William Bayiha

De Mitterrand à Macron au Cameroun de Paul Biya

Ce n’est pas la première visite d’un président français à Yaoundé sous la présidence Biya.
Et ce n’est sans doute pas la plus solennelle. La première fois où Biya reçoit un chef de l’État français, en qualité de président de la République, c’était les 21 et 22 juin 1983. Emmanuel Macron avait alors seulement 5 ans.




Kadhafi, putschiste à 27 ans

Je vous convie à découvrir l’épopée de Kadhafi. Il s’agit d’un des rares cas de coups d’État inspirés par une jeunesse insouciante et idéaliste sur le continent. Dans cet épisode, nous allons voir comment comment un gamin de 27 ans a renversé la monarchie en Libye.




Transformer sur place les matières premières pour combattre l’immigration clandestine ?

 

Jeune homme au travail.
Très peu d’emplois à long terme naissent des investissements en Afrique ce qui conduit à l’immigration clandestine.

La question migratoire a été au cœur du sommet Afrique-Europe qui s’est tenu à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Et dans les discussions, le chômage de masse, a été identifié comme le principal mal qui ronge le continent et qui pousse la jeunesse à partir. Et en évoquant la question du chômage, on tombe sur des chiffres qui poussent à réfléchir…

Ce texte a été diffusé dans le cadre de la Chronique Business sur Africanews.

L’immigration des Africains vers l’Europe a été une idée fixe lors du sommet d’Abidjan. Et en filigrane des discours des dirigeants européens et africains, nous avons retrouvé la certitude selon laquelle les migrants prennent d’assaut la Méditerranée pour fuir la pauvreté et le chômage en Afrique.

Pauvreté-chômage-Afrique : triptyque qui fait sens dans tous les débats actuels sur l’immigration.

Face à cette certitude, je me suis intéressé aux chiffres du chômage en Afrique pour savoir, comme c’est souvent suggéré, si le départ pour l’Europe est dû à une sorte de désœuvrement sur le continent.

Et selon les tendances 2017 de l’Organisation internationale du Travail intitulées « Emploi et questions sociales dans le monde », on peut voir que le chômage en Afrique touche 8 % de la population en âge de travailler et que ce chiffre est stable depuis 2016.

En regardant de plus près,on note que la situation de l’emploi proprement dite est meilleure en Afrique subsaharienne, Afrique du Sud mise à part – où le chômage culmine à 25 %. Au regard du discours développé sur l’oisiveté des Africains, ces chiffres ont effectivement de quoi étonner.

C’est quoi un chômeur, au fait ?

Dire que seuls 8 % de la population africaine connaît le chômage pourrait intriguer ceux d’entre vous qui vivent en Afrique et qui continuent à voir de nombreux jeunes ne pas prendre le chemin du bureau ou d’un quelconque chantier.

C’est l’occasion pour moi de rappeller que selon le Bureau international du Travail, être sans emploi, être un chômeur, signifie trois choses.
  • Primo : ne pas avoir travaillé au moins une heure durant une semaine de référence.
  • Secundo : être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours.
  • Tertio : avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent…Ce que vous observez, dans les rues, c’est davantage ce qu’on appelle les emplois vulnérables.

Et le pourcentage en est élevé en Afrique en général. En Afrique subsaharienne près de 7 personnes sur 10 se retrouvent dans en situation de vulnérabilité.

Et lorsqu’on parle d’emplois vulnérables, on parle d’emplois précaires qui ne donnent pas souvent lieu à des protections sociales et qui sont liés à l’insécurité du marché de l’emploi.

À noter également : sur les 70 % de la population touchée par l’emploi précaire en Afrique subsaharienne, les 2/3 sont des jeunes.

L’immigration est due au manque d’emplois stables

Pour revenir à notre sujet, à savoir le sommet Afrique-Union européenne qui s’est tenu à Abidjan, j’aimerais réagir aux déclarations des chefs d’État qui annoncent qu’ils vont créer les conditions économiques pour retenir les jeunes sur le continent.

Je ne pense franchement pas que pas ce soit une question liée à la performance économique en tant que telle.

Le président de la Commission européenne Jean-Claude Junker a noté que la croissance économique en Afrique a été impressionnante durant la dernière décennie… mais qu’elle est insuffisamment inclusive. En d’autres termes, cette croissance ne profite pas à toutes les couches de la population. Je pense notamment aux jeunes et aux femmes.

Mais les femmes et les jeunes peuvent-ils réellement être impliqués dans l’organisation actuelle des économies africaines ? Je voudrais noter avec vous que le tissu productif africain est encore essentiellement tourné vers l’exportation des matières premières.

Avec des cours intéressants à l’exportation, les économies du continent ont profité de leurs croissances pour investir, parfois massivement, dans les infrastructures.

Des emplois ont été créés, mais cela a été des emplois qui ne duraient que le temps du projet de construction de la route, du pont ou du barrage.

Très peu d’emplois à long terme naissent de ces investissements. Pourtant il faut 22 millions d’emplois stables chaque année en Afrique pour occuper les nouvelles générations qui arrivent sur le marché du travail.

Mais avec des économies extraverties à la balance commerciale largement déficitaire, difficile d’empêcher la main d’œuvre employée au gré des chantiers, sans garantie pour le lendemain, de suivre le chemin que prennent les matières premières, agricoles, minérales, halieutiques, qui ont du mal à être transformées sur place.


La surpopulation de l’Afrique est un mythe

Les Africaines font trop d’enfants et le défi de l’Afrique, pour se développer, est de réduire sa natalité. Voilà en quelques mots comment pourraient se résumer les récents propos du président français Emmanuel Macron. «Dans un pays qui compte encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien», a-t-il observé alors qu’il répondait à une question lors d’une conférence de presse en marge du G 20.

Alors comme ça, l’Afrique serait trop peuplée ? L’idée en elle-même n’est pas nouvelle. Et depuis au moins les années 1970, des programmes de panification familiale se sont abattus sur le continent avec enthousiasme. Le discours est le même : il faut maîtriser l’explosion démographique en Afrique.

Mais moi qui vis en Afrique, je n’ai pas franchement l’impression de vivre dans un contexte de surpopulation étouffante. Cette surpopulation qu’une certaine élite occidentale et occidentalo-centrée essaie coûte que vaille d’inséminer dans nos cerveaux, je ne la sens pas m’astreindre.


Statistiques

La télévision et l’internet sont des vecteurs de mondialisation des idées. Ces canaux permettent à ceux qui comme moi font partie de la périphérie, de la marge du monde, d’entrevoir ce qui se passe au centre. Et lorsque je regarde le dynamisme des villes d’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord – je ne parle même pas d’Asie du Sud-Est, eh bien, j’en arrive à la conclusion que l’Afrique est relativement sous-peuplée.

Et déférence gardée envers toutes les agences statistiques du monde et au sérieux de leurs enquêtes, je me pencherai modestement et assez paresseusement sur Wikipédia pour déterminer, si mon intuition m’a induit en erreur.

Ma méthode est simple : déterminer à l’aide d’un tableau basique le nombre d’habitants dans chaque continent, en donner la superficie et d’en déterminer la densité. Pour rappel, la densité est le rapport entre le nombre d’habitants et la superficie d’un territoire donnée. 

De ce tableau, il ressort sans surprise que l’Asie est le continent le plus peuplé avec une densité de 99 habitants au kilomètre carré. Mais le plus important est que l’Asie est suivi de l’Europe qui enregistre une densité de 73. Près de deux fois plus que celle de l’Afrique qui se classe 3e devant l’Amérique et l’Océanie.

Mais cette place de l’Afrique est-elle encore trop généreuse lorsqu’on sait qu’en Amérique, il existe une vraie césure entre l’Amérique du nord et l’Amérique du sud. Au nord, les Etats-Unis enregistrent une densité de 33 habitants au kilomètre carré.


En matière de surpopulation, il faut comparer les choses comparables

Les détracteurs du «ventre des Africaines » ont d’autres arguments. Ils pointent précisément le taux de fécondité. Il les effraie. 7 à 8 enfants par femme, dit M. Macron. Un chiffre invérifiable puisque le record du taux de fécondité est détenu par le Niger et il est de six (6) enfants par femme. Un chiffre qu’il faut mettre en contexte. Le Niger, c’est 20 millions d’habitants pour 1,2 million de km². Avec une densité de 16,38 habitants au kilomètre carré, Niamey n’a pas de leçon de surpopulation à recevoir de la France qui enrégistre une densité de 98,8 habitants/km² !Et puis pour finir, j’en vois qui, gênés, commencent à dire qu’il faut comparer les choses comparables ? Je suis d’accord avec vous. Arrêtez de comparer l’Afrique aux autres continents, à vouloir lui trouver une bonne manière d’être, une civilisation qui ne serait pas un défi, une histoire dans laquelle elle ne serait pas entrée, une fécondité qui serait trop débridée… L’Afrique a le droit de commettre ses propres erreurs, de trouver sa propre voie et parfois d’avoir raison de vivre sa vie.

 

En France, l’État s’inquiète régulièrement de la baisse de la natalité, mais en Afrique, M. Macron plaide pour la maîtrise de la fécondité. Comme si le fait que les femmes ont moins de bébés en France est de la faute des Africains. En fait, le double discours du président français, mais aussi celui plus froid des institutions financières internationales, ne visent qu’à continuer à maintenir l’image d’une Afrique surpeuplée alors que le continent est en fait un nain démographique qui ne risque pas de «submerger» l’Europe.


À propos des informations qui n’informent plus !

J’en avais déjà l’idée, mais c’est par un des plus purs hasards que j’ai trouvé le prétexte de ce billet. Il faut toujours un prétexte, semble-t-il.

Ce matin, après une éternité sans y aller, je suis retourné sur Twitter. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai jamais été un utilisateur effréné de ce réseau social en particulier. Encore que je ne sois pas définitivement un fana des réseaux sociaux tout court.

Je me suis donc retrouvé sur Twitter et je me suis mis à parcourir le fil d’actualité. Une futilité par-ci. Un conseil bien placé par-là. une photo sur la Fête de l’Unité nationale du Cameroun qui joue les prolongations après les célébrations d’hier, un article de rfi.fr… Bref du classique.

C’est donc en revisitant les classiques que je suis tombé sur une information qui avait l’air d’être importante. Postée par L’Obs en ce dimanche matin, elle est nécessairement de la plus haute importance. Il faut comprendre, L’Obs, anciennement Le Nouvel Observateur, est un pilier de la presse magazine française. Peu importe si sa diffusion annuelle a baissé de 13 % en 2015, selon Wikipédia. Cela reste un fleuron.

Que diable nous annonce-t-on via un tweet signé L’Obs ? Eh bien c’est que la Corée du Sud se « tient prête » après un nouveau tir de missile nord-coréen… Et vous allez voir ce que vous allez voir, semblent souligner les guillemets !

Voilà donc le fait, la nouvelle, l’information. Il faut bien se résoudre à se dire que ces trois mots ressortent de la même signification aujourd’hui !

Parlons sérieusement. Qu’y a-t-il de bien nouveau dans l’information que nous assène L’Obs, qui reprend sans doute l’Agence France Presse ou une autre agence mondiale qui cultive le même sérieux ?

Sans sortir de Twitter et avec la volonté avouée de faire le moins d’efforts possibles, j’ai identifié une autre « information » du même type, sur le même sujet qui datait du 13 mai. Soit huit jours auparavant. Un lecteur beaucoup plus perspicace et patient pourrait trouver des centaines d’autres occurrences sur le même fait, avec les mêmes éléments de langage et la même fausse gravité.

 

Questions

Et la Corée du Nord n’est qu’un marronnier parmi tant d’autres. Famine et sécheresse en Somalie, migrants morts en méditérannée, la récession au Zimbabwe, bourdes plus ou moins vérifiées de Donald Trump, attentats non revendiqués de Boko Haram au nord-est du Nigeria, des Shebab en Somalie ou des Taliban en Afghanistan… La presse s’abreuve de ces informations qui tournent en boucle et qui n’informent plus ou très peu.

À quoi sert-il de revenir chaque jour sur des bilans toujours semblables des explosions à Maiduguri sans jamais savoir les détails des faits, sans jamais illustrer la détresse des familles, pointer les fausses annonces et alerter sur les manipulations de toutes sortes qu’implique la répétition stérile des faits ?

À qui profite ces cafouillages et ces bégaiements ? Est-ce aux journalistes et aux patrons de presse qui pêchent par paresse, pour les premiers, et par avarice pour les seconds ? Est-ce aux sources proches des milieux humanitaires toujours promptes à donner les détails sur les enfants qui meurent de faim et à demander sans sourciller des enveloppes pour alimenter leur budget ? Est-ce aux lecteurs-auditeurs-téléspectateurs-internautes qui trouvent là matière à alimenter leur curiosité et à se construire une conception fidèle de la réalité du monde ?

J’en suis venu à me demander si les gens de L’Obs – et pas seulement – se disent qu’ils continuent à informer avec de telles « informations ». J’ai brièvement pensé qu’ils n’y pensaient pas, puis qu’ils y pensaient et qu’ils n’en avaient rien à faire. Et puis je me suis regardé moi-même ! Difficile de se moquer quand on se rend compte qu’on marche soi-même de travers, qu’on se noie soi-même dans le même océan de médiocrité. J’ai rangé le petit sourire narquois qui commençait à poindre sur mon visage.


Si j’étais Français, je voterais Marine Le Pen !

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Il n’est un mystère pour personne que les percées de l’extrême droite constituent une lame de fond politique et idéologique.

Je  revois la tête incrédule de mon interlocuteur qui trônait au-dessus de sa nationalité. Il n’en revenait pas. Un Noir avoir de la sympathie pour le Front national ?! En voilà une idée ! Un parti antirépublicain et aux thèses ouvertement racistes et xénophobes. Il s’étonnait qu’un gars comme moi, qui par principe fait feu de tout bois pour défendre l’humanisme, les idéaux des Lumières, les mouvements tiers-mondistes anticoloniaux, fervent disciple d’Aimé Césaire, puisse réhabiliter le Front national, ne serait-ce que dans une hypothèse.

Comme on dit chez nous, ce cher monsieur – et tous ceux de sa condition avec lesquels j’ai pu discuter par la suite sur la question – avait raison d’avoir tort. En d’autres termes, si son diagnostic du fond de la pensée du Front national – ou mieux de l’Extrême droite – était sans doute fondé, j’ai eu l’impression qu’il n’a pas saisi qu’en réalité, ma thèse dans cette déclaration reste cohérente avec ma volonté d’assister à un rééquilibrage des rapports sociaux et des relations internationales.

La question que je pose avec cette hypothèse est la suivante : après l’éradication du communisme, l’Extrême droite actuelle n’est-elle pas – en Occident, le chemin le plus court pour pousser à un rééquilibrage des rapports de forces sur le plan national et international ? Le triomphe à venir et tout cas provisoire du conservatisme n’est-il pas le nouvel anticonformisme ?

Cette question m’a beaucoup préoccupé lors de la dernière élection présidentielle. Sans en être un partisan, j’avais prédit la victoire de Donald Trump. Il faut dire que je n’ai pas boudé le plaisir de le voir prendre le dessus sur Hillary Clinton. L’ancienne première dame représentait justement le conformisme ambiant, le statu quo libéral en vigueur de la mondialisation économique et culturelle poussée dans ses derniers retranchements.

Pas singulièrement que Donald Trump ait les moyens ni la volonté de changer radicalement la politique américaine, mais son élection aura été un signal nécessaire pour pousser à la réflexion ceux qui s’intéressent à la marche du monde.

Effectivement, les questions se sont posées dans les médias. Il y a fort à espérer qu’au-delà de la posture idéologique qu’ont prise certaines institutions universitaires contre Trump, des pistes de réflexions satisfaisantes seront déblayées.

 

Pièges idéologiques

Il n’est un mystère pour personne que les percées de l’extrême droite en Europe et de cette droite dure aux États-Unis constituent une lame de fond politique et idéologique. La plupart des professionnels de la politique sont pris au piège de leurs propres montages politiques, économiques et culturels. Ils s’asseyent entre eux et se disent en pensant à leur confort personnel : « tiens la société a besoin d’évoluer ! ». Ils font la politique de ce que leurs administrés devraient penser au lieu d’appliquer le consensus qui se dégage du corps social. Ils feignent d’oublier qu’une loi n’a pas pour objectif de changer le monde, mais de le codifier. Mais qu’importe ? On autorise pêle-mêle l’assurance-maladie/chômage universel, le mariage entre personnes du même sexe, la procréation pour autrui, la déchéance de nationalité, la régularisation des sans-papiers, etc.  Du bon et du douteux donc !

À l’international, sans qu’il y ait un quelconque prétexte, les mêmes font le pari qu’il faut garantir la puissance de l’État et lutter pour la préservation de la démocratie. De grandes idées qui permettent de mettre les pays du tiers-monde à feu et à sang, d’affaiblir les États et d’ouvrir la voie aux multinationales afin qu’elles pillent les ressources naturelles à l’abri des regards indiscrets. Le cas de la Libye est affligeant d’arrogance et de bêtise. Une belle idée serait d’envoyer Sarkozy, Obama, Hillary Clinton, l’Émir du Qatar et leur valet sénégalais Abdoulaye Wade en vacances dans la démocratie libyenne qu’ils ont contribué à construire.

Les politiciens professionnels occidentaux sont passés maîtres de la mise en œuvre d’idées créées de toute pièce. La politique n’est plus une responsabilité, une charge, c’est un espace de jouissances et de réjouissances. Bien qu’ils n’aient été mandatés par personne, ils n’ont aucune gêne à agir au nom de tous ! François Hollande a quand même pu en vouloir à Barack Obama et à David Cameron de l’avoir abandonné alors qu’il était prêt à lancer une attaque sur la Syrie. Ces deux hommes – pas franchement les plus recommandables – ont commis un crime aux yeux du président français : avoir compris qu’ils n’auraient jamais eu l’aval de leurs parlements respectifs. Le même Cameron a été passé à la moulinette pour avoir tenu un référendum qui a conduit au Brexit. Décidément, un empêcheur de tourner en rond s’était infiltré dans le club des gentlemen !

Et quand un Français qui aura vécu toute sa vie en France et qui par un hasard de l’histoire se retrouve dans un pays où la France fait la pluie et le beau temps – disons le Cameroun. Il s’étonne d’être traité comme le pillard, un voleur, un rapace. Il s’étonne et à raison. Personnellement, il n’a jamais volé personne, il n’a jamais pillé personne. Personnellement ! Mais au Cameroun on lui tient rigueur pour des actes qu’il n’a pas posés, sur lesquels il n’est pas informé et pour lesquels ses élus travaillent afin que « ce qui se passe en Afrique reste en Afrique ».

Mais avant de constater que les Camerounais ne l’aiment pas trop, notre Français s’est déjà, à titre personnel, demandé pourquoi son pays intéresse autant les Africains. Il s’est déjà étonné de voir les Africains débarquer par vagues dans son pays malgré les dangers de l’immigration. Que viennent-ils chercher, s’inquiète-t-il ? Pourquoi l’État ne peut pas se permettre de fermer complètement les frontières et de rapatrier tous ces quidams ?

 

La roue de l’histoire tourne

Les antécédents sont trop simples à expliquer : ces jeunes gens viennent de pays ravagés par des guerres absurdes alimentées par une industrie de l’armement soutenue par les politiques et financés par les multinationales privées présentées comme les joyaux de la couronne de la République. Ils viennent de pays où rien n’explique la pauvreté dans laquelle croupissent les masses alors qu’une infime partie de l’élite mène un train de vie princier entourée d’une ribambelle d’expatriés spécialistes de la captation rapace. Sont-ce les politiciens destinataires de valises affrétées par ces mêmes groupes qui répondront ?

Une constance s’affirme de plus en plus. Les masses électorales confrontées à une crise identitaire profonde semblent s’être réveillées de la léthargie dans laquelle elles ont sombré à la fin de la seconde guerre mondiale. L’allié numéro 1 des oligarchies libérales qui peuplent l’Europe et l’Amérique du Nord est pendant longtemps resté l’abstention. Mais la roue de l’histoire tourne. Le peuple présenté naguère comme une foule – forcément inconsciente – est de retour dans l’arène politique.

L’arrivée de l’extrême-droite diabolisée signale donc le retour d’une classe politique qui représente ce que pensent effectivement les Français. C’est un anticonformisme ! Si les citoyens français, américains, allemands, autrichiens, etc. sont effectivement racistes et xénophobes, c’est tant mieux. Cela se saurait désormais et tout le monde agira dès lors en connaissance de conséquences. Mieux vaut un démon que tu connais qu’un ange que tu ne connais pas. Si ces mêmes citoyens consentent à armer des navires afin de les envoyer aux quatre coins de la planète mener des guerres artificielles, ils comprendront pourquoi des centaines de milliers de réfugiés syriens débarquent chez eux à l’improviste. S’ils soutiennent le saccage systématique des tentatives de reconstruction culturelle des peuples écrasés par des décennies domination coloniale, au moins pourront-ils mettre un contexte au terrorisme politique nimbé de djihad qui menace leur sécurité.

Depuis l’époque dite des grandes découvertes qui a triomphalement débouchée sur la traite négrière, les peuples européens ont été mis entre parenthèses par la bourgeoisie, le grand capital. En France par exemple, la populace est brièvement sortie de sa torpeur en 1789. Cela a abouti à la première abolition de l’esclavage. Un bref passage à vide qui a été corrigé en une décennie avec l’arrivée de Napoléon Bonaparte.

Donc si Marine Le Pen me dit qu’elle est contre la mondialisation et qu’elle revendique la France pour les Français et la mise au pas des multinationales, je la suis et la comprends ; parce qu’in fine ce qu’elle demande pour les Français, elle n’a pas les moyens politiques et moraux de le refuser aux autres peuples de la planète.


Je n’aime pas la comptabilité

...derrière une pile de papier et de chiffres.Je n’aime pas les jeudis. Le jeudi est une journée morose, coincée dans le coeur de la semaine.

Aujourd’hui c’est jeudi et j’ai envie de me sauver par la fenêtre, d’escalader cette pile de papiers qui me fait face avec acharnement et de me retrouver à gambader dans les champs là-bas dans mon village. C’est souvent les jeudis que l’envie me prend de tout plaquer et de partir loin, de rentrer chez moi. Les jeudis, je rêve d’herbe coupée et du clapotis que font ces petites carpes dans les eaux claires de Hina, la petite rivière qui irrigue la patrie de mes grands-parents dans la Sanaga Maritime.

Seigneur ! J’aimerais tant être hors de ce bureau. Je n’arrive même plus à distinguer la couleur de la peinture sur les murs. Impossible de trouver une nature plus morte…

Je dessine des bonshommes sur le calendrier qui me sert de sous-main. Un calendrier de 2008 maltraité par les ratures de stylos récalcitrants. De toute façon, ce calendrier était déjà vieux d’un an quand je l’ai placé là. Ce jeudi, je suis sidéré que le temps passe si vite. J’ai l’impression de ne pas être à ma place, de participer à un opéra lyrique effrayant joué en gaulois, si tant il est vrai que le gaulois est la langue morte la plus inerte du monde.

Les jeudis, je n’arrive pas toujours à donner un sens à mon existence. Et parfois, je suis si triste ! Je repense souvent à mes années d’école, de collège. Je voulais devenir quelque chose d’autre qu’un clerc derrière une pile de papier et de chiffres. C’est vrai que je ne peux pas dire de manière autoritaire ce que j’aurai voulu être d’autre. Écrivain, journaliste, professeur, pilote ? Je ne sais toujours pas ce qui me passionnait le plus.

Mais autant que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu échapper à mon destin. Je m’appelle Jean-Paul et je suis devenu ce que je n’aurai jamais dû être : comptable.


Doit-on prier quand on vit en Afrique ?

Pour Pâques, inutile de rappeler à quel point la religion est omniprésente en Afrique. Mais j’ai assisté récemment à une discussion dans un autobus qui m’a profondément marquée.

La meilleure façon de remercier Dieu était de se retrousser les manches.
La meilleure façon de remercier Dieu était de se retrousser les manches.

C’était un dimanche blanc et chaud. Il était environ neuf heures. J’étais assis à l’arrière de ce bus bondé que je venais de prendre pour me rendre en ville. Souvent, il faut savoir se joindre à la foule . À côté de moi, il y avait une femme avec son nourrisson dont la peau était couverte de ces petits boutons qui envahissent le corps des enfants qui sont exposés à la chaleur intense et moites de nos villes côtières. Le bus venait une énième fois de s’arrêter.

Quelques personnes étaient sorties par la porte avant. Un nombre insignifiant au regard de la foule qui s’apprêtait à grimper dans le véhicule. Cette surcharge encouragea peut-être l’enfant à pleurer de plus belle.
Le bus s’était de nouveau ébranlé avec sa nouvelle cargaison. Les discussions avaient repris, en kikongo (dialecte). Je ne m’efforçais pas d’écouter. Ce serait peine perdu ! Je me contentais de regarder toutes ces joyeuses personnes s’époumoner dans une langue que je ne comprends pas. L’effort oratoire est à l’image d’une belle chanson. L’agencement des mots simples est noble même si on n’en comprend pas le sens.

Tout à coup, une voix lança : « Église » !

Ce fut comme un appel, la plupart des places assises commencèrent à se libérer. Les passagers se pressaient les uns contre les autres, debout, vers la sortie. Par déduction et au regard de la manière avec laquelle mes compagnons étaient habillés, je me dis le prochain arrêt devait être l’église. Alors que je menais cette réflexion oisive et peut-être même que je m’apprêtais à penser à autre chose, un homme s’esclaffa en prenant place sur un des sièges qui venaient tout juste d’être libérés. Jusque-là, je ne l’avais pas remarqué. C’était un petit monsieur tout à fait ordinaire qui riait en se tapant la cuisse. Il était vêtu d’un bleu de travail, d’un casque de chantier, de bottes assorties et riait en kikongo. Bientôt le rire se transforma en sermon.
Très tôt, il fut pris à partie par les autres passagers qui continuaient à se presser les uns contre les autres. Comme ils continuaient à parler sans que je ne comprenne de quoi ils discutaient, je ne sus pas trop quoi penser. Mais au moins, je prêtai attention à leurs discussions. Heureusement pour moi, le malheur de l’Afrique et de ses langues est qu’elles ne sont plus tout à fait ce qu’elles étaient : originales et dénuées de tout emprunt aux langues occidentales.

Avec des références en français comme « Dieu », « Jésus », « prière », « église » et « dimanche », je ne tardai pas à comprendre que l’objet de la discussion avait à voir avec la religion.

Notre homme qui discutait seul contre tous était visiblement poussé dans ses derniers retranchements. Il commençait à chercher ses mots en kikongo. Il vira au français. Et tout s’éclaircit pour moi, au moins c’est ce que je crus sur le moment. L’homme lançait de violentes diatribes contre l’Église catholique. À l’écouter, il était évident qu’il avait été nourri par quelque Mongo Béti enragé contre le catholicisme primaire ou par les romans à peine plus romancés de Ferdinand Léopold Oyono. Mais sa verve abondante et nourrie de tribun lui donnait cet air terrible de pasteur évangélique bercé par les sermons de Reinhard Bonke sur l’hérésie catholique et son idôlatrie dissimulée de la statue de Marie. Puisque nous sommes au Congo, je pensai aussi que cet homme en costume de chantier le dimanche matin pouvait être un lointain disciple de Kibangu !

Pour lui, l’Église catholique était l’instrument de néocolonialisme le plus abouti et l’instrument de l’assujettissement de l’Afrique.

Il s’étonnait que des personnes aptes et vigoureuses comme celles avec lesquelles il discutait se sentissent obligées de se rendre dans un lieu pour se faire dire ce qu’elles savent déjà. Quelqu’un lui répliqua qu’il était question de remercier Dieu pour tout ce qu’il avait accompli pendant la semaine. Une autre dame ajouta que seul un païen pouvait s’interroger sur le bien-fondé de se rendre à l’église le dimanche qui est quand même le jour du Seigneur !
Notre homme éclata de rire. De ce rire total qu’ont les personnes persuadées d’être du bon côté de l’histoire. « Mais non ! commença-t-il en réponse à la dame qui était maintenant plus occupée à chercher sa monnaie qu’à l’écouter, je ne suis pas païen, je crois en Dieu. Seulement, je ne pense pas que la meilleure façon de remercier Dieu c’est de venir chaque dimanche donner de l’argent au prêtre et à l’évêque ». Il développa en suggérant que le prêtre est un parasite qui vit au dépens de la communauté qu’il prétend encadrer en lui enseignant le culte du non-effort ! « Comment quelqu’un qui veut que vous travailliez vous demande de sacrifier une journée pour qu’il vienne vous bourrer le crâne avec des histoires qui ne vous concernent pas ? » fit-il semblant de s’interroger.
Il indiqua, en guise de réponse au premier interlocuteur, qu’à son avis, la meilleure façon de remercier Dieu était de se retrousser les manches et de transformer les ressources naturelles qu’il avait bien voulu mettre à disposition de ceux qui auraient les ressources de les exploiter ! Il disait ne pas comprendre comment quelqu’un peut aller prier Dieu pour qu’il lui donne à manger alors que Dieu lui a donné la forêt, d’immenses superficies de terres arables et la mer poissonneuse. C’est un non-sens !

Pour lui, aller à l’église pour prier était un signe de paresse.

Il accusait le prêtre et l’évêque de favoriser cela. « C’est forcément un Kinaguiste », me dis-je intérieurement ! Mais l’homme ne s’arrêta pas là. Il accusa tous ces chrétiens d’être extravertis et de croire que la rédemption leur viendrait de je-ne-sais-quel-ciel. Les pires, ricana-t-il avec cet air cynique, ce sont les Évangéliques !  Il insista qu’il était bel et bien croyant. Il considérait cependant que Dieu lui avait tout donné et qu’il ferait injure à Dieu s’il continuait à le harceler de prière et de salamalecs.
Pendant qu’il dissertait de la sorte et qu’on lui répondait, non sans humeur, qu’un jour, le Seigneur le visitera et qu’il finirait par comprendre, le bus arrivera à la station Église. Les 4/5e des passagers descendirent. Pour ne pas rester en compagnie de cet homme que je ne connaissais pas, et bien que je sois encore loin de ma destination, je descendis aussi du bus. La journée dehors était toujours aussi belle. Le reste du chemin je le fis à pied, malgré la poussière qui montait.


La Boko Haram’isation de la société camerounaise en marche

Les forces de défense et de sécurité jouent un rôle cardinal de protection des biens et de la personne du citoyen dans le contexte d’insécurité actuel. Une position que des responsables politiques tentent de manipuler avec plus ou moins de succès.

Cavaye
Le président de l’Assemblée nationale accuse son ex-garde du corps d' »actes de terrorisme ».

L’affaire qui oppose le président de l’Assemblée nationale Cavaye Yeguie Djibril à son garde du corps a tout d’un cas d’école de la tendance actuelle à tout assimiler, à tort ou à raison, aux actions terroristes de Boko Haram. Le capitaine Bouba Simala, dont les charges ont été requalifiées par le tribunal militaire en menaces simples, outrage à corps constitué et violation de consigne, a été accusé par la troisième personnalité de la République d’actes de terrorisme. Une manière peu élégante d’écarter un confident devenu encombrant, soutiennent des proches du capitaine déchu qui doit en tout cas répondre de ses actes supposés devant le juge militaire.

La Boko Haram’isation qui peut se définir comme des accusations proférées contre une personne ou un groupe de personnes d’être des agents du terrorisme possède une caractéristique principale : elle ne s’appuie sur aucun élément de preuve.

Et l’étendue du phénomène est importante et complexe.

Il est en effet difficile d’établir la frontière exacte entre les mesures légitimes de sécurité et la mise à l’index gratuite de personnes avec pour unique objectif de résoudre rapidement un différend personnel avec les moyens de l’Etat en toute bonne conscience.

Les tentatives de jeter le bébé avec l’eau du bain se sont multipliées avec l’émergence de la méthode lâche des attentats-suicides opérés à Maroua et à Fotokol pendant le mois de juillet dernier. Les autorités municipales et administratives de Yaoundé ont lancé l’opération ville-propre dont les cibles-principales sont les enfants de la rue dont la situation n’a pas pu être régularisée pendant les dernières décennies. Il en est de même des récalcitrants de tout ordre dont les actions sont en priorité assimilées aux menées subversives des terroristes.

Au chapitre de la gestion de la chose publique, la Boko Haram’isation est en train de s’imposer comme une arme utilisée par des responsables malhonnêtes. Les prestataires de services et autres créanciers qui se montrent pressants pour que leurs factures soient réglées au plus vite se trouvent interdits de pénétrer dans l’enceinte de certaines administrations. On les soupçonnerait de lien avec les terroristes. Une accusation grave peut-être, mais qu’importe ? Le Cameroun c’est le Cameroun. Et ce n’est sans doute pas Boko Haram qui va y changer quelque chose.


Importance du journalisme politique : 5 raisons pour comprendre

Pourquoi je m’intéresse au journalisme politique, et pourquoi le sujet est important.

J’écris cet article comme une sorte d’exercice d’introspection. Il y est question de savoir en toute subjectivité – bien entendu – pourquoi je m’intéresse à ce domaine très important du journalisme qu’est la politique.

1- Le journalisme politique, c’est tout le journalisme

J’ai toujours considéré qu’il y a une sorte de redite dans la formulation « journalisme politique« . C’est comme si un autre journalisme était possible. Ma perception du métier de journaliste est contextualisée dans le jeu politique à l’échelle globale, régionale ou locale. Le reporter ne prend la parole en société que pour décrire et interroger les actions que différents acteurs sociaux posent dans l’espace public. La vie privée est exclue. Or la politique, c’est précisément le domaine public.

Ce qui m’intéresse ce sont les politiques publiques d’une part et la politique, soit la stratégie mise en place par une personnalité ou une organisation pour arriver à impulser un certain nombre de réformes.

Même lorsqu’il faut rendre compte d’un concert de coupé-décalé, je pense que le journaliste doit avoir une perspective plus analytique, plus sociologique pour déceler dans cet événement baptisé culturel des éléments de compréhension de la société et des rapports de force qui la régissent à un moment donné. Le reste n’est que spectacle : ce qu’on appellerait en anglais entertainment.

2- Le fait politique est ce qui fait que le journalisme mène à tout

Vous connaissez sans doute cet adage. Le journalisme mène à tout. Je crois que c’est ce genre de pensée qui m’a encouragé à choisir de faire ce métier. J’ai au moins l’assurance virtuelle que je pourrais le quitter un jour. Mais pour cela, il faut travailler comme journaliste politique. Comment ?

L’une des dernières actualités que j’ai suivie est relative à la publication du 8e rapport de conciliation de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives au Cameroun (ITIE pour les intimes). J’y suis allé en tant que journaliste intéressé par les questions de politiques publiques telle que la transparence. Mais pour tout comprendre, il est nécessaire se familiariser avec les notions d’économie et de comptabilité.

Lorsque les experts du cabinet Stephen&Moore déclinent les conclusions de leur travail, les beaux poèmes de Victor Hugo ne servent plus a rien. Les chiffres défilent et il faut se les approprier.

Mais le journaliste n’est pas une machine non plus. Donc, il va aller à la rencontre des experts en matière de transparence dans le domaine des industries extractives… Au fil des rencontres et au bout d’un certain temps, il acquiert également une certaine expertise dans le domaine. Des compétences toujours renouvelées qui peuvent in fine le mener à tout.

 3- Le journalisme politique est le domaine du journalisme le plus vendeur

Notons d’abord le cas du site américain politico.com. La politique peut décider de se segmenter en plusieurs domaines pertinents, en plusieurs niches qui traversent l’ensemble du champ social. Et il semble que ce soient actuellement les niches qui rapportent de l’argent dans le monde des médias !

Ok ?

Je n’ai pas les statistiques. Mais j’observe que la plupart des quotidiens généralistes consacre leurs premières pages aux actualités politiques. Elections, scandales, nominations, propositions, etc. Il n’y a rien à dire, la politique à la cote. C’est elle qui donne le tempo d’une publication. Ce sont les prises de position des journalistes politiques qui lui donne in fine son orientation ou du moins la perception que le public en a.

J’ai travaillé pendant deux ans et demi pour le quotidien La Nouvelle Expression. J’étais déjà habituée aux remarques de mes sources et d’autres personnalités qui me faisaient remarquer qu’il s’agissait d’un « journal de l’opposition« . Non pas que le journal ait une opinion opposée à celles dominantes dans le champ du sport, de la mode ou de l’économie – encore que !

Le fait est que nous donnions la parole à tous les acteurs de la scène politique nationale mais surtout aux Social democratic Front, le principal parti de l’opposition parlementaire. Ipso facto, La Nouvelle Expression a été classée journal de l’opposition. Ses lecteurs l’achètent pour cela et les boudeurs le boudent aussi pour la même raison. Les autres articles quelques consensuels qu’ils soient n’intéressent personne.

 4- Malgré les apparences, la politique c’est fun

Ceux qui n’ont pas encore regardé la série House of Card de Netflix peuvent aller se rhabiller – ou jeter un rapide coup d’œil à la vidéo ci-dessus, voire cliquer ici et . Il n’y a en effet rien de plus savoureux que d’être dans le secret des dieux, de savoir les coulisses, d’être en quelque sorte l’Oracle de Delphes, la muse qui inspire la réalité et qui prédit l’avenir.

Lorsque j’étais à l’école de journalisme, mon professeur de déontologie avait une phrase qu’il aimait dire mais que je n’ai comprise que très récemment : « Le journaliste ne publie que 30 % de ce qu’il sait, et encore ! » Le journalisme politique met le professionnel au centre de plusieurs interactions qui font qu’il sent les orages venir, il assiste parfois à la naissance des disgrâces tout comme il est l’annonciateur de la naissance ou de la renaissance des grandes gens.

Les passionnés de l’actualité politique du Cameroun se rappellent sans doute de l’affaire Marafa Hamidou Yaya. Les dernières années de l’ancien ministre d’Etat ont été un théâtre ouvert où les observateurs attentifs ont compris que la scène qui se jouait était une tragédie grecque, un Œdipe roi alternatif dans lequel le parricide n’a pas eu lieu.

5- Parce qu’il est important, le journalisme politique est dangereux

Pendant que je vous parle des bons côtés du journalisme politique, je reçois un appel du secrétariat général de l’Assemblée nationale. Je suis décommandé pour la couverture d’un évènement pour « mauvaise conduite« . Lol. Tant mieux, j’irai quand même. Je considère que je n’ai pas besoin d’être invité pour suivre des faits publics qui se déroulent au Cameroun, un pays où je suis citoyen et où je paie des impôts.

Il ne faut quand même pas exagérer !

Continuons.

Si vous êtes étudiant en journalisme et intéressé par le fait politique, il faudrait vous attendre à la matraque. Charlie Hebdo fait de la politique. C’est dans le champ politique que l’on compte le plus grand tas de cadavres dans l’univers du journalisme. C’est violent.

Les dictatures ont compris à quoi rime le journalisme et préfère le confiner à une activité oiseuse de bonnes gens qui rendent compte des séminaires et des colloques mais ne demandent de comptes à personne. Je discutais récemment avec une consœur qui correspond à cette description. Son opinion était que le meilleur journaliste était un journaliste non engagé. C’est son opinion, je ne la partage pas. Tout en la respectant, je la trouve puérile. J’ai ri.

Comprenez mon émotion. J’ai en face de moi un acteur politique qui dit être non engagé.

Je pense qu’un journaliste doit être et est effectivement une personnalité politisée, ce qui ne signifie pas qu’elle soit partisane. Mais elle comprend et cherche à se tenir au courant des enjeux qui traversent son environnement social. On ne prend pas sa plume pour écrire juste pour le plaisir de le faire. Certaines personnes le font pour de l’argent… C’est vrai ! Dans ce cas alors, il faut choisir le camp qui ne sera pas mis en défaut par l’histoire.

Je pense en ce moment précis à tous ces grands noms qui ont fait de la presse une instance politique et du journalisme une voix tonitruante dans les assemblées ou le peuple a été brutalement éjecté. Je pense à tous ces Zola incarcérés, à tous ces Pius Njawe mis hors d’état de nuire, a tous ces hommes bastonnés qui ont réussi à faire reculer les pouvoirs constitués pour donner à l’opinion publique le statut d’opinion respectée.


Quand j’étais petit, je savais que le vélo c’était pour les gosses de riches

J’ai appris à faire de la bicyclette lorsque j’ai passé mon brevet. J’étais inscrit au lycée d’Edéa et j’avais 16 ans.

Image vélo
Faire 100 mètres à vélo ne me semblait pas de ma condition sociale (c) www.caradisiac.com

Je n’oublierai jamais la première fois où je me suis laissé aller sur un vélo. La sensation d’être en liberté surveillée. Je roulais et je sentais en même temps qu’il suffisait que le vélo me lâche pour que je me retrouve sur le sol latéritique. Il fallait faire confiance aux forces de la physique et à la solidité précaire de l’engin que je chevauchais. Le vélo était un vieux zéphir originellement bleu et qui avait été repeint en noir avec un pinceau manifestement édenté. Une laide machine qui appartenait à un cousin de ma mère. Il avait trois ans de plus que moi et possédait le vieux vélo. Vieux ou pas, pour moi à cette époque, un vélo était l’horizon infranchissable de la réussite sociale. La bicyclette de mon oncle était trop élimée pour mériter que je considérasse son propriétaire comme une élite. Malgré tout je le suppliais de m’ « apprendre à pédaler ». Je caressais l’espoir de pouvoir acheter un vélo à moi, qui soit neuf et plus performant quand je serai grand. Mon moniteur n’était pas un gars particulièrement disponible. Pour bénéficier d’une leçon, il fallait aller chez lui, prendre rendez-vous, retourner le voir le jour dit et espérer qu’il soit dans de bonnes dispositions.   L’envie irrésistible d’apprendre me poussait et je réussis à faire mon premier tour de stade dès la première séance. Ce fut une expérience féérique. J’avais toujours pensé qu’il fallait des compétences particulières pour tenir sur un deux-roues, qu’il fallait avoir l’équilibre d’un funambule, que faire du vélo pouvait être au moins aussi difficile que marcher sur une corde à 10 mètres du sol. Après ce premier succès, je suis retourné dans la caverne. J’avais peur lors de la prochaine leçon. Je n’arrivait plus à tenir la machine en équilibre sur deux mètres. Je me posais des questions parce que je ne réussissais pas à croire que c’était moi qui conduisait ce petit engin sur deux roues et un guidon. Cette vieille bête avec sa robe noire dégoulinante, je la revêtais d’une importance rare. Il y avait pourtant les vélos partout dans la ville. Même au village il n’y avait que ça. Comme je ne l’avais pas, je considérais que les autres étaient forcément privilégiés, qu’ils avaient quelque chose que je n’avais pas et que le ciel pour je ne sais quelle raison refusait de me donner. J’avais l’impression que si je pouvais aller à vélo, cela signifiait que tout était possible dans mon univers, que je pourrais aussi conduire une voiture, diriger une pirogue ou un bateau, piloter un avion et même… passer mon bac deux ans plus tard.  C’était fou et je poussais la sacralisation plus loin. Faire 100 mètres à vélo, éviter des obstacles, lâcher le guidon, comme le faisaient les « gamins de riche » quand j’étais petit, ne me semblait pas en accord avec ma condition sociale.

Lazzi et résilience 

J’avais 16 ans et jusque-là, je n’avais jamais eu l’occasion de faire de la bicyclette. Pour mes parents, acheter un vélo à un gamin n’était sans doute pas la plus urgente des priorités. La deuxième partie de mon apprentissage fut la plus difficile. Mon oncle était exaspéré, je subissais les quolibets des passants qui s’étonnaient qu’un si vieux garçon ne soit pas capable de faire plus de 10 mètres à vélo sans tomber. J’ai développé de la résilience. Lorsqu’il est apparu que l’on ne pouvait plus utiliser le stade pour la leçon, j’ai dû me résoudre à aller faire mes essais dans la rue au quartier. Ma frayeur était deux fois plus grande. Les « lazzi » (plaisanterie, farce dans le théâtre italien) aussi. J’ai passé deux bons mois avant de me familiariser avec le vieux vélo de mon oncle. Dans la rue je me suis rendu compte qu’elle était vraiment vieille cette bicyclette. Un peu plus vieille que je ne pensais. Elle n’avait pas de freins. Il était déjà trop tard cependant puisque sans savoir exactement comment cela est arrivé, je me suis retrouvé à plat ventre dans un bar du quartier. Le vélo était resté encastré dans l’ouverture de la porte. Une expérience douloureuse. Mais j’avais transcendé la honte, malgré l’accident je savais que rien ne pouvais plus m’arriver. Je savais aller à vélo.


05 raisons pour lesquelles je travaille désormais pour la télévision

W.B. pleine interview avec un député.
En pleine interview avec un député. La politique aussi aime la télé. (c) un ami à moi.

Pour ceux que ça intéresse, j’ai changé de médias et de couloir. Je ne suis plus journaliste à La Nouvelle Expression depuis le mois de novembre 2014. Je travaille désormais pour une chaîne de télé. Spectrum Television. Les intimes peuvent l’appeler  STV (lire «es ti-vi»).

 

 1.Permettre au plus grand nombre d’être mieux informé.

Les faits me démentiront peut-être. Cependant par intuition, j’ai la conviction que la télévision est en train de s’imposer comme LE média dans le contexte camerounais. Le média que consomment les ménages sans modération. À peu près toutes les familles, même dans les campagnes, peuvent acquérir un petit écran et avoir accès au signal hertzien. Le public en presse écrite reste spécifique et constitué d’élites. Tout le monde ne peut pas acheter un journal à 400 francs CFA pour s’informer. Soit dit en passant, je n’ai aucun respect pour la radio privée telle qu’elle se déploie à Yaoundé. Elle manque de consistance. D’importants investissements ont été faits dans le domaine de la télévision ces dernières années par des intérêts privés. Mais les antennes restent vides. Je considère qu’il s’agit d’une opportunité important d’apporter au plus grand nombre davantage d’information afin de faire avancer la démocratie et l’État de droit.

 

2. Relever le défi de faire du journalisme dans les journaux télévisés au Cameroun.

Oui, cette phrase est cohérente.Je ne me rappelle plus très bien du jour. Mais l’événement se tenait à l’amphi Hervé Bourges de l’ESSTIC au campus de Ngoa-Ekelle où Marcel Amoko de Kalak FM avait organisé un débat auquel participait le géo-politiste Stéphane Akoa. Ce dernier a commis un lapsus révélateur alors qu’il expliquait le nivellement de la culture vers le bas. Son lapsus, un néologisme : la canaldeuisation de l’information. Comprendre que l’information que la plupart des gens consomme ne va pas plus loin que ce que propose (ou proposait) la chaîne Canal 2 International. À savoir les faits divers proches littéralement des fameux «chiens écrasés».

À côté de cette tendance, on a le modèle de la CRTV (lire «Ci-Ar-Ti-Vi»). L’office public de radio-télévision qui entretient des relations ouvertement incestueuses avec le pouvoir et qui bassine les téléspectateurs incrédules de comptes rendus officiels. Il faut aussi évoquer les albums photos de personnalités endimanchées parquées dans des salles de séminaires ou de colloques de renforcements des capacités de ceci ou de cela. Tout sauf de l’info.

Je reconnais que certaines émissions d’entretien ou de débat se tiennent relativement bien. Mais à l’exception d’Equinoxe TV qui travaille à faire un JT à peu près normal, la section information à la télévision m’a semblé être un couloir à investir afin de sortir de la «critique non constructive» pour me frotter à la réalité du terrain. Un défi dérisoire dans d’autres contextes sans doute. Mais quand une journaliste considère que les députés, les sénateurs et le préfet sont des membres du gouvernement et que cela est diffusé à l’antenne, il y a urgence.

 

3. Faire connaître mon travail au plus grand nombre.

Après quelques trois mois derrière le banc de montage, je peux dire que ce n’est pas la chose la plus facile. À la vérité, je ne m’attendais pas à mieux. Je reste persuadé que c’est bien pour ma carrière d’être à la télé. Pourquoi ? Pour deux raisons. La première est l’intuition. Je ne crois pas être à mesure d’éclaircir davantage ce point… La seconde est relative au besoin que j’éprouve de développer ma capacité de narration. Je l’ai fait en travaillant dans la presse écrite quotidienne, je continue à le faire. Je suis en charge de la rédaction de newsducamer.com, comme certains d’entre vous le savent. Il faut que je puisse aussi raconter des histoires sur d’autres canaux. Et la télévision n’est pas le moindre d’entre eux. J’aimerais également faire de la radio. Mais l’organisation des stations de radio à Yaoundé est à chier non professionnelle.

 

4. Gagner plus, ah oui.

C’est mercantile, je le sais. Les raisons professionnelles ne sont évidemment pas les seules qui m’ont motivé à quitter la presse écrite. Encore qu‘il faudrait qu’on sache à quel moment le journaliste a fait vœu de pauvreté et d’indigence ! À La Nouvelle Expression, j’ai eu des collègues et des responsables de la rédaction aimables à tout point de vue. Si ça ne tenait qu’à leurs personnalités et à l’ambiance générale de travail, je serais resté dans cette entreprise. Mais STV proposait un léger mieux en plus de l’opportunité de développer ce que j’ai indiqué du point 1 au point 3 ci-dessus. Comme je suis un épicurien, j’ai accepté leur offre.

 

5. Faire plaisir à ma famille. En commençant par ma petite amie. Comme ma mère et sans doute mon père, mes frères et sœurs, mes tantes, etc. elle comprenait difficilement qu’on puisse valablement être journaliste si on se limite à être un gratte-papier. J’ai fait de la résistance pendant les deux ans passés dans la presse écrite. On me demandait même de travailler pour une radio. Que les radios à Yaoundé soient de la merde incapables de payer des salaires, on s’en fout. L’image du journaliste est restée la même dans l’imaginaire collectif. Un micro et/ou une caméra. Un point c’est tout ! Au fil du temps, j’ai fini par me laisser convaincre. Difficile d’être le seul à avoir raison quand tout le monde se trompe !



La seconde

Comme je l’ai promis sur ce blog il y a quelques semaines, je me propose de publier les unes après les autres quelques unes des nouvelles que j’ai écrites entre 2008 et 2011. Celle-ci est tirée d’une histoire vraie.

Seconde
Non une seconde ce n’est pas beaucoup… (c) eartinteractif.fr

Les nuits sont devenues très longues. Je ne dors plus, je ne peux plus dormir. Quoi, un homme ! Je l’ai tué, moi qui en plus de vingt ans dans les forces de défenses camerounaises n’ai jamais osé tirer sur un délinquant. J’ai tué. C’était chez moi, dans la nuit. Je ne voulais pas, c’est vrai que je ne voulais pas le tuer. J’espérais seulement neutraliser cet imbécile. Mais la balle est partie seule. Et pan, il est tombé dans son sang, le salaud. Il l’a bien mérité même si je n’en suis pas fier. Il a râlé, il faisait des gestes saccadés. Il a même crié que je l’avais tué.

– Pourquoi tu me tues, a-t-il lancé en serrant les dents pour supporter les brûlures des balles. Je ne t’ai rien fais. Rien.

Comment ose-t-il seulement ? Si je vous raconte l’histoire vous comprendrez peut-être pourquoi j’ai tué un homme et pourquoi depuis, je ne dors plus. Temps de lecture : environ 5 minutes.

Il était 23h30 environ quand je suis arrivé devant le grand portail qui barre l’entrée de ma villa. J’ai klaxonné un moment, personne n’est venu ouvrir. A ce moment, je me suis demandé pourquoi je jouais au petit héros en refusant que quelques uns de mes éléments gardent ma demeure de jour comme de nuit. D’autres hauts gradés de l’armée en ont bien chez eux. Cela empêchera peut-être ma femme d’avoir à se lever dans la nuit quand je rentre tard.

Je guettai la fenêtre de ma chambre à travers la vitre baissée de mon auto. La lumière était éteinte. Ma femme à cette heure-là devait déjà dormir à points fermés. La pauvre travaillait souvent si dur. Vous savez comment sont les clients dans les aéroports camerounais. Ils demandent des renseignements même lorsqu’ils voient une plaque où tout est indiqué. Et ma femme qui était une très belle policière devait les affronter chaque jour pendant huit heures. Elle devait être très fatiguée. Je dois la laisser dormir, me dis-je.

Je descendis de la voiture et fis quelques pas pour voir si la lumière était allumée dans la chambre de ma nièce qui habitait chez nous. Elle était en terminale et restait si souvent éveillée que je me demandais où elle trouvait toute son énergie. La chambre était éclairée. Je l’appelais par son portable et comme prévu, elle était debout. Elle vint m’ouvrir. Sans se parler, nous nous séparâmes une fois arrivés dans la salle de séjour.

J’avais grand faim. Et ma journée, c’est un euphémisme, avait été très longue. J’avais en fait joué les prolongations. C’est en principe à dix-sept heures que je quittais mon bureau, dans le centre-ville. J’aimais sortir à cette heure malgré les embouteillages et la fumée des pots d’échappement qui me faisait tourner la tête. Ce que j’aimais, c’était de voir Douala en ébullition. Les petits commerçants qui étalaient leurs bibelots à même le trottoir, les jeunes filles en petites tenues qui profitaient de la lourdeur du climat pour ressembler aux stars américaines des clips musicaux. Et surtout, la bonne bière qui m’attendait, avec des copains tous les jeudis au Paradis d’Éden, un bar très cool pas très loin de mes services. Et nous étions un jeudi.

Je prenais paisiblement ma bière tout devisant quand mon téléphone portable se mit à sonner à tue-tête. Je le laissais sonner un moment parce que je croyais qu’il s’agissait d’une petite amie qui voulait me voir. Je n’étais disposé à voir personne, sauf mes amis, ma femme et mon fils, qui fêtait à peine ses cinq ans.  La sonnerie insista, c’était mes hommes qui étaient sur la piste d’un gang de malfrats qui sévissait sur les axes interurbains de la région du Littoral. Je m’excusais auprès de mes amis et appelais ma femme pour lui dire que je ne rentrerai peut-être pas. J’ai une opération, lui dis-je sans plus de détails. Ce n’était pas la première fois que je ne rentrasse pas. Mon job consistait à appréhender les bandits et les bandits n’opéraient que la nuit, ne serait-ce que pour les grands coups. Bien sûr, je profitais si souvent de cette couverture pour rencontrer une autre belle dame qui savait utiliser ses charmes. Passons. Ce soir, je devais vraiment travailler.

L’opération sur place était bien lancée. Je trouvais les hommes postés un peu partout autour du repaire de « coupeurs de route ». Nos informateurs étaient formels, les suspects avaient pris rendez-vous dans la clairière toute proche pour partager le butin d’un récent braquage. Tout indiquait que les informateurs savaient de quoi ils parlaient. D’abord, ils avaient infiltrés le gang depuis des mois, puis il y avait des traces matérielles de la présence régulière d’une demi-douzaine de personnes au lieu-dit. L’attente avait commencé dès sept heures du soir et parvenue à vingt trois heures quand un informateur infiltré nous rappela pour annuler le rendez-vous. On avait attendu et on avait vu la cachette, peut-être. En termes d’interpellation, on avait attendu pour rien. Je demandais donc à la trentaine d’hommes qui m’accompagnait de regagner ses pénates.

C’est comme ça qu’un homme parvient au plus profond de la nuit, juste avec une demie bouteille de bière et quelques arachides grillées, achetées au bord de la route, dans le ventre. Une fois chez moi, j’avais hâte de manger quelque chose de chaud. Ma femme était prévenante. Elle m’avait réservé un repas sur la table à manger dans la cuisine. L’heure était assez avancée mais les plats étaient encore tièdes. Tout habillé, je mangeai goulument en passant en revu mon agenda du lendemain. Je ne chômais pas. Je terminais mon repas avec un grand verre de jus de fruit. Il faut maintenant que je sieste avant de prendre un bain bien mérité, dis-je à mi-voix tout en affrontant la première marche de l’escalier.

Jouer à cache-cache

J’arrivais dans la chambre obscure en marchant sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller ma charmante épouse. Ma femme, je n’en ai pas encore parlé est très belle. Et je l’aime, quelque soit la gravité de ce qui s’est passé. Elle est brune comme un fuit mûr au soleil. Ses yeux sont deux veilleuses qui baignent dans une eau claire et fraîche. Quand elle vous jette un regard, ma femme, cela vous fait un double effet. D’abord c’est une décharge électrique qui vous glace les membres et vous interdit de bouger. C’est aussi cependant le roucoulement tendre et doux de deux yeux marron qui vous font remarquer que vous avez de la chance. Ma femme est une douche écossaise. Belle et sensuelle mais dure à la fois. Seul au monde j’ai pu la dompter. Au moins je supposais alors en entrant dans notre chambre à coucher.

La chambre était obscure et j’hésitai longtemps avant d’oser réveiller mon bébé. Il fallait pourtant que j’allume pour ne pas renverser les meubles qui encombreraient mon passage jusque dans la salle de bain. Et Dieu seul sait qu’un meuble renversé est plus à même de réveiller une femme qui dort qu’une lumière tendre et feutrée. Je fis la lumière en évitant même le tac de l’interrupteur et, quelle ne fut pas ma surprise de constater que le lit était vide. Ma femme n’était pas dans le lit. Je crus qu’elle me faisait une blague et qu’elle se cachait dans la penderie, dans la salle de bain, derrière la porte ou derrière les rideaux. Ce n’était pas son genre mais sait-on à quel moment on commence à redevenir enfant ? Ma femme n’était pas dans la chambre. Je m’empressai dans la chambre de mon fils, elle n’y était pas non plus. Bon Dieu. Mais où avait-elle pu passer. Je couru chez ma nièce qui persistait toujours dans ses lectures. Je lui demandai si sa belle-tante était sortie.

– Elle n’est pas sortie que je sache, me répondit-elle en levant à peine la tête de sa page. Puis avec humeur, elle me demanda si je n’avais pas vu sa voiture dans la cour. – Sûr que je l’avais vue en garant mon propre véhicule dans le garage.

Ce jeu de cache-cache absurde allait déjà trop loin et je commençai franchement à m’inquiéter. Je pris l’initiative d’appeler ma femme qui était supposée être dans la même maison que moi à minuit passé. Quelle folie ! Le téléphone sonnait dans notre chambre, au chevet du lit. Je m’énervai. Je fouillai toutes les pièces de la maison allant même jusqu’à ouvrir la malle arrière de sa voiture, de la mienne. Sans succès, nous nous étions déjà rendus à plus d’une heure du matin. Et je commençai déjà à me demander si ma femme ne s’était pas volatilisée. Je rentrai dans la chambre et m’assis sur le lit. Et pendant que j’ôtais mes souliers, je me rendis compte que je n’avais pas visité le magasin et la chambre d’ami. Je cherchai la clé de la chambre d’ami à l’angle gauche de la porte de ma chambre. Elle n’y était pas. Je me dirigeai avec fureur dans la chambre pour expliquer à cette gamine – elle est de quinze ans ma cadette – qu’il n’est pas sage de plaisanter avec son homme lorsqu’il rentre à minuit.

Comme prévu la chambre avait été ouverte. Ayant touché la poignée, je me rendis compte qu’elle était finement entrebâillée, imperceptiblement. Je la bousculai avec fracas et fis la lumière.

Oh rage !

Oh rage ! Une seconde pour ne plus rien voir, pour ne plus rien savoir, ne plus rien espérer, ne plus rien vouloir, ne plus rien craindre. Une seconde pour se demander pourquoi cela m’arrive t-il à moi ? Une seconde pas plus, pour se demander pourquoi ma femme me trompe-t-elle ? Une seconde pour se demander qu’est-ce qu’elle recherche chez cet énergumène-là ? Il ne suffit que d’une seconde pour qu’il sorte du drap, qu’il sorte tout nu. Il faut une seconde dis-je, une seconde pour qu’une femme, ma femme ; une seconde, oui une seule seconde pour qu’elle tire le drap sur elle, une seconde pour qu’une épouse  cache sa nudité à son mari, à moi. Il ne faut pas plus d’une seconde pour constater que celui qui me déshonore mange sur ma table avec moi tous les dimanches après-midi. Non une seconde ce n’est pas beaucoup mais c’est assez pour chercher un pistolet automatique dans l’étui, une seconde pour se souvenir qu’il est chargé. Une seconde pour mettre en joug l’amant qui me cocufie sous mon propre toit. Une malheureuse petite seconde parmi tant d’autres, tant d’autres secondes si heureuses qui existent sous le soleil, pour tuer un homme.