Nicolas Dagenais

C’est pour de vrai

J’ai été en Ukraine, il y a deux ans, mais seulement pour une semaine et, sans connaissance aucune du russe ou de l’ukrainien, je peux à peine dire que j’ai vraiment compris ce que mes yeux ont vu, mais j’y ai été: quelques jours à Kiev, la capitale, et à Lviv, sur ​​le chemin du retour de Kiev à Berlin, et j’y ai été accueilli aussi bien par une Ukrainienne russophone qu’une Ukrainienne ukrainienne, l’une d’elle – celle qui parle russe – étant une ex à moi, l’autre, une amie à elle qui parlait français parfaitement et qui m’a guidé dans Lviv qu’on dit le «petit Paris de l’Est».

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Sachant cela, vous comprenez que je suis particulièrement touché par les nouvelles et les images et les vidéos et les blogues qui me viennent ces jours-ci d’Ukraine : les émeutes, le feu, la mort. Mon ex, qui vit en Belgique, a publié sur Facebook une photo de la Place de l’Indépendance à Kiev – ci-dessus – avec «je ne peux pas croire que ce soit pour de vrai». C’est la ville où elle a vécu jusqu’à très récemment et c’est la ville qu’elle a quitté pour cause de manque d’opportunités et c’est la ville qu’elle m’a fait visité avec un mélange de dégoût et de fierté il y a deux ans.

Je ne sais pas si vous voyez, mais au fond de la photo, en tout petit, il y a une arche. Je ne l’avais pas remarqué d’abord moi non plus et l’ironie est, comme je l’ai su de mon ex, qu’elle célèbre l’«amitié» de la Russie et de l’Ukraine (officiellement, elle se nomme «arche de l’amitié entre les peuples»), la même amitié qui, aujourd’hui, est au coeur des tensions. Elle date de 1982 alors que l’Ukraine faisait encore partie de l’U.S.S.R.

Peut-être vous demandez-vous ce que pensent mes Ukrainiennes de ce qui se passe actuellement là-bas, y compris les détails dont les médias occidentaux parlent très peu, par exemple une certaine minorité néo-nazie dans le mouvement d’opposition? Je me le demandais aussi. Malheureusement, elles n’ont pas encore répondu à mes messages.

Donc, comme d’habitude, pour me faire une idée, au lieu de tirer mes infos des journaux, j’ai fait un tour du côté des écrivains. Je suis tombé sur l’un eux, l’auteur de livres tels que «Les meilleurs poèmes au monde, des histoires psychédéliques à propos de combats et d’autres conneries», « Big Mac » et «Hymne à la jeunesse démocratique», ce dernier étant un recueil de nouvelles, dont l’une d’elle décrit la tentative avortée d’un lutteur professionnel et d’un vétéran de la guerre de Tchétchénie d’ouvrir un club gay dans une petite ville ukrainienne. Il s’appelle Serhiy Jadan et il vit à Kharkiv, à l’est de l’Ukraine.

J’ai fouillé et j’ai déniché la traduction anglaise d’un billet de blogue écrit par Jadan datant de la mi-décembre  – les manifestations de l’«Euromaidan» ont commencé en novembre – à propos de l’attitude violente du maire de Kharkiv par rapport aux manifestants dans sa ville très pro-Russes et du maire en général et du pouvoir. J’en traduis un passage.

« D’une manière générale, il semble beaucoup trop nerveux et tendu pour un homme d’âge mûr dont un certain nombre de réussites se lisent déjà sur le curiculum vitae. Ni son veston-cravate, ni le titre officiel y peuvent changer quelque chose. Car le statut est un concept très relatif : aucune carte de visite et aucun pare-brise teinté ne peuvent changer votre vraie nature. Peut-être est-ce pour cela que son expression fétiche, qu’il ne cesse de répéter comme un mantra, est «Moi, maire de Kharkiv.» Il place cette expression dans toutes ses phrases, peu importe de ce dont il parle, comme s’il cherchait à constamment s’en convaincre. Peut-être est-ce en raison de ses crises de nerfs envers toute personne osant n’être pas de son avis? Il est pris de crises d’hystérie, de mensonges et de menaces. Et c’est là qu’entrent en jeu tous ces raids nocturnes. Il semble ne pas pouvoir supporter qu’on ne le craigne pas; il n’en a pas l’habitude. Je ne suis pas sûr qu’il comprenne que ce n’est pas la peur qu’il sème, mais plutôt le rejet et, de plus en plus, le ressentiment. Je ne suis pas certain qu’il se rende compte qu’il a déjà franchi le point de non-retour pour une retraite paisible et des promenades nocturnes sans gardes.»

Voilà du journalisme, pensai-je.

J’ai poursuivi ma recherche et j’ai lu que Jadan avait également eu l’un de ses poèmes dans une anthologie de poésie ukrainienne contemporaine intitulée «Nous n’allons pas mourir à Paris», et que le titre de celle-ci était tiré d’un poème apparemment célèbre de Natalka Bilotserkivets, datant de 1989 alors qu’une Ukraine indépendante était encore plus un rêve qu’une réalité. En voici à nouveau un extrait traduit de ma main.

«Nous n’allons pas mourir à Paris –
C’est ce dont je suis sûr –
Mais dans un lit provincial trempé de larmes et de sueurs.
Et personne ne va vous servir votre cognac,
Je sais
Nous ne serons pas rassurés par le baiser de quiconque
Les cercles d’obscurité ne vont pas disparaître sous le pont Mirabeau.
Nous avons pleuré trop amèrement et abusé de la nature
Nous avons aimé excessivement
Ainsi faisant honte à nos amants
Nous avons écrit trop de poèmes
Tout en négligeant les poètes.
Jamais.
Ils ne vont pas nous laisser mourir à Paris
Ils vont encercler l’eau qui coule sous le pont Mirabeau de lourdes barricades.»

Voilà de la poésie, pensai-je.

Et j’ai lu encore et les nouvelles ont annoncé que Ianoukovytch – le président tant détesté – avait dû fuir Kiev, non pas pour Paris, mais pour Kharkiv, en ce samedi matin.


Lettre d’adieu à sa ville natale d’un homme aux cheveux longs

Je l’abandonne à nouveau (pour toujours?) et je laisse à Montréal ma madonne un poème en prose. Je ne dois rien à Berlin. Des anecdotes, des filles aux cheveux blonds, ma solitude. Je dois à Montréal qui je suis et qui je ne suis pas. Qui suis-je? Un homme. Qui ne suis-je pas? Un Européen. Je n’ai pas d’histoire. J’ai seulement de l’espoir. Je n’ai pas d’opinion. J’ai seulement de l’imagination. Je n’ai pas d’argent. Ce n’est pas urgent.

De mon enfance bourgeoise, je croyais qu’il me restait des fragments d’amitié. Erreur. Arrivé à l’âge d’enfanter (même si nous n’enfantons plus), l’amitié s’effrite. Que reste-t-il donc? Ma famille m’en veut. Elle espère mon retour. Avec raison: l’unité familiale (son essence) est compromise. Le Québec s’en fout. Je lui rends bien. À Montréal, il n’y a que les expatriés qui soient dignes d’intérêt. Volontaires, je précise. Impossible toutefois de m’intégrer à cette communauté. Que je le veuille ou non (je ne le veux pas), je suis né ici.

J’ai atteint mes 5 pieds 9 pouces à mi-chemin entre la ville et l’aéroport. Sous la route aérienne. Évidemment, je ne me suis jamais senti en sécurité. Mon éducation s’est faite par Civilization II et les «livres dont vous êtes le héros». Je rêvais de Londres. Je rêvais de Pete Doherty. Je ne savais pas encore que j’étais de la race de Jack Kerouac. Le 10 décembre 2007. À San José au Costa Rica. Entre la ville et l’aéroport. Deux hommes gisaient ensanglantés. C’était 20$ et 20h pour Managua au Nicaragua. La solidarité m’a sauvé (plus précisément, un réfugié de Moubarak: c’est une histoire à raconter).

Un jour de mai, j’ai décollé pour Berlin. Berlin, parce que Londres-Berlin me coutaît deux Big Macs. J’aurais dû m’en douter. L’avion s’est écrasé. Je viens à peine d’arriver.

Je ne ressens rien. Je ne comprends rien. J’ai seulement envie (besoin) de dire la vérité.

Ô Amérique, gute nacht! Je parle aucun Allemand. J’ai lu Le Gai Savoir, mais pas Die fröhliche Wissenschaft. Je justifie l’Allemagne ainsi: je tiens Martin Luther responsable du fait que Pierre Dagenais le Huguenot quitte La Rochelle pour Montréal. Il périrait brulé vif par les Mohawks de Kahnawake. Si Berlin a une Französische Straße, c’est que ses compagnons d’âme ont été plus raisonnables. Je suis au fond le résultat d’une folie.

Dimanche matin, à l’aube, je ferai la file à 0 degré. 97% d’humidité. Près d’Ostbahnhof.


Last call et corruption

Malgré ma hâte à aborder le sujet de l’élection d’un nouveau maire à Montréal le 3 novembre, j’ai patienté en attendant le déroulement d’une saga formidable dont on commence à parler dans le monde entier: celle du maire de Toronto, Rob Ford, connu surtout pour s’être fait filmer en fumant du crack et qui est, même si ce n’est pas illégal de se faire filmer en fumant du crack, dans l’eau chaude depuis. Hier, j’entendais à la radio qu’on avait voté là-bas une motion non pas le démissionnant mais quasiment.

Le crack, l’aveuglement devant une corruption évidente (de notre ancien maire Gérald Tremblay, qui avait été poussé à la porte et que j’avais d’ailleurs été un des seuls à défendre), la corruption tout court de son successeur Michael Applebaum, ou encore l’harcèlement sexuel quasi-obsessif de ses employées féminines (voir Bob Filner, ancien maire de San Diego – qui a par ailleurs le plus grand sourire au monde): il semble que la compétence unique d’un maire moderne soit de ne pas se faire trop remarquer, ou bien de se faire remarquer de drôle manière comme y est habitué le maire de Reykjavik.

Mais y a-t-il, en plus de ne rien faire de mal, une utilité réelle au métier du maire?

Le 3 juin 1833: date de l’élection du premier maire de Montréal, Jacques Viger. Passons outre le fait que la ville soit née sans maire (comme Jésus sans père) et qu’on ait eu l’idée d’en élire un seulement deux siècles après – alors que la ville venait toute juste de dépasser Québec en terme de population avec 28 000 habitants – et voyons-y de près.

Jacques Viger a été maire 3 ans durant, jusqu’à la rébellion des Patriotes de 1837-1838, durant laquelle la ville a été mise sous tutelle. Ce qu’il a fait: des travaux de drainage. Il y avait eu en effet une épidémie de choléra en 1832 (1904 victimes) et une autre plus petite en 1834 (913 victimes): ceux qui sont forts en maths constateront que c’est environ le dixième de la ville qui périssait ainsi. Aujourd’hui, alors que la population sur l’île de Montréal est de 4 millions avec sa banlieue (1,5 millions sans), ça ferait 400 000 personnes. Le drainage n’a pas empêché une troisième épidémie en 1849 (700 victimes).

On remarque toutefois que le Bas-Canada (le nom de la province de Québec à l’époque) comptait alors 400 000 habitants et que ses deux plus grandes villes – Québec et Montréal – n’y comptaient que pour 15%, alors qu’aujourd’hui, Montréal, c’est la moitié du Québec: c’était l’époque de l’exode rural et des migrations et on a créé le poste de maire pour résoudre un problème qui venait avec le grossissement de la ville: le choléra.

Aujourd’hui, alors que les épidémies font plus peur que mal, quels sont les problèmes des villes?

À Montréal, c’est surtout la corruption: voilà pourquoi M. Tremblay s’était fait montrer la porte. A court une Commission d’enquête publique pour en mesurer l’ampleur. Le nouveau maire a donc promis de créer un poste d’ «inspecteur général» comme ils ont à New York depuis 1873, alors que la ville vivait ses premiers scandales de corruption. Montréal avait déjà un «vérificateur général» et un «contrôleur général», maintenant elle aura un «inspecteur général»: celui-ci, selon le site internet de Denis Coderre, «aura un véritable pouvoir d’enquête et de contrainte, contrairement au vérificateur général et au contrôleur général». Une genre de police de mafiosos.

Je ne sais pas…

Selon la fondation City Mayors, le meilleur maire au monde est le maire de Bilbao, Inaki Azkuna, qui a sûrement profité du «Guggenheim effect», la création du musée à l’architecture formidable en 1997 qui a presqu’à elle seule renouvelé cette ville industrielle du Nord de l’Espagne en arrêt obligé pour ceux qui visitent la région.

Je ne suis jamais allé à Bilbao, mais j’ai entendu une chanson, chantée d’ailleurs par un fameux communiste: La chanson de Bilbao.

C’est drôle: ça ne parle ni d’«inspecteur général», ni de Guggenheim, ni même de choléra…

En fait, ça parle d’un bal: le bal à Bill à Bilbao. Ce qui me fait penser que la raison pour laquelle je préfère Berlin à Montréal, c’est en gros que je préfère son «nightlife».

Moi, un «inspecteur général», ça ne me dit rien, un musée à 150 millions de $ non plus, mais je ne serais pas contre l’abolition de l’interdiction de la vente d’alcool (le fameux «last call», un résidu de la prohibition) dans les clubs après 3 heures du matin, ce qui tue toute possibilité d’avoir un minimum de «vie de nuit» ici. À Berlin, il y en a jamais eu. En Angleterre, depuis 2005, plus d’interdiction non plus. Et qu’est-ce qu’on attend nous?

Je propose donc au maire-fumeur de crack de Toronto de se présenter à Montréal aux prochaines élections municipales. On dit qu’il est alcoolique aussi alors on sait jamais.

La corruption, c’est beau, mais notre problème à nous, c’est pas aussi qu’on s’ennuie le vendredi soir? Va savoir! Qui dit que ce n’est pas même à ça qu’on doit la corruption?

En attendant, comme toujours, j’ai coché les cases de tous les candidats. 16 qu’ils étaient!


La mort

La mort est paradoxale, à la fois terrible et belle. Je voulais vous parler de la mort de Paul Desmarais et ses 4,5 milliards mais est mort presqu’en même temps mon grand oncle Jean-Guy Balthazard, que je voyais deux fois par année mais pour qui – et pour ses enfants et petits-enfants qui tiennent sûrement de lui – j’avais une grande admiration. Pour moi, le Québec, c’est un peu Jean-Guy et sa famille: des fous pas cons.

Hier, en revenant du funéraille-party (plutôt party que funéraille) de Jean-Guy, il y avait à Tout Le Monde En Parle version Québec un ancien premier ministre indépendantiste et l’éditorialiste-en-chef de La Presse (le journal de Paul Desmarais) qui hommageaient à leur manière le self-made-man le plus controversé du pays: Dieu pour les fédéralistes, le diable pour les séparatistes (mais je ne veux pas rentrer là-dedans!)

C’était épatant: l’ex-PM – que je ne savais pas un ami de Desmarais vu leurs opinions politiques divergentes – en parlait carrément comme un monarche éclairé – par exemple rappellant que Sarkozy lui aurait dit qu’il lui devait son élection en lui remettant la Légion d’Honneur – alors que le pauvre éditorialiste essayait en vain de modérer ses propos, comme dans son journal où l’on vantait son mécénat artistique en oubliant ses 4,5 milliards.

Voyez: Paul Desmarais a en effet subventionné les arts et toutes sortes de choses (apparamment qu’il y a même une salle à son nom à l’Université d’Alexandrie), le genre de bon chrétien qui s’est fait construire une église pour lui tout seul sur son domaine de 77 millions à Sagard. C’est en effet à en rappeler l’époque des dolléances vaticanes – auxquelles on doit des chefs d’oeuvres artistiques – , seulement Desmarais avait meilleur presse. Il était d’ailleurs propriétaires de quelques-unes.

Paradoxe.

C’est aussi le mot que j’utiliserais pour décrire les funérailles de Jean-Guy, funérailles vivantes comme je voudrais que soient les miennes: il fallait voir son arrière-petit-fils Justin (4 ans) qui ne s’est pas ennuyé une seconde à frencher ses pauvres cousines; il fallait voir aussi les 36 bouteilles de vin (ou les boire); il fallait voir finalement le désespoir des employés qui, voulant profiter de leurs samedis soirs eux aussi, ont fini par mettre la famille dehors.

Des fois, je me dis que la mort est une construction sociale, pas la mort en tant que telle, mais la mort comme événement triste. Car qu’est-ce qui meurt finalement?

La fortune? Le pouvoir? Évidemment.

La vie?

Pas sûr.


Hommage à la courge

J’avais commencé par faire une analyse sociologique extrêmement complexe afin d’expliquer pourquoi une bonne majorité de Québécois s’engueulent depuis un mois avec cette fameuse «charte de la laïcité» (qui interdit le port de signes religieux chez les employés de l’Etat, le huitième des travailleurs au Québec, et tous des jobs syndiqués – surnommée par un politicien d’opposition «la charte de la chicane») et pourquoi malgré tout le noyau dur du Québec – une grande minorité mais unie – reste assez modéré et s’accommodera finalement d’un compromis sain. En gros, dire : voilà, ça a l’air d’aller mal, mais en fait : tout va bien.

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Ma table de travail.

Finalement, je vais vous parler de la campagne où j’habite à temps plein depuis que je suis rentré au Canada de Berlin il y a une semaine. Ça va me donner moins mal à la tête et ça sera bien plus agréable pour vous.

J’habite donc pour les deux prochains mois à proximité du petit village de Saint-Anicet dans un chalet qui appartient à ma grand-mère (elle n’y va jamais) qui donne directement sur le fleuve Saint-Laurent (qui a plus l’air d’un gros lac à cette hauteur-ci), avec un grand terrain – il n’y a presque plus d’arbres parce qu’ils sont presque tous tombés lors d’une mini-tornade le jour où je suis arrivé (je jure!) – et je sens vraiment que j’ai de l’espace : c’est un assez grand chalet, pas de chauffage, pas de télé ni radio (tout a sauté lors du passage de la tornade), pas d’internet non plus, mais 8 pièces, 2 toilettes, on y est bien confortable, et le soir, le coucher de soleil est absolument magnifique. Je peux aller aux États-Unis en marchant : c’est bel et bien ce qu’on appelle «un petit coin de paradis».

Les gens ici sont relax, ils s’ennuient bien sûr (lorsque la tornade est passée personne ne s’est plaint, j’ai eu l’impression que les gens étaient presque contents), mais paraissent heureux malgré tout.

Est-ce que moi je m’ennuie? Non. Pas du tout. Je ne mens pas. Je ne m’ennuie pas du tout. C’est sûr que j’ai des choses à faire (travaux finaux à remettre, mon roman, la bouffe puisqu’il n’y a pas de fast foods aux environs), mais plusieurs moments à ne rien faire aussi. Moi qui détestais jadis les promenades, j’en ai déjà fait plusieurs, dont une de près de 4 heures, n’importe où devant moi.

Après une dizaine de kilomètres, je suis tombé sur la reconstitution d’un village iroquois des 1450s. Assez impressionnant. Connaissez-vous l’histoire des «Trois soeurs»? On me l’a contée. J’avoue que j’écoutais à moitié, mais en gros les trois soeurs sont le maïs, la courge et le haricot qui constituaient l’alimentation de base des Iroquois. Ils les cultivaient ensemble : la courge en bas qui créait de ses feuilles un micro-climat extrêmement bon pour le maïs qui poussait vers le ciel, et finalement le haricot qui s’enroulait autour du plant de maïs. Une belle leçon de multiculturalisme!

En apparence…

En fait, l’histoire du Canada se résume à peu près au fait que les Amérindiens ont été conquis par les Français au 16e et 17e siècle, qui ont été conquis à leur tour par les Anglais en 1760 qui sont devenus «Canadiens» en 1867, et les «Québécois» ont reconquis leurs terres, au moins économiquement, dans les années 1960s. Le multiculturalisme à la canadienne, c’est bel et bien une affaire de conquête. On pourrait dire que la courge a été écrasée par le maïs qui a été écrasé par le haricot. Au détriment des trois…

Historiquement, c’est ça.

Aujourd’hui c’est différent: pour poursuivre la métaphore végétale, la courge, c’est les régions du Québec : les travailleurs manuels, la «petite vie», comme à Saint-Anicet; le maïs c’est les Anglos et les Francos de Montréal qui regardent vers le ciel – comprendre l’«argent» – et les haricots c’est les immigrants qui regardent aussi un peu vers le ciel – le vrai – mais surtout qui se tiennent après le plant de maïs.

Après avoir été immigrant en Allemagne pendant quelques étés et même un immigrant à la campagne depuis une semaine, je me crois permis de juger : le bonheur n’est pas ailleurs, chers amis, ni dans le capitalisme, ni dans l’immigration (et surtout pas dans Dieu). On dit : «le sage regarde le ciel, l’idiot regarde le doigt». J’ajouterais que l’homme heureux fait sa petite affaire et crée un micro-climat sain dont chacun pourra profiter.

J’ai dit dans mon précédent billet que je serais tout à fait pour une «charte de la cécité» pas pour de vrai mais anti-internet, pro-introspection. Je maintiens cette opinion.

P.S. J’apprends le portugais en lisant du Fernando Pessoa (je vais vivre au Brésil une partie de l’an prochain) et je me suis souvenu d’un billet sur mon ancien blogue : «Nossa única riqueza è ver : cette phrase est la chute d’un poème de Fernando Pessoa dont la thèse générale est que les gens des régions sont plus riches que nous parce que les édifices des villes sont tellement hauts qu’ils nous empêchent de voir au loin et nous rendent donc pauvres parce que notre unique richesse, eh bien, c’est de «voir». Ma prof de français au cégep – que j’aimais bien parce qu’elle était jeune et jolie et surtout poétesse – l’avait sorti devant une classe à moitié endormie, à moitié éberluée. Quoi? Notre seule richesse c’est nos yeux ? Pis les aveugles eux ils font quoi ? Oui bon, l’abstraction c’est pas notre fort au Québec, et pourtant, lorsqu’on lit le poème au complet, tout est très clair. La ville – ou «le feeling de ville» qui a envahi les villages avec les chars, avec Facebook – nous a fait perdre cette proximité précieuse avec la nature en général et, de façon plus inquiétante, notre chère nature humaine.»


Dieu et la démocratie

Ma foi, je déserte le mondoblog, hein?

C’est que je suis victime de deux situations nouvelles: la première étant de ne plus avoir internet à la maison; la deuxième étant que j’en suis à l’écriture d’un premier roman (depuis le temps que j’y pense). Si la première situation aidera à la deuxième, Dieu seul le sait. Je me dis qu’en me catapultant hors du «monde», peut-être que je serais plus à même de le voir entier. En tout cas, moins de Facebook, ça améliore une vie, ça c’est sûr.

Mais je profite d’un petit séjour à Hambourg – là où d’ailleurs s’introduisait le Voyage au centre de la Terre de M. Verne (ça sonne bizarre sans le Jules mais, passons) il y a exactement 150 ans – pour piquer la connexion internet de ma charmante hôtesse et de vous parler un peu de l’actualité chaude du Québec, comme je vous l’ai promis fin juillet.

Et en fouillant un peu le net de ma charmante hôtesse, j’apprends que ce qui fait chauffer le Québec en ce mercredi pluvieux à 32 degrés, ce sont les turbans, plus précisément les turbans dans la fonction publique, genre profs, médecins, techniciens de l’État, cols bleus de l’État, «9 à 5» de l’État et «agents de la paix» de l’État, donc environ 500 000 Québécois (le huitième de la population active); et ce n’est pas parce qu’il fait chaud.

Les turbans, donc, «out!», dit-on, par ce qu’on appelle une Charte des valeurs québécoises, alias la «charte de la laïcité». 57 % des Québécois sont d’accord.

Évidemment, la Charte ne cible pas que les turbans, mais interdira le port de n’importe quel signe religieux dans la fonction publique, donc la croix chrétienne également mais on comprend qu’elle est un peu moins difficilement dissimulable qu’une kippa, un hijab ou un turban sikh, etc., et à savoir si des boucles d’oreilles du genre «yin et yang» (le symbole du taoïsme) ou un t-shirt de Che Guevara passent ou pas, il faudrait s’informer auprès de M. Bernard Drainville, le député du Parti Québécois qui s’occupe de l’affaire.

Ne comprenez pas que je m’oppose à la Charte: je n’ai strictement pas d’opinion là-dessus, contrairement à M. Denis Coderre (peut-être futur maire de Montréal) qui s’oppose à la Charte et qui prône lui une «laïcité ouverte», une expression dont franchement j’ignore le sens, mais certainement très efficace pour récolter des votes de gens pas trop décidés, comme moi.

Moi en fait je ne citerai ni Machiavel ni Nietzsche ni la Révolution Française ni l’Ordre Teutonique, mais un bonhomme qui a presque mon nom et l’air un peu mongol : Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême (Angoulême?) et un des 40 membres de l’Académie française qui a publié deux beaux livres en 2012: Catholiques en France, réveillons-nous et Catholiques et présents dans la société française. Foi en Dieu et démocratie.

De beaux titres, non?

Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême, membre de l’Académie française (précise toujours son blog parce qu’il en a un) y écrit : « Nous croyons que la cause de Dieu est liée pour toujours, parce que Dieu lui-même l’a voulu, à la cause des hommes et des sociétés humaines, surtout en période de difficultés, d’épreuves, d’incertitudes. »

Je n’ai pas d’opinion là-dessus non plus.

Moi, mon opinion, c’est tant qu’à faire des chartes, qu’on en fasse une qui interdise l’internet partout même à Hambourg et ça s’appellerait la « charte de la cécité » et je l’écrirais et je me garantirais certainement un fauteuil à l’Académie française où je pourrais sans doute m’asseoir près de Mgr Dagens puisqu’on a presque le même nom.

– Comment allez-vous aujourd’hui Mgr Dagens? Bien dormi ?

– Très bien, et vous Mgr Dagenais?

– Beaucoup mieux depuis que j’ai mon turban. Ça… ehh.. cela me fait comme un oreiller à 360 degrés. Vous devriez essayer cela.

– (soupir)

À propos, l’Académie française, c’est la fonction publique ou pas ? Les salaires sont bons? Les conditions de travail? Sont syndiqués ? Les fauteuils : confos ? Et à propos du turban?

P.S. J’ai pensé à une blague. C’est Nietzsche qui lit mon billet et qui dit, l’air grave: «… et voilà Dieu qui se retourne dans sa tombe.»


On se moque de nous (et des autres)

C’est l’été: «no news is good news», comme on dit, mais les journaux roulent à longueur d’année et j’ouvre à peine le site internet du Journal de Montréal (le seul pas mal à Montréal l’été, nul mais nul le reste de l’année) que me saute à la figure un beau: «Prix de l’essence à la pompe: ON SE MOQUE DE NOUS».

Ah ça fait du bien!

Ça fait un mois qu’on entend parler tous les jours du Lac Mégantic, Lac Mégantic par ci, Lac Mégantic par là: 47 morts, revenez en!

Moi, ce qui m’intéresse c’est pas du pétrole qui explose dans un village dont personne n’avait jamais entendu parler avant, mais qui reçoit depuis un mois des marques de solidarité et d’amour de toute la province. Après un mois, on en revient: oui, c’était plaisant de sacrer après la société américaine qui opérait le train et son patron Ed Burkhardt, mais à présent ce qui m’intéresse c’est du pétrole qui n’explose pas, mais qui coûte cher à pomper, pour toute la province, à tous les jours!

Le titre: «Conducteurs en otages». Le lead: «Alors que les consommateurs auraient dû souffler en 2013, les pétrolières continuent d’engranger des profits» Vlan et vlan!

– On boycott!

– Yes sir!… on boycott quoi?

– L’essence!

– B’en là!

– Bon, okay, l’essence qui se moque de nous!

– C’est-à-dire…

– Hm… Shell!

– Shell?

– Ben oui: des anglais!

– C’est des Hollandais…

– Hm… y’ont fermé la rafinerie à Montréal-Est y’a deux ans: 800 emplois perdus!

– Alors on achète où?

– Ultramar! C’est Québécois!

– Hm… ça appartient depuis 2001 à la Valero Energy Corporation de San Antonio, Texas…

– Petro-Canada alors!

– … à Suncor: des Albertains!

– Pétromont? Ça sonne français ça?

– Oui, mais fermé en 2008…

– Je sais. Y’a une rafinerie à Régina en Saskatchewan: une coopérative!

– 14 octobre 2011: «Bilan de l’explosion à la rafinerie Co-op de Regina : 36 blessés»

– Y’ont pas trouvé du pétrole en Gaspésie l’an passé? Génial non?

– T’étais pas contre?

– Oui et non… Ah! puis je sais plus…

L’été, si le Québec vous intéresse, si le monde vous intéresse, c’est pas Le Journal de Montréal et le prix de l’essence qu’il faut lire. C’est des parcelles de nouvelles et ça fait qu’on devient tout mélangé, qu’on oublie l’essentiel. Ce qu’il faut lire c’est le chroniqueur Pierre Foglia dans La Presse. Je vous en ai déjà parlé: voici ce qu’il a écrit sur l’explosion mortelle de 5 wagons-citernes pleins de pétrole brut en plein centre-ville de Lac Mégantic le 6 juillet dernier.

«Pour quelque temps du moins, six mois, un an, on ne regardera plus passer les trains comme avant. On va se poser des questions sur plein d’affaires en même temps. Sur l’utilité du pétrole. La dérèglementation. La privatisation des chemins de fer. Sur l’entretien des rails. Sur la vétusté du parc ferroviaire. Sur la nécessité de mettre en circulation des wagons-citernes à doubles parois. Des gens vont dire n’importe quoi, comme cette auditrice qui a appelé à l’émission du midi à Radio-Canada pour dire qu’en Suède, les autos ne roulaient plus au pétrole. Mais si, madame. Mais non, ce n’est pas fini le pétrole. Même Amir Khadir a fait le plein l’autre jour, je l’ai vu. Pour quelque temps, on ne regardera plus passer les trains comme avant et puis, dans six mois, dans un an, on oubliera tout ça.»

Oui M. Foglia, mais on n’oubliera les morts de Lac Mégantic! Des bons petits Canadiens-Français…

Ceux qu’on a oubliés c’est les 99 mort du «désastre de Belœil», noyés dans le Richelieu après le déraillement (sur un pont) d’un train du Grand Tronc, compagnie toute canadienne. La plus grande catastrophe ferroviaire de l’histoire du Canada! Le 29 juin 1864, mais quand même: on les a oubliés parce que c’était rien que des immigrants: des Allemands qui se rendaient à Montréal… Des Allemands? Genre Arthur Spies?

Eh! le 29 juin… c’est une semaine avant le 6 juillet ça! Moi qui croyais qu’il ne se passait rien l’été.

P.S. Ah! parlant d’essence: un beau mot sénégalais pour station-service: essencerie! Pas mal non?


Le grand retour

Je rigole un peu, vous vous en doutez, quand je parle d’un grand retour sur Montréal Anyways, après deux mois d’inactivité. Je dis bien sur Montréal Anyways parce que j’ai loin d’avoir été inactif en général. J’ai même rarement été aussi actif, et vraiment, j’ai voyagé dans trois pays (Pologne, deux fois, Italie, République Tchèque), j’ai déménagé à trois rues de mon ancien appart mais quand même, et puis jai lu… beaucoup, dans des livres un peu et dans moi-même surtout.

Mais ça, ça ne vous concerne pas.

Ce qui vous concerne, c’est pourquoi pendant deux mois, j’ai aussi était des tas de trucs (y compris une dizaine d »articles pour Montréal Anyways) que j’ai finalement décidé de ne pas publier ici au grand desespoir de mes cinq lecteurs attentifs (mais puisqu’ils sont attentifs ce n’est vraiment pas ça, je veux dire, mon impopularité, la raison). Et puis, je vous explique aussi ce que j’entends pas mon «grand retour», mais à la fin seulement, parce que je veux m’assurer que vous lisiez tout ca bien bien.

Alors par où commencer?

Eh bien voilà: peut-être par l’analyse de cette petite phrase: «Alors par où commencer?»

Non, mais c’est pas banal. Ça veut pas juste dire: laissez moi deux minutes pour structurer mon histoire afin de la rendre la plus divertissante et pertinente au plus grand nombre, en gros le plus littéraire possible. Oui, ça pose la question de ce que c’est qu’une histoire «littéraire» (si vous voulez une «bonne» histoire) et une histoire qui n’intéresse personne. Mais quand on dit: «Alors par où commencer? », on ne se pose pas qu’une question (relativement interessante) de forme, c’est-à-dire de style, mais on se pose surtout le «alors». Tout est dans le «alors» je vous explique.

«Alors», c’est pour faire court «ad illam horam», ce qui signifie en latin: «à cette heure», qu’on dit encore tout le temps au Québec (je ne sais pas en France) sous la forme machée et remachée «astheure», ce qui veut dire en gros «désormais». Ah! «désormais»: quel joli mot, non? Dès-or-mais, ça veut dire : «(mais) à partir de maintenant»: voyez, il y a «dès» dans le sens de «à partir», il y a «or», de «hac hora» (à cette heure, encore), et n’oublions surtout pas le «mais». Il y a dans «désormais» cette idée d’opposition, c’est-à-dire, «mauvaise direction les gars, on s’excuse, on rechecke la mappe et on repart». «Désormais», c’était même le slogan initial de la Révolution tranquille qui a (supposément) sorti le Québec de sa torpeur en 1960. Mais je suis pas historien.

Anyways, si je vous parle de «désormais», c’est parce que c’est un peu ça que j’ai vécu récemment: une révolution tranquille (enfin quasiment tranquille). Le jour de mon anniversaire (voyez mon billet précédent), je me suis dit: «Ça va pas» et puis je me suis auto-pardonné, j’ai rechecké ma «mappe» intérieure, et je me suis dit: «Alors par où commencer?»

En fait, j’ai cherché, comme les Québécois en 1960, j’ai essayé des trucs, comme je vous ai dit: voyages, déménagement, et d’autres trucs que je garde pour moi, et puis j’ai compris un truc: la bonne question est plutôt « alors par ou (re)commencer? ». Et la réponse est évidente: par le commencement. Au Québec, c’était le retour à l’esprit frondeur des patriotes des 1830s, qu’on avait oublie sauf dans nos sacres. Mais ça fonctionne aussi individuellement, parce qu’on a déjà connu le bonheur, enfin, le vrai bonheur, en très bas âge, et on ne s’en souvient même plus, consciemment, parce que justement on n’était pas encore tout à fait conscient.

Et puis c’est ça que j’ai compris en gros: la vie c’est pas joli joli quand on y pense, mais quand on y pense pas, c’est pas si mal.

Voilà: je vous parle pas de Nietzsche et de tout le tralala, mais un court-docu à voir absolument, de Kieslowski que Manon aime tant. Ça s’appelle « têtes parlantes » et c’est pas un hasard si c’est un polonais qui l’a realisé. C’est cet esprit slave, froid, mais vrai, pas si désespéré qu’on le dit, qui est si beau (réécoutez Chopin pour voir) et qui a même fait fabulé à Nietzsche des origines polonaises, lui qui écrivait que « l’Allemagne est un grand pays seulement parce que ses habitants ont tellement de sang polonais dans leur veine… Je suis fier de mes origines polonaises. Je me souviens que, dans les temps anciens, un noble polonais, par son simple veto, pouvait contrecarrer la résolution d’une assemblée populaire. Il y avait des géants en Pologne (1) au temps de mes ancêtres. » Et pas juste des géants, il y a aussi là-bas des «des écureuils à petites oreilles, à abajoues et dont la queue est assez courte et plus ou moins fournie» qu’on appelle les spermophilus suslicus !

Bon.

Pas très démocratique le Nietzsche, mais d’une certaine manière si, c’est-à-dire que pour lui, le bonheur c’est une affaire pour tous, et même pas nécessairement des «privilégiés».

Lisez ou relisez «Ainsi parlait Zarathoustra».

«Je vais vous dire trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant.»

C’est ça le «grand retour».

P.S. Désormais, sur ce blogue «journalistique», je ferais ce qu’on attend de moi: je parlerais des scandales politiques au Québec, cette «fausse alerte permanente», mais à la manière du 19e siècle, parce qu’«encore un siècle de journalisme, et tous les mots pueront», disait un mort-vivant en 1882. Et qui vient 100 ans après? Moi!