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Mort du Roi de Thaïlande : pourquoi tant de pleurs ?

Depuis la mort du Roi de Thaïlande, Bhumibol Adulyadej, qui s’est éteint à l’âge de 88 ans, un an de deuil national a été décrété. La majorité des Thaïlandais sont habillés de noir. Les festivités de Loi Kratong (la fête des lanternes) ont été annulées ou réduites à leur minimum. Au café, à la supérette, certains craquent et éclatent en sanglots. Le pays s’est réveillé avec la gueule de bois et les sujets du Roi défunt semblent perdus, déboussolés, désemparés. Beaucoup d’expatriés ne savent plus bien où se mettre ni comment se comporter. Mais pourquoi donc la mort du Roi a-t-elle provoqué une telle émotion en Thaïlande et même dans le monde ?

La mort du Roi pourrait provoquer une crise politique

En Thaïlande, les tensions politiques sont vives. Les clivages sont très profonds entre la bourgeoisie de Bangkok, aisée, éduquée (souvent à l’étranger), tournée sur le monde, et les couches les plus pauvres de la population, les classes ouvrières, paysannes, souvent surendettées et se voyant comme les grands perdants de la mondialisation. A l’inverse de ce que l’on pourrait croire, la Thaïlande n’est pas un pays pauvre. Elle souffre surtout d’une mauvaise répartition de ses richesses. Contrairement à la plupart des pays occidentaux, la classe moyenne y est quasi inexistante. La population est divisée entre riches et pauvres. De ces clivages ont découlé ces dernières années de nombreuses crises politiques. 12 coups d’État ont été perpétrés depuis 1932, le dernier ayant eu lieu en 2014. Le pays est d’ailleurs toujours sous une dictature militaire depuis. Dans ce contexte tendu, Le Roi était aux yeux des Thaïlandais une figure neutre, apolitique, rassembleuse. Il était en quelque sorte un garde fou. Après sa mort, certains craignent donc que les tensions se ravivent au sein de la population thaïlandaise, alors même que de nouvelles élections doivent être organisées l’an prochain.

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Source: Daily Mail

La mort du Roi est un drame sociétal

Certes, la Thaïlande applique à la lettre (et au-delà) l’une des lois les plus restrictives au monde sur le crime de lèse-majesté. Mais n’allez pas croire pour autant que les Thaïlandais aiment leur monarchie contraints et forcés à la manière nord-coréenne.

Le Roi n’avait d’ailleurs pas de rôle politique au sens où on l’entend généralement. Il n’incarnait pas une idéologie. S’il n’était pas soumis à la contradiction, ce n’est pas uniquement parce que cela est interdit, mais surtout parce qu’il ne représentait pas une ligne politique clivante qui aurait pu créer la polémique. Il était pour les Thaïlandais une figure paternelle plus qu’un leader. Il conseillait plutôt qu’il dirigeait. La plupart des Thaïlandais sont nés sous le règne de Bhumibol Adulyadej et ont vu toute leur vie à chaque coin de rue et jusque dans leur salon le portrait de leur souverain. Il était pour eux plus qu’un chef d’État. Il était un repère structurant, une partie de leur histoire familiale.

La mort du roi renforcera-t-elle le nationalisme ?

Depuis mon arrivée en Thaïlande il y a presque trois ans, je n’ai cessé d’entendre dire que la mort de Roi provoquerait le chaos ou la révolution. Après le choc de l’annonce, les médias et analystes thaïlandais ou étrangers scrutent de très près l’évolution du pouvoir politique et de la société thaïlandaise. Alors que des élections mettant fin (partiellement) au régime militaire devraient normalement se dérouler pendant la longue période de deuil national, doit-on craindre un musellement plus grand de la parole démocratique au nom de la stabilité, par crainte d’une révolution ?

Le danger serait que sous prétexte de cohésion nationale, le pays se ferme un peu plus sur lui-même. Pourtant le Roi était profondément ouvert sur le monde. Né aux États-Unis, il a suivi sa scolarité en Suisse en langue française, avant de rejoindre la Thaïlande en 1945 où il commença par améliorer son thaï. Autant dire qu’il fut un monarque à dimension internationale.

Le peuple thaïlandais vivra-t-il ces prochaines années replié sur lui-même, se sentant trop vulnérable sans cette protection bienveillante ou sera-t-il sensible à la grande ouverture d’esprit de son défunt souverain et poursuivra-t-il son œuvre en s’ouvrant sur le monde ? C’est là qu’est tout l’enjeu de l’après-Bhumibol et c’est sûrement ce qui effraie nombre de thaïlandais.


Bouddha est-il nationaliste ?

Comment parler de Thaïlande sans évoquer le bouddhisme. Ici, Bouddha est partout : dans le hall du supermarché, niché entre un pick-up Toyota et une urne de donation, au marché aux amulettes, ou des experts de la sagesse bouddhiste, loupe à la main, tentent de négocier son effigie au meilleur prix, mais surtout dans les nombreux temples que compte le pays, souvent précédé de récipients pour les aumônes.

Les mauvaises langues diront peut-être que Bouddha est devenu au fil du temps un objet marketing dans une société ultra consumériste qui ne veut pas s’assumer comme telle. Mais j’ai préféré ignorer ces mauvais ragots et mener moi-même l’enquête.

Et pour démarrer mon investigation sur le bouddhisme thaïlandais, quel meilleur endroit que le Palais Royal de Bangkok, un lieu très fréquenté par les touristes, qu’ils soient thaïlandais ou étrangers, mais aussi par des locaux en quête d’un nouvel élan spirituel.

Une chance pour moi, j’appris en arrivant devant le Palais que nous étions un « jour de Bouddha » (j’appris plus tard que le moitié des jours de l’année étaient des « jours de Bouddha »). Mais malheureusement, on me signifia également que lors des « jours de Bouddha », l’entrée était réservée aux Thaïlandais.

Ce que je ne savais pas au début, formaté par les idées universalistes de mon cerveau occidental étriqué, c’est que Bouddha accorde une importance énorme à la nationalité des hommes et des femmes qui vont à sa rencontre. Cela m’a d’ailleurs été confirmé lorsque j’ai pu accéder enfin au sanctuaire de Sa Majesté, par le sas réservé aux étrangers (dont le franchissement impliquait une compensation financière, contrairement à l’entrée réservée aux nationaux).

Je sentais donc que j’étais sur une piste. Comment une divinité vénérée par un quart de la population mondiale pouvait-elle être si exigeante sur la citoyenneté ou l’ethnie d’où provenaient ses fidèles ? J’ai bien vite compris que le Bouddha thaïlandais était tout à fait authentique. Il est une divinité à part entière et est la propriété des Thaïlandais. Un pur produit de la mouvance « Our home country stronger together ». Un enfant du pays en quelques sortes. Il est d’ailleurs interdit de quitter le territoire avec une représentation d’un Bouddha thaïlandais.

Non le Bouddha de Thaïlande n’est pas le Bouddha du reste du Monde. Pourquoi sinon l’empêcher de voyager ? Pourquoi le soumettre aux mêmes lois protectionnistes que les parcs nationaux, le marché du travail ou l’accès à la propriété ?

Pour tenter de répondre à ces questions, j’ai multiplié les rencontres avec ce grand Homme assis au regard figé. A chaque rencontre, dans chaque temple visité, je sentais que quelque chose clochait.

Eurêka ! Le problème du Bouddha thaïlandais, c’est en fait son nez. Avez-vous seulement remarqué la taille de ce dernier. « C’est un roc ! C’est un pic ! C’est un cap ! Que dis-je c’est un cap ? C’est une péninsule ! ». A vrai dire, les seuls nez de pareille dimension que l’on croise en Thaïlande sont artificiellement vissés sur les visages des acteurs à la télévision et sont constitués à 75% de plastique et de silicone. Alors Bouddha aurait il succombé aux tentations de la chirurgie esthétique ? Je ne pouvais pas le croire.

Sentant que mon enquête était à un tournant capital, je pris la décision de consulter l’un des plus grands spécialistes mondiaux en religions : Wikipédia. J’y appris beaucoup sur le bouddhisme, ou plutôt LES bouddhismes. J’y appris notamment que le Bouddha thaïlandais était originaire du Sri Lanka, raison pour laquelle son physique est très éloigné de celui de ses fidèles. Toute la culture thaïlandaise tournerait donc autour d’une divinité étrangère que les métèques n’ont pourtant aucune légitimité à vénérer. Un comble.

Ainsi s’achevait mon enquête. Je m’assis dans un temple de Chiang Mai (après m’être acquitté de la taxe liée à ma nationalité) et interrogeais une dernière fois mon nouvel ami, qui m’était de plus en plus sympathique. Je lui demandais comment il vivait, lui qui avait toujours prôné la simplicité et le dénuement, le fait d’être couvert de feuille d’or, d’être entreposé dans de somptueux temples dont les jardins se sont peu à peu transformés en parking pour de monstrueuses voitures, d’être entouré d’urnes dans lesquelles les plus désespérés iront tenter d’acheter une vie meilleure plutôt que de remettre en question leur manière d’agir, ou encore d’être peint sur la moitié des meubles de Maisons du Monde. Je lui demandais comment lui qui avait tant voyagé, se moquant des frontières, pour dispenser son enseignement, lui qui dans ses vies précédentes avait peut être été un papillon espagnol, un sequoia géant américain ou encore un ours polaire avait pu laisser son image s’associer au nationalisme d’une peuplade qui se considère presque comme un peuple élu ?

Avec son habituel sourire en coin, Bouddha m’a fixé du regard, l’air de dire : « Qu’est ce que tu fais encore là ? Il est tard. Fais une donation et rentre chez toi. »


6 bêtises que j’ai commises en m’installant en Thaïlande

Changer de pays, c’est aussi changer ses habitudes. On fait tous des erreurs lorsque l’on s’expatrie. Voici six erreurs qui furent les miennes et que je vous invite à ne pas commettre.

 

Acheter un hamster

Si comme moi vous enchaînez les visas de toutes sortes sans jamais savoir dans quel pays vous serez autorisé à vivre le mois prochain, avoir un animal de compagnie, c’est un peu la galère. Mais parmi les boules de poils que vous aurez l’occasion d’adopter, le hamster est une très mauvaise option. Pour être très honnête, je n’ai aucune idée d’où dans le vaste monde viennent les hamsters. Une chose est sûre, ils ne sont pas adaptés au climat thaïlandais. Lors d’une fraîche soirée d’hiver, alors que je vivais dans les montagnes du nord du pays, j’ai fait l’acquisition de Fundee, mon compagnon d’écriture. Fundee est doux, Fundee est affectueux, mais Fundee ne supporte pas la chaleur. Arrivé à la saison chaude, attendez-vous à devoir allumer la clim même lorsque vous quittez votre domicile par peur de voir la pauvre bête succomber aux chaleurs tropicales.

 

Hésiter à prendre une assurance santé

Avant de vivre en Thaïlande, je n’avais jamais été hospitalisé d’urgence de toute ma vie. Mais ça, c’était avant. Tout ça pour vous dire que j’étais bien content d’avoir une assurance quand je me suis retrouvé hospitalisé une semaine pour la première fois, et que j’ai eu un accident de scooter pour la deuxième fois. Parce qu’il ne faut pas se voiler la face, la Thaïlande c’est les plages, le curry et les massages, mais c’est aussi l’un des pays qui comptabilise le plus de morts sur la route. Globalement, les frais de santé ne sont pas très chers en Thaïlande. Inutile donc d’opter pour une assurance du feu de Bouddha qui couvrirait même votre aspirine en cas de gueule de bois. Mais souscrivez à une assurance hospitalisation car là la facture peut vite monter…

 

Louer une maison sans cuisine

La Thaïlande c’est génial, on trouve de la bouffe partout, c’est super bon, c’est pas cher, plus besoin de cuisiner. C’est ce qu’on se dit souvent lorsque l’on visite le pays comme touriste. C’est aussi ce que l’on se dit les premiers mois après avoir emménagé. Et ça tombe bien, on trouve facilement des appartements (voir des maisons) sans cuisine. Pourquoi s’encombrer ? Seulement, passés quelques mois, vous sentirez certainement venir la flemme lorsque le dimanche matin vous lutterez pour sortir de chez vous, que vous voudrez rester en caleçon et vous faire frire des œufs en préparant une grande tasse de café. Tout simplement. Peut-être comme moi prononcerez-vous même cette phrase qui pourrait sembler absurde depuis Paris : « j’ai faim mais j’ai la flemme d’aller au resto ». Et oui, si on veut s’embourgeoiser il faut assumer…

 

Chercher à comprendre les règles

Dans nos bourgades européennes, nous avons souvent l’habitude de raisonner en terme de règles, de lois, de normes, de procédures. Du coup la tentation est trop grande en arrivant en Thaïlande d’essayer de comprendre les règles qui régissent le pays, à commencer par le code de la route. Le fait de rouler à gauche donne-t-il la priorité aux véhicules venant de gauche ? Personne ne le sait mais là n’est pas la question. La vraie question à se poser est « pour ma sécurité, dois-je laisser passer le gros camion qui klaxonne ? ». Et la réponse est oui. Idem pour les visas. Si votre visa vous est refusé et que vous ne comprenez pas pourquoi, il est parfois plus efficace de prendre l’avion et de changer d’ambassade que de tenter de comprendre quel papier est supposé vous manquer.

Laissez-vous porter et surtout observez ce que font les autres plutôt que de chercher des règlements ou des textes de loi sur internet.

 

Amener ses rollers ou son skate

Si comme moi vous aimez vous déplacer en rollers, en skate-board ou en trottinette, pensez-y à deux fois avant d’opter pour ce moyen de transport en Thaïlande. Déjà parce que les routes ne sont pas très lisses et les trottoirs assez discontinus (voir inexistants), mais aussi parce que vous risquez de vous prendre un pick-up en pleine face.

Souvenez-vous, je vous avais expliqué que la loi sur la route était la loi du plus fort. Force est de constater que l’être humain sur rollers n’est pas bien haut dans cette chaîne alimentaire.

En vérité, les seules personnes que j’ai vu pratiquer le roller le faisaient dans un centre commercial à moitié déserté et j’avoue avoir repéré quelques endroits propices à la ballade en roller. Mais s’il est possible de pratiquer le roller loisir, oubliez-le comme moyen de locomotion pour tous les jours.

 

Croire que l’on va maigrir

C’est bien connu, en Thaïlande on mange sainement, du riz des fruits et des légumes. D’ailleurs les thaïlandais ne sont pas très gros. Et puis la chaleur ça coupe l’appétit. C’est ce que je me suis mis en tête en préparant mon départ, me gavant frénétiquement de quiche Loraine et de saucisson, persuadé de devoir « prendre des forces » avant d’être à la diète forcée au pays des noix de coco. Un doux rêve…

Chaque culture a ses plats gras et ses plats lights. La France n’a-t-elle pas la salade niçoise et la soupe au potiron ? Si comme moi vous aimez manger (… inscrivez ici l’aliment de votre choix …) trempés dans l’huile, vous serez servis. Fini les soupes de nouilles ou les salades de papaye, bonjour les pâtisseries à la noix de coco, les milkshakes à la manque et les nems (ok ce n’est pas très thaïlandais mais c’est mon pêché mignon). Oui, on peut grossir en Thaïlande. J’en suis la preuve vivante.


La bière, enjeu de souveraineté en Asie

Ce qui frappe et exaspère souvent les amateurs de bière en voyageant en Asie, c’est le manque de choix. En fait, chaque pays semble avoir sa propre mousse, qu’il brasse avec fierté, comme un message nationaliste adressé à tous les piliers de comptoir de son peuple. Le Myanmar a la Myanmar Beer, le Laos a la Beer Lao, Le Cambodge a l’Angkor Beer dont la devise un tantinet nationaliste est « mon pays, ma bière », Singapour a la Tiger, Taiwan a la Taiwan Beer, la Thaïlande a la Chang, la Singha et la Leo et la Chine a la Snow et bien sûr la Tsing Tao brassée dans la ville éponyme.

 

La bière ne traverse pas les frontières

En réalité, ces bières traversent très peu les frontières des pays dans lesquels elles sont produites. Je m’en suis d’ailleurs très vite rendu compte lorsque, vivant en Thaïlande à cinq minutes de la frontière birmane et du siège de la Myanmar Beer (situé dans la ville frontière de Tachileik), je devais changer de pays pour déguster cette dernière.

Quant aux bières venues d’autres continents, elles sont souvent difficiles à trouver en dehors des quartiers d’expatriés ou de tourisme. Les asiatiques ont donc tendance à se contenter machinalement de la bière (parfois unique) produite en bas de chez eux.

 

Des bières pas si locales

Malgré tout, les asiatiques sont de grands amateurs de bière. Ils constituent le premier marché au monde pour les brasseurs. Le continent consommerait à lui seul 33,6% de la bière produite dans le monde. Pourtant, historiquement, l’Asie n’est pas un pays producteur de bière. La Tsing Tao par exemple a été lancée par des brasseurs allemands en 1903 alors que la ville était une colonie germanique. La bière Chang, certainement la plus populaire de Thaïlande, était à la base une déclinaison de la bière danoise Carlsberg qui fut reprise par une entreprise thaïlandaise. La brasserie cambodgienne de l’Angkor Beer a quant à elle été mise en place dans les années 60 par des entrepreneurs français.

 

Le protectionnisme profite surtout aux grands groupes

Bref, la bière asiatique a un arrière goût de colonisation et d’interventionnisme occidental. Mais alors pourquoi les asiatiques sont-ils tant attachés aux bières produites dans leur pays, parfois par leur gouvernement ? Certainement parce qu’elles coûtent moins cher. Les pays asiatiques sont les champions du protectionnisme toutes catégories confondues, et les hectolitres de bières que s’enfilent leurs populations dans les karaokés ne passent pas au travers. Les taxes sur l’importation et les conditions strictes pour obtenir un droit de distribution freinent les importations de bières étrangères et les limitent à des grands groupes ayant une capacité d’investissement et un service juridique importants.

 

Produire de la bière étrangère sur place

Mais la résistance s’organise. Par le biais de « joint ventures », certaines brasseries tentent d’entrer dans le capital de sociétés étrangères pour obtenir de nouveaux marchés. C’est le cas par exemple du japonais Asahi, du thaïlandais ThaiBev et du néerlandais Heineken, qui sont récemment entrés dans le capital de la Sabeco, le plus gros brasseur vietnamien.

L’irlandais Guiness a quant à lui contourné le problème des droits de douane (et de transport) en implantant des brasseries directement en Malaisie et en Indonésie.

 

Ou importer de la bière locale de l’étranger

Mais c’est certainement de l’intérieur que va naître la diversité des bières d’Asie, par l’émergence de nombreuses micro-brasseries répondant à une demande de variété de plus en plus grande. En Thaïlande par exemple, où le monopole de ThaiBev est ardemment protégé, certains micro-brasseurs se sont organisés pour contourner la loi, limitant fortement la production de bières en Thaïlande autres que celles du puissant groupe (la bière est avant tout une question de gros sous). Leur idée : produire une bière thaïlandaise à l’étranger, puis l’exporter en Thaïlande. Ainsi, les deux bières thaïlandaises Chalawan Pale Ale (de Phuket) et la Chiang Mai Beer, autrefois vendues sous le manteau, sont désormais disponibles légalement, en provenance d’Australie et du Laos où elles sont désormais mises en bouteille. Le seul inconvénient : il faut désormais payer des taxes sur l’importation de ces bières locales !

 

En fait, vous l’aurez compris, si on pousse les asiatiques à ne boire que la bière principale de leur pays, c’est plus pour des raisons économiques que patriotiques.


Pokémon Go au secours du tourisme thaïlandais

Pokémon Go, c’est le débat plus qu’inutile qui anime toutes les rédactions. Le principe : se promener en regardant le monde qui nous entoure à travers la caméra de son téléphone dans le but de voir et d’attraper d’hideux bonshommes qui eux n’existent pas, mais qui habiteraient certains lieux.

Tout comme ce fut sans doute le cas lors de l’invention du walkman ou même du journal, les avis divergent entre les défenseurs de cette avancée technologique majeure dans l’histoire de l’humanité et les plus sceptiques qui estiment dangereux et dommageable que l’on puisse porter son attention sur autre chose que son environnement extérieur.

Une économie du Pokémon?

Chacun y va de son analyse et prend des mesures exceptionnelles, à l’image de ce maire indonésien qui interdit aux enfants de jouer à Pokémon Go les jours de typhons. En Thaïlande, un pays où les habitants naissent avec un smartphone collé au nez, et où petits et grands excellent dans l’art d’écrire des messages ou de poster des selfies tout en conduisant une moto sans casque sur l’autoroute, on voit avant tout le phénomène comme une opportunité financière. Avant même la sortie officielle du jeu en Thaïlande, certains rêvent déjà d’une « économie du Pokémon » qui aiderait le pays à se relever de la morosité économique qui le gagne peu à peu. Sur l’île de Phuket, une entreprise a par exemple eu l’idée de lancer des tours en minibus à la poursuite de Pokémons rares.

Pokémon Go au secours du gouvernement

Mais l’initiative la plus étonnante vient du gouvernement thaïlandais lui-même. Suite aux attentats des 11 et 12 août qui ont fait un mort et 21 blessés dans plusieurs lieux touristiques de Thaïlande, les professionnels du secteur touristique craignent une désaffection des visiteurs, notamment des touristes asiatiques qui prennent la question de la sécurité très à cœur (cela se rajoute à un durcissement de l’octroi de visas touristiques et au doublement récent du prix des visas à l’arrivée). Le tourisme représentant près de 10% du PIB thaïlandais, il fallait réagir vite. Le gouvernement a donc immédiatement mis en place une première mesure : l’interdiction de l’emploi du mot « terrorisme », que les déontologues de la junte voudraient voir remplacer dans les médias par le terme de « sabotage local », suivant ainsi l’idée communément admise chez les enfants de moins de sept ans selon laquelle ne pas parler de quelque chose le fait disparaître.

L’idée la plus originale revient néanmoins au ministère du Tourisme qui a annoncé compter sur Pokémon Go pour relancer le secteur en Thaïlande. Son idée : travailler avec les développeurs du jeu pour installer des arènes et des Pokéstops dans les lieux touristiques « sécurisés ». Autrement dit, l’objectif est de combler la désaffection de visiteurs réels prêts à payer pour visiter temples et parcs naturels, à l’aide de cybervisiteurs venus chasser des pixels et des lignes de code. Idée à la noix ou réelle opportunité à défricher ? L’avenir nous le dira. On ne pourra au moins pas reprocher à ce gouvernement de n’avoir rien essayé…


Quand le Premier ministre thaïlandais se prend pour Cameron

Ça y est c’est l’été, les arbres sont en fleurs, les Européens fêtent la musique ou prennent l’apéritif en terrasse à la lueur d’un jour qui n’en finit pas tandis que l’Asie du Sud-Est souffle un peu et s’extasie devant des couchers de soleil multicolores reflétés par les premières moussons. Mais l’été, c’est aussi la saison des référendums. Après le Royaume-Uni qui a voté en faveur du Brexit, après la Loire-Atlantique qui a voté pour la construction de l’aéroport de Notre-Dame des Landes, ce sera bientôt au tour de la Thaïlande de s’exprimer.

Non l’objet du vote n’est pas l’accélération ou non du projet de l’ASEAN, qui ne verra en fait sûrement jamais le jour tant les nationalismes asiatiques sont exacerbés, et tant aucun des pays concernés ne semble vouloir concéder le moindre fragment de souveraineté.

Le 7 août 2016, les Thaïlandais seront amenés à voter pour ou contre un projet de constitution très cher au premier ministre autoproclamé Prayuth Chan-O-Cha.

En bref, Prayuth, c’est ce général en colère qui avait renversé le gouvernement (très contesté mais élu) de Yingluck Shinawatra qui peinait à gérer les tensions parfois violentes qui secouaient le Royaume. Si la nouvelle du coup d’État avait été reçue de manière mitigée par la population qui demandait souvent un retour à la sécurité, le détricotage de la démocratie qui s’en est suivi a semé le trouble au sein de la classe politique thaïlandaise et dans les relations diplomatiques du pays, notamment avec l’Occident.

Tout a commencé par un contrôle musclé de la presse, laissant entrevoir une période funeste pour la liberté d’expression. S’en sont suivis sa nomination par ses propres hommes en tant que premier ministre civil quelques jours avant de prendre sa retraite militaire, puis l’organisation, plus de deux ans après sa prise de pouvoir annoncée comme provisoire, d’un référendum pour valider ou non un nouveau projet de constitution.

Loin de moi l’idée de donner mon opinion ou un quelconque éclairage sur des questions de droit constitutionnel thaïlandais. Mon propos porte surtout sur la méthode. Car très enthousiaste de présenter son nouveau projet de constitution au peuple thaïlandais, Monsieur Chan-O-Cha s’est lancé dans une grande campagne, d’ « information », mettant au travail le monde universitaire et médiatique pour annoncer la bonne nouvelle.

Comme un air de campagne et de retour du débat démocratique donc, mais qui ne fût que de courte durée. Car devant les pulsions expressionnistes de certains extrémistes de la démocratie, le gouvernement des treillis libertophobe a eu une idée formidable : interdire toute forme d’expression ayant pour but d’influencer le vote des thaïlandais. En d’autres termes, la junte a inventé les élections pour lesquelles il est interdit de faire campagne. La peine encourue est de dix années d’emprisonnement.

Un moyen efficace donc de ne pas se laisser influencer et de ne voter qu’à la lueur des explications éclairées et impartiales du rédacteur de ladite constitution. Une sorte de « Démocratie pour les nuls » à la sauce orientale.

Mais la petite phrase qui a défrayé la chronique cette semaine dans le microcosme des expatriés de Bangkok, c’est cette déclaration du premier ministre qui à la suite des résultats du vote pour le Brexit a signifié « je ne suis pas Cameron », affirmant par là qu’il ne démissionnerait pas s’il était désavoué le 7 août.

Outre le fait que l’ancien général se compare allègrement au premier ministre de la cinquième puissance économique mondiale, membre de l’OTAN et du G7 bénéficiant d’un droit de véto au Conseil de sécurité des Nations Unies, il compare surtout son action politique à une démocratie. Car si David Cameron a décidé de démissionner après avoir été désavoué par le peuple britannique, c’est avant tout parce que la légitimité de son action politique lui venait des urnes.

Est-il donc nécessaire de rappeler à Monsieur Chan-O-Cha qu’il n’est pas arrivé au pouvoir par le vote des citoyens et que le monde aurait été plutôt étonné si la voix du peuple le contraignait à démissionner, ou même à influencer quelque décision politique que ce soit ?

 

Extrait de mon autre blog: Chroniques de Thaïlande


Cambodge : quand les ONG font leur beurre sur l’orphelinat

Le Cambodge est un Eldorado pour toute bonne âme en quête de tourisme responsable et qui voudrait aider les orphelins et les enfants déshérités dans les pays qu’elle visite. Avec près de 600 orphelinats construits à proximité des principaux lieux touristiques, les voyageurs culpabilisés par la différence de niveau de vie avec leur pays d’origine pourront aisément se racheter une conscience en s’improvisant professeur d’anglais, en jouant aux cubes avec des bambins souriants et surtout en faisant un don à une organisation bienfaitrice. Car le marché de l’empathie est en plein boom au Cambodge, et cela ne va pas sans poser certains problèmes éthiques.

 

Le Cambodge est-il un pays d’orphelins ?

Vous vous demandez certainement pourquoi le Cambodge compte autant d’orphelins. L’UNICEF qui se penche très sérieusement sur la situation de ces centres estime que seulement un tiers des enfants accueillis dans les orphelinats cambodgiens sont réellement orphelins.

En fait, le Cambodge a réellement compté de nombreux orphelins après la guerre civile qui s’est achevée en 1975. Les organisations venues leur porter secours se sont peu à peu implantées dans le pays. Elles ont suscité la sympathie et la générosité des voyageurs de passage, ont permis la création d’emplois, et se sont enracinées dans l’économie cambodgienne.

 

Un marché qui se porte bien

Seulement, les orphelins de la guerre sont tous majeurs depuis bien longtemps, et les orphelinats du pays se sont progressivement vidés de leurs effectifs, menaçant leur survie et les emplois de ceux qui y travaillaient. De nombreuses organisations de défense des droits de l’enfant dénoncent une tendance de plus en plus grande de ces institutions à attirer des enfants venus des zones rurales pauvres pour faire gonfler leurs effectifs d’ « orphelins », promettant à leurs parents de leur fournir une éducation à laquelle ils n’auraient normalement pas accès. Ce procédé est contraire à la Convention des droits de l’enfant (ratifiée par le Cambodge) qui stipule qu’un enfant doit avoir le droit « de connaître ses parents et d’être élevé par eux ». Pire encore, le nombre d’orphelinats serait selon l’UNICEF en constante augmentation alors même que la demande a diminué. L’orphelinat est devenu un business comme les autres.

 

Repenser l’humanitaire

En fait le « volontourisme » (contraction de volontariat et de tourisme) est une gangrène au Cambodge, mais aussi ailleurs en Asie du Sud-Est. La plupart des pays d’Asie n’ont ni la même conception des ONG, ni la même législation pour les encadrer que la plupart des pays occidentaux. La professionnalisation nécessaire de l’action humanitaire, tant dans ses métiers opérationnels que dans sa gestion financière a fait naître une économie positive et de plus en plus génératrice d’emplois, notamment dans des pays peu développés. Mais l’équilibre financier de ces organisations est précaire. Il tient à la persistance des problèmes qu’elles sont censées combattre. Qu’elles soient financées par des volontaires, des donateurs privés pensant aider, ou par des organismes publics, il faudra toujours prouver la nécessité d’agir pour être financé. Les faux orphelins cambodgiens doivent nous questionner sur la place que doivent prendre l’humanitaire et l’action sociale dans un pays et sur ses liens parfois ambigus avec d’autres activités marchandes telles que le tourisme, mais aussi sur les alternatives de financements telles que l’entrepreneuriat social.


Pattaya: le pigeon, la pute et le truand

Extrait de mon autre blog: Chroniques de Thaïlande

 

Vous connaissez ma propension sadique à me moquer gratuitement des petits travers de la société thaïlandaise. Jetant un regard faussement candide sur mes amis indigènes, j’aime amuser mes lecteurs en cherchant frénétiquement à ne relever que les absurdités de ce pays qui finalement me sied.

Mais il y a des jours où l’actualité se suffit à elle-même et où il n’est pas nécessaire de faire preuve de malhonnêteté intellectuelle pour amuser la galerie, des jours où tenter de trouver un angle différent ne ferait qu’enlever toute sa saveur à une information qui à elle seule illustre l’absurdité du monde dans lequel nous tentons tant bien que mal d’évoluer.

L’histoire que tonton Somwang s’en va vous conter se déroule dans la petite bourgade de Pattaya. Pour ceux qui ne connaissent pas Pattaya, c’est LA ville du vice en Thaïlande. L’ancien petit village de pêcheur qui a charmé des régiments entiers de GI américains lors de la guerre du Viet Nam s’est peu à peu retrouvée victime des excès de testostérone de son nouveau fan club pour devenir la tristement célèbre ville du sexe. La région recèle certes de joyaux culturels et d’une agréable nature, peu à peu consumée par l’appétit immobilier d’une jet set low cost, mais il est vrai que les excès qui ont fait sa réputation sont un terrain fertile à toutes formes de trafics.

Mais depuis le calme Coup d’État de 2014, le gentil « Conseil National pour la Paix et l’Ordre » a promis de faire du pays un havre de paix, dans lequel pieux consommateurs et « touristes de qualité » seraient débarrassés des fléaux (bien réels) que sont la corruption, la drogue et le trafic d’êtres humains.

C’est donc en cette ville emblématique de Pattaya qu’a eu lieu le dernier coup d’éclat pour lutter contre les forces du mal. Ce 4 février 2016, il aura fallu la coopération de la police et de l’armée pour neutraliser les forcenés. Ils étaient 32 au total, tous étrangers et donc dénués de morale siamoise, tous retraités et donc d’immoraux oisifs. Leur crime: avoir de manière répété organisé des parties de bridge. Un affront intolérable, lorsque l’on sait que la possession de plus de 120 cartes à jouer ou de cartes non estampillées par l’État est interdite depuis près d’un siècle.

Mais au delà de la mise hors d’état de nuire de délinquants multirécidivistes, la police voulait surtout envoyer un message fort aux trafiquants de cartes à jouer, qui en plus de déforester l’Asie du Sud Est pervertissent le peuple.

Car jouer au poker entre amis autour d’une bière bien fraîche, ce serait s’écarter du droit chemin, de la morale communément admise qui consisterait à penser que pour avoir une vie meilleure, il serait préférable de claquer son salaire dans un temple, de s’endetter sur 35 ans pour un pickup tout neuf, ou même d’acheter les tickets de la loterie nationale qui comporteraient les numéros de la date de naissance du général en chef.

Un grand bravo donc aux forces de police qui chaque jour protègent leurs concitoyens contre l’amusement. Quitte à paraître quelque peu tatillon, tonton Somwang aurait toutefois une légère remarque sur la méthode:

Interdire la possession de cartes a jouer pour éviter les jeux d’argent, ne serait-ce pas comme interdire la fabrication de tirebouchons pour lutter contre l’alcoolisme ou stopper la production de papier toilette pour endiguer une épidémie de choléra? Bref, tout ceci a-t-il vraiment un sens?

Oui, je sais que mes remarques resteront vaines. Non pas que je ne croie pas que les membres du gouvernement lisent la traduction approximative fournie par Google de chacune des mes chroniques, mais au pays du « sourd irréductible », il est coutume avant tout de « garder la face ».

« Garder la face » en Thaïlande, c’est une jolie manière de dire « se rendre compte qu’on a fait une connerie mais continuer comme si de rien n’était pour pas se taper la honte ». Assumer ses erreur, c’est admettre qu’on a échoué, c’est s’exposer à l’humiliation.

Mais dans une culture où l’on hiérarchise les individus, où l’on fait une distinction nette entre le bien et le mal, entre les bons et les mauvais humains, personne n’a le droit a l’erreur. Il est donc à prévoir que malgré l’hilarité provoquée par l’affaire, les poursuites ne soient pas abandonnées contre nos papis pirates, et que soient avertis les candidats à la débauche qu’ils seront traqués nuit et jour si entre deux prostituées hermaphrodites ils se laissaient aller à jouer.

Faut-il rire ou pleurer du fait que le raid ait été lancé « suite à une dénonciation »? En tout cas, l’un des joueurs lui n’a pas dû beaucoup rire lorsque la police a décidé de le garder après qu’il ait refusé de payer une caution de 5000 bahts, qui se seraient ajoutés au pactole de 155.000 bahts amassé pour la libération des autres joueurs.

Moralité, même si elle n’a pas toutes les cartes en main, en Thaïlande la police est toujours la grande gagnante aux jeux d’argents.

 

 


Thaïlande : la résistance s’organise contre la double tarification

En Thaïlande comme chez beaucoup de ses voisins, la pratique de la double tarification est très répandue. Le principe : pratiquer des tarifs différents pour les thaïlandais et les étrangers à l’entrée d’édifices religieux, de musées, de parcs naturels, d’attractions ou dans les restaurants. Les écarts peuvent parfois être énormes.

Si cette pratique impacte peu la venue de touristes occidentaux de passage, elle est néanmoins un frein au tourisme régional (notamment au sein de l’ASEAN et en provenance de Chine) et à l’intégration des expatriés et étudiants venant des mêmes pays.

 

L’arroseur arrosé

Néanmoins, la double tarification est de plus en plus critiquée, y compris par des thaïlandais qui vivent ou travaillent avec des étrangers et sont des victimes collatérales de ces hausses de prix. Car paradoxalement, ce sont parfois les thaïlandais eux-mêmes qui paient la différence.

Dans une Thaïlande de plus en plus ouverte et de plus en plus métissée, même si elle refuse de le voir, la préférence nationale est parfois désavantageuse même pour les personnes qu’elle est censé protéger.

Pour donner un exemple, il m’est arrivé il y a quelques mois d’aller boire un verre avec d’anciens collègues de ma compagne dans un lieu qui pratiquait la double tarification. Étant le seul étranger du groupe, les serveurs avaient décidé de pratiquer le prix surtaxé sur toute notre tablée. Résultat, tous les participants (tous thaïlandais à part moi) ont dû payer le prix fort pour avoir été accompagnés d’un étranger. Bizarrement, je n’ai plus jamais été invité à leurs soirées…

Cette situation est vécue au quotidien par les thaïlandais qui ont un conjoint ou un parent étranger. Les entrepreneurs qui invitent des clients ou partenaires étrangers au restaurant pour un repas d’affaire sont parfois pénalisés et voient leur addition s’envoler. Dernièrement, c’est une agence touristique qui a fait les frais de cette pratique. Cette dernière s’est vue imposer le paiement d’une caution de 100.000 bahts (environ 2.500 euros) pour libérer un de leur client chinois qui avait été emprisonné pour avoir nourri illégalement des poissons. Une somme que l’agence n’aurait jamais eu à débourser s’il s’agissait de touristes thaïlandais.

 

Repenser le nationalisme à l’heure de la multiculturalité

La double tarification est un symptôme parmi tant d’autres de la posture schizophrène d’une Thaïlande ultra-nationaliste, mais qui attend beaucoup de la mondialisation pour le développement de son économie.

De plus en plus d’enfants en Thaïlande naissent avec plusieurs nationalités. De plus en plus d’enfants étrangers ou binationaux (les bien mal nommés « demi-enfants ») fréquentent l’école thaïlandaise. De plus en plus d’étrangers, occidentaux, asiatiques et même africains apprennent la langue thaïe et comprennent les inscriptions faisant mention de la double tarification ou les conversations avec d’autres clients.

La Thaïlande n’est plus un pays fermé, parlant un langage compris par personne d’autre que les thaïlandais et dont les seuls résidents étrangers seraient soit des touristes, soit des diplomates. Mais elle continue à se penser ainsi, à imaginer une limite figée et étanche entre les thaïlandais et les « autres ». Elle est en quelque sorte malade de son ouverture au monde qu’elle peine à assumer.

 

La résistance s’organise

Face à ce phénomène, certaines voix se lèvent pour demander plus de transparence dans les prix pratiqués pour les étrangers. C’est le cas par exemple de Richard Barrow, un écrivain de voyage qui milite sur son site Internet pour un « droit au choix ». Il ne critique pas le principe même de la double tarification, estimant que cette pratique (même s’il rappelle qu’elle est interdite) est un libre choix de la Thaïlande. Il milite néanmoins pour plus de transparence, pour que soit affichée clairement la différence de prix entre nationaux et étrangers, afin que chacun puisse choisir en son âme et conscience d’accepter ou non cette double tarification. Car on ne peut pas en effet considérer comme étant une « arnaque » une surcharge dont le client est conscient. C’est en fait le manque d’information qui crée la tromperie, et souvent l’amertume.

 


Le droit des réfugiés: un défi pour l’Asie du Sud-Est

Depuis la nuit des temps et dans le monde entier, les êtres humains fuient leur village, leur région ou leur pays lorsqu’ils se sentent en danger. L’Asie n’est bien sûr pas exempte de cette question. Depuis la seconde Guerre Mondiale, les conflits ne cessent de s’internationaliser. La mondialisation fait de notre planète un village et favorise des migrations de plus en plus transnationales. Beaucoup de pays se sont donc accordés pour déterminer des normes internationales de protection des personnes forcées de fuir leur pays. La Convention de Genève de 1951 était à la base écrite pour protéger les réfugiés européens ayant fui devant le nazisme. Elle définit les critères définissant un réfugié et les protections qui doivent lui être apportées. A l’époque, cette convention n’avait été signée par aucun état asiatique excepté la Turquie. Elle a maintenant été ratifiée par presque tous les états du monde (145 sur 192 pays reconnus dans le monde par l’ONU en 2012). Beaucoup d’états ont néanmoins émis des réserves sur certains articles de la convention.

L’Asie du Sud-Est est la grande absente de cette liste. Sur les 11 états de la zone, seuls 3 ont ratifié la Convention de Genève. Cela ne signifie pas qu’ils « accueillent » plus ou moins de réfugiés que les huit autres, mais que la notion même de « réfugié » n’existe pas dans leur législation et que ces derniers ne bénéficient d’aucune protection.

La convention de Genève de 1951 en Asie du Sud Est
La convention de Genève de 1951 en Asie du Sud Est

 

Qui sont les réfugiés d’Asie du Sud-Est ?

L’actualité nous pousse souvent à faire un parallèle entre « réfugiés » et « conflit armé », mais la notion est bien plus large. Elle désigne les personnes contraintes de vivre dans un pays autre que le leur car elles sont persécutées ou craignent de l’être en raison de ce qu’elles sont, croient ou défendent. Tous les déplacés ne sont pas des réfugiés. Beaucoup ne franchissent pas de frontière nationale mais sont forcés au déplacement, pour fuir une catastrophe naturelle, une vendetta ou un conflit avec les autorités locales. Ces déplacés internes (ou IDP) représentaient en 2011 plus de 4 millions de personnes en Asie du Sud-Est.

Mais beaucoup de personnes sont forcées de quitter leur pays pour se réfugier dans d’autres états asiatiques.

On notera par exemple les Nord-Coréens ayant décidé de (et réussi à) sortir des griffes de l’état le plus totalitaire au monde. Beaucoup voudraient rejoindre la Corée du Sud, mais étant donnée les difficultés pour franchir la zone démilitarisée entre les deux Corées, la plupart d’entre eux fuient par la Chine (seul allié de la Corée du Nord) et sont voués à des années d’errance dans différents pays d’Asie.

Un autre groupe très enclin à fuir est celui des rohingyas. Cette ethnie musulmane du Myanmar n’est officiellement plus birmane depuis 1982. An San Suu Kyi elle même, pourtant présentée comme réconciliatrice des différentes ethnies du pays ne reconnaît pas leur appartenance à la communauté nationale. Devenus apatrides et victimes d’une répression violente, ils fuient régulièrement par la terre ou par bateau ce pays dans lequel ils n’ont plus le droit de vivre, avec l’espoir pour beaucoup de rejoindre l’Indonésie, le plus grand pays musulman au monde.

Les opposants politiques sont également nombreux à fuir les pays asiatiques, des thaïlandais accusés de crime de lèse-majesté aux blogueurs ou journalistes chinois opposés au parti communiste. La Chine est d’ailleurs aussi créatrice de nombreux réfugiés pour motifs religieux. Pékin n’accepte pas les mouvements religieux échappant au contrôle du Parti Communiste. Il ne veut entendre parler ni du pape, ni du Dalaï Lama et traque les croyants se réclamant d’autorités religieuses extérieures à la Chine.

On parle beaucoup de l’exil des bouddhistes tibétains, mais ils ne sont pas les seuls. La communauté musulmane Ouïgour a elle aussi un chef spirituel en exil, Rebiya Kadeer, un ancien du Parti Communiste expulsé vers les Etats-Unis. Quant aux chrétiens, les autorités chinoises tentent de limiter leur expansion. Régulièrement, des croix sont détruites par les autorités et des célébrations sont interdites.

 

Les réfugiés d’Asie du Sud-Est manquent de protection

La conséquence de cette non-reconnaissance du statut de réfugié n’est pas statistique (elle n’empêche pas les réfugiés de traverser les frontières) mais juridique. Les réfugiés dans les pays qui ne leur reconnaissent pas de statut sont exposés à deux principaux risques : celui d’être persécutés par les autorités de leur pays même en dehors de son territoire, et celui d’être victimes de trafiquants d’êtres humains.

Si de nombreuses femmes réfugiées sont contraintes à la prostitution, les hommes sont souvent réduits à l’esclavage dans les secteurs de la pêche ou de l’agriculture. Des réfugiés nord-coréens ont par exemple été repérés travaillant de manière forcée au Myanmar dans des champs de pavot destinés à la production d’héroïne. En Thaïlande, la réduction en esclavage de nombreux rohingyas sur des bateaux de pêche et la découverte de charniers dans le sud du pays créent régulièrement la polémique.

A Bangkok, ce sont les kidnappings organisés par les autorités de Pékin qui inquiètent les dissidents chinois. Selon le Bangkok Post, ils se seraient multipliés ces derniers temps et créeraient un climat de méfiance dans la diaspora chinoise. Le problème de la non-reconnaissance du statut de réfugié est que ces personnes se retrouvent en situation illégale. Ils sont en séjour irrégulier et ne sont pas autorisés à travailler. Difficile dans ces conditions de porter plainte dans son pays de refuge contre des employeurs ou passeurs esclavagistes. Il est délicat également de demander protection à la police ou de lui signaler une disparition inquiétante.

 

L’asile met sous tension les relations internationales

Mais pourquoi refuser de nommer et reconnaître les réfugiés ? Certainement par abus de nationalisme, mais pas uniquement.

Reconnaitre ou non un réfugié, c’est avant tout poser un acte diplomatique. L’an dernier, la déportation vers la Chine par la Thaïlande de réfugiés Ouïgours turcophones à qui Ankara aurait offert sa protection avait mis le feu aux poudres en Turquie, où l’ambassade de Thaïlande avait été attaquée par des manifestants.

Reconnaître le statut de réfugié à quelqu’un, c’est avant tout reconnaître la non-volonté ou l’incapacité d’un pays à protéger ses propres citoyens, mais c’est aussi reconnaître des différences de valeur entre états. En protégeant Edward Snowden par exemple, l’Équateur s’oppose à la position américaine sur la situation du lanceur d’alerte. Reconnaître le statut de réfugié à un opposant chinois et lui offrir une protection, ce serait avant tout s’opposer à Pékin en désapprouvant sa politique répressive. Et personne en Asie ne veut se mettre la Chine à dos…

Doit-on voir cet immobilisme comme un respect des souverainetés nationale ou une lâcheté diplomatique ? Tout est question de point de vue. Quoi qu’il en soit, la question de l’asile, des réfugiés et de l’apatridie devra être une question centrale pour l’ASEAN dans l’hypothétique construction d’une zone de libre circulation. Mais comme l’Union Européenne nous l’a prouvé, le sujet est extrêmement sensible et divise, car il questionne en profondeur sur la perte de souveraineté dans une union d’états.


Chômage: le modèle difficilement transposable de la Thaïlande

Le chômage en Thaïlande, ça n’existe pas. C’est en tout cas ce que laissent penser les chiffres. Selon les données officielles, seulement 0,56% de la population serait sans emploi. En fait, les chiffres varient entre 0,5 et 1,1 %, plaçant la Thaïlande en tête de liste (et même à la première place selon certaines estimations) des pays de plein emploi.
Quel est le secret du modèle économique thaïlandais ? Les pays européens rongés par le chômage pourraient-ils s’en inspirer pour sortir de la crise ? Pas forcément…

 

Un marché du travail ultra-flexible

Certes les thaïlandais, même peu diplômés, n’ont pas de mal à trouver un emploi. Le code du travail n’est pas très contraignant. Il n’est pas souvent respecté non plus. Le marché du travail est ultra-flexible et très dynamique. Si bien que, plus que les employés, ce sont bien souvent les employeurs qui peinent à trouver de la stabilité. Au moindre désaccord, ou parfois même pour prendre des congés ou aller visiter un parent, il n’est pas rare qu’un employé envoie un SMS à son supérieur pour lui signifier qu’il ne reviendra plus. Rien de plus facile à son retour que de retrouver un nouvel emploi !

 

L’éducation thaïlandaise est à la traine

Le plein emploi thaïlandais peut-il s’expliquer par la performance de ses écoles et de ses universités ? Pas vraiment… Selon une enquête menée par l’OCDE, le système éducatif se situait à la 50ème place sur un total de 65 pays évalués. Même si le taux d’alphabétisation des thaïlandais est relativement élevé (93,5% selon l’UNICEF), l’enseignement thaïlandais repose essentiellement sur l’apprentissage « par cœur », avec un accent très important mis sur les questions morales et le respect de l’autorité et de la hiérarchie. Les prises de positions, de risques, la créativité ou la remise en question ne sont pas encouragés. Tout comme dans le reste de la société, ces comportements sont même plutôt réprimés. Il est difficile de penser l’éducation thaïlandaise comme moteur d’innovation et de croissance. Les thaïlandais ne créent d’ailleurs pas beaucoup de valeur. Avec un PIB par habitant estimé à 5676 dollars en 2013, le royaume se classe à la 91ème place mondiale. Cela peut paraître très étonnant dans un pays qui ne connait pas le chômage. On en viendrait presque à penser que la croissance est un délire de technocrates occidentaux et qu’elle n’est pas nécessaire pour créer de la richesse et de l’emploi. Oui mais…

 

Une économie bancale

En fait, si la Thaïlande a su créer des emplois en produisant peu, c’est grâce à un contrôle artificiel de son économie. L’économie thaïlandaise est basée sur deux piliers : le protectionnisme et les bas salaires. Toujours selon l’OCDE, le salaire moyen d’un thaïlandais en 2012 était de 492 dollars, plaçant le pays à la 62ème place au niveau mondial. En réalité, peu de thaïlandais gagnent 500 dollars par mois. Les inégalités sont très importantes en Thaïlande, le pays souffre d’un manque de redistribution de ses richesses. Contrairement à de nombreux pays européens, la classe moyenne n’est pas très forte. La société thaïlandaise est divisée en deux mondes : celui des travailleurs pauvres, gagnant un salaire proche du SMIC (environ 200 dollars par mois) et les ultra-riches, surtout concentrés aux alentours de Bangkok et très influents à la fois économiquement et politiquement. C’est cette manne d’emplois peu rémunérés, attirant les entreprises étrangères friandes de main d’oeuvre peu chère qui permet à la Thaïlande d’afficher un si bas taux de chômage.

 

Le protectionnisme modifie artificiellement le marché du travail

L’autre arme de la Thaïlande contre le chômage, c’est le protectionnisme. Ce protectionnisme se retrouve tout d’abord dans l’investissement, puisqu’il est très difficile pour une personne ou une entreprise étrangère d’être propriétaire de ses investissements en Thaïlande, qu’il s’agisse de terrains, de moyens de production ou de sociétés. Il se trouve également dans les barrières douanières et les taxes à l’importation mirobolantes (entre 200 et 300 % pour l’importation de voitures par exemple). Mais la Thaïlande est également très protectionniste en ce qui concerne le marché du travail. Les conditions pour embaucher un étranger sont drastiques, et surtout, les salaires minimums sont bien plus élevés pour les étrangers (environ 4 à 5 fois supérieurs), à l’exception de certaines nationalités venant de pays voisins et fournissant de la main d’oeuvre bon marché dans certains secteurs comme le bâtiment ou la pêche.

C’est l’association de ces deux éléments (protectionnisme et bas salaires) qui garantit aux thaïlandais des emplois à profusion. Ainsi, malgré un niveau d’éducation très bas, les entreprises étrangères doivent faire appel à du personnel thaïlandais pour pouvoir profiter du cadre particulièrement rentable offert par la Thaïlande. Un moyen d’offrir à chaque thaïlandais, même peu qualifié, un emploi lui permettant de survivre.

 

Le vent tourne

Mais ce modèle protectionniste commence à se fissurer. Tout d’abord parce que l’évolution laborieuse de l’AEC, la zone économique de libre circulation de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), devrait à terme limiter le protectionnisme des pays de la zone ; mais aussi parce que la Thaïlande est victime de la meilleure santé économique de ses voisins dont les marchés s’ouvrent et dont les infrastructures s’améliorent, les rendant compétitifs. Ainsi, depuis l’ouverture du Myanmar (la Birmanie), l’implantation d’une usine Nissan ouvre une brèche pour une éventuelle délocalisation d’une partie de la production automobile thaïlandaise. Il faut dire qu’avec un taux de croissance proche des 9%, le voisin birman effraie la Thaïlande qui est descendue sous les 2%… Va-t-on assister à une montée du chômage en Thaïlande ? L’avenir nous le dira…

 

La Thaïlande : un modèle pour la France?

Cette manière de créer artificiellement de l’emploi est propre à l’économie thaïlandaise et difficilement transposable.

Pour adopter la stratégie thaïlandaise des bas coûts, il ne faudrait pas être « un peu moins cher », mais plutôt « le moins cher ». Pour maintenir leurs emplois, les travailleurs thaïlandais doivent même être moins chers que la machine. Si les tickets de parking en Thaïlande sont donnés par des employés plutôt que par des machines ou s’il est très rare de voir des distributeurs de boissons, c’est parce que beaucoup de thaïlandais acceptent de travailler pour un salaire inférieur au coût de l’automatisation de leur travail.

La France, elle, doit miser sur d’autres atouts, notamment le niveau de qualification et de créativité pour créer de l’emploi sur son territoire. L’économie française repose non pas sur la production à bas coûts, mais sur l’expertise. Contrairement à la France, la Thaïlande peine à s’imposer sur les marchés de pointe tels que l’aéronautique ou le nucléaire. Malgré le fait qu’elle soit l’un des premiers producteurs automobiles, il n’existe pas de marques de voitures thaïlandaises.

La Thaïlande accueille uniquement des unités de production qui pourraient quitter le pays du jour au lendemain si le coût du travail devenait moins intéressant. Les entreprises qui conçoivent et commercialisent ces voitures sont basées ailleurs, notamment au Japon. Les designers, les ingénieurs et les financiers qui mettent tous ces projets en route ont besoin de talents, de personnes bien formées, et surtout d’une ouverture des marchés financiers et de l’emploi, ainsi que de la coopération entre Etats.

En fait, la Thaïlande a basé son économie sur celles des pays les plus puissants et les plus riches (la Chine voisine, les États-Unis, l’Europe et l’Australie) en leur fournissant des moyens de production à bas prix pour leurs produits de consommation, ainsi qu’un tourisme low cost pour divertir leurs habitants. Dans ce contexte, il est très difficile de favoriser l’émergence et le maintien d’une classe moyenne forte comme c’est le cas (bien que cela le soit de moins en moins) dans le modèle économique français.

 


Déménager en Thaïlande

Ce matin n’est pas un matin comme les autres, car aujourd’hui tonton Somwang dé-mé-nage !

Est-ce par antipathie pour mes voisins expatriés, alcooliques et tonitruants, que j’ai voulu quitter le quartier crado de la gare de Chiang Mai ? Les contrôles répétés de certains sous-gradés en quête de quelques deniers de visages pâles les veilles de jour de paye m’ont-ils agacés au point de vouloir fuir ma barre d’immeuble décrépie ?

Rien de tout cela. Si je déménage, c’est parce que mon indigène de chère et tendre s’est vue attribuer un nouveau poste à la campagne, loin du ballet incessant des tuk-tuks et des vendeurs de fausses Ray Bans à la sauvette, loin des restaurants pour touristes dans lesquels le moindre repas coûte le salaire journalier d’un serveur, loin des murs, barrières et péages séparant l’homme de la nature, transformant la moindre cascade ou montagne en Disneyland pour bobos amateurs de selfies bucoliques.

Non ce matin je pars vivre dans la vraie Thaïlande, celle des traditions, celle de la nature presque préservée, non pas par un militantisme écologique effréné, mais par le peu d’intérêt porté aux environs par la population locale. Il faut dire que les associations écologistes ne sont pas légion ici. J’ai parfois l’impression que la vie associative de la ville se limite à une flopée d’ « écoles » dans lesquelles des routards en manque de sens sont prêts à payer pour avoir le privilège d’enseigner durant quelques jours la langue de Shakespeare, confortant ainsi quelques bailleurs américains bien pensants dans leur idée que l’on juge le niveau de développement d’une population à sa capacité linguistique à regarder Fox News.

Mais ce matin, je laisse derrière moi le tumulte du tourisme, ses joies, ses beautés, ses solidarités et ses travers. Ce matin je pars à la campagne.

Et trouver une maison à la campagne en Thaïlande est certainement l’une des choses les plus simples au monde. C’en fut presque déconcertant pour mon esprit européen étriqué, habitué à chacun de mes déménagements aux sueurs froides, aux mythos bien préparés et aux visites groupées à quinze dans une chambre de bonne. Je m’étais donc apprêté à défendre mon cas, à expliquer au pingre propriétaire en face de moi que j’étais écrivain, plaidant l’erreur de traduction, ne sachant pas dire « blogueur » en thaïlandais, et préférant secrètement être vu comme un richissime auteur à succès que comme un geek fauché accroché à son clavier dans l’espoir mal dissimulé de faire marrer ses dix lecteurs réguliers à la parution trimestrielle d’un article aussi peu informatif que lucratif. Bref, tous ces questionnements n’auront en fait servi à rien. Ici pas de dossier, pas de fiche de paie, pas de CDI ni même d’état des lieux.

Si seulement trouver un appartement pouvait être aussi simple partout ailleurs dans le monde !

Mais il ne faut pas croire pour autant que les thaïlandais trouvent facilement un logement qui leur sied. Très superstitieux, ils s’assurent avant tout que leur nouvel habitat ne sera pas déjà investi par de méchants esprits. Pour être honnête avec vous, je n’ai pas tout à fait compris le concept, mais les esprits en Thaïlande, qu’ils soient bons, mauvais (certes, c’est une manière assez dichotomique d’envisager les choses), malins ou grincheux, sont présents partout. Vivre avec un thaïlandais ou une thaïlandaise, c’est donc passer à coté de beaucoup d’opportunités immobilières jugées à l’instinct comme étant mal fréquentées dans l’au delà. Mais après quelques désenchantements, nous avons trouvé une maison répondant aux critères ésotériques de ma ghostbuster de moitié, qui tout de même par prudence s’est empressée d’offrir en sacrifice à nos nouveaux colocataires quelques fruits et bâtons d’encens. Est-ce par manque d’appétit ou parce que nous avions oublié d’enlever le cellophane qui recouvrait les fruits (les thaïlandais adorent le plastique) que les esprits ont préféré ne pas dévorer le festin ? Heureusement que tonton Somwang était là pour grignoter les restes…

Une fois installé dans mon nouveau havre de paix, quel ne fut pas mon plaisir de profiter entre deux coups de klaxon des douces mélodies de la faune environnante, des aboiements de chiens errants aux piaillements de la famille pigeon qui a élu domicile au dessus de mon lit, le tout sur fond de musique pop coréenne et dans une fumée noirâtre de déchets agricoles enflammés.

Ah la campagne, quel bonheur !


Êtes-vous un touriste de qualité ?

Comme tous les six mois environ, le gouverne – ment thaïlandais a décidé de redessiner complètement sa politique de visas.

Son arme, un nouveau visa touristique de six mois autorisant un nombre illimité d’entrées sur le territoire. Ce nouveau visa, que les gens branchés appellent METV (pour Multiple Entry Tourist Visa), mais que j’appellerai simplement « nouveau visa » sera effectif à partir du prochain vendredi 13. Hasard ou coïncidence ?

Le nouveau visa donc, me direz-vous, devrait donner la possibilité à de nombreuses personnes de passer de longs moments en Thaïlande ou d’en faire leur base pour visiter l’Asie du Sud Est. Pas tout à fait. Contrairement à ses prédécesseurs, le nouveau visa est accompagné de nombreuses nouvelles restrictions visant à attirer uniquement les « touristes de qualité ». Non le terme n’est pas de moi.

Mais qu’est-ce qu’un « touriste de qualité » ? Déjà une personne qui a de l’argent, puisqu’il lui faudra montrer sur son compte en banque une somme de 5.000 euros environ (soit trois ans de SMIC thaïlandais). Mais cela n’est pas suffisant. Tout comme Cunégonde, Brian, Caroline et Robert, Vérifiez donc si vous êtes un touriste de qualité digne de fouler le tapis rouge sia mois pour une période de six mois :

 

Bonjour, je m’appelle Cunégonde. Je viens de finir mes études et je me prépare à faire un tout d’Asie de 4 mois avant d’entrer dans la vie active. La Thaïlande étant au centre de tous les pays que je désire visiter, je voudrais demander le nouveau visa afin de transiter par la Thaïlande autant de fois que je le veux et en faire mon camp de base. Suis-je un touriste de qualité ?

Non mon enfant. Même si vous possédez sur votre compte en banque la somme demandée, cela ne suffit pas. Un touriste de qualité ne peut être un oisif étudiant. Il doit avoir un contrat de travail. Tu prendras des vacances quand tu auras un emploi.

 

Bonjour. Moi c’est Brian. J’ai 40 ans et suis rentier. Ancien homme d’affaire, j’ai pris ma retraite anticipée et vis de mes revenus immobiliers. Je passe mes étés entre Paris et New York mais j’aimerai passer les six mois les plus froids de l’année sur une plage thaïlandaise. Suis-je un touriste de qualité ?

Bonjour Brian. Tout d’abord, je voudrai vous féliciter d’être aussi riche. Ce nouveau visa, c’est aussi pour lutter contre les retraités qui oseraient s’installer avec une trop petite pension. Mais malheureusement, tout comme Cunégonde, vous ne pouvez être un touriste de qualité si vous ne travaillez pas. Il fallait y penser avant de prendre ta retraite. Mais comme vous m’avez l’air fortuné, il vous reste l’option du visa « Thailand Elit ». Pour seulement 500 euros par an (après une cotisation de 50.000 euros environ, soit trente ans de SMIC thaïlandais), vous aurez le privilège de bronzer quand bon vous semblera sur les plages thaïlandaises. Vous n’aurez toutefois pas le droit de travailler. Je ne suis donc pas sûr que vous entriez dans la catégorie des touristes de qualité.

 

Bonjour, je travaille sur Internet, j’ai un employeur et un contrat de travail en France. J’ai suffisamment d’argent sur mon compte. Je voyage tout en gérant mes clients à distance. Je suis actuellement au Japon et voudrais poser mon sac à Chiang Mai pour les six prochains mois. En fait, ce visa est fait exactement pour les gens comme moi.

Bonjour et bravo de ne pas avoir révélé ton nom. Lorsque l’on travaille sur Internet, mieux vaut être discret. A moins que ton travail ne consiste à faire des selfies devant une tasse de cappuccino, à blanchir ta peau et agrandir ton nez sur Photoshop ou à lire des ragots sur des forums, personne ne te croira. Malgré la qualité du réseau Internet thaïlandais comparé à nombre d’autres pays de la région, l’utilisation qui en est faite est encore assez limitée et peu d’officiers de l’immigration comprennent le concept de télétravail.

Mais malheureusement, tu dois faire la demande du nouveau visa dans le pays dans lequel tu as ta résidence et ton contrat de travail, donc en France.

De plus, malgré le fait que tu aies un travail, ce qui est un très bon point pour avoir accès au nouveau visa, il t’est toutefois interdit de l’exercer. Reviens donc quand tu auras fini de travailler.

 

Bonjour, je m’appelle Caroline. Je vis en Thaïlande depuis 12 ans. Je suis professeure de français dans une petite école du Nord de la Thaïlande. Jusque là, mon école me demandait d’avoir un visa touristique. Si j’ai bien compris le gouvernement veut remettre de l’ordre et mon école sera bientôt contrainte de me délivrer un visa business et un permis de travail…

Désolé Caroline. En effet le gouvernement veut lutter contre les professeurs de langues et les travailleurs humanitaires qui agissent en toute impunité sous couvert de visas touristiques et s’enrichissent sur le dos de pauvres écoliers. Mais malheureusement, ton école n’aura pas plus de fonds pour te payer un salaire d’expatrié ou un permis de travail. La solution la plus probable serait que ta classe soit fermée. Mais ne t’en fais pas. Tes élèves apprendront l’anglais c’est bien plus cool.

 

Salut, moi c’est Robert. Je suis au RSA mais j’aime bien aller à Pattaya un mois par an pour me distraire un peu. Les prostitués sont bien trop chères en France et avec les nouvelles règles et la demande d’un contrat de travail j’ai peur que ma vie sexuelle en prenne un coup.

Ne panique surtout pas Robert. La Thaïlande veut certes des touristes de qualité, mais elle ne voudrait surtout pas perdre ses touristes sexuels de passage. Si votre séjour ne dépasse pas les trente jours, vous pouvez toujours partir chaque année. Mais attention. Interdit de travailler. On est là pour se détendre…

Bref, vous l’aurez compris, le nouveau visa est réservé aux salariés qui ont posé plus d’un mois de congés payés. Mais ne croyez surtout pas que les nouvelles règles visent à réduire la présence de touristes en Thaïlande. Au contraire, le gouvernement compte beaucoup dessus pour redresser l’économie du pays. Selon l’ambassade de Thaïlande à Paris, le nouveau visa « a pour objectif d’encourager l’industrie touristique de la Thaïlande, d’accroître les revenus du pays et de préparer la Thaïlande à la Communauté de l’ASEAN ». Tout un programme.

Seulement le hic, c’est que personne ou presque n’est éligible pour ce visa en France. Faut-il s’attendre à ce que la Thaïlande fasse pression sur le gouvernement français (et d’autres pays) pour passer de cinq à vingt-cinq semaines de congés payés par an ? Affaire à suivre.


Préparer son départ pour la Thaïlande

(Article écrit en février 2014)

Ça y est, vous avez vos billets d’avion, première étape d’un long mois de préparation. A commencer par une interminable attente dans le hall de l’ambassade thaïlandaise à Bruxelles, sorte de sas de décompression conjuguant une vue sur pluie belge et la précision approximative des administrations thaïlandaises, représentée par une autochtone lymphatique qui, il faut le souligner, a la diplomatie de ne parler ni le français, ni le flamand, pour ne froisser aucune communauté très certainement.

Mais l’idée même de passer du pays du soupir à celui du sourire vous réjouit d’avance, et j’en veux pour preuve cette obsession de tout futur thaïlandais, qui consiste à regarder de manière névrotique, chaque jour, la météo de sa destination finale durant les trois mois précédent son départ. Et pendant ces trois mois, il y eut toutes sortes de temps. Les moussons incessantes s’abatant sur la pays firent perdre toute crédibilité à votre statut autoproclamé de réfugié climatique, ne pouvant pas vivre une vie sereine la vue sans cesse opacifié par un parapluie dégoulinant sur des chaussures à peine étanches.

Ce fut ensuite le froid qui tua plusieurs personnes dans le nord du pays. Il faut dire qu’à la vue de ces images de villageois autour d’un feu en tong et en short, on peut penser… eh bien on peut penser qu’il faudrait noter dans sa checklist d’obsessionnel d’apporter un gros manteau, une couette, un radiateur portable solaire Nature et Découvertes, des chaussettes de ski et un appareil à raclette pour passer les trois nuits de l’année qui descendront en dessous de 10 degrés, parce qu’après tout si vous partez en Thaïlande, ce n’est tout de même pas pour vous les geler. Et là, le « tas des choses à apporter » envahit votre entrée.

Mais le problème de tout expatrié fauché qui part trop loin pour emmener sa clio pleine jusqu’au toit, n’étant par ailleurs pas rassuré par le trajet imposé par Google Map, proposant une traversée découverte de l’Iran, du Pakistan et de la Birmanie, et pas assez fou pour faire subir un voyage épique en container à une armée de meubles Ikea mal montés, son problème, c’est qu’il lui convient donc de faire tenir dans une valise toute sa vie. Des vêtements, des livres et films en français, parce que vous n’êtes pas encore parti mais vous en avez déjà marre d’entendre thaï, de lire thaï de manger et boire thaï, alors vous aimeriez bien rajouter une ou deux bouteilles de vin, du saucisson, un hamac, quatre paires de tongs, trois paires de chaussures, une pour sortir, une pour travailler, une pour le dimanche, et vous devez y rajouter les recommandations sanitaires d’un médecin mi-parano mi-prosélytiste, à savoir une moustiquaire, ou deux de tailles différentes, quinze boites de médicaments, puisque les dix vaccins que vous avez reçus, dont certains contre des maladies éradiquées du temps de vos grands-parents ne suffiront pas à survivre en ce milieu hostile. Vous vous étonnez alors de la stabilité démographique de ce pays, alors même que l’habitat naturel de ses indigènes est si éloigné de l’institut Pasteur de Paris. Mais comment font-ils pour lutter contre la rage, la dengue, l’encéphalite japonaise… et mourir de froid si près des tropiques ?

Mais à écouter vos proches, à lire les forums, le choléra n’est pas le seul mal qui vous guète. Non le danger qui obsède tous les téléspectateurs de M6, c’est la Femme. Quand certains s’inquiètent de savoir si vous apporterez assez de « protections » du vieux continent, vous rappelant le pourcentage de femmes contaminées par le VIH et la moindre fiabilité à leurs yeux de tout objet acheté en Asie, d’autres encore vous mettent en garde sur la difficulté à identifier le sexe de votre interlocuteur, ou sur l’obsession présumée des femmes thaïlandaises à se marier pour venir vivre en Europe. Lorsque l’on voit que le pronostic vital de l’individu thaïlandais mâle est engagé à 5 degrés, j’émets des doutes sur les capacités tant physiques que psychiques de ces femmes à passer un hiver en Pologne, en Suède, ou en Flandre occidentale. Bref, dans l’esprit de vos proches, il y a deux catégories de personnes en Thaïlande : les prostituées, et les hommes. Vous tentez donc de leur expliquer que vous partez travailler à Mae Sai, et pas faire la tournée des bordels de Pattaya, mais rien n’y fait. Vous partez en Thaïlande, ce pays si immoral à leurs yeux.

Vous n’êtes pas encore parti, mais vous avez déjà peur de mourir de la lèpre dans d’atroces souffrances, et de ne pas être pris en charge à cause d’une petite ligne écrite à la fin de votre contrat d’assurance de 34 pages, que vous n’avez d’ailleurs pas choisi pour la qualité de sa couverture, mais parce que c’était le seul que vous ayez à peu près compris. Vous savez également que vous n’allez parler à aucune femme sur place, ni à aucun homme d’ailleurs parce qu’on vous a bien dit de vous méfier de tout et de tout le monde.

Bref vous resterez cloîtré chez vous un an durant. Votre vie sera un enfer et vous n’espèrerez qu’une chose, rentrer vivant du pays du sourire.