Jeff Albert

Trêve de masturbation

Un intellectuel c’est surtout ça : « prendre position sur toutes les questions qui engagent sa société et proposer des solutions viables. » Tout le long de la triste histoire de ce pays, on a vu des intellectuels prendre position, dénoncer, critiquer, appuyer, etc. N’ayant pour seul arme l’écrire, il semblerait que tous se sont heurtés à un obstacle commun : « ceux qui lisent ».

Nous avons hérité dans ce pays d’une situation chaotique, de problèmes à n’en plus finir. Nombre de générations se sont succédé, ainsi que leurs prestations minables. Mais plus cela change, plus c’est pareil. Cependant, plusieurs voix se sont toujours élevées afin de recadrer la société dans ses errements.

Aujourd’hui encore, dans cette descente effrénée de la société haïtienne aux abysses du chaos, des voix se font entendre. De par leurs savoirs avérés, ils critiquent, dénoncent, proposent de nouvelles démarches. Ils sont tous écrivains, blogueurs, professionnels dans un domaine quelconque qui offrent chaque jour leur génie à la cause de ce pays. Ils écrivent pour transformer. Mais qui lit exactement ?

On a beaucoup entendu que s’il faut cacher quelque chose à un noir, mettez-le donc dans un livre. Nos bibliothèques, personnelles ou privées, regorgent de livres dans lesquels des écrivains ont tenté d’attirer l’attention du plus grand nombre sur des problèmes divers. De nos jours, avec l’arrivée de Internet, l’accès à certains livres ou autres types de documents devient plus facile. Mais toujours le même problème. Ce n’est qu’un groupuscule de passionnés de lecture de toujours qui mène les débats. Qui est présent dans les ventes et signatures des livres, dans les bibliothèques, les conférences ? Toujours les mêmes têtes… Qui réellement prend le temps de lire un article ? Qui de ceux qu’on critique prennent le temps de mieux faire après nous avoir lu ?

Ceux qui lisent en Haïti vivent dans un monde à part où l’on ressasse entre soi les mêmes thèmes, les mêmes sujets et les mêmes débats. Entre temps, le plus grand nombre se vautre dans la médiocrité, traîne dans les profondeurs de l’ignorance. C’est bien triste de voir aujourd’hui l’ignorant qui évangélise dans les églises, les médias, les débats politiques, etc. vouloir enseigner aux autres mais nier ce qui en donne la légitimité.

Ceux qui en toute légitimité produisent des idées doivent être fiers car c’est une noble tâche. Cependant, les méthodes avec lesquelles nous tentons d’atteindre le plus grand nombre doivent être repensées. Nous ne pouvons pas être nos propres lecteurs.

Si nous voulons vraiment transformer par la lecture, pourquoi mettre sa bibliothèque au service de sa seule soif de savoir ? Pourquoi ne pas en faire un lieu de lecture et de discussion pour des jeunes perdus dans les sillages du « ti blòdè » ? Pourquoi ne pas organiser des randonnées dans nos mornes et dans nos plaines pour rencontrer et partager avec le paysan ? Pourquoi ne pas se rendre dans les localités éloignées afin de rendre quelques lumières ? Oui, recruter, préparer et grossir nos rangs.

À moins de poursuivre la carrière d’une personne engagée, patriote mais isolée, facile à balayer. De participer à des colloques, des séminaires ou autres où ce seront toujours les mêmes visages qui y figureront. Quand finalement on découvre que ce sont les ignorants qui tirent les ficelles, on exhibe son orgueil, gaspille son courage dans des palabres.

Le plus grand nombre ne nous suit pas parce qu’on ne s’est jamais marié à lui… Au lieu de foncer tête baissée dans cette lutte, consacrons plutôt le reste de notre temps à en former d’autres citoyens comme nous.

 


Ces dirigeants aux saveurs d’Haiti

Ces dirigeants aux saveurs d’Haïti

Toute société est composée d’acteurs sociaux et d’institutions qui interagissent en vue de son fonctionnement. Elle est caractérisée par une association organisée en vue de l’intérêt général. En Haïti, pour des raisons que nous ignorons, les dirigeants ne sont pas toujours intéressés par l’intérêt général et les institutions sont toujours vassalisées.

La politique est une activité essentielle sinon indispensable à toute société. Elle a pour objet la gestion de la cité à travers des mécanismes institutionnels. Elle participe de l’effort de civilisation qui tend à rompre avec le barbarisme pour une organisation harmonieuse des différentes forces de la société. Pris dans ce sens, la politique vise le bonheur de tous. Mais ici sachez-le bien : « WELCOME TO HAITI.»

L’histoire nous montre que les politiciens haïtiens n’ont jamais servis les causes d’intérêts généraux de ce pays. Il leur est plus facile de se servir de l’Etat à leurs fins personnelles que de se servir de l’Etat pour les services de la collectivité. Le passé, et par un constat déconcertant le présent du pays est tissé par des luttes acharnées pour le pouvoir politique. Par ailleurs, les expériences montrent que ces luttes pour le pouvoir sont plutôt motivées par l’appât du gain que de servir l’intérêt commun. L’intérêt commun est souvent relégué à l’arrière-plan au profit d’une minorité qui cherche tour à tour à détenir l’oligopole du pouvoir et de l’avoir. Pour gouverner ils s’empressent, nourrissent une instabilité politique chronique.

Mis à part tous les torts causés à Haïti par certains pays, il est incontestable que si Haïti se trouve aujourd’hui dans ce piteux état, une grande part de cette responsabilité incombe à ses dirigeants. Les dirigeants haïtiens, si c’était bien leurs motivations, ont failli à fournir les services sociaux aux citoyens. Pas de système éducatif efficace, pas de système de santé, pas de politique énergétique adaptée, pas de centres universitaires publics adéquats.

Pour eux, l’Etat est une vache à lait pour tous ceux, désireux d’étancher leur soif  de richesse. Sans parler des aptitudes à diriger, il est évident que les dirigeants haïtiens sont médiocres. Lorsqu’on assiste aux défilés de scandales des élites politiques, nous attestons qu’ils sont piètres et sans caractères. Crise électorale, insécurité criante, pauvreté, analphabétisme élevé en Haïti, insalubrité dans les rues, la liste est longue et c’est le moins qu’on puisse dire.

Pire pourrait être l’avenir, puisqu’aujourd’hui, dans la course, ce ne sont que des hommes de peu d’envergures qui veulent s’en saisir de cet exercice spécialisé. Déjà pour scandaleux et avilissant, nous avons comme exemple les élections de 2010 qui portèrent a la magistrature suprême, ce réputé musicien. La campagne électorale de 2015 peut être considérée également, 54 candidats pour le poste de président.

Ces dirigeants aux cerveaux rabougris sur lesquelles nous portons nos choix montrent clairement que notre bien-être de peuple n’est même pas le cadet de leurs soucis. Hantés par ce que le pouvoir procure, nous leur adressons cette interrogation : quand s’inscriront-ils à l’école pour apprendre qu’une des grandes finalités du pouvoir, c’est d’assurer la constance au sein de la collectivité, un minimum de bien commun ?

Hélas, la vérité c’est que nos dirigeants en uniforme ou non, sont sans pensée, sans programme. Ils jouent dangereusement avec des institutions, un pays dont ils ignorent la raison d’être. Or, s’il y a de cela deux siècles environ que de valeureux êtres humains (Fils d’esclaves, esclaves, incultes pour la plupart) épris d’humanisme, avaient accepté de se sacrifier afin de laisser en héritage cette perle, « l’Etat d’Haïti » aux générations qui ont suivies. Cependant, vu de ce qu’ils ont fait à ce dernier, nous nous accordons sur le fait qu’on ne donne pas des perles aux porcs !


Il lui faut un « Blanc »

Malgré l’abysse qui sépare le peuple haïtien de la colonisation, le colon semble être quelque part coincé dans son esprit. Le mot blanc revient souvent dans le discours de l’haïtien soit comme idéal supérieur, soit comme modèle de perfection, soit comme facteur de délivrance ou de blocage.

Héritiers de la décolonisation, sous une forme ou sous une autre, nombreux sont les haïtiens qui croient que leur destin supérieur est de vivre à l’instar de l’homme blanc. C’est pour cette raison semble-t-il qu’ils font tout en modelant avec constance leur culture, leurs sentiments, leur langage, voire leur apparence physique et leurs loisirs afin de se rapprocher du blanc.


Beaucoup sont des haïtiens qui croient dûment que la cause qui empêche au pays d’occuper une place de choix parmi les peuples, c’est à cause l’homme blanc. Parallèlement, se trouve d’autres qui croient que le bonheur de ce pays sera quand ses dirigeants décideront enfin de le livrer au blanc.
Certains définissent un certain niveau de l’échelle socioéconomique comme une vie de blanc. Quelques temps passés auprès d’un haïtien, vous entendrez surement rebondir les termes ; « manje blan , apre Bondye se blan , se blan mwen pral aprann , blan gason , etc. ». Tous ces qualificatifs pour attribuer aux blancs toutes les bonnes manières qui soient.
A la rigueur, l’homme le plus distingué de ce pays aimerait mieux qu’on lui trouve quelque ressemblance avec un blanc. Il faut voir avec quel orgueil quelques unes des figures les plus représentatives de notre milieu évoquent la virtualité de quelque filiation blanche.
Dans le milieu religieux, de très souvent nos pasteurs se battent tous pour quelques accointances avec un pasteur blanc. Pour la bonne marche d’une église, croit-on, un Blanc suffit. Avec un Blanc, le Seigneur répond plus rapidement aux prières. Il faut quand même voir la piété et le zèle des fidèles à la visite des missionnaires blancs. Le Christ prenant la forme d’un Noir un dimanche matin n’aura pas ce type d’accueil.
Dans le milieu politique, c’est la gangrène ! Il faut l’aval du blanc à même les choses les plus insignifiantes. Les élections, le budget national, le mode de gouvernance, les projets de développement, il nous faut toujours l’apport du Blanc. Il faut toujours le blanc comme repère.
Malgré des sursauts de redressements de certains, le besoin de se ressembler, de se modeler au blanc est si fort chez nous que nous sommes nombreux à ne pas l’avouer. Nous sommes beaucoup à avoir un blanc ancré au plus profond de nous-même et qui nous inspire sous un angle ou sur un autre. Notre réflexion ici ne se veut nullement raciste et nous acceptons aussi que beaucoup ne se retrouveront pas dans ces lignes. Mais elle met uniquement en relief le gêne de ce peuple de ses origines ethniques.