Tricodpo: la musique créole qui montre ses bras
On les avait découverts l’an dernier au Téat sous les arbres du Port, en première partie de Nathalie Natiembé. Et ils nous avaient franchement emballés, les Tricodpo. Pour ceux qui ne causent pas créole, un tricodpo c’est un marcel, un débardeur. Erick Lebeau et sa compagne Marine Charlin ont ressorti ce mot charmant et un brin désuet pour nous servir, avec trois autres bons musiciens, une variété créole plutôt bien léchée. Rencontre sous la varangue, dans les hauts de Sainte-Marie, avec un couple de passionnés.
A les écouter échanger autour d’un café, on se dit que leur fille ne doit pas s’ennuyer et qu’elle sera sans doute riche d’une culture éclectique. Erick Lebeau et Marine Charlin partagent la même passion pour la musique, la langue créole et le spectacle. Ils se sont rencontrés à Lyon, alors qu’ils étudiaient la musique. C’est là-bas qu’Erick découvre vraiment les rythmes réunionnais. « Quand je vivais ici, la musique créole c’était la ringardise absolue ! Je ne pratiquais absolument pas », rigole-t-il. Comme beaucoup d’insulaires étudiant dann péi la fré*, Eric se pique un coup de blues, nostalgique de son caillou, son soleil, son cari et son kozé*. « Avec des copains, on a ressorti un CD d’Oussanoussava », raconte-il. C’était en 99 – 2000, le label Takamba avait ressorti Alain Peters et Madoré. Erick Lebeau retrouve le premier et découvre le second, se replonge dans le maloya de Waro et le Bato Fou de Ziskakan, lit le poète Albany et se décide à écrire en créole.
« ça n’est pas parce qu’on est des bouffons qu’on ne raconte que des bouffonneries »
Fort bien lui en a pris. L’auteur-compositeur fait chanter la langue créole avec bonheur. Et derrière la légèreté et la fraîcheur affichée, il avoue un travail laborieux. Car le bonhomme est exigeant. « ça n’est pas parce qu’on est des bouffons qu’on ne raconte que des bouffonneries », sourit-il. Se baladant entre introspection et nostalgie, ses textes ne prêtent pas franchement à rire. Pourtant, on sort tout guilleret d’un concert des Tricodpo. Parce que le chanteur-leader mène son show (écrit avec Marie Birot de La Fabrik) à grands coups d’humour … parfois grinçant. « On a la chance, nous les artistes, de pouvoir dire les choses. Il faut les dire », estime-t-il. Eric les dit avec finesse, second degré et humilité. A l’image du groupe, adepte de l’autodérision. « Il y a suffisamment de gens qui se prennent au sérieux dans ce métier », sourit-il.
Les Tricodpo, eux, auraient pourtant de quoi montrer leurs biscottos.
« La première culture que j’ai c’est la variété française. A part le tourne-disque de maman et ses disques, je n’avais pas accès à grand-chose ».
Le groupe a vu le jour à Lyon, en formule duo, avant de rentrer à la maison en 2006. Il a débuté par des reprises de chansons françaises (Lavilliers, Fersen, Benabar…) avant de jouer avec Lao, puis interpréter leurs propres morceaux, dans la formule quintette actuelle (Erick : guitare, chant, contrebasse, Marine : contrebasse, accordéon, chœurs, Thierry Hesler : trompette, chant, Sandro Turpin : percus, Charlie Lallemand : guitare). Résultat : une variété poétique créole, se baladant entre reggae, folk, séga, rock, blues. « Mes influences musicales sont diverses, mais quelque part on ne se détache pas de l’enfance, explique Erick. La première culture que j’ai c’est la variété française. A part le tourne-disque de maman et ses disques, je n’avais pas accès à grand-chose. Malgré tout, c’est une origine réunionnaise, car même si ces musiques viennent de France, je les ai écoutées ici et on n’écoute pas la musique de la même façon selon l’endroit où on vit, on ne voit pas la vie pareil ».
« Mon parrain, c’est mon mentor. Dans les fêtes familiales, il sortait son calepin, racontait des blagues et chantait »
La vie, il la voyait aussi, enfant, à travers le prisme des fêtes familiales. « Mon parrain, c’est mon mentor. Dans les fêtes familiales, il sortait son calepin, racontait des blagues et chantait. Erick a gardé de lui ce côté troubadour, amuseur et populaire. Car le mot n’a rien de péjoratif pour lui. Au contraire. Alors que Tricodpo se voit encensé depuis le dernier Iomma (marché des musiques de l’océan Indien) par le microcosme intello-culturel, eux se rêvent en chanteurs populaires, fredonnés par madame Tout le monde sous la douche. Leurs teasings de sortie d’album, joués par le comédien Nicolas Givran, met d’ailleurs en scène avec beaucoup d’humour cette Réunion du quotidien qu’ils affectionnent.
Clin d’œil à la musique populaire actuelle, ils reprennent sur scène le tube de FJ « Viens viens là » et en livrent une version charmante. Pour le concert de lancement d’album, le 15 février au Kabardock, ils promettent une seconde partie de soirée amusée, faite de reprises et d’invitations. On y sera.
Ecouter Tricodpo :
*Péi la fré: pays du froid, kozé: langage