Haïti : les nouveaux marrons, vers la quête incessante de l’eldorado
Le déplacement massif d’Haïtiens dans les conditions les plus difficiles en vue de trouver un meilleur avenir constitue un phénomène ayant pris une dimension toute autre depuis quelques temps. Cette tendance, qui gagne de plus en plus en popularité, reflète la dégradation de la situation des jeunes du pays, privés ne serait-ce que du droit de rêver d’un lendemain meilleur. Cette situation désespérante et surtout désastreuse n’est pas sans rappeler celle des milliers d’esclaves marrons des colonies fuyant les plantations dans une quête de liberté incessante, allant jusqu’à la liberté de rêver et d’espérer.
Les conditions de vie difficile d’aujourd’hui obligent de plus en plus de jeunes Haïtiens à envisager l’ailleurs comme une échappatoire. Le refus de la réalité horrible offerte en Haïti les contraint à l’exil volontaire. L’envie de revenir caractérise consciemment ou inconsciemment une grande partie de ces jeunes, mais la peur de devoir affronter ce système qui donne l’aspect immuable pousse de plus en plus d’entre eux à repousser le retour pour plus loin.
Ces Haïtiens dont la majorité est un groupe de jeunes cadres, intellectuels, fuyant le pays peu importe les conditions qui leur seront réservées dans les pays d’accueil constituent une catégorie de nouveaux marrons. La comparaison parait tout de même oser à ce niveau de l’analyse. Mais pour peu qu’à la suite des travaux de différents auteurs comme Jean Fouchard (Les marrons de la liberté, notamment), que l’on se fasse à l’idée que les causes classiques du marronnage ne suffisent pas toujours à expliciter la nature du phénomène. On comprendra que cette insuffisance est le reflet exact de la situation actuelle des milliers de jeunes abandonnant le pays à la recherche d’un mieux-être. Dans la compréhension du soulèvement des esclaves de Saint Domingue, le marronnage constitue un lieu de mémoire extraordinaire dans la préparation de ce qui deviendra plus tard la révolution haïtienne. Par son geste, l’esclave fugitif a montré qu’il était possible de se soustraire des conditions inhumaines que lui impose sa situation.
L’impuissance d’hier a poussé les masses exploitées à se battre par la ruse ; le marronnage comme force de combat a été remplacé par une autre forme de lutte, la fuite. La fuite loin du désespoir, de la honte et de la colère offerte par ceux qui ont repris les rênes des mains du colon. La fuite loin des humiliations. Dans le désespoir, ils s’en vont par tous les moyens et sans pour autant savoir dans quelles conditions ils seront accueillis, mais quoiqu’on puisse leur dire, ils s’en iront quand même. De là réside le sens de cette analogie, loin des considérations indélicates du terme Marron.
Entre situation existentielle angoissante et espérance…
Beaucoup savent que la situation qui les attend est loin d’être idyllique. Mais, ils se disent que ce serait toujours mieux que de rester. La désillusion est assez souvent au rendez-vous quoiqu’il arrive, mais ça ne change pas pour autant leur aversion pour le retour. Beaucoup d’entre eux croient en leur chance d’améliorer leurs situations sociales là où ils se trouvent que de revenir chez eux.
Rappelons-nous tout de même les enseignements de l’histoire. Une révolution commence par un processus de conditionnement de la pensée et des comportements antérieurs aux soulèvements populaires. La préparation à se soulever peut-être longue et invisible. Les transformations effectuées dans les comportements et les manières de voir et de penser sont visibles la plupart du temps que tardivement. L’on comprend les mécanismes ayant abouti à une révolution qu’après quelques années en analysant les faits sans perdre de vue l’évolution de la société après la révolution. De ce fait, les faits historiques n’ont de sens véritables qu’en les plaçant dans une véritable dynamique de moyen et de long terme, sinon l’on perd de vue l’essentiel et on devient aveugler par l’instant.
En ce sens, les nouveaux marrons doivent faire peur parce que les perspectives qu’offrent leurs actes pour l’avenir n’ont rien de rassurant. Quand l’ailleurs devient la seule solution et quand en plus l’envie de revenir se meurt chez ceux qui ont pris la fuite, de changement, il ne saurait y en avoir. C’est en cela que la fuite de ces nouveaux marrons devrait faire peur parce qu’elle ne prépare en rien une possible transformation de la société que l’on pourrait souhaiter voir.
On ne peut que rêver que la mort de l’espoir ne soit qu’une illusion et qu’il soit encore possible de refaire vivre l’espérance.