« Donc tu veux me signifier que parmi toutes ces filles que tu encadres depuis maintenant deux ans, toute cette multitude de filles qui t’entourent, tu n’as trouvé personne à part une potentielle criminelle, hein ! Tu déconnes, mais alors tu déconnes vraiment, mon fils, en voulant me faire accepter ce choix démoniaque que tu crois avoir fait. Quel foyer peux-tu bâtir avec une femme qui va passer tout son temps à terroriser les civils, si elle ne veut les tuer pendant les périodes électorales, une femme que tout le monde montrera du doigt, maudira à son passage, une femme qui passera toute sa vie à semer larmes et désolation partout où elle mettra pied, hein ! Tu veux donc avoir des enfants avec un monstre, hein, c’est ce que t’a conseillé l’une de tes multiples crises de caprice ! Eh Dieu, j’ai donc passé toute ma vie à me vider de mon sang pour t’inscrire à l’école pour que viennes me présenter une analphabète comme femme ! Tu veux donc me dire que tu n’as trouvé aucune fille instruite, une fille normale, qui pourra te mettre en valeur, hein ! Mon fils, tu dois chercher une autre fille, celle-là, toi-même tu sais que je ne l’accepterai jamais, tu comprends, hein, jamais ! »
Le marteau avait déjà frappé la table. L’audience était levée. Je le savais pertinemment. Ma mère, Mère Marthe, ne sait jamais dire oui après avoir dit non. Cette fille ne passera jamais chez elle. Jamais ! Et Dieu seul sait que je peux commettre toutes les bêtises, sauf épouser une femme que n’aime pas ma mère. Mon amour de mère.
« Maman »
Ma voix tremblait légèrement, sous l’effet de la colère et du désespoir.
« … »
« Maman, tu es en ligne ? Tu m’écoutes ? »
« Je t’écoute, mon fils »
Posément, sans la laisser sentir la colère qui me broyait les entrailles, je commençai à lui expliquer ce qu’elle ne savait pas. Ce que nous ne savons pas là-bas chez moi, au Togo. Le militaire n’est pas un démon, un homme-cauchemar. Un militaire, ce n’est pas ces terroristes analphabètes que nous connaissons au Togo, ceux-là qui ont aidé feu Eyadema à martyriser le Togo pendant trente-huit ans, pour commettre le grand forfait en 2005 à la mort de ce dernier en intronisant dans le sang de milliers de Togolais son fils détesté et vomi par la quasi-totalité du peuple togolais, ces saoulards qui ne sont bons que quand ils jouent au loto ou défilent en lançant en l’air leurs couilles, ces malabars plus analphabètes que des gris-gris qui vous lancent « S’il te plaît ma frère, ton carte, tu es pris… » quand ils se substituent à la police pour vous arrêter devant votre maison la nuit…
Ma maternelle, comme presque tous les Togolais, n’avait du militaire que cette mauvaise image que nous ont donnée ces assassins au Togo, un homme non instruit et sans cœur qui tue et terrorise pour entretenir la dictature d’un tyran. Pour ma mère, le militaire c’est ce bourreau qui a assassiné à coups de gourdin son jeune frère, mon seul oncle maternel, en 2005 lors de la boucherie qui a intronisé Faure Gnassingbé notre petit vodou…
Et, pendant plus de quinze minutes, très calmement, le cœur tambourinant, je lui avais expliqué, à ma mère, que ce n’était pas le cas, que l’armée est une noble, très noble institution, l’une des plus nobles institutions d’un pays, que j’ai eu tout le temps de le remarquer ici au Mali… Que ce n’est pas un corps qui ne renferme que des brutes analphabètes comme nous le voyons chez nous, qu’on y retrouve des Bac+ 4, des Bac+5 et même plus, que même moi qui suis aujourd’hui dans le Marketing et la Gestion je peux un jour me retrouver dans l’armée… Que c’est le cas de cette jeune fille de vingt-trois ans que j’ai décidé d’épouser, celle-là qui a obtenu son Bac en Sciences exactes avec la Mention Bien à dix-huit ans, qui a été la meilleure de sa promotion durant ses quatre années passées en Sciences Eco à l’Université, et qui a décidé, après sa maîtrise, d’intégrer une école supérieure de l’armée malienne juste par passion pour l’armée… Que c’est une fille très gentille qui reçoit très civilement tous mes compatriotes, et très serviable tout comme les Togolaises, qu’elle ne demande pas de l’argent en désordre comme le font les jeunes filles maliennes parce qu’elle ne porte pas de basin riche, ne se maquille pas à outrance, qu’elle est simplette, tout comme les Togolaises, qu’elle sait aller chercher de l’eau à la fontaine tous les matins et souffler sur un feu de bois, tout comme les Togolaises, qu’elle est une vraie femme au foyer, tout comme les Togolaises, qu’elle n’est pas excisée, tout comme les Togolaises, qu’elle est…, qu’elle n’est pas, qu’elle est… tout comme les Togolaises…
« Maman, tu es en ligne ? Tu m’écoutes ? Ah, j’aurais d’ailleurs dû te le dire depuis le début, figure-toi qu’elle est chrétienne, chrétienne protestante comme nous. Ruth, qu’elle s’appelle, toi vois, hein, maman, Ruth, la bonne belle-fille de la Bible, Ruth dont tu aimes tellement l’histoire, maman. Son père, sa mère, ses oncles et tantes, toute sa famille est chrétienne, chrétienne protestante, comme nous. Nous récitons même ensemble des prières chaque fois qu’elle me rend visite. Ah, qu’elle aime prier pour toi, sa future belle-mère, et pour mes sœurs ses futures belles-sœurs, une vraie Ruth celle-là, une Ruth Ruth, tu vois, hein, maman, et… »
« Mon fils, ne m’énerve pas, tu sais très bien que je n’accepterai jamais une belle-fille militaire, une criminelle. Cherche une autre fille. Une vraie fille. »
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