Les femmes au cœur des fumoirs Abidjanais

Un nombre de plus en plus important de femmes consomment la drogue et sont des fidèles abonnées des fumoirs d’Abidjan. De Cocody à Marcory en passant par Abobo et Treichville, les habitués connaissent l’emplacement exact des boutiques tenues par les dealers. Nos guides dans les nuits chaudes d’Abidjan ont pour surnoms Adamo et Che Guevara, deux revendeurs de drogue à Marcory. Contre la garantie de ne plus chercher à les revoir après notre enquête, ils ont accepté de nous guider sur les pas des filles du réseau.

Les raisons d’une addiction de plus en plus importante

« Les filles qui viennent ici pour se gbaner (se droguer) sont les gos (petites amies) des kêneurs (vendeurs de drogue). Elles vendent aussi la drogue mais elles fournissent surtout les tchoins (prostitués) et leurs patrons » souligne d’entrée de jeu Adamo. Son territoire à lui c’est le bas du pont aux environs d’Anoumabo. Là, il voit défiler chaque jour un nombre important de jeunes filles. « La drogue on y vient souvent par imitation et à force de vivre avec quelqu’un qui consomme ‘’ça’’ tu finis par aimer. Or ce qui est mauvais c’est que quand tu commences, tu ne peux plus t’arrêter » affirme Adamo avant de conclure « les filles qui viennent ici sont de toutes les couches sociales : commerçantes, étudiantes et même fonctionnaires ». Il reconnaît souvent des anciennes clientes devenues aujourd’hui femmes au foyer qui reviennent pour une petite dose : « la drogue ça ne s’oublie pas » nous dit-il. Les filles qui se droguent viennent parce que poussé ou pour ne pas avoir froid aux yeux. Elle recherche pour certaines les amphétamines et de l’herbe. L’héroïne et la cocaïne étant plus chers, elles les récupèrent généralement pour la vente à des consommateurs nantis.

L’organisation du réseau

Plusieurs filières de vente existent dans le marché abidjanais de la drogue. Par exemple, les étudiantes consomment et rachètent la drogue pour alimenter leurs réseaux sur les campus. Au sein de ce réseau, on compte un nombre important de filles qui le jour sont étudiantes mais la nuit deviennent des prostitués. La drogue leur permet de tenir le coup et ‘’d’aligner’’ un nombre plus croissant de clients. Les macros utilisent la drogue pour le dressage de leurs protégées. Elles sont généralement jeunes et viennent des pays comme le Togo et le Ghana. Ces prostituées de luxe sont très appréciées dans les milieux chics de la ville et les bars de strip-tease. « Quand ils ‘’recrutent’’ les filles, ils les bourrent de drogue et les font violer en série par des hommes. La fille ‘’rodée’’ est jetée sur le bitume avec chaque matin une dose pour ne pas être timide, tenir contre la faim et faire le meilleur profit » soutien Adamo.

Corruption et pot de vin

Certains policiers sont connus du milieu : ils viennent pour prélever la taxe en nature ou en espèce et laissent le business se poursuivre. Dans les fumoirs on vend un peu de tout : marijuana, cocaïne, haschisch et des comprimés (bleu bleu) qui font parti d’une gamme d’amphétamine. Les doses ont un prix qui oscille entre 100 f et 9000 f CFA. A ce prix les victimes féminines se comptent par dizaine et si certaines ne deviennent pas folles, elles finissent dans des camps de délivrance ou des hôpitaux.

Victimes et cure de désintoxication

Elisabeth que nous avons croisée complètement bourré dans un fumoir à Anoumambo est aujourd’hui internée dans un camp de délivrance à Treichville. Ce camp a accueilli un célèbre chanteur de zouglou pour son addiction aux drogues dures ! Ici la désintoxication se fait seulement par la prière et les crises dues au manque sont récurrentes. « C’est pas facile : on nous impose des jeûnes, on prie beaucoup et nous sommes enchaînés car pour eux nous sommes fous ! » soutien Elisabeth une grosse chaîne au pied. Pendant que nous échangeons, une fille internée pour les mêmes raisons se met nue sous nos yeux. Les démonologues nous prient de quitter les lieux. Nous retrouvons alors Che Guevara : c’est un dealer VIP ! Il fournit des bars climatisés et des boîtes ayant des fumoirs. « Dans ces bars il y a des salles où les gens se retirent pour fumer ou sniffer. Les femmes qui y viennent sont des grandes Dames, on ne pourra jamais les soupçonner la journée » souligne notre guide. Dans ces bars les fumoirs sont dissimulés par des trompes l’œil et on y entre qu’après avoir montré patte blanche.

Bien que des associations de femmes se battent contre ce fléau, les efforts pour arriver à stopper l’action des dealers et des propriétaires de fumoirs semblent rester vain. Le laxisme de la police des stupéfiants et celles des autorités Ivoiriennes est souvent critiqué. Que cache ce laxisme ? Qui protège qui dans ce business ? Difficile de percer les dessous d’une activité aussi lucrative.

Suy Kahofi

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kingsuy

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