Nicole Capo

Femme victime de violences conjugales

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Ceci n’est pas une fiction. Ce n’est pas non plus une tentative pour arracher facilement des larmes aux âmes sensibles.C’est encore moins une ruse pour révolter les féministes. Révoltées,elles le sont déjà suffisamment. C’est l’histoire d’une femme ordinaire qui ignorait que le simple fait de se marier peut modifier l’espérance-vie d’un être humain.

Elle avait trente-quatre ans. Belle de la beauté discrète des femmes d’intérieur. Quant elle souriait, je lui souriais aussi, car son sourire naissait dans les yeux.

Elle était mariée à un haut cadre dans l’administration du
Bénin. A cause de la situation de ce homme, on croirait, naïvement sans doute, qu’il ne pouvait ignorer l’essentiel des lois de son pays; et surtout, que la hauteur et le raffinement de son intellect auraient aidé à dompter certaines débordements
pulsionnels. Mais il faut croire que l’intelligence et la personnalité n’empruntent pas les mêmes canaux.

Ce couple avait trois beaux garçons. Assez pour que dans n’importe quelle famille béninoise moyenne, l’on songe à contrôler les naissances. D’autant plus que la somme allouée par le mari pour les besoins du foyer dépassait rarement le dix, ce qui fait tout de même vingt jours d’acrobaties
budgétaires chaque mois.

Hélas, l’organisme de cette femme refusa les moyens de contraception habituels. De vomissements en étourdissements, en passant par une prise de poids scandaleuse, elle proposa le condom à son conjoint. Deux fois hélas, il refusa catégoriquement d’avoir recours à cette méthode avec « sa propre épouse ». Elle en vint donc à souhaiter l’abstinence pendant les périodes critiques. Trois fois hélas pour cette femme, la réaction de son conjoint fut extrême. Chaque fois qu’elle disait non, il la battait sévèrement avant de procéder à ce qu’il appelait dans un langage châtié « l’exercice de ses droits conjugaux ».

 

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Ce qui devait arriver arriva.Quand cette femme annonça son état à son époux, il lui répondit mot pour mot: « c’est ton problème. Débrouille-toi. Elle avorta. Elle avorta trois fois, et le troisième avortement tourna à la tragédie.

Elle fut enterrée par une de ces journées du Bénin d’une beauté à se damner, quand le soleil rose-orange de fin d’après-midi vous donne envie de vous transformer en un œil géant, afin de ne rien perdre des éblouissantes nuances de
couleurs, quand l’odeur de l’herbe mouillée est comme une invitation à un banquet, une ode à la vie.

La tristesse, le chagrin ne sont pas assez forts pour empêcher
de regarder autour de soi,d’observer.

Votre servante a aiguisé tous ses sens, tendu toutes ses facultés dans l’attente d’un esclandre,un coup de colère, un minuscule signal, enfin, qui montrerait que tout n’est pas bien. Mais rien ne se produisit, ni ce jour-là, ni plus tard.

Pourtant, dans la famille proche de cette femme, il y en avait plusieurs qui savaient, qui connaissaient chaque étape du parcours qui nous avait conduit à ce carré de terre fraîchement retourné.

La seule vague allusion à la situation fut ces mots qui, au reste, pourraient servir d’épitaphe, prononcés plusieurs semaines plus tard par la propre soeur de la morte. « Elle se repose enfin ».

Omertà à la béninoise? Me suis-je demandé.

Non, me suis-je répondu. Plutôt une sereine acceptation de l’inacceptable.

De là, une autre question, terrible celle-là. Est-ce que nous sommes,nous les
Femmes,complices des abus, des violences qui nous sont faites? En flash m’est revenue une image de la disparue, un jour qu’elle était venue se confier à moi,et que j’essayais de lui rappeler discrètement qu’il existe des recours légaux pour obtenir de la protection. Elle m’avait souri,le genre de sourire que l’on fait quand on énonce une évidence. « Je suis sous son toit », avait-elle déclaré.

Pourtant,on nous a dit que notre avenir est devenu ensoleillé. Que désormais, les femmes sont aussi des Hommes. Que comme dans toute démocratie digne de ce nom, des textes de lois nous protégeront de tout abus. Le Code Béninois des Personnes et de la Famille en son article 153 est clair: « …Ils(les époux) se doivent respect, secours et assistance. »

D’où cela vient- il alors, que personne ne bouge quand le respect,le secours et l’assistance sont si manifestement absents de la vie conjugale? Pourquoi tant d’individus, qui ne sont pas censés ignorer la loi violent- ils si délibérément celle-ci avec le sentiment qu’il n’y aura pas de conséquences? Pourquoi tant de femmes trouvent- elles naturel que leurs droits humains les plus élémentaires soient bafoués? Pourquoi pensent- elles que c’est honteux d’être une victime? Pourquoi s’accrochent- elles à la notion que la seule forme de respectabilité sociale, c’est d’être sous le toit d’un homme, dussent- elles en mourir? Pourquoi jugent-elles que l’équilibre et l’épanouissement de leurs enfants dépendent de leur capacité à souffrir en silence,(quoique je n’ai pas encore compris jusqu’ici en quoi le fait de voir un de ses parents humilié, brimé, battu au quotidien participe au développement psychologique et émotionnel harmonieux d’un enfant)? Et pourquoi enfin, femmes, soutenons- nous si souvent nos fils quand ils manquent aux principes de respect, secours et assistance avec leur épouse?

Ce sont des questions qui ne laissent pas de répit,une fois qu’on commence à se les poser. Pour ma part, puisque le progrès est la descendance de l’Utopie,je veux obstinément rêver d’un Bénin où la femme sera un Homme comme les autres.


Bienvenue au Bénin.

Chez moi, c’est un coin d’éden appelé Bénin.
Quand les premières pluies tombent et que toutes les poussières se sont évanouies,l’air au Bénin devient comme à boire, pur, translucide,cristallin.

Chez moi, c’est un régal pour les sens. Des sons qui font écho au plus tendre du cœur,des senteurs qui proclament: terroir! Des images qu’on voit encore, quand l’oeil s’est détourné. Et des textures.Des textures dont on voudrait s’inonder, dans lesquelles on voudrait se vautrer sans pudeur, s’ébattre sans retenue.
Chez moi, c’est des visages souriants,la plaisanterie à fleur de bouche, le compromis toujours à portée d’esprit pour aplanir les tensions.Chez moi, c’est chez nous!

chez moi, c'est chez nous!

Mais chez moi, c’est aussi un autre monde. Un monde fait de deux mondes séparés par un gouffre.Vertigineux. Abyssal. Celui qui sépare une opulence qui défie l’imagination et la pauvreté de base,celle qui saisit, culpabilise et incite à l’introspection.
L’observateur ahuri regarde des deux côtés, à se dévisser le cou. Comment une telle surabondance est-elle possible dans un pays comme le Bénin, réputé pauvre? Et comment un dénuement aussi abject est-il possible, même dans un pays comme le Bénin, réputé pauvre?
Chez moi, c’est une démocratie.C’est à dire qu’au Bénin, le pouvoir appartient au peuple.Et que les citoyens qui composent le peuple sont libres.Et un citoyen libre, égal à son voisin a le droit de penser à s intérêts. Exclusivement.Si cela va contre l’intérêt général, c’est bien dommage. Mais qu’est-ce qu’on y peut? Dans mon beau pays le Bénin, un citoyen a le droit, au nom de ses droits civiques, de repousser les limites de l’incivisme.Il peut rouler sur le trottoir s’il y a une flaque d’eau sur la chaussée,Se rire du code de la route, troubler l’ordre public et polluer son environnement.
Au nom de la satisfaction de ses besoins fondamentaux, le libre citoyen du Bénin peut tromper,rouler,roubler, écraser des pieds,de vendre l’invendable. Bref, un libre citoyen dans la démocratie du Bénin, a le droit de vivre et laisser mourir. Bienvenue au Bénin.