agitation et de terreur qui caractérisera plus tard les « Villes mortes ». Une toute petite poignée de gens, un peu plus érudits, évoqueront peut-être au passage la chute du Mur de Berlin et sa portée symbolique. Mais dans leur immense majorité, les camerounais ne manqueront pas de plébisciter un évènement en particulier, un moment gravé à jamais dans leur mémoire collective.

 

Le théâtre de cette scène légendaire est un stade de football. Pour qui connaît la passion sans limites que les camerounais vouent à ce sport, cela n’a rien de surprenant. Pourtant, c’est bien la surprise qui transparaît dans les commentaires de la presse sportive mondiale en cet été 1990. Déjouant tous les pronostics et terrassant au passage l’Argentine de Diego Maradona, tenante du titre, une équipe africaine est parvenue à se hisser au 2e tour de la prestigieuse Coupe du Monde de football. Une sélection qui porte désormais, telle un étendard de guerre, les rêves de tout un peuple et-comme souvent en Afrique- les espoirs de récupération d’une classe politique en mal de popularité. Qu’à cela ne tienne : en cet après-midi du 23 Juin, c’est l’« union sacrée » autour des Lions Indomptables. Les uns, l’oreille collée à leur poste radio, suivent religieusement les commentaires du match, débités d’une voix haletante par l’un des duos les plus fameux de la scène médiatique camerounaise : les inséparables Fon Echekiye et Jean-Lambert Nang. D’autres, bien plus chanceux, ont les yeux rivés sur les images en couleur diffusées par la CRTV. Tous ont le cœur qui bat la chamade, et pour cause : dans ce match au couteau face à la Colombie, tellement serré qu’il a dû se prolonger au-delà des 90 minutes réglementaires, les Lions ont pour l’instant un but d’avance : un avantage qui paraît bien fragile face à un adversaire de cette valeur. Car, si les Sud-Américains peuvent compter sur l’inspiration de Carlos Valderrama, leur meneur de jeu, ils ont également un véritable cerbère dans leurs buts: René Higuita, un des gardiens les plus spectaculaires que la compétition ait connus. Certes, il a déjà dû s’incliner une fois dans ce match, mais cela n’a entamé ni sa confiance, ni son goût de la démesure. Ce qui l’amènera plus tard, à la réception d’une passe en retrait d’un défenseur colombien, à tenter un dribble audacieux face à un attaquant adverse qui fonçait droit sur lui. Celui-là même qui justement, l’avait déjà envoyé chercher le ballon dans ses buts quelques minutes auparavant. Ce vieux lion qui, après 25 ans passés à rouler sa bosse sur les terrains, semble retrouver lors de ce Mundiale une seconde jeunesse. Aux dépens des défenses adverses.

 

https://www.youtube.com/watch?v=PYZ8fhR5TuA

 

La suite, les camerounais la connaissent tous ou presque. Le geste opportuniste de l’attaquant pour subtiliser le ballon au gardien colombien. Le but libérateur inscrit l’instant d’après dans la cage vide. Les pas de danse endiablés exécutés au point de corner devant le public du stade San Paolo de Naples, définitivement conquis par la classe et l’élégance de ce joueur. Le match héroïque qui verra par la suite l’équipe du Cameroun quitter la compétition en quarts, avec les honneurs. L’accueil triomphal de la sélection au bercail, dans la fierté et la liesse populaires. Epilogue d’une aventure qui pour certains, mieux que ne l’aurait fait une quelconque guerre ou un hypothétique mythe fondateur républicain, aura contribué à forger l’idée d’une nation camerounaise unie au-delà de ses contradictions, dans une époque pourtant très tourmentée.Cependant, victimes de leur propre succès, les Lions Indomptables et le football camerounais en général allaient devenir, au cours des années suivantes, un véritable instrument de diversion entre les mains des politiques, au fur et à mesure que les problèmes économiques et sociaux s’aggravaient. Une situation qui perdure encore aujourd’hui.

 

 

En photo avec le légendaire Roger Milla
En photo avec le légendaire Roger Milla

 

Ce dimanche donc, l’antre surchauffée du Stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé verra s’écrire, quoi qu’il arrive, une page marquante de l’histoire du football camerounais. En effet, un éventuel triomphe face à l’équipe tunisienne ferait écho au passé glorieux des Lions Indomptables, lorsqu’ils justifiaient encore si bien ce surnom sur les terrains du monde entier… Un âge d’or qui paraît aujourd’hui bien loin aux yeux de nombreux camerounais, désillusionnés au fil des échecs successifs de « leur » sélection dans les joutes internationales. Alors forcément, au bout de onze années de disette (autant dire une éternité ici), les matches des Lions ne suscitent plus autant de ferveur et d’enthousiasme que par le passé. A la veille de ce match, dont l’enjeu n’est ni plus ni moins qu’une qualification pour la prochaine Coupe du monde au Brésil, les supporters ne se montrent pas particulièrement expressifs, ici dans la capitale. Les maillots et les fanions aux couleurs Verts- Rouge- Jaune ne se vendent plus aussi bien, foi du commerçant du Marché Central ou du sauvetteur de Mokolo. Le souvenir du match décisif de 2005 face à l’Egypte, où ils avaient vu leur équipe se faire coiffer au poteau de la course au Mondial par les Eléphants de Côte d’Ivoire, hante encore les mémoires des aficionados. Et ils sont d’autant plus inquiets que, lors du 1er acte de cette confrontation, à Tunis, les coéquipiers de Samuel Eto’o sont passés près de la correctionnelle. De quoi tempérer la déception d’un éventuel échec ? Impossible de le prédire à l’avance. Comme la violence des spectateurs de Mfandena en 2005, fous de rage au point de cribler de pierres le bus des joueurs après le match maudit. Pour autant, n’allez surtout pas les croire résignés. Vous devez connaître, vous aussi, cet adage qui fait florès au Mboa, chaque fois que les Lions se retrouvent dos au mur : « Impossible… n’est pas camerounais ! »

See ya 🙂 !!


Le chauffeur, le client et le flic : scènes de taxi camerounaises

Crédits photo : Elin B/ Flickr

Yaoundé, un lundi ensoleillé du mois d’août. Il est presque 7 heures à ma montre lorsque je descends d’une vieille Toyota Corolla AE92 qui vient de garer là, en face de la Poste centrale, en plein cœur de la capitale. Terminus d’un trajet qui a commencé à 3 km de là, au carrefour Emia. L’instant d’après, je tends une pièce de 100 F Cfa au conducteur, qui redémarre aussitôt son bolide jaune en trombe. Normal. Car le temps d’un chauffeur de taxi, ici comme ailleurs, vaut de l’or. Toute la journée, il va devoir braver l’âpreté du trafic routier, les caprices de la météo. Et en prime, la susceptibilité de passagers qui ne paient pas toujours très bien…Sans jamais se plaindre plus que de raison, car pour reprendre une rengaine commune à de nombreux Camerounais par ces temps de galère, « le dehors est dur, mais on va faire comment ? » Il faut bien gagner sa vie. Certes, ce métier n’est pas le moins ingrat de tous, sous nos latitudes tropicales. Mais il offre aux taximen une vue imprenable sur les soubresauts de la société camerounaise.

Fatalement, au gré de ses pérégrinations à travers les rues poussiéreuses de nos grandes villes, le taximan fait de nombreuses rencontres. Généralement brèves, souvent fortuites, mais d’une incroyable diversité, elles sont une source intarissable d’anecdotes qui nourrissent notre imaginaire collectif. Des histoires, un taximan de chez nous peut vous en raconter des centaines, toutes plus cocasses les unes que les autres. Cependant, s’ils en sont souvent eux-mêmes des protagonistes, ils se donnent très souvent le beau rôle. Je vous propose donc de revisiter quelques-unes de ces scènes de taxi, vécues depuis le siège passager. Avec au menu du casting, des personnages très familiers.

 

Le client indélicat.

 Que ferions-nous sans nos chers amis les taximen ? Dans un pays où (crise oblige) seule une minorité de contribuables peut s’offrir le luxe d’acheter et d’entretenir une voiture, le taxi est une véritable panacée. Un moyen de transport plébiscité par tous les Kmerounais, indépendamment de l’épaisseur de leur portefeuille en fin de mois. En théorie donc, en signe de reconnaissance pour ce quasi-sacerdoce, le passager de taxi devrait être un client sans histoires. Un partenaire compréhensif plutôt qu’un adversaire. Ce d’autant plus, qu’à cause des derniers accès belliqueux du pays de l’Oncle Obama dans plusieurs pays membres de l’Opep, le prix du carburant a explosé, au point de nous faire frôler le chaos en 2008. Et pourtant, que nenni. Le passager de taxi, en bon homo œconomicus, en veut toujours autant voire plus, pour le même tarif que jadis. Bien sûr  je plaide le 1er coupable, moi, l’adulescent fauché qui est bien heureux de pouvoir rallier le centre-ville tous les matins après avoir proposé : « 100F, Poste ! ». Mais certains clients sont d’un tempérament difficile. Voire insupportable. Tenez par exemple, cette dame au physique généreux, vêtue dans un magnifique tailleur rouge, qui stoppe le taxi où vous venez vous-même d’embarquer. Assis à la cabine, avec trois autres passagers à l’arrière, vous ne demandez qu’à continuer à occuper votre siège. « 100 F, Total Melen ! », tonne-t-elle d’une voix ferme. Le chauffeur acquiesce d’un klaxon, et gare son véhicule pour embarquer celle qui va partager votre fauteuil (et votre inconfort) pendant la moitié du trajet. Mais vous vous dites qu’après tout, il n’y a pas de quoi se plaindre puisque « l’essentiel, c’est d’arriver ». Quinze minutes plus tard, c’est le terminus pour la dame, et vous poussez un soupir anticipé de soulagement. Elle a l’air franchement contrariée lorsque le chauffeur stoppe son véhicule au lieu indiqué puis, après quelques secondes d’incompréhension, lui demande gentiment : « Madame, nous voici à Total Melen, non ? Vous ne descendez pas ?».

–       Pardon, excusez-moi hein, chauffeur. Moi je descends au marché Melen.

Au taximan incrédule qui s’indigne d’une telle désinvolture, prenant à témoin les autres passagers pour attester qu’il a encore toute son ouïe, la dame en rouge répond par le même leitmotiv : « J’ai dit : marché Melen. Si vous avez mal entendu, c’est votre problème ». Piqué dans son orgueil, l’homme au volant conserve néanmoins son sang-froid et consent à déposer sa cliente espiègle où elle le souhaite. Il se croit arrivé enfin au bout de ses peines lorsque, au moment de quitter le véhicule, celle-ci lui porte l’estocade : à travers la vitre baissée, elle lui tend un billet de 1000 F Cfa. Et demande la monnaie avec le plus grand flegme. Evidemment, cette dernière incartade a raison de la patience du bonhomme. Je vous épargnerai volontiers la suite, qui se résume à un échange de noms d’oiseaux empruntés autant au français qu’aux langues maternelles des deux personnages. Mais une chose est sûre : le client de mauvaise foi est certes le cauchemar des taximen, mais aussi un mal nécessaire…

 

Le policier affamé

« Mbéré », « gnè », « mange-mille » : notre camfranglais national est d’une richesse inégalée quand il s’agit de dénigrer les hommes en tenue, ces représentants mal-aimés de la loi. Abhorré du citoyen lambda, le policier l’est encore plus du chauffeur de taxi indélicat. Celui-là qui, tel un cow-boy qui aurait égaré son colt en plein Far-West, se risque à prendre la route sans l’indispensable paperasse qui va avec. Une aubaine pour le flic qui, posté en embuscade sur les axes névralgiques de Yaoundé, Douala ou encore Bafoussam, n’attend que çà. « Erreur from Mboutoukou, na ndame for Ndoss », chantait déjà Lapiro de Mbanga dans l’un des refrains les plus populaires de la chanson camerounaise. Ainsi, lorsqu’il aperçoit un policier de loin, le taximan fautif ne peut s’empêcher de faire la moue, puis de pousser un soupir de dépit. Un rictus qui se change vite en un sourire complice, une fois à portée du regard inquisiteur du flic. Accompagné d’une formule de politesse convenue – « Bonjour, Chef ! »- qui sent la tentative de corruption à mille lieues à la ronde. Généralement, l’autre reste imperturbable et demande aussitôt, d’un ton machinal : « Je peux voir vos papiers, SVP ? ». Evidemment, le résultat de cette vérification est connu d’avance des 2 vis-à-vis, et ce dès le premier regard échangé : pièces manquantes. S’ensuit une pantomime dont le seul but est de masquer au regard du passager que je suis, l’échange de bons procédés qui va se faire, en sous-main, entre le taximan et l’agent de police : « Tu me laisses passer, je te donne ta bière ». Affaire réglée. Il ne faut donc pas s’y méprendre : même s’ils nous laissent penser le contraire, le policier affamé est le meilleur acolyte du taximan [négligent]. CQFD.

 

Evidemment, cette galerie de scènes de taxi est loin d’être exhaustive: je pourrais vous parler encore de la Grand-mère, cliente plus susceptible qu’elle n’en a l’air ; de l’Opposant, cet écorché vif qui exprime sans retenue son ras-le-bol du « R », au risque d’effrayer les autres passagers ; du Bendskineur, kamikaze sur deux roues et meilleur ennemi du taximan…Mais si ce post vous a donné envie de découvrir plus en profondeur l’univers des chauffeurs de taxi africains, vous pouvez toujours déguster ce savoureux billet du grand-frère Alimou Sow sur les taximen de Conakry, ou cet article sur les déboires de leurs collègues dakarois ; ou encore, si vous en avez le temps, parcourir ce roman de Gabriel Kuitche Fonkou sur les taxis du Mboa. A vous de voir… 🙂


Ma Rivière aux Crevettes

"Douala" par Alexandre FERNANDEZ via Flickr, CC BY-NC-SA 2.0
Crédits photo: Alexandre FERNANDEZ via Flickr

Mondoblog… Quel bonheur de pouvoir entrer dans cette grande famille, qui réunit des gens venus des quatre coins du monde, unis par le plaisir exquis de partager leur vécu! En effet, nous avons tous une histoire personnelle à raconter sur Mondoblog. Elle s’écrit au jour le jour, au gré de nos découvertes, de nos voyages, de nos rencontres. Pour ce billet (le premier d’une très longue série, je l’espère! ), je vous propose donc de découvrir l’article par lequel tout a commencé. Celui qui me vaut l’honneur d’être parmi vous. J’y clame toute l’affection que je porte à ma ville d’origine, Douala, au moment de la quitter pour aller vivre à Yaoundé, la capitale.

 

Douala.

Je suis bien le fruit des entrailles de cette ville au tempérament volcanique. Une mosaïque de cultures et de sensibilités s’est agglutinée au fil des décennies dans ce creuset urbain. Sur ce rivage, dans la chaleur étouffante qui y règne en permanence, les gens vont et viennent. Se rencontrent et se parlent. Partagent leurs histoires, passions, mythes et aspirations avec une ardeur frénétique.
L’un des plus beaux symboles de cette identité commune est un club de foot : l’Union Sportive de Douala. Le seul nom de cette équipe est une métaphore de sa formidable aura fédératrice. En effet, les Nassara peuvent se targuer d’être l’un des rares clubs à recruter des supporters au-delà de tous les clivages qui traversent la société camerounaise. Après le faste des années 80, marquées notamment par deux titres continentaux, le club a connu une longue convalescence… avant de renouer avec le succès l’année dernière, en remportant un nouveau titre de champion. Cette victoire a été fêtée avec ferveur par les très nombreux fans du club, réunis momentanément dans leur diversité sociale, ethnique, idéologique. A l’image de la ville elle-même.

 

Diversité.

J’ai grandi dans cette métropole aux multiples visages. Pendant toute ma jeunesse, au gré de la fortune familiale, j’ai du émigrer sans cesse d’un coin à un autre de cette ville tentaculaire. J’ai pu arpenter à longueur de journée ses sissonghos , ses mapanes, ses ruelles malpropres, ses quartiers huppés, ses carrefours bondés aux heures de pointe. Tous les matins, une foule bigarrée déferle, à travers les principales artères, sur le centre-ville et les quartiers commerçants. Et reflue en masse vers la périphérie le soir, ce qui ne manque pas d’engendrer des bouchons monstrueux.

La Nouvelle Liberté par Joseph-Francis Sumégné, Douala, 1996 / Photo by Kamiel Verschuren/ Courtesy doual'art / via Wikimedia Commons, CC-BY-SA-3.0
Crédits photo: Kamiel Verschuren/ Courtesy doual’art / via Wikimedia Commons

Car Douala est une ville surpeuplée. Plus de deux millions d’âmes y cohabitent, unies par un instinct farouche de survie. Les populations, arrivées par vagues successives de l’arrière-pays, s’y regroupent souvent en fonction de leurs affinités linguistiques. Ce qui n’exclut pas une certaine mixité. A New-Bell, l’un des quartiers populaires de Douala, vous retrouverez côte à côte les principales communautés : Béti, Bassa, Bamiléké, Nordistes, Anglos et autres se croisent entre des habitations sommaires et resserrées. En vous promenant à pied, vous pouvez rencontrer là, à quelques dizaines de mètres d’intervalle, des temples protestants, des minarets, des chapelles catholiques. Mais aussi, voir l’opulence la plus insolente et la misère la plus criarde se tutoyer du regard. C’est aussi cela, la diversité…

 

Débrouillardise.

S’il y a une vertu commune aux habitants de Douala, sans doute mieux partagée que les revenus, c’est bien celle-là. Le système D. Mise à part la caste très fermée des cols blancs et des cadres, qui étalent parfois leur aisance avec ostentation, l’immense majorité de la population doit suer sang et eau pour gagner sa vie. Et çà se voit. Déambulant le long des rues, installés sur la chaussée ou entassés dans des hangars, les gens se livrent à une ribambelle d’activités économiques. Et en inventent sans cesse de nouvelles, qui défieraient votre imagination la plus féconde.

J’ai eu tout le loisir de contempler avec fascination, les diverses manifestations de cette créativité débordante. Flâner à travers Akwa, le quartier des affaires, en faisant du lèche-vitrines. Me faire aborder par les revendeurs de téléphones de Dubaï, qui vous proposent le dernier bijou high-tech à un prix si dérisoire qu’il vous paraît suspect. Marchander de la fripe de premier choix avec les sauvetteurs au beau milieu du Rond-point Dakar. Me faufiler entre les étals des bayam-sellam du Marché Central, chargés de légumes ou de poisson frais… Et c’est là, pour moi, le plus grand charme de cette ville qui aura forgé mon tempérament au cours des 25 dernières années. C’est cet endroit, que j’aime de toutes mes tripes, que je vais devoir quitter demain. Pour aller vivre à Yaoundé.

 

Déracinement – Découverte.

Demain, je vais rejoindre la cité qui toise sa rivale côtière du haut de son piédestal de capitale politique. « Quand Yaoundé respire, le Cameroun vit », clament pompeusement les natifs de cette ville à tous ceux, venus d’horizons divers, qui y débarquent pour la première fois. Ce ne sera que mon quatrième séjour à Ongola, mais ce sera de loin le plus prolongé, peut-être le plus périlleux ? Je ne sais pas d’où me vient cette méfiance instinctive. Peut-être de l’impression laissée par mon premier contact avec Yaoundé, il y a deux ans… Des rues spacieuses et propres, qu’on croirait tracées au cordeau. Des gens aux manières polies, qui circulent d’un pas pressé au cœur d’un centre-ville aux bâtisses impressionnantes. Des chauffeurs de taxi d’une humeur décidément très joviale, débarrassés qu’ils sont de la concurrence des bend-skin, qui font littéralement (pour combien de temps encore ?) la pluie et le beau temps à Douala.

Yaoundé par Ville Miettinen via Flickr, CC BY-NC 2.0
Crédits photo: Ville Miettinen via Flickr

Au premier abord donc, Yaoundé m’a paru tiède, distante. Peut-être cette sensation s’avèrera-t-elle fausse à force d’y passer du temps et de découvrir ses charmes, par exemple la raison pour laquelle on la surnomme « la Ville aux Sept Collines » ? Et puis… ai-je le choix, de toute façon ? Je suis condamné à m’enraciner dans cette terre nouvelle. Car je viens pour y travailler, et tenter de démarrer véritablement ma vie d’adulte. Déterminé à braver toute la solitude que l’on peut ressentir dans un lieu peu familier. Et armé de cette pugnacité caractéristique de tous les rejetons de Douala, cette ville rebelle où dès le berceau, on apprend à jouer des coudes pour se faire une place au soleil de la vie.

 

Notes explicatives:

Rivière aux crevettes : référence à la légende qui  veut que Fernando Poo, le premier européen à avoir atteint l’estuaire du fleuve Wouri (qui baigne la ville de Douala) au XVe siècle, l’ait baptisé en portugais « Rio dos Camarões », c’est-à-dire « rivière des crevettes »-ce qui donnera naissance plus tard au nom « Cameroun ».

Nassara : nom des joueurs de l’Union de Douala. A l’origine, le mot vient de la langue bassa et désigne les gens de race blanche. Il a fini par être utilisé en référence aux couleurs du club, où le blanc prédomine.

Sissonghos : espèce végétale locale, herbe qui envahit les nombreux terrains vagues des bidonvilles de Douala. Désigne donc par extension ces endroits souvent enclavés et mal famés.

mapanes : mot de camfranglais qu’on peut traduire ici par « raccourcis » ou « chemins de traverse ».

Sauvetteurs : vendeurs à la sauvette.

bayam-sellam : mot de pidgin qui signifie littéralement « ceux qui achètent et vendent ». Revendeurs de vivres frais, très souvent des femmes.

Ongola : autre nom de la ville de Yaoundé, datant de l’époque pré-coloniale.

bend-skin : surnom local des conducteurs de motos-taxis.