Mohamed SNEIBA

Les partis politiques mauritaniens entre désirs et réalités

Messaoud O. Boulkheir, président de l'Assemblée nationale en campagne (photo : El hourriya)
Messaoud O. Boulkheir, président de l’Assemblée nationale en campagne (photo : El hourriya)

Eléments essentiels du jeu démocratique dans tous les pays qui ont choisi, délibérément, ce mode de gouvernement, les partis politiques en Mauritanie recoupent plutôt les différentes parties (au sens de groupes idéologiques, communautaires ou régionalo-tribalistes) qui caractérisent le paysage politique actuel.

Leur ancrage idéologique, en tant qu’éléments constitutifs de la démocratie, n’est pas aussi évident – pour l’instant – que celui de la Constitution,votée en 1991 de l’idéal de justice et de la séparation effective des pouvoirs. Pourtant, ce sont eux qui permettent au peuple d’orienter l’action du gouvernement (quand ils sont au pouvoir) ou de la réguler tout en la critiquant quand ils sont, le jeu de l’alternance démocratique oblige, à l’opposition. Nous vous livrons aujourd’hui un panorama des partis politiques mauritaniens les plus « visibles » sans forcément être les plus puissants.

 L’UPR : tout pour le maintien

 Si vous voulez vraiment comprendre le lien qui existe entre l’Union pour la République (UPR) et celui que le président Ould Taya  avait créé sous le nom de PRDS (Parti républicain, démocratique et social), au lendemain de la promulgation de la Constitution du 20 juillet 91, référez-vous tout simplement au lifting que cette même formation a subi depuis 2008. Car l’UPR, avatar du PRDS, sans Ould Taya et d’une poignée de hauts responsables de l’Etat, sous la dictature de cet homme, continue à être perçu comme un mélange de chefs de tribus, d’hommes d’affaires, d’anciens ministres, de cadres de l’administration, d’anciens baroudeurs des mouvements idéologiques (nasséristes, baathistes, kadihines, islamistes). L’UPR a cependant grandement été diminué, à la veille des élections municipales et législatives par l’action de sape (départ de quelques-uns de ses barons) qu’il avait longtemps exercée lui-même sur les partis de l’ex-opposition, en procédant au débauchage de ses cadres par l’octroi de postes dans l’administration et l’offre d’alléchantes faveurs.

Mais le parti-Etat, malgré la dissolution prochaine du Parlement, continue tout de même à avoir une audience certaine grâce aux nombreux élus qui se réclament encore de lui, mais aussi à une intelligentsia politique (anciens ministres, anciens députés et sénateurs) qui attend impatiemment les élections pour croiser le fer avec les autres formations politiques. D’aucuns pensent même que l’administration actuelle, quoique soumise à une stricte neutralité par la Céni, commission électorale, n’est pas insensible aux sirènes de l’ancien système dont elle était, de facto, partie intégrante.

Tawassoul : La présomption de puissance

Démonstration de force des islamistes mauritaniens (photo: Cridem)
Démonstration de force des islamistes mauritaniens (photo : Cridem)

Le directeur de campagne de ce parti d’obédience islamiste vient enfin de donner les vrais mobiles qui l’ont poussé à fausser compagnie à la Coordination de l’opposition démocratique (COD) : « Nous créerons la surprise lors de ces élections et nous aspirons à passer premier pour former le gouvernement et changer le régime de présidentiel à parlementaire ». C’est juste une réponse à une question que j’avais posée dans l’un de mes précédents articles : les islamistes mauritaniens « suivront-ils le mouvement » ?

La vague islamiste déferlante en Tunisie, au Maroc, en Egypte et en Libye a commencé à donner des idées aux islamistes mauritaniens qui se posent cette question : « Pourquoi pas nous, ici et maintenant » ?

Il est vrai que c’est quand même en jouant sur cette sorte de « lieu (lien ?) commun » entre l’arrivée des islamistes au pouvoir (par la voie des urnes), en Tunisie et au Maroc, par la voie des armes (en Libye) ou par la pression de la rue conjuguée au suffrage universel (comme cela s’est réalisé en Egypte avant de capoter) que les gouvernements arabes – encore en sursis – cherchent à faire peur à leur opinion publique sur les risques d’un péril islamiste aux contours encore flous. Certes, la démocratie a joué, mais l’on ne semble pas prêt d’oublier que ce sont les mêmes mécanismes empruntés à l’Occident chrétien qui ont permis aux islamistes du FIS (Front islamique du salut) algérien de remporter les élections de 1990 et de pousser les autorités algériennes de remettre en cause des principes de démocratie pourtant réputés « bons » pour tous. C’est le même phénomène qui poussera également le Fatah et les USA à refuser sa victoire au Hamas « dépossédé » de facto de son pouvoir exécutif dans une situation singulière de refus de la démocratie.

Toutes ces situations ont pu pousser les islamistes mauritaniens à chercher, depuis quelques mois, à faire comme « les frères » ! Et, dans ce cadre, tous les observateurs ont noté que la mobilisation avait battu son plein à Nouakchott pour, peut-être, devenir le fer de lance d’une action de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) visant à pousser le pouvoir dans ses derniers retranchements. Et à commettre l’erreur qu’il ne faut pas.

Cette stratégie ayant échoué, Tawassoul veut maintenant jouer le tout pour le tout : en se confiant au verdict des urnes.

Al Wiam : victime d’un délit de faciès ?

Al Wiam (Entente), un parti nouveau qui a choisi d’inscrire son action dans une ligne centriste, est dirigé par Boïdiel Ould Houmeid, un ancien ministre des Finances de Taya. Il rassemble en son sein un nombre non négligeable de barons de l’ancien régime (Louleid Ould Weddad, ancien directeur de cabinet de Maaouiya, et ancien secrétaire général du PRDS, Mohamed Yehdhih Ould Moctar Hacen, également ancien ministre et ancien SG du parti qui a dominé la vie politique en Mauritanie 15 années durant).

Al Wiam avait tenté, avec l’APP et Sawab, de rapprocher les points de vue de la COD, dont ils faisaient partie, tout en critiquant souvent ses positions jugées extrêmes, et la majorité présidentielle dont ils dénonçaient la gestion économique catastrophique.

L’UDP : un parti saisonnier

L’Union pour la démocratie et le progrès (UDP) a été créée par feu Hamdi Ould Mouknass, considéré comme le plus célèbre ministre des Affaires étrangères de la Mauritanie. A sa disparition, les militants de l’UDP choisissent sa fille Naha pour diriger le parti et évitent sans doute ainsi à leur formation de connaître des luttes de succession qui pouvaient lui être fatales. Le choix des militants de l’UDP devient aussi celui du pouvoir quand Ould Taya nomme Naha Mint Mouknass ministre conseiller à la présidence, poste qu’elle occupera jusqu’à la chute du régime.

Plus que le RDU, l’UDP a été vraiment une sorte d’anti-chambre du PRDS, récupérant les mécontents du parti-Etat, à l’occasion de chaque élection municipale ou législative, et constituant un refuge à tous ceux, Négro-africains essentiellement, qui n’osent pas aller directement au PRDS tout en cherchant tout de même à s’approcher du pouvoir.

L’UDP a souvent été taxée de parti « saisonnier » dont les banderoles et les militants n’apparaissent qu’à l’occasion de visites du chef de l’Etat et de l’organisation d’élections.

Aujourd’hui, passée l’euphorie de l’après 6 août 2008, qui vit la présidente Naha nommée à la tête de la diplomatie mauritanienne et jouer un rôle important dans le rapprochement spectaculaire entre Kadhafi et Aziz, l’UDP adopte un profil bas. La disparition du « Guide » a sorti la fille de feu Hamdi Ould Mouknass des calculs du pouvoir en Mauritanie et son parti est entré sans doute dans une période de réflexion et de remise en cause qui lui permettrait de mener ces élections en utilisant, cette fois-ci, des armes autres que celles de la récupération.

Le RFD : La guerre des clans est à craindre

Manifestation contre les élections (photo : IRA)
Manifestation contre les élections (photo : IRA)

En compétition jadis avec l’APP pour le titre du « plus grand parti de l’opposition », le RFD risque de perdre, à l’issue du scrutin du 23 novembre, son statut de « la plus importante formation politique du pays » à cause du boycott.

 Créé le 13/05/2001 sur les décombres de l’UFD/ère nouvelle, le RFD souffre, plus que toute autre formation de l’hétérogénéité des courants politiques qui le compose, ce qui fait penser aux observateurs qu’il pourrait, difficilement, échapper aux querelles qui ont toujours constitué le plus grand souci de son chef Ahmed Ould Daddah. Il y a d’abord, dit-on, les « gens de Boutilimit » qui constituent une sorte de garde rapprochée pour Ahmed. Rien ne les rattache aux autres militants du parti si ce n’est leur désir de changement avec en prime le sacre de l’homme en qui ils ont placé toute leur confiance, mais aussi leur espoir. La deuxième composante du RFD est constituée par des militants d’El Hor qui, en 2000, avaient décidé de rompre avec Messaoud Ould Boulkheir en quittant AC. Certains chefs de file de cette tendance, tel Brahim Ould Bilal, vice-président d’IRA, avaient fini par abandonner le navire.

C’est le cas également d’un important contingent de Négro-africains dont l’un des chefs de file, le député Kane Hamidou Baba, a créé son propre parti, le Mouvement pour la refondation (MPR).

Le RFD a été affaibli dans le passé par le départ (2003) de ses rangs des islamistes menés par Jemil Mansour, et des nasséristes qui ont cru trouver en lui un terreau fertile pour mener leur politique nationaliste, quand ils ont quitté le PRDS en 1997, mais qui ont vite déchanté.

Aujourd’hui, le RFD mène la lutte pour la chute du pouvoir d’Aziz. Après avoir été le souffre-douleur du président déchu Ould Taya, ce parti est en train de revivre le même cauchemar avec Aziz. Il espérait que les conditions soient presque réunies pour l’organisation d’élections libres et transparentes. Et c’est sur cela qu’il comptait pour triompher enfin. Une désillusion de plus.

L’APP : Le handicap particulariste

Avec l’arrivée des militants d’EL Hor, à la dissolution de leur parti Action pour le changement (AC), l’APP n’est vraiment plus ce qu’elle était avant : d’irréductibles nasséristes célébrant chaque année l’anniversaire de la Révolution de Nasser et cherchant à calquer la Mauritanie sur un modèle idéologique révolu. L’arrivée de Messaoud Ould Boulkheir à la tête de l’APP a été considérée, à l’époque, comme une sorte d’OPA qui arrangeait en fait les deux camps : Mohamed El Hafedh Ould Smail et les siens trouvent enfin la base populaire nécessaire à leur mouvement et les militants d’El Hor dont le parti venait d’être dissous, avaient la possibilité de faire de la politique dans un cadre légal.

Les problèmes de l’APP sont essentiellement financiers, mais l’on pense également que l’acharnement de Messaoud Ould Boulkheir et ses amis à inscrire la question de l’esclavage dans l’agenda politique du pouvoir et, à n’en pas douter, dans celui des prochaines campagnes électorales, risque de mobiliser contre l’APP pas mal d’ennemis.

L’UFP : Un soupçon d’élitisme

Dans l’esprit de beaucoup de Mauritaniens, l’UFP se confond avec le MND et même avec les noms de ses principaux leaders : Mohamed Ould Maouloud, Bâ Bocar Moussa, Moustapha Ould Bedredine, Lô Gourmo. Ouvert au dialogue dans le passé, ce parti a souvent été taxé par les formations de l’ex-opposition de « collabo » ayant permis à Ould Taya de donner l’impression de s’ouvrir à tous ceux qui ne font pas preuve de prises de position extrémistes. Une accusation dont l’UFP s’est toujours défendue à chaque fois que ses leaders ont eu à rencontrer le président Ould Taya comme en 2000, 2001 et 2003.

Parti jouant d’abord sur la qualité, un peu comme le RDU dans l’ex-Majorité présidentielle, l’UFP doit dans les prochains mois développer une approche autre si elle veut vraiment conserver son statut de parti qui compte en Mauritanie. Le boycott ne passera sans doute pas sans laisser de traces.

L’AJD et le PLEJ : les porte-flambeau de la cause négro-africaine

L’Alliance pour la justice et la démocratie de Sarr Ibrahima et le Parti pour la liberté, l’égalité et la justice de Bâ Mamadou Alassane arrivent aujourd’hui à s’incruster difficilement dans le paysage politique mauritanien en faisant de la défense de la cause des Négro-africains la priorité des priorités. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils n’ont pas voulu avaliser le « oui » pour la révision de la Constitution pensant que des questions essentielles n’ont pas été abordées. Leur attitude par rapport aux élections municipales et législatives les sépare : le premier participe, ayant horreur du vide, déclare son chef sur les ondes d’une chaîne de télévision mauritanienne, le second boycotte.

 Sawab : une expérience qui pourrait servir

Le parti Sawab (curant baathiste) traverse aujourd’hui une période creuse sans doute parce qu’il fait très peu entendre sa voix dans le sens où vont ceux qui ont choisi de soutenir sans réserve, en 2005, l’action du CMJD. On pourrait même dire que Smail Ould Amar, Ould Breideleil (qui ont quitté la formation depuis) et leurs amis étaient « plus en forme », côté présence sur la scène politico-médiatique, lorsque Ould Taya était encore là. Ceci dit, Sawab n’est sans doute pas la formation politique la moins armée pour affronter la seconde phase du processus électoral quand on sait qu’elle a une expérience des élections, comptant dans ses rangs la plupart des soutiens du candidat Mohamed Khouna Ould Haidalla lors de l’élection présidentielle de novembre 2003.

 HATEM : La « gloire du 08 juin 2003 »

Saleh Ould Hannena voudrait bien réaliser avec les urnes ce qu’il a raté de très peu avec les armes. Le chef des « Cavaliers du changement » s’est reconverti en homme politique après le 3 août 2005 et a réussi à mettre en place, avec ses compagnons d’infortune, un parti politique qui cherche à tirer profit de la « gloire du 8 juin 2003 ». Mais le profit politique de l’action du commandant Saleh Ould Hannena a pâti un tout petit peu du coup d’Etat du 3 août 2005 qui a permis à des officiers supérieurs de réaliser le projet des Cavaliers pour le changement (déposer Ould Taya) avec le sang en moins. Saleh Ould Hannena a quand même réussi, en 2006, à s’offrir un poste de député à l’Assemblée nationale, mais son parti s’est vidé de ses militants au profit de l’UPR, quand il a choisi de quitter la majorité et de devenir l’un des plus farouches opposants au président Aziz.

 Le RD : sombres perspectives

Formé au lendemain du 3 août 2005 par un ancien baron du PRDS, le Renouveau démocratique (Moustapha Ould Abeiderrahmane) est taxé aujourd’hui de rouler pour son seul chef dans la perspective des élections législatives et, probablement, de la présidentielle de juillet 2014. L’on pense d’ailleurs que Ould Abeidarrahmane qui a été l’un des idéologues du PRDS, comptait beaucoup sur sa connaissance du parti et des milieux qui le composent pour se reconstituer une virginité. Il aurait donc beaucoup misé sur une implosion du PRD(S)R après la chute de Ould Taya pour récupérer une partie de ses cadres et recoller les morceaux. Une vision prospective qui ne s’est pas complètement réalisée et qui hypothèque donc les objectifs, à court terme, du Renouveau démocratique : rester au Parlement.

Un rôle de figurants pour les autres ?

Pour les dizaines d’autres partis que nous n’abordons pas ici de manière singulière, le rôle dans les prochains scrutins se limitera au dépôt des listes et à des alliances, avec les formations d’envergure, en vue de pouvoir se faire une audience. On n’imagine mal qu’ils puissent survivre à ces élections, après avoir choisi d’aller au charbon en rangs dispersés, risquant ainsi de se ridiculiser avec des scores au-dessous du 1 % !


Mauritanie : ambiance et « bons risques » de la campagne électorale

Ouverture de la campagne à Rosso, ville frontière avec le Sénégal (photo : Sneiba)
Ouverture de la campagne à Rosso, ville frontière avec le Sénégal (photo : Sneiba)

La campagne électorale « bat son plein depuis une semaine », comme diraient mes amis de l’Agence mauritanienne d’information (AMI). Eh oui, c’est la particularité très particulière d’une campagne électorale en Mauritanie. Etre « très chaude » ! Des tentes dressées partout. Des QG où l’important n’est pas d’élaborer des plans de bataille mais d’entretenir l’ardeur des troupes. C’est important. L’animation sous les tentes d’un parti politique, dans les quartiers huppés de la capitale ou les zones d’habitats précaires, est un précieux indicateur. Elle permet déjà aux pronostiqueurs maison d’évaluer le rapport de forces entre les partis en compétition (58 pour le scrutin du 23 novembre 2013). Car tout est affaire de moyens. L’argent, ce mot délicieux dans la bouche d’un mauritanien, quand il dit « el vadha harquet » (l’argent circule) est vraiment ici le nerf de la guerre. Les formations politiques le savent. La première chose à faire est donc de dégager un budget pour l’animation (10.000 UM par tente). C’est une affaire de femmes qui s’organisent bien avant le début de la campagne et, en dehors de celles qui font la politique pour avoir des postes, les autres « se donnent » au plus offrant ! Il y a aussi le montant conséquent à donner à un rabatteur qui a fait école au temps des Structures d’éducation des masses (SEM). Son rôle est de débaucher les électeurs qui ne s’engagent que pour « quelque chose ».

La politique, en temps de campagne, se passe de sentiments. J’ai entendu un président de parti (cartable certes) dire aux femmes de son clan : « Mangez » l’argent du parti au pouvoir mais votez pour moi ! C’est de bonne guerre. Ces bonnes dames ne trahissent pas. Elles usent de politique. Le parti au pouvoir en Mauritanie a toujours battu campagne avec l’argent public. Ou avec celui des hommes d’affaires qui récupèrent la mise plus tard avec des marchés surfacturés. Cette vérité là a souvent été niée mais elle est connue de tous. D’ailleurs ceux qui n’ont pas de postes à défendre au Makhzen ou qui n’aspirent pas à une « promotion », ne sont intéressés que par ce qu’ils peuvent gagner ici et maintenant : L’argent de la campagne que l’on distribue en fonction de la notoriété, de l’apport (en électeurs) et des réseaux tribalo-régionalistes qui fonctionnent à plein régime en ce moment.

L’apport des « chouyoukhs » et des cheikhs

Meeting de l'UPR, parti au pouvoir (crédit photo : Elhourriya.net)
Meeting de l’UPR, parti au pouvoir (crédit photo : Elhourriya.net)

Mais ce qui se passe dans les villes est loin de ressembler à la réalité dans les campagnes. Ce que le pouvoir a fort justement appelé la « Mauritanie profonde » reste encore sous l’emprise des « chouyoukh el kabayel » (chefs de tribus) et des cheikhs (marabouts). L’ignorance et la pauvreté assujettissent encore des centaines de milliers d’électeurs potentiels à la volonté d’une poignée d’individus qui font prévaloir leurs intérêts sur celui de la collectivité. Et, généralement, ils ne traitent qu’avec le pouvoir, à travers le parti qu’il s’est choisi pour asseoir son autorité politique. Autrement dit, « on ne prête qu’aux riches ». Mais attention cette mécanique de domination sociale peut coincer, comme on l’a vu lors de la désignation des têtes de listes pour défendre les couleurs du parti au pouvoir. Le régime paye très cher son incapacité à gérer les antagonismes entre tribus vivant dans une seule wilaya ou au sein même d’une collectivité. L’embarras que connait aujourd’hui l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir en Mauritanie vient de ses choix qui  n’ont pas toujours été heureux et ceux qui estiment avoir été lésés n’ont pas hésité à claquer la porte. Les couards sont allés juste à côté, débarquant avec armes et électeurs, chez un parti de la « majorité » alors que les plus courageux téméraires, ceux qui estiment qu’il faut donnée une mémorable fessée à l’UPR, ont fait allégeance à des partis de l’opposition modérée.

C’est l’effet, lourd de conséquences, de l’interdiction des candidatures « indépendantes » qui permettaient, jusqu’en 2005, de s’opposer au pouvoir (pour prouver son poids électoral) et de revenir ensuite dans son giron parce que, comme on dit chez nous, « eddewla ma tou’aned » (on ne se s’oppose pas au Makhzen). Et c’est exactement l’argument massue que les chefs tribaux – et leurs relais à Nouakchott (les cadres nommés en leurs noms) utilisent pour convaincre ceux qui attendent de l’Etat la réalisation de projets de développement dans leurs localités que l’opposition ne peut jamais être un « bon risque ». N’est-ce pas sénateur Ould Zoughmane?

 


Autour d’un thé : recette pour créer un parti politique en Mauritanie

Chefs de partis mauritaniens (crédit photo: Elhourriya.net)
Chefs de partis mauritaniens (crédit photo: Elhourriya.net)

Le ministère de l’Intérieur et de la décentralisation se démène à mettre les derniers réglages pour débloquer la coquette somme de quatre milliards, destinés à financer les élections municipales et législatives prochaines.

Ainsi, les cinquante-huit partis politiques participants auront, proportionnellement au nombre de listes présentées, quelque chose qui devrait leur servir, théoriquement, à mener campagne. Or, comme dans la presse, la politique et la société civile ont leurs peshmergas¹. Des partis et des ONG surgis de nulle part.

Bon, allons-y pour la formation d’un parti politique. Président : papa. Vice-président : maman. Secrétaire général : un voisin capable de rédiger quelque chose. Trésorier : ha, là, ce n’est pas de la farce. Comme il n’y a personne de compétent, papa va cumuler ça avec son poste de président.

Relations extérieures : une lointaine cousine qui habite loin en brousse. Affaires sociales : le domestique. La marmite : membre. Le chat : membre. Aïcha (3 ans) : membre.

Statuts et règlement intérieur copier-coller, casiers judiciaires et non-imposition pour tout le monde, enquête de moralité et CV imaginaires. Ministère de l’Intérieur, après avoir brûlé beaucoup d’étapes. Récépissé. Participation. Financement.

Il paraît que, depuis quatre mois, les autorités ont annoncé, via leurs réseaux d’information, que c’est l’Etat qui financera la campagne. Une façon de prendre les devants et de parer à toute éventualité. Comme quoi, participation ou boycott, c’est kif-kif. Il y aura bien des hommes « courageux » et des femmes « patriotes », pour « sauver » le pays.

Parti de la Dignité, parti de la Gloire, parti du Sursaut, parti du Boisseau, parti du Mange-mil, parti de la Paix, parti de la Guerre, parti de la Souffrance, parti de la Légitimité, parti du Paradis, parti du Pain, parti du Beurre… Il paraît qu’il y a même un parti de la première dame. Un parti, c’est un parti. Grand ou petit, c’est un parti. De l’opposition ou de la majorité. C’est un parti. Petit parti deviendra grand, surtout en participant.

A tout. Marche de soutien. Marche de dénonciation. Il faut être partout. Au Bureau d’études et de la documentation (BED²). A la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). Aux états-majors généraux et particuliers. Chez les ministres. Chez les joueuses inspirées de cauris. Les guezanas. Elles jouent un grand rôle, ces joueuses, dans la vie nationale. De véritables amazones. De véritables grandes royales. De véritables soldates inconnues.

Comment seront partagés les quatre milliards ? Exactement comme l’ont été les deux cents millions de la presse. Cent mille par-ci, cent mille par-là. Trente mille à l’autre qui a juste sorti un numéro en huit ans. Et quarante mille pour ce site qui n’a pas encore d’adresse.

La prochaine Assemblée nationale sera vraiment un ramassis de vieux pachydermes en voie d’extinction et de nouveaux caïmans aux dents particulièrement trop longues, auxquels s’additionnera à une poignée de pseudo-mécontents embarqués sur le dos de partillons utérins de l’Union pour la République³, incapable de gérer ses divergences internes.

Comme au dépôt des listes, le parti au pouvoir viendra en tête, par le nombre de ses députés. Il en aura, au moins, une bonne centaine. Reste quarante-six. Une quinzaine pour Tawassoul. Reste trente-et-un. Une douzaine pour APP (Alliance populaire progressiste). Reste dix-neuf. Une dizaine pour El Wiam. Reste neuf. Quatre pour l’UDP (Union pour la démocratie et le progrès). Reste cinq.

A partager entre les cinquante-trois autres partis restants. Dans les temps, pas maintenant que l’esclavage n’existe plus, un seul esclave pouvait appartenir à plusieurs personnes.

Par transposition, un député peut appartenir, aujourd’hui, à plusieurs partis. Deux façons de faire. La tête, les pieds et les membres, pour toi. Le cou, les épaules et le dos, pour moi. Ou bien cinquante-cinquante. Un demi-député pour ce parti. Un quart d’un autre pour celui-là. Une Assemblée d’entiers et de morceaux. Les entiers, c’est bon ; les morceaux, là, on va les raccommoder. Raccommodage. Tripatouillage. Remplissage. Qu’Allah bénisse tout cela. Amine.

Sneiba El Kory (Le Calame)

1. Nom donné à la presse-cartable et aux journalistes sans formation.

2. Renseignements généraux.

3. Parti au pouvoir.


L’opposition mauritanienne dans tous ses états

Manifestation de la COD (crédit photo: Taqadoumy.com)
Manifestation de la COD (crédit photo: Taqadoumy.com)

En Mauritanie, il y a opposition et opposition. Question de nuance. L’opposition qui demande le « rahil » (départ) du président Mohamed Ould Abdel Aziz et celle qui dialogue avec lui. Bon, en fait, c’est plus compliqué que cela.

Disons que l’opposition mauritanienne se compose, se décompose et se recompose, suivant les évènements politiques. Deux « oppositions», après le coup d’Etat contre Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, le 6 août 2008. Celle qui dénonce (pour que la communauté internationale refuse le fait accompli) et celle qui soutient, espérant que des élections anticipées lui seront favorables ! Puis une opposition, une seule, quand Ahmed Ould Daddah, candidat malheureux, à la présidentielle de 2007, comprenant qu’Ould Abdel Aziz n’a pas renversé Sidi pour céder la place à un autre quidam, comme il l’avait fait en 2005, se ravise et retire son soutien à la « Rectification ». Puis deux « oppositions » encore, en novembre 2011, quand quatre partis (APP, Al wiam, Sawab, Hamam) se démarquent des dix autres formations de  la Coordination de l’opposition démocratique (COD) pour créer l’Alliance pour une Alternance Pacifique (CAP) et entrer dans un dialogue « national » avec le pouvoir. Les choses pouvaient en rester là si trois partis (Adil, MPR, RD) n’avaient claqué la porte de la majorité pour protester contre l’hégémonie étouffante de l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir en Mauritanie. La Convergence Patriotique (CP) était née.   Trois oppositions donc actuellement qui s’opposent au pouvoir tout en étant, elles-mêmes, trois « lignes » politiques qui ne se rencontrent jamais !

Je m’oppose, tu t’opposes, on s’oppose…

Au premier plan: Ahmed Ould Daddah et l'ancien président le colonel Ely (turban)
Au premier plan: Ahmed Ould Daddah et l’ancien président le colonel Ely (turban)

L’opposition mauritanienne ressemble à l’hydre de la mythologie. Sauf qu’ici les têtes ne tombent jamais ! Les mêmes « capo » chefs depuis que l’opposition est l’opposition. Il arrive seulement que se produise un effet de multiplication. Un lieutenant mécontent qui claque la porte pour aller (avec des « sous-lieutenants) fonder un nouveau parti ! Ainsi, du Front démocratique uni pour le changement (FDUC), au début des années 90, on est passé à l’Union des forces démocratiques (UFD) qui a enfanté, dans la douleur Action pour le changement (AC), avant de métastaser elle-même, en UFD A (Ahmed Ould Daddah) et UFD B (Mohamed Ould Mouloud). Et la suite est connue : AC interdit rejoint les nasséristes de l’APP et réussit une OPA sur le parti, les islamistes abandonnent l’UFD A pour créer « Tawassoul », un parti à eux et à eux seuls. Vieilli par ces « enfantements » dans la douleur, l’UFD A se transforme en Rassemblement des forces démocratiques (RFD) et l’UFD B, qui n’est plus concurrencé sur ce « label » politique datant de l’époque Taya, choisit, elle aussi, de muer en Union des forces de progrès (UFP).

En fait, c’est toujours la vieille question du leadership qui revient pour favoriser ou non ces rapprochements entre les « oppositions ». Plus particulièrement entre le président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, et le chef de file de l’opposition démocratique, Ahmed Ould Daddah. Deux anciens opposants au dictateur Taya qui « cohabitaient » au sein de la COD, malgré des relations tumultueuses avant, pendant et après l’élection présidentielle de 2009. L’exploit du pouvoir – si s’en est un – est d’avoir réussi  à mettre en branle le fameux principe du « diviser pour régner », quand il s’agissait pour lui de casser cette alliance de circonstance. L’on pense aussi que l’opposition, qui s’est recomposée après le putsch contre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, était infiltrée. Un député de la majorité élu sous les couleurs de l’APP, a dû jouer un rôle de premier plan dans le rapprochement entre le président Aziz et le président de l’Assemblée nationale. Très proche de ce dernier, malgré son parcours idéologique (nassériste) sans point d’ancrage historique avec le mouvement anti-esclavagiste « El Hor », ce député a su trouver on ne sait quels bons arguments pour pousser l’APP, et avec elle Al Wiam, Sawab et Hamam, à renoncer à la stratégie du « rahil ». Cette mission accomplie, avec la scission de l’opposition en COD et en CAP (le départ du pouvoir par les urnes et non par la rue), « l’ami du Raïs » pouvait alors rejoindre tranquillement le parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR). Il vient d’ailleurs d’être récompensé pour services rendus, en figurant en bonne place sur la liste nationale de l’UPR pour les élections législatives du 23 novembre prochain. Autant dire une reconduction assurée pour cinq ans sur recommandation « spéciale » du président de la République et au grand dam des barons du parti au pouvoir !

Les  « soldats de l’ombre », il y en avait sans doute aussi en grand nombre du côté du RFD d’Ahmed Ould Daddah. La grogne de certains leaders de ce parti, quand il rechignait à aller vers un dialogue « inutile et incertain », rappelait la vague de départs qui avaient suivi la rupture de la « sainte » alliance avec Aziz après le coup d’Etat contre Sidi. Parmi ces « opposants » repentis, on avait compté par la suite des ministres, des ambassadeurs, des conseillers à la Présidence de la République et des PCA à la pelle. Aujourd’hui encore, et à la veille des élections qu’il a choisi de boycotter, épousant la ligne des dix partis de la COD, le RFD fait face aussi à la même vague de contestations tentant de montrer que le « chef » Ahmed se trompe une fois encore. Le boycott prive l’opposition radicale d’une vingtaine de sièges au Parlement mais surtout d’une tribune qui lui permettait, grâce à la retransmission en direct des ébats débats parlementaires, de faire passer son message. L’opinion publique mauritanienne a tendance à privilégier la participation à des élections dont la transparence est sujette à caution à la politique de la chaise vide qui est loin de faire l’unanimité au sein même de l’opposition. On attendra donc de voir si les municipales et législatives se tiendront le 23 novembre prochain, de manière « acceptable » pour savoir si la COD s’est vraiment faite hara-kiri.


Autour d’un thé : « l’originalité » de la démocratie mauritanienne

Théière sur le feu à la manière bédouine (photo google)
Théière sur le feu à la manière bédouine (photo Google).

Habituellement, qui n’est pas content, en Mauritanie, n’a qu’à « cogner sa tête contre un mur ¹» ou, à défaut d’être à ce point masochiste, tenter de « mordre son nez ² », tant il lui sera plus facile de contempler sa propre nuque que de prétendre changer l’ordre des choses.

C’est un peu comme ça que les gens de l’UPR  (Union pour la République) communiquent, par généraux et tribus interposés. Je m’y mets d’abord. Confortablement. Moi, mes bergers et mes chiens. Ensuite, mes amis et mes proches. Toi, là-bas, t’es le fils de qui ? Hé, ouiiiii !

Ce sont les Ben Voulane ³ ! Ah, ça, impossible de ne pas les avoir au Parlement. Et puis, il faut bien penser au président.

Un cousin par-ci, un neveu par-là et puis un lointain parent par là-bas, pour tromper la vigilance des autres, ce n’est jamais de trop. On ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac. Alors, nous avons été géniaux, en pensant à de petits autres sachets où l’on pourrait éventuellement empaqueter tout ce paquet de mécontents et de déshonorés.

Y a pas que député, maire ou général, dans cette République bananière là ! ambassadeur, ministre, CSA, directeurs de cabinet, comptables d’ambassade, conseillers, chargés de mission, PCA et autres emplois moins visibles, comme conseillers très spéciaux en affaires communes et louches. Donc, t’inquiète pas, mon pote, il y en aura pour tout le monde, dans cette République de la démo-gâchis militaire !

La crise. Toujours cette fameuse crise qui dure, dure, dure. Atypique. Vous savez, il y a, quand même, une chose bizarre qui se passe, en Mauritanie. Déjà, en 2005, les militaires nous parlaient d’une situation politique bloquée. Huit ans plus tard, où en est-on ? Une situation bloquée. La crise ! D’août 2009 à octobre 2013, tout se passe autour de la crise.

Cinq ans d’inertie, sur tous les plans. Rien n’a été fait, à quelque niveau que ça soit. Juste quelques poignées de goudron dans les yeux et des discours creux qui « n’engraissent ni ne prémunissent contre la faim ». Et ce ne sont pas ces élections, encore incertaines, qui permettront de voir le bout du tunnel.

Nous sommes obligés de répéter la même chose, sinon, on va dire quoi ? Que Aziz continue à aller à Toueïla ? Ce n’est pas de la presse, c’est de la vie privée des gens. Que les généraux continuent à s’immiscer publiquement en politique, en tirant les ficelles à partir de leurs bureaux qui ne servent plus que de salles de réunion où convoquer les mécontents pour les calmer, et les rivaux pour les réconcilier ?

Ce n’est pas de la presse, c’est du secret d’Etat. Que Messoud et Boïdiel soient en train de légitimer une mascarade électorale, comme en 2009, sachant fort bien qu’ils n’auront plus que leurs yeux pour pleurer, après ? Ce n’est pas de la presse, c’est de l’intoxication. Que la Hapa (Haute autorité pour l’audiovisuel) soit en train de commettre les mêmes erreurs de l’année passée ? Ce n’est pas de la presse, c’est de la diffamation.

Que les écoles n’aient pas encore commencé à enseigner ? Non, çà ce sont des ragots de journalistes. Que ça ne va pas au pays ? Hé, rengaines de journalistes de l’opposition. Finalement, que faire ? Nous sommes devenus comme le cadi des autres ! Les gens ont raison de nommer les partis par le nom de leur leader. C’est plus facile à retenir. C’est plus court. Et c’est, surtout, plus vrai.

Chelkhett Demba. Ould Ely Baby. Hassi Ehl Ahmed Bechna. Eddebaye Mansour… Parti d’Aziz, d’Ould Daddah, de Messoud, de Boïdiel, de Jamil, Ibrahima Sarr, Ould Mah, Ould Abeïdarrahmane, partis des Jeunes, Héhé, Baro et Lalla…

C’est mon bien, j’en donne et j’en reprends. Exemple, au hasard : comment un parti comme l’APP (Alliance populaire progressiste) peut aussi facilement placer, sur sa liste nationale, juste après son président, un nouveau venu, au détriment de gens qui sont là depuis le FDUC (Front démocratique uni pour le changement), le RFD (Rassemblement des forces démocratiques), le RFD/ ère nouvelle , AC et APP ?

Comment, à l’UPR et à El Wiam, gomme-t-on, comme sur un cahier de petit écolier, et dégomme-t-on les gens, suivant des considérations d’un autre âge ? « Les gens avancent, la Mauritanie progresse », comme disait mon vieil ami Sy, un garde retraité, « spécialiste ès» de la langue de Molière. Nous voulions une République, on nous a servi de petits royaumes et de petits roitelets.

Sneiba El Kory (Le Calame)

1. Traduction littérale d’une expression en hassaniya : « en’tah elheyth »

2. Idem

3. Fils de. Référence à la tribu.


Mauritanie : comment se prépare le grand cirque des élections

Généraux mauritaniens (Crédit photo : Noorinfo)
Généraux mauritaniens (Crédit photo : Noorinfo)

Les Mauritaniens aiment le jeu. En politique. Tout le monde triche, accepte des règles de jeu aux contours flous. Autant dire une absence de règles. Un jeu à quitte ou double. Depuis que les Mauritaniens ont découvert les subtilités de la démocratie qu’ils ont très vite assimilée à un « jeu de Blancs », donc n’engageant personne de façon sérieuse. Ce qui compte, c’est d’avoir les moyens de sa politique. Etre le plus fort. Ou le plus rusé.

A ce jeu-là, seul le président Aziz a, jusque-là, gagné toutes ses parties. Contre toutes les adversaires en présence. Y compris son propre camp qui ne parvient pas encore à comprendre ses vrais désirs et volontés.

Il avait commencé, en 2005, par décréter la mort du Père. Le coup d’Etat contre Taya avait été présenté non pas comme une énième révolution de palais qui consacre la Mauritanie comme le pays le plus capé en la matière sur le continent africain, mais plus qu’un « redressement », plus qu’un « salut » : une rédemption. Aziz « se lave » ainsi de la vingtaine d’années passées aux côtés du dictateur Taya en tant qu’aide de camp ou commandant de la Garde présidentielle (Basep).

Les Mauritaniens n’étaient pas dupes, mais ils aimaient le jeu, je vous l’ai dit. Depuis trente ans, ils accompagnent tout changement de régime par des marches de soutien « spontanées » qui traduisent parfaitement le souci de continuité du système. « Le roi est mort, vive le roi ». Ou plutôt : le président est parti, vive le président ! Personne ne s’étonne que les premiers à sortir dans les « marches de soutien » au nouveau pouvoir soient ceux-là mêmes qui juraient fidélité à celui qu’il venait de déloger. Ce n’était qu’un jeu, je vous le répète. Il reprend avec de nouveaux acteurs, c’est tout. Le décor ne change pas. Les spectateurs – le peuple – acceptent de rester encore pour suivre cette nouvelle partie. Les paris sont relancés. Les militaires s’installent ; il en est ainsi depuis 1978. Ils assurent. Et rassurent. La politique reprend ses droits. On rejoue. Transition. Concertation. Elections. Jeu. A quitte ou double. Trichez, c’est permis, Messieurs.

Les militaires font semblant d’organiser des élections « libres et transparentes » avant de regagner leurs casernes. Mais sous la table, ils manoeuvrent pour garder la main. Par « président qui rassure¹ » interposé. Des civils mis au parfum de cette combine politico-militaire, acceptent de jouer le jeu. De toutes les façons, Daddah ou Sidioca, « mbourou fof ko farine² », comme disent nos frères pulaar. Ils sont tous deux de la « génération des indépendances ». Ils ont pratiquement le même âge. Ils furent ministres dans les années 60-70. Ils appartiennent à des familles maraboutiques du centre du pays. Mais le plus important est que celui qui allait gagner les élections de 2007 avait peu de chances de se représenter en 2012. Un argument qui a pesé lourd dans la balance pour que les hommes politiques à l’ambition débordante acceptent de jouer le jeu des militaires. Sans avoir le choix des armes.

C’est tout cela qui explique l’anarchie politique que nous observons aujourd’hui, sans savoir qui est qui ou qui fait quoi. Le changement, en fait, c’est ce « désordre constructif » qui accompagnera, inéluctablement, les futures élections municipales et législatives. Plus qu’en 2006, les pouvoirs qui comptent seront, dans l’ordre, l’Armée, la tribu, l’argent et le savoir.

Le rôle de l’armée dans la gestion du pouvoir est de plus en plus évident. Comment comprendre, sans cela, que le nombre de généraux passe de deux, en 2007, à près de vingt aujourd’hui ! La « généralisation » de l’armée, comme je l’ai appelé dans un billet précédent, est une sorte de prime au mérité donnée par le président Aziz à ses anciens compagnons du Haut Conseil d’Etat (HCE) qui ont accompagné ses plans de reconquête du pouvoir après le putsch de 2005. A part l’ancien chef du HCE, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, auquel on prêtait l’intention d’avoir cherché à revenir au pouvoir à la ATT³, et le chef d’état-major de la Transition militaire 2005-2007, le colonel Abdarrahman Ould Boubacar, tous deux rangés aujourd’hui au sein de la Coordination de l’opposition démocratique.

Rebelote

La COD, sans les Islamistes, opte pour le boycott (photo: Elhourriya.net)
La COD, sans les islamistes, opte pour le boycott (photo : Elhourriya.net)

Je ne reviendrai pas ici sur les péripéties de la « Rectification » de 2008. C’est déjà trop loin. Et puis, la situation politique en Mauritanie a beaucoup changé. Beaucoup d’acteurs de la crise de 2008 ont déserté leurs positions. D’opposants à « souteneurs » du pouvoir ou vice versa. Le jeu est ainsi devenu très sophistiqué. Plus risqué aussi. Les militaires n’ont pas déposé les armes, ils les ont seulement camouflées pour jouer plus librement à la politique avec des civils qui se croyaient plus intelligents. Oubliant que la politique est avant tout affaire de stratégie. De jeu.

Depuis la destitution de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et l’élection présidentielle rendue possible par l’accord de Dakar, les forces en présence manquent de visibilité. De lisibilité.

La soixante de partis, sinon plus, qui déclarent soutenir le président de la République et œuvrer pour la réalisation de son programme politique ne participent pas, réellement, à la gestion du pouvoir. De sorte qu’il m’est arrivé de me poser cette question : Aziz peut-il gouverner sans majorité ? Celle-ci est-elle suffisante sans être nécessaire ?

L’importance de la majorité actuelle est qu’elle sert de « faire-valoir ». Elle justifie une politique économique et sociale à laquelle elle ne prend part que de loin. Tout se conçoit à la présidence et descend vers les « ministrés » pour sa mise en œuvre. Comment imaginer un ministre qui ne conçoit pas la politique de son département ? Si l’on prend la question par l’autre bout, l’on se rend compte également que le Parlement joue le même rôle. Il continue de servir de chambre d’enregistrement. Les projets de loi sont très souvent adoptés sans être adaptés. Au Niveau de l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir, pas un mot plus haut que l’autre tant que le président de la République ne s’est pas prononcé. Même sur des questions de cinquième degré, comme un possible report des élections ou la possibilité de dialoguer avec la Coordination de l’opposition démocratique (COD). C’est toujours des approximations, si ce n’est le silence des cimetières tant que l’avis de la Présidence n’a pas été clairement exprimé. La discipline ici est celle qui dit que « le chef a toujours raison ». Aziz qui n’est pas en théorie le président de l’UPR est, dans la pratique, celui qui lui dicte ses choix politiques comme il est encore le chef du gouvernement, bien que la Constitution amendée ait considérablement valorisé le rôle du premier ministre, donnant obligation de le choisir désormais dans le parti majoritaire et le rendant responsable devant le Parlement. Ce serait vraiment une avancée démocratique si les élus perçoivent la portée de ces amendements constitutionnels qui constituent, pour eux, un contrepoids contre un gouvernement pas souvent bien inspiré dans ses choix économiques et sociaux.

Des élections sans « indépendants » mais…

Devant un bureau de vote (photo: Magharabia)
Devant un bureau de vote (pho to: Magharabia)

Depuis 2011, le pouvoir manœuvre pour avoir des élections à sa mesure. Pour conserver une majorité parlementaire confortable. Celle dont il dispose depuis 2006 est un « ramassis » de tout : anciens du parti au pouvoir, Adil, lui-même avatar du défunt PRDS de Taya, des « indépendants » dépendants de la junte qui ont été remobilisés pour assurer la victoire de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi avant de mener la fronde contre lui, et des transfuges de l’opposition, notamment du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) d’Ahmed Ould Daddah. L’interdiction des candidatures indépendantes, vue par les partis comme une manière de se prémunir contre la « rébellion politique » se révèle aujourd’hui être un couteau à double tranchant. Les chefs tribaux, les hommes d’affaires « bolleticiens » et une partie des membres de l’élite non cooptés par le parti au pouvoir pour devenir maires ou députés, se tournent vers d’autres formations politiques de la majorité ou, rarement, de l’opposition ! L’essentiel pour eux est de montrer au pouvoir qu’il faut compter avec eux dans une « Mauritanie profonde » où l’allégeance à la tribu et aux marabouts est encore plus forte que celle qu’on voue au parti-Etat et au pouvoir. Ce dernier pense pourtant avoir trouvé la parade : des partis refuges qui, tout en affaiblissant la formation au pouvoir, permettent quand même au président Aziz de conserver son « troupeau » d’élus intact. Et c’est ce qui compte pour rempiler en 2014. Tout le reste n’est que jeu.

 1. Slogan de campagne de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi (SIDIOCA), en 2007.

2. Toutes sortes de pain est à base de farine (c’est du pareil au même).

3. Amadou Toumani Touré (ATT), ancien président malien revenu au pouvoir par la voie des urnes, le 8 juin 2002, après avoir organisé un putsch en mars 1991. Il est chassé du pouvoir par le capitaine Sanogo, en mars 2012.


La Mauritanie « championne » du monde de l’esclavage, selon le rapport 2013 de la fondation australienne Walk Free

Conditions d'esclaves dans la Mauritanie de 1948.
Conditions d’esclaves dans la Mauritanie de 1948.

 « Triste record : la Mauritanie est classée numéro 1 des pays esclavagistes dans le monde », titre l’Initiative pour la résurgence d’un mouvement antiesclavagiste en Mauritanie (IRA), dans un communiqué qui rend compte du rapport 2013 de la fondation australienne Walk Free sur l’état de l’esclavage dans le monde.

La Mauritanie arrive largement en tête des 162 pays pris en compte dans ce classement infamant en termes de prévalence de l’esclavage. Sans saluer cette « performance », le rapport indique qu’elle pointe en tête avec une note 97, 90, loin devant le deuxième de ce classement qui est la République de Haïti avec 52, 26. Le Pakistan occupe la troisième place de ce podium très particulier avec une note de 32, 11.

Le rapport souligne que la note attribuée à chaque pays est un agrégat de trois facteurs : la prévalence de l’esclavage moderne, le taux de mariages de mineurs et le niveau de trafic de personnes. Et bien que cette précision soit de nature à éloigner de l’esprit de certains qu’il y a encore en Mauritanie des « marchés à esclaves », il faut tout de même souligner que le rang qu’occupe notre pays relance la question – la problématique, dirai-je – sur la nature de cet esclavage : réalité ou séquelles ?

Colonel Haidalla, à droite, président du CMSN. Il a abolit l'esclavage en 1981
Le colonel Haidalla, à droite, président du CMSN. Il a aboli l’esclavage en 1981.

A ce qui semble constituer une victoire pour les antiesclavagistes mauritaniens d’IRA, qui ont pris la relève du mouvement historique d’El Hor (le libre), les défenseurs d’une Mauritanie « sans esclavage » vont émettre un doute sur la fiabilité de ce rapport. Le fait qu’il soit établi dans la lointaine contrée d’Australie sera présenté comme une méconnaissance de la Mauritanie et un simple préjugé sur ce qui est dit ou écrit par Biram Ould Dah Ould Abeid et ses amis occidentaux. Par contre, l’IRA avancera que le phénomène est tel qu’il est vu par des organisations internationales qui probablement ne connaissaient notre pays que de nom.

La question de l’esclavage en Mauritanie divise

Pour tous les gouvernements qui se sont succédé en Mauritanie depuis 1981, il n’existe plus que des séquelles de l’esclavage. Les plus cyniques parmi les défenseurs de cette thèse parlent d’une attitude de bon sens : l’abolition de l’esclavage par une ordonnance prise à cette date par le Comité militaire de redressement national (CMRN) incarné par le colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla le frappait de pratique « hors la loi ». C’est-à-dire que ceux qui détenaient encore des esclaves s’exposaient aux sanctions prévues par la législation mauritanienne en la matière. Mais pour qui connaît la nature de la justice dans notre pays, il était facile d’imaginer les tours et détours qui empêcheraient que les sanctions tombent. C’est la faiblesse de l’appareil judiciaire, sa complicité même, qui sont mises en cause aujourd’hui par l’IRA. C’est l’administration qui renferme en son sein des esclavagistes de pères en fils qui fait preuve de complaisance dans pratiquement tous les cas qui sont soumis aux autorités compétentes. C’est une partie de l’élite haratine (Maures noirs) qui s’est emparée de cette cause pour la tourner – et retourner – selon le profit qu’elle peut en tirer ici (en jouant la carte du pouvoir) ou à l’étranger. L’ambassadeur Bilal Ould Werzeg, l’un des pionniers de la lutte antiesclavagiste en Mauritanie, a bien mis le doigt sur la plaie : il faut cesser de nommer les cadres haratines en leur faisant croire qu’on leur remet la « part » de leurs frères non instruits. Ils ne doivent être cooptés qu’en fonction de leurs mérites et cela doit être le cas pour tout autre Mauritanien, blanc ou noir, arabe ou négro-africain.  Pour les anciens esclaves, une discrimination positive doit être opérée dans le cadre de l’action de la nouvelle agence « Tadamoun » (Solidarité) mise en place par le gouvernement et censée lutter contre les séquelles de l’esclavage. L’accent doit être mis sur l’éducation et l’insertion dans le tissu économique pas sur des théories fumeuses d’égalité, de liberté et de démocratie. Comme cela a été repris dans la loi criminalisant l’esclavage, adopté le 8 août 2007 par le Parlement mauritanien, et punissant de dix ans d’emprisonnement les détenteurs d’esclaves. Et ils seraient encore nombreux si l’on en croit donc ce nouveau rapport qui vient conforter les thèses d’IRA.

Les esclaves des temps modernes

 

Dockers Haratines, "les esclaves des temps modernes"
Dockers haratines, « les esclaves des temps modernes ».

La condition des haratines est telle que pour beaucoup d’experts et d’étrangers qui visitent la Mauritanie ils sont ces « esclaves des temps modernes » dont parlait Albert Memmi évoquant la situation des immigrés maghrébins en France. Qu’ils soient les seuls à pratiquer le métier de dockers, de blanchisseurs, de boys, de manœuvres, de gardiens et de tant d’autres tâches considérées comme avilissantes par leurs anciens maîtres, ne milite pas pour la résolution définitive de cette question d’inégalité sociale. L’esclavage moderne est pire que l’esclavage qui se pratiquait – se pratique – dans les campements et villages de la Mauritanie coloniale. Il consacre l’image d’une Mauritanie où le travail détermine le statut social et le degré de citoyenneté de chacun. Encore une fois, c’est le défi majeur que l’agence « Tadamoun » doit relever pour que cesse cette division du travail qui ne dit pas son nom. Et pour que cesse aussi le tort qu’on fait à des Mauritaniens rendus responsables d’une infamie que même des haratines ont pratiqué contre leurs propres frères. C’est le prix à payer pour que la Mauritanie cesse d’être présentée, dans un reportage de la CNN, comme « Le dernier bastion de l’esclavage »

avec 10 % à 20 % de la population qui serait encore soumise à cette terrible condition.

Ceci peut être vrai quand on sait qu’il y a des domaines où cet esclavage des temps modernes ne fait pas de différence entre les différentes communautés nationales : le travail des enfants et l’oppression de la femme. Considérant le reportage de CNN comme plein de « raccourcis », un expatrié évoque la situation ainsi : « J’ai travaillé sporadiquement en Mauritanie pendant huit ans et je m’évertue à comprendre intégralement ce problème d’esclavage. Je me sens bien sûr mal à l’aise à chaque fois que je vois un jeune enfant travaillant chez quelqu’un, qu’il soit noir ou arabe, et les relations de travail et d’argent sont très peu claires pour moi ». Et plus loin : « Je savais que l’esclavage continuait à exister sous de nouveaux noms, comme la prostitution ou le travail des enfants (car les catégoriser de façon plus soignée nous permet de nous sentir mieux), mais je pensais que l’ère durant laquelle les gouvernements se voilaient la face (ce qui est le cas pour la Mauritanie) était révolue. Peu importe la façon dont nous essayons d’amortir le choc avec nos doux euphémismes, tant que des personnes seront considérées comme des propriétés, l’esclavagisme existera ». L’aurez-vous imaginé au XXIe siècle ?

 

 

 

 

 


Mauritanie : le douloureux réveil de l’après-Tabaski

Billets de 5000 UM (Crédit photo: Ahmed Bettar)
Billets de 5000 UM (Crédit photo : Ahmed Bettar)

La fête est maintenant derrière non. Ou plutôt non. Certes le mouton du sacrifice a bien été consommé, les beaux habits portés avec panache et parfois un brin d’orgueil et les rencontres entre membres d’une même famille, proches et amis vécus comme les meilleurs moments de la vie. Maintenant, les pères de famille sont laissés seuls face à l’après fête.

Et oui, les bobos ne font que commencer. Il faut solder toutes ces dépenses – extravagantes – qui ont occasionné des  « trous  » comme on dit dans les trésoreries des ménages et qu’il va falloir combler. Avec toutes sortes de gymnastiques. Devant l’immeuble de la banque BMCI, des pères de famille venus guettaient, à la veille de la fête, de possibles avances sur salaires comme cela a été fait pour l’Id Maouloud consacrant la rupture du ramadan. Et quand ils ont compris que les banques rechignent cette fois-ci à offrir de telles facilités à leurs clients, ils auront probablement recours à toutes les gymnastiques possibles et imaginables pour faire face à des dépenses de fête inéluctables, salaires ou pas.

Les privilégiés du secteur de l’éducation et de la santé

En Mauritanie, c’est connu, personne ne vit de son salaire. Tout le monde s’adonne au fameux « tieb-tieb » (système D) qui permet à de très nombreux fonctionnaires et agents de l’Etat d’arrondir leurs fins de mois. Après les fonctionnaires du ministère des Finances, du Développement économique, de la Justice et des établissements comme la SOMELEC (Société mauritanienne d’électricité), la SNDE (Société nationale d’eau), ceux des secteurs de la santé et de l’éducation sont considérés comme des « privilégiés ». Non pas parce qu’ils gagnent de gros salaires, mais parce qu’ils ont des opportunités dans le secteur privé. Les cliniques, pharmacies et écoles qui pullulent à Nouakchott fonctionnent à 90 % avec le personnel technique formé par l’Etat !

Un bon prof de maths, de physique ou de français gagne facilement un revenu mensuel de 500 000 UM (1250 euros) ! Les cours à domicile rapportent mais aussi les cours de rattrapage dispensés en groupe, aux heures du soir, dans les locaux de l’établissement. Médecins et infirmiers d’Etat brassent, eux aussi, leur business dans le privé et provoquent souvent la grogne de citoyens qui pensent que la santé est l’un des secteurs qui, avec l’éducation, souffre le plus de ce « double emploi ».

Ceci dit, il y a des pères de familles qui sont loin d’avoir les mêmes opportunités que celles offertes par le secteur privé aux enseignants et aux praticiens de la santé. Dans plusieurs cas, le système D ne fonctionne que passablement.

On ne prête aux pauvres…

Les revenus dépendent de plusieurs paramètres comme la circulation de l’argent à la veille des fêtes (dans les bourses de voitures, les ventes montent en flèche), la période (les vacances diminuent l’intensité des affaires à Nouakchott, tout le monde ayant « fui » vers la campagne) ou encore l’approche d’élections qui font que les riches sont plus enclins à prêter aux pauvres ! Comme en ce moment.

Parce qu’ils auront besoin de leurs voix le 23 novembre prochain pour occuper l’un de ces postes électifs qui sont l’un des meilleurs sésames auprès du pouvoir et partant le moyen le plus sûr pour récupérer la mise. Comme quoi, la politique est un investissement qui peut rapporter gros, surtout dans un pays comme la Mauritanie où le niveau de conscience du peuple se limite à la compréhension des luttes épisodiques entre ceux qui se réclament de la Majorité et ceux qui s’opposent au pouvoir.

Pour cette fête donc, les Mauritaniens bien que préoccupés par les futures élections, et les conséquences qu’elle peut avoir sur la gestion des affaires publiques, n’ont pas dérogé à la règle. Qu’on soit pauvre ou riche, le rituel des dépenses de fête a été respecté. Le présent comptait plus que l’’avenir et, maintenant que la fête est devenue du passé, l’on se soucie, paradoxalement, de son être-là qui ne peut pas attendre. Il faut manger et boire, payer sa facture d’eau et d’électricité, se soucier de la santé des enfants. Il faut survivre. Jusqu’à la prochaine fête.


Elections en Mauritanie : « Bolletiguement » correct

Meeting de l'opposition mauritanienne (photo: Afp)
Meeting de l’opposition mauritanienne (photo: Afp)

Bon on peut maintenant le dire avec 70% de certitude : Les élections municipales et législatives auront bien lieu le 23 novembre 2013. Pourquoi une conviction de 70% ? Tout simplement pour ne pas déroger à la « règle » depuis que le gouvernement et le parti au pouvoir en Mauritanie ont déclaré, en cette fin de mandat du président Mohamed Ould Abdel Aziz que son programme électoral (en fait ses promesses) est accompli à ce seuil très respectable de 70% !

Ma conviction à moi a d’autres raisons « suffisantes » mais non nécessaires :

1 – On ne peut prolonger indéfiniment le mandat d’un parlement et de conseils municipaux qui vivent – survivent – depuis deux ans grâce à des « accommodements » constitutionnels émanant d’un dialogue entre le pouvoir et une partie de l’opposition.

2 – Le parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR) estime sans doute être fin prêt pour descendre dans l’areine des élections. Il est le seul à avoir présenté 218 listes dans les 218 communes du pays.

3 – Le spectre du boycott de ces élections par la totalité de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) a finalement été évité. Certes le parti islamiste « Tawassoul » est le seul à avoir décidé de participer mais c’est une formation qui compte. D’aucuns considèrent même que c’est le seul parti des dix qui composent la COD à disposer de chances réelles pour venir bousculer les certitudes du parti au pouvoir et de ses alliés au sein de la majorité présidentielle.

4 – Enfin, la pression des partenaires au développement de la Mauritanie, notamment de l’Union européenne a joué grandement dans le « dénouement » des aspects de la crise liés aux élections. Certains médias locaux ont parlé de milliards d’euros qui attendent l’organisation des élections pour venir renflouer les caisses de l’Etat.

Ceci dit, revenons à l’aspect le plus important de cette nouvelle-ancienne situation politique en Mauritanie : Pourquoi des élections « bolletiguement » correct ?

Pour ceux qui ne le savent pas « bolletig » c’est la politique à la mauritanienne. Mais attention, le terme a un sens tout autre ; il signifie « ruser », « tromper », « user de moyens souvent peu orthodoxes pour arriver à ses fins ». « Metbolteg » qui devrait correspondre, en bon français, à « politisé » a plutôt le sens de « truand » ! C’est la fin qui justifie (tous) les moyens : mentir, trahir, aller (vers la majorité), revenir (à l’opposition), corrompre, se laisser corrompre, applaudir des mains et des pieds, vendre son âme au diable, crier plus fort que les autres…

C’est ce qui explique aujourd’hui l’état de pagaille généralisée que connait la classe politique mauritanienne. Mais aussi ses incertitudes…

…Au sein de la majorité.

On a voulu faire croire aux mauritaniens (et au reste du monde) que le changement de régime en 2005 était une « révolution », que rien ne sera plus comme avant. Moi j’avais pensé cela en termes de mise à l’écart de la tribu, non pas en tant qu’entité sociale nécessaire mais comme instrument pour régenter la vie politique de ses membres. J’avais cru également qu’il y aurait plus de justice sociale, de justice tout court. Que les hommes d’affaires ne vont plus continuer à jouir de passe-droits dans une sorte de combine avec ceux qui président à nos destinées. En fait c’était une somme d’illusions vite démenties par la réalité : pour faire élire Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, les militaires avaient recouru à la tribu et aux anciens barons du système Taya. Certes, ils ne pouvaient pas « reconduire » le PRDS mais ils avaient trouvé la parade : les « indépendants » ! Quand ils ont fini par nous jouer le tour, ils ont ordonné à ces « bolleticiens » de se regrouper à nouveau. Adil était né pour servir de parti au pouvoir sous Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. C’était déjà la remise en cause de cette « révolution » que les soutiens de l’actuel président s’accordent pourtant à présenter comme le prélude au « printemps arabe » qui allait secouer, quatre ans plus tard, la Tunisie, l’Egypte, la Libye, Le Yémen et la Syrie. Pour récompenser les « héros » de la fronde contre Sidi, la « bolletig » avait encore pleinement joué : Les anciens ministres de Taya avaient été placés – déplacés – dans des postes d’ambassadeurs ou de présidents de conseils d’administration ! Discrétion oblige pour tromper le petit peuple qui croyait au « changement constructif ».

…l’opposition aussi

 La « bolletig » comme avatar de la politique n’est pas l’apanage du seul pouvoir mauritanien. L’opposition – ou les oppositions – la manie aussi avec l’art consommé de celui qui veut jouer sur plusieurs cordes à la fois. Tous les mauvais choix de la COD viennent de son ambivalence. Son ambiguïté. Quand elle refuse le coup d’Etat contre Sidi, en août 2008, et va à Dakar pour dialoguer. D’abord c’était pour le retour à l’ordre constitutionnel, le retour du président « démocratiquement élu » par les militaires et débarqué par eux quand il ne se soumettait plus à leurs ordres, ensuite pour convenir avec le général Aziz des conditions d’organisation de nouvelles élections. Sans Sidi dont la « défense » aura donc servi seulement à mettre la pression sur les généraux pour tenter de leur arracher le pouvoir.

Les partis d’opposition étaient ensemble contre le pouvoir du président Aziz mais se regardaient eux-mêmes en chiens de faïence. Chaque parti manoeuvrait pour que  son chef écarte de la voie vers la présidence  ses « alliés » de circonstance et œuvre pour être président à la place du président. Les islamistes n’ont-ils pas avoué qu’au moment où la COD, dont ils sont membres, s’acheminait inéluctablement vers le boycott eux préparaient, dans le secret le plus total, les élections ? Parfaite illustration ici de la « bolletig » comme perfidie. De même, les partis de la Coalition pour une Alternance Pacifique (CAP) qui ont fait le choix de la participation crient aujourd’hui à la manipulation et à la «soumission » de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) à des ordres venus d’en-haut ! Pourquoi aller donc à la boucherie électorale comme le faisait l’opposition du temps de la « démogâchis » de Taya ? Le boycott est certes un mauvais choix mais quand on décide d’y aller, il faut y aller. A nos risques et périls.


Mauritanie : Etre maire, non merci !

Les ordures, un problème de santé publique à Rosso (photo: Sneiba)
Les ordures, un problème de santé publique à Rosso (photo: Sneiba)

En Mauritanie, la frénésie des élections municipales et législatives s’empare de tout le monde. Politiques et citoyens lambda confondus. Après les péripéties de la course à l’investiture, surtout au niveau de l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir en Mauritanie, place maintenant à la chasse aux voix. La course est donc lancée. Sans que l’on sache que c’est la ruée vers les problèmes. Oui, je n’exagère pas.

De passage à Rosso, capitale du Trarza, j’ai mesuré l’ampleur de la tâche qui attend le futur maire de cette ville-frontière, bâtie au bord du fleuve Sénégal et dont les populations constituent le meilleur témoignage du brassage culturel en Mauritanie et des liens séculiers qu’elle entretient avec son voisin du sud.

La plaine de M'pourié à Rosso (photo : Sneiba)
La plaine de M’pourié à Rosso (photo : Sneiba)

Rosso s’est présentée à moi comme la ville de tous les paradoxes. Entre des potentialités économiques certaines et un mal développement visible à l’œil nu. Exaspérant même. Impossible d’aimer cette ville si on n’est pas l’un de ses « fils » comme on dit. Si la cité minière de Zouerate est présentée comme la « ville la plus propre de Mauritanie », Rosso est, incontestablement, celle qui ploie sous le poids des ordures. Le maire sortant, non reconduit, a certainement dû payer pour cet aspect sombre de sa gestion. Il devait comprendre que, depuis 2005, les Mauritaniens ont appris, la pratique aidant, à dire « non ». Ils subissent durant cinq ans mais se révoltent en fin de compte pour empêcher le retour aux affaires des élus fainéants. Et le parti au pouvoir est désormais obligé de jouer le jeu. Pour éviter les frictions. Eviter surtout qu’on assimile ses rapports avec la base à ceux du défunt PRDS.

Le marché de Rosso, en face de l'hôpital (photo: Sneiba)
Le marché de Rosso, en face de l’hôpital (photo: Sneiba)

Des observateurs avertis trouvent « compréhensibles » le déboulonnage de la plupart des maires UPR des grandes villes : Nouadhibou, capitale économique du pays, Néma, ville frontalière avec le Mali et porte des échanges avec Bamako, le Niger et la Cote d’Ivoire, Kiffa, deuxième concentration urbaine après Nouakchott, le Ksar (l’une des 9 communes de la capitale) et…Rosso. Le maire qui aura à gérer les affaires de cette cité, après les élections du 23 novembre prochain, doit faire face à des problèmes de toutes sortes. Dont le moindre n’est pas celui de l’assainissement.

Une école de la ville de Rosso (photo: Sneiba)
Une école de la ville de Rosso (photo: Sneiba)

L’approvisionnement en eau potable est l’un des principaux soucis de la ville, malgré les financements que le maire sortant a mobilisé, selon les dires d’un journal local¹. Approvisionnée à partir du fleuve, Rosso fait face aux problèmes de son extension. Les promesses du maire sortant de faire venir l’eau jusqu’au PK 7 sont restées lettre morte. A cause d’un obstacle technique : L’installation de l’ASCOM (OMVS²) ne pouvant supporter un tel projet, il faut un tuyau de 300 mm de diamètre branché sur l’ancien château d’eau. Le programme non réalisé par l’actuel maire de la ville constituera, sans nul doute, le principal défi pour son successeur. Parce qu’il en va de l’avenir de la nouvelle ville de Rosso que l’Etat a construite comme solution aux inondations de 2009.

La nouvelle ville, un début de solution

Site de la nouvelle ville de Rosso (photo : Sneiba)
Site de la nouvelle ville de Rosso (photo : Sneiba)

Le principal problème des villes mauritaniennes est d’abord qu’elles ont été construites sans plan directeur. Il s’agissait, au départ de bourgs, de villages où tout s’emmêle : activités agricoles, élevage et commerce ! L’exode rural, suite à la grande sécheresse du début des années 70 du siècle dernier, a contribué à l’expansion de ces villes « sans visage », avec la naissance de quartiers qui portent bien leur nom : kebba (dépotoir) et gazra (squat). Un phénomène d’urbanité sauvage que l’on a surtout observé dans les villes de Nouakchott et de Nouadhibou mais qui, à Rosso, à donné le quartier de Satara ainsi que d’autres « M’Aîvissa » (la forcée), à Aleg, et « El Moussafrine » (rapatriés) de Boghé.

Le village des pêcheurs à Rosso (photo : Sneiba)
Le village des pêcheurs à Rosso (photo : Sneiba)

A Rosso, la création d’une nouvelle ville a le double avantage de trouver une solution aux inondations et de dégager l’espace « vital » de la capitale du Trarza, à savoir le fleuve pour en profiter pleinement dans le domaine de  l’agriculture, de l’industrie, la navigation et la pêche. Mais quatre ans après le lancement de ce projet, avec la réalisation des infrastructures de base nécessaires (routes, hôpital, électricité, bâtiments administratifs, etc, les populations rechignent à aller occuper leurs nouveaux terrains. L’on espère cependant que le candidat du parti au pouvoir, l’actuel ministre du Commerce, de l’industrie, de l’artisanat et du tourisme, Bemba Ould Dramane, s’il parvient à se défaire de ses principaux rivaux de l’APP, Al Wiam, de Tawassoul et du Sursaut, pourra réaliser les promesses non tenues d’un maire élu sous les couleurs du RFD (opposition) et passé, peu de temps après, dans le camp du pouvoir.

1. Mauritanies1 n°33 du 1er septembre au 10 octobre 2013 

 2. Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (Guinée, Mali, Mauritanie, Sénégal)


Mauritanie : Elections agitées à peu agitées

Conférence de presse de la COD (opposition)
Conférence de presse de la COD (Crédit photo: Elhourriya.net)

Finalement, l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir en Mauritanie, n’ira pas seule aux élections du 23 novembre 2013. A quelques heures de la clôture du dépôt des listes candidates pour les élections locales, les choses se sont précipitées. D’abord les islamistes de « Tawassoul », formation bien structurée, donnée pour être la seconde force politique actuellement, après le parti au pouvoir, n’a pas voulu se condamner à cinq ans d’errance, en boycottant un scrutin où tous les indicateurs prouvent qu’elle peut améliorer sa présence au Parlement et dans les conseils municipaux. Des considérations électoralistes qui justifient, aux yeux de certains, le « mauvais » tour que les islamistes mauritaniens viennent de jouer à leurs amis de la Coordination de l’opposition démocratique (COD). « Tawassoul » donc, a annoncé, dans la journée de jeudi dernier, qu’il ira bien aux élections, contre l’avis de la majorité au sein de la COD, dix partis sur onze ayant opté pour le boycott. Son président, Mohamed Jamil Mansour, a révélé, devant la presse nationale, que son parti se préparait, dans le secret le plus total, et engage donc plus de 150 listes sur l’ensemble du territoire. Il vient en troisième position, en termes de listes candidates, derrière le parti au pouvoir, qui couvre la totalité des 218 communes du pays, et du Sursaut de la jeunesse pour la Nation, formation conduite par la ministre de la Culture, de la jeunesse et des sports, qui brigue le suffrage des Mauritaniens dans 180 communes. Le parti « Al Wiam (opposition) présente 111 listes mais menace de les retirer de la course si certains hauts responsables de l’Etat usent et abusent du pouvoir de persuasion qu’est l’argent et les « promotions » aux postes dans l’administration.

Les islamistes qui ont donc trahi la « sainte » alliance de l’opposition, choisissent cette voie, malgré tous les griefs fait à l’organisation des élections en cours depuis plusieurs mois, et à la Commission électorale nationale indépendante (CENI) que l’on taxe d’être aux ordres du pouvoir. Dès l’annonce de la participation, ils ont aussitôt pris contact avec « l’autre opposition » :  la Coalition pour une alternance pacifique (CAP), en rupture de ban avec la COD, depuis 2011, quand elle avait jugé son discours anti-démocratique, parce qu’il demande le « rahil » (départ) du président Mohamed Ould Abdel Aziz par une action non démocratique.  Probablement, que « Tawassoul » cherche à nouer une alliance de circonstance avec les trois partis de cette coalition (APP, du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, Al Wiam, de Boydieil Ould Houmeid, plusieurs fois ministres, et de « Sawab », parti d’obédience baathiste du Dr Abdessalam Ould Horma).

Il y a aussi qu’un autre parti de la COD, l’Union des forces de progrès (UFP) a décidé, au dernier moment, de se présenter dans les circonscriptions où il pense avoir des chances de conserver les mairies qu’il détient depuis 2006. Cette dernière volte-face s’est faite contre l’avis du président de cette formation, Mohamed Ould Maouloud, et une partie de la presse mauritanienne l’assimile à un véritable coup de force qui risque d’avoir des conséquences fâcheuses sur l’avenir de l’Ufp. Du côté du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), le plus grand parti de l’opposition, par sa représentation au Parlement et dans les conseils municipaux, l’on ne parle pas encore de « trahison » mais Mouna Mint Dèye, une dirigeante proche de son président Ahmed Ould Daddah, voit la main des services de renseignements dans le « coup fourré » des Udépistes qui ont finalement suivi le choix de « Tawassoul ».

Brouiller les cartes de l’UPR

Contrairement à ce que pensent certains, ce retour de situation, après avoir misé sur le boycott de la totalité des partis de la COD – et même parfois sur celui de l’Alliance populaire progressiste (APP) du président de l’Assemblée nationale, n’arrange pas les affaires de l’UPR. Certes, le parti au pouvoir a joué serré, en gardant au secret ses choix jusqu’à la veille de la clôture du dépôt des listes, mais certains mécontents ont eu le temps de se rabattre sur d’autres partis de la Majorité (c’est le cas du Sursaut à Kaédi)ou même de l’opposition (le maire de Wad Naga, non reconduit, qui passe avec armes et électeurs chez les islamistes de Tawassoul ou encore celui de Bir Mogrein qui attérit à Al Wiam).

Des mécontentements de faible magnitude certes mais qui risquent d’être plus grands lors du choix des candidatures pour l’Assemblée nationale. Là, l’enjeu est beaucoup plus important et sans doute que ce premier test pour l’UPR a déjà amené certains groupes politiques à penser, sérieusement, à contrer rapidement toute nouvelle défaillance. L’UPR a réussi, lors du dialogue national avec une partie de l’opposition, à se prémunir contre la « rébellion » que constituaient, dans le passé, les candidatures indépendantes mais le vote sanction reste l’arme redoutable des tribus, groupes ou hommes politiques qui veulent prouver au pouvoir qu’il faut toujours compter avec eux.


Mauritanie : le renouvellement de la classe politique ne se décrète pas, il faut le provoquer

Les militants des quatre partis de jeunes réunis au palais des congrès (photo: AMI)
Les militants des quatre partis de jeunes réunis au palais des congrès (photo: AMI)

Ça bouge du côté de la majorité présidentielle à la veille des élections municipales et législatives. Quatre formations politiques dirigées par des jeunes ont constitué, dimanche 29 septembre, au Palais des Congrès de Nouakchott, une coalition au sein de la majorité présidentielle. Un regroupement auquel les partis « Unité et développement », « Sursaut de la jeunesse pour la nation », « Pensée nouvelle » et « Mauritanie nouvelle » ont donné le nom de « Coalition pour le changement constructif ». Tout un programme ! Quand on sait que c’est là le slogan de campagne du candidat Mohamed Ould Abdel Aziz à la présidentielle de juillet 2009.
Si tout le monde s’accorde à reconnaître aujourd’hui qu’il y a effectivement un changement notoire dans le mode de gestion des affaires de l’Etat – ce qui a permis la réalisation de 70% du programme électoral du président Aziz, soulignent ses soutiens – il est clair, cependant, que l’on assiste, sur le plan politique, à un retour insidieux des barons de l’Ancien Régime. Notamment au sein de l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir en Mauritanie. Un parti qu’on accuse, au sein de la majorité présidentielle, de « résister » au changement et de refuser même de faire de la place, dans le gouvernement, à ses alliés politiques, à part un ministère de la Jeunesse et des Sports, confié à la présidente du Sursaut, Lalla Aïcha Mint Chriv, et un ministère Secrétariat de la présidence aux mains du vice-président de l’UDP, Sy Adama. Dans les autres sphères du pouvoir, les cadres de la soixantaine de partis qui gravitent autour de l’UPR, et dont certains, comme les partis des jeunes soutiennent fermement la politique du président de la République, ne récoltent que des miettes.

Au centre, Mohamed Baro,  président de la nouvelle coalition (photo: Sneiba)
Au centre, Mohamed Baro, président de la nouvelle coalition (photo : Sneiba)

C’est dans ce contexte particulièrement tendu de précampagne électorale, de reprise du dialogue entre le pouvoir et l’opposition qui réclamait le « rahil » (départ) du président Aziz que les partis des jeunes membres de la majorité présidentielle ont décidé de bouger pour exister. Comprenant sans doute que le renouvellement de la classe politique auquel a appelé le président Aziz, dès son arrivée au pouvoir, ne se décrète pas, mais s’impose par la mobilisation des jeunes pour la défense des acquis et le refus d’un retour en arrière. Le discours-programme de Mohamed Barro, président du parti « Unité et Développement », porté à la tête de cette coalition qui comprend également « le Sursaut de la jeunesse pour la nation », le parti « le courant de la pensée nouvelle » et le parti « la Mauritanie nouvelle », annonce donc les revendications politiques, économiques et sociales d’une jeunesse qui se refuse à jouer le rôle de « roue de secours » alors qu’elle estime avoir largement les moyens de passer devant. Son atout majeur semble être cette profession de foi que le président de la nouvelle coalition a prononcée devant une salle du Palais des Congrès pleine à craquer : « Dans son discours politique, le président Mohamed Abdel Aziz prône le changement, nous le soutenons à bras le corps. Il a dit que ça peut changer et que ça doit changer et à nous de confirmer que ça va changer. »


Un nouveau moyen de transport à Nouakchott : les charrettes-taxis-pirogues

Nouakchott en 2013 (photo : Sneiba Mohamed)
Nouakchott en 2013 (photo : Sneiba Mohamed)

Les inondations qui n’ont épargné en réalité aucun quartier de Nouakchott, la capitale mauritanienne, ont déplacé les débats de la crise politique vers l’inaction du gouvernement face au déchaînement de la nature. Les pluies et les « dommages collatéraux » qu’elles ont causés aux Nouakchottois ont constitué une aubaine pour l’opposition, qui a saisi l’occasion au vol, pour tirer à boulets rouges sur le pouvoir. Les attaques étaient telles que, finalement, le président Mohamed Ould Abdel Aziz était sorti de son mutisme pour tenir un propos vite tourné – et retourné – par les médias : « Oui, nous avons failli dans le domaine de l’assainissement. Oui, Nouakchott est sinistré aujourd’hui. Oui, nous avons renoncé à un projet d’assainissement qui devait être confié à une société chinoise parce qu’on a jugé qu’il était coûteux pour l’Etat ». Ici, les gens ne peuvent s’empêcher de penser à ce qui pourrait bien être la vraie raison : après l’échec de l’expérience avec Poly-Hondone, dans le domaine de la pêche, le gouvernement mauritanien ne veut sans doute pas donner l’occasion à l’opposition de dénoncer ce qu’elle considère comme l’amateurisme de sa politique économique et sociale.

Nouakchott, il y a 30 ans (photo : facebook)
Nouakchott, il y a 30 ans (photo : Facebook)

Aziz avait pourtant raison, quand il demandait aux Nouakchottois s’ils avaient un réseau d’assainissement dans le passé. Le Nouakchott d’il y a vingt-trente ans avait les mêmes problèmes que celui d’aujourd’hui. Comme le montre cette photo. Mais il avait aussi quelque part tort : quand on vient au pouvoir, quand on le prend surtout, en ayant comme programme « le changement constructif », on n’a plus d’excuse. On ne regarde plus en arrière pour dire : « Vous n’aviez pas », « c’est la faute aux accumulations ». On doit répondre aux attaques en agissant. C’est ce qu’Aziz a finalement compris. Quand le parti « Taouassoul », d’obédience islamiste, a engagé sa jeunesse dans une campagne d’assainissement des rues de Nouakchott et qu’aucun parti de la majorité présidentielle n’a donné la réplique, le président est descendu lui-même sur le terrain en allant voir la Socogim PS, le quartier le plus sinistré de Nouakchott. Certes, il était déjà venu, dans les mêmes circonstances, il y a deux ans, mais l’action cette fois-ci a immédiatement suivi. Le génie militaire, sollicité à chaque fois que le gouvernement est en panne de moyens, s’est lancé dans une opération de drainage des eaux de pluie vers la mer. Une action qui probablement doit s’inscrire dans la durée, car c’est tout Nouakchott qui est touché. Une semaine après les dernières pluies, le département d’El Mina offre encore une vue désolante de marécages aux eaux nauséabondes. Les charrettes ont supplanté les taxis comme moyen de transport. Elles font la navette entre le marché et ses différentes entrées transformées en « gare ». Mais le trajet que j’ai fait pour effectuer ce reportage n’est pas sans risque : les voitures qui nous croisent nous éclaboussent comme pour nous punir d’avoir fait le choix de la charrette comme moyen de transport. La vidéo ci-dessous est l’illustration parfaite du martyre des Nouakchottois en cette période de fin d’hivernage.

https://www.youtube.com/watch?v=eHLh6YOJL0c

Lors de cette « traversée » très spéciale, j’ai engagé la conversation suivante avec un passager de la charrette-taxi-pirogue » :

–          Surtout que notre « conducteur » ne nous fait pas tomber dans ces eaux nauséabondes. Ce qu’on cherche c’est traverser, pas nager.

–          Il cherche encore des « clients » mais il va les mettre où ?

–          Hé, continue ton chemin, personne ne veut plus monter, t’as plus de place.

–          Ces voitures là qui nous croisent risquent de nous éclabousser.

–          Oui, j’ai l’impression que les taximans font exprès de nous éclabousser.

–          Oui, je crois bien, parce que les charretiers leur ont ravi leurs clients.

Morale de l’histoire : les gouvernants passent (et repassent), les problèmes demeurent. S’ils n’empirent pas…


Mauritanie : de l’opportunisme politique

Taya, président de la Mauritanie de 1984 à 2005 (Photo: El Hourriya.net)
Maaouiya Ould Taya, président de la Mauritanie de 1984 à 2005 (Photo : El Hourriya.net)

 

Une précision d’abord : tout le « mal » que je vais dire d’une certaine élite politique rangée aujourd’hui du côté du pouvoir ne signifie pas, forcément, que j’applaudis l’opposition. Ou plutôt les oppositions. Elles aussi ont leur part de responsabilité dans la situation calamiteuse que connaît le pays aujourd’hui. Seulement, mon propos tient de l’actualité politique, de la frénésie qui entoure les élections municipales et législatives qui se préparent depuis deux ans, mais toujours entourées de mystères. Comme en 2006 et en 2009, Aziz joue admirablement bien sa partition. En deux temps. Préparer ses troupes au combat – aux élections – et déstabiliser le camp de ses adversaires politiques. C’est de bonne guerre. En politique, tous les coups sont permis. Surtout dans une « démogâchis » où les principaux acteurs se promènent d’un camp à l’autre suivant les circonstances. Opposants quand il n’y a pas d’élections en vue, pour faire monter les enchères. Comme la femme qui se fait désirer. Et subitement prêts à se renier quand les indicateurs de la bourse de l’opportunisme montent en flèche.

Ces gens-là apprendront, à leurs dépens, qu’ils sont loin de bonnes affaires. Non seulement ils montrent leur vraie nature, mais ils dévalorisent la politique qui, aux yeux du commun des Mauritaniens, devient une nouvelle branche du « tieb-tieb » qui s’apprend à l’école de l’opportunisme. Celui-ci rehausse et rabaisse selon les lois de l’offre et de la demande. Ceux qui ne peuvent plus supporter la longue traversée du désert acceptent la reddition. Après avoir négocié dans le plus grand secret les conditions d’un « retour aux sources ». Car ne croyez surtout pas que les nouveaux soutiens du pouvoir viennent de l’opposition. Ils sont, pour la plupart, des hommes et femmes du Système Taya. S’ils sont passés de l’autre côté, c’est qu’ils avaient cru, en 2005, que le changement était réel. Ou du moins possible à moyen terme. Ils ont manqué de clairvoyance. Comment croire qu’un homme qui a mis en danger sa vie, par deux fois, en menant deux coups d’Etat, sera disposé à sortir aussi facilement du jeu politique ? Surtout quand c’est lui qui détient les bonnes cartes : l’armée et le peuple.

Le tort de l’opposition est d’avoir mal apprécié cette donne essentielle dans l’équilibre des forces. Trop naïvement, et comme elle le faisait avec Taya, elle a compté sur « l’intelligence » pour vaincre la force ! Ce qui est une aberration. Les militaires mauritaniens ont prouvé qu’ils ont les deux à la fois. On oublie qu’ils ont passé plus de temps au pouvoir que les civils (1960-1978 et 1978-2009). Et qu’ils ont bien appris à faire le départ entre les « opposants par nature » et les opposants par opportunisme. Quoi de commun, en effet, entre un militant des causes justes, comme Messaoud Ould Boulkheir, un idéologue, comme Ould Maouloud, et cet ancien ministre du Pétrole du Comité militaire pour la justice et la démocratie (2005-2007) qui a tiré à boulets rouges sur Aziz avant de se raviser et revenir à de meilleurs sentiments, récoltant au passage, un obscur poste de conseiller auprès de l’homme qu’il fustigeait hier ? Certains diront que c’est cela la realpolitik, le bon sens, mais faudrait-il bien que l’homme retire du marché son livre pamphlet contre le président.  On ne peut pas soutenir une chose et son contraire (Noir et blanc, bon et mauvais) sans nous dire, clairement, qu’est-ce qui a changé dans l’essence des choses.

Que tous ceux qui s’empressent de changer de camp, à la veille des élections municipales et législatives, nous disent pourquoi. Enjeux locaux ? Pressions tribales ? Epuisement de leurs « butins » de guerre sous Taya ? Ce sont là de bons arguments. Si on a le courage de le dire. Mais surtout pas : « Après mûres réflexions, une longue observation de la scène politique nationale et prenant en compte l’intérêt suprême du pays », j’ai décidé…de me vendre. De plonger quoi !


Remaniement en Mauritanie : élections, pluies et dosages politiques

Sur le remaniement: Une du site Elhourriya
Sur le remaniement: Une du site Elhourriya

Le président Mohamed Ould Abdel Aziz a encore pris de court tout le monde. Au moment où les Mauritaniens avaient comme sujet de débat les inondations à Nouakchott et l’inaction du gouvernement, il prend la décision de « rebattre », pour la troisième fois depuis son élection en juillet 2009, l’équipe gouvernementale tout en laissant à sa tête le Premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Un PM vraiment inoxydable, comme on en a jamais vu même du temps de Taya. De telle sorte que des gens comme moi commencent à prendre très au sérieux la formule préambule de toute remaniement : « Par décret en date de ce jour et sur proposition du Premier ministre, sont nommés ». Malgré son effacement en train de devenir une sorte de marque de fabrique, le Premier ministre que Mohamed Ould Abdel Aziz s’est choisi depuis son coup d’Etat contre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi est en train « d’enterrer » tous ses adversaires politiques. Que de « campagnes », par médias interposés, ont été menées pour pousser le Raïs à la changer. Avec des arguments aussi niais les uns que les autres : « Il était là lors du coup d’état-rectification, donc il faut le remercier pour faire oublier ce mauvais souvenir » ; « il manque de poigne pour diriger, dans le bon sens, une équipe de ministres fainéants pour la plupart » ; « il s’occupe à placer les hommes de sa tribu aux bons postes » ; « il, il, il… ». Et beaucoup d’autres « défauts » que le président Aziz ne voit apparemment pas puisqu’il s’obstine à garder SON Premier ministre. Contre vents et…pluies !

Justement, les pluies ! Ce sont-elles, oui, ou non, qui ont eu raison du désormais ex ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, Mohamed Lemine Ould Aboye, remplacé à ce poste par Ahmed Salem Ould Bechir, directeur général de la Société mauritanienne d’électricité (Somelec), jusqu’à sa nomination ? On peut penser que oui. Il a servi de fusible pour essayer de faire taire le déluge de critiques qui se sont abattues sur le gouvernement en même temps que les pluies dont les dégâts collatéraux sont encore là, bien visibles, une semaine après.

Quartier sinistré à Nouakchott (photo: Sneiba)
Quartier sinistré à Nouakchott (photo: Sneiba)

Un autre ministre, d’Etat celui là, a peut être aussi servi de bouc-émissaire. Ahmed Ould Bahiya est parti mais on peut être sûr que ce n’est pas la fin des problèmes de l’Education qu’on lui mettait, à tort ou à raison, sur le dos. Une bonne décision tout de même est celle de « libérer » les ministères délégués pour qu’ils retrouvent leur plénitude : Enseignement supérieur et recherche scientifique, avec Isselkou Ould Ahmed Izidbih, qui était Directeur de Cabinet du président de la République. Perd-il au change en perdant la proximité avec le Raïs ? Bon, les avis divergent. Enseignement secondaire avec  Oumar Ould Maatalla, également secrétaire général de l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir en Mauritanie. Sans doute encore un bon choix puisque le ministre qui a été confirmé à ce poste est issu du secteur (il est Inspecteur de l’enseignement secondaire) et a passé des années à enseigner dans les collèges et lycées de Mauritanie. Débarrassé de la « tutelle » d’un Ministre d’Etat qui, dit-on, avait souvent la tentation de tout gérer, il va certainement se mettre très rapidement au travail pour corriger le tir à moins de deux semaines d’une rentrée scolaire souvent à problèmes. Déplacé – « déporté » ! – du très lucratif secrétariat général du gouvernement au ministère de l’Enseignement fondamental, Bâ Ousmane perd certainement au change. D’aucuns voient là un coup fourré du Premier ministre qui veut avoir un presque « novice », en la personne de Dia Moktar Malal qui ne doit certainement pas regretter les quelques mois passés à la tête du ministère délégué auprès du ministre d’Etat chargé de l’enseignement fondamental, sous le joug d’un Ould Bahiya pressenti pour le poste de Dircab du président. On verra bien.

Que peut-on dire d’autre sur ce remaniement ? Que le nouveau ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Ahmed Teguedi, est un ancien ambassadeur de la Mauritanie en Israël ? Les anti-Aziz ont voulu voir en cela une sorte de « reniement », l’actuel président de la République étant celui qui a « osé » rompre les relations diplomatiques de la Mauritanie avec l’Etat hébreu ! Ce ressentiment et cette volonté d’exploiter ce retour aux « affaires » d’Ould Teguedi contre Ould Abdel Aziz est d’autant plus fort que le ministre de l’Enseignement fondamental a servi, lui aussi, comme comptable à l’ambassade de Mauritanie en Israël. Bon, il faut peut être demander au député Khalil Ould Tiyib ce qu’il en pense, lui qui ne rate aucune occasion pour rappeler que c’est Aziz qui a mis fin à la présence d’une représentation diplomatique d’Israël en Mauritanie.

Il y a aussi que nous les Haratines – oui, oui, vous avez bien entendu – on n’est pas content du tout. Dans cette histoire de « gagner ou perdre au change », on a été floué. Deux ministres « dégagés » (Intérieur et Justice) font partie de notre communauté. La logique des dosages voudrait que les postes reviennent à des membres de cette communauté pour remplacer Mohamed Ould Boillil (Intérieur et décentralisation) et Abidine Ould El Kheir (Justice). Mais bon, ce n’est vraiment pas mon raisonnement à moi qui a toujours prôné qu’il y ait UN Mauritanien, qui peut être nommé là où il faut, en fonction de ses compétences et non pas de son origine sociale ou de la couleur de sa peau. L’espoir est-il permis ?


Mauritanie : les pluies enjeu des prochaines élections

Nouakchott, après la pluie (Crédit photo: Fatimetou Sow Deina)
Nouakchott, après la pluie (Crédit photo: Fatimetou Sow Deina)

Ah, cet hivernage là ! A deux mois des élections municipales et législatives, les pluies qui s’abattent, quasiment un jour sur trois, sur Nouakchott, risquent de porter un sérieux coup au pouvoir du président Mohamed Ould Abdel Aziz ! Certes, les pronostiqueurs maison donnent le « président des pauvres » encore largement en tête dans les sondages, face à une opposition divisée – en COD et CAP – et surtout ne présentant pas d’alternative crédible à une situation qu’elle arrive pourtant à bien diagnostiquer. D’où vient donc le danger, me diriez-vous ? Et bien, les pluies ont mis à nu les « goudrons d’Aziz ». Vingt millimètres de pluies dans une ville où il n’y a pas d’assainissement ont transformé Nouakchott en un…océan de boue ! Tout le monde patauge, crie son désarroi, maudit ses responsables, irresponsables. Et l’on se met à se poser des questions du genre : Pourquoi construire des goudrons dans une ville sans assainissement ? Pourquoi ces bitumes n’ont-ils pas résisté aux eaux ruisselantes qui en ont découvert le visage hideux : un mélange de terre et de ciment couvert d’une couche de goudron dont il ne reste plus que des « indices ». Les entrepreneurs ont encore frappé, eh oui. Des milliards d’ouguiyas dépensés pour rien. Le « changement constructif », slogan de campagne du président Aziz en 2009, se révèle, en réalité, en cette fin de quinquennat, une arnaque politique comme celle que les Mauritaniens ont vécue, vingt ans durant, sous Taya.

Alors, comment les candidats du pouvoir à ces élections, qui approchent à grands pas, vont-ils justifier cet impair ? Useront-ils du même argument que le président de la République qui a cru trouver la parade en disant : « oui, nous avons échoué, nous avons renoncé au projet d’assainissement à Nouakchott convenu avec les Chinois parce qu’il coûte cher ! Mais pourquoi vous plaindre, ça a toujours été ainsi, non » ! Comment ça ? Donc, le « changement constructif n’était qu’un leurre ? Vous mourriez de faim, de maladie et de soif, pourquoi se plaindre, si ON ne parvient pas à vous tirez d’affaires, ici et maintenant ? Bande d’hypocrites et de politicards !

Et les erreurs de l’Ancien régime servent à nouveau pour justifier l’incapacité du Nouveau (pas aussi nouveau que ça puisqu’il est là depuis le 3 août 2005 ou le 6 août 2008 ou le 6 août 2009). Une affaire d’accumulations quoi ! On a hérité d’un pays de m…, nous disent nos nouveaux anciens responsables. Que voulez-vous qu’on fasse ? L’Ancien pouvoir continue à jouer le rôle de bouc-émissaire. En tout. L’armée qui n’avait pas d’armes (pas d’avions, pas de voitures, pas de chars, pas de…), la dette qui faisait plier le citoyen sous son poids, les hommes politiques véreux (là au moins, on a raison de le dire puisque ce sont les mêmes qui continuent à animer la scène en retournant leurs boubous). Et puis, ce mal développement qui date de plus d’un demi-siècle. Il sera, sans nul doute, au centre des débats – et ébats – entre candidats de la majorité et de l’opposition lors des élections municipales et législatives du 23 novembre prochain. On va encore nous ressasser avec cette histoire du verre à demi plein ou à demi vide. De goudrons « qui ne se mangent pas » (quand l’opposition veut insinuer que ce n’est pas une priorité) ou que la majorité reconnait que oui, en retournant la boutade à son avantage : « oui, qui ne se mangent pas, parce que là, au moins, le citoyen voit son argent investi dans du concret ». Les élections à venir vont sans doute déplacer la question : A quoi servent des goudrons qui fondent comme neige aux premières gouttes de pluies ?


Mauritanie : l’opposition tente de reprendre la main

Manifestation populaire en Mauritanie (photo : facebook)
Manifestation populaire en Mauritanie (photo : Facebook)

La Coordination de l’opposition démocratique (COD) a surpris tout le monde par sa volte-face. Alors que personne n’était prêt à miser une ouguiya contre un million sur sa participation aux élections municipales et législatives prévues le 23 novembre 2013, l’opposition radicale mauritanienne a annoncé sa disposition, pleine et entière, à dialoguer avec le pouvoir ! La COD a sans doute compris, un peu tardivement certes, que le pouvoir du président Mohamed Ould Abdel Aziz ne lui laisse pas beaucoup de choix dans ce que d’aucuns ont vu comme un piège : le boycott.

En effet, ne pas participer à ces élections c’est, à coup sûr, perdre la trentaine de sièges de députés (sur 95) et la dizaine de postes de sénateurs (sur 56) gagnés de haute lutte lors des législatives de 2006. C’est surtout le risque d’une longue absence de cinq ans d’un Parlement où le parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR) et ses alliés de la majorité présidentielle devraient se contenter de la présence symbolique d’une opposition modérée constituée des trois partis de la Coalition pour une alternance pacifique (CAP) et des trois autres qui forment la Convergence patriotique (CP) et qui avaient boudé la majorité pour non implication dans les affaires de l’Etat.

L’acceptation du principe du dialogue ouvre donc la voie à des négociations pour revoir l’ensemble du dispositif électoral mis en branle, depuis 2011, par le pouvoir et ce que l’on appelle communément « l’opposition dialoguiste ». Des axes de réflexion sur ce qui peut être « revu et corrigé » on déjà été fixé par le président Ould Abdel Aziz lui-même, lors du « liqa’e echab » (rencontre avec le peuple) du 12 août dernier. Il avait laissé entrevoir la possibilité de revoir la configuration de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) formée sans la COD, la création d’un Observatoire pour le contrôle des élections et la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur la gestion de l’Agence nationale des registres et titres sécurisés (ANRTS), maître d’œuvre de l’enrôlement sur lequel s’appuie la Céni pour mener le Recensement administratif à vocation électorale (Ranvec). Le seul point sur lequel le président Aziz ne cède pas, pour retrouver dans sa plénitude, l’initiative du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, est la formation d’un gouvernement d’union nationale pouvant faire de la place à la COD. Comme en 2009. L’on pense cependant qu’un remaniement est inéluctable avant la tenue des élections. Parce que certains ministres, comme celui de l’Intérieur et de la Décentralisation, de la Communication et des relations avec le Parlement, de la Justice, sont pressentis pour porter le flambeau du parti au pouvoir aux élections législatives. Sans devoir nécessairement les faire remplacer par des « promis » de l’opposition modérée, Ould Abdel Aziz pourrait confier leurs ministères sensibles lors des élections, à des personnalités indépendantes susceptibles de rassurer la COD quant à la transparence et à la neutralité de l’administration.

En acceptant donc de participer aux élections, l’opposition cherche surtout à ne pas « perdre la voix » au sein d’un Parlement où, quoique largement minoritaire, elle a toujours su tirer son épingle du jeu lors des débats. D’aucuns pensent même qu’elle arrive à éclipser une majorité qui manque souvent d’arguments pour soutenir des mesures gouvernementales n’allant pas dans le sens de la vox populi.

La nouvelle stratégie de l’opposition consiste donc à reprendre la main, au niveau de l’usage qu’on peut faire de la parole. Sans aucun moyen de participer à la prise de décision ou de l’orienter, elle peut, tout au moins, dénoncer.

On peut donc s’attendre à une reprise des hostilités revigorée par le sentiment partagé par plusieurs opposants que le président de la République a le temps qui joue contre lui. A mesure qu’il dure au pouvoir, l’impression qu’il a placé la barre très haut, en promettant aux citoyens le paradis, devient conviction.

Mais si le pouvoir se rend compte que l’action qu’il mène sur divers plans pour convaincre de son efficacité et de sa capacité à apporter le  » changement constructif « , n’est pas probante, il sera obligé de revenir aux vieilles méthodes : diviser pour régner. Car aucun pouvoir au monde ne veut d’une opposition forte, même si celle-ci est tout de même nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie.

 Et pour revenir aux nouvelles velléités de l’opposition, disons que c’est une coalition plus large qui enterre, pour le moment, ses particularismes pour faire face à un danger plus grand : celui du retour en force du Parti-Etat. Ou de l’Etat-parti. Le décor est à nouveau planté. Reste à savoir comment pouvoir et opposition vont jouer leur nouvelle partition.


Mauritanie : Les politiques nous font chier

Candidats à la Présidentielle de 2009 (crédit photo: Tv5monde)
Candidats à la Présidentielle de 2009 (crédit photo: Tv5monde)

Trop c’est trop. Depuis août 2005, les hommes politiques se jouent de nous. Coup d’état, élections, comme sortie de crise, re-coup, réélections et re-crise ! Si les militaires sont toujours à l’origine de nos « maux » démocratiques, les hommes politiques sont là pour les entretenir. Sans distinction. Ceux qui sont avec le pouvoir comme ceux qui sont contre lui. Chaque camp défend ses intérêts, manœuvre en fonction de ce qu’il pense être non pas juste mais justifiable.

C’est ainsi qu’il faut comprendre tous les accommodements  qui ont permis aux auteurs du coup d’Etat du 3 août 2005 d’embarquer avec eux toute la classe politique mauritanienne dans une « transition » militaire qui était en fait un marché de dupes. Le président du Comité militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) avait apparemment joué le jeu pensant pouvoir revenir, à la ATT, au bout de cinq ans. C’était honnête de la part d’un colonel qui avait passé vingt à la tête de la sûreté nationale et avait accepté – malgré lui ? – de participer à une conspiration menée par deux colonels de la seconde génération. Le colonel Aziz, principal auteur du coup d’Etat, voulait faire passer son « champion », Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, et gouvernait à travers lui ! Les hommes politiques, « indépendants » ou pas, qui avaient soutenu ce funeste projet de travestissement de la démocratie sont ceux-là même qui continuent aujourd’hui à animer la scène avec une opposition non exempte, elle aussi, de reproches. Le premier est d’avoir toujours succombé au charme du pouvoir. Quand l’Alliance populaire progressiste (APP) de l’actuel président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, quitte « l’opposition » pour soutenir le « candidat d’Aziz ». Quand plusieurs partis d’opposition acceptent d’entrer dans le gouvernement du Premier ministre, Yahya Ould Ahmed Waghf, provoquant la volte-face de la majorité manipulée ou pas par les militaires. Quand le RFD d’Ahmed Ould Daddah soutient, contre toute logique, le coup d’Etat du général Aziz, le 6 août 2008, voyant en lui un « raccourci » pour que son chef arrive enfin à cette présidence qui semble être l’unique objet – la quête du Graal – de son long combat politique.

Ce sont tous ces errements qui expliquent la crise dans laquelle le pays se débat aujourd’hui. La seule fois où parler d’accumulation d’erreurs se justifie. Et pourtant, on ne semble pas avoir tiré la leçon qui s’impose de tout le fatras politique engendré par la dislocation du Système Taya, en 2005, et de sa recomposition, en 2009, pour accompagner un président Aziz incapable de refouler une sorte d’admiration pour le « modèle » qu’il a accompagné vingt ans durant.

sneiba