Sékou Chérif Diallo


Guinée : fraude à la Constitution en cours

Très tôt « Sacralisée » « Fétichisée », la Constitution en Afrique est « devenue un texte ordinaire voire banal. L’entêtement d’Alpha Condé de vouloir instrumentaliser la Constitution pour briguer un troisième mandat expose la Guinée aux démons des crises politiques majeures dans une sous-région confrontée à la montée du terrorisme dans un contexte de pauvreté grandissante.

« Le Président de la République a pris acte de la volonté librement exprimée par la totalité de membres du Gouvernement de s’inscrire résolument dans la dynamique du Référendum pour une nouvelle Constitution reflétant l’aspiration légitime du Peuple de Guinée à se doter d’institutions et de lois plus adaptées à l’évolution de la situation socio-économique ». Ce compte rendu du Conseil des ministres de ce jeudi, 27 juin 2019 est la suite logique d’un projet qui connait déjà plusieurs épisodes (démission du ministre de la justice dans une lettre publiée le 27 mai 2019, création d’un front national pour la défense de la constitution le 3 avril 2019, répressions de membres de ce front à N’Zérékoré le 14 juin 2019 soldées par de morts et plusieurs blessés, organisations de mouvements de soutien au projet de nouvelle constitution par les membres du gouvernement…).

Depuis plusieurs mois, ce débat fait rage en Guinée. Élu président de la République en 2010 dans des conditions invraisemblables émaillées de fraudes, puis réélu en 2015 pour un deuxième et dernier mandat de 5 ans, Alpha Condé, « opposant historique », labelisé « premier président élu démocratiquement de la Guinée » est aujourd’hui âgé de 83 ans. S’il ne s’exprime pour l’instant sur le sujet que de manière très elliptique, Alpha Condé lors d’un entretien télévisé accordé à des journalistes sénégalais en avril 2019, affirmait « S’il y a modification de la Constitution, il y a troisième mandat. S’il n’y a pas de modification de la Constitution, il y a mandat ou pas ».On comprend aisément la démarche. Une gymnastique juridique déjà expérimentée dans d’autres pays, qui consiste à proposer une nouvelle Constitution à la place de la modification de celle en vigueur. L’objectif visé est de permettre aux législateurs de jouer sur la notion de non-rétroactivité de la loi.

Faure Gnassingbé, Idriss Déby … des mandats présidentiels limités mais prolongés

Au Togo, les députés issus des élections législatives controversées du 20 décembre 2018, ont voté le 8 mai 2019 une révision constitutionnelle prévoyant la limitation du nombre de mandats présidentiels. Mais les législateurs togolais ont tout simplement pris soin de mentionner que la nouvelle réforme n’est pas rétroactive. « Les mandats déjà réalisés et ceux qui sont en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi constitutionnelle ne sont pas pris en compte dans le décompte du nombre de mandats pour l’application des dispositions des articles 52 et 59 relatives à la limitation du nombre des mandats », ajoute l’alinéa 2 de l’article 158. Autrement dit, l’actuel président, Faure Gnassingbé au pouvoir depuis 2005 peut encore se représenter aux deux prochains scrutins, en 2020 et 2025.

Depuis le 19 août 2017, date du début des contestations populaires exigeants le départ de Faure Gnassingbé, la crise togolaise a mobilisé les organisations africaines notamment la CEDEAO pour trouver une sortie de crise. Les présidents de la Guinée et du Ghana, Alpha Condé et Nana Akufo-Addo désignés par leurs homologues pour mener la médiation ont peiné à trouver une issue à la crise togolaise. Accusé de faire le jeu de son homologue togolais, Alpha Condé, le médiateur de circonstance, semble susciter de la méfiance auprès d’une partie de l’opposition togolaise. Pour l’opposant togolais Nicolas Lawson, président du Parti du Renouveau et de la Rédemption (PRR), le Président guinéen n’est pas un modèle pour assurer la facilitation dans la crise togolaise. Il estime qu’en Guinée les droits de l’homme ne sont pas respectés. « Celui qu’on appelle aujourd’hui le deuxième facilitateur, je vois ce qu’il fait chez lui, des femmes qui sont tabassées, des enfants qui sont tabassés, des jeunes gens en chômage et dans la misère. Alors que ce pays est riche en ressource minière. Vous, vous avez eu la chance, par la grâce de Dieu, au-delà de 70 ans, de devenir Président de ce pays béni et vous ne voulez plus partir. Des gens manifestent et on les tue » a indiqué l’opposant togolais.

Dans un article publié le 14 décembre 2018 dans le Monde, l’auteur cite un diplomate de la région sur la médiation dans la crise togolaise « le président togolais n’a pas grand-chose à craindre de la CEDEAO. Nana Akufo-Addo [le président ghanéen], qui accueille des opposants, ne veut pas se retrouver accusé de collusion avec ceux-ci et Alpha Condé [le président guinéen] ne va pas faire pression sur Faure Gnassingbé quand lui-même tente de se présenter à un troisième mandat en 2020. »

Au Tchad, la nouvelle Constitution promulguée le 4 mai 2018 par Idriss Déby qualifiée par l’opposition de « coup d’Etat constitutionnel », renforce les pouvoirs du président tchadien au pouvoir depuis 1990 et qui est à son cinquième mandat qui doit s’achever en 2021.  Avec la mise en place d’un régime présidentiel intégral, sans Premier ministre ni vice-président, adoptée par le parlement et non par référendum, la nouvelle Constitution tchadienne qui marque le passage à la IVe République pourrait permettre à Idriss Déby de rester au pouvoir jusqu’en 2033.

« Sacralisée » « Fétichisée », la Constitution en Afrique est « devenue un texte ordinaire voire banal

La limitation du nombre de mandats apparait comme l’une des principales caractéristiques des constitutions africaines adoptées au début des années 90. Dans un contexte de présidents à vie, le choix d’une telle option reposait sur l’impérieuse nécessité de favoriser l’alternance au pouvoir. Près de trois décennies après, les pouvoirs politiques dans certains pays africains peinent à respecter le texte fondamental de leur nation : la Constitution.

Un ensemble de textes juridiques qui définit les différentes institutions composant l’État et qui organise leurs relations, la Constitution est considérée comme la règle la plus élevée de l’ordre juridique de chaque pays.

Très tôt « Sacralisée » « Fétichisée », la Constitution en Afrique est « devenue un texte ordinaire voire banal. Pourtant, l’on avait cru, à la faveur ou à l’issue des transitions démocratiques, à la résurrection de la Constitution » écrit le juriste Karim Dosso. Dans le même ordre d’idées, le professeur de droit Fabrice Hourquebie dans un article intitulé : le sens d’une Constitution vu de l’Afrique affirme : « Norme suprême tantôt instrumentalisée par le pouvoir en place ; tantôt déstabilisée par la banalisation des révisions en dépit de la rigidité affichée ; ou encore menacée de l’intérieur par un contenu crisogène ; voire même concurrencée par des accords politiques à la portée juridique discutable ».

La désacralisation de la Constitution trouvait son explication dans l’irruption de l’armée dans la vie politique, où « le coup d’Etat emporte (  ) à la fois le chef de l’Etat, les institutions, la Constitution ». Ces derniers temps, nous assistons au développement d’une nouvelle forme de prise ou de conservation du pouvoir : les coups d’Etat civils.

Aujourd’hui, une stratégie plus ingénieuse caractérise l’instrumentalisation juridique des constitutions en Afrique, celle qui consiste à solliciter l’avis du peuple pour rester au pouvoir. C’est ce que le chercheur Alioune Badara Fall explique en ces termes : « Les présidents africains utilisent un processus démocratique pour contourner « légalement » une règle démocratique normalement contraignante. La limitation des mandats est conforme à l’esprit démocratique parce qu’il garantit ou favorise l’alternance dans un pays ». Assane Thiam, dans le contexte sénégalais, désignera de « coups juridiques » cette intensité de l’activité constitutionnelle. Dans un essai intitulé : Essai d’explication du déficit de garantie de la liberté politique au Togo, Sassou Pagnou souligne que « le génie politique a développé (  ) au moins trois types de stratagèmes : les révisions constitutionnelles à l’objet peu licite et controversé, les interprétations de la constitution trahissant son objet et l’abstention de voter les lois organiques devant compléter la constitution ».

« Respect de la forme pour combattre le fond, c’est la fraude à la constitution »

La fraude à la Constitution est en passe de devenir une redoutable pratique pour nombre de gouvernants africains. La modification de l’esprit de la constitution par le pouvoir de révision constitutionnelle tout en respectant la forme régulière de la révision constitutionnelle constitue une « fraude à la constitution ». C’est Georges Liet-Veaux qui a pour la première fois, utilisé cette notion en 1943. Il définit la fraude à la constitution comme le procédé « par lequel la lettre des textes est respectée, tandis que l’esprit de l’institution est renié. Respect de la forme pour combattre le fond, c’est la fraude à la constitution ». En d’autres termes, dans ce procédé, le pouvoir de révision constitutionnelle utilise ses pouvoirs pour établir un régime d’une inspiration toute différente, tout en respectant la procédure de révision constitutionnelle. Dans sa thèse de doctorat intitulée : La lutte contre la fraude à la constitution en Afrique noire francophone, Séni Ouedraogo, explique quant à lui que « La redistribution illicite des ressources participe de la stratégie de conservation du pouvoir. Ainsi, les courtisans des gouvernants qui désirent toujours conserver les avantages tirés du système sont obligés de s’investir dans l’instrumentalisation des règles afin de conserver le pouvoir. Et comme le respect des règles s’impose, la fraude devient un moyen pour créer une situation juridique à l’effet de servir une fin collective ». Sur les éléments de facilitation de cette fraude, l’auteur souligne qu’elle « est facilitée par la caution des peuples abusés et désabusés ». Selon lui, « la majorité des fraudes pratiquées n’est possible qu’avec la caution des peuples qui ne perçoivent ni les enjeux des débats politiques, ni la portée des actes qu’ils sont appelés à accomplir de sorte que les gouvernants profitent de leur ignorance pour parvenir à leurs fins ». Il poursuit, « c’est la méconnaissance par le peuple des enjeux de la démocratie qui expliquent la tendance des gouvernants à les mettre de plus en plus à contribution, à travers des référendums de révisions savamment contrôlés et organisés, pour certifier leurs forfaitures ».

« des corrections nécessaires à apporter à des textes qui sont apparus à l’usage, imparfaits, incomplets, inadaptés », le prétexte facile

Le prétexte pour justifier les révisions constitutionnelles en Afrique est toujours le même. Le chercheur Gaudusson cité par Ndiaye dans un article intitulé La stabilité constitutionnelle, nouveau défi démocratique du juge africain, souligne « des corrections nécessaires à apporter à des textes qui sont apparus à l’usage, imparfaits, incomplets, inadaptés ». Quant au professeur d’université Albert Bourgi cité par le même auteur, il explique que « même lorsque la tentation est forte chez certains dirigeants de revenir à des pratiques autoritaires et de s’octroyer des attributions plus larges, ils sont le plus souvent contraints de leur conférer un fondement juridique et de leur donner une apparence de conformité à la constitution ». Toujours, selon cet auteur, ces révisions sont le moyen de donner une vitrine de légalité à des pratiques politiques visant à fausser le jeu démocratique. Les aspects qui sont en permanence retouchés, concernent les dispositions liées à la durée et le nombre des mandats présidentiels qui se trouvent au cœur du débat politique dans nombre de pays.

Toutefois, il existe quelques rares exemples de « résistance » des institutions aux manipulations constitutionnelles. Céline Thiriot dans un article intitulé Transitions politiques et changements constitutionnels en Afrique, cite le cas du Sénat nigérian qui a bloqué la tentative du président Obasanjo de concourir pour un 3ème mandat en 2006, celui du parlement du Malawi qui a refusé la tentative du président Molutsi de supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels ou encore celui du président zambien Chiluba qui a dû faire marche arrière sur le même sujet.

En Guinée, s’attendre à une telle démarche de la part des institutions (assemblée nationale, cour constitutionnelle) est tout simplement chimérique. Le parti au pouvoir, majoritaire à l’assemblée nationale a sorti une déclaration le 18 mai 2019 où il demande au Président Alpha Condé de « doter le pays d’une loi fondamentale votée par référendum par le peuple souverain ». Au niveau de la Cour constitutionnelle, l’ancien président de l’institution, Kèlèfa Sall, célèbre pour la mise en garde contre toutes velléités révisionnistes prononcée lors de la prestation de serment de Alpha Condé en 2015 a été évincé le 3 octobre 2018 par un décret présidentiel.

Les jeunes, en première ligne des mouvements contestataires

Dans un contexte où les autres institutions de la République sont soumises au diktat de l’exécutif, c’est la société civile qui se mobilise pour contrer les velléités de manipulations et d’instrumentalisation de la constitution. En première ligne de ces mouvements contestataires, les jeunes. Les mouvements Y’en a marre, au Sénégal ; Balai citoyen, au Burkina Faso ; Filimbi et Lucha, en République démocratique du Congo (RDC), ont apporté un souffle nouveau à l’engagement politique des jeunes si on les compare à une classe politique africaine terne dont les éléments sont interchangeables.

Au Sénégal, face à la colère de la rue en 2011 menée par Y’en a marre, Abdoulaye Wade a fini par renoncer à son projet de réforme constitutionnelle. Son fameux « ticket présidentiel », destiné, selon l’opposition, à préparer une succession dynastique, avait suscité une vive contestation. Au Burkina Faso, le Balai citoyen, était en première ligne dans les contestations populaires qui ont mis fin au règne de Blaise Compaoré.

Composé de partis politiques et des associations de la société civile, le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), ce mouvement guinéen est essentiellement animé par des jeunes de la société civile qui n’hésitent pas à mettre en garde « contre le recul démocratique et les graves risques encourus par la stabilité et la sécurité en Guinée et dans la sous-région, ainsi que le chaos qui pourrait en résulter ». Dans sa première déclaration, le FNDC « appelle toutes les Guinéennes et tous les Guinéens à la mobilisation en vue d’une farouche opposition au troisième mandat, par une manœuvre de quelques individus véreux qui vivent de la misère de nos compatriotes ».

En Afrique, la nouvelle génération se heurte à la résistance obstinée de ceux qui tiennent encore les commandes, qui ont parfois deux fois leur âge et qui bénéficient du soutien de mouvements politiques au pouvoir depuis des décennies, de forces armées largement dotées, de services de sécurité implacables et de réseaux clientélistes solidement établis qui accaparent une bonne partie des ressources du pays.

L’entêtement d’Alpha Condé de vouloir instrumentaliser la Constitution pour briguer un troisième mandat expose la Guinée aux démons des crises politiques majeures dans une sous-région confrontée à la montée du terrorisme dans un contexte de pauvreté grandissante qui est la cause principale de tous les extrémismes. La Guinée vient de loin avec une histoire douloureuse et glorieuse en même temps. Ne tuez pas la démocratie pour assouvir vos désirs de valorisation égocentrique.

Pour terminer, je réitère l’appel lancé par Clément Boursin, responsable des programmes Afrique à l’ACAT France sur la crise prévisible en Guinée : « Pour éviter l’apparition d’un nouveau foyer d’instabilité en Afrique de l’Ouest et le risque d’une propagation dans les pays voisins, notamment en Côte d’Ivoire – qui va également connaître une élection présidentielle potentiellement difficile en 2020 –, il est important que les partenaires de la Guinée sortent de leur silence et déconseillent au président Alpha Condé de se maintenir au pouvoir à travers une nouvelle Constitution qui viole la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de l’Union africaine (ratifiée en 2011 par la Guinée)… ».

 

Sékou Chérif Diallo

Sociologue/Journaliste

afriquesociologie.com

@RIFCHEDIALLO


Guinée : remettre la locomotive de la décentralisation en marche

Dans le contexte africain surtout subsaharien, la décentralisation « est perçue [  ] comme une voie par laquelle passeront l’élargissement, l’approfondissement et le raffermissement du processus démocratique, mais également comme le chemin accéléré du développement local[1] ».

Bureau de vote en plein air dans un quartier du port de Conakry. Crédit photo
© RFI/Guillaume Thibault

L’espoir ambitionné par les gouvernements africains est que les collectivités issues de ces reformes peuvent favoriser les initiatives locales en leur offrant un espace géographique et institutionnel de concertation et de dialogue. La participation des populations à la réalisation des politiques de développement dans les domaines qui les touchent est censée assurer leur adhésion à leur mise en œuvre, et du coup, une plus grande implication des populations à la prise de décisions les concernant[2]. Un des objectifs poursuivis par la politique de décentralisation est de rapprocher le processus de décision des citoyens et de favoriser ainsi l’émergence d’une véritable démocratie de proximité.

Comme l’écrivait Tocqueville dans son ouvrage « De la démocratie en Amérique » publié en 1835 « un pouvoir central, quelque éclairé, quelque savant qu’on l’imagine, ne peut embrasser à lui tout seul tous les détails de la vie d’un grand peuple ». En d’autres termes, La décentralisation laisse aux individus le soin de s’occuper eux-mêmes de leurs affaires et préserve donc leur liberté.

Entre décentralisation et développement local, il y va plus que d’un accommodement entre deux modes de gestion – l’un, redistributif de compétences centrales vers les périphéries de l’État, l’autre, participatif à la base, des forces qui composent une communauté. La population, et donc le citoyen sont au centre du processus de décentralisation. Une démarche décentralisatrice purement juridique et administrative, ne pourrait prétendre produire du développement local. La décentralisation implique un partage du pouvoir, des ressources et des responsabilités[3].                                                    

Des acquis fondamentaux aux ratés institutionnels : les collectivités locales remplacent les pouvoirs révolutionnaires locaux

À l’accession à l’indépendance en 1958, les autorités guinéennes d’alors avaient optées pour un système de planification rigide et fortement centralisé sous un régime de Parti Etat : Le Parti Démocratique de Guinée (PDG). Ce parti politique avait sous son contrôle l’ensemble des structures administratives et politiques du pays à travers ses cellules politiques de base: les Pouvoirs Révolutionnaires Locaux (PRL). Ce système n’avait pas tardé à montrer ses limites qui découlaient essentiellement de la faible implication des populations dans l’identification et l’exécution des actions de développement.

Après la prise du pouvoir par l’armée en 1984, dans son discours programme du 22 décembre 1985, le nouveau président promettait l’instauration d’une démocratie et d’un État de droit en Guinée. Avec l’appui des bailleurs de fonds notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, le gouvernement s’engageait dans un processus de libéralisation et de décentralisation axé sur la participation des populations au redressement socioéconomique du pays.

En matière de décentralisation, la Guinée devenait ainsi l’un des premiers pays de la sous-région à implanter, sur l’ensemble de son territoire, les formes de la décentralisation, soit aujourd’hui 38 communes urbaines et 304 communes rurales.

Mais c’est dans la méconnaissance des principes mêmes de la décentralisation, dans l’incompréhension des mandats des élus et dans un climat de tension autour du nouveau partage de pouvoir que les collectivités dites décentralisées furent instituées. Les cadres administratifs responsables de la formation et de l’encadrement des élus des collectivités ne disposaient ni des moyens techniques, ni des ressources humaines pour remplir cette mission qui leur était dévolue.

Certes, on reconnaissait dans les textes gouvernementaux cette volonté d’améliorer les conditions de responsabilisation des acteurs à la base pour atteindre les objectifs de développement et le renforcement de la démocratique locale. Dans les faits, l’administration publique n’avait pas forcément la capacité de procéder adéquatement au transfert graduel des compétences. La méfiance des populations à tout processus imposé par le « haut », ainsi que les tergiversations des entités administratives préfectorales et régionales, acceptant difficilement de perdre certains pouvoirs, ont nui à la décentralisation effective.

Un Code des collectivités locales pour préciser la décentralisation

Adopté le 5 mai 2006, le code des collectivités locales est l’instrument juridique qui précise le transfert de 32 compétences aux collectivités locales (Art. 29 du code des collectivités locales) avec des missions spécifiques concernant globalement : l’encadrement de la vie collective, la promotion et le renforcement de l’harmonie des rapports entre les citoyens, la gestion des biens collectifs, la promotion du développement économique, social et culturel de la communauté, et la fourniture aux citoyens de services pour satisfaire leurs besoins et leurs demandes.

Selon la constitution guinéenne, l’organisation territoriale du pays est constituée par les circonscriptions territoriales (préfectures et sous-préfectures) et les collectivités locales (régions, communes urbaines et rurales) (Art. 134 de la constitution). La création, l’organisation et le fonctionnement des circonscriptions territoriales relèvent du domaine réglementaire et quant aux collectivités locales leur création et réorganisation relèvent de la loi (Art. 135). Si les circonscriptions territoriales sont administrées par un représentant de l’État assisté d’un organe délibérant, les collectivités locales quant à elles s’administrent librement par des conseils élus, sous le contrôle d’un délégué de l’État qui a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois (Art. 136).

Dotées de la personnalité morale, d’autorités propres et de ressources, les collectivités locales possèdent un patrimoine, des biens matériels et des ressources financières propres, qu’elles gèrent au moyen de programmes et de budgets ; elles sont sujettes de droits et d’obligations. Elles s’administrent librement par des Conseils élus qui règlent en leur nom, par les décisions issues de leurs délibérations, les affaires de la compétence de la collectivité locale. Elles concourent avec l’État à l’administration et à l’aménagement du territoire, au développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique, ainsi qu’à la protection de l’environnement et à l’amélioration du cadre de vie (Art. 2 du code des collectivités locales).

Dans la Constitution du 19 avril 2010, il est prévu la mise en place d’un Haut conseil des collectivités locales, organe supérieur consultatif, a pour mission de suivre l’évolution de la mise en œuvre de la politique de décentralisation, d’étudier et de donner un avis motivé sur toute politique de développement économique local durable et sur les perspectives régionales (Art. 138).

L’organisation des élections locales : la longue marche vers les bureaux de vote

Maintes fois reportées, les dernières élections communales ont eu lieu en 2005 sous le règne du président Lansana Conté. Cette situation est la résultante d’un contexte politique marqué par une instabilité politique (disparition en décembre 2008 du président Lansana Conté, début d’une transition militaire avec le capitaine Moussa Dadis Camara puis le général Sékouba Konaté).

Élu en 2010, le président Alpha Condé procédera en 2011 au remplacement des élus locaux dont le mandat avait expiré depuis 2010, par des délégations spéciales. Selon l’opposition, les collectivités locales sont désormais dirigées par des personnes nommées par l’exécutif et non élues par les populations. Une décision qui sera dénoncée par l’opposition à travers des manifestions de rues, de séries de revendications et de dialogues. Le 17 août 2015, après une rencontre entre le leader de l’UFR Sidya Touré et le président Alpha Condé, ce dernier accepte le principe de recomposition des conseils communaux au prorata des résultats obtenus par chaque parti politique lors des législatives de 2013, pour remplacer les 28 délégations spéciales installées en 2011 et les autres élus locaux dont les mandats avaient expiré en 2010. Au total, 128 communes sur 342, dont 38 rurales et 90 urbaines, seront recomposées.

Comme les violations des lois électorales et les contestations de l’opposition se suivent et se ressemblent en Guinée depuis plusieurs années, le nouveau code électoral promulgué le 27 juillet 2017 par Alpha Condé, fruit de l’accord politique du 12 octobre 2016 signé entre la mouvance et une partie de l’opposition n’échappera pas à cette logique de rapport de forces.

Cet accord prévoit que le conseil de quartier ou district soit désigné au prorata des résultats obtenus par les listes de candidatures à l’élection communale. L’argument avancé est la complexité que représente l’organisation des élections dans les 3 763 quartiers et districts du pays. Dans son arrêt 023 du 15 juin 2017, la Cour constitutionnelle avait relevé l’inconstitutionnalité de plusieurs dispositions du nouveau code électoral. Toutefois le réexamen du code électoral a été soumis à l’Assemblée nationale non pas en séance plénière mais au niveau de la commission des lois. Ce qui constitue une autre entorse à la procédure parlementaire.

Douze ans après les dernières élections locales de 2005, la commission électorale nationale indépendante (CENI) a fixé la date de ces élections au 4 février 2018, une date approuvée par toutes les parties en compétition. Malgré les quelques difficultés signalées lors du dépôt des candidatures ou encore de la distribution des cartes d’électeurs, la CENI maintient son chronogramme et rassure les acteurs de la tenue effective de ces élections à la date indiquée.

Mobilisation politique, manque de moyens et influence négative de la tutelle rapprochée : des collectivités locales affaiblies

La finalité de la mise en œuvre d’un processus de décentralisation est de réussir le développement socio-économique dans des domaines qui souffrent trop souvent de l’inefficacité des administrations publiques et d’un pouvoir décisionnel trop centralisé.

En Guinée, le clientélisme politique a fini par transformer les collectivités locales en bastions politiques au service de la mobilisation partisane. Cette politisation à outrance dans la gestion des collectivités locales est préjudiciable à la mobilisation de la dynamique locale.

Dans un rapport publié en 2012 intitulé « Débats locaux sur le processus de décentralisation » publié conjointement par le ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation, le conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSC-G) et l’association nationale des communes de Guinée (ANCG) il ressort des disfonctionnements importants dans la gestion des collectivités locales. On peut lire dans ce rapport que les élus locaux, dans leur grande majorité considèrent que la décentralisation a été un transfert de compétences qui n’a pas été suivi de transfert de moyens leur permettant d’exercer les compétences qui leur sont transférées. Une réalité qui contraste avec les mesures annoncées dans la lettre de politique nationale de décentralisation et de développement local où on peut lire : « La décentralisation ne prendra corps, que si les transferts prévus dans le code des collectivités sont opérationnalisés, que les collectivités disposent des moyens de les assurer ».

Les élus locaux se plaignent du manque de subventions de l’État et de la faiblesse des ressources mobilisables au niveau local. C’est ce qui, selon eux, explique le faible taux d’exécution de leurs plans de développement local (PDL).

Ils dénoncent aussi leur marginalisation, par la tutelle, dans la mobilisation et la répartition des recettes locales. Selon leurs dires, ils ignorent généralement l’étendue de l’assiette fiscale sur la base de laquelle ils perçoivent leur part de ressources partagées.

Ils soutiennent que les collectivités locales sont également victimes d’abus d’autorité de la part de la tutelle rapprochée. Dans la plupart des cas, les élus locaux sont inféodés à la tutelle rapprochée de crainte de sanctions. Pour illustrer cet état de fait, un élu d’une commune urbaine affirme : « On n’ose pas refuser de donner de l’argent à un Préfet ; on est obligé de laisser une bonne partie de la taxe superficiaire à la préfecture ; les maigres ressources sont souvent utilisées pour la prise en charge de missions et de délégations qui viennent à tout moment et on n’ose pas présenter une facture ; il y a des secrets profonds que je ne peux pas dénoncer ». Il continue « Je dis, en parlant de la pression financière exercée par l’administration territoriale sur les maigres ressources des collectivités, que : au lieu que l’enfant tète la mère, c’est plutôt la mère qui tète l’enfant ». Un autre élu soutient en ces termes : « Lorsque l’autorité au sommet vient affamée, la base est obligée de subir ».

Pour maintenir de bons rapports avec leurs tutelles, les collectivités locales acceptent d’être soumises à des dépenses extrabudgétaires. Dans la plupart des localités, les dépenses effectuées par les sous-préfets, préfets et gouverneurs sont effectuées à partir des cotisations imposées aux collectivités locales. C’est par exemple le cas lorsqu’il s’agit d’organiser des festivités ou de recevoir des hôtes de marque.

Concernant le déficit d’autorité dont souffrent les collectivités locales, les interrogés soulignent que l’absence de critères de choix basés sur la compétence des élus a permis à des élus locaux âgées et pour la plupart analphabètes d’être à la tête de bon nombre de collectivités locales. À cause de cet état de fait, les multiples formations dont ont bénéficié les collectivités locales ont eu très peu d’impact sur la capacité des élus locaux. Dans ce contexte, le code des collectivités locales qui est peu diffusé est faiblement maitrisé par les élus.

Décentralisation en Guinée, une expérience inachevée mais peut mieux faire

Face à l’optimisme de Alhassane Condé, ancien ministre et auteur de l’ouvrage « la décentralisation en Guinée, une expérience réussie » publié en 2003, nous pensons que la décentralisation en Guinée est une expérience inachevée. Le code des collectivités locales qui l’instrument juridique de mise en œuvre de la décentralisation souffre du manque de textes d’application pouvant faciliter son appropriation par les élus locaux. Du coup, sa maîtrise par les acteurs locaux est insuffisante. Un autre facteur est le taux élevé d’élus analphabètes au sein des conseils locaux et l’âge relativement élevé de ces élus qui expliquerait aussi cette faible connaissance du contenu des textes réglementaires de la décentralisation.

Malgré les nombreux programmes de renforcement de capacité des collectivités locales, les résultats obtenus sont en deçà des attentes exprimées. Cette réalité est d’ailleurs reconnue dans la lettre de politique nationale de décentralisation et de développement local où des recommandations sont formulées en ces termes : « Le renforcement de capacité n’est pas la somme de programmes de formation et d’équipements. Renforcer les capacités implique de prendre en compte trois niveaux interdépendants : le niveau individuel qui concerne les compétences des individus, le niveau organisationnel qui concerne la performance des organisations et le niveau systémique qui touche à la gouvernance (institutions et normes) ».

Un autre axe qui soutient ce constat d’expérience inachevée de la décentralisation en Guinée concerne le transfert de moyens permettant aux collectivités locales d’exercer les compétences qui leur sont transférées. Selon le rapport de 2012 du ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation, le conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSC-G) et l’association nationale des communes de Guinée (ANCG), les dotations et subventions de l’État sont quasi-inexistantes aussi bien pour les collectivités locales que pour la tutelle chargée de veiller à leur bon fonctionnement. Les ressources financières mobilisées ou mises à la disposition des collectivités locales sont partout insuffisantes.

Au lendemain des élections locales du 4 février 2018 et la récurrente tradition de contestations des résultats électoraux en Guinée, nous formulons le vœu qui est aussi un défi lancé aux acteurs nationaux de la décentralisation d’œuvrer pour un nouveau départ de la locomotive de la décentralisation avec à son bord le développement local.

 

Sékou Chérif Diallo

Sociologue/Journaliste

Fondateur/Administrateur

www.afriquesociologie.com

www.guineepolitique.com

[1]Ousmane Syll, ‘’Les échanges entre collectivités décentralisées d’Afrique subsaharienne et de l’union européenne : une réussite si la condition de la réciprocité est respectée’’, Besançon (France), Mémoire de Master, Octobre 2005.

[2] Guèye, C. et MBaye, A., ‘’Décentralisation, développement local et droits humains au Sénégal’’, Genève, Review Seminar, 27-28 juin 2004.

[3] Jean-Christophe Deberre, « Décentralisation et développement local », Afrique contemporaine 2007/1 (n° 221), p. 45-54.


Guinée : l’impossible réforme des forces de sécurité et de défense

Tuer ou se faire tuer relève de la banalité quotidienne en Guinée. Héritée du purgatoire sékoutouréen (1958-1984), entretenue par l’anarchisme militaro-civil au temps de Lansana Conté (1984-2008), amplifiée pendant la parenthèse comique mais surtout tragique de Moussa Dadis Camara (2008-2009) et aujourd’hui téléguidée par des unités de police et de la gendarmerie à la solde d’un pouvoir civilo-répressif d’Alpha Condé (2010 à nos jours), la tradition d’une violence d’Etat en Guinée est un fait politique constant et une problématique récurrente.
Le Président de la République, le professeur Alpha Condé saluant un officier de l'armée. Crédits photos; gn.undp.org
Le Président de la République, le professeur Alpha Condé saluant un officier de l’armée. Crédits photos; gn.undp.org

« Vous ne voulez pas des militaires, on va vous donner une leçon » c’est ce qu’on pouvait lire dans un rapport d’Amnesty international publié en 2010 où une victime rapportait les propos d’un membre des forces de sécurité présent à la répression du 28 septembre 2009 où plus de 150 personnes ont été tuées et des centaines de femmes violées.

En rappelant un tel propos de cet épisode douloureux dans cet article, les esprits réducteurs, amnésiques et politiquement alignés de Conakry s’empresseront de rétorquer « Mais le professeur Alpha Condé a réussi à réformer cette armée. » Donc l’illustration serait désuète ?

Effectivement, la grande illusion entretenue par le pouvoir de Conakry consiste à réduire la réforme des forces de sécurité et de défense à deux évènements bruyants médiatiquement mais forts discutables parce qu’insignifiants d’un point de vue holistique de la réforme : 1) une armée qui serait moins visible dans les rues comme se vanteraient les argumentateurs de l’Etat et, 2) la mise à la retraite de plus de 4000 militaires. Des mesures correctes certes, mais incomplètes sans la mise en marche concomitamment d’autres instruments dissuasifs notamment les poursuites judiciaires des auteurs de violences au sein de l’appareil sécuritaire dans son entièreté. L’efficacité de toute réforme dans le contexte guinéen implique la nécessité de rompre la chaîne de la violence par la justice. Le cas contraire, elle se résumerait à une simple opération d’endormissement à courts termes des démons de la violence qui ont toujours hanté l’appareil sécuritaire du pays.

Si la mise à la retraite de plus de 4000 militaires a été qualifiée de réforme majeure voire « audacieuse » par certains, force est de reconnaître qu’elle l’est d’un point de vue budgétaire, comme le soulignait substantiellement dans une interview l’ancien ministre de la défense Abdoul Kabélè Camara : « Depuis 1958 des militaires étaient enrôlés dans les forces armées et continuaient encore à émarger jusqu’en 2011. Nous avons pu déceler tous ces cas et avec l’aide des Nations unies, nous avons pu accompagner en douceur 3929 militaires. »

Dans une interview sur RFI, Alpha Condé, célèbre pour ses approximations informatives digne d’un profane, partage cette lecture d’ordre budgétaire de la réforme : « Il s’agit de corriger les dysfonctionnements afin qu’à partir de maintenant … on paye les effectifs réels et qu’on ne paye pas les salaires fictifs. »

Dans un contexte où le gouvernement avait de la peine à mobiliser les ressources financières nécessaires à cette réforme, dont le coût était estimé à près de 30 millions d’euros et que les partenaires internationaux privilégiaient l’appui matériel et technique au grand désespoir des autorités qui s’attendaient vraisemblablement à une injection budgétaire, une telle opération de chasse aux « fictifs » se justifiait. Considérée comme un des gouffres budgétaires les plus importants du pays et où la corruption relève d’une normalité administrative très appréciée, l’institution militaire traine les mêmes tares de la mal gouvernance globale.

Des forces de police patrouillent près du marché de Conakry le 9 octobre 2015 afp.com/CELLOU BINANI
Des forces de police patrouillent près du marché de Conakry le 9 octobre 2015
afp.com/CELLOU BINANI

Cependant, la réalité nous apprend que cette mise à la retraite de militaires n’a nullement contribué à débarrasser les forces de sécurité et de défense des brebis galeuses qui continuent de plus belle leurs razzias comme en territoires conquis, avec la même arrogance de se croire « citoyens supérieurs. »

A la lecture des motivations premières de la partie gouvernementale sur cette réforme, notamment la récupération du manque à gagner budgétaire et l’éloignement territorial des militaires qui jouaient au « Zoro » dans la capitale par crainte d’une résurgence de la tradition de coup d’Etat que le pays a connu, on reste cependant outré le fait que les questions des droits de l’homme, de la justice en général et des réparations soient reléguées au second plan. Dans le contexte d’un Etat impuissant ayant une tradition de coup d’Etat et de complots, face à une armée affairiste et profondément politique, le chantage est un instrument de rappel à la vulnérabilité des institutions. Et la petite bourgeoisie militaire qui change en fonction de la couleur du régime veille au grain pour perpétuer l’impunité au sein de la forteresse et s’enrichir sur le dos du contribuable guinéen. Une attitude qui fait penser à une sorte de pacte de non-déstabilisation en contrepartie d’une immunité garantie et d’un traitement de faveur.

Le président guinéen, Alpha Condé, entouré de la Garde présidentielle, Conakry, décembre 2010. © REUTERS/Joe Penney
Le président guinéen, Alpha Condé, entouré de la Garde présidentielle, Conakry, décembre 2010. © REUTERS/Joe Penney

Certes, la psychose de coup d’Etat tourne en boucle dans les esprits des gouvernants. Cependant, soulignons un fait qui semble faire cas d’école en Afrique. L’échec dans la gestion des coups d’Etats enregistrés ces dernières années en Afrique (Guinée avec son Dadis national, Mali avec son Sanogo, Burkina Faso avec son Diendéré) par les putschistes eux-mêmes semble être un adoucisseur des velléités aventureuses de nos chers putschistes. Aujourd’hui, les populations africaines sont conscientes que tout coup d’Etat est un recul démocratique car le seul terrain de combat légitime reste les urnes malgré ses multiples fraudes qu’il faudra combattre aussi.

C’est dans ce contexte de dérives, de manques, de violations, de dépendance et avec les mêmes interlocuteurs nationaux, parce qu’éternels demandeurs d’aides de tout genre avec des relents paternalistes évidents que le Sénat français a adopté le 7 juillet 2016 un projet de loi « autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces. » Cet accord, selon le rapport soumis à la commission pour examen par Jeanny Lorgeoux, est le prolongement de celui signé en 1985 qui n’est « jamais entré en vigueur, faute de ratification par la partie guinéenne. »

Jeanny Lorgeoux qui est membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au Sénat, une commission présidée par Jean Pierre Raffarin aborde certains aspects de cet accord en présentant des éléments de contexte plutôt intéressants.

Sur la présidentialisation du régime de Alpha Condé

« Avec la réélection du président Alpha Condé pour un second et dernier mandat en novembre 2015, le pays semble relativement stabilisé, même si l’on assiste depuis quelques semaines à une présidentialisation du régime et si les élections communales prévues au 1er semestre 2016 ont été reportées au mois d’octobre 2016 »

Sur le sureffectif d’officiers

« La politique nationale de défense et de sécurité de la Guinée a été validée fin 2013 et une loi de programmation militaire pour 2015-2020 a été adoptée en 2014 – son financement risque cependant d’être difficile. L’armée guinéenne composée d’environ 20 000 hommes fait en particulier face à un problème de sureffectif d’officiers »

Sur le caractère « soviétique » de l’armée guinéenne

« L’objectif global est d’atteindre un effectif de 15 000 hommes en 2020. L’équipement et la formation en sont les autres points faibles. L’armée guinéenne conserve par certains aspects un caractère « soviétique », avec un fonctionnement centralisé à l’extrême et des postes de surveillance répartis sur tout le territoire. À cela, il faut ajouter une gestion des ressources humaines inexistante et une chaîne de commandement très faible »

Sur un accord « nouvelle génération »

« Il s’agit d’un accord très similaire aux accords de défense « nouvelle génération » passés depuis 2008 avec d’autres pays africains, comme les Comores, la Centrafrique, le Togo, le Gabon, le Cameroun, le Sénégal, Djibouti et la Côte d’Ivoire. Il ne comporte pas en revanche d’annexe décrivant les facilités opérationnelles accordées aux forces stationnées sur le territoire de l’autre Partie car la France n’a pas de forces stationnées ou de bases permanentes en Guinée. »

Une lecture extérieure est toujours édifiante sur les réalités de nos Etats. Sachant que les dirigeants africains ne se confessent qu’à une oreille extraterritoriale, il est parfois intéressant d’en accorder une certaine importance sans pourtant tomber dans la naïveté des querelles d’intérêts et des positionnements stratégiques qui motivent les acteurs nationaux ou internationaux.

A la lecture de ce rapport, on s’aperçoit aisément que sur l’effectif de l’armée guinéenne, un flou artistique caractérise les statistiques réelles. Ce qui nous pousse à la conclusion que l’effectif réel est méconnu. « 35 000 ? 45 000 ? Personne ne le sait, pas même les membres du cabinet présidentiel. » L’effectif de l’armée guinéenne est une équation à plusieurs inconnues. Et si la réforme commençait par le recensement ? Oui ! En octobre 2011 débutait à Conakry une telle opération. Les résultats ? Des « fictifs » retrouvés comme d’ailleurs, le présageaient nos confrères du site guineeconakry.info dans un article sur la question : « la grande muette, à l’image de la fonction publique recèle de nombreux fictifs ou d’hommes n’étant plus de ce monde, mais dont la disparition n’a jamais été signalée et prise en compte dans les dépenses militaires. »

Réformer par la formation ? Avec quelles thématiques ? Sachant que le militaire ou tout autre agent de sécurité guinéen adore davantage les films de guerre où il se projette en personnage de « Rambo » qu’un citoyen normal investi d’une mission de protection, la tâche sera rude de séparer le bon grain de l’ivraie. En Guinée, pour beaucoup de personnes, le choix d’intégrer les forces de sécurité a été une option par défaut quand elles ont raté d’autres choix.

Réformer par la restructuration ? Dans un pays où la restructuration est confondue à une réaffectation de personnel dirigeant, il va falloir de la pédagogie pour convaincre les autorités qu’une structure peut être pérenne et le personnel changeant sans que cela n’entame les bien-fondés de son existence.

Réformer par la radiation ? Pourquoi craindre la radiation de militaires ou d’agents de sécurité des effectifs officiels ? Chaque corps de l’armée, de la police et de la gendarmerie dispose de règlements intérieurs qui statuent sur les dispositions de radiation. Les lois de la République aussi ! Au sein des forces de sécurité et de défense le contraste est saisissant entre un officier qui est très bien formé et le délinquant de quartier devenu par la force des choses, agent de sécurité, j’allais dire d’insécurité.

Réformer par le démantèlement et la suppression de certaines unités ? Réputées dans la répression violente d’une simple manifestation démocratique, des unités de la police, de la gendarmerie et de l’armée ont bâtie leur macabre réputation dans la conscience collective des guinéens. Elles s’appellent CMIS (compagnie mobile d’intervention et de sécurité), BAC (Brigade anti-criminalité), BATA (Bataillon autonome des troupes aéroportées) et tant d’autres. De par leur mauvaise réputation, la suppression ou la redéfinition de leurs missions est un impératif d’une réforme plus efficace.

Dans le contexte guinéen, se démarquer des injonctions des pouvoirs publics et assumer sa mission première, les forces de sécurité et de défense restent toutefois un boulet que trainent les autorités quand elles s’illustrent dans des massacres ou menacent la stabilité du régime et une marionnette quand elles contribuent à mater toutes formes de résistances internes pour garantir la survie des régimes dictatoriaux.

Dans l’attente de voir un jour les forces de sécurité et de défense guinéennes dans une dynamique républicaine et respectueuses des libertés fondamentales, les populations continueront à subir les traditionnelles exactions et violations des droits de l’Homme.

Sékou Chérif Diallo

Sociologue/Journaliste

https://www.afriquesociologie.com/


Guinée : Alpha Condé et sa diversion terroriste à visée électoraliste

Quel groupe terroriste menace la Guinée ? Boko Haram ? Aqmi ? l’Etat islamique ? Seul Alpha Condé dans son imaginaire complotite détiendrait la réponse.

Alpha Condé Crédits photo AFP-KENZO TRIBOUILLARD monde.fr
Alpha Condé
Crédits photo AFP-KENZO TRIBOUILLARD monde.fr

Quand il s’agit des menaces réelles (Ebola par exemple), le gouvernement avait privilégié dans un premier temps l’option de la négation. Aujourd’hui, la célérité et la persistance avec lesquelles le gouvernement s’active dans cette entreprise dénotent une volonté manipulatrice d’un régime impopulaire et foncièrement rétrograde. Attiser les peurs afin de détourner le débat politique semble être la seule recette dont dispose aujourd’hui Alpha Condé.

La seule menace actuelle et réelle est sans doute cette gouvernance de rumeurs et d’instrumentalisation dangereuse du fait ethnique ou religieux. Le 23 avril 2015, Peter Pham, directeur du Centre de l’Afrique du groupe de réflexion « l’Atlantic Council » dressait dans un article un tableau sombre de la gouvernance politique de Alpha Condé qui selon l’auteur, est prêt à user de toutes les « machinations » inimaginables pour se maintenir au pouvoir par le biais d’élections truquées. « Incapable de faire campagne avec son faible bilan, Alpha Condé, en poste depuis une élection contestée en 2010, utilise toutes les machinations pour rester au pouvoir » écrivait-il. Aujourd’hui, cette analyse se précise et sa pertinence se matérialise par les récentes déclarations de Alpha Condé sur cette prétendue menace terroriste qui viserait la Guinée.

Ne vous faites pas d’illusion, Alpha Condé n’est pas dans l’improvisation quand il s’agit de manœuvres politiciennes pour surcharger l’actualité. Qui se souvient de l’ordre du jour établi par la présidence lors de sa rencontre avec Cellou Dalein Diallo le 20 mai 2015 au palais Sekhoutoureya ? Je vous cite le communiqué du bureau de presse de la présidence : « La rencontre d’aujourd’hui (   ) a porté sur trois sujets : les échéances électorales, la lutte contre le développement du fondamentalisme religieux en Guinée et la recherche de solutions de paix au Mali ».

Semer les premières graines de la diversion

Le développement du fondamentalisme religieux en Guinée ? Quelle est l’opportunité de l’inscription d’un tel sujet sur l’agenda politique ? Ce détail est très évocateur de la genèse d’un projet en phase d’expérimentation. Il lui fallait une tribune officielle pour le formaliser et semer les premières graines de la diversion. Le contexte malien aidant et dans une large mesure le contexte africain est propice à cette ‘’construction’’ d’une problématique terroriste globale. Au-delà de son caractère tentaculaire, le terrorisme en Afrique est très souvent lié à l’histoire spécifique de chaque pays. En Guinée, la tolérance religieuse est un fait. Les communautés religieuses ont toujours vécu en bonne intelligence sans aucune hostilité.

Ne pas rajouter une dimension religieuse à la crise guinéenne, j’espère que les promoteurs de cette entreprise malsaine n’inventeront pas un Boko Haram local pour justifier une quelconque menace. Les jusqu’au-boutistes du régime doivent se ressaisir et remettre de l’ordre dans leurs esprits tordus. La survie de la nation en dépend.

Sékou Chérif Diallo

Sociologue/Journaliste

https://www.afriquesociologie.com/

https://blogs.mediapart.fr/blog/sekou-cherif-diallo


Guinée : l’opposition dans une guéguerre inutile

« Moi contre mon frère, mon frère et moi contre mon cousin, mon frère, mon cousin et moi contre l’étranger ». Cette maxime est évocatrice des rapports de ‘’groupabilité’’, d’appartenance ou encore d’alliance politique. Vous verrez plus loin que ce type de rapport (positif et négatif) est d’une ambivalence sournoise.

Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré lors de la campagne électorale pour le second tour de la présidentielle de 2010.
Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré lors de la campagne électorale pour le second tour de la présidentielle de 2010.

Aujourd’hui, deux formations de l’opposition guinéenne se donnent en spectacle. Leurs lieutenants par médias interposés attisent les haines dans une dynamique d’abrutissement généralisé. Ils tiennent tous leur célébrité des idioties qu’ils propagent tous les jours.

Dans le souci de dépersonnaliser le débat politique où des passions se déchainent et obscurcirent le raisonnement, je ferai un effort de ne mentionner que les noms des formations politiques en question. Il s’agit de l’UFDG (union des forces démocratiques de Guinée) et l’UFR (union des forces républicaines).

Quand des forces prétendument ‘’démocratiques’’ et ‘’républicaines’’ exposent leurs faiblesses stratégiques

Rappel : au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2010, l’UFR arrive en troisième position derrière le RPG (rassemblement du peuple de Guinée, l’actuelle formation au pouvoir) et l’UFDG. L’UFR accepte alors de s’allier à cette dernière en donnant des consignes de vote à ses militants. Inutile de rappeler que l’objectif visé était la conquête et le partage du pouvoir. Inutile aussi de rappeler que ce scénario planifié ne prenait pas en compte des cartes que détenait le vieux routier de la politique guinéenne qui avait les faveurs des ‘’petits dieux’’ qui gouvernaient à l’époque. Bref, l’alliance circonstancielle va muter en alliance conjoncturelle face aux nouveaux défis lancés par les maîtres de Conakry. Autrement dit, on reste ensemble parce que l’on s’est retrouvé de l’autre côté de la grille. C’est avant tout l’expression d’une conscience de survie rationnellement évalué. Entre 2010 et 2015, de l’eau est passée sous le pont. D’ailleurs, il serait illusoire de croire à des alliances naturelles. Elles sont avant tout délimitées dans le temps en fonction des enjeux et objectifs qui motivent leurs signataires.

Dans une approche compréhensive, faisons cet effort pédagogique afin d’élucider la notion d’alliance politique. Aujourd’hui la confusion est totale chez les militants de ces deux formations politiques. Mais ma consternation est encore plus grande quand j’écoute les lieutenants ‘’mauvais communicants’’ et foncièrement ‘’médiocres’’ des leaders des formations politiques en question. Quand des simples crieurs publics s’improvisent communicants politiques, il faudrait s’attendre à une foire aux banalités ou un cirque d’idioties.

Sur la foi de lectures scientifiques, les travaux d’un auteur sur les questions d’alliances politiques ont conforté ma position et serviront de tremplin pour asseoir mon argumentation. Il s’agit de Vincent Lemieux[1]. A son avis, « Il y a alliance quand des acteurs qui ont des rapports positifs entre eux ou qui, tout au moins, n’ont pas de rapports négatifs, cherchent à maintenir ou à améliorer leur position par rapport à des acteurs cibles, qui sont des rivaux… . Une alliance peut-être négociée ou tacite, et elle peut être durable ou temporaire ».

Comme mentionné précédemment c’est une alliance de raison et non de cœur. Les acteurs politiques guinéens et leurs militants doivent intérioriser cette dynamique de partenaires politiques et éviter de toujours ramener le débat au niveau des personnes.

Quand l’environnement fausse l’approche politique

La politique étant différente de l’arithmétique, en 2010, l’UFDG s’illusionnait dans un calcul élémentaire (39,7+15,6 = 55,3)[2], ce qui dénote d’ailleurs sa naïveté politique à l’époque. Cette formation avait besoin de l’UFR. Du coup, elle avait du mal à s’intéresser aux petites formations politiques qui totalisaient à peine 1% de l’électorat à l’issue des résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2010. Aux dires de ses membres, l’UFR suffisait pour remporter l’élection au deuxième tour. Erreur de ‘’Gawa’’[3] (excusez ma vulgarité circonstancielle). Une lecture biaisée du jeu politique qui profitera au RPG qui d’ailleurs, adoptera l’approche inverse en ratissant large sans se soucier du poids électoral des alliés mais donner l’impression d’une représentation ‘’nationale’’. Et l’approche était juste parce qu’elle collait parfaitement à la sociologie politique du pays où le dosage ethno-stratégique apparaît comme une ‘’règle’’ tacite parce que héritée d’une logique d’instrumentalisation des ethnies à des fins politiques. Aussi, la lecture extérieure sur la Guinée qui est le plus souvent réductrice, fait apparaître un bicéphalisme politico-ethnique. L’UFDG n’avait pas saisi cette réalité. Comme le rappelle Lemieux « Il est important pour l’alliance victorieuse de donner l’impression qu’elle a un large appui des autres acteurs qui jouent des rôles sur la scène politique ». Loin d’avoir des ambitions hégémoniques ‘’communautaires’’ comme le reprochent certains, l’UFDG a cependant du mal à se débarrasser des nombreux préjugés historiquement fabriqués et entretenus pour diviser. Dans un environnement où les croyances populaires teintées d’appréhensions sur telles ou telles ethnies sont plus vivaces que les vérités historiques, la tâche d’anéantissement de ces croyances fabriquées semble gigantesque. Surtout si les commis à cette tâche excellent le plus souvent dans la propagation des âneries de toutes sortes.

A l’opposé des extrêmes ethniquement identifiables, l’UFR se targue d’être une formation à la représentation large. Même si aucune statistique ne le confirme. Inutile ! Car en Guinée, nous avons des données statistiques toutes faites qui ne relèvent d’aucune étude scientifique mais simplement concoctée par des pseudos ‘’connaisseurs’’ influenceurs d’analphabètes devant une tasse de café ou une bière. Bref, c’est juste pour illustrer les instances d’abrutissement collectives quand on s’intéresse à la politique en Guinée.

A ses débuts, l’UFR était avant tout une formation qui puisait son électorat en milieu urbain, donc cosmopolite et chez une catégorie socioprofessionnelle de fonctionnaires et cadres moyens. Auréolé de son passage jugé ‘’remarquable’’ à la primature guinéenne, son leader a bénéficié d’un crédit confiance auprès de ceux qui avaient la capacité de lecture d’une action gouvernementale et ceux qui s’impressionnent facilement face à la nouveauté et aux mirages du quotidien. Cependant, avec l’évolution de la dynamique politique dans le pays où les assises électorales sont géographiquement compartimentées, l’UFR n’échappera pas à cette tendance vicieuse de courtisanerie communautaire. Dans le contexte guinéen, est-ce faire preuve de réalisme politique ou d’inconstance idéologique ? Je ne saurais vous répondre. Seuls les politiciens savent les motivations qui sous-tendent leurs positionnements ou actions. Il faut cependant déplorer les incessantes mutations observées çà et là dans les démarches et approches politiques, afin, soutiennent-ils, de s’adapter à un environnement politique qui est assez malsain.

Quand tous prétendent faire de la politique à l’aveuglette

Dans une alliance ou toute forme d’association, les rapports de pouvoir sont inhérents. Du coup, la motivation première de chaque acteur politique est d’occuper une position avantageuse. L’UFR comme l’UFDG cherche avant tout à accéder au pouvoir. Songer à une relation de vassalité est foncièrement prétentieuse. Rien n’est acquis avant le verdict des urnes. L’assurance aveugle dans un environnement ambiant et profondément instable où quelques personnes tapis dans l’ombre ont ce pouvoir de faire basculer une élection relève de la naïveté politique. Il est impératif d’avoir des alliés à plusieurs niveaux. Il faudra apprendre à dépersonnaliser et dépassionner le débat politique. Même au sein de l’appareil d’état actuel, la récupération de certains frustrés de la gouvernance relève du pragmatisme politique. Mais il faudrait les rassurer pour qu’ils mettent en jeu leurs positions et privilèges au profit d’une promesse. Tous cherchent une existence meilleure, une visibilité, une reconnaissance, un environnement pour s’épanouir. Qu’est-ce qui empêcherait à un leader politique d’entamer un processus de rapprochement avec le président de la CENI par exemple ? Sachant pertinemment qu’il fait partie du puzzle de la fraude électorale. Ces personnes ont peur de perdre leurs privilèges et sont prêtes à toutes les bassesses pour se maintenir. La démarche politique est graduelle et l’exclusion est improductive. Loin de moi l’idée de faire l’apologie du principe : la fin justifie les moyens ; mais il faut privilégier une approche inclusive dans la conquête et l’exercice du pouvoir.

Quand un rapport négatif devient ambivalent pour redevenir négatif

Pour finir, revenons sur cette maxime qui illustre bien cette ambivalence relationnelle qui caractérise très souvent les alliances politiques « Moi contre mon frère, mon frère et moi contre mon cousin, mon frère, mon cousin et moi contre l’étranger ». Vincent Lemieux apporte une explication qui conforte ma compréhension de la guéguerre encore inutile entre l’UFDG et l’UFR. A son avis, « L’alliance avec le frère, puis avec le frère et le cousin, n’efface pas tout à fait l’hostilité préalable. Elle la tempère plutôt d’une affinité qui transforme un rapport négatif en un rapport ambivalent, toujours susceptible de redevenir plus négatif que positif quand la menace de l’ennemi commun s’estompe. »

 

Sékou Chérif Diallo

Sociologue/Journaliste

https://www.afriquesociologie.com/

[1] Vincent Lemieux, ‘’le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique’’, Presses Université Laval, 2006, 192 pages.

[2] Au premier tour de l’élection présidentielle de 2010, l’UFDG totalisait 39,7% et l’UFR 15,6%.

[3] Idiots


Une autre Guinée serait-elle possible ?

Le 29 octobre 2012 j’écrivais ceci dans le journal satirique « Lynx/Lance »: Une autre Guinée serait-elle possible ? In extenso. Je le republie sans rien modifier pour évaluer la constance de la crise guinéenne et surtout l’éternel recommencement avec les mêmes acteurs qui nous pourrissent la vie. En premier lieu Alpha Condé.

Alpha Condé Président de la Guinée
Alpha Condé Président de la Guinée

Quel est le véritable défi aujourd’hui ? Continuer à proposer les mêmes recettes et espérer obtenir des résultats différents ? Continuer dans cette spirale ‘’mi-guerre’’/‘’mi-paix’’ avec un décompte macabre qui se banalise ? A qui profite cette entreprise funeste ? Sommes-nous face à une hypocrisie collective entretenue par une poignée d’élites guinéennes ? Qui a raison et qui a tort ?

D’ailleurs pourquoi un tel questionnement ? Serais-je entrain de donner de leçons à X ou Y ? Bien sûr que non ! Des millions de guinéens se posent les mêmes questions et espèrent trouver des réponses. Ma démarche, dans un premier temps, est de dénoncer des tares observées dans une société guinéenne extrêmement politisée en ciblant les différents acteurs à tous les niveaux (pouvoir, opposition, institutions républicaines, société civile, administration et les populations guinéennes). Dans un second temps, j’exprimerai ma forte conviction, qu’une autre Guinée est bien possible à condition qu’une véritable rupture soit opérée.

I- De l’aveuglement égocentrique des acteurs politiques

Ceux du pouvoir

Malgré un débat fortement ethnicisé pendant la présidentielle passée, Alpha Condé, aujourd’hui Président, se démarquait un tout petit peu des autres ‘’grands’’ leaders politiques guinéens du moment. Cette particularité est la « présomption d’innocence » que lui accordait le peuple de Guinée. Permettez-moi d’emprunter cette expression juridique pour illustrer ma pensée. Pourquoi « présomption d’innocence » ? Pour le guinéen lambda, c’est Alpha Condé l’opposant qui était connu. Par contre, on a connu Dalein, Sidya et Kouyaté comme premier ministre. A tort ou à raison, les guinéens émettent tous les jours des jugements parfois subjectifs sur la gestion des gouvernements précédents. Bref, ce qui est évident, ces trois ex PM sont connus et évalués différemment par les guinéens. Mais comme le peuple de Guinée attend toujours le bonheur qu’on lui a injustement refusé, alors, par concours de circonstances et ‘’slalom politicien’’ aidant, le peuple s’est dit « Pourquoi pas ? Essayons le nouveau ! ». Mais comme disent les ivoiriens « Tout nouveau n’est pas toujours beau ».

Alors, qu’est-ce qu’on rapprocherait au Président Alpha Condé ?

Le choix de ses collaborateurs : aux lendemains d’une élection présidentielle très tourmentée, la Guinée avait besoin de rassemblement. Pour cela, il fallait montrer des signes de rupture et de renouveau. Pourquoi une rupture ? Parce que tout simplement, les guinéens en avaient assez de cette gouvernance qui est responsable de sa misère (depuis 2006 les guinéens sortent dans les rues pour exprimer son ras-le-bol). D’où le nécessité d’un renouveau ; avec un guinéen nouveau et une nouvelle gouvernance. La première déception est venue dès l’annonce du gouvernement Saïd Fofana (version 1). Pléthore de ministères, dysfonctionnements au niveau de leurs attributions, compétences sacrifiées au profit de récompenses politiques, le comble de tout cela est le retour à la présidence des « Têtes » que les guinéens voulaient effacés de leur mémoire. Les gens se sont sentis trahis et abusés dans leur combat de voir une autre Guinée émergée après cette élection.

La politique d’exclusion engagée : en 2010 le contexte électoral est différent de celui des élections précédentes en ce sens qu’il n’y avait pas de candidat président-sortant. Cette donne a favorisé l’expression libre des cadres de l’administration qui autrefois, se rangeaient stratégiquement au camp du parti au pouvoir. Mais, si cette liberté de choix est salutaire dans une démocratie, en Guinée, les vieilles habitudes héritées ont la vie dure. Une sorte de purge a été enclenchée au sein de l’administration guinéenne avec pour objectif de placer des militants à des fonctions de responsabilité. Compétents ou pas, on s’en préoccupe pas vraiment.

Les guinéens ne retrouvent pas le Président mais l’Opposant : quand on atteint l’objectif qui est celui d’être Président de la République, le discours doit être plus soigné, plus rassurant et surtout plus rassembleur. On ne s’adresse plus à des militants mais à tout un peuple. Les gouvernés ont besoin d’être rassurés par les gouvernants.

L’amateurisme de ceux qui défendent le Président : ils sont nombreux, les infatigables ‘’vuvuzelas’’ de la République. Dans les radios, sur les plateaux de télévision, ces mauvais communicants véhiculent une piètre image de la gouvernance actuelle. Très vulgaires dans leurs argumentaires, ces ‘’vuvezelas’’ font plus du mal à leur mentor qu’ils ne le croient.

Le culte de la personnalité entretenu par la RTG : la Radio Télévision Guinéenne (RTG) est aujourd’hui une honte nationale. La dernière fois j’étais devant mon petit écran et du coup l’idée m’est venue de compter le nombre de fois que l’expression « Le Professeur Alpha Condé » est prononcée (de 20h à 22h 30 mn). Tenez-vous bien ! 29 fois. Le journal y compris l’éditorial de l’infatigable Mamadou Dia en passant par les spots publicitaires, « le Professeur » est omniprésent dans la programmation des médias d’Etat.

Le manque de visibilité de la gouvernance actuelle : un Etat c’est avant tout une VISION. Cette vision sera traduite en POLITIQUE. Et cette dernière en PROGRAMMES et PROJETS de développement. 3 ans après l’élection de Alpha Condé, les guinéens attendent toujours des signes. La communication à visée propagandiste du fameux PPTE n’est plus à l’ordre du jour car ses promoteurs d’hier ont trouvé encore une nouvelle formule plus évasive. Au lieu qu’on parle de point ‘’d’achèvement’’ de l’initiative PPTE, ils ont lancé à la place le concept ‘’Point de départ’’. C’est une façon sournoise de dire ‘’Attendez encore ». Mais jusqu’à quand ?

Ceux de l’opposition

Ne me dites pas de définir le terme « opposition » car c’est un long débat. Qui est opposant et qui ne l’est pas ? Opposition ‘’radicale’’, ‘’modéré’’ ou ‘’courtisane’’, laissons la latitude aux intéressés d’en élucider ces concepts. La nécessité d’avoir une opposition forte dans une démocratie n’est plus à démontrer. Cependant, à l’image du pays, l’opposition guinéenne traine les mêmes tares. Toutefois, il n’est pas à négliger l’environnement dans lequel elle évolue. Aujourd’hui, nous avons en Guinée plusieurs blocs politiques. Un véritable imbroglio politicien où de façade, on défend des principes généraux de démocratie et de bonne gouvernance, mais en réalité, chacun cache son agenda personnel et profite des situations confuses pour se refaire une santé politique.

II- De l’opportunisme d’une certaine ‘’société civile’’

Le CNOSC et les autres plateformes

Le conseil national des organisations de la société civile est devenu aujourd’hui une gare où on attend le métro gouvernemental pour y monter. Des gens sont parqués là dans l’attente d’une éventuelle crise qui nécessiterait l’implication de la société civile dans la gestion des affaires publiques, pour bondir sur l’appât tendu. Mesurant l’importance du renforcement des capacités de la société civile dans les pays à démocratie balbutiante, les organismes internationaux mettent assez de moyens dans cette dynamique à travers des séminaires de formation et d’information et de financement de certains projets. Ces divers avantages aiguisent l’appétit de ces soi-disant représentants de la population.

Mais comme l’alternance n’est pas pratiquée à la tête de ses structures, nous assistons aujourd’hui à la création d’autres plates-formes de la société civile dont la seule différence est leurs dénominations et non les objectifs ou les méthodes.

Le Religieux

Ceux qui sont censés concilier les différentes parties en temps de crise, sont les plus controversés aujourd’hui en Guinée. Autrefois, les chefs religieux chrétiens jouaient plus ou moins ce rôle de derniers recours (le nom de Monseigneur Robert Sara est resté dans les mémoires). Quant aux chefs religieux musulmans, ils sont les plus contestés. Les gens se souviennent encore des positions prises et des actes posés par ces derniers, pendant les périodes de crises en Guinée. Laissez-moi juste rappeler cette statistique et qui est aussi paradoxale : les musulmans représentent plus de 90% de la population guinéenne et les chrétiens moins de 5%. Et ces derniers ont plus ou moins joué leurs rôles à un moment donné à la place des premiers.

III- De l’inefficacité des institutions républicaines

Le Conseil National de la Transition (CNT)

En mettant en place cette structure transitoire suite aux accords de Ouagadougou pour une sortie de crise en Guinée, les guinéens ont une fois encore, porté leur confiance à une frange de sa population pour lui représenter au sein de cette structure qui était censée doter la République de quelques textes réglementaires en attendant l’assemblée nationale véritable. Mais comme tant de guinéens auparavant, à qui, on a accordé la même confiance et qui ont finalement déçu, ces derniers du CNT ne pouvaient que décevoir car, sont les mêmes. Une fois encore, on oubli le mandataire (qui est la peuple de Guinée) et on profite des avantages liés à la fonction de conseiller. Comme un président qui modifie la constitution pour s’éterniser au pourvoir, le CNT manœuvre pour retarder l’installation d’une nouvelle Assemblée légitime. Dans cette entreprise égoïste, le contexte d’impasse politique entre pouvoir et opposition joue en sa faveur.

Le Conseil Economique et Social (CES)

A quoi sert ce conseil en Guinée ? Pratiquement, j’ai du mal à cerner la mission et les actions de ce conseil depuis sa mise en place. En vrai profane, je vois deux concepts : ‘’économique’’ et ‘’social’’. Comme par hasard, ces deux concepts renferment tous les problèmes du guinéen d’aujourd’hui (cherté de la vie et un climat social tendu). L’éternel président de ce conseil, Michel Kamano se contente de temps à autre, de recycler des déclarations où on présente les principes généraux de son institution sans aucune activité menée sur le terrain. Personne n’en parle, car, les guinéens ne braquent leurs projecteurs que sur la politique-sensation.

IV- De l’administration de commandement et non de développement

Au niveau central

Un de mes professeurs me disait souvent ceci : « en Guinée, si on te demandait de trouver dix bons cadres, tu peux en trouver. Si on te demandait de trouver dix très bons cadres, tu n’en trouveras pas cinq. Si on te demandait de trouver dix très bons cadres intègres, tu n’en trouveras aucun ». Cette observation témoigne du déficit criard de compétences dans l’administration guinéenne. Des méthodes archaïques de gestion héritées du premier régime ont fini par abrutir les fonctionnaires guinéens (par manque de programme de remise à niveau). Par les intempestives nominations dans les départements ministériels, nous assistons à des éternels recommencements car, si l’Etat est une continuité, clame-t-on partout, la réalité est autre en Guinée. Saviez-vous qu’au Burkina Faso, la mobilité des secrétaires généraux des ministères est très bien contrôlée. Un secrétaire général peut rester dans un département pendant cinq ans ou plus sans qu’il ne soit muté ailleurs. Cette disposition renforce la dynamique opérationnelle des ministères.

Une autre nouveauté dans l’administration guinéenne est sans doute l’élévation à outrance de plusieurs ministères en ministères d’Etat. Un ministère d’Etat devrait dans les conditions normales, renfermé deux ou plusieurs départements jugés importants et qui seront confiés à des ministres délégués. Mais, nous avons surtout l’impression que les ministères d’Etat sont créés pour différencier les ‘’amis’’ des ‘’amis proches’’ ou pour reconstituer les quatre régions naturelles en élevant quatre ressortissants de ces régions au rang de ministre d’Etat ou encore les deux à la fois. Bref, la confusion est totale et cela ne semble déranger personne.

Au niveau local

Les autorités locales n’ont pratiquement aucun pouvoir car elles se réfèrent permanemment à leur hiérarchie avant d’agir. L’approche de gouvernance « Top-down », (de haut vers le bas), et la méconnaissance des textes de lois et attributions par les agents locaux de l’administration constituent des facteurs explicatifs d’un tel état de fait. Par ailleurs, dans certaines préfectures, les responsables se lancent dans une campagne systématique de pillage de deniers publics et de toute sorte d’injustice et d’extorsions de fonds.

Quant au fonctionnement des structures décentralisées, c’est la preuve éloquente de l’échec de la politique de décentralisation en Guinée. Avec des présidents de CRD analphabètes et des secrétaires communautaires affairistes, des sous-préfets sèment habilement la zizanie dans ces contrées pour soutirer de l’argent dans les caisses de la CRD au nom des besoins administratifs (il faut signaler qu’à chaque passage ou réception d’un officiel de Conakry dans ces localités, la contribution des CRD est obligatoire). Les préfets sont les initiateurs de cet ‘’impôt occasionnel obligatoire’’ et qui est en même temps une source d’enrichissement à travers la surfacturation.

V- De la banalisation de la vie humaine

Oter la vie est devenu banal en Guinée. C’est un véritable Far West. Braquages à main armée, boutiques et magasins cassés, personnes abattues à bout portant, les populations guinéennes vivent un enfer depuis un certain temps. Face à cette situation, les forces de sécurité brillent par leur inefficacité et parfois par leur complicité. Dans le but de dissimuler leur incapacité à juguler cette spirale d’insécurité, la gendarmerie nationale à travers son chargé de communication, n’a trouvé autre explication, d’ailleurs très discutable, que d’accuser la crise malienne avec une hypothétique circulation d’armes légères dans la sous-région. Soyons sérieux un peu dans ce pays !

VI- De la naïveté des populations guinéennes

Quand un peuple n’a jamais connu le bonheur comme le peuple de Guinée, il se laisse étourdir par le mirage de la nouveauté. Rappelez-vous, certains leaders politiques guinéens ont bâti leur ‘’célébrité’’ en usurpant la paternité des quelques rares actions visibles de l’Etat. C’est un peuple qu’on manipule à volonté. Aux yeux du pouvoir et de l’opposition, le peuple n’est qu’un jouet. Malgré la pauvreté grandissante des populations avec ses corollaires de misères et de maladies, ces populations continuent inconsciemment à jouer le jeu des politiques (mouvements de soutien par-ci, marches politiques par-là, manipulations de toutes sortes). Tout est vu sous l’angle politique. Une situation qu’exploite le pouvoir pour noyer des exactions téléguidées perpétrées par les forces de sécurité. On est arrivé à un niveau où des préoccupations nationales sont perçues différemment par les guinéens et où le seul critère de jugement est l’ethnie de l’autre. Tout simplement parce que le problème d’une communauté quelconque n’est pas le problème de toute la Guinée. L’Etat qui est censé protéger ses populations est devenu un bourreau qui brime les siens.

Nous terminons cette première partie de notre analyse par cette citation de Jean-Louis Barrault : « La dictature, c’est’ferme ta gueule’’, la démocratie, c’est’cause toujours’’ »

(La suite très prochainement)

Sékou Chérif Diallo

Sociologue / Journaliste

https://www.afriquesociologie.com/



L’opposition guinéenne face à l’équation Alpha Condé

Parti pris  Comment arriver à une alternance politique sans « brûler le pays » ? Les inconditionnels du jeu démocratique vous répondront sans équivoque : par les urnes. Et pour les autres ? Ils vont sans doute argumenter sur les multiples recours « possibles » face à un tel cas de figure. Quel est alors le cas de figure qui se présente en Guinée ? Le régime de Alpha Condé peine à insuffler un véritable changement. La manipulation…


Les commissions électorales en Afrique : le choix entre démocratie et dictature

L’alternance politique au Nigéria est pleine d’enseignements. Elle soulève le débat sur « l’indépendance » des commissions électorales en Afrique et leur rôle dans l’enracinement de la démocratie ou encore le maintien des dictatures en faisant fi des réalités des urnes.

Le président de la Commission électorale nationale indépendante Attahiru Jega (G) lors de la collecte des résultats, le 30 mars à Abuja (source: RFI)
Le président de la Commission électorale nationale indépendante Attahiru Jega (G) lors de la collecte des résultats, le 30 mars à Abuja (source: RFI)

Goodluck Jonathan, le président sortant qui a eu l’élégance de reconnaitre sa défaite est aujourd’hui salué par toutes les chancelleries et mêmes les citoyens lambda d’une Afrique « politique » traumatisée par une tradition d’élections truquées avec ses corollaires de violences postélectorales. Mais il a fallu qu’un groupe prenne la responsabilité de respecter la volonté de la majorité exprimée. C’est extraordinaire parce que cela relève de l’anormalité politique dans un contexte africain où le président « sortant » est en même temps « rentrant » D’ailleurs, le palais présidentiel est pour lui une résidence à « durée indéterminée »

Goodluck Jonathan a plutôt saisi le message des arbitres électoraux notamment les membres de l’organe chargé des élections au Nigéria. Sans le sens de responsabilité de ces derniers, la volonté de la majorité exprimée dans les urnes n’aurait pas suffi pour déboulonner un président africain de son Game of thrones (“Trône de fer“).
Le président de la commission électorale du Nigéria s’appelle Attahiru Jega. Vous le connaissiez ? Pas vraiment. Ce professeur de sciences politiques a été la cheville ouvrière de ce scrutin, l’artisan de cette alternance politique qui est malheureusement une denrée rare en Afrique. Barack Obama n’a pas manqué de le féliciter. Avant lui, d’autres responsables de commissions électorales africaines avaient œuvré dans ce sens en promouvant la démocratie dans un environnement hostile gangréné par une corruption généralisée.

Prenons l’exemple du Sénégal où Abdou Diouf en 2000 et Abdoulaye Wade en 2012 ont certes, inscrit leurs noms dans la short list des battus aux élections et qui ont accepté le verdict des urnes. Mais il a fallu un certain Louis Pereira de Carvalho le président de l’Observatoire national des élections (Onel) et Lamine CISSE le Ministre de l’Intérieur en 2000 ou encore Doudou Ndir le président de la Commission électorale nationale autonome (CENA) en 2012 pour faire respecter le verdict des urnes au président sortant.

Pendant cette période, au Benin en 1991 et 1996, au Burundi en 1993, en Centrafrique en 1993 ou encore au Malawi en 2014, les dirigeants des commissions électorales de ces pays sont aujourd’hui des illustres anonymes. Vous les connaissiez ? Pas vraiment. Ils n’ont pas cherché la célébrité mais ils ont juste fait leur travail, celui de répondre aux aspirations de leurs populations respectives. Les présidents de ces commissions ont en commun leur forte personnalité et saisissent le sens de l’œuvre historique pour leur peuple. Ils saisissent aussi cette grande responsabilité d’être le garant d’une démocratie en respectant les règles du jeu ou d’une dictature en violant ces règles. Ceux qui optent pour cette dernière sont plus animés par l’assouvissement de leur ego et des intérêts qui en découlent que de l’intérêt général. Pour illustrer cette triste réalité des commissions électorales partisanes et politiquement alignées, celle de la Guinée est d’une partialité consternante. Comme mentionné dans un précédent article, la commission électorale guinéenne est un prolongement de l’administration publique soumise aux mêmes injonctions du pouvoir. Tous les résultats qu’elle publiera sont connus d’avance : “Le parti au pouvoir est le parti qui a le pouvoir’”.

Revenons un instant sur le profil de ce que devrait être un responsable de la société civile dans un pays : “Il est censé être indépendant de l’Etat et des organisations économiques ; travailler dans un but non lucratif et s’intéresser uniquement à une participation politique indépendante”.Le paradoxe est encore saisissant : le président de cette commission Bakary Fofana est un ancien responsable de la société civile guinéenne. Je ne rappelle pas ici qu’il a été ministre des affaires étrangères car être ministre en Guinée relève de la banalité formalisée, aucune compétence professionnelle n’est requise mais la compétance démagogique est un prérequis fondamental.

La transhumance idéologique extraordinaire de Bakary Fofana est plutôt la résultante d’une certaine pathologie égocentrique de certains responsables de la société civile guinéenne qui profitent des impasses politiques récurrentes pour se positionner politiquement parce que, supposer représenter une troisième alternative quand pouvoir et opposition se décrédibilisent constamment.

Si hier, ils prétendaient défendre les intérêts des populations, aujourd’hui ils défendent ceux du pouvoir. Mais rien d’étonnant dans un contexte de marchandage politique où l’intellect est outrageusement monnayé et le manque de convictions est dissimulé dans des discours de bonnes intentions.

Pour s’enraciner dans la démocratie, le choix des présidents et membres des commissions électorales en Afrique mais aussi des responsables de la société civile doit être repensé dans tous ses aspects afin de s’assurer qu’on ne confie pas la destinée d’un pays à des marionnettes politiquement affichées et qui seraient au solde d’un quelconque pouvoir.

En saluant l’action des présidents et membres des commissions électorales qui ont accepté de jouer leur partition de façon démocratique, il faut cependant déplorer la réduction et l’identification des institutions africaines à de simples personnes, ce qui dénote non seulement le caractère fragile des outils juridiques régissant le fonctionnement de nos Etats mais aussi la cause sous-jacente de l’instabilité politique qui découle des élections contestées en Afrique.

Sékou Chérif Diallo

Sociologue/Journaliste

https://www.afriquesociologie.com/


Robert Mugabe, président de l’UA : rien d’anormal !

Désigné par ses pairs, le 30 janvier 2015, à la tête de l’Union africaine Robert Mugabe, président du Zimbabwe, plutôt « propriétaire » du Zimbabwe est avant tout ce qu’on pourrait appeler un « père fondateur » pour reprendre l’expression de Mamane dans son célèbre concept « Gondwana ».Cette désignation n’a rien d’anormal. Elle entre dans le cadre de la solidarité des dictateurs confirmés et ceux en herbe qui admirent un modèle.

Robert Mugabe, Président du Zimbabwé
Robert Mugabe, président du Zimbabwe

Le personnage Mugabe est difficilement cernable. Champion des indépendances, l’homme est apprécié de ses populations et des partenaires internationaux pour la réussite de sa première politique agricole dans les années 80 qui plaçait son pays comme l’un des greniers de l’Afrique. Peu à peu, Robert Mugabe bascule dans une sorte de boulimie du pouvoir. Menacé de l’intérieur par un mouvement syndical, il décida alors de sacrifier les acquis du pays par une autre réforme agricole plutôt populiste dans le seul but de reconquérir l’électorat noir et se maintenir au pouvoir. Classique comme démarche ‘’redistribuer les terres à ses compatriotes pour s’assurer de leur adhésion’’. Sans calcul politicien, la mesure n’est pas mauvaise en soi. Mais il fallait faire preuve de réalisme et procéder graduellement pour assurer une meilleure transition.

Nelson Mandela avait saisi cette évidence quand il a accédé au pouvoir. Bref, les mesures populistes ont toujours eu des conséquences néfastes. Revenons sur l’objet de notre sujet : l’organisation de l’Union africaine dans ses contradictions. Lors de son 8e sommet tenu à Addis-Abeba en janvier 2007, l’UA adoptait une charte dite : « Charte africaine pour la démocratie, les élections et la gouvernance ». Très accrocheur comme concept. Cet instrument politico-juridique est a priori l’idéal démocratique tant recherché. Mais il s’agit là, du point de vue d’un profane qui fonde son jugement sur la simple dénomination de cette fameuse charte sans connaître son contenu et ses applications réelles. Evidemment, certains préfèrent les raccourcis pour asseoir leur conviction erronée.

Dans une approche analytique inspirée de nos lectures notamment de l’ouvrage de Romuald Likibi[1] l’exemple Mugabe est une simple illustration parmi tant d’autres de cette incohérence manifeste d’une organisation africaine qui prônerait la démocratie dans les textes, mais pose des actes antidémocratiques. En lisant cette fameuse Charte, on est vite frappé dès le préambule par cette ‘’profession de foi’’ : « Soucieux d’enraciner dans le continent une culture d’alternance politique fondée sur la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes, conduites par des organes électoraux nationaux indépendants compétents et impartiaux ». C’est toujours facile d’aligner des expressions toutes faites pour remplir des pages sachant pertinemment que tout cela est faux.

Une Charte de la démocratie qui fait la promotion des antidémocrates…

Inutile de rappeler que Robert Mugabe est aux antipodes de cette description qui relève plutôt de la poésie institutionnelle comme certains de ses homologues savent bien le faire. Paul Biya du Cameroun, Idriss Déby du Tchad, Sassou-Nguesso du Congo ou encore Obiang Guema de la Guinée équatoriale peuvent trinquer à l’honneur de l’UA pour avoir accouché cette hypocrisie ‘’juridiquement encadrée’’ pour jeter la poudre aux yeux des inconditionnels de la démocratie. Romuald Likibi est plus éloquent pour illustrer cette fourberie : « Le dédoublement permanent de l’UA entre les principes fièrement affirmés et affichés et la réalité se traduisant par le décernement complaisant du ‘’brevet d’honorabilité’’ à nombre de chefs d’Etat africains réellement honnis par les peuples est un exercice qui discrédite profondément ». Autrement dit, une Charte de la démocratie qui fait la promotion des antidémocrates. Vous comprenez quelque chose dans cette approche de l’UA ? Non ! Romuald aussi semble perdu dans la compréhension de cette incohérence : « N’est-ce pas surréaliste et paradoxal de rechercher d’un côté la promotion de la Charte africaine de la démocratie à travers des élections irréprochables et de l’autre de reconnaître officiellement les présidences viagères réélues à la suite d’élections biaisées ? »

De toute évidence, cet ouvrage n’aura pas de succès dans certains palais africains en ce sens qu’il remue le couteau dans la plaie de l’UA qui, loin d’être une organisation qui prône des valeurs démocratiques, est plutôt un simple syndicat de chefs d’Etat, une « solidarité par le haut ». La forte mobilisation de ces derniers contre la Cour pénale internationale (CPI) pour disent-ils dénoncer un certain « acharnement » de cette Cour à l’encontre des dirigeants ou ex-dirigeants africains est très illustrative de cette volonté de défendre des intérêts communs. Robert Mugabe, Omar El Béchir du Soudan ou encore Mwai Kibaki du Kenya et tous les autres fossoyeurs de la démocratie se sentent bien dans ces dispositions et remercient l’UA d’avoir créé et entretenu cet environnement de liberté pour les dictateurs en cautionnant leurs dérives le plus souvent à l’encontre de leur propre peuple.  [1] Romuald Likibi , « La Charte africaine pour la démocratie, les élections et la gouvernance : analyse et commentaires », Editions Publibook, 2012, 419 pages.

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/


Alpha Condé ou le syndrome d’une crise permanente

Elle est sanitaire, sécuritaire, politique, bref, ce qu’on pourrait appeler une crise de régime. Les conséquences d’un colmatage institutionnel où des accords régulent la vie constitutionnelle du pays.

Alpha Condé lors de son investiture en 2010
Alpha Condé lors de son investiture en 2010

Celui qui est incapable de respecter une constitution se moque des accords signés. Alpha Condé est perpétuellement dans une logique de rapports de forces politique au détriment des objectifs de développement. Le tout-politique.

Elu en 2010 dans des circonstances très chaotiques avec la bénédiction d’une certaine communauté internationale arguant l’argument de préservation de la paix, qui, d’ailleurs ne tardera pas à désenchanter sur les capacités réelles de cet « opposant historique » à gouverner un Etat. Comment voulez-vous qu’un parti politique qui pèse réellement moins de 20% de l’électorat guinéen puisse gouverner ? On peut trouver là une part d’explication de son acharnement à tripatouiller toutes les élections en sa faveur. Les élections législatives qui étaient prévues 6 mois après la présidentielle n’ont finalement eu lieu qu’en 2013, 3 ans après. Une seconde mascarade électorale entérinée par ses adversaires politiques qui se sont contentés du minimum là où ils pouvaient avoir la majorité, se nourrissant des symboles du genre « C’est une première que l’opposition remporte les 5 communes de Conakry » Et après ? Ça change quoi ? Vous n’avez pas la majorité ! Bref, revenons sur l’actualité.

L’opposition a toutes les raisons de suspecter le pouvoir de récidiver la fraude. Tous les signaux indiquent cette direction. La commission électorale nationale ‘’indépendante’’ organe en charge des élections est dans les faits, un prolongement de l’administration publique soumise aux mêmes injonctions du pouvoir. En sortant le chronogramme des élections futures où la présidentielle vient avant les communales et communautaires, la CENI cherche avant tout à protéger Alpha Condé d’une possible illégitimité après la fin de son mandat qui plongerait le pays dans une nouvelle transition politique. Du coup, la présidentielle est devenue une urgence stratégique pour le régime.

Après avoir tiré les leçons des législatives de 2013 où les délégations spéciales qui remplacent les maires ont joué un rôle majeur dans l’exécution de la fraude en faveur du pouvoir, l’opposition a raison d’exiger la tenue des communales et communautaires avant la présidentielle. Je rappelle ce fait pour avoir été un témoin de cette mascarade électorale en 2013, les deux acteurs chargés de la matérialisation de la fraude au niveau local sont : les délégations spéciales et la FOSSEL (la force spéciale de sécurisation des élections). Les premiers sont chargés de la gestion du matériel électoral et les seconds du transport de ce matériel mais aussi de l’introduction des urnes pré-remplies dans les salles de centralisation des résultats. Officiellement ces derniers sont chargés de la sécurisation de ces salles et sont les seuls à avoir accès en dehors des heures de travail de la commission. Le cas de Kaloum pendant les législatives est un exemple éloquent de cette complicité de la FOSSEL.

Aujourd’hui une crise est née, disent certains observateurs. Mais la crise est permanente avec ce régime. L’opposition retire ses députés à l’assemblée nationale, remet en cause la légitimité de la CENI et projette de reprendre les manifestations de rues pour se faire entendre. C’est du déjà vu ! Cette stratégie est-elle efficace ? Oui. Elle est républicaine cette opposition. Loin d’être leur avocat, il faut cependant, reconnaitre qu’elle fait assez de compromis pour préserver la paix et l’unité des guinéens dans un environnement pollué par la haine entretenue par le pouvoir. Le diagnostic est clair : Alpha Condé engage la Guinée vers un avenir incertain et il faudra craindre le pire avec ce régime.

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/


Ma lettre « non fermée » à l’opposition guinéenne

Est-ce vraiment une lettre ? Non, pas vraiment. C’est plutôt une diatribe « plaisante ». Mais rien de méchant car je ne franchirai pas la ligne rouge. Ligne rouge ? De quoi je parle exactement ? La ligne qui ménage tout le monde sans trop frustrer ceux qu’on appelle insidieusement ‘’les extrémistes’’ des différents camps (deux le plus souvent). Telle est ma part d’hypocrisie intellectuelle (mais je ne suis le seul dans ce cas) qui consiste à vouloir donner raison à toutes les parties juste pour paraitre aux yeux de tout le monde qu’on est  soit : « modéré », « patriote », « pas ethno », ou encore « intellectuel » (mais dans le sens lâche du terme).

Opposants: Celou Dalein, Lansana Kouyaté et Sidya Touré
Opposants: Celou Dalein, Lansana Kouyaté et Sidya Touré

C’est terrible et abject d’entendre ou lire des pseudos intellectuels défendre l’indéfendable de façon élégante et se réclamer d’un quelconque courant de pensée scientifique. La distance entre le fantasme politique et la realpolitik appliquée au niveau local mais ayant des tentacules géostratégiques extérieures se révèle très importante dans un contexte de dépendance.

Mais je devais parler de l’opposition dans cet article ! Pourquoi alors cette rhétorique plus ou moins lassante ou encore cette tournure sémantique d’une question apparemment simple ? Tel est le problème. Elle n’est pas si simple. L’événementiel ! C’est toujours facile de restituer les propos, gestes, actes d’un leader politique. Mais, l’événementiel étant perçu comme un raccourci pour moi, je préfère me torturer les méninges pour comprendre les logiques (illogiques le plus souvent), les motivations, les sous-entendus, bref, je suis un fouineur qui réfute les fausses apparences, les diktats, la pensée unique et toutes formes de musèlement de la liberté d’opinions. Mes opinions ! Je les assume et j’espère n’exercer aucune dictature de la pensée pour faire valoir mes argumentaires.

Ma lettre à l’opposition guinéenne commence maintenant. Vous voulez le Pouvoir ? Pas de doute là-dessus. Êtes-vous tous présidentiables ? Oui, bien sûr ! C’est la Guinée. Pas tout à fait, je rectifie. Deux ou trois le sont, mais les autres cherchent à exister tant bien que mal en jaugeant chaque matin leur popularité dans un bar café du quartier. Mais, ils peuvent toujours espérer car nous avons eu Lansana Conté, Moussa Dadis Camara, Sékouba Konaté et aujourd’hui Alpha Condé. Ils étaient ou sont tout sauf des modèles de ce qu’on pourrait appeler « démocrates » Mais c’est la Guinée ! Alors pourquoi pas vous ? Mais êtes-vous prêts ? Oui je l’espère ! Mais des profonds doutes planent sur vos choix stratégiques ou encore vos différentes et contradictoires approches de conquête du pouvoir. Faisons cet exercice de compréhension plus ou moins imagé et sans doute innocent : Partons de l’hypothèse que les élections prochaines seront libres, transparentes, inclusives et démocratiques. Même si cette hypothèse relève plutôt de la naïveté politique dans notre contexte mais elle nous permettra de cerner certaines questions fondamentales sur le processus électoral. Je viens de dire « processus électoral » ? Donc, c’est un enchainement d’actions et d’opérations. De façon générale, trois étapes suffisent pour les situer. Avant les élections : la fiabilité du fichier électoral, la cartographie et la répartition rationnelle des bureaux de vote, l’identification de ces bureaux de vote par chaque électeur et la mobilisation des électeurs pour accomplir cet acte citoyen constituent des préalables pour s’engager et espérer gagner une élection. Dans le contexte guinéen, le fichier électoral est l’un des plus tripatouillés d’Afrique. Dans le rapport final de la mission d’observation électorale de l’union européenne lors des législatives de septembre 2013, nous pouvons lire, pour l’illustrer, ce paragraphe plus ou moins évocateur de la réalité : « Une surreprésentation significative d‘électeurs ayant atteint 18 ans dans l’année du scrutin a été observée dans neuf circonscriptions électorales, toutes favorables au pouvoir en place » Le jour de l’élection : la mobilisation des électeurs est très importante mais la surveillance et la sécurisation des opérations de vote reviennent aux acteurs politiques impliqués. La grande naïveté de l’opposition guinéenne est de croire que les observateurs étrangers ou nationaux joueront ce rôle de « gendarme électoral » à leur place. Les premiers font partie d’un système complexe avec des enjeux différents et qui, de surcroit, ont directement ou indirectement financé les mêmes élections à la place de l’Etat en question. Pensez-vous que ces « délégués étrangers » invalideront des élections qu’ils ont eux-mêmes financé ? Pourquoi feront-ils cela ? Tout est question d’argent au niveau des groupes organisés et de profit au niveau des Etats. C’est ce qu’on appelle la « solidarité intéressée ». Après avoir mentionné la surreprésentation d’électeurs dans les zones acquises au pouvoir dans son rapport, les observateurs n’hésiteront pas à souligner dans le même rapport ceci : « La mission de l’UE déplore la variété des résultats rendus publics, qui présentaient, par ailleurs, des incohérences arithmétiques » Déplorer ou dénoncer, le choix des mots compte dans cet exercice de sournoiserie institutionnelle pour garder les liens avec tout le monde tout en entretenant une ambigüité totale. Il est indéniable que ce rapport démontre explicitement le caractère frauduleux de cette élection, mais il appartenait aux forces intérieures c’est-à-dire à l’opposition d’en faire bon usage de façon lucide. Mais il suffit qu’un document dépasse 50 pages pour réduire ses chances d’être lu par un grand nombre en Guinée. Telle est la triste réalité.

Cette opposition doit savoir (j’espère qu’elle le sait déjà) que derrière la défense des principes démocratiques, les décisions « opportunes » pour la stabilité des affaires de partenaires passent en premier. Telle est une autre triste et dure réalité qui ne sera jamais mentionnée dans une déclaration publique ou documents officiels des chers partenaires.Les seconds (nationaux) sont plus préoccupés par le financement obtenu pour jouer aux « observateurs de circonstance » que la sincérité des élections. Une motivation plutôt pécuniaire qu’idéologique. Ils sont prêts à accoucher de rapports qui feront plaisir aux organismes de financement qu’à leurs populations. Juste pour espérer un renouvellement du partenariat ultérieurement. Le jour d’après : la commission nationale électorale indépendante (CENI) guinéenne est une gigantesque machine à fraude. Gigantesque, j’exagère un peu, avec toutes les carences qu’elle traine, il faudrait surtout dire qu’elle bénéficie de « l’adrénaline » apportée par les délégués de l’opposition qui pratiquent la rétention « voulue » d’informations capitales sur son fonctionnement réel (bien veiller au grain pour entretenir la mangeoire sélective). Du coup, les négociations, j’allais dire les achats de conscience se passent en douceur avec les délégués de cette opposition au sein de cette institution. Quand ils soupçonnent de petites magouilles dans le partage du budget entre complices commissaires, là vous entendrez parler d’eux, juste pour faire monter les enchères. Vous savez comment la cartographie des bureaux de vote lors des législatives en 2013 a été modifiée ? Après avoir conduit des missions au niveau des démembrements de la CENI à l’intérieur du pays et élaboré une cartographie sérieuse avec ces démembrements, les délégués de l’opposition à la CENI ont été ventilés dans les ambassades et missions diplomatiques pour disent-ils, installer les commissions électorales. Les vrais maitres de la CENI ont profité de cette occasion pour modifier de façon ciblée la cartographie électorale en éloignant certains bureaux de vote des électeurs. Loin d’être des allégations mensongères, ces délégués de l’opposition à la CENI se souviendront sans doute d’avoir tenu ces propos en ma présence. Tout est question d’argent à la CENI. Les missions de la CENI étant juteuses, alors il faudra entretenir des rapports complices internes pour fructifier cette manne considérable qui était jusque-là inespérée pour certains. Remarque simple : l’aspect financier ressort dans toutes les déclarations ou conférences de presse de la CENI mais très rarement l’admission des dysfonctionnements structurels et techniques de l’institution au niveau de ses démembrements. Pourtant, toutes les recommandations des observateurs étrangers sur ces dysfonctionnements constatés lors de l’élection présidentielle de 2010 sont restées sans suite et d’autres s’y sont rajoutées lors des législatives en 2013 : « Les carences organisationnelles, le manque de transparence et les défaillances de communication de la CENI ne lui auront pas permis de répondre aux besoins de son administration déconcentrée, des partis politiques, de la communauté internationale mais, avant tout, aux attentes des électeurs » pouvait-on lire dans ce rapport de l’UE.

L’opposition guinéenne a-t-elle aujourd’hui les moyens « humains » pour gagner une élection dans ces conditions ? Je ne parle pas de militants, sympathisants, et dans une large mesure de « foule électorale » qui excelle plus dans l’offre de bain de foule à leur candidat qu’à la définition et la mise en place de stratégies porteuses et efficaces pour une victoire réelle. Il ne sert à rien d’être un opposant célèbre qu’on invite dans certaines chancelleries ou rencontres internationales si toutefois on est porteur d’un projet pour un changement collectif et non d’affirmation individuelle. L’impopularité du régime actuel est un fait. Mais l’opposition saura-t-elle exploiter à son profit la décadence de ce régime ?

L’hypothèse contraire est celle où le pouvoir usera de tous les moyens, le plus souvent illégaux avec l’arsenal de l’administration déconcentrée et décentralisée (aujourd’hui très confondue d’ailleurs) pour perpétuer la tradition de fraude initiée en 2010 et rééditée en 2013. Face à cette nouvelle perspective qui est sans doute la plus plausible, l’opposition guinéenne restera-t-elle dans sa logique d’animatrice de l’actualité stérile en répondant incessamment à des idiots politiques médiatiquement propulsés ou pensera-t-elle à asseoir une véritable stratégie de conquête du pouvoir ? Mes propositions dans ma prochaine lettre « non fermée » à l’opposition guinéenne.

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/


Du nouveau à Conakry : on te cible et on te tue !

Sortez-nous vos phrases toutes faites du genre « Nous avons procédé à l’ouverture d’une enquête et les services de police ont pris toutes les dispositions nécessaires pour retrouver les coupables et les traduire en justice » Combien de fois avez-vous entendu cette phrase après chaque assassinat ou massacre en Guinée ?

Thierno Aliou Diaouné ancien ministre assassiné le 6/02/2015 à Conakry
Thierno Aliou Diaouné ancien ministre assassiné le 6/02/2015 à Conakry

 

Dispositions nécessaires ! De quoi parle-t-on exactement ? Celles qui rendent justice ou celles qui entretiennent l’impunité ? A qui profitent ces crimes ? Quand on assassine une directrice nationale du trésor public ou un ancien ministre ? Le Modus operandi est presque le même, à quelques détails près. Crime crapuleux d’un groupe de voyous de quartier ou une mission commandée ? Nous ne faisons pas de spéculations mais nous nous posons des questions. Les services de police disposent-ils de moyens humains pour mener des enquêtes sérieuses ? J’insiste bien « moyens humains » autrement dit de compétences. On ne mène pas une enquête policière avec des descentes musclées dans des quartiers. C’est une démarche de réflexion, de recherche d’informations sur les raisons plausibles de cet acte. Et pour le faire, l’environnement immédiat (professionnel et personnel) de la victime doit être scruté avec diligence. Mais je raconte du n’importe quoi là ! On parle de la Guinée ? Le pays où on ne retrouve jamais de coupables parce qu’on ne cherchera jamais ! Les services de police comme d’habitude trouveront des raccourcis pour répondre à l’émotion collective. Dans un environnement de criminalité ambiante, le plus souvent « armée et en tenue militaire » (même s’ils sont toujours capables de dire qu’ils ne font pas partie des services de sécurité), ils nous sortiront quand même un groupe de bandits à la télévision nationale, comme quoi : « Voici les criminels qui ont assassiné l’ancien ministre Thierno Aliou Diaouné » Pourquoi ? On ne le saura jamais ! Les commanditaires ? Ils n’ont jamais existé ! Fin de l’histoire.
Revenons un instant sur le titre de cet article : « Du nouveau à Conakry » Vous pensez vraiment que c’est nouveau ? Les crimes, les assassinats, les massacres ne sont pas nouveaux. Tuer ou se faire tuer rentre dans le lot des banalités en Guinée. Mais les assassinats ciblés de personnalités publiques ! Voilà la nouveauté ces quatre dernières années ! Comme Ebola d’ailleurs ! Bref, c’était juste une parenthèse sur les nouveautés qui commencent à être inquiétantes.
L’assassinat lâche de cet acteur important de la société civile guinéenne est un crime de trop. Une psychose est née. Si pendant le premier régime la peur d’être dénoncé par son propre frère comme étant un contre-révolutionnaire et croupir en prison plusieurs années, était la principale crainte, cette fois-ci on te tue. Et c’est nouveau !
En sortant de sa maison le matin, chaque responsable ou acteur politique sait désormais qu’il n’est pas à l’abri d’un évènement pareil. Telle est la psychose qui est née et qui risque de modifier radicalement les habitudes mais aussi contribuer à amplifier les suspicions et la peur. Tous les théoriciens de la politique savent qu’un tel environnement constitue un terreau fertile pour l’implantation des dictatures. Ce ne sont pas des simples accusations mais nous soulevons plutôt des interrogations majeures. Qui parle aujourd’hui de l’assassinat de la directrice nationale du trésor public ou encore d’un responsable local d’un parti politique tous assassinés dans des conditions similaires ? Les autorités censées nous protéger appliquent la même démarche malsaine, à savoir : gérer cette courte période d’émotion collective avec une forte dose de déclarations d’intention qui sonnent faux, et s’attendre à un oubli collectif (une sorte d’amnésie collective). Car l’actualité guinéenne étant constamment et sciemment surchargée, les évènements récents enterrent automatiquement les précédents. C’est un pays qui piétine son passé même le plus récent. Du coup, toutes les questions importantes sont éludées. Mais, comme disait l’écrivain Québécois Yvon Rivard, ces questions éludées nous attendent toujours quelque part. Il va falloir rouvrir tous ces dossiers un jour pour espérer vivre dans un pays normal, qui assume son histoire même la plus douloureuse. Et pour cela, nous n’inventerons pas la roue mais nous nous conformerons aux recettes et démarches qui ont eu des résultats positifs ailleurs : la vérité et la justice. Pour reprendre une expression d’un défenseur des droits de l’Homme : « Aussi pénible soit-elle, la vérité doit être dite et les responsabilités doivent être attribuées et assumées. »

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/


Loi Antijihad de la France: La sécurité et La liberté

Ma chronique publiée dans le magazine ‘’Altermondes’’ en décembre 2014

Après la tuerie au siège de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, il s’avère nécessaire d’introduire un autre questionnement : comment préserver le modèle social républicain français face à cette menace djihadiste sans tomber dans l’amalgame et la polémique ? A lire très prochainement.

Bernard Cazeneuve, Ministre français de l'Intérieur
Bernard Cazeneuve, Ministre français de l’Intérieur

Voici l’article d’avant Charlie Hebdo

« Loi liberticide », « Cheval de Troie du tout-sécuritaire », les critiques fusent de la part des défenseurs des droits de l’Homme pour qualifier la nouvelle loi antiterroriste, dite « antijihadiste », adoptée à une large unanimité par le Sénat français, le 16 octobre dernier. À l’instar des lois votées au Royaume-Uni et en Australie, elle met en place toute une batterie de mesures pour répondre à la menace des « loups solitaires » : renforcement de la répression des actes de terrorisme, notamment le blocage de sites faisant l’apologie de ces actes, création d’un nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle et interdiction de sortie du territoire des candidats au jihad. La lutte contre le terrorisme est indéniablement légitime. Elle l’est au vu de l’intensité de la menace, mais, surtout, des mutations des parcours de radicalisation. De ce fait, la réadaptation des dispositions juridiques s’impose inéluctablement.

Toute la question est alors de savoir comment les États démocratiques doivent s’adapter aux réalités mondiales sans dévier des principes et des valeurs qui les fondent et structurent leur modèle de société. Garantir la sécurité des citoyens par l’adoption des lois dites « antijihadistes » doit-il amener les États à faire fi de libertés aussi fondamentales que celles de circulation, d’information ou encore de possession des biens licites tels que des magazines, des livres, au seul motif que ces derniers feraient l’apologie du terrorisme ou pourraient participer à la formation des jihadistes? Faudrait-il imposer un choix entre liberté et sécurité ? La question se pose aussi aux États africains qui apparaissent aujourd’hui comme le maillon faible de la lutte contre le terrorisme. Il ressort en effet de l’analyse des dispositifs antiterroristes mentionnés dans la plupart des législations nationales africaines une ambiguïté dans la définition de l’acte terroriste, mais aussi dans son incrimination. Déjà réputés pour le non-respect des droits humains, de façon générale et cela, bien avant l’inscription de la lutte contre le terrorisme comme une priorité mondiale, la plupart des États africains peinent à intégrer le caractère indissociable entre sécurité et droits humains. Montesquieu proclamait qu’il y a des droits de l’Homme supérieurs à toute loi humaine : la liberté individuelle, la sécurité, la liberté de penser, de parler et d’écrire. Vouloir restreindre ces libertés c’est, en quelque sorte, obtempérer face au défi lancé par les groupes terroristes pour lesquels la liberté n’a aucune valeur, seule la terreur devant régir ce monde. Les démocraties doivent trouver ce subtil dosage entre le besoin vital de se sentir en sécurité et la nécessité absolue de jouir des libertés fondamentales. On ne saurait sacrifier l’un à l’autre.

 

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/


Nouvel An : Alpha Condé nous offre un discours de plus

Quatre discours de Nouvel An pour dire la même chose. Alpha Condé et ses conseillers en communication devraient revoir leurs copies pour mesurer l’ampleur des promesses et annonces non respectées depuis 2010. L’écart entre ces discours et la réalité est d’une évidence incontestable.

 

Alpha Condé Président de la Guinée
Alpha Condé Président de la Guinée

 

En vrac, je vous propose quelques extraits de discours de 2011 à 2015. Déjà le 21 décembre 2011, l’an 1 de son investiture, Alpha Condé prononçait un discours dans lequel il nous promettait : « A l’image de la préparation d’un champ, nous avons réussi durant les 12 mois derniers, à défricher, labourer et semer les graines qui annoncent d’abondantes moissons. 2012 sera pour la Guinée, l’année de la floraison et l’année de la transformation. C’est au cours de cette année 2012 que nous sentirons tous, de façon tangible, une amélioration progressive de notre mode de vie. C’est en effet en 2012 que nous moissonnerons les récoltes semées en 2011. » A l’évidence, la moisson se fait encore attendre.

A l’époque, le fameux code minier à la saveur hautement communiste était sa potion magique. Le fantasme était présent et sans évaluer les signaux défavorables sur le marché international des minerais de fer par exemple ou encore les réticences des sociétés minières par rapport à ce nouveau code minier, Alpha Condé et son gouvernement déclinaient partout les clauses de ces contrats et les « hypothétiques » réalisations futures : « Ces énormes projets de construction de routes, de chemins de fer, d’usines de transformation qui accompagnent naturellement des activités minières vont engendrer des milliers d’emplois qualifiés et bien rémunérés. Nous pouvons d’ores et déjà citer : la construction du chemin de fer « trans-guinéen », qui permettra de relier Conakry à Bamako… ; la construction des ports de Matakan et de Benty qui vont assurer l’exportation de nos minerais par des bateaux de 300,000 tonnes, et nous permettre aussi d’être très compétitifs face à la concurrence d’autres pays miniers ». Sans mentionner d’échéance, l’annonce de ces mégaprojets avait une simple visée propagandiste, faire rêver, sachant pertinemment que des préalables sont nécessaires et l’environnement instable des affaires alimentait les réticences des miniers. Mais toujours fidèle à sa gouvernance par annonce, Alpha Condé était dans son élément. Etre le plus grand marchant d’illusions du pays.

Les conditions de vie difficiles des guinéennes
Les conditions de vie difficiles des guinéennes

Concernant l’amélioration de la desserte en électricité, il déclarait dans ce même discours de décembre 2011 : « Bientôt les améliorations seront visibles. Vous avez été nombreux à suivre l’arrivée des groupes thermiques. 125 mégawatts supplémentaires suivent et vont permettre d’améliorer la desserte en électricité des foyers de la Ville de Conakry d’ici en 2012.Cela signifie que les populations de Conakry auront de l’électricité à plus de 16 heures par jour. » Pour ce qui est de l’eau, son discours de Nouvel An 2013 est plus éloquent, il nous annonçait : « Le gouvernement a mobilisé le financement nécessaire à la réalisation des travaux d’alimentation en eau potable des villes de Lola, Yomou, Gaoual, Lélouma et Tougué. Les travaux démarreront en 2013. »

Les autres victimes du manque d'électricité: les élèves.
Les autres victimes du manque d’électricité: les élèves.

Pour vérifier cela, nous n’avons pas besoin de débats, les ressortissants de ces différentes préfectures peuvent en témoigner. A défaut, les interrupteurs, les ampoules et les robinets de Conakry et de l’intérieur du pays sont des véritables indicateurs de confirmation ou d’infirmation.

Le 10e et 11e FED (Fonds européen de développement) ? Ils servent à quoi ces fonds ? Parlant du 10e FED dans son discours de Nouvel An 2013, Alpha Condé nous informait : « Nous avons enfin signé avec la Commission européenne l’accord pour le 10e Fonds européen de développement (FED). D’un montant total de 235 millions d’euros, cette enveloppe financière va permettre à la Guinée de réaliser des investissements essentiels dans les services sociaux de base, que sont la santé, l’eau, l’assainissement, et de bâtir les infrastructures routières indispensables à la circulation des personnes et des biens. » Et en 2015 il nous annonce : « Notre pays vient d’être déclaré éligible au onzième Fonds européen de développement de l’Union européenne, d’une valeur de 244 millions d’euros destinés à appuyer la Guinée dans la consolidation de l’Etat de droit et la promotion d’une administration efficace au service des citoyens. » On se demande finalement de quels investissements essentiels on parle. Engloutir des milliards à EDG (Electricité de Guinée) pour avoir de l’obscurité comme résultat. Ou encore avec la déliquescence du système de santé guinéen étalée au grand jour par l’épidémie d’Ebola, ces fonds ont plutôt servi à l’enrichissement illicite d’un petit groupe qu’à la réalisation des « investissements essentiels 

Dans un contexte Ebola, le « mouton noir » tout désigné pour endosser toutes les contre-performances du régime et servir de dissimulateur des multiples détournements de fonds, Alpha Condé sollicite une aide budgétaire en 2015 : « Nous comptons sur une aide budgétaire orientée vers nos priorités nationales en matière de santé publique ». Franchement, vous voulez une aide budgétaire mais pas de partenaires financiers pour les élections ?

L'équipe de la mission d'observation électorale de l'Union européenne lors des législatives de 2013
L’équipe de la mission d’observation électorale de l’Union européenne lors des législatives de 2013

Alpha Condé disait récemment qu’un Etat souverain doit pouvoir financer ses propres élections. Ça change quoi en termes d’affirmation de la souveraineté ? Il fallait simplement dire que vous ne voulez pas d’observateurs internationaux pour les élections futures. Ces fouineurs d’observateurs qui vous ont privé les communes de Conakry en 2013 lors des élections législatives. On comprend très bien vos préoccupations. Mais faites preuve d’un minimum de cohérence. Bref, revenons sur les discours.

La justice ? Dans le discours de Nouvel An 2013, Alpha Condé déclarait : « J’ai également érigé la lutte contre la corruption et le renforcement de l’Etat de droit en priorité. L’instauration d’un Etat de droit passe par une justice indépendante et équitable pour tous. L’année 2013 sera celle de la justice. Je mesure plus que quiconque la nécessité d’établir une justice respectée des justiciables et équitable entre les parties. » S’il y a un secteur qui a été profondément malmené depuis l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir c’est bien celui de la justice. Le seul qui ait bénéficié d’une justice depuis l’arrivée d’Alpha Condé c’est bien sûr Alpha Condé lui-même dans la supposée attaque de son domicile en 2011.

 

Quelques faits marquants du régime
Quelques faits marquants du régime

Des dizaines de dossiers sont pendants aujourd’hui dans les juridictions du pays parce que tout simplement les principaux accusés se trouvent être des acteurs ou autres proches du pouvoir.

L’armée dans ces discours ? Oui ! C’est extrêmement important dans toute dictature de jauger le bruit de fond de la fameuse grande muette qui d’ailleurs n’est pas si muette que cela dans nos pays. Alors il faut d’un côté l’amadouer et de l’autre, la corrompre. Dans son discours de Nouvel An 2015, elle occupe une place de choix dans l’ordre des bénéficiaires des vœux : « Je voudrais également exprimer une pensée solidaire pour nos vaillants soldats qui sont mobilisés sous le drapeau international pour défendre la paix et traduire notre engagement à lutter sans relâche contre d’autres fléaux qui menacent notre région : le terrorisme international, la criminalité transfrontalière et les trafics en tous genres ». Déjà en 2011, son discours allait dans le même sens mais un peu plus délicat pour une catégorie, cependant la logique manipulatrice est la même : « Le départ à la retraite de 4.200 éléments se fera avec un plan d’accompagnement pour chaque homme. La fin de service dans l’armée comme dans la fonction publique en général doit bientôt être perçue comme une nouvelle opportunité et non comme un désespoir. » Ces malheureux retraités attendent toujours ce fameux plan d’accompagnement qui n’existe pas en réalité.Alpha militaire

Avec les leçons tirées de la parenthèse Moussa Dadis Camara, l’armée guinéenne vit aujourd’hui dans la suspicion permanente entre ses éléments. Une atmosphère instaurée par Alpha Condé et ses garants dans l’armée. Mais comme elle a une tradition de faire un coup d’Etat seulement à l’annonce de la mort d’un président, elle continuera à bénéficier des avantages de l’offre alléchante du pouvoir politique.

L’opposition ? Elle est plus présente dans les discours improvisés d’Alpha Condé que dans les discours officiels. A la place des traditionnels propos acerbes à son encontre, les discours officiels cherchent plutôt à justifier la « bonne foi » d’Alpha Condé à privilégier le dialogue. Même si les mots sonnent faux. Dans son discours de 2011 il disait : « Pour renforcer l’unité nationale, je veillerai personnellement à la poursuite du dialogue politique multipartite que j’ai initié en recevant les leaders politiques le 15 novembre dernier. Je ferai de mon mieux pour combler les différences, accueillir des opinions contradictoires et guérir les traumatismes de la division ». Aujourd’hui l’impasse politique est due à ce déficit de dialogue. La question du cadre consensuel dans le processus d’organisation des élections pose encore problème entre Alpha Condé et son opposition.

 

Les ténors de l'opposition guinéenne.
Les ténors de l’opposition guinéenne.

D’ailleurs, le caractère laconique sur la question dans son discours de Nouvel An 2015 laisse à réfléchir sur sa volonté réelle d’organiser des élections transparentes cette année : « L’année 2015 s’annonce comme une grande année électorale. Nous avons l’impérieux devoir de réussir ces élections afin de poursuivre dans la sérénité, les grandes réformes dont notre pays a besoin pour son développement économique et social ». A moins d’un an de la fin de son mandat présidentiel, Alpha Condé « renouvelle » les mêmes promesses annoncées en 2010 en se projetant dans le futur qui semble inaccessible : « C’est cet avenir que nous devons construire ensemble. Une nouvelle gouvernance, fondée sur une large ouverture politique, économique et sociale et la rigueur dans la gestion de la chose publique… Nous fixer de nouveaux horizons… Dessiner ensemble les contours d’un futur plus prometteur. »

Ce « futur plus prometteur » ! Reste à savoir s’il en fera partie ou si les Guinéens le déposeront à la prochaine gare pour solliciter un autre conducteur du train Guinée.

 

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/


L’autre urgence guinéenne : organiser les élections

Nous vous livrons la synthèse du dernier Rapport d’International Crisis Group publié le 15 décembre 2014

La Guinée est censée organiser une élection présidentielle en 2015. Le passé électoral du pays, l’échec du dialogue entre le pouvoir et l’opposition sur cette question et le report sine die des élections locales prévues début 2014 sont de mauvais augure.

International Crisis Group
International Crisis Group

 

Avec une scène politique clivée et ethnicisée, en proie à une épidémie d’Ebola qui affaiblit son économie, la Guinée a deux options : établir par le dialogue un cadre crédible pour la deuxième élection présidentielle libre de son histoire, cadre qui pourrait inclure un report négocié, ou prendre le risque de l’instabilité et de la violence interethnique. Pour réduire ce risque, l’exécutif guinéen, qui a la maitrise des institutions et du rythme politique, doit impérativement construire avec l’opposition et les partenaires internationaux un consensus minimum sur le dispositif électoral.

Ce consensus doit être plus solide que celui qui avait permis d’organiser, avec presque trois ans de retard, le scrutin législatif de septembre 2013. Ces élections avaient été précédées par de vives controverses et de violentes manifestations. Si la tranquillité du jour de vote a été saluée, l’opposition a dénoncé des fraudes et réclamé un temps l’annulation des élections. Bien des observateurs extérieurs n’ont pas caché leurs doutes quant à la qualité du scrutin. Les tensions sont toutefois restées contenues pour deux raisons principales : l’opposition considérait les législatives comme secondaires et les partenaires internationaux ont joué un rôle de facilitation.

Or la situation est différente pour les élections qui s’annoncent. D’abord, la présidentielle est le scrutin le plus important dans un système présidentialiste. Ensuite, le pouvoir a déjà indiqué qu’il n’était pas favorable à une implication internationale forte. Enfin, les législatives ont confirmé la forte dimension ethnique du vote : les deux principales communautés du pays, peul et malinké, sont très majoritairement mobilisées derrière, respectivement, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo, la principale formation d’opposition, et le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) Arc-en-ciel, le parti du président Alpha Condé.

Alpha Condé
Alpha Condé

Par ailleurs, malgré ou à cause des bricolages des dernières années, le dispositif électoral souffre encore d’un flou normatif et institutionnel important, y compris quant au calendrier. La date de la présidentielle n’est ainsi toujours pas fixée. Même là où des règles claires existent, le système juridique peine à s’imposer comme recours crédible. Manquent des institutions essentielles du point de vue électoral, en particulier la Cour constitutionnelle, qui doit remplacer la chambre constitutionnelle de la Cour suprême. Quant au dialogue enfin engagé en juillet 2014 entre pouvoir et opposition pour essayer de clarifier ce cadre légal, il a vite échoué, les deux parties ne s’accordant pas sur la version écrite des accords verbaux obtenus à la fin de cette session de dialogue.

Si le risque d’une intervention de l’armée n’est plus aussi fort qu’avant, les tensions politiques sont inquiétantes. L’opposition, qui a hésité un temps à organiser des manifestations, officiellement à cause de l’épidémie d’Ebola, a annoncé en novembre 2014 qu’elle allait remobiliser. La controverse autour des élections alimente un climat de communautarisme. Elle contribue à ralentir encore le développement économique et participe de la difficulté de l’Etat à mobiliser la société dans la lutte contre Ebola. Il est encore temps de créer un consensus minimum sur le dispositif électoral.

Pour cela, les étapes suivantes sont nécessaires :

-Convier, à la demande du président Condé, le pouvoir et l’opposition à une nouvelle session de dialogue sur le dispositif électoral. Ce dialogue devra être fondé sur un travail préalable de chacune des deux parties, qui présenteront de façon précise, globale et réaliste, les aménagements qu’elles jugent nécessaires. Ce dialogue devra inclure une personnalité de haut rang issue de la présidence de la République.

-Convenir dans le cadre de ce dialogue d’un calendrier électoral réaliste, sans exclure un report de la présidentielle s’il s’avérait utile à une réelle amélioration du dispositif électoral ; compte tenu de l’importance des autorités locales dans l’organisation des élections et de leur remplacement controversé par des administrateurs nommés par l’exécutif, prévoir, à titre de mesure de confiance, la tenue des élections locales au minimum trois mois et au maximum six mois avant la présidentielle afin de laisser le temps aux élus locaux de s’installer dans leurs fonctions.

-Recomposer la Commission électorale nationale indépendante (CENI) en reconnaissant pleinement son caractère politique, la totalité des commissaires devant être choisis de façon exclusive et paritaire dans le camp présidentiel et dans l’opposition, et y assurer un fonctionnement par consensus.

-Promulguer par décret présidentiel les lois organiques concernant l’Institution nationale des droits humains (INDH) et la Cour constitutionnelle telles que votées par le Conseil national de transition et prendre les dispositions pratiques, y compris budgétaires, nécessaires à l’entrée en fonction rapide de ces institutions.

-Dépêcher au plus vite, sur une demande des autorités guinéennes appuyée par l’opposition, une mission d’évaluation des Nations unies sur l’état des préparatifs électoraux.

-Préparer, à la demande des autorités guinéennes, des missions d’observation électorale crédibles et de long terme de l’Union européenne et de l’Union africaine, qui couvriront la présidentielle mais aussi, de façon exceptionnelle, les élections locales, au moins à Conakry, en Moyenne Guinée et dans la région de Nzérékoré.

Dakar/Bruxelles, 15 décembre 2014

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/

 


Folklore politique à Conakry : Alpha Condé « invente » un statut de chef de file de l’opposition

Le régime est face à une équation difficile à plusieurs inconnues. 2015 c’est demain. Après 4 années au pouvoir, il est encore à la phase des promesses et des accusations sur son héritage « J’ai hérité d’un pays, mais pas un Etat » comme il le clame souvent. Le hic c’est que ce discours ne marche plus.