Bass

A plume ouverte

De retour d’un silence involontairement long, j’ouvre mon Facebook et pour une fois, je décide d’épurer toutes les notifications. Je découvre avec beaucoup de surprise et de plaisir que la famille Mondoblog s’inquiète de ma subite discrétion. Merci père Ziad.

@ routard.com
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J’ai été touchée. Et rassurez-vous, chers frères et sœurs Mondoblogueurs, je ne vais pas quitter la famille. D’autant que je suis impatiente de découvrir et d’accueillir les nouveaux membres. J’ai cherché comment partager avec vous ces choses qui me choquent depuis un moment sans paraître désemparée. Sans donner l’impression que l’espoir est une expression française absente des dictionnaires camerounais. D’ailleurs, l’expression « Le pays ci est mauvais ! On va faire comment ? » n’est-elle pas devenue la devise courante au pays ?

Il y a trois semaines, deux jeunes hommes passaient de vis à trépas aux urgences de l’hôpital de district de Deido. Le personnel en service ce soir là les avait tenu à l’écart après leur admission suite à un accident de la circulation parce qu’il n’avait pu obtenir de manière précise, de la bouche des défunts  agonisants, l’identité des personnes devant régler la note des soins qu’ils ont pourtant juré administrer à chaque nécessiteux sans distinction. Je me suis lancée dans une infiltration des urgences de la ville. Deux jours plus tard, j’ai du abandonner. L’inconscience, le manque de professionnalisme et même la malhonnêteté du personnel médical dans les deux centres infiltrés ont eu raison de ma témérité. En toute impunité. Au grand dam des populations dont la seule option est « y aller et compter sur la bienveillance du Seigneur».

On a décrié la situation des PVVIH au Cameroun et l’absence des ARV dans certains de centres de prise en charge dont le célèbre « hôpital du jour ». La situation reste inchangée. Les malades bravent les intempéries et la agressions afin d’arriver aux aurores à l’hôpital et rentrer en possession de leur précieux aide-vie. La plupart du temps, ils rentrent bredouilles, sans le précieux comprimé. Avec des heures de sommeil à rattraper.

Il y a quelques mois, un collègue avait publié un article sur la consommation et le trafic de drogues au Cameroun. Une enquête menée pendant des mois à ses risques et péril. Dès la publication, il a reçu des menaces. Il ne devait apparemment pas en parler. Je suis tombée des nues.

Il y a quelques années, j’ai été dépouillée au marché Nkololoun, célèbre marché aux étals de vêtements dignes des grandes maisons de couture, sous les yeux des autres vendeurs. J’avais beau crier, personne ne me prêtait une quelconque attention. Dès que j’ai voulu les suivre dans le couloir qu’ils avaient emprunté avec leur butin, fruit de six longs mois d’économie, les mêmes témoins ont retrouvé leurs cordes vocales pour me le déconseiller. Et aussi d’aller voir la police. Parce que non seulement elle ne fera rien mais qu’en plus, si jamais on les arrêtait, ils seraient relâchés. Je pourrais donc dire adieu à ma paix et à mes biens. Il m’a fallu trois mois pour me refaire une santé financière.

Alors que je pensais avoir tout vu et entendu, lundi 15 juillet, en début de soirée, le corps d’un collègue journaliste et blogueur est découvert dans son domicile à Yaoundé. Mutilé, torturé, la nuque et les membres brisés. Le visage et les jambes marqués par les traces d’un fer à repasser. Vraisemblablement assassiné. Au moment ou son corps est transporté à la morgue, des propos homophobes s’élèvent de la foule : « Pédé ! Ce n’était que le premier. Les autres seront pires ».  Le corps a été mis à la morgue. Sans autopsie, sans photos. Comme une mort de cause naturelle. Encore que. Les témoins et amis de la victime exécutent depuis lundi la chorégraphie des dépositions au commissariat. La justice dévie le débat sur la pratique de l’homosexualité au détriment du meurtre d’un citoyen camerounais, être humain à la base. Les militants LGBTI et la communauté internationale sont indignés. Les médias du monde entier en ont parlé. Même le département d’état américain s’est exprimé sur ce tragique événement. Le silence est impressionnant au pays.

Je refuse de croire que c’est dans mon pays de paix et de libertés que de tels actes sont commis. Que le socle même de la déclaration universelle des droits de l’homme, ratifié par mon pays, est bafoué. Les droits à la vie, à la santé, à la sureté et à la sécurité de tous et de chacun impunément violés.  C’est incompréhensible.

J’ai de l’espoir parce que je sais que des personnes dignes de ce nom, garantes de la vie de leurs compatriotes, existent encore. Certaines font partie de mes amis. D’autres sont le don de Dieu. Ce n’était malheureusement pas le cas pour ces jeunes et défunts inconnus ce soir là à l’hôpital. Tout comme pour des millions de camerounais. Pourquoi faudrait-il compter sur une minorité de personnes consciente alors que la majorité est formée, recrutée et payée à la sueur de notre front pour nous servir ?

J’aurais pu être chacun des cas cités ci-dessus. Chacun de vous qui lit ce billet aurait pu naître camerounais (s’il ne l’est pas déjà) et aurait été affectée ou concernée par au moins une de ces situations. A ce moment, quelle aurait été votre réaction ? Quel aurait été votre sentiment ?

Ce n’était que l’expression des mes sentiments actuels.

Peace !