Mohamed SNEIBA

FFRIM : Une dictature s’installe

Ould Yahya annonçant sa candidature (photo : Alakhbar)

Le président de la Fédération mauritanienne de football, Ahmed Ould Yahya, est en voie de remporter son « troisième mandat » ! Et oui, vous avez bien entendu ! Le mandat de « trop » que certains mauritaniens refusaient à Aziz qui, d’ailleurs, ne voulait pas lui-même de ce « bonus » qui enfreint une clause essentielle de notre constitution.

Ould Yahya est pourtant un pro-Aziz. Il ne rate aucune occasion pour vanter les réalisations du raïs, y compris celles qui ont permis au président de la FFRIM d’avoir les conditions idéales pour porter notre football au niveau qu’on chante aujourd’hui. Oui, ça, il faut le reconnaître. Ahmed Ould Yahya a un bon bilan à faire valoir. Deux qualifications successives au CHAN (Championnat d’Afrique des nations de football) et, pour maintenir la cadence, une qualification historique à la phase finale de la CAN de cette année, Égypte 2019. Tout cela est beau, tout cela est méritoire, mais est-ce suffisant pour se lancer, tête baissée, dans une « dictature » du football qui consacrera un long règne qui rappelle, dans son élaboration et dans son processus, les « rois » João Havelange, président de la FIFA de 1974 à 1998 (24 ans), Sepp Blatter, le Suisse qui a pris la succession du Brésilien pour un autre long règne sur les « affaires » du football, de 1998 à 2015 (17 ans), ou encore, Issa Hayatou, Camerounais qui a régné sur la Confédération africaine de football (CAF) de 1988 à 2017 (29 ans).

L’échafaudage mis en place par l’actuel président de la FFRIM pour durer à la tête du football mauritanien s’inspire largement de celui que les « momies » de la FIFA et de la CAF avaient élaboré pour venir à bout de la concurrence. Ce sont, en fait, des « restrictions » qui ressemblent fort bien au principe de la short list, pour ne pas dire le candidat unique, ou du « gré à gré » par élimination directe débouchant sur une désignation.

En dehors des résultats, il faudra bien que les dirigeants de notre football pensent, à l’avenir, à un mécanisme garantissant l’alternance. Le sentiment d’irrévocabilité et les certitudes de l’instant ne sont pas des éléments sur lesquels on peut envisager le long terme.

Sneiba Mohamed


L’alternance politique au pouvoir : Conditions ou résultats ?

Par Yarba Ould SGHAIR, Secrétaire Exécutif de l’UPR

 

Yarba SGHAIR, Secrétaire exécutif de l’UPR

L’alternance politique peut se définir, en théorie, comme la possibilité pour des partis ou des courants politiques, différents, de se succéder au pouvoir, par le biais d’élections libres et transparentes. Il peut s’agir d’un renversement du rapport de force entre les protagonistes politiques à l’issue duquel l’opposition devient majoritaire et la majorité passe à l’opposition.

C’est ce qu’on peut appeler un cas d’alternance absolue.

Il peut s’agir, aussi, d’un changement qui ne produit pas un tel renversement, mais qui, au contraire, maintient la majorité au pouvoir.

C’est ce qu’on peut appeler un cas d’alternance relative.

On semble quelquefois faire la confusion, voir l’amalgame,  en prenant la première possibilité théorique pour une exigence pratique sans laquelle la démocratie serait biaisée et en faisant semblant d’oublier que les régimes démocratiques sont tenus de créer les conditions objectives et réelles de l’alternance, mais pas d’imposer cette alternance quand les forces politiques en place ne sont pas en mesure de l’opérer dans les faits.

Il y a, certes, ceux qui disent que l’alternance est une condition nécessaire à la démocratie. Mais la logique veut que ce soit juste l’inverse : c’est la démocratie qui est nécessaire à l’alternance.

Quand les citoyens sont libres de choisir leurs représentants, rien ne les oblige à les changer à chaque occasion. La démocratie se mesure à l’aune de la liberté et non à celle du changement.

Les exemples ne manquent pas dans les pays à vieille tradition démocratique et semblent même refléter, ces dernières décennies, un certain niveau de maturité et une certaine volonté de stabilité.

Les Français portèrent François Mitterrand à la présidence de la République en 1981. Ils le reconduisirent en 1988. Le parti socialiste dirigea la France durant 14 ans.

Jacques Chirac lui succéda et la droite qu’il incarne passa 12 ans à la tête de l’Etat.

Aux Etats-Unis, Franklin Roosevelt a été élu président quatre fois entre 1933 et 1945.

Ronald Reagan fut porté à la magistrature suprême par les citoyens américains en 1981 et réélu pour diriger cette superpuissance mondiale jusqu’en 1989.

Georges W. Bush lui succéda et permit ainsi le maintien duParti républicain au pouvoir trois mandats successifs.

Ce qui est nécessaire, c’est d’instaurer les conditions favorables à l’alternance à travers l’existence du pluralisme politique et le respect du multipartisme qui en est l’expression la plus célèbre ; d’organiser des élections libres et transparentes ; de respecter les institutions de l’Etat qu’il convient de maintenir, car l’alternance démocratique ne vise pas à changer la nature de l’Etat ou de ses institutions, mais plutôt à faire « alterner » les dirigeants pour répondre à la volonté du peuple et faire bénéficier l’Etat de visions et de programmes différents.

Voilà les conditions de l’alternance politique. Elles ne sont pas à confondre avec les résultats des élections, qui traduisent généralement le rapport de force et le choix desélecteurs.

En Mauritanie, ces conditions sont plus que jamais réuniesaujourd’hui. La participation aux dernières élections législatives, régionales et municipaleset l’engouement de la centaine de partis politiques que compte le pays reflètent le degré de liberté et de démocratisation de la vie politique.

A l’issue du scrutin du 1er et du 15 septembre dernier, les électeurs mauritaniens ont exprimé leur volonté à travers le suffrage universel. Une majorité s’est dégagée à l’Assemblée nationale, aux Conseils régionaux et aux Conseils municipaux.

Le parti au pouvoir, l’Union Pour la République (UPR) est sorti vainqueur de ces élections grâce, en particulier, au soutien de son Président Fondateur, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz.

Les qualités de l’homme, le charisme et le bilan largement positif du Chef de l’Etat auront convaincu les électeurs de choisir les candidats de cette formation politique qui a accompagné, soutenu et vulgarisé le programme politique du Président de la République décliné en actions et mis en œuvre par le Gouvernement.

La présidentielle de juin prochain confirmera cette tendance et en constituera le couronnement. Tout porte à croire que le candidat de la majorité, Monsieur Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed (Ghazouani) sortira vainqueur du scrutin.Les valeurs incarnées par son choix par le Président Mohamed Ould Abdel Aziz sont à elles seules suffisantes pour mobiliser les électeurs mauritaniens, plus sensibles aux valeurs qu’aux discours et très attachés à la préservation de leurs acquis en matière de sécurité et de stabilité, de démocratie et de développement, d’unité nationale et de cohésion sociale.

Monsieur Ghazouani élu à la magistrature suprême, l’alternance aura été rendue possible. Mais la souveraineté populaire aura maintenu la majorité pour des raisons objectives.

Ceux qui appellent au changement doivent respecter la volonté du peuple et comprendre cette réalité démocratique : l’alternance est un choix, pas une obligation.

 


Barrage de Foum-Gleita : le potentiel oublié

Situé à une vingtaine de kilomètres au nord ouest de M’Bout (Gorgol), le barrage de Foum Gleita est l’une des premières réalisations hydro-agricoles (avec la Plaine de M’Pourié, à Rosso, et les casiers pilotes de Boghé et de Kaédi) sur lesquelles la Mauritanie fondait ses espoirs d’autosuffisance alimentaire. L’objectif initial était d’irriguer, avec un système gravitaire de 20.700 m3, une superficie agricole de 4000 hectares.

 

Barrage de Foum-Gleita, Gorgol, Mauritanie (Photo : Sneiba)

Construit entre 1980 et 1983, le barrage de Foum-Gleita a failli dans sa mission première : l’agriculture irriguée. Les populations vivant dans les 73 villages constituant la commune rurale du même nom, ne cachent pas leur désarroi. L’impossibilité de pratiquer la riziculture, à plein temps, à cause du mauvais état des canalisations envahies par le typha, mais aussi par la réduction au « minimum vital » de l’appui de la Société nationale pour le développement rural (Sonader), les poussent à s’essayer à la production maraîchère ou à revenir à l’agriculture vivrière largement pratiquée dans la période d’avant barrage.

Canalisations sans réhalitation (Photo : Sneiba)

Aujourd’hui, ces populations fondent tous leurs espoirs sur un ressaisissement de l’Etat qui a plutôt beaucoup investi dans le gigantesque projet Aftout Echargui visant à approvisionner en eau potable, et à partir du barrage de Foum-Gleita, quelque 500 localités dans la zone du triangle de pauvreté (Brakna, Gorgol, Assaba) désormais rebaptisé « triangle de l’Espoir » par le pouvoir actuel. Avec un réseau de distribution d’une longueur de plus de 700 km et une capacité de traitement de 5000m3/jour, Aftout Echargui vient en complément à Aftout Essahli, ravitaillant la ville de Nouakchott, à partir du fleuve Sénégal, et au projet Dhar qui profitent aux wilayas des deux Hodhs.

Agriculteurs harratines (Photo : Sneiba)

Ce projet dont le coût s’élève à 32 milliards d’Ouguiyas (100 millions USD), est cofinancé par l’Etat mauritanien, la Banque islamique pour le Développement (BID), le Fonds arabe pour le Développement économique et social (FADES) et l’Agence française de Coopération (AFD).

Il y a donc comme un changement de priorités qui profite certes à des populations de ce que le pouvoir appelle « la Mauritanie profonde » mais il se fait au détriment des habitants autochtones qui, comme le dit un dicton, « sont à côté de l’eau mais ont soif ».

Village peulh déserté le jour (Photo : Sneiba)

La réhabilitation des canaux d’irrigation envahis par le typha est l’une des revendications des habitants de Foum-Gleita, qui sollicitent ardemment l’intervention de l’Etat pour redonner vie à une zone agricole d’abord à vocation agricole alors que, selon les dires d’un conseiller municipal, seuls 100 hectares des 4000 exploitables sont aujourd’hui cultivés en riziculture à cause de la détérioration des infrastructures et du manque cruel de machines agricoles qu’il faut acheminées, quand on en a les moyens, de la région du Trarza !

 

Mélange des genres

 

Les problèmes d’exploitation de la zone agricole de Foum-Gleita rencontrés par les populations ont commencé quand le gouvernement a voulu mettre en œuvre le Projet de Complexe Agro-industriel de production de sucre vu comme la pièce maîtresse d’un ensemble de « projets de développement structurants, à même de lancer la production et l’industrialisation des principales denrées consommées au plan national. » Certes, l’ambition se justifie par le fait que la Mauritanie est le premier consommateur africain de sucre et le cinquième au plan mondial. Mais la conception du projet reproduit les mêmes erreurs que celles qui ont empêché sa réalisation depuis le milieu des années 70 du siècle dernier ! On pense aux résultats (limitation des importations de sucre estimées à 272.000 T en 2015, énergie propre, éthanol, aliment bétail, fertilisants, emplois etc.), mais pas aux moyens financiers et techniques nécessaires pour les atteindre.

Comme celui qui prend d’une main ce qu’il a donné par l’autre, le gouvernement abandonne ainsi une agriculture qui profite directement aux populations de Foum-Gleita, pour une agro-industrie qui reste dans le domaine de l’hypothétique. En octobre 2017, lors d’une plénière de l’Assemblée nationale, Dane Ould Ahmed Ethmane l’un des députés du département de M’Bout, avait demandé à la ministre de l’Agriculture Lemina Mint Momma, de « faire l’état des lieux du barrage mais également de dévoiler son plan de sauvetage.» Une question toujours posée aujourd’hui d’autant que l’objectif principal de la Compagnie Mauritanienne de Sucre et Dérivés (COMSUD), à savoir « couvrir les besoins nationaux en sucre de 50 % à moyen terme (2020) et contribuer à l’amélioration à l’accès au service de base (électricité) reste à l’état de projet : l’usine n’a pas encore été construite et Foum-Gleita est toujours plongé dans les ténèbres !

 

Sneiba Mohamed

Source : AFRIMAG (Maroc)


Nouveau gouvernement : un remaniement « stratégique »

Un énième remaniement ministériel en Mauritanie. Et après ? Un fait banal, commente-t-on à Nouakchott, parce que le chambardement attendu depuis près d’un mois n’a pas eu lieu. Aziz a procédé à la reconstitution du puzzle en changeant quelques pièces : Défense, éducation nationale, fonction publique, jeunesse et sports, culture…

 

Gl. Ghazouani, nouveau ministre de la Défense (photo : google)

Avec une team de 23 ministres, à laquelle il faut ajouter le ministre secrétaire général de la Présidence (qui n’a pas changé pour le moment) et le (nouveau) ministre d’Etat chargé de mission, Yahya Ould Hademine, que d’aucuns considèrent comme un Premier ministre bis, Aziz devrait gouverner, sans difficultés, jusqu’à l’échéance présidentielle de mi-2019. L’attelage qu’il a mis en place ne prête pas à équivoque. C’est un gouvernement de précampagne, avec le maintien des ministres ayant fait bonne impression lors des dernières élections municipales, législatives et régionales, et l’entrée en lice de deux piliers du pouvoir issu du coup d’Etat d’août 2008 : le général de division, Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed Ould Ghazouani, jusque-là chef d’état-major général des armées, appelé à faire valoir ses droits à la retraite fin novembre, et Sidi Mohamed Ould Maham, président de l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir.

Avec le maintien d’Ould Hademine, Premier ministre sortant, dans la configuration stratégique de la « campagne », au sens militaire du terme, de 2019, ces deux positionnements sont les seuls qui comptent réellement, en plus du retour au gouvernement de la « championne » Naha Mint Mouknass, qui a prouvé, une fois de plus, que sa formation, l’UDP, a son mot à dire dans toute élection, du maintien  de Moctar Ould Diay, à l’Economie et des finances, du « placement » de Cheikh Ould Baya à la tête de l’Assemblée nationale, et de la « fusion-acquisition » d’Al wiam par l’UPR (parti au pouvoir). Cette dernière manœuvre, contrairement à ce que pensent certains, est tout bénéfice pour l’UPR parce qu’elle consacre l’entrée en son sein d’un poids lourd de la politique et d’un sage comme Boidiel Ould Houmeid qui, avec Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Alliance populaire progressiste, ont beaucoup joué en faveur de l’apaisement et du dialogue.

Pour le reste (changement de portefeuilles), on peut dire que c’est un non évènement, toutes les pièces (ministres) étant interchangeables.

 

 


Sid’Ahmed Ould Bouh, coordinateur départemental de la campagne de l’UPR à Rosso : « L’après 2019 sera marqué par la poursuite des chantiers structurants ayant permis aux mauritaniens de rompre avec le cercle vicieux de la misère et du désespoir »

Les présentes élections générales en Mauritanie (législatives, communales, régionales, le 1er septembre, présidentielle en 2019) ont pour enjeu essentiel l’économie. Le pouvoir justifie son maintien, après 2019, avec ou sans l’actuel président, Mohamed Ould Abdel Aziz, par la nécessité de « poursuivre les réalisations accomplies, à grande échelle, depuis 2009). L’opposition – ou plutôt les oppositions – fait de l’alternance démocratique son mot d’ordre.

Sid’Ahmed BOUH, coordinateur de la campagne de l’UPR à Rosso.

Alors, pour comprendre les positions des uns et des autres, nous avons décidé de confronter arguments et contre-arguments, en commençant par le camp du pouvoir, plus particulièrement, de l’Union pour la République (UPR). Nous vous livrons, dans les lignes qui suivent, l’avis du coordinateur de la campagne de la formation au pouvoir pour le département de Rosso, M. Sid’Ahmed Ould Bouh.

 

Question : L’opposition profite de la campagne pour tirer à boulets rouges sur le pouvoir, en déstructurant notamment  ses thèses sur le « développement sans précédent depuis 2009 ». Que lui réponde-vous ?

 

Le discours politique de l’opposition n’a pas évolué. On croit entendre les mêmes mots, les mêmes allégations que celles déversées contre le pouvoir il y a dix ans.

Sa stratégie de nier en bloc les grandes réalisations du pouvoir depuis 2009 lui a coûté un désaveu par l’opinion publique. C’est une évidence. En Mauritanie, comme à l’étranger, la réalité est connue. L’adhésion à nos choix économiques par les populations, qui nous soutiennent depuis 2009, et par nos partenaires techniques et financiers dont l’aide n’a jamais tari parce qu’ils croient en nous.

Il eut été plus honnête  de la part de l’opposition de ne pas chercher à occulter la vérité sur les chantiers lancés tous azimuts au cours de deux mandats du Président Aziz. Nous sommes en démocratie, l’opposition peut dire ce qu’elle veut mais les données économiques parlent d’elles-mêmes :

 

  • Un doublement du PIB par habitant sur la dernière décennie ;
  • Une baisse de 12 points en 6 ans de l’indice de pauvreté qui est passé de 44,5% à 33% entre 2008 et 2014, contre une baisse de 9,8 points en 12 ans entre 1996 et 2008.
  • Un vaste programme d’investissement dans les secteurs sociaux ;
  • La maitrise de l’inflation, premier ennemi du pouvoir d’achat, donc des pauvres ;
  • la baisse du chômage dont le taux est passé de 18,8% en 2008 à 11,8% en 2017.
  • Le linéaire construit des routes bitumées sur la période 2009-2017 est de 3300 km, contre 3163 km sur la période 1960-2009, soit une augmentation de 104 % ;
  • le taux d’accès à l’eau potable est passé de 48% en 2009 à environ 70% en 2017.

Alors ? Ces arguments, ces preuves chiffrées suffisent à elles seules comme réponse aux « croyances » d’une opposition focalisée, apparemment, sur le pouvoir comme fin et non comme moyen au service des citoyens.

 

Question : Le président de la République lie le sort du pays au maintien de l’actuel pouvoir. En quoi la continuité, après dix ans tout de même, est-elle une nécessité ?

 

Je dirai que là aussi, c’est une évidence ou, pour ne pas choquer les « opposants », une présomption qui s’appuie sur l’existant, ce qui a déjà été fait, pas sur ce que le camp adverse compte faire.

Jusqu’en 2009, les mauritaniens ont vu défiler plusieurs régimes. On ne s’étalera pas sur cette période qui montre pourtant l’existence d’un profond malaise. Mais il est clair que de tous ces régimes, celui du Président Aziz est le seul à avoir eu le courage et la clairvoyance de s’attaquer aux problèmes structurels du pays (pauvreté, mauvaise gouvernance, chômage, vulnérabilité aux chocs exogènes). Et c’est l’espoir né de cette nouvelle approche de gestion de la chose publique qui fait que les mauritaniens expriment haut et fort leur attachement à ce régime.

 

Question : Pensez-vous, contrairement à l’opposition, que le gouvernement a fait ce qu’il peut (en termes de volume et de qualité des projets), proportionnellement aux ressources engrangées durant les années fastes (2012 – 2014) de la SNIM ?

 

Absolument. Et je dois préciser ici que plus de 300 projets ont été exécutés depuis 2009.

C’est grâce à la manne tirée de la bonne tenue du secteur minier (2010-2013) que la SNIM a pu obtenir des performances remarquables. Comme : (i) élargir sa capacité de production  sur ses ressources propres, (ii) réaliser une part importante de son programme de développement ; (iii)  contribuer efficacement au financement du budget de l’Etat et (iv) exécuter des projets au bénéfice des populations dans le couloir minier et au-delà (Hôpital polyvalent de Nouadhibou, etc.). Malgré la conjoncture actuelle, la SNIM maintient le cap, avec l’ambition d’intégrer le top 5 des producteurs mondiaux de fer à l’horizon 2025.

 

Question : Revenons à la politique. Pensez-vous que l’UPR récoltera les voix de ses 1.100.000 adhérents réclamés lors de sa dernière réimplantation ?

 

Nous avons mené une belle campagne. Les mauritaniens sont très intelligents et nous sommes persuadés qu’ils vont opter pour notre projet de société.

 

Question : Est-ce que vous pouvez vous prononcer sur l’après 2019 ? Autrement : A quels changements notoires faudrait-il s’attendre ?

 

L’après 2019 sera marqué par la poursuite des chantiers structurants ayant permis aux mauritaniens de rompre avec le cercle vicieux de la misère et du désespoir.

 

Propos recueilli par : SNEIBA Mohamed

 

 


Mauritanie : des élections en clair-obscur

Aziz ne partira pas. L’opposition est en train de répéter les mêmes erreurs qu’en 2008. Elle observe les faits dans leur singularité, mais pas leur corrélation. Celle-ci donne pourtant du sens à ce que le pouvoir entreprend chaque fois qu’il annonce amorcer une « rupture » (qui n’est, en réalité, qu’une « pause »).

Le président Aziz (Photo : AMI)

Les élections en clair-obscur de septembre prochain seront l’aboutissement d’une série de coups gagnants menés par Aziz et rendus possibles par la passivité déconcertante de l’opposition : le référendum pour se débarrasser du sénat, l’implantation de l’Union pour la République (Upr), pour afficher un poids électoral, réel ou supposé, et un RAVEL¹ qui prend de court l’opposition, en pleine fixation sur le départ d’Aziz.

Le « je pars » de l’homme aux deux coups d’État ne doit pas être pris pour argent comptant. Il sert à endormir une opposition qui ne se réveillera qu’au moment où le pouvoir lui assènera le coup de grâce. Rappelez-vous les Accords de Dakar : les compromis se sont avéré être des compromissions. Le ministre de l’Intérieur choisi par l’opposition avait validé les chiffres d’une CENI² contrôlée par le pouvoir et, à la fin, s’est trouvé ambassadeur en Éthiopie ! Le ministre des Finances dans le gouvernement d’union national  désigné par le Rfd (opposition) en 2009, est actuellement ministre de l’enseignement supérieur !

Un ancien « opposant » est placé à la tête d’une Ceni que l’opposition radicale conteste tout en se résignant à « faire avec » !

De tout cela, il sortira quelque chose qui faussera une fois encore les calculs de l’opposition.

Quand elle s’est lancée tête baissée dans la présidentielle de 2009, l’opposition avait oublié une chose : celui qui a renversé deux présidents en l’espace de trois ans (2005-2008) ne peut accepter de perdre. Aujourd’hui, lui qui a mis le pays sens dessus dessous ne peut partir sans assurer ses arrières. Mais comment va-t-il faire ? C’est la seule question qui reste sans réponse.

Malgré ses sorties à la « al sahaf », le ministre porte-parole du gouvernement tient un rôle précis dans ce qui se prépare. Il n’a jamais dit qu’Aziz restera président mais qu’il restera au pouvoir. C’est là une « piste » que l’opposition se refuse à explorer.

La future assemblée sera l’instrument de mise en œuvre de l’échafaudage en cours. La présence de l’ex-colonel Cheikh Ould Baya sur la liste des candidats de l’UPR fait de lui le futur président de l’Assemblée. Avec lui, Aziz pense avoir le contrôle d’un pouvoir législatif renforcé par la disparition du sénat.

Le Premier ministre qui sera désigné n’aura aucune marge de manœuvre en dehors de celle accordée par des députés qui, pour la première fois, auront un contrôle strict sur l’action du gouvernement. Les « directives » viendraient non plus du président (qu’Aziz aura fait gagné comme en 2008) mais du Parti devenu tout puissant parce le pouvoir se serait déplacé avec celui qui l’incarne depuis la chute de Taya.

Cette situation « transitoire » durera le temps qu’il faut pour qu’Aziz prépare son retour. Son accomplissement sans heurts dépend du soutien sans faille de l’armée dont le sort des chefs, le général Ghazouani en tête, est intrinsèquement lié à celui d’Aziz. Son échec, peu probable, viendrait d’une opposition plus engagée (au sens sartrien du terme) qu’embarquée.

  1. Recensement administratif à vocation administratif.
  2. Commission électorale nationale indépendante.


Renforcement des compétences régionales en matière de décentralisation en Afrique de l’ouest : La décentralisation en question

Nouakchott a abrité, du 9 au 13 juillet 2018, un « Atelier régional d’échanges et de formation des associations des pouvoirs locaux et des centres et institutions de formation des acteurs de la décentralisation » ayant pour thématique  centrale les : « Techniques de Plaidoyer, lobbying et négociation ». La quarantaine de participants venait de sept pays : Bénin, Burkina Faso, Mali, Niger, Sénégal, Togo et la Mauritanie, pays hôte de ce genre d’assises du Programme régional.

 

Cérémonie d’ouverture officielle (Crédit photo : R. Ouedraogo)

La particularité particulière de cet atelier est qu’il a allié notions (théories) et pratiques. Une méthode que le modérateur de l’Atelier, M. Guèye Moussa, très en verve, a validée, dès le premier jour, auprès de participants représentants, pour la plupart, des APL (Associations de pouvoir locaux) et de CIF (Centres et Institutions de formation).

Financé par la coopération allemande (GIZ) à hauteur de 5000000 d’euros, le Programme de Renforcement des Compétences Régionales en matière de Décentralisation en Afrique de l’Ouest semble avoir privilégié, en matière de décentralisation, une approche « bottom-up » (de bas en haut) en favorisant une réflexion au niveau des structures en quête d’une plus grande autonomie de décision et de gestion pour la porter progressivement vers les gouvernants.

Pour cela, l’approche se doit d’être réfléchie  et les moyens pacifiques (plaidoyer, lobbying et négociation étant antinomique de la confrontation). N’est-ce pas ce qui doit être précisé en appréhendant ce qu’organisateurs et participants à l’atelier de Nouakchott appellent « les bonnes pratiques » passant par une maîtrise parfaite des techniques de négociation, de plaidoyer et de lobbying ? Trois vocables qui, tout en concourant au même objectif (« forcer » la décision) requièrent des attitudes – aptitudes – différentes. Question de nuances. Et de complémentarité. En fonction des contextes et des acteurs cibles.

Tout, cela sera expliqué, le long des cinq jours, par le modérateur (M. Moussa GUEYE) et les responsables du projet (MM. Ruediger WEHR  et Rémy OUEDRAOGO). Des acquis validés après de longs débats entre participants venus exposer des « situations-pays » aussi intéressantes les unes que les autres : présentation du système d’information des communes de la Direction générale des collectivités territoriales (DGCT) de la Mauritanie, Session de réflexion sur les synergies APL/CIF par pays, et, Réflexion sur la conception de la prochaine phase du Programme régional « Décentralisation – Afrique de l’Ouest ».

 

La décentralisation, un combat de longue haleine

 

Photo de famille (Crédit photo : R. Ouedraogo)

Un constat : pour faire avancer le processus de décentralisation dans les 7 pays, il faut de « l’engagement », au sens militaire du terme. Parce que, de l’autre côté (administration centrale), il y a toujours de la résistance. Cet engagement est une alliance stratégique entre APL et CIF appuyés par le Programme régional.

L’Atelier de Nouakchott a aussi permis une sorte d’évaluation à mi-parcours. Qu’est-ce qui a été fait, au niveau régional et dans chaque pays ? Vers quoi devrait-on tendre, dans la phase 2, interrogeait Ruedeger WAHR, à l’issue de la dernière journée, quand il fallait recueillir les avis et impressions des participants.

Les problématiques liées à la décentralisation renforcent la nécessité de l’intégration : les mêmes problèmes, les mêmes pouvoirs, les mêmes enjeux. Elles poussent à « bâtir ensemble des consensus », martèle le modérateur qui, tout en soulignant la « complexité de la décentralisation, de plus en plus accrue, rappelle que « le transfert des compétences n’est qu’un premier jalon. »

La méthodologie adoptée part de situations-pays où la recherche de consensus reflétant les réalités des APL et des CIF est continuelle. Il faut « développer un processus d’apprentissage bâti sur la pratique et le vécu », « poursuivre l’échange d’expérience suivant le principe de l’assistance aux pairs » et, pour chaque acte posé (plaidoyer, lobbying ou négociation) « avoir une situation de référence (par exemple dans le système mauritanien de décentralisation). Savoir aussi que « la crédibilité exige la présence d’éléments probants. »

La force et les clés de succès de la rencontre de Nouakchott tiennent en deux mots : débat et consensus. La mise en route de chaque activité faisait l’objet d’une « explication » entre les participants. Les travaux en groupe donnaient, à la fin, sur une sorte de plénière qui ravivait l’ambiance de l’arbre à palabre, avec la désignation, dès le premier jour, d’un « Chef de village ». Apprendre en s’amusant, disait l’autre, comme quand le mot savant «docimologie » a provoqué l’hilarité générale des participants, ou que la « révélation » sur la décentralisation, depuis 1872, au Sénégal, était en tête des taquineries ayant réussi à « raccourcir » les cinq jours à passer (de force) dans une ville (Nouakchott) dont les habitants semblent avoir oublié de penser aux loisirs, plaisirs et désirs (de ses visiteurs).

 

SNEIBA Mohamed


Mauritanie : alliance IRA-SAWAB, une partie de « qui perd gagne »

L’actu en ce mois béni de Ramadan a comme gros titre : « l’Alliance IRA-SAWAB ». L’Initiative pour la Résurgence d’un mouvement abolitionniste en Mauritanie et un parti d’obédience baathiste rangé dans le camp de l’opposition modérée depuis 2009.

Cérémonie de signature du pacte entre IRA et Sawab (Crédit photo : IRA)

Une alliance contre nature, dénoncent certains. Une déraison même, pensent un pan important de l’élite négro-mauritanienne qui constituait, jusque-là, l’arrière-base de l’organisation IRA à l’étranger, les haratines en constituant l’avant-garde, ici, à l’intérieur.

De l’autre côté, dans le camp de ceux qui considéraient Biram Dah Abeid, président d’IRA, comme l’ennemi public numéro un, l’anti-maure, l’on se frotte les mains. A raison. Il s’agit ou d’une « récupération » (un « joli » coup des renseignements généraux), ou d’un suicide provoqué par les ambitions politiques démesurées du jeune leader haratine, Prix des droits de l’homme de l’Onu en 2013.
Mais en dehors de la passion qui anime les uns et les autres, quelle lecture objective peut-on faire de cette alliance entre deux « extrêmes » ? Quelles conséquences, surtout, dans le court et le moyen termes : les élections générales prévues en 2018-2019 et les rapports plus que conflictuelles entre communautés nationales.
Incontestablement, Biram s’est engagé dans une partie de «à qui perd-gagne ». Il perd certainement, aujourd’hui, mais gagnerait-il à la fin ?
Déjà, une bonne partie de ceux qui l’ont soutenu jusqu’ici lui tournent le dos. Ils répondent au principe cartésien de « l’ami de mon ennemi est mon ennemi ». Biram ne peut concilier entre deux antagonismes : les baathistes mauritaniens et ceux qui les accusent d’avoir planifié et exécuté les exécutions extrajudiciaires de 1989-1991. Le problème né de ces douloureux évènements étant encore entier, malgré « l’amnistie » de 1992 et les résolutions « politiciennes » prises par l’actuel pouvoir, aller vers l’un des camps équivaut à s’aliéner l’autre. On accusait l’Initiative pour la Résurgence d’un mouvement Antiabolitionniste en Mauritanie de conspirer, avec les Forces de libération africaines de Mauritanie(FLAM), contre les Maures, et plus généralement contre l’unité nationale du pays ; on le pointe du doigt, aujourd’hui pour avoir choisi d’aller vers une partie d’une communauté qui l’a toujours voué aux gémonies.
Biram, et plus généralement les Haratines, sont l’enjeu d’un rapport de forces qui ne date pas d’aujourd’hui. Par manque de stratégie et de vision d’avenir, ils ne réussissent pas à être les conciliateurs potentiels entre ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui cherchent à le conquérir. Par opportunisme, ils goûtent aux délices du pouvoir, comme l’élite de leurs frères maures et négro-mauritaniens. Leurs leaders cherchent frénétiquement, et à toutes occasions, à avoir leur part du gâteau. De sorte que, les haratines, devenus partie prenante dans le jeu de notre cher « bolletig », compliquent une situation où le pouvoir politique et économique est la « mère de toutes les batailles ».
Disons que les choix de Biram auront au moins le mérite de prouver que la Mauritanie de 2018 n’est différente en rien de celle de 2007. Celle qui a fait perdre le hartani Messaoud Ould Boulkheir contre Sidioca, Ahmed Ould Dadah et Zein Ould Zeidan, tous fils de « grandes tentes ».

Le pari de Biram est de réaliser un bon score à la présidentielle de 2019, si les autorités acceptent sa candidature et celles de ses « champions », mais sa défaite annoncée prouvera, encore une fois, qu’aller vers l’autre (l’ennemi d’hier) ne peut vaincre les « résistances » à un ordre social des plus pernicieux. Car si la coalition politique qui avait soutenu Messaoud Ould Boulkheir à la présidentielle de 2007 était sincère, le vieux leader haratine l’aurait remporté haut la main. Que dire d’un parti Sawab qui constitue, au plus, un faire-valoir, n’ayant jamais réussi à gravir les marches de l’Assemblée nationale ou à « forcer » les portes de quelques mairies ?
Biram ira aux élections avec ce qui reste de « son » IRA. De son aura. Ceux vers lesquels il est allé ne viendront pas à lui. Et ceux qu’il a quitté, « pour convenances personnelles » et non idéologiques ou stratégiques (la lutte contre un ordre établi) iront ailleurs. Le vrai gagnant sera, en fin de compte, le Système. La fin du « mythe » Biram a peut-être déjà commencé.


Mauritanie : Les incertitudes d’une alternance en 2019

Mohamed Ould Abdel Aziz (crédit photo : Page facebook de Daddah Fadel, avec son aimable autorisation)

Partira, ne partira pas. A un an de la fin du second mandat de Mohamed Ould Abdelaziz, le doute s’installe à nouveau sur les intentions de l’homme qui préside aux destinées de la Mauritanie depuis août 2008.

Beaucoup pensent que les appels demandant au président Aziz de rester au pouvoir, au-delà de 2019, sont « autorisés » par celui qui a toujours affirmé pourtant qu’il quittera la présidence à l’issue de son second mandat.

Malgré la grogne sociale provoquée par la détérioration des conditions de vie des Mauritaniens et des mesures politiques impopulaires (nouveau drapeau, nouvel hymne et nouvelle monnaie), Ould Abdelaziz continue de gouverner avec une poigne de fer un pays où les populations n’accordent plus aucun crédit à la classe politique.

« Tous pareils » est, depuis la déception de la transition démocratique de 2005-2007 et la “Rectification” qui l’a suivie, le signe d’une résignation présentée comme le meilleur atout d’Ould Abdelaziz pour manœuvrer à sa guise.

Depuis la suppression du Sénat, les décisions du pouvoir passent avec fluidité dans une Assemblée nationale aux ordres. Le budget 2018 est voté, comme il a été présenté par le puissant ministre de l’Economie et des finances, Moctar Ould Diay.

La nouvelle loi électorale ne subit aucune modification, malgré les protestations d’une opposition largement minoritaire contre l’élection, par leurs pairs, des députés représentants les Mauritaniens de l’étranger ! Une incongruité contre laquelle une députée de l’Alliance populaire progressiste (opposition modérée), Maalouma Mint Bilal, a déposé un recours auprès du Conseil constitutionnel.

Mais l’espoir est vain de voir cette institution s’opposer à un pouvoir dont elle fait partie : trois de ses six membres, dont le président, sont nommés par le Chef de l’Etat, et deux par le président de l’Assemblée nationale.

Le découpage des régions a aussi été accueilli favorablement par l’Assemblée. Il servira sans doute, dans les prochains mois, pour asseoir l’autorité d’un parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR) qu’Ould Abdel Aziz a décidé de « réformer » dans la perspective des échéances électorales de 2019.

Les cris de désapprobation n’ont pas remis en cause le nouveau découpage en six conseils régionaux : 1. Les deux Hodh, 2. Assaba-Tagant-Guidimagha, 3. Brakna-Gorgol-Trarza, 4. Adrar-Inchiri-Tiris Zemmour, 5. Nouadhibou, 6. Nouakchott.

Déjà, ensembles politiques et tribus se mobilisent pour livrer de rudes batailles électorales sur ces nouvelles arènes destinées à prouver le degré d’allégeance à un pouvoir plus centralisé que jamais.

Le spectre de l’étranger

Pourtant tout n’est pas rose pour le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz. La crise du Sénat qui a conduit à l’arrestation du sénateur Mohamed Ould Ghada continue à ternir l’image de la Mauritanie à l’étranger. Une mission de l’ONU a séjourné récemment à Nouakchott et a donné aux autorités mauritaniennes 60 jours pour répondre aux informations sur les circonstances et les raisons de l’arrestation de ce sénateur devenu une icône pour l’opposition.

Dans une lettre envoyée aux autorités mauritaniennes, le groupe de travail de l’ONU a décrit l’arrestation d’Ould Ghada d’arbitraire.

Le pouvoir est aussi affaibli par les tensions avec la plupart de ses voisins. L’établissement de relations diplomatiques « normales » avec le Maroc, par l’échange d’ambassadeurs, n’a pas mis fin aux suspicions de Nouakchott vis-à-vis de Rabat.

Cette même méfiance empêche le Sénégal et la Mauritanie d’accélérer le processus de négociations en vue de donner le feu vert à Kosmos Energy et son partenaire BP pour le développement du gaz découvert en grande quantité sur la frontière maritime des deux pays.

L’Algérie, pays d’où est partie la menace terroriste dans la région sahélo-saharienne, ne cache pas son hostilité vis-à-vis d’un G5 Sahel dont la paternité revient au président Mohamed Ould Abdel Aziz.

Seul le Mali affiche une attitude conciliante envers un pouvoir mauritanien qui entretient l’image d’un « Etat fort » pour des besoins de politique intérieur.

Une opposition affaiblie

L’opposition mauritanienne divisée depuis la présidentielle de 2014 entre «radicale» et «modérée» ne constitue pas, à l’heure actuelle, un réel danger pour le pouvoir. La première réfléchit, déjà, à la parade pour ne pas être «enterrée» vivante en 2019 si elle ne prend pas part aux prochaines élections.

La seconde est dépassée par des évènements qui sont la conséquence directe de sa participation à un dialogue dont les résolutions ont toutes été «décrétées» par le président Mohamed Ould Abdel Aziz ! C’est lui qui avait décidé que le Sénat doit disparaître.

Que des conseils régionaux verront le jour. C’est lui qui a décrété le changement du drapeau, de l’hymne national et de la monnaie. C’est encore lui qui procède, par retouches, à la mise en place des structures devant lui assurer de rester au pouvoir, s’il décide de faire sauter le verrou interdisant le troisième mandat, ou de désigner un successeur capable de protéger ses arrières après 2019.

D’ici là, il aura poussé les « chefs historiques » de l’opposition vers la sortie, car ni Ahmed Ould Daddah ni Messaoud Ould Boulkheir ne peuvent s’aligner, à cause de leur âge, pour une présidentielle que le parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR) juge gagnée d’avance.

AFRIMAG (Maroc)

Par Mohamed Sneïba Comité Editorial – Casablanca

 


Autour d’un Thé: Nominations

Conseil des ministres (crédit photo : AMI)

« Les Mauritaniens », a dit je ne sais plus quel observateur, « n’écoutent les informations à la radio ou à la télévision que le jour du Conseil des ministres ».

Au temps d’un certain ancien président/militaire très démocratiquement élu, c’était le mercredi que tout le monde mettait son oreille à l’écoute, en l’attente des éventuelles nominations d’amis ou de proches, via le fameux « et, enfin, le Conseil des ministres a pris les mesures individuelles suivantes… ». Maintenant, Mauritanie nouvelle oblige, c’est le jeudi que les gens attendent pour voir.

Et, dès les premières heures de la matinée, toute l’actualité est banalement dominée par : « Qu’as-tu entendu des résultats du Conseil des ministres ? – Il paraît qu’untel a été démis de ses fonctions. – Comment le sais-tu ? – Mais tu sais bien que sa sœur est la cousine de la copine de la femme de telle ou telle personnalité civile ou militaire.

– Ça c’est quoi ? C’est impossible ! Attends, je vais « te voir » untel, [généralement une « ville d’informations »] qui nous dira pourquoi et comment c’est arrivé. – Il t’a dit que le général qui mariait sa sœur l’a divorcée depuis trois mois ? Eheh, l’information est là-bas ! »

C’est ça la vérité. Puis, chaque jour, chaque ministre met, dans ses bagages/parapheurs, ce qu’il faut de n’importe quoi pour le passer en Conseil. Quelle mesure individuelle n’a pas été interprétée sur fond de népotisme, régionalisme, dosage tribal, ethnique, communautaire, régional ou, encore, ceci ou cela ?

Les ambassadeurs, les walis, les ministres, les conseillers à la Présidence, les commissaires aux droits de l’homme ou à la sécurité alimentaire, les secrétaires généraux des ministères, les directeurs centraux, les chargés de mission, les directeurs des établissements publics, les présidents des conseils d’administration, les coordinateurs de projet, les chefs des entreprises et même les « élus, tout ça ;

parfois, même, des gens « simples », comme des comptables, des directeurs administratifs et financiers, des directeurs d’écoles normales, collèges, lycées et écoles fondamentales, ou autres ;d’encore plus « simples », comme les percepteurs, les payeurs communaux, les chefs de division, les chefs de poste de douane, de gendarmerie ou de police et tutti quanti, jusqu’au premier échelon de la « simplicité » : tout ça, c’est régi « d’en haut ».

Parfois, c’est toute la tribu qui se mobilise à faire pression, afin que son « fils » ne soit pas enlevé de son poste de receveur des PTT à Gougui Zemal, sur la frontière avec le Mali, ou que son autre fils reste à la brigade de gendarmerie de PK 70, à Fam Lekhdheyratt, sur la Route de l’espoir. Les nominations sont le fruit, banalement, de véritables manœuvres.

Chaque ministre essaie de faire passer son « mouvement ». Il peut attendre plusieurs semaines, voire des mois, à l’aguet du moment propice, pour valider ses incohérences.

Ça se passe comme ça, chez Ould Abdel Aziz ! Cinq membres d’une même famille, à de très hauts postes de responsabilité, un groupe d’amis formant club très fermé, dans un même département.

Des qualifications qui n’ont rien à voir avec les secteurs où elles ont été propulsées, comme ça, mine de rien. On prend dans la rue, on nomme à la Présidence. On prend du marché, on balance à la Primature. On prend de la brousse, on envoie dans une ambassade, à Londres ou Washington.

On prend de la prison, on envoie au ministère des Finances ou à la Cour des comptes. Une administration fourre-tout : conseillers, chargés de mission, experts, consultants, spécialistes, coordinateurs, tous bien cravatés, mélangeant, au besoin, les genres vestimentaires.

Souvent faussaires de diplômes. Ah ça, oui : des mesures vraiment individuelles. On pourrait même dire « très individualisées ». Au point qu’un ministre peut faire passer, entre les lignes et d’un seul coup, une poignée de ses cousins. Ou qu’un directeur général puisse s’entourer, dans son cabinet, de tout son clan.

Enfin, ce n’est pas si incongru que ça : ne dit-on pas que le linge sale se lave en famille ? Les affaires aussi. Sinon, pourquoi devenir ministre, général ou même Président ? Les cousins et les amis d’abord. Les autres ensuite. Salut.

Sneiba El Kory (Le Calame)


La « sécurité » des chiffres : Ma perception d’un Atelier sur « le degré de satisfaction des utilisateurs des données budgétaires et financières »

Le président de l’OMLC (photo : cridem)

J’étais venu ce matin (14 décembre 2017) avec l’espoir de sortir, enfin, du « flou artistique » qu’entretiennent, très souvent, et paradoxalement, la « sécurité » des chiffres et l’assurance de ceux qui les manipulent à longueur de journée. Je suis ressorti, au bout de quelques heures, avec de nouvelles interrogations. Non pas sur les questions auxquelles, il faut le reconnaître, les experts conviés par le l’Observatoire mauritanien de lutte contre la corruption (OMLCC) et le Projet de gouvernance du secteur public (PGSP) ont répondu (avec l’assurance de celui qui connait) mais sur les dysfonctionnements d’une administration qui ne manque pourtant pas de ressources humaines capables de la sortir d’une situation aussi déplorable que celle d’avant 2005. En matière d’accès à l’information économique et financière.

Le thème de l’atelier était, à lui seul, tout un programme : « Degré de satisfaction des utilisateurs des données budgétaires et financières. »

La première chose qui m’est venue à l’esprit, avec mes prétentions de « journuliste » économique, est qu’on ne peut être « satisfait » de données qu’on n’a pas, ou très peu ! Me vient alors à l’esprit cette quête du Graal (pardon, de l’information), pour les besoins d’un article, qui m’avait conduit dans le bureau d’un directeur du ministère de l’Économie. La dérobade était connue : « il faut écrire au ministre ». Et attendre une réponse qui ne viendrait peut-être jamais ! L’article en question ne pourra alors être écrit, sauf si l’on se résout à recourir à la phraséologie de celui qui ne sait pas : « selon une source généralement bien informée », un « expert a indiqué »…

Car aucun directeur ou responsable à quelque échelon où il se trouve, ne peut divulguer ce qu’on appelle abusivement le « secret professionnel ». Cela se comprend au temps où tout baignait dans l’opacité la plus complète, pas en ces « temps modernes » où le gouvernement prétend  (?) mener une guerre sans merci contre la corruption.

En costume, le directeur de l’Autorité de régulation des marchés publics, A. S. Tebakh (photo : cridem)

Ceci dit, l’un des bons points de cet atelier, c’est d’avoir réuni un « bon choix » d’experts du secteur public et de la société civile : un ancien gouvernement de la Banque centrale de Mauritanie  (BCM), actuellement directeur général de l’Autorité de Régulation des Marchés publics, un ancien directeur général du Budget devenu fonctionnaire de la Banque mondiale, des directeurs au ministère de l’Économie et des finances, des présidents d’Organisations de la société civile intéressés par les questions de bonne gouvernance…Et j’en passe.

La question qui s’est posée d’abord est : À qui s’adresse-t-on, quand on évoque « les données budgétaires et financières » ? Entre initiés, l’approche doit être andragogique, précise Mohamed Abdallahi Billil, président de l’OMLCC, et « maitre de cérémonie » dudit atelier. Pédagogique, plutôt, rétorque un participant qui, comme moi, était venu apprendre d’abord avant de vouloir transmettre, vulgariser des concepts qu’il faut manipuler avec prudence. Savoir ce que sont les « données budgétaires » (recettes et dépenses, en termes simples), les distinguer des « données financières » (quelqu’un précisera que les données budgétaires sont des données « en amont », prévisionnelles, alors que les « données financières » sont en aval).

 

Etat des lieux

 

Hadrami Ould Oubeid, ancien directeur général du budget (photo : cridem)

Un constat partagé par tous les participants : Les autorités tendent, de plus en plus, à « offrir » ces informations mais de façon parcellaire. La meilleure expérience en la matière, dira Elhadrami Ould Oubeid, ancien directeur général du Budget, est celle de l’information online que présente, depuis 2009, le portail www.boost.budget.mr. Une présentation du budget de l’Etat, en termes de dépenses. Mais une exécution des LFI et LFR(loi de finances initiales, loi de finances rectificative), sans toutefois des données relatives aux financements extérieurs, n’est-elle pas finalement qu’une manière de ne pas être transparent, en « submergeant » l’utilisateur d’informations  « à compléter » ?

Ce site d’utilité public (et qui doit être d’un précieux apport pour les utilisateurs) est cependant peu connu. Pour une raison de communication ?

Cette expertise mauritanienne est pourtant « exportée » aujourd’hui dans des pays africains et, le travail en cours sur la partie recettes sera une première en Afrique.

Mais « boost » a aussi ses limites. Ce sont des informations « intégrales » sur les allocations (départements, chapitres, etc) mais pas sur leurs utilisations, ce qui ne permet pas à l’utilisateur de base de procéder à une analyse pertinente sur ce que la société civile appelle « budget citoyen ». Par exemple, détecter les « mauvais usages » en suivant la traçabilité des décaissements. Le cloisonnement mis en cause par plusieurs intervenants dans cet atelier d’importance existe même entre administrations d’un même département ! Des courriers peuvent rester sans réponses durant des mois, ce qui a nécessité la mise en œuvre, dira le directeur général des Réformes, d’un Projet d’open data qui permettrait désormais l’accès rapide et sûr à l’information. Reste que ces avancées, existantes ou en cours, ne se font pas sans heurts, comme le soulignera le représentant de l’Office national de la Statistique (ONS) qui énumèrera les problèmes rencontrés par cet établissement au premier rang des producteurs de l’information économique et financière mais aussi grand consommateur de données : accès limité à l’information, niveau désagrégé insuffisant, non respect des normes internationales.

Le président de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics relèvera « quelques problèmes avec les données budgétaires » mais annoncera une grande réforme, « dès le début de l’année 2018 », avec la mise en place de Plans de passation des marchés publics et le fait que « toutes les dépenses s’exécuteront désormais sous formes de marchés publics ».

On peut donc dire, en guise de conclusion, qu’en termes de gouvernance, d’indices, ce n’est pas la disponibilité de l’information qui fait défaut mais bien la réglementation ou son application (quand elle existe). L’hyper centralisation est LE problème que l’administration mauritanienne doit régler au plus vite pour que le droit à l’information devienne une réalité dans un système qui se dit « démocratique ».

 

Sneiba Mohamed


La « sécurité » des chiffres : Ma perception d’un Atelier sur « le degré de satisfaction des utilisateurs des données budgétaires et financières »

J’étais venu ce matin (14 décembre 2017) avec l’espoir de sortir, enfin, du « flou artistique » qu’entretiennent, très souvent, et paradoxalement, la « sécurité » des chiffres et l’assurance de ceux qui les manipulent à longueur de journée. Je suis ressorti, au bout de quelques heures, avec de nouvelles interrogations. Non pas sur les questions auxquelles, il faut le reconnaître, les experts conviés par le l’Observatoire mauritanien de lutte contre la corruption (OMLCC) et le Projet de gouvernance du secteur public (PGSP) ont répondu (avec l’assurance de celui qui connait). Mais bien sur les dysfonctionnements d’une administration qui ne manque pourtant pas de ressources humaines capables de la sortir d’une situation aussi déplorable que celle d’avant 2005., surtout en matière d’accès à l’information économique et financière.

Le thème de l’atelier était, à lui seul, tout un programme : « Degré de satisfaction des utilisateurs des données budgétaires et financières. »

La première chose qui m’est venue à l’esprit, avec mes prétentions de « journuliste » économique, est qu’on ne peut être « satisfait » de données qu’on n’a pas, ou très peu ! Me vient alors à l’esprit cette quête du Graal (pardon, de l’information), pour les besoins d’un article, qui m’avait conduit dans le bureau d’un directeur du ministère de l’Économie. La dérobade était connue : « il faut écrire au ministre ». Et attendre une réponse qui ne viendrait peut-être jamais ! L’article en question ne pourrait alors être écrit, sauf à se résoudre à recourir à la phraséologie de celui qui ne sait pas : « selon une source généralement bien informée », un « expert a indiqué »…

Car aucun directeur ou responsable, à quelque échelon qu’il soit, ne peut divulguer ce qu’on appelle abusivement le « secret professionnel ». Cela se serait compris au temps où tout baignait dans l’opacité la plus complète. Mais en ces « temps modernes » où le gouvernement prétend  (?) mener une guerre sans merci contre la corruption, c’est plus compliqué à saisir.

Ceci dit, l’un des bons points de cet atelier, c’est d’avoir réuni un « bon choix » d’experts du secteur public et de la société civile : un ancien dirigeant de la Banque centrale de Mauritanie  (BCM), actuellement président de l’Autorité de Régulation des Marchés publics, un ancien directeur général du Budget devenu fonctionnaire de la Banque mondiale, des directeurs au ministère de l’Économie et des finances, des présidents d’Organisations de la société civile intéressés par les questions de bonne gouvernance et j’en passe.

La question qui s’est posée d’abord est : À qui s’adresse-t-on, quand on évoque « les données budgétaires et financières » ? Entre initiés, l’approche doit être andragogique, précise Mohamed Abdallahi Billil, président de l’OMLCC, et « maître de cérémonie » dudit atelier. Pédagogique, plutôt, rétorque un participant qui, comme moi, était venu apprendre avant de vouloir transmettre. C’était l’occasion de vulgariser des concepts qu’il faut manipuler avec prudence. Savoir ce que sont les « données budgétaires » (recettes et dépenses, en termes simples), les distinguer des « données financières » (quelqu’un précisera que les données budgétaires sont des données « en amont », prévisionnelles, alors que les « données financières » sont en aval), notamment.

 

Etat des lieux

 

Un constat est partagé par tous les participants : les autorités tendent, de plus en plus, à « offrir » ces informations, mais le font de façon parcellaire. La meilleure expérience en la matière est celle de l’information online que présente, depuis 2009, le portail www.boost.budget.mr, dira Elhadrami Ould Oubeid, ancien directeur général du Budget. Il s’agit d’une présentation du budget de l’Etat en termes de dépenses. Mais  offrir une exécution des LFI et LFR (loi de finances initiale, loi de finances rectificative) sans les données relatives aux financements extérieurs, n’est-ce pas finalement une manière de ne pas être transparent, en « submergeant » l’utilisateur d’informations  « à compléter » ?

Ce site d’utilité public – et qui est un précieux apport pour les utilisateurs – reste peu connu du grand public. Pour une raison de communication ?

Cette expertise mauritanienne est tout de même « exportée » aujourd’hui dans des pays africains, dira un intervenant, et le travail en cours sur la partie recettes sera une première en Afrique.

Mais « Boost » a tout de même ses limites. Ce sont des informations « intégrales » sur les allocations (départements, chapitres, etc) mais pas sur leurs utilisations, ce qui ne permet pas à l’utilisateur de base de procéder à une analyse pertinente sur ce que la société civile appelle un « budget citoyen ». Par exemple, difficile de détecter les « mauvais usages » en suivant la traçabilité des décaissements.

Le cloisonnement mis en cause par plusieurs intervenants dans cet atelier d’importance existe même entre administrations d’un même département ! Des courriers peuvent rester sans réponses durant des mois. C’est pourquoi un Projet d’open data a été lancé, selon le directeur général des Réformes, qui devrait permettre l’accès rapide et sûr à l’information. Reste que ces avancées ne se font pas sans heurts, comme l’a souligné le représentant de l’Office national de la Statistique (ONS), qui a aussi énuméré les problèmes rencontrés par cet établissement au premier rang des producteurs de l’information économique et financière mais aussi grand consommateur de données : accès limité à l’information, niveau désagrégé insuffisant, non respect des normes internationales.

Le président de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics relèvera « quelques problèmes avec les données budgétaires » mais annoncera une grande réforme, « dès le début de l’année 2018 », avec la mise en place de Plans de passation des marchés publics et le fait que « toutes les dépenses s’exécuteront désormais sous formes de marchés publics ».

On peut donc dire, en guise de conclusion, qu’en termes de gouvernance, d’indices, ce n’est pas la disponibilité de l’information qui fait défaut mais bien la réglementation ou son application (quand elle existe). L’hyper centralisation est LE problème que l’administration mauritanienne doit régler au plus vite pour que le droit à l’information devienne une réalité dans un système qui se dit « démocratique ».

 


Ethman, de candidat au bac à blanchisseur en Mauritanie

Ethman, de la terminale à la blanchisserie (photo : Sneiba)

Quand je l’ai appelé, la veille de l’entretien, il a hésité quelques secondes avant de me dire : « d’accord pour demain mais ne venez pas avant 15 heures. Nous pourrons discuter autour du repas. Avant, je n’aurais pas le temps. »

 

Il est vrai que la journée d’un blanchisseur est l’une des plus rudes. Laver, étendre et repasser. Des gestes qui constituent le quotidien d’Ethman depuis plus de vingt ans !

C’est en repassant qu’Ethman me raconte une histoire, une vie, dont je connais en réalité les grandes lignes. Nous avons été élèves à Aleg, puis à Boghé du primaire à la classe de terminale !

C’est en 1984 qu’Ethman Ould M’Bareck avait abandonné ses études. Il m’explique aujourd’hui, trente ans plus tard, le pourquoi.

« C’est en fait parce que je ne pouvais pas constituer à temps mon dossier. Contrairement à ce qu’on croit, le dossier de nationalité était plus compliqué qu’aujourd’hui ». Ethman me dit qu’il a rencontré le même problème quand il avait été admis au concours des sous-officiers de l’armée. Admis à Tidjikja, il sera recalé à Nouakchott parce que le numéro (14) que porte son extrait de naissance n’est pas le même (121) que celui qui a servi à l’établissement de sa nationalité !

Il pensa alors que cela a été fait exprès par sa tante qui s’opposait fermement à son incorporation dans l’armée.

Il s’improvise tailleur (photo : Sneiba)

En 1986, Ethman arrive à Zouerate, la cité minière dont les exportations de fer assuraient l’essentiel des ressources financières de la Mauritanie. Il sera exploité, onze longues années, par les sociétés de tâcheronnat pour un salaire mensuel de 25.000 ouguiyas (70 USD), alors que l’homme qui lui offrait le gîte avait un revenu mensuel de plus de 100.000 UM grâce à sa blanchisserie. Il avait commencé à l’aider, en lavant dans un premier temps les vêtements légers (pantalons et chemises), puis, quand il pensa avoir bien appris le métier, il décida de se mettre à son propre compte.

 

Penser à une nouvelle reconversion

 

Vente de glace à l’intérieur de la blanchisserie

Quand j’ai abordé les « secrets » du métier de blanchisseur, Ethman a retrouvé une certaine vitalité. On sent que son « affaire » lui tient vraiment à cœur, malgré l’âge et la nécessité de penser, dès à présent, à une reconversion.

« Oui, je m’en tire bien, dit-il. Je paye 18.000 UM de loyer et 35. 000 UM pour l’électricité. Je dépense chaque jour 3000 ouguiyas pour la nourriture et je parviens à faire de petites économies. En bon mauritanien, Ethman m’a parlé, sans retenue, de ses dépenses mais n’a pas voulu livrer de précisions sur ses revenus. J’observe « l’étalage » et j’évalue. Vingt boubous, c’est dans l’ordre de 8000 UM par jour. Lui-même m’avait dit que les chemises et les pantalons sont laissés pour les dépenses (nourriture, savon, gomme, etc). On peut donc penser qu’un blanchisseur gagne 300.000 UM/mois (750 euros). Le double du salaire d’un professeur du secondaire.

Je pense arrêter bientôt, me dit-il. Il me montre le congélateur et les deux frigidaires qu’il avait achetés pour vendre la glace et faire payer les voisins pour la conservation de leurs poissons et viande.

–              Je chercherai une place stratégique pour ouvrir une boutique, me dit Ethman alors que je m’apprêtais à demander des précisions sur son « projet ».

« Je n’ai plus l’âge de mes vingt-cinq ans, quand j’ai commencé ce métier, à Zouerate, après avoir compris que, pour être embauché à la SNIM, il faut avoir de longs bras, comme on dit, surtout pour quelqu’un de formation littéraire, comme moi ». Quand la blanchisserie marchait encore relativement bien, j’engageai souvent, à la journée, un aide pour 1500 UM. Je jouais alors au « patron », ironise-t-il.

Tout en me racontant les difficultés de sa vie de blanchisseur installé dans l’un des plus pauvres quartiers de Nouakchott (« marcet ejliv » ou marché du bois), Ethman avait commencé à repasser les habits que des clients viendraient récupérer en fin de journée. Cela ressemblait à un rite : Les boubous, les sérouals (pantalons maures), les méléhfas (voiles) et les chemises. Il éprouve une certaine gêne quand il ne peut respecter ses engagements. Les clients ne comprennent pas qu’un blanchisseur n’est pas une machine. Des fois, il a une envie folle de tout arrêter et de dire merde à la vie de forçat qu’il mène. Mais il sait qu’il ne trime pas pour sa simple survie. Les enfants sont là, à côté de lui, et il faut bien qu’ils mangent, qu’ils s’habillent et qu’ils se soignent.

« Tu sais, me dit-il, je regrette vraiment de n’avoir pas refait le bac. C’était l’erreur de ma vie. J’ai pensé qu’en rejoignant mon frère à Zouerate, le travail m’attendait dans cette cité minière qui était la destination de tous les « échoués » d’un système scolaire déjà à la dérive.

Reportage réalisé dans le cadre du Projet : « Liberté, droit et justice : combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » du Département d’Etat des Etats-Unis.

 


Sleiman, de berger à Sangrava à pêcheur à Nouadhibou en Mauritanie

Port artisanale de Nouadhibou (photo : Sneiba)

Les parcours « exceptionnels » ne sont pas l’apanage des seuls savants. Non. La vie de simples gens, comme Sleiman, l’homme aux multiples facettes (berger à Gweiwa, près de Sangrava, boy à Nouakchott, pêcheur à Nouadhibou et présentement charretier) mérite d’être connue.

 

Une vie de souffrance et de résignation. Une vie de hartani dans cette Mauritanie où, si l’on accepte que l’esclavage n’existe plus (parce qu’il a été aboli moult fois), il n’empêche que ses séquelles continuent encore à peser, lourdement, sur le destin de centaines de milliers d’hommes et de femmes qui luttent pour leur survie.

Sleiman ne sait pas quand est-ce qu’il est né. Moi, je lui donne, tout juste, trente ans. Il peut en avoir cinq de moins, si l’on tient compte que la vie ne l’a pas épargné. Quand je lui demande quand est-ce qu’il est venu à Nouakchott, il hésite avant de répondre :

–              « Ten’gaaz Maawiya » (la chute de Maawiya). C’était en août 2005, date du coup d’Etat mené par les colonels Aziz et Ghazouani contre celui qui a régné sur la Mauritanie près de vingt ans (1984-2005). Sleiman ne se fait pas prier pour raconter sa vie. Une chaîne de péripéties.

« A Nouadhibou, j’étais venu pour  ramasser l’argent à la pelle », dit-il, sourire en coin. C’est du moins ce qu’on lui a laissé croire quand des « gens de chez lui » rentraient, à chaque fête d’Al Adha (fête du sacrifice du mouton). Mais en allant lui-même à Nouadhibou, cette « île au trésor », Sleiman a vite déchanté.

D’abord, passer de berger à pêcheur ne se fait pas du jour au lendemain. Sleiman a dû subir une formation accélérée et être traité comme « apprenti ». Autant dire sans revenu, même si le travail qu’il accomplissait était le même que celui des pêcheurs expérimentés. Plus tard, le contrat était tacite : il faut aller en mer et prier pour que les prises soient bonnes. Le propriétaire de l’embarcation ne s’engage, en fait, que pour l’achat de la production, après avoir récupéré les investissements. C’est lui qui fixe évidemment le prix puisque SES pêcheurs ne peuvent vendre qu’à lui. Autre manière d’exploiter ces pauvres : la nourriture est payée par le prélèvement de 500 UM du prix de chaque kilogramme vendu ! Dans ces conditions très avantageuses pour le propriétaire de l’embarcation, Sleiman et ses compagnons d’infortune ont droit à une « avance ». Une manière de « ferrer » ces « esclaves des temps modernes ».

Sleiman, devenu charretier à Nouakchott (photo : Sneiba)

Aujourd’hui, Sleiman préfère oublier son aventure avec la mer. « Oui, on peut gagner beaucoup d’argent mais seulement quand vous être maître de votre outil de production », dit-il, ce qui n’est pas mon cas ni celui des milliers de haratines qui travaillent dans ce secteur.

Après quatre ans passés à Nouadhibou, Sleiman avait décidé de reprendre ses activités de charretier à Nouakchott. Une autre péripétie qu’il me raconte au moment où il préparait un « plat » de cartons pour son âne. Il vient de rentrer de « Msiid el maghreb » (marché de la mosquée marocaine » avec 5500 UM (15 dollars) en poche. Une journée faste. Mais, des fois, il revient avec le strict nécessaire car la concurrence est de plus en plus rude. Les Maliens, qui occupent aujourd’hui le secteur de l’approvisionnement en eau potable, commencent aussi à investir celui de la livraison.

 

« Nous sommes aussi responsables »

 

Sleiman ne s’apitoie pas sur son sort ; il trouve seulement que la plupart des haratines sont aussi responsables de ce qui leur arrive. «Travailler aussi durement plusieurs années et ne pas penser à progresser, économiser, investir dans autre chose, est irresponsable », me dit-il. Il pense à ouvrir une boutique après avoir mis de côté suffisamment d’argent pour se lancer. Il est conscient qu’à un certain moment, il ne pourra plus continuer le travail harassant qu’il accomplit depuis plusieurs années entre 08 heures et 19 heures.

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Préparation à la pêche au poulpe (photo : Sneiba)

Sleiman ne voulait pas finir sans me parler de ses autres expériences.

« J’ai aussi été berger à Soueiss’ya près de Zouerate. Mon employeur Taleb a été généreux avec moi portant mon salaire de 25. 000 ouguiyas (69 dollars) à 40.000 (110 dollars) ». C’est à cette époque qu’il a pu construire une chambre en ciment au village pour ses parents et acheter quelques moutons.

Sleiman ne veut pas que ses deux enfants vivent le même calvaire que lui. Il a pris soin de les confier à un enseignant du Coran, à Tarhil, en attendant de les inscrire dans cette école où lui n’est resté que deux ans. Retourner à Nouadhibou ? Non, répond-il. De Nouakchott, il reviendra un jour à Gweiwa où, « malgré frictions autour de « gliig ehel Taleb Maham » (barrage), nous n’avons pas de problèmes particuliers avec « nos » maures », conclut-il.

Reportage réalisé dans le cadre du Projet : « Liberté, droit et justice : combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » du Département d’Etat des Etats-Unis.


En Mauritanie, quand le bâtiment va…rien ne va

Quand le bâtiment va…rien ne va. A Nouakchott, c’est le sentiment partagé de tous ceux qui vivent cette fin de second mandat de Mohamed Ould Abdel Aziz comme un calvaire.

Personne ou presque ne se soucie des « choses » de la politique. Ils considèrent que c’est maintenant peine perdue. Le Sénat n’existe plus. « Nous l’avons supprimé, nous l’avons supprimé », avait crié le raïs lors du dernier meeting référendaire, alors même que les Mauritaniens n’avaient pas encore voté pour prononcer la sentence de mort de la chambre haute du Parlement.

Damaan Assurances (photo : Sneiba)

Le « dérèglement » créé par les amendements constitutionnels a pris de court une opposition désarmée. Et en désarroi. On ne parle plus que de la crise économique qui étouffe un pays tout entier.

Pourtant, à voir la frénésie qui gagne le secteur du bâtiment à Nouakchott, on peut penser que la Mauritanie tourne. Merveilleusement bien, comme le pensent le pouvoir et ceux qui tirent les ficelles depuis 2009.

Ici, c’est la gouvernance du fer et du béton. Le reste ne compte pas. Les Blocs A ont été rasés et, à leur place, la Société nationale industrielle et minière (Snim) a construit sa tour de quinze étages devenue le plus haut édifice de Nouakchott. Investissement déclaré : 6 milliards d’ouguiyas (15 millions d’euros). Le nouveau siège de la société minière figure en bonne place dans les inaugurations du 28 novembre prochain, fête nationale de Mauritanie.

Le nouveau siège de la SNIM (photo Sneiba)

A côté, la société d’assurance « Damaan » (Appartenant également à la Snim et à des privés) a investi 8 millions d’euros pour avoir un siège de huit étages.

Le groupe Ghadda dirigé par un cousin du raïs, est en train de bâtir son nouvel empire. L’ancienne caserne de la musique militaire est devenue le nouveau Grand Marché de la capitale réalisé par la société ISKAN , et inauguré ce 22 novembre 2017 par le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz. Un millier de boutiques que le gouvernement veut céder, à prix d’or, aux occupants du mythique Marché de la capitale. Juste en face, ce qui était l’escadron d’escorte et de sécurité de la gendarmerie nationale a été rasé par un commerçant. Il en fera fort probablement un énième marché !

La rénovation-bradage du centre ville ne s’arrête pas là. L’appât du gain commande toutes les opérations de déménagement entreprises par l’Etat depuis 2009. L’on parle d’un centre commercial dont le coût serait de 2,5 milliards d’ouguiyas.

Présentation en vidéo du nouveau centre commercial de Nouakchott.

Un mode opératoire connu

 

Au commencement de ce vaste programme, qui fait du BTP l’essentiel du développement économique de la Mauritanie, était le nouvel aéroport international de Nouakchott dont le coût reste, à ce jour, une énigme.

C’est le même montage dont s’est servi le gouvernement pour attribuer le marché de construction d’un nouveau palais des congrès à un autre proche du président. Coût du projet : 14 milliards d’ouguiyas. Le ministre de l’économie et des finances, interrogé sur le recours de plus en plus fréquent aux marchés de gré à gré répond : « ils ne sont pas interdits par la loi et nous avons respecté les procédures puisqu’il s’agit du sceau de l’urgence ».

Dans huit mois, la Mauritanie accueille le 31ème sommet de l’Union africaine et l’infrastructure de 5000 places doit être prête pour cet évènement à connotation politique de même valeur que le sommet de la Ligue arabe du 25 juillet 2016.

L’on comprend que les Mauritaniens soient agacés par le manque d’attention du gouvernement pour les autres problèmes que rencontre le pays.

Le déficit pluviométrique nécessite la mise en place d’un Plan d’urgence de même ampleur que celui de 2011. C’est ce que réclame une opposition qui saisit toute occasion pour fustiger la gestion du pouvoir, notamment ce qu’elle appelle « le bradage du foncier ». Mais pour l’instant, le gouvernement a d’autres soucis : parachever le processus politique devant assurer l’émergence de ce que les partisans du pouvoir appellent déjà l’avènement de la Troisième République.

Les projets routiers, dont certains ont commencé il y a dix ans (Atar-Tidjikja) enregistrent des retards considérables. En cause, l’octroi des marchés à des sociétés non qualifiées, ou la rupture des financements comme c’est le cas de la route Nouakchott-Rosso dont seuls 48 km sur 204 ont été refaits grâce à l’UE. Pressé par les populations pour entreprendre la réfection de cet axe névralgique entre la Mauritanie et le Sénégal, le gouvernement avait promis que les travaux commenceront en juillet 2017. Depuis, on attend toujours.

Le « secret » de la bonne marche du secteur des BTP, au détriment des autres domaines d’activité, s’explique par diverses raisons.

Le pouvoir met en avant la nécessité de donner à Nouakchott le visage d’une vraie capitale en rasant tous les anciens bâtiments administratifs et les logements sociaux qui datent du début de l’indépendance du pays.

Le centre-ville de Nouakchott en chantier (photo : Sneiba)

L’opposition, elle, parle de la « voracité » des proches du président qui veulent faire main-basse sur le Nouakchott « utile » en s’emparant, à prix symboliques, de tout ce qui a une valeur immobilière certaine. En face de l’immeuble de la Snim, la Cité de la police a acquis une valeur inestimable et ses occupants ont été « dégagés ». Le nom de l’acquéreur n’est pas connu pour l’instant mais il ne peut sortir que du cercle restreint des « nouveaux riches ». Ceux qui font que la Mauritanie est en train de revivre tous les problèmes de gouvernance qu’elle avait connue avant la chute du président Taya en 2005.


A la rencontre des femmes courage de la plaine de Leikleyla en Mauritanie

Femmes devant la boutique de la coopérative Leikleila d’Aleg (photo : Sneiba)

Aleg, ville du centre de la Mauritanie, est la capitale du Brakna. C’est ce que beaucoup de Mauritaniens connaissent de cette cité où s’est tenu, en 1958, le Congrès d’Aleg, considéré comme l’acte de naissance de la Première République. Mais Aleg est aussi une ville où les habitants, majoritairement haratines, luttent pour leur survie.

Elles sont cent femmes haratines regroupées dans la coopérative agricole de Lekleila, du nom de la vaste plaine où l’on cultivait, jusqu’à une date récente le mil et autres céréales traditionnelles. La coopérative a démarré en 2011, grâce à l’argent procuré par une boutique communautaire que les adhérentes avaient démarré en 2006 avec une mise individuelle de 13.000 ouguiyas (36 USD). « Notre objectif n’était pas de faire des bénéfices mais d’avoir un recours autre que celui des commerces de la ville et de favoriser un climat de vie digne », assure Khadjana Mint Mohamed M’Bareck, la présidente de la coopérative.

La boutique vue de l’intérieur (photo : Sneiba)

Sans niveau scolaire significatif, ou même sans avoir été à l’école pour la plupart, ces femmes se devaient de lutter avec acharnement pour développer leur projet. Aujourd’hui, le résultat est plus que satisfaisant : En plus de la coopérative agricole et de la boutique, elles louent du matériel de cérémonie (mariages, baptêmes, etc) et gèrent un dépôt de bonbonnes de gaz butane qui complète leur autonomie vis-à-vis des boutiques du marché d’Aleg. « C’est une organisation complète que nous avons là, assure une femme. Le jardin nous procure les légumes dont nous avons besoin sur une période de l’année, même si les factures de la SNDE (Société nationale d’eau) sont un salées à notre goût. La dernière facture (celle du mois de novembre) est de 125000 ouguiyas », précise-t-elle. Les femmes gèrent la boutique à tour de rôle. Les deux femmes qui assurent le « tour » ont une part du bénéfice. La clientèle est assurée essentiellement des membres de la coopérative et de leurs proches.

Henné dans le jardin de la coopérative (photo : Sneiba)

Quand on demande à ces femmes de dire en quoi réside leur fierté, elles répondent spontanément : par le fait qu’on a réussi à monter notre propre affaire, et cela presque sans l’aide de personne. Elles se ravisent pour signaler que l’Etat, à travers « la structure qui aide les esclaves » (Tadamoun, je m’empresse de préciser), leur a accordé un modeste soutien : un vulgarisateur agricole, des semences et des barbelés. La coopération espagnole a aussi posé une seconde clôture sur les dizaines d’hectares achetés à l’un de ces anciens maîtres qui continuent toujours à assurer leur mainmise sur bonne partie de la plaine de Lekleila.

 

Laissées pour compte

 

Aleg, un spectacle de désolation (photo : Sneiba)

Le sort de ces femmes est un démenti à tous ceux qui disent que la Mauritanie se développe !  Un démenti aussi à ce que traduisent les chiffres. Les chiffres d’une économie qu’il faut cependant lire à plusieurs échelles : celles du pays, des capitales régionales, des moughataas (départements) et des zones rurales.

Des villes où il ne fait pas bon vivre, on en compte à gogo en Mauritanie. Des villes où les habitants se délassent faute de travail, où les citoyens sont pris entre le marteau des commerçants et l’enclume de l’administration. Le « développement » dont on parle, et encore, se limite aux villes de Nouakchott et de Nouadhibou qui concentrent ce que le pays compte d’unités industrielles et de centres d’intérêts.

Le reste des cités souffre, depuis l’indépendance du pays, de l’absence d’une politique de développement qui prend en compte leurs spécificités, à l’image d’Aleg, ville où les populations, essentiellement haratines, luttent pour leur survie. Aleg, une ville où il n’y ni projet agricole, ni usine, ni centre de formation est l’illustration parfaite du mal développement que connaît la Mauritanie.

A part les commerçants et les travailleurs de l’Administration, tout le monde survie grâce à des activités informelles auxquelles on ne peut même pas donner de nom ! Chacun s’improvise un métier, en espérant que les autres éprouvent le besoin de faire appel à ses services : Vendeuses de légumes, charretiers, boulangers, manœuvres, coiffeurs, « michelins », un nom bien de chez nous, restaurateurs, bouchers, voilà à quoi s’occupent les gens de l’intérieur. Il n’y a ni usine qui a besoin d’ouvriers, ni ferme agricole qui nécessite une main-d’œuvre, comme cela se voit partout dans le monde.

Dans les villes de l’intérieur, du Sud, de l’Est et du Centre, les spécificités économiques doivent être prises en compte, comme pour Zouerate et Nouadhibou, pour le développement harmonieux de l’ensemble du pays. C’est cela que le gouvernement actuel doit comprendre pour résoudre l’équation des déséquilibres entre Nouakchott et le reste de la Mauritanie.

Reportage réalisé dans le cadre du Projet : « Liberté, droit et justice : combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » du Département d’Etat des Etats-Unis.

 

 


La « success story » de Mohamed Saleck dans la plaine de M’Pourié, en Mauritanie

J’étais à la quête d’un haratine « ouvrier agricole » lorsque je suis tombé par hasard sur un « propriétaire terrien ». En fait, Mohamed Saleck a été l’un avant de devenir l’autre. Par son courage et à sa persévérance.

 

Mohamed Saleck, d’ouvrier agricole à exploitant (photo : Sneiba)

Depuis dix ans, Mohamed Saleck travaille pour son propre compte sur les cinq hectares qu’il a achetés dans la plaine de M’Pourié. Une petite affaire familiale qui lui permet aujourd’hui de faire vivre sa famille et de sortir de la précarité de ses années de jeunesse.

Avec une production de 150 sacs de riz à l’hectare, quand la campagne qui dure de trois à quatre mois est bonne, Mohamed estime que l’agriculture nourrit bien son homme. Certes, les usiniers de Rosso n’achètent plus toute la production pour la revendre à la Sonimex (Société nationale d’import-export) que l’on dit au bord de la faillite, mais ils continuent toujours à proposer le même prix (100 UM au kilogramme) pour les petits producteurs de la plaine de M’Pourié. Parce que la politique du « consommer locale » a obligé l’Etat à taxer fortement le riz importé et à favoriser l’offre du riz mauritanien.

Pourtant, continuer à exploiter ces cinq hectares en réalisant des bénéfices, est loin d’être évident. Le sexagénaire me trace rapidement le topo : il faut 5 sacs d’engrais pour un hectare, 16.000 UM pour le tracteur qui doit retourner la terre et 30.000 UM de redevance eau (toujours à l’hectare) payés à l’Etat. « Cela n’aurait pas été possible si je devais, en plus de ces charges, engager des ouvriers », me dit-il. « Je m’appuie uniquement sur mes enfants ; quand l’école le permet », précise-t-il.

A M’Pourié, les étrangers sont légion. C’est encore Mohamed Saleck qui donne l’explication : les nationaux, essentiellement des haratines, ne veulent plus de ce travail harassant. Ils préfèrent travailler au marché de Rosso, au débarcadère ou dans le BTP, surtout que, contre 45.000 ouguiyas/mois, on leur demande de servir à la fois d’ouvrier agricole et de gardien, en vivant dans un abri de fortune près de la parcelle ! Seuls les travailleurs sénégalais et maliens acceptent ces conditions drastiques parce qu’ils n’ont pas d’autres choix. On parle même, à Rosso, d’une « bourse » du travail où les étrangers proposent leurs services à des agriculteurs mauritaniens fainéants.

M.D est un Sénégalais de 19 ans. Il dit être engagé pour 43.000 ouguiyas. Il se plaint de devoir vivre sur place durant la campagne et de devoir dépenser une partie de son salaire pour manger et boire. (photo : Sneiba)

 

 

Le programme « jeunes chômeurs », un désastre économique

 

L’idée d’amener les jeunes diplômés chômeurs à se tourner vers l’agriculture était bonne, mais comme tous les programmes où il y a profit, elle a été faussée, dès le départ. Des jeunes qui ne connaissent rien à la terre, qui n’avaient aucune attache avec le milieu, ont bénéficié de 10 hectares chacun, d’une aide substantielle d’installation et de trois vaches laitières pour commencer une vie d’agriculteurs. Mohamed Saleck, qui estime que cette aide aurait dû aller à des agriculteurs comme lui, affirme que sur les 125 jeunes du premier programme, il ne reste plus qu’une poignée. Les autres ont préféré vendre ou louer les parcelles que l’Etat leur a attribuées croyant bien faire.

Un abri de fortune (photo : Sneiba)

Mohamed estime que les ouvriers agricoles, essentiellement des haratines, avant l’arrivée des Sénégalais et des Maliens, pouvaient bien profiter de ce programme si la volonté d’arriver à l’autosuffisance alimentaire et de procurer du travail aux mauritaniens était bien réelle. « On n’a pas besoin de  se torturer les méninges pour comprendre que l’objectif de cette opération était autre », dit-il.  A chaque fois que le gouvernement met en place une opération, « il y a des intrus. Ici, l’agriculture a ses hommes et c’est nous. Si la CDD (Caisse des dépôts et de développement) consent à nous aider, elle ne le regrettera pas. Il y a un véritable trésor caché dans cette terre, mais il faut les moyens pour le faire sortir », conclut Mohamed.

« Tu vois, je suis seul. Aujourd’hui, les enfants ne peuvent pas m’aider parce qu’ils sont à l’école. Chaque jour, il faut se lever à quatre heures du matin pour être là avant les mange-mil (premier danger pour les parcelles de riz à un mois de sa maturation). Pour me faire aider, j’ai été cherché un travailleur étranger mais ce qu’il me demande est au-dessus de mes moyens. »

Mohamed Saleck, d’ouvrier agricole à exploitant (photo : Sneiba)

A un mois de la récolte, cet homme se bat, seul, pour entretenir une activité qui l’a aidée à sortir de la précarité. Certes, il n’est pas devenu un « propriétaire terrien », au sens où l’on comprend ce terme en Occident quand on pense aux riches hommes d’affaires mauritaniens qui ont fleuré le filon en investissant dans l’agro-business, mais, au moins, il travaille en homme libre, laissant derrière lui sa condition d’ouvrier agricole exploité, à outrance.  Un esclavage foncier que les haratines refusent de plus en plus dans la Vallée du fleuve Sénégal, et plus précisément dans la plaine de M’Pourié.

Reportage réalisé dans le cadre du Projet : « Liberté, droit et justice : combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » du Département d’Etat des Etats-Unis.


Moi Tarba, j’ai décidé d’être : les misères d’une ancienne esclave à Atar, en Mauritanie

Toujours dans la série des «parcours exceptionnels », le portrait que l’on présente ici est celui de Tarba Mint M’boyrick, un autre combat pour la survie qui mérite d’être connu.

 

Tarba, ancienne esclave, dans son cadre de « vie » (photo : Sneiba)

Vous êtes prévenus : pour écouter Tarba raconter son histoire, il faut avoir de la patience. J’ai passé une journée avec elle au siège de SOS Esclaves, à Atar, et à « Netteg », le quartier pauvre où elle vit avec ses deux enfants, son mari, et son neveu « El id », qui vient de fuir ses maîtres et se démène pour faire venir sa mère et ses sœurs « de là-bas ».

Tarba parle de son « parcours » : El karkar, une localité qu’elle situe quelque part au Tagant, une région du centre de la Mauritanie. Elle dit avoir été donnée, en cadeau, par son maître, à son fils, à la naissance de celui-ci. Quand ? Elle ne sait pas. Tarba doit avoir la soixantaine. Peut-on la croire quand elle dit que sa mère a été affranchie par ses maîtres et a préféré partir loin, en Adrar, pour y finir ses jours, quand elle a été maintenue en esclavage ? Elle n’en veut pas à cette mère qui l’a abandonnée, la laissant garder les troupeaux de ses maîtres jusqu’au jour où elle décide, elle aussi, de mettre un terme à sa servitude. C’est sa maîtresse, Mariem Mint N… qui lui mit la puce à l’oreille quand elle parle de sa mère qui vit maintenant à Atar. Toute la nuit, Tarba ne dormit pas. C’est décidé, demain, en allant faire paître les animaux, elle ne reviendra pas. Elle fuira l’enfer d’El guerjam, une localité qu’elle situe dans les environs d’Achram Aftout, en Assaba, assure-t-elle.

Sa fuite la conduit à Al Ghayra et c’est un restaurateur qui la sauva, de justesse, de son maître parti à sa recherche à dos de chameau, raconte-t-elle. Ce « sauveur » la cacha le temps de trouver le moyen de l’envoyer à Nouakchott, avec comme seul bagage l’outre qui lui a permis de ne pas mourir de soif lors de sa fuite. Un membre de SOS Esclaves précise que ces événements se sont déroulés en 1992, trois ans avant la création de l’organisation qui ne sera reconnue qu’en 2007, et qui s’occupe aujourd’hui de Tarba en essayant de l’aider à « bien » finir ses jours en savourant les bienfaits de la liberté, même si elle supporte toujours le poids de la pauvreté et de l’ignorance.

A Nouakchott, Tarba retrouvera sa condition d’esclave, en vivant avec la sœur de sa maîtresse, à Lemzelga. L’esclavage urbain (le travail sans rémunération) lui paraissait pourtant plus supportable que la vie qu’elle menait dans un coin perdu de la « Mauritanie profonde ». Elle vivait avec l’espoir de pouvoir partir un jour rejoindre sa mère à Atar.

Femmes haratines encadrés par SOS Esclaves à Atar (Photo : Sneiba)

Dans la capitale de l’Adrar, en cette fin de 2017, un quart de siècle après avoir fui ses maîtres, Tarba mène un autre combat : survivre. Et aider son neveu El Id à « libérer » sa mère et ses sœurs, toujours esclaves, selon elle, malgré toutes les démarches entreprises par SOS Esclaves. En revenant de son « abri » de Netteg (je n’ose parler de « maison »), elle me montre une immense bâtisse et me chuchote : « c’est là où elles vivent » (en parlant de sa sœur et de ses filles).

Dans sa fuite, elle-même avait abandonné ses enfants (un garçon et une fille). C’est pour les libérer qu’elle avait contacté, à l’époque, SOS Esclaves. Aujourd’hui, sa fille Mbarka est mariée et son fils travaille comme  manœuvre.

 

Libre mais…

 

A Atar, Tarba s’est essayée comme bonne. Elle a aussi constitué un « semblant » de famille, dit-elle. J’ai compris que c’est elle qui est « l’homme ». Elle qui doit se démener pour faire vivre les autres.

Tarba a travaillé un temps dans le projet de vente de couscous encadré (financé) par SOS Esclaves pour des femmes haratines à Atar. De constitution fragile, elle a fini par abandonner mais continue de bénéficier du soutien de l’ONG sous une autre forme.

Car, sans moyens, les anciens esclaves sont tentés de revenir voir leurs anciens maîtres (ou les cousins de ces derniers). La sœur de Tarba lui reproche d’ailleurs d’avoir fui et résiste à la « tentation » de suivre son exemple.

Khira, une ancienne esclave à Atar (Photo : Sneiba)

Tarba suit aussi les cours d’alphabétisation de SOS Esclaves mais voudrait que l’école « vienne vers elle » ! « Les classes doivent être à côté », dit-elle.  Car ce n’est pas tous les jours qu’elle a les moyens de payer le taxi pour se rendre au siège de l’ONG, qui a ouvert deux classes pour les enfants et les adultes d’une communauté haratine dont le mal, après les affres de l’esclavage, est l’ignorance et la pauvreté.

Les boutiques financées par SOS Esclaves, sous forme d’AGR (activités génératrices de revenus) sont certes une initiative louable, mais elles ne peuvent être LA solution aux problèmes que l’Etat se doit de considérer comme l’une de ses priorités sociales et humanitaires en guise de réparation pour un préjudice moral et physique de très longue date.

Des enfants haratines aux cours de SOS Esclaves (Photo : Sneiba)

Les femmes haratines que SOS Esclaves aident s’occupent, mais surtout apprennent. Elles se réalisent aussi. Les anciennes esclaves comme Tarba et Khira Mint H… « se voient » comme les autres. Elles « se libèrent » progressivement. Par le travail et rien d’autre. En attendant que l’éducation aide leurs enfants à retrouver leur qualité d’homme.

Reportage réalisé dans le cadre du Projet : « Liberté, droit et justice : combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » du Département d’Etat des Etats-Unis.