A Paris, l’amour ne fait plus recette

Dernièrement, j’ai passé une journée à Paris. A peine débarquée de l’avion, l’angoisse des embouteillages m’a saisie; j’avais peu de temps et je savais que cette ville vous le mange goulûment. Puis le métro me sauta à la gorge comme un chien enragé, une bête agitée de milliers de corps survoltés courant dans les couloirs et se battant pour une place assise dans les wagons.

Bousculée par mes concitoyens, je m’aperçois que j’ai perdu le rythme parisien, je ne sais plus résister à la vague de stress qui sévit plusieurs fois par jour dans le métro, je me laisse rouler comme un galet dans l’écume jusqu’à ce que les contrôleurs m’arrêtent, regardent mon ticket, sans être vraiment encore lassés de leur profession un peu triste.A la sortie du métro, les gros titres du kiosque à journaux me giflent. Grèves, retraites et Sarkozy, une France qui fronce les sourcils en se regardant le nombril, avec une souffrance croissante. Les devantures des magasins rayonnent de luxe et de fierté française, cuirs et textiles, macarons et thés de traditions ; les façades haussmanniennes laissent deviner des appartements gorgés de richesse, mais au pied des immeubles les clochards tendent toujours la main, et les wagons des RER sont plus pleins que jamais d’une classe moyenne reléguée à la périphérie et condamnée à travailler pour tout juste payer son loyer.

J’avais oublié. Cela faisait huit mois que je n’étais pas revenue. Berlin et ses rues calmes et pauvres m’apparaissent comme le paradis perdu ; dans la capitale allemande les inégalités ne sont pas si grandes. Je n’ai qu’une hâte : fuir à nouveau ma patrie que j’ai pourtant tant aimée.

Quelle direction prendre? La jeune génération parisienne est paumée.

Puisque ce blog s’intéresse à ma génération, j’en viens à ce qui fait l’objet de mon article. C’est dans le métro que j’ai relevé cette phrase terrible, entendue dans la bouche d’une jeune femme qui ne devait pas avoir plus de 25 ans. Elle voyageait avec une amie et parlait passionnément. Je n’y prêtais pas attention, jusqu’à ce qu’elle lance haut et fort :

« Je ne sais même pas comment on peut songer à se marier quand on n’a pas de situation. »

Je levais les yeux sur elle : une jeune fille normale, type diplômée de marketing, de droit ou de sciences sociales ou de n’importe quoi d’autre, une banale ex-étudiante, sans doute en stage quelque part dans une entreprise qui lui accorde 400 euros par mois pour vivre. Une fille comme moi il y a quelques années. Et son amie de rétorquer :

– Mais c’est parce que sa soeur vient de se marier, alors elle veut faire pareil…

– Oui, mais sa sœur est dentiste et elle a son cabinet, et son copain avait aussi une situation.

J’étais complètement ébranlée. L’idée de l’amour n’a pas semblé effleurer ces deux femmes de 25 ans. La perspective de s’unir officiellement n’est pour elles chargée d’aucun symbole romantique ou religieux. Le mariage serait donc, à leurs yeux, un contrat passé entre deux personnes capables de payer le loyer et les couches du futur bébé. Rien de plus.

Paris, la ville de l’amour? Roméo et Juliette n’auraient même pas pu s’y rencontrer. Écrasés dans des wagons de RER blindés, ils se seraient asphyxiés s’ils avaient tenté de s’embrasser. Cette cité trop dure ne permettrait-elle plus à la romance de s’épanouir dans le coeur des Parisiens? Je suis triste pour ma génération. Qui sauvera Paris, si les jeunes ne s’emparent pas de leur cité pour la rendre plus belle, plus vivante et plus libre ? En un mot, qui est encore assez amoureux de Paris pour oser la changer ?

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Auteur·e

manon

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