Mohamed SNEIBA

La Mauritanie dans l’attente du futur gouvernement

Mauritanie : Conseil des ministres (Photo AMI)
Mauritanie : Conseil des ministres (Photo AMI)

Ouf ! La nouvelle Assemblée nationale est née ! Nouvelle-ancienne quoi puisque l’Union pour la République (UPR) – l’Union pour rien – comme écrit souvent un cridémien¹ – reste la principale force politique de la Chambre basse du Parlement mauritanien. Le parti au pouvoir a réussi, sans grandes difficultés, à reconduire la plupart de ses « dibii-te² ». Ceux que les Mauritaniens fâchés contre le pouvoir appellent, méchamment, les « applaudisseurs » sont 77 dans la nouvelle assemblée, contre 34 « dépités » de l’opposition. La « participationniste », s’entend, puisque la Coordination de l’opposition démocratique (COD) a boycotté les dernières élections municipales et législatives, laissant les islamistes du parti « Tawassoul » descendre, seul, comme opposition radicale, pour entretenir les (d)ébats avec les élus de la majorité parlementaire. Les élus de la Coalition pour une alternance pacifique (CAP), dont l’un des leaders ne cesse d’appeler à une opposition « responsable », qui ne recourt « ni aux pierres ni aux bâtons » ne suivront sans doute pas le parti « Tawassoul » dans sa propension à reprendre ses attaques contre le pouvoir.

L’autre grand évènement a sans doute été le départ de Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Alliance populaire progressiste, qui cède la présidence de l’Assemblée nationale à l’ancien ministre de l’Intérieur Mohamed Ould Boïllil de l’UPR. Le pouvoir n’a donc pas voulu « renégocier » avec l’APP, qui n’a que 7 députés, pour des considérations de cohésion interne évidentes. Les dissensions qui avaient secoué le parti au pouvoir lors du choix des candidats aux élections municipales et législatives ont sonné l’alarme sur les risques possibles. On avait même mis le report de la session extraordinaire, finalement ouverte mercredi 29 janvier, sur le compte d’un refus de la majorité d’aller dans le sens de négociations entre Messaoud et Aziz. Ce dernier aurait proposé à son « ami opposant » de se résigner à rejoindre la majorité pour sauver son perchoir à l’Assemblée, mais en vieux baroudeur de la politique le président de l’APP n’est pas tombé dans ce que beaucoup d’observateurs avaient vu comme un suicide politique.  Mais pour empêcher un retour possible de l’APP dans le giron de la COD, à la veille d’une élection présidentielle à plusieurs inconnues, le pouvoir est obligé de faire une proposition sérieuse à Messaoud, mais aussi à ses alliés de la CAP. L’on parle, par exemple, de la création d’un ministère d’Etat (qui regrouperait le Conseil économique et social, l’agence Tadamoun et le commissariat chargé des droits de l’homme et de l’action humanitaire) pour l’offrir à celui qui a présidé l’Assemblée nationale durant sept ans. Toujours est-il qu’il faut attendre le retour du président Aziz d’Addis-Abeba, où il vient d’être porté à la tête de l’Union africaine. Dès dimanche prochain, les Mauritaniens déplaceront leur intérêt vers la formation d’un nouveau gouvernement, mais aussi vers le geste qui sera fait pour l’opposition « participationniste ». Si celle-ci ne participe pas à la nouvelle équipe et si Messaoud n’est pas coopté pour un poste de prestige, les risques sont grands pour le pouvoir de voir son trop- plein d’assurance pousser la CAP dans les bras de la COD.

1. Cridem: site le plus lu en Mauritanie.

2. Prononciation en hassaniya de « député », pluriel de « dibii-te ».


Mauritanie : Si les banques ferment leurs portes devant vous, les « fournisseurs » vous ouvrent celles de la prison

Un vendeur de "cartes de crédit" (Photo : Sneiba)
Un vendeur de « cartes de crédit » (Photo : Sneiba)

Au commencement, ce terme était connu seulement des habitués du ministère des Finances. Un « fournisseur » (le terme se prononce comme tel en hassaniya » est  une « Personne ou établissement qui fournit habituellement à l’Etat (ministères, directions, entreprises publiques) certains biens et services ». C’était monnaie courante de voir un « ministré » ou directeur demander à son fournisseur une grosse quantité de produits qui, finalement, n’est pas livrée. A la place, c’est la contre-valeur en ouguiya qui est remise au « responsable ». Le fournisseur gagne doublement dans cette transaction, en prélevant à la source une sorte de rétro commission et en surfacturant le bien ou le service vendu à l’Etat. Ce procédé, peu musulman (pour ne pas  toujours accuser les catholiques de tous nos maux) a causé un énorme préjudice à l’Etat. Il y a peu, les « fournisseurs », sevrés par le président Aziz, lui réclamaient la bagatelle de 40 milliards d’UM d’arriérés, aussi bien pour la période de Taya que pour la « transition » militaire 2005-2007. Après étude et « appréciation » du ministère des Finances, l’Etat soumis à la règle de la continuité (en bien et en mal) aurait accepté de payer aux « fournisseurs » 15 milliards d’UM ! L’histoire s’arrête là. Disons que celle qui fait l’objet de ce billet est tout autre. Il s’agit bien de « fournisseurs » mais d’un tout autre genre.

C’est une nouvelle race d’usuriers – de « vendeurs d’argent, comme on dit chez nous – qui ont pignon sur rue aux alentours des banques et du fameux marché « Noughta Sakhina » (Point chaud), véritable royaume du téléphone portable et des cartes de recharges. Ou « cartes crédit », qui est la terminologie la plus usitée chez nous. Ces cartes sont au centre de transactions qui, aujourd’hui, font un véritable ravage au sein des fonctionnaires et agents de l’Etat.

Après avoir usé – et abusé – de toutes les combines possibles avec les banques (visas, dépassements et avances sur salaires), les clients de celles-ci se sont tournés vers les « fournisseurs » qui se chargent de les achever ! Et oui, il s’agit d’une véritable mise à mort. Imaginer un pauvre fonctionnaire qui gagne 100.000 UM par mois (250 euros) dont 50% est retenu par la banque, qui l’a « ferré » pour 36 ou 48 mois, se tournant vers un « fournisseur » qui lui procure la valeur, en cartes de recharge de 100.000 UM  à 120 mille, parfois plus. Parce que souvent Madame ignore le piège à con dans lequel son homme est allé se fourrer, ce dernier est obligé de s’endetter encore et encore pour lui donner l’illusion que le « mois est mort » et qu’il continue à percevoir son salaire de manière ordinaire. De « fournisseur » à « fournisseur » notre pauvre fonctionnaire se retrouve dans un cercle vicieux, et finit souvent en prison.

L’Etat réagit mais les banques résistent

L’Etat qui a pris conscience de l’endettement excessif de ses fonctionnaires et agents, a voulu pousser les banques à observer une sorte de règle prudentielle appliquée non pas aux entreprises mais aux particuliers, en revenant au principe qu’un client ne doit pas bénéficier de plus de trois mois de salaires payables en 12 mois avec une échéance ne dépassant pas 20%. Cette mesure objet d’une circulaire de la Banque centrale de Mauritanie (BCM) devrait être appliquée à partir du 1er janvier 2014 mais jusqu’à présent, les banques primaires qui s’adonnent à une concurrence déloyale pour attirer les clients, n’ont pas encore mis un terme à cette pratique. C’est à croire même qu’elle n’est plus à l’ordre du jour. Pour diverses raisons.

D’abord, la plupart des clients de ces banques ne pourraient pas prendre de nouveaux prêts avant deux ou trois ans, alors qu’ils avaient la possibilité de « s’abreuver » à cette « source de jouvence » à la onzième échéance payée. La banque gagne deux fois : elle récupère la mise avant terme et « re-ferre » sa victime pour qu’elle n’ait pas la possibilité d’aller vers une nouvelle banque qui lui fait miroiter des propositions plus  alléchantes. Si, par exemple, la BMCI ou la BNM offre 16 mois, Orabank ou la BPM, parce qu’elles sont nouvelles sur le marché, vous proposent 18 ou 20 !

Ici encore, les « fournisseurs » ont trouvé la formule magique de s’incruster pour fructifier leur business « pas musulman » : le rachat du crédit. Vous devez encore 1 million à une banque, le « fournisseur »  verse ce montant en votre nom, dans votre compte. Il ne vous reste plus qu’à entamer  la procédure nécessaire pour fermer ce compte de malheur et à en ouvrir un autre dans la banque indiquée par votre « fournisseur » qui aura déjà eu l’assurance que vous aurez le « maximum » possible. Là encore, le pauvre client est pris dans un autre engrenage. Souvent, le « transfert » d’une banque vers une autre prend du temps. Les formalités et l’attente d’un virement ou deux de salaires sont une occasion exploitée, judicieusement, par le « fournisseur » pour vous enfoncer encore plus : En attendant le prêt, les cartes de recharges vous sont cédées avec l’intérêt de 20% à 30% par mois, qui est, en réalité, la vraie motivation du fournisseur. Et quand ce dernier s’assure que le prêt sera tout juste suffisant pour lui payer tout ce qu’il a dépensé depuis le début de vos « relations d’affaires », il débloque la  situation, comme par miracle et, muni de son chèque, il va à sa banque – ah, pardon, à votre nouvelle banque – pour vider votre compte. Comme consolation, vous avez la possibilité de prendre des cartes de recharge et de recommencer la descente aux enfers.


Mauritanie : la bataille de la présidentielle a déjà commencé

Les présidentiables face à l'armée (photo: cridem)
Les présidentiables face à l’armée (photo : cridem)

Les Mauritaniens n’ont d’yeux que pour la tenue de la première session de la nouvelle Assemblée nationale prévue fin janvier. Certes, la configuration de la Chambre basse du Parlement est déjà connue, avec une majorité confortable pour l’Union pour la République. L’UPR qui peut, sans gêne aucune, choisir un remplaçant dans ses rangs au président sortant Messaoud Ould Boulkheir, et élire un nouveau bureau dans lequel elle aura les postes clés, mais c’est compter sans la volonté du président Aziz. Car l’enjeu de la présidence de l’Assemblée nationale, et de la formation – tant attendue – du gouvernement est ailleurs.

Dans six mois, les Mauritaniens vont retourner aux urnes pour élire un président de la République. Ould Abdel Aziz, élu en juillet 2009 au premier tour avec 52 % est donné partant. Ses soutiens les plus inconditionnels déclarent à qui veut les entendre que son bilan est largement positif et qu’il faut, pour cela, se préparer à lui assurer un second mandat.

Ceux qui prennent pour référence le résultat des élections municipales et législatives passées, pour établir un rapport le futur rapport de force se trompent de perspectives. L’enjeu local d’une élection municipale, qui a  vu naître des dissidences non négligeables au sein de l’UPR (et de la majorité de manière générale) n’a jamais eu d’incidences sur une présidentielle où le rôle des partis est atténué par la « passion » pour un homme, les considérations tribalistes, régionalistes et communautaires. Aziz semble l’avoir compris, depuis 2008, lui qui se présente comme « le président des pauvres » a volontairement poussé certains de ses soutiens à se présenter sous les couleurs de partis satellites de l’UPR. De sorte qu’une éventuelle « pression » du parti au pouvoir sur le raïs (pour la formation du gouvernement, l’occupation des postes clés et la gestion unilatérale du pouvoir) n’est plus envisageable avec une majorité parlementaire éclatée, mais unie derrière Ould Abdel Aziz.

Parer à toutes éventualités

Il reste que, comme dit le dicton, « abondance de biens ne nuit pas ». Aziz peut toujours envisager, dans la perspective de la présidentielle, d’élargir sa majorité. Des quatre partis d’opposition qui ont pris part aux élections municipales  et législatives, trois pourraient bien passer de l’autre côté, si le pouvoir présente une « offre » alléchante. L’actuel président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, ne résisterait pas, dit-on, à la tentation d’être reconduit en échange d’un soutien à Aziz, et, pourquoi pas, d’une intégration en bonne et due forme, à la majorité. La question qui reste posée est celle de savoir si l’Alliance populaire progressiste (APP) ferait ce saut seule ou avec ses autres alliés de la Convergence pour une alternance pacifique (CAP), Wiam et Sawab, et de l’AJD/MR qui n’en est pas loin considérant la ligne centriste de ces quatre formations qui sont les seules de l’opposition présentes au Parlement.

Evidemment, si Messaoud n’a de préoccupations, supposées ou réelles, que la présidence de l’Assemblée nationale, les autres leaders de la CAP, comme Boidiel Ould Houmeid, lorgnent vers la formation du gouvernement. Leur entrée dans la future équipe sera vue comme le  vrai remodelage de la scène politique nationale parce qu’elle va consacrer, à nouveau, le retour à la bipolarité et pousser la Coordination de l’opposition démocratique (COD) à envisager une candidature unique pour essayer de battre Ould Abdel Aziz en juillet 2014.


Mauritanie: Foot, politique et désillusions

Mourabitounes (Crédit photo: Maurifoot)
Mourabitounes (Crédit photo: Maurifoot)

On est tombé de très haut. Ou, disons plutôt que le miracle n’a pas eu lieu. Nos Mourabitounes sont sortis ce mercredi du CHAN sans les honneurs attendus. Une cuisante défaite 4 à 2 face aux Panthères du Gabon n’ajoute certes rien à une sentence déjà proncée depuis samedi dernier, quand ils avaient perdu bêtement leur second match, face aux Burundais, en prenant un but (de trop) à la 94ème minute. Sans doute que sans ce mauvais coup du sort, le 2-2 qu’ils tenaient jusqu’au bout, sans ces cruelles minutes de temps additionnel, allait continuer à nourrir leurs espoirs – et les nôtres – de les voir aller plus loin dans ce qui était leur première grande aventure africaine.

Pourtant, les Mourabitounes n’ont rien à se reprocher. Leur exploit contre le Sénégal était en lui-même un sacre. Leur seule faute est de nous avoir permis de rêver. Un rêve qui a coûté cher aux pauvres citoyens entraînés, malgré la précarité de leurs conditions de vie, dans une levée de fonds qui, finalement, risquent de suivre les voies insondables de la mauvaise gestion. Déjà l’on murmure que le ministre des Finances a empêché le président de la Fédération mauritanienne de football (FFRIM) de tirer quelques millions du compte spécial dans lequel les 500 millions et quelque des Mourabitounes ont été placés. Certaines mauvaises langues indiquent même que les 50 millions d’UM donnés par le président Aziz à des associations de jeunes, lors de l’ouverture du Festival des Villes Anciennes de Oulata, proviennent de ce fonds ! Ces on-dit vont même plus loin : Dans la perspective de la présidentielle de juin 2014, des politicards en panne de « bonnes idées » chuchotent dans l’oreille du Raïs que les Mourabitounes ne pouvant pas aller très loin dans ce CHAN, l’argent du téléthon peut servir comme « aliment » de bétail campagne ! Et l’opposition du ministre des Finances à l’utilisation de ce « butin » par le président de la FFRIM est toute trouvée ! Un match dans le match quoi.

Et ces colporteurs de vraies-fausses informations de faire un parallèle entre ce qui se passe dans le foot et d’autres secteurs comme la Défense, l’agriculture, les infrastructures routières et les aéroports. Un exemple parmi tant d’autres de ces financements à « usages multiples ». Le pouvoir du président Aziz décide de déterrer ce vieux projet d’aéroport international de Nouakchott. L’idée était de le faire construire en donnant le marché aux Chinois contre…la valeur en minerai de fer ! Maaouya parti, le « président démocratiquement élu » en 2007 ne peut accomplir ce deal parce que le partenaire chinois veut qu’on tienne compte du prix fluctuant du minerai de fer. Evidemment, la Mauritanie dit niet craignant de devoir donner toute sa production de fer (11 millions de tonnes) à l’insatiable ogre chinois. A l’arrivée d’Aziz, l’on maintient cette idée de « génie » mais avec une variante sur l’objet du troc : ce sera des centaines d’hectares (l’ancienne ceinture verte de Nouakchott et l’actuel aéroport) au lieu du fer de la SNIM ! Le ministre des Affaires économiques que l’on soupçonne d’être derrière cette idée permettant à l’Etat d’avoir son aéroport pouvant accueillir les plus gros porteurs et 2 millions de passagers par an, pavoise. Mais pas pour longtemps : La société Najah chargée de ce projet a vite montré ses limites. L’Etat ordonne à la SNIM de lui donner « prêter » 15 milliards d’ouguiyas ! Quelque temps après, le gouvernement emprunte auprès d’un fonds arabe quelques autres milliards pour l’équipement de cet aéroport qui commence décidément à devenir un véritable gouffre financier. Mais on pourrait me dire : quel rapport entre une équipe nationale de football qu’on « finance » avec un téléthon et un aéroport payé « cash » en terrains à très haute valeur commerciale ? Aucun en apparence. Ou plutôt si : pour ne pas avoir à satisfaire nos besoins essentiels (santé, éducation, eau et électricité), nos dirigeants éclairés nous vendent les illusions : celle d’avoir, du jour au lendemain, une équipe capable de remporter le CHAN, la CAN et, pourquoi pas, le Mondial, et un aéroport qui peut accueillir 2 millions de « Martiens » alors que, pour faire venir 200 « terristes » français au Festival de Oualata, le gouvernement mauritanien a pris tout en charge !  Des touristes qu’on paye pour venir, on ne voit ça que chez le pays qui rêve de voir son équipe gagner une coupe parce qu’elle a gagné un match !


Lettre à celle que j’ai perdue à jamais

Voilà deux ans déjà que mon ami Saheb est parti. S’il n’avait péri dans un terrible accident au Sénégal,  entre Ziguinchor et Kolda, c’est lui qui aurait probablement publié sur son propre blog cette lettre que j’ai eu le privilège de lire et d’apprécier, sur sa demande. Maintenant qu’il n’est plus là, je ne puis résister à l’envie de la partager avec vous.

Crédit photo: Artmajeur.com
Crédit photo: Artmajeur.com

« J’espère que tu liras ceci. Avec ton cœur et pas seulement avec les yeux. Je n’invente pas une histoire, comme dans un roman, je reprends des faits. Oui, j’ai échoué dans mon projet de te changer. De te porter vers cet Idéal de perfection que je croyais possible dans mes rêves comme cette réalité qui a fait croiser nos chemins un certain soir d’août 2011. Tu pouvais continuer à ne pas m’aimer vraiment mais à faire l’effort nécessaire pour me supporter. Je n’en demandai pas plus. Mon ami Lahrach dira : « à me tromper » ! Si je l’avais écouté, il y a longtemps que j’aurai mis une croix sur notre relation. Lui a manqué de patience en rompant avec toi au bout de deux mois d’une aventure amoureuse mal engagée. Et moi de courage. Je ne voulais pas reconnaître l’échec qui, pourtant, était là, dès notre seconde rencontre. Celle où lui et moi avions inversé les rôles d’amant et de témoin d’une histoire partie pour être celle de mon échec. Un échec de plus mais qui a le goût du succès, de la victoire parce que j’étais pleinement conscient, dès le début, comme Sisyphe portant   le rocher au sommet de la montagne, de la vanité de cet amour non partagé. Il fallait pourtant que je continue à t’aimer. Le défi était lancé depuis plusieurs mois et la mise avait considérablement augmenté.

A quarante-cinq ans, le bilan de ma vie était une somme d’échecs. Sur tous les plans. Rien ne m’a vraiment réussi depuis l’âge de mes vingt-trois ans, quand je débarquai à BKRS¹, ville du sud du pays où j’avais passé mes trois années du lycée. J’y retournai en tant que prof de français. Un retour sur les lieux du crime, en quelque sorte. C’est dans cette ville que j’ai commencé une longue vie de débauche, d’amours insatisfaites qui allaient faire de moi un incorrigible Don Juan. Une success story qui compense, en quelque sorte, tous les échecs qui émaillent ma vie d’éternel insatisfait.

Je raconte mes aventures avec des dizaines de femmes mais ce n’est qu’un prétexte pour parler de toi. Te parler à travers ce récit dont tu es « l’être et le néant² ». Oui, toutes ces femmes, toutes ces aventures d’inégale intensité amoureuse, ont quelque chose de toi. Elles sont le souffle que j’ai vécu durant les onze premiers mois de notre idylle. Je  retrouve en toi toutes ces femmes de conditions et horizons divers, avec leurs faiblesses mais sans la force qui a fait que tu étais sans égale. La force de cacher ton jeu, ton sentiment d’amour ou de haine, ta capacité sans pareille de passer de l’un à l’autre. Je n’ai jamais ressenti autre chose que cette impression d’ambivalence des sentiments que traduisaient les traits fins de ton visage, ton sourire innocemment joyeux et tes lèvres provocatrices à souhait.

L’ambiance de notre première rencontre était celle d’une histoire qui se répétait pour la énième fois. Celle de ce coup de foudre qui, à chaque fois, me transformait en personnage de cirque qui ne maîtrise plus ni la parole ni les actes. Une sorte de folie passagère qui s’emparait de moi, annonçait un déluge de feu dont se chargeait une parole faussement naturelle. Alors que Lahrach, mon ami qui enfilait déjà son habit de cavalier servant, follement amoureux de sa « princesse », comme il t’appelait, s’enfermait dans le silence de celui qui s’avouait vaincu, moi, je me laissais aller à cette fantasia des mots lâchés comme ça, mais qui te faisaient rire comme une enfant. Je ressentais un plaisir fou en lisant l’effet que mon cirque produisait sur toi. Je faisais comme s’il n’y avait, autour de la table garnie de plats succulents, que toi et moi. Lahrach ne comptait plus. Je sentais déjà que toi aussi, tu t’en détachais, involontairement, peut-être, inconsciemment surtout, pour suivre mon cirque improvisé uniquement pour toi.

La petite serveuse qui s’occupait de notre table avait l’air de bien te connaitre, ce qui me donnait la preuve que tu venais souvent dans ce restaurant pour petite bourgeoisie Nouakchottoise. Peut-être avec d’autres hommes qui, comme Lahrach, avaient succombé à ton charme de fille du désert et du fleuve, mélange affolant de mauresque et de noire qui ajoutait à ce que la modernité t’avait donnée comme raffinement.

Alors que Lahrach s’efforçait à entrer pleinement dans son rôle d’amant attentionné, moi je m’imaginai déjà à sa place. Dans ton cœur. Bien que rien ne me permettait encore de penser la chose possible, à part ces quelques mots échangés dans l’appartement loué la veille du retour de Lahrach de France, à 15.000 UM la nuitée.

–              Alors, tu te plais bien à Nouakchott, toi qui a passé vingt ans de ta vie en Europe, lançai-je, essayant d’attirer ton regard sur le boubou bleu ciel, tout neuf, que j’avais enfilé juste avant ta venue. Comme l’une des armes secrètes que j’allais utiliser pour te conquérir.

–              Ça va, je ne me plains pas beaucoup. C’était dur au départ, mais je m’accroche, ça ira, incha Allah. Une expression qui traduit une foi inébranlable en Dieu et à laquelle j’allai me familiariser par la suite, à chaque fois que je m’enquerrai de ta situation.

Nos regards s’étaient alors croisés et j’eus le sentiment de te voir pour la première fois, comme si nous ne venions pas du même pays, comme si je ne t’avais jamais vue des dizaines de fois avec mon ami

Lahrach. Désireux de continuer la discussion avec toi, avant le retour de celui pour lequel tu étais là, je lançai, mine de rien :

–              Alors, que faut-il pour que tu reviennes au pays ?

Sans doute surprise par ce qui ne t’apparaissait que comme une taquinerie, tu avais répondu, sans hésiter :

– Un million. Un chiffre rond qui, en Mauritanie, sortait du seuil de la pauvreté. Je m’entendis dire, « alors soit », au moment même où Lahrach ouvrait la porte, se précipitait vers toi et tentait une accolade à laquelle tu consentis timidement. Une réaction qui ne m’avait pas échappé et que j’avais interprétée comme une première faille dans cet amour encore en élaboration. Une joie intérieure me combla sans savoir pourquoi. Le sentiment peut-être qu’il y a une mince lueur d’espoir que ce que Lahrach prenait pour de l’amour ne soit qu’une simple amitié tissée sur les pages de facebook.

 1. Boghé, Kaédi, Rosso, Sélbaby. Villes du sud mauritanien.

2. Titre d’un essai de J.P Sartre


De Nouakchott à Johannesburg : Un journaliste photographe mauritanien raconte comment il a décroché son billet pour le CHAN

CH. Sokhonokho (photo: Sneiba)
CH. Sokhonokho (photo: Sneiba)

Cette histoire là je ne pouvais ne pas la raconter. Saisissante. A tous points de vue. Parce qu’elle montre à quel point la passion (ici celle du sport) peut mener. De Nouakchott à Johannesburg. En passant par Tunis et Abidjan. Un trajet des plus « tortueux » mais qui, vous le verrez dans le récit, de Cheikhna Sakhonokho, journaliste-reporter à l’AMI, s’explique par les conditions extravagantes de ce voyage de Nouakchott à Johannesburg où les Mourabitounes sont engagés, pour la première fois, dans leur histoire, dans une phase finale du CHAN.

Cette histoire montre surtout qu’en Mauritanie, il y a des femmes et des hommes de bonne volonté. A l’image du directeur général de l’Agence nationale de l’aviation civile (ANAC) et de la maire de Tevragh-Zeina qui ont « sauvé » le CHAN de ce journaliste accrédité par la CAF et par la FFRIM, quand cette dernière et le ministère de la Culture, de la jeunesse et des sports se sont dérobés à la dernière minute ! Sous prétexte que l’argent manque, alors que le gouvernement mauritanien venait de procéder à une levée de fonds qui a permis de récolter plus de 500 millions d’ouguiyas destinés à financer la participation des Mourabitounes au CHAN et aux éliminatoires de la prochaine CAN.

Le geste du directeur général de l’ANAC, Aboubekrine Seddigh Ould Mohamed El Hacen, et de la maire de Tevragh-Zeina, Fatimetou Mint Abdel Malek, envers ce reporter sportif d’un milieu social différent, montre que la cohabitation est bien possible. Il faut seulement arriver à un degré de conscience qui permet de dépasser cette vision des choses en « noir et blanc » et parvenir à nous dire que le jour où il n’y aura plus qu’UN mauritanien, comme j’aime à le répéter souvent, nos problèmes de cohabitation seront réglés. Mais trêve de discours ! Donnons la parole à Cheikhna Sakhonokho, rencontré par hasard à l’aéroport de Tunis-Carthage, pour qu’il livre lui-même le récit de son Odyssée.

« Tu sais Sneiba, je dois d’être là, en route pour l’Afrique du sud, à trois personnes : Abdoulaye Diagnana, patron de la radio privé Kass Ataya émettant depuis Paris, le directeur général de l’Agence nationale de l’aviation civile (Anac), Aboubecrine Seddigh Ould Mohamed El Hacen, et la maire de Tevragh-Zeina, Fatimetou Mint Abdel Malek. La FFRIM et le ministère de la culture, de la jeunesse et des sports, m’ont fermé toutes les portes après avoir choisi les journalistes qui devaient accompagner les Mourabitounes en Afrique du sud. Mon accréditation par la CAF et mes états de services, dont cinq participations à la CAN, n’ont pas plaidé en faveur de ma cause.

C’est par un heureux concours de circonstances que j’ai rencontré le directeur général de Kassataya au forum de la diaspora tenu au palais des congrès de Nouakchott. Je ne sais qu’est ce qui m’a poussé à lui parler de mon voyage raté en Afrique du sud mais il m’a  fait entrevoir aussitôt une lueur d’espoir en me disant, après avoir longuement écouté mes plaintes et complaintes : « je vais voir ce qui peut être fait ». Et puis, voyant le directeur général de l’Anac devisant avec des invités à quelques pas de là, il se dirigea vers lui, l’attira à l’écart et l’entretient de mon cas. L’objectif, à ce stade, était de me procurer un billet aller-retour Nouakchott-Johannesburg coûtant plus de 700.000 UM (environ 2000 euros. Le patron de l’Anac me demanda une lettre de requête émanant d’une institution officielle. Tout de suite, j’ai pensé à la maire de Tevragh-Zeina, présidente d’honneur d’un club de football de la capitale pour lequel j’avais souvent réalisé des reportages-photos. C’est elle-même qui rédigea la demande adressée à l’Anac et me remit 100.000 UM, pour mes frais de route.

C’est le directeur général de l’Anac qui fit le reste. Le représentant local de Tunisair accepta de me délivrer un billet Nouakchott-Tunis-Abidjan et Abidjan-Tunis-Nouakchott, s’excusant pour le reste du trajet, leur compagnie n’ayant pas de desserte vers l’Afrique du sud. C’est donc l’Anac qui paya le reste, entre Abdjan et Johannesburg. »

L’important dans cette histoire n’est pas que Cheikhana Sakhonokho fasse partie de l’aventure sud-africaine des Mourabitounes. Il y a trois millions de mauritaniens qui n’ont pas eu cette chance. Mais j’ai voulu souligner ici un fait pas fréquent dans une Mauritanie où les tensions sociales se déclinent en noir et blanc : Un journaliste écarté du voyage, probablement parce qu’il est noir, se fait aider par des compatriotes blancs ! Une sorte de « réparation » qu’on aimerait voir se multiplier, dans les deux sens, et servir de socle à une Mauritanie UNE et Indivisible.


Tribus, ethnies et pouvoir en Mauritanie de Philippe Marchesin en arabe

Traduit par Mohamed OuldBouleiba

Couverture du livre de F. Marchesin traduit en arabe (photo: M. Bouleiba)
Couverture du livre de P. Marchesin traduit en arabe (photo: M. Bouleiba)

Après  la traduction des  textes des explorateurs : Mage, Doulse et Vincent, et Voyage à l’intérieur de l’Afrique de Mongo Park,  Pierre Bonte, l’Emirat de l’Adrar, de l’ouvrage de F. de Chassey la Mauritanie 1900 – 1975 », vient le livre de Philippe Marchesin  Tribus, Ethnies et Pouvoir en Mauritanie (janvier 2014). Son tirage a bénéficié du soutien du Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France en Mauritanie, l’Université de Nouakchott, et la CNAM dans le cadre du projet initié par Pierre Bonte et Mohamed Ould Bouleiba en 2009 sur « L’islamisation et arabisation de l’ouest-saharien, anthropologie, littérature et histoire les récits d’origine ».

Le choix des trois auteurs universitaires concernés se justifie d’abord par les citations de leurs travaux dans la littérature scientifique concernant la Mauritanie.  La référence à ces ouvrages s’explique, par la synthèse qu’ils présentent, dans des disciplines diverses et s’agissant de périodes différentes, des données concernant l’ensemble de la Mauritanie ou d’une partie significative des recherches concernant ce pays. L’intérêt de la traduction de ces ouvrages réside donc d’abord dans la complétude des informations qu’iles sont susceptibles de fournir sur les recherches en sciences humaines et sociales aux chercheurs mauritaniens arabophones et aux étudiants intéressés par les recherches sur leur pays et soucieux de contribuer à leur développement.

Le choix de ces trois auteurs se justifie aussi par la diversité des travaux  qu’ils ont menés. Ils illustrent trois approches disciplinaires différentes quoique complémentaires.

Pierre Bonte est un anthropologue qui a consacré de longues études aux structures sociales et politiques héritées de la période précoloniale et coloniale. Son travail sur l’émirat de l’Adrar se situe au confluent de l’anthropologie et de l’histoire et, tout en ayant une forme monographique, aborde la plupart des grandes questions intéressant la société Bidhân, dans ses héritages et ses mutations présentes.

Francis de Chassey est un sociologue qui s’intéresse au système éducatif et à la formation des « élites » dans la Mauritanie de la décennie suivant l’indépendance. Son ouvrage dresse un tableau d’ensemble des travaux sociologiques, encore réduits il est vrai, en cette période suivant immédiatement l’indépendance, et il porte un regard nouveau sur un pays qui n’était connu que par les travaux, eux aussi réduits, publiés durant la période coloniale.

Philippe Marchesin est un politologue qui développe la première synthèse concernant la vie politique mauritanienne après l’indépendance. Celle-ci n’est plus appréciée du simple point de vue des institutions ou de l’histoire politique, mais dans son inscription dans la société, en pleine mutation, issue de l’indépendance. Le poids des structures « traditionnelles » est considéré dans la perspective de l’ordre politique moderne et des difficiles fondations d’une unité nationale.

Recherches de terrain

Ces trois ouvrages ont en commun de s’appuyer sur des recherches de terrain approfondies qui illustrent par ailleurs les problématiques, épistémologiques et méthodologiques, de quelques-unes des disciplines principales des sciences humaines et sociales, sans perdre de vue la perspective pluridisciplinaire qui reste l’objectif globalisant des recherches en ce domaine.

Une part importante de la littérature dans le domaine des sciences sociales et humaines a été publié en français – dans une moindre mesure en anglais – par des auteurs étrangers qui ont, depuis l’indépendance, consacré de longues recherches à la Mauritanie et contribué à la définition des problématiques scientifiques dans les domaines les plus divers. L’enseignement qui, dans ce pays, est pratiqué de plus en plus prioritairement en arabe, y compris à l’université, rend difficile l’accès des chercheurs nationaux à des travaux qui ont pourtant fortement concouru à l’élaboration des paradigmes sur lesquels s’appuient pour une part leurs propres recherches. De manière plus générale, les outils éditoriaux manquent encore en langue arabe qui leur facilite l’usage des concepts et des méthodes dans les disciplines des sciences sociales et humaines. Ce constat est à l’origine du projet de traduction d’ouvrages en français, portant sur la Mauritanie, qui favoriserait cette accessibilité linguistique et le développement des recherches nationales en ces domaines.

Mohamed Bouleiba, critique littéraire mauritanien
Mohamed Bouleiba, critique littéraire mauritanien

La traduction de ces ouvrages écrits par d’éminents universitaires et chercheurs français ayant vécu  longtemps parmi nous et, surtout, ayant exploré un immense trésor de documentation d’origines et d’approches  variées a le mérite de mettre à la porté  du lecteur arabophone mauritanien  des études  aussi riches que variées sur son pays. Ecrits par des étrangers,  sous forme d’études et  de recherches sur la société mauritanienne, ces  livres ont l’avantage aussi de briser certains tabous souvent embarrassant pour les chercheurs et les écrivains mauritaniens.

        Malgré l’effort  louable, le niveau des analyses, la richesse de la documentation, certaines  lacunes peuvent paraitre ça et là pour un lecteur averti, doté d’un esprit  critique, d’une connaissance de la société  et de son histoire. Cela nous donne, nous mauritaniens, l’occasion et l’impulsion pour réécrire notre histoire et étudier notre société. La publication de ces traductions et éventuellement d’autres en perspective, s’inscrit dans le cadre d’un projet qui vise, entre autres objectifs, de doter nos chercheurs arabophones d’une documentation de référence. La traduction du livre de Marchesin « tribus ethnies et pouvoir en Mauritanie»  est d’une importance capitale car, « un rapide survol de la bibliographie révèle la carence d’approches synthétiques sur les phénomènes du pouvoir en Mauritanie jusqu’au début des années soixante-dix ».

Présentation des livres

Reparti sur onze  chapitres et divisé en trois parties  le livre de Philippe Marchesin  retrace l’histoire politique de la Mauritanie en analysant les rapports entre tribus, ethnie et pouvoir. La première partie est intitulée société et  pouvoirs traditionnels et comporte trois chapitres. Dans cette partie, l’auteur  présente les sociétés traditionnelles maure et négro-africaine dans le but  de jeter la lumière sur les racines de la société et de l’Etat mauritanien. Il consacre le premier chapitre à  l’étude de l’ensemble maure, son histoire, l’influence de l’environnement et ses conséquences économico-sociales, la stratification sociale et le pouvoir politique, l’islam comme fondement des valeurs sociales.

Dans le deuxième chapitre consacré au « pays des noirs » il est question des données économiques, de la stratification sociale, du pouvoir politique et de l’islam et de l’impact  de la colonisation. Quant au troisième chapitre, il est axé sur une comparaison entre les sociétés traditionnelles maure et negro- africaine, une comparaison qui fait ressortir les traits communs mais aussi les différences, les rivalités et la complémentarité.

La deuxième partie du livre est intitulée la genèse de l’Etat, un Etat à polarisation variable.  Dans cette partie il est question des élections de 1946, des élections de 1951, de la création de l’Etat (1956 -1961) , des menaces extérieures : le projet de l’OCRS, le «  grand Maroc », le régime de Moctar Ould Dadah, du processus de concentration du pouvoir, le conflit sur la forme de l’Etat, le parti Etat, la primauté du parti sur l’Etat, la tension ethnique et la liquidation de « la tentative de l’Etat national, le conflit social et sa récupération, de la guerre du Sahara et ses conséquences, de l’effritement des soutiens de Moctar et le coups d’état du 10 juillet 1978.

         A partir de 1978, « coups d’Etat, révolutions de palais, tentatives de putsch se succèdent à un rythme élevé ». C’est une période d’instabilité politique, « quelques années suffisent aux militaires mauritaniens pour établir un des plus fameux records d’instabilité de l’histoire mouvementée des régimes politiques africains contemporains » : Moustapha Ould  Mohamed Salek, Ahmed Ould Bouceif, Mohamed Khona Ould Haidala, Maaouya Ould Taya. En  plus de cette instabilité, cette période a connu un regain du fait tribal. « A dire vrai, le tribalisme étant une donnée permanente de la vie politique mauritanienne, il s’agit plus de l’accentuation de certaines pratiques tribales depuis 1978 que de la soudaine résurgence de comportement de type traditionnel. Le fait tribal a toujours existé sous le régime de Moctar Ould Dadah mais ses manifestations étaient relativement discrètes. »

Le dernier chapitre de cette deuxième partie est consacré à la nature de l’Etat. Ici, l’auteur s’attache  à  établir la prépondérance  et l’actualité du fait tribal  dans la vie politique mauritanienne en s’appuyant sur les données statistiques.

Dans la troisième partie intitulée «  positions de pouvoir », P. Marchesin consacre le  chapitre aux acteurs de la domination dans lequel il parle de la bureaucratie, les milieux d’affaires, de la nature de « la classe dominante » et des scenarios de la recherche hégémonique. Le deuxième chapitre de cette partie est consacré  aux modes d’exercices de la domination où il est question de la coercition, des biens symboliques ou la légitimité, des biens et services matériels.  Le troisième chapitre de cette partie brosse un tableau des groupes et mouvements politiques que la Mauritanie a connus depuis son ouverture sur la vie politique moderne jusqu’au milieu des années 90.

Quant au dernier chapitre, il est consacré aux modes populaires d’action politiques qui traduisent « la revanche  » de la société sur l’Etat  à travers les mouvements de contestation. Dans ce chapitre, l’auteur analyse aussi les tactiques populaires avant de passer à la conclusion. « L e premier élément de conclusion qui s’en dégage  a trait, outre l’importance plus que jamais cruciale du facteur ethnique, à la « réhabilitation du fait tribal  ».

Philippe Marchesin est un spécialiste des relations Nord-Sud, tout particulièrement des questions de coopération et de développement. L’originalité de son approche est de mêler réflexion théorique et longs séjours de terrain. Il a ainsi enseigné pendant une dizaine d’années en Mauritanie (ENA et faculté de droit de Nouakchott), Turquie (Université de Galatasaray) et Biélorussie (faculté franco-biélorusse de science politique).

      Maitre de conférences au département de science  politique de la Sorbonne (Paris1),  Philipe Marchesin  est un ancien professeur de l’ENA de Nouakchott  de 1983 à 1987, durant son séjour en Mauritanie son travail de thèse s’est appuyé sur la fréquentation assidue des archives où il s’est rendu quasi quotidiennement pendant deux ans. La thèse était également basée sur une enquête concernant les catégories dirigeantes pour laquelle le concours d’étudiants de l’ENA et  de l’université (notamment Diop Mamoudou, Ba Yacouba Aboubacry et tout particulièrement Abdel Nasser Ould Ethmane Sid Ahmed Yessa) a été déterminant. Il s’est également entretenu avec plusieurs scientifiques (entre autres Mohamed Ould Sidia) et acteurs politiques mauritaniens.

Son séjour s’est terminé un peu plus tôt que prévu après la soutenance du mémoire d’Abdel Nasser Yessa sur l’opposition politique en Mauritanie. Les autorités mauritaniennes et françaises lui ont reproché d’avoir dirigé un travail qui comportait en annexe des tracts de certains mouvements politiques interdits (notamment le manifeste du négro-mauritanien opprimé). Ce texte avait conduit les personnes qui le possédaient en prison. On lui a donc trouvé très rapidement un billet d’avion pour quitter la Mauritanie et, le jour de son départ, l’ambassadeur de France est venu à l’aéroport constater qu’il quittait bien le pays.

C’était une période très intéressante pour Marchesin où l’on sentait les prémices de ce qui allait devenir le printemps démocratique africain à partir du discours de la Baule et des conférences nationales. Son intention était de s’inscrire dans ce mouvement et surtout de contribuer à libérer la parole et exposer la réalité des choses. Sur le plan anecdotique, Monsieur Marchesin se souvient avoir reçu quantité de témoignages positifs dans la rue juste après cette affaire. Il sentait bien que les gens étaient demandeurs de plus de transparence et de participation.


Autour d’un thé : La « re-traite » d’un général qui prend sa retraite

Général à la retraite, Ndiaga Dieng (photo: Chezvlane)
Général à la retraite, Ndiaga Dieng (photo: Chezvlane)

Une ancienne année s’achève. Une nouvelle commence. Ainsi va le monde. Un va-et-vient incessant. Une sorte de cercle vicieux quoi où tout va et revient. Incessamment. Il n’y a que de la mort dont on ne revient plus. Pas de la retraite. Le tout nouveau général qui vient d’être admis à la retraite n’est pas totalement parti. Il est juste devenu un personnage ordinaire. Un général généralisé, comme le commun des mortels, n’aura plus droit à porter, sur sa poitrine ou ses épaules, ces adorables petits insignes qui le différenciaient des autres. Mais n’ira pas loin des casernes, puisqu’on peut toujours avoir besoin de lui. Les frères d’armes, on ne les oublie pas. D’ailleurs, ce n’est même pas prudent de les oublier. Si Taya est parti en 2005, c’est qu’un ancien officier oublié a fait irruption en 2003. Les anciens officiers, c’est comme des volcans. Ils peuvent dormir ou faire semblant, mais quand ils se réveillent, surtout s’ils sont sans le sou, chet ! Ils peuvent être dangereux. Mani (littéralement : « je t’ai dit », en wolof), gay’ i (ces gens-là), dafagraw (c’est grave).

Voilà pourquoi, depuis 2008, aucun officier n’est abandonné au hasard. Recyclage, systématique, en directeurs généraux de sociétés de gardiennage avec lesquelles les établissements publics sont obligés de passer contrats, parfois exagérés. Une façon de calmer les ardeurs et de gérer les ambitions. Alors, mon général retraité, ne t’inquiète pas ! Comme tu es du fleuve, tu auras ta société de séchage de poisson, de traitement de mil ou de sorgho, sinon tu deviendras haut cadre civil, à la gendarmerie, à la douane ou à la Sonimex. Des boîtes que tu connais bien. Peut-être, même, que tu pourras devenir un « grand quelque chose », politiquement parlant, grâce à la loi du dosage. La tête pour les Maures. Le cou pour les Harratines. La carcasse pour les Négro-Africains. Les officiers ne quittent l’armée que pour y revenir. Plus discrètement. La veste, le boubou, le turban noué au cou, tout ça, c’est de la diversion. Quand on devient militaire, on meurt militaire. Et un général, c’est pas n’importe quel militaire ! Même retraité, il vaut ce qu’il vaut. Amin…

Sneiba El Kory (Le Calame)


Les Arabes et la contre-révolution du nouveau pharaon Al-Sissi

Al Sissi et Nasser "Les grands d'Egypte" (photo : google)
Al-Sissi et Nasser « Les grands d’Egypte » (photo : Google)

Inutile de continuer à gloser sur le « printemps arabe » qui, à mon sens, est un mensonge de plus. Comme les négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens. Comme les démocraties en Afrique. Comme les décisions – résolutions – de ce « machin » de l’ONU. Comme le désordre que les grands de ce monde veulent instaurer comme l’Ordre mondial ! Comme tout ce qui fait aujourd’hui que nous vivons des crises partout.

L’Egypte, le plus grand pays arabe (du point de vue démographique et militaire), est en train de refaire l’histoire. Elle était au commencement de celle-ci, elle veut être au milieu et à la fin. La fin du « printemps arabe », en Egypte, avec le retour de l’armée au pouvoir, constitue-t-elle la fin de l’histoire ? Autrement dit, pour transposer la réflexion de Francis Fukuyama, qui affirmait que « la fin de la Guerre froide marque la victoire idéologique de la démocratie et du libéralisme (concept de démocratie libérale) sur les autres idéologies politiques », la destitution du président Frère musulman Mohamed Morsi à la faveur d’une mobilisation populaire sans précédent, par le général Abdel Fattah Al-Sissi met-elle fin à ce qui n’aura été qu’un intermède dans le long règne de l’armée dans un pays clé, du point de vue, géostratégique, pour la stabilité du Moyen-Orient ?

Je ne le pense pas. L’histoire de l’Egypte est faite de périodes de stabilité qui alternent avec des bouleversements sans conséquence. Le coup porté aux Frères musulmans, aussi dur soit-il, n’est pas le premier du genre. Le profil bas qu’ils adoptent, face à la  répression, ne signifie pas une capitulation, mais seulement une sorte de « repli stratégique » pour contrer plus énergiquement le retour des Pharaons.

J’entends par là que la situation en Egypte, loin de rassurer, doit constituer une source de préoccupation pour les puissances occidentales qui l’observent et s’en délectent même. Elle constitue un parfait démenti pour leur soi-disant combat pour la démocratie et les droits de l’homme. L’islamisme ambiant en Egypte, en Tunisie et en Syrie est appelé à creuser sa propre tombe par ses pratiques inappropriées du pouvoir et ce n’est pas à une contre-révolution sanglante menée par des hommes qui s’accrochent au pouvoir (Al-Sissi et Bachar) qu’il faut espérer pour sauver les apparences.

La situation en Egypte peut être interprétée comme une sorte de blanc-seing donné au nouveau pharaon Al-Sissi pour la restauration du régime de Moubarak chassé du pouvoir le 11 février 2011. Mais elle est surtout la renonciation à un processus de démocratisation qui devait aligner les pays arabes (et africains) sur la rédemption politique qui a gagné l’Europe de l’Est suite à la chute du Mur de Berlin en 1989.

Dans les pays arabes où le « printemps arabe » n’a pas eu lieu, on se félicite de l’échec de cette « expérience » en Egypte, en Tunisie et même en Libye. Les gouvernants qui craignaient de perdre leur trône montrent du doigt ces pays où les islamistes ont, soit semé la désolation, soit montré leur incapacité à s’adapter aux règles de la démocratie qui leur a permis de conquérir le pouvoir.

C’est sur cette corde très sensible que le parti au pouvoir en Mauritanie, l’Union pour la République (UPR), joue admirablement bien pour contrer les islamistes de « Tawassoul », idéologiquement liés aux Frères musulmans d’Egypte et à Nahda en Tunisie. Le mouvement du 25 février, « printemps arabe » mauritanien avorté en 2011, n’a donc aucune chance de ressusciter tant que les islamistes égyptiens n’auront pas réussi à reprendre la main. Une hypothèse non envisageable à court terme si l’on comprend très bien les assurances occidentales, certes non déclarées, qui ont permis au général Al-Sissi  de déclencher les mécanismes de la terreur militaire pour contrer ceux de la terreur islamiste qu’il a fini par présenter comme une variante du terrorisme.


Autour d’un thé : gabegie, la presse aussi ?

HAPA (crédit photo: Saharamedias.net)
HAPA (crédit photo: Saharamedias.net)

Nul ne meurt sans avoir eu son jour, de gloire s’entend. Vieille sagesse populaire. La vie, c’est connu, a ses hauts et ses bas. Ses fonds et ses tréfonds. Même pour la presse.

Cette donneuse de leçons. Cette nageuse en eaux troubles. Cette prétentieuse qui se permet, à tout va, d’arrondir les angles, par-ci, et redresser les dysfonctionnements des oueds, par-là. Elle n’est, ce faisant, pourtant que dans son rôle. Mais il faudrait qu’elle s’assure que, devant sa case, tout est propre.

Vraiment clean. Du dedans. Du dehors. Les hommes, pour les mettre à l’épreuve, ce n’est ni à travers ni prière, l’endurance, le jeûne, la privation, l’injustice, encore moins les voyages.

Mais à travers l’argent. Pour tester cette honnêteté présumée ou réelle, pour mettre à l’épreuve les principes maintes fois ressassés dans les éditoriaux et autres articles pompeux, il n’y a que le nerf de la guerre qui puisse valider la bonne foi et la croyance profonde en ces vertus régulièrement déclamées.

Naturellement : Ta main est de toi, même si elle est paralysée et ton nez est de toi, même s’il n’est pas bien « tracé ». Mais il est foncièrement indécent de dire une chose et de faire son contraire. L’argent public, c’est l’argent public. Pas plus, ni moins. Qu’il provienne d’une commission ou d’une affaire traitée sous table.

Qu’il provienne de manipulations issues de la mise en œuvre d’un projet ou de faveurs indues, soutirées à des établissements, ou de perfides manœuvres, machiavéliquement organisées par un groupe de spécialistes, carnassiers invétérés de la chose publique. L’argent public reste l’argent public.

Qu’il soit destiné aux gens de Bouratt¹ ou aux quartiers précaires de Nouadhibou, via la zone franche, ou aux anciens esclaves, par le biais de l’agence Tadamoun², ou à de proches parents et beaux-frères, par le truchement de partis politiques conjoncturels, l’argent public est toujours de l’argent public.

Qu’il soit ravagé par un président, un ministre, un général, un super directeur, un mini directeur, un comptable, un fonctionnaire ordinaire ou un journaliste. L’argent public n’a d’autre nom que l’argent public. L’IGE, la Cour des comptes, les organes internes de contrôle des ministères n’ont leur raison d’être que lorsqu’ils sont prompts à le poursuivre là où il est entré.

Dans la poche (comme dit l’artiste Ebeïbe Ould Nana). Dans les comptes. Dans le portefeuille de madame. Ou blanchi en villas cossues, troupeaux de luxe qui ne servent, par la grâce d’Allah, qu’à fortifier le cou des bergers et la musculature de leur progéniture ou à fonder banques et sociétés-écran susceptibles d’assurer une retraite, paisible, à une peuplade de fonctionnaires civils et militaires véreux ayant échappé à toute poursuite. En moins d’un mois, dame Presse est impliquée dans deux scandales.

A tort ou à raison. En tout cas, comme le dit si bien l’adage : « La médisance, même si elle ne colle pas, laisse, quand même, une cicatrice ». Avec ces accusations, fausses ou avérées, l’institution de la presse est honteusement entachée. Pour juste quelques millions.

Pour juste quelques prébendes, touchées, discrètement, quelque part en un misérable bureau de renseignements, devant la porte dérobée d’un ministère ou d’un service sans nom d’une certaine présidence. La Mauritanie est toujours le pays du million de quelque chose. Elle était, jusque-là, le pays des poètes.

Elle est devenue, aussi, le pays d’un million d’ONG, le pays d’un million de journalistes, le pays d’un million de partis politiques, le pays d’un million de mendiants, le pays d’un million de chômeurs, le pays d’un million de putschistes, le pays d’un million de vendeurs de cure-dents, le pays d’un million d’Arabes, le pays d’un million de Berbères, le pays d’un million de Négro-Africains, le pays d’un million de Harratines, le pays d’un million de sages, de corrompus, de menteurs, de tricheurs, de Saints et de Satans…Renversement de rôle. C’est très habituel, en Mauritanie. La presse chahutée.

La démocratie par l’armée. Les civils sur le front ! De la décrépitude, du mensonge et du dédoublement. En avant, marche !

 Sneiba El Kory (Le Calame)

 1. Localité réputée la plus pauvre en Mauritanie.

2. Tadamoun: Solidarité: Agence gouvernementale pour lutter contre l’esclavage .


Téléthon : L’utile et le futile

Ahmed Ould Yahya, président de la FFRIM(photo: Maurifoot)
Ahmed Ould Yahya, président de la FFRIM(photo: Maurifoot)

Le téléthon destiné à lever des fonds pour les Mourabitounes a provoqué un véritable « mayloumak yal warrani ». Une sorte de « gare au dernier » suscitée par l’appel lancé par le président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, pour soutenir « l’expédition » sud-africaine de l’équipe nationale de football au CHAN, compétition continentale réservée aux locaux.

Au risque de choquer, je dirai que je n’ai pas pris part à cette « mobilisation » nationale. Parce que, comme l’a dit si bien Belinda Mohamed, les mauritaniens ont raté pas mal d’occasions pour :

 

« Pour les Malades couchés dans les hôpitaux qui n’ont pas de quoi se soigner ?

Pour les Enfants non Scolarisés ?

Pour les Quartiers encore inondés d’eau ?

Pour la réhabilitation de structures bien concrètes et en place (stades) ?

Pour la réhabilitation de classes d’écoles ?

Pour créer un fonds d’accès au Microcrédit ? »

Question : pourquoi toutes ces occasions ratées ?

Parce qu’il s’agissait de batailles perdues d’avance ? Et que les Mourabitounes n’ont rien à perdre dans cette aventure sud-africaine ? Ne dit-on pas qu’ils ont déjà beaucoup fait ? Etre parmi les 16 équipes finalistes, en éliminant le Sénégal, c’est déjà pas mal. Surtout que c’est une première dans l’histoire du foot national. Même si le CHAN n’est pas la CAN.

Les mauritaniens ont mobilisé les fonds un peu forcés quoi. L’auraient-ils fait si volontiers sans l’appel du Raïs, depuis le palais des congrès où se tenait le Séminaire des compétences et expertises Mauritaniennes ? J’en doute fort. Mais le résultat est là : plus de 300 millions d’ouguiyas (1 million d’USD) pour renflouer les caisses de la FFRIM !

Les hommes politiques, les hommes d’affaires et les mauritaniens lambdas qui ont défilé à la TVM, quarante-huit heures durant, savaient pertinemment qu’ils faisaient un « placement ». On ne fait rien pour rien surtout quand le sport est mangé à la sauce politique, au sortir d’élections municipales et législatives à l’issue desquelles un nouveau gouvernement devra être formé. Alors, comme beaucoup de mes compatriotes qui font le distinguo entre l’utile et le futile, je dis, Téléthon d’accord mais pourquoi le foot exactement ?

 

 


Mauritanie : L’UPR assure une majorité confortable au parlement

Le président de la Ceni annonçant les résultats du second tour (photo: Elhourriya)
Le président de la Ceni annonçant les résultats du second tour (photo: Elhourriya)

Les rideaux viennent d’être tirés sur ce qui passe pour être l’élection la plus longue et la plus controversée de l’histoire « démogâchique » de la Mauritanie. Même au temps du président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya qui a passé vingt ans au pouvoir (1984-2005), jamais une élection n’a réussi « l’exploit » de rendre l’avis de l’opposition et la majorité unanime. Sur le désordre qui l’a caractérisée ! Mauvaise préparation, manque de moyens, manque de transparence, suspicions et retard dans la proclamation des résultats sont les principaux reproches qui ont fusé de part et d’autre. Même du côté de l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir, qui a sans doute paniqué au premier tour, en ne parvenant à remporter qu’une seule capitale régionale (Tidjikja) sur les 13 que compte le pays ! Et ce malgré le boycott de 10 partis de l’opposition qui avait laissé penser que les élections municipales et législatives ne seraient qu’une promenade de santé pour l’UPR. Avec 52 sièges de députés gagnés au premier tour, l’UPR avait encore besoin d’en rafler 22 autres pour ne pas avoir à s’appuyer sur ses alliés de la majorité présidentielle en vue de former le futur gouvernement. Et c’est maintenant chose faite. Le parti au pouvoir arrive largement en tête, à l’issue du deuxième tour, avec 74 députés (50.34%) devançant de loin le parti Tawassoul (Islamistes) qui pointe à la deuxième place avec seulement 16 députés (10.88%). Les quatre formations d’opposition qui ont pris part à ces élections municipales et législatives totalisent 37 sièges (25.16%), exactement le même nombre d’élus que les 12 autres partis de la majorité présidentielle qui joueront le rôle d’appoint pour le parti au pouvoir.

Configuration différente mais…

L’Assemblée nationale mauritanienne – enfin élue avec deux années de retard – est différente, dans sa configuration, de celle qui n’a plus d’existence légale à partir de ce 23 décembre, date de proclamation des résultats du deuxième tour. Certes, la majorité continuera à maîtriser le jeu au sein de l’hémicycle, à faire passer les projets de lois présentés par le gouvernement,  mais elle ne répondra plus aux règles de la Bipolarité.  Les partis alliés de l’UPR feront entendre leur voix, demanderont à être impliqués dans la gestion des affaires et, s’ils ne sont pas écoutés, pourraient très bien envisager, avec l’opposition, une motion de défiance, ou même de censure. C’est dire que l’assurance du secrétaire exécutif chargé des affaires politiques au sein du Directoire de l’UPR, Mohamed Mahmoud Ould Javaar, peut être mise sur le compte d’une euphorie passagère, suite aux bons résultats du parti à ces élections mais le plus difficile est de gérer les conflits d’intérêts, je dirai de proximité, avec le pouvoir. Les soutiens se monnayent et ils coûtent plus chers en période de crise politique qui fragilise les gouvernements. Le président de la République, Mohamed Ould Abdbel Aziz, a pris les devants, en annonçant, le jour du vote, que la formation du futur gouvernement n’est pas liée aux résultats de ces élections municipales et législatives, mais tout le monde sait qu’il a pris l’habitude de surprendre les mauritaniens par des décisions inattendues. Et on imagine mal comment il peut maintenir un gouvernement dont la popularité de certains membres a été mise à rude épreuve par ces élections.

 

Répartition des 146 sièges de l’Assemblée

RangParti1er tour2eme tourTotal%
1UPR52227450,34
2Tawassoul1241610,88
3Al Wiam82106,80
4APP7074,76
5Karama6064.08
6UDP6064.08
7AJD/MR4042.72
8Sursaut4042.72
9RAVAA3032.04
10PRDR3032.04
11PUD3032.04
12Vadhila3032.04
13ISLAH1010.68
14Justice et démocratie1010.68
15El Wihdawi1010.68
16Al karama wal Amal1010.68
17Al Assala1010.68
Total* 1162814499.32

*La date du second tour pour élire les 2 députés d’Atar, objet d’un recours auprès du Conseil constitutionnel, doit être fixée ultérieurement.

UPR : Parti au pouvoir

APP : Partis d’opposition

Karama : partis de la majorité


Al Ahmady : Histoire d’un hôtel qui ne veut pas mourir

Al Ahmady, côté plage (photo: Sneiba)
Al Ahmady, côté plage (photo: Sneiba)

Hôtel Al Ahmady ou, plus familièrement pour les Nouakchottois de ma génération, Hôtel Didi du nom de son propriétaire, connu aussi pour être l’un des premiers journalistes mauritaniens. Si j’en parle aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un établissement fréquenté par les touristes – d’ailleurs très rares en Mauritanie depuis que le pays a été classé dans la zone rouge, en 2007, par le Quai d’Orsay – mais pour raconter l’histoire d’un hôtel qui refuse de mourir. Bien qu’il soit fermé depuis près de trente ans !

Comme je le fais chaque vendredi ou samedi, jours de repos en Mauritanie, je roule doucement sur la route reliant le Wharf de Nouakchott à la Plage des pêcheurs, le regard rivé sur les centaines de Nouakchottois qui, comme moi, ont fui le tumulte de la ville pour passer un moment de tranquillité sur ce qui est pour tout habitant de la capitale « LA plage ». Une appellation qui date sans doute de l’époque des premiers hôtels de Nouakchott : Al Ahmady (hôtel Didi), bien sûr, situé à quelque deux kilomètres à l’ouest du Wharf de Nouakchott, hôtel Diama (ou Diamant, je ne sais plus comment on prononçait le nom de cet établissement dont ne reste plus aujourd’hui que les vestiges) et hôtel Sabah, à deux cents mètres à peine de la Plage des pécheurs où la Coopération japonaise a construit un marché de poisson devenue une sorte de « bourse alimentaire » et de moyen de survie pour beaucoup de jeunes mauritaniens sans emplois.

Arrivée au niveau de l’hôtel Didi, mon attention est attirée par le nombre impressionnant de personnes qui entrent ou sortent dans un établissement qui avait fermé ses portes depuis plus de trois décennies. Cela ramena en moi des souvenirs du « bon vieux temps », comme on dit.  Un ado m’informe que les Nouakchottois venus en familles ou en groupe de jeunes apprécient ce côté de la plage où un bateau échoué sur les sables fin, on ne sait ni quand ni comment, avait acquis le surnom de « titanic » du nom du film mythique de James Cameron, sorti en 1997. J’ai alors voulu, pour la première fois, visiter cette plage, et pas une autre, en me dirigeant vers la grande porte d’entrée de l’hôtel. Mais à ma grande surprise, un homme se précipite et place un bidon d’huile vide au beau milieu de la porte, m’obligeant à m’arrêter. Et sans attendre, il me dit d’une voix autoritaire : « 200 UM ». J’ai failli éclater de rire à l’annonce de ce péage inattendu. Moins d’un euro pour accéder à la plage « privée » d’un  hôtel abandonné ! Décidément, les Mauritaniens ont le sens des affaires.

Je sais pourtant moi que ce n’est pas Didi, le propriétaire de l’hôtel, qui a imposé ce « droit de passage » vers la plage. L’homme est connu pour sa générosité légendaire. Je me rappelle que, venu en 2005 dans son imprimerie pour demander le prix de fabrication d’un tabloïd de 12 pages, il m’avait accordé le prix du premier numéro, soit à l’époque 70.000 UM (175 euros). C’est donc probablement «  le gardien du temple » qui, voyant que ce côté de la plage étai très prisé, a voulu faire son propre business. Et, ma foi ça doit rapporter chaque week-end un joli magot.


Elections : Pas de « printemps » électoral en Mauritanie

Manif de l'opposition devant la Ceni (photo: Alakhbar info)
Manif de l’opposition devant la Ceni (photo: Alakhbar info)

Eywa, guelna halkoum. C’est par cette phrase donnant à peu près ceci, en français de France, « voilà, nous vous l’avons dit », que la Coordination de l’opposition démocratique (COD) annonce sa victoire. Celle du boycott des élections municipales et législatives du 23 novembre 2013. Quand pratiquement tous les partis politiques qui ont pris part à cette joute électorale commencent à pester contre la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Même le grand gagnant de ces élections, l’Union pour la République (UPR) qui récolte 52 sièges de députés dès ce premier , et quelque 98 communes sur les 218 que compte le pays. Pour le journal Biladi, rangé à tort ou à raison, dans la presse favorable à l’opposition, ce «résultat n’est pas particulièrement brillant pour une formation officielle qui dispose de l’Etat et même du bien des privés. »  Et ce journal de révéler que l’UPR, parti au pouvoir en Mauritanie, «aurait en effet récolté deux milliards d’ouguiyas pour les besoins de la campagne auprès des hommes, ses adhérents « officiels » même s’ils n’adhèrent pas à son programme. Ils savent tous que celui qui ne passa pas verser sa part dans la caisse du parti n’est pas à l’abri d’un redressement fiscal ou d’une poursuite en justice. » Pourtant, par la voix de son secrétaire exécutif chargé des affaires politiques, l’UPR a déclaré avoir déposé des recours auprès de la Cour constitutionnelle ! Pour certaines mauvaises langues, c’est le voleur qui participe à l’enquête.

Mais ce qui fait la curiosité de ces élections se trouve ailleurs. Par exemple, la « guerre » entre les partis de la majorité, d’une part,  et de l’opposition, d’autre part. L’UPR et son « second », le Sursaut de la jeunesse pour la Nation, ne se font pas de cadeaux. Leur opposition au deuxième tour, bien que favorable à la majorité avec la victoire de l’un ou l’autre, prend une tournure épique. Le renouvellement de la classe politique mis en avant par le Sursaut (le parti des jeunes) est vu par l’UPR comme une sorte de « pousse-toi d’là que j’m’y mette ». La tension est telle que le Sursaut est entrée dans une coalition contre nature avec des partis de l’opposition dans un département de l’est du pays où deux sièges de députés sont encore en jeu. Dans un autre département du centre du pays, deux frères élus députés, se livrent à une bataille sans merci au deuxième tour avec la particularité qu’ils ont interverti les rôles : celui élu sur la liste nationale d’un parti de l’opposition soutient les candidats du parti au pouvoir à Maghta-Lahjar, alors que son frère, président d’Al Vadhila, formation de la majorité, apporte son soutien aux candidats de Tawassoul, la formation islamiste rangée dans le camp de l’opposition et qui se place deuxième derrière le parti au pouvoir !

Les partis d’opposition ont, eux aussi, leur lot de problèmes. Il a suffit que Tawassoul, arrivé deuxième avec 12 députés et présent au  deuxième tour dans  6 des 9 communes de Nouakchott face au parti au pouvoir déclare que la présidence de l’opposition démocratique lui est pratiquement acquise pour qu’Al Wiam, troisième avec 8 députés, réplique en disant que rien n’est encore joué. Il est vrai que le statut de chef de file de l’opposition démocratique est d’un certain prestige mais il a surtout été créé par le pouvoir pour exacerber les tensions entre les grandes formations de l’opposition qui, sans grand espoir de « dégager » le président Aziz par un « printemps électoral », comme les voisins sénégalais l’ont fait pour Wade, rivalisent pour occuper la seconde place du podium.

Enfin, je ne puis finir ce billet sans un mot sur les « partis cartables ». Ces formations qui n’existent que de nom et qui auront joué et perdu. De la manière la plus lamentable. Sans aucun siège de « dépité » et, pire, sans conseillers alors qu’il y en a plus de 2000 sur l’ensemble du territoire national ! On les accuse aussi d’avoir provoquer le tohu-bohu vécu lors de ces élections. Les dysfonctionnements qui ont caractérisé ces élections, en particulier le grand retard dans la proclamation des résultats (10 jours), sont dus à l’intrusion de ces partis fantômes dans une compétition où leur rôle étaient connu d’avance : faire de la figuration. Permettre au pouvoir de dire que si dix partis ont boycotté les élections, soixante autres ont participé.


La « Mauritanie profonde » permet à l’UPR de gagner les élections haut la main

Dépouillement dans un bureau de vote (photo : Saharamedias.net)
Dépouillement dans un bureau de vote (photo : Saharamedias.net)

Je ne sais par où commencer. Suis embêté. Oui, le titre que je donne à ce billet peut déjà être interprêté comme un parti pris. Alors qu’il ne s’agit que d’une traduction de la réalité. Les chiffres de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Fraude ou pas fraude, les résultats annoncés à l’issue du premier tour des élections municipales et législatives du 23 novembre 2013, donne l’Union pour la République (UPR) grand vainqueur de ce scrutin. Le parti au pouvoir a déjà dans son escarcelle 88 mairies, sur les 218 que compte le pays, et 36 députés des 65 élus au premier tour. Le 7 décembre prochain, le second tour devrait encore permettre à l’UPR, sauf très grande surprise, de conforter son avance, en remportant la plupart de ses face-à-face, que ce soit contre ses farouches adversaires de l’opposition « participationniste » (les islamistes de Tawassoul, l’APP du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, ou Al wiam, de l’ancien ministre des Finances sous Taya, Boidiel OuldHoumed), ou avec des « poids moyens » de la Majorité comme le Sursaut national pour la Nation, l’UDP, le PUD ou Al Karama¹.

Pourtant, tout le monde crie à la fraude

Ces élections là marqueront incontestablement l’histoire de la Mauritanie. Non comme un pas de plus pour l’affermissement d’une démocratie imposée par le Discours de la Baule de François Mitterand, en 1990, mais un grand bond…en arrière. On dira, s’il faut vraiment leur trouver une appellation, que ce sont les élections de la contestation généralisée. Opposition « participationniste » et même certains partis de la majorité, ont contesté les résultats qui ont mis plus d’une semaine pour être connus ! Et, pour une fois, c’est à juste raison, que la Coordination de l’opposition démocratique (COD) qui avait choisi l’option du boycott, pavoise. Elle avait bien prévu un tel scénario : Les élections non consensuelles mais surtout organisées dans la précipitation, vont accentuer la crise. On sort avec l’impression qu’on se retrouve, on ne sait par quels effets de magie, à la veille de 2009, alors que se profile à l’horizon la présidentielle de 2014 ! Avec une classe politique éclatée en mille morceaux, le pouvoir du président Mohamed Ould Abdel Aziz sera contraint à dialoguer avec la COD, surtout que les vexations subies, lors de ces élections municipales et législatives, ont poussé la Coalition pour une Alternance Pacifique (CAP), du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, a revoir sa position. L’hégémonie du parti au pouvoir, l’Union pour la République, met à nu des pratiques antidémocratiques qu’on  croyait pourtant révolues. Pas de bourrage des urnes certes mais l’exact contraire : on les vide des bulletins de l’adversaire politique, on reconsidère les procès-verbaux pour permettre un second tour où l’UPR doit avoir toutes les chances de son côté. Dans ce que la COD appelle une « farce électorale, la CENI donne l’impression d’avoir été manipulée par le pouvoir. Pour servir ses desseins de maintien d’une majorité parlementaire, lui assurant un gouvernement issu uniquement de l’UPR et des autres partis satellites de la Majorité, et en supportant, seule, les dommages collatéraux de l’élection la plus mauvaise jamais organisée en Mauritanie.

Des craintes pour 2014

Autre fait notoire : Le parti au pouvoir a été sérieusement bousculé dans les grandes villes. A Sélibaby, plus grande circonscription après Nouakchott, il n’a gagné qu’un siège de député sur quatre, les autres revenant à deux partis d’opposition (APP, Al Wiam) et un parti de la majorité (UDP). Dans cette ville du sud, il dispute la mairie au second tour avec l’APP qui l’occupe depuis 2006. A Nouadhibou, capitale économique du pays, c’est le même scénario qui s’est répété, l’UPR devant se contenter d’un seul des trois sièges et venant largement derrière, pour la municipale, après Al Ghassem Ould Bellali, un dissident qui a choisi de se présenter sous les couleurs d’Al Karama. Pour montrer au Président Aziz que ce n’est pas pour rien qu’il est abonné à l’Assemblée nationale, depuis 1986, et qu’il aurait pu l’être aussi à la mairie, s’il n’avait été trahi en 2006. A Rosso, fief du président du Sénat, où le ministre du Commerce, Bemba Ould Dramane, a été présenté pour la commune, le parti au pouvoir a frôlé de très peu la catastrophe et doit batailler ferme pour ne pas perdre, au second tour, contre Al Wiam. On peut dire que c’est presque le cas partout dans les grandes villes du pays (Kiffa, Atar, Kaédi, Boghé, Aleg, Zouerate), ce qui fait dire à certains que l’UPR a été sauvé par la « Mauritanie profonde », celles dont les populations continuent encore à croire, dur comme fer, qu’on ne s’oppose pas au pouvoir. « El houkouma ma touaned² », me disait ma mère déjà, en 1990, quand, jeune professeur, j’avais encore des principes plein la  tête. Toutes les élections durant ces vingt dernières années, lui ont donné raison. En passant ce dimanche voir un ami haut placé, on me dit qu’il est retourné « en campagne » pour le parti au pouvoir ! Eh oui, il aurait été convoqué par son ministre qui lui a intimé l’ordre d’aller mobiliser les siens pour l’UPR, s’il veut conserver son poste. Je suis sûr que c’est la même consigne, la même menace qui a poussé des centaines, voire des milliers de fonctionnaires, à déserter la capitale pour les villes où le pouvoir est sérieusement menacé au second tour. Pourtant, c’est la même situation qui prévaut à Nouakchott. L’UPR devra remettre ça, le 7 décembre prochain, dans les 9 communes de la capitale où l’opposition a presque toujours tenu la dragée haute au pouvoir. Nouakchott où vit le tiers de la population mauritanienne, est la preuve que n’eut été la « Mauritanie profonde », les équilibres politiques calculés à l’aune de la tribu et du rapport au pouvoir ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui. En fait, ce qu’ils ont toujours été depuis qu’on savoure les délices de notre « démo-gâchis ».

1. A part l’UDP, qui est en parti créé en 1991, ces formations « nées » en 2011-2012, sont toutes considérées comme des « enfants » de l’UPR.

2. littéralement, on ne s’oppose pas au gouvernement (l’Etat).


Comment retourner le français de France après l’avoir détourné ?

Commerces d'artisanat à Nouakchott (crédit photo: Ali Baba)
Commerces d’artisanat à Nouakchott (crédit photo : Ali Baba)

Comment retourner le français de France après l’avoir « détourné »? En l’adoptant d’abord, comme langue d’enseignement et de travail, et en l’adaptant ensuite en l’utilisant dans le parler hassaniya de tous les jours. « effour » (four), « guedronh » (goudron), we-te (auto), chariit (charrette), veudghou (vide de goût). Je cite cinq mots, il y en a mille ou plus !

Un chercheur mauritanien a révélé, sur sa page facebook, qu’il entreprend actuellement un travail tendant à changer certaines pratiques langagières, comprenez l’intrusion de centaines de mots de la langue française dans le parler hassaniya de tous les jours. Il déclare avoir demandé à un boulanger de Nouakchott comment s’appelle, en arabe, « croissant » (on prononce en hassaniya, « croissanh ». Et le boulanger de répondre, sans hésiter, « n’gato » ! Ce qui est une simple déformation du mot « gâteau ».

C’est suffisant, à mon avis, pour comprendre combien la tâche de ce chercheur est difficile, voire impossible. Comme je l’ai montré dans une étude encore à l’état de manuscrit, ce parler français hassaniya a réussi, grâce à la conjugaison de plusieurs facteurs, a surclassé l’arabe dialectal dans certains domaines (mécanique, commerce). En attendant de connaître comment les locuteurs hassanophones pourront « purifier » leur dialecte de ces quelque 1000 expressions et mots français qu’ils utilisent presque instinctivement sans se rendre compte de leur francité originelle, je vous livre ici mon idée sur le processus de « hassanisation » de ces emprunts que nous utilisons dans notre parler français de tous les jours.


Mauritanie : la démocratie pour les « bien-nés » et les friqués

Kankossa, symbole de la "Mauritanie profonde" (photo: Elhourriya.net)
Kankossa, symbole de la « Mauritanie profonde » (photo : Elhourriya.net)

« Rien ne se perd, rien ne se gagne crée, tout se transforme ». C’est Antoine Lavoisier, le père de la loi de la conservation de la matière qui porte son nom, qui le dit. Et cela s’applique, parfaitement, à la politique en Mauritanie, si l’on observe de près les premières tendances des élections municipales et législatives du 23 novembre dernier.

Au Parlement sortant, il y avait l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir en Mauritanie depuis 2009, avec une majorité confortable. Il sera toujours là, fortement présent, avec le maintien de son hégémonie politique sur cette « Mauritanie profonde » où le vote tribal a encore de beaux jours devant lui. Il suffit tout simplement pour ce pouvoir-là, ou celui qui lui succédera dans cinq, dix ou quinze ans, de savoir qu’il y a des « lois » établies de primauté accordée à ceux que j’appellerais les « bien nés », ces fils de chefs et de cheikhs (marabouts) qui ont réussi à instaurer une succession de fait à tous les postes électifs à caractère local ou national. Cette loi non écrite a toujours permis au pouvoir de l’emporter sur l’opposition. Une cinquantaine de sièges de députés, au premier tour, sur 146 possibles, c’est déjà pas mal non ?

Il suffisait seulement que le message passe, qu’on désigne le « parti du président ». Qu’importe le nom et les époques : PPM (1960), PRDS (1992-2005), ADIL (2008), UPR (depuis 2009). Moctar, Maawiya, Sidi, Aziz.

Ces élections vont sans doute redessiner la carte politique du pays, mais pas au point d’apporter de grands changements dans le rapport de force entre majorité et opposition. Ce sera au niveau de la « cuisine interne » à chaque camp. Côté majorité, l’UPR n’aura plus comme  seconds, des partis comme l’Union pour la démocratie et le progrès (UDP) de l’ancienne chef de la diplomatie mauritanienne, Naha Mint Mouknass ou le PRDR, « héritier » sans héritage du PRDS, mais le Sursaut national pour la patrie, formation de création récente inspirée, disent ses dirigeants, par l’appel depuis Nouadhibou, du président Mohamed Ould Abdel Aziz pour le renouvellement de la classe politique. On peut le croire quand on voit la présidente de ce parti des jeunes portée à la tête du ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports et le nombre de listes (plus de 90) que  le Sursaut a réussi à engager dans la bataille des élections, servant, le plus souvent, de parti refuge à tous les mécontents de l’UPR. La campagne électorale de quinze jours et le probables second tour entre ces deux formations de la majorité donnent une idée de l’enjeu, énorme, que constitue cette « querelle des anciens et des modernes ». Le pouvoir (le président Aziz, pour être plus précis) a intérêt à s’en tenir à son rôle d’arbitre entre ses deux principaux soutiens. Et de se dire qu’en fin de compte, il aura une majorité confortable quoiqu’il advienne. L’ami de mon ami…restera mon ami. En ballotage favorable dans plusieurs circonscriptions électorales, l’UPR – ou le Sursaut – sauront s’épauler pour barrer la route aux partis d’opposition les plus entreprenants (Tawassoul et Al Wiam). Même si au premier tour ils ne s’étaient pas faits de cadeaux du tout.

La « nouvelle » opposition

Du côté de la nouvelle opposition parlementaire, il faut attendre la fin du dépouillement des votes pour savoir qui de « Tawassoul », (islamistes modérés), d’Al Wiam, parti comptant dans ses rangs de nombreux barons du régime de l’ancien président Taya ou de l’Alliance populaire progressiste (APP), du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, héritera du statut de chef de file de l’opposition, que le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) d’Ahmed Ould Daddah aura perdu à l’issue de ces élections qu’il a choisi de boycotter avec une dizaine d’autres formations de l’opposition. D’ores et déjà, l’APP semble hors course. Tout le monde le constate, mais personne ne se demande pourquoi. Pourquoi l’APP a perdu deux importantes citadelles, à savoir la cité minière de Zouerate, d’où la Mauritanie exporte 14 millions de tonnes de minerai de fer par an, et qui tombera le 7 décembre dans l’escarcelle de l’UPR ou du Sursaut, et Nouadhibou, la capitale économique où elle risque de ne même pas avoir l’un des trois sièges de députés ?

Le parti de Messaoud, on l’oublie trop vite, a été saigné à blanc deux fois. Le parti, « Al mostaqbal » né après la rupture entre le vieux leader haratine et l’ancien maire d’El Mina et ancien ministre de la Jeunesse, Mohamed Ould Borboss, a sans doute eu des conséquences sur la présence de l’APP à Nouakchott. Le départ du secrétaire général de la Confédération libre des travailleurs de Mauritanie (CLTM), Samory Ould Bèye, l’alter ego d’Ould Borboss, explique, en partie, l’échec de l’APP à Zouerate et à Nouadhibou, deux villes où les activités de mines et de pêche attirent des dizaines de milliers de travailleurs mauritaniens.

Messaoud est aussi victime du syndrome de « Hah Mbareck » (pauvre M’Bareck). Cet esclave – ou hartani, je ne sais – qui aidait tous les nobles du campement dans toutes sortes de travaux et ne recevait en retour que des compliments de circonstances. Le jour où le « vrig » devait changer de place à la recherche d’un meilleur pâturage, il décide de s’assurer si les gens auxquels il faisait du bien sont capables de le lui rendre. Il feint d’être malade et se coucha en travers de la route. Le voyant dans cet état déplorable, chacun s’arrêta, le temps de s’informer, et continua son chemin, après avoir jeté, comme signe de compassion un « hah M’Bareck » et se précipite pour ne pas laisser s’éloigner les autres. M’Bareck laissa passer le dernier homme de la caravane, se leva et continua lui aussi son chemin méditant son sort et l’ingratitude des hommes.

Messaoud « le nationaliste, le bon patriote, l’homme qui a sauvé la Mauritanie, en faisant tout pour qu’elle ne soit pas entraînée dans le sillage du « printemps arabe », a sans doute été lâché par une bonne partie d’un électorat qui a préféré voter, comme toujours, pour la tribu ou le cousin. Il a aussi manqué de cet argent dont on dit qu’il est le nerf de la guerre, comme l’atteste ce message pathétique du candidat de son parti à la  députation à Rosso, adressé à ses soutiens sur sa page Facebook :  « Chers frères et sœurs, les tendances dont nous disposons, mon parti et moi, indiquent que l’argent a eu le dessus sur mon engagement ferme en faveur du développement de notre Rosso. Mais ceci n’est qu’une étape. Le plus important reste à venir. Je refuse de baisser les bras, ce n’est pas parce qu’on n’est pas riche qu’on ne doit pas avoir des ambitions quelles que soient les compétences dont on dispose. Je le concède, j’ai perdu un combat, mais pas la guerre. Cinq ans, c’est déjà demain… » Cette belle consolation sera-t-elle entendue par les partis de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) qui ont refusé, disent-ils, d’être les dindons d’une nouvelle farce électorale ?


Autour d’un thé : La Mauritanie, un pays atypique

Visages de Mauritanie (photo: Sneiba)
Visages de Mauritanie (photo: Sneiba)

La Mauritanie est atypique. C’est-à-dire, pas comme tout le monde. Un peu spéciale, quoi. Nous sommes des spécialistes du contournement. Du tourner autour du pot. Ce que les exégètes de la langue de Sibawayh (L’équivalent de Molière chez les Occidentaux) appellent « Lef et dewerane », littéralement du « cacher et tourner ». Qui dit les choses directement  est considéré comme un idiot. La franchise a un nom : « Zrougiye ». Le franc-parler n’est pas une vertu, mais une incapacité à maîtriser l’ « art » du contournement et de dire ce qu’on veut dire, sans avoir rien dit. Ainsi, en Mauritanie, le malade mourra, toujours, en allant très bien. Tout est simple, pas grave, ordinaire (Non Adi, Adi) même s’il est question de mort d’homme. N’agrandissez pas les choses, ça ne vaut pas cela. Le monde n’a pas été visité par un accaparateur (Eddenya majaha hawach). Tous les hommes sont bons. Toutes les femmes aussi. Wakhyert¹ par ci, wakhyert par là. Wakhyert pour tous : pour les voleurs, pour les putschistes, pour la majorité, pour les deux oppositions, pour les civils, pour les militaires, pour les bourreaux, pour les victimes. Pour ceux qui participent aux élections. Pour ceux qui les boycottent. Que ça ne marche pas, maintenant, après plus de cinquante ans d’indépendance ? Pas grave, ça va, ça marchera un jour. Peut-être vers 2098. Adi (ordinaire), n’agrandissez pas les choses. Lebass, lebass (ça va, ça va). Ya qu’en Mauritanie où les partis politiques accouchent. C’est atypique. UPR. PUD. Sursaut. C’est PUR. C’est DUP. C’est SOT. Le Président n’a pas de parti. Mais c’est le Président. N’allez pas nous raconter ce que se disent les gens, en privé, quelque part à Toueïla, Boumdeïd, Boghé ou Cheggar. Quoi de commun entre ces quatre localités ? Rien, en général. Sauf que c’est la Mauritanie. Ou les ministres ne disent pas la vérité (mentent, c’est déjà trop zrougiye) ou son Excellence « oublie », de temps à autre, ce qu’il raconte. Par exemple, le ministre de la Défense a transmis un message de menace, prétendument envoyé par le Président, aux gens de Guérou où l’UPR est étranglé par Tawassoul². La Mauritanie est atypique. Ya qu’en Mauritanie où les coups d’Etat sauvent la démocratie, la rectifie sans la « rectifier ». Où la crise règle la crise. Où l’on peut être, à la fois, ange et satan. Où l’on peut être voleur, directeur, député. Voleur, ministre, député. Tour à tour ou simultanément. Y a qu’en Mauritanie où tous les citoyens ont droit à des casiers judiciaires, même s’ils sont encore au fonds des prisons. Ya qu’en Mauritanie où les certificats de résidence et les enquêtes de bonne moralité sont un droit pour tous. Wakhyert à tout le monde. Tous les hommes et toutes les femmes se valent. Ça, ce n’est pas plus grand que ça³. Laissez quelque chose passer. La Mauritanie est atypique. Pas impossible que les élections soient encore reportées le 23 novembre. Annulation. Report. Dialogue. Incompatible n’est pas mauritanien. La preuve. On peut être, par exemple, général d’armée et diriger une tendance politique quelque part vers Aleg. Et faire équipe, de surcroît, avec un très haut fonctionnaire civil qui administre la plus grande institution du pays, afin de faire passer les candidats du parti au pouvoir. Ce n’est pas incompatible que de se mettre aux ordres de son bienfaiteur. IGE, ministre des Finances, directeurs généraux  des Impôts, du Trésor public, des douanes et autres. Qui les a mis ? Ils sont là pour  « casser » leurs doigts, en voyant la barque prendre de l’eau. Si celui qui parle est fou, il faut bien que celui qui écoute soit circonspect. Ok, ok, la fameuse loi sur l’incompatibilité, sur l’interdiction des putschs, sur l’élévation de l’esclavage en crime contre l’humanité. On y reviendra, juste après les élections. Et puis, le dialogue du Palais des congrès, c’est comme les accords de Dakar. C’est du passé. Et le passé, mieux vaut ne pas en parler. Si chacun devait revenir à son passé, où irions-nous ? Des ministres, en prison. Des directeurs, blanchisseurs. Des généraux, chauffeurs. Des financiers, simples contractuels, sans fiches budgétaires. Et un certain Président… Allons, allons, soyons sérieux, laissons le passé. Tournons-nous vers l’avenir. Peut-être est-il plus clément ?

Sneiba El Kory (Le Calame)

1.Mot de bienvenue.

2.Parti des islamistes en Mauritanie

3. Traduction de l’expression hassaniya « the mahou akbar min guedou » (Laissez passer, c’est pas grave).