Mon agression par une folle furieuse, en pleine rue, à Madagascar
Je n’aurai jamais cru rédiger un autre article sur ce sujet… Six mois après la sortie de mon premier article sur mon agression par un fou furieux, je me fais à nouveau agressée, cette fois-ci à Ambondrona, un quartier en plein centre-ville.
La folle furieuse
Je me suis faite à nouveau agresser par une folle furieuse, à Ambondrona, un quartier de la capitale. Il est environ 17 heures, les rues sont encore bondées et comme des queues-monstres se forment aux arrêts de bus, je décide de faire un certain bout de chemin à pieds. Sûrement pas la meilleure décision du jour…
Alors que je marche, une femme noire, les cheveux cours, vêtue d’un manteau noir – je doute que ce soit la couleur d’origine du vêtement – à peine reconnaissable, pieds nus, un sein à l’air, me barre le passage. Elle fait un geste pour m’arrêter et tend la main avec un regard menaçant. « Omeo vola ah !” (« Donne moi de l’argent ») Ah, il ne manquait plus que ça ! Une folle qui mendie, donc qui pense… Une demi-folle… Mais pourquoi c’est tombé sur moi?
Je réponds : “Tsisy vola!” (« Je n’ai pas d’argent ») Elle me menace avec son poing. Je me sens plus perplexe qu’apeurée… Je force le passage mais elle continue à me suivre en menaçant de me frapper. What the hell ? Et pendant tout ce temps, les gens regardent tranquillement le « spectacle ». Je suis d’ailleurs plus outrée par l’attitude des « spectateurs » que par celle de la folle furieuse.
Comme elle continue à me suivre, je lui dis de partir. Elle refuse fermement. Elle tire sur mon sac que je porte à l’épaule, et je tire aussi. La situation devient critique, et personne ne bouge le petit doigt pour venir à mon secours… Et alors, alors… La folle brandit son poing pour me frapper!
L’intervention
Je ne sais plus trop si je dois fuir pour éviter que la folle ne me frappe et lui laisser mon sac – qui contient toute ma vie – ou si je dois me battre peu importe ce qui risque de se passer. Euh… Mon cerveau fait une analyse à 360 degrés tandis que je continue à forcer sur mon sac. Et c’est alors qu’une femme, d’une quarantaine d’années environ, me tire le bras en disant : « Viens ! »
Un homme, d’une vingtaine d’années, apparaît derrière la folle qui, consciente qu’une menace arrive, part en courant. Et je me retrouve entre deux inconnus, longeant la rue dans le sens inverse alors que je devrais plutôt marcher dans la direction où la folle vient de fuir. Dilemme : si je prends la même direction, je risque de la recroiser et de revivre le même drame. Mais si je prends le sens contraire, je dois faire la queue à l’arrêt-bus, ce qui prendrait toute la soirée. Il se peut même qu’il n’y ait plus de bus et que je doive rentrer en taxi en pleine nuit…
Je suis de plus en plus perplexe. Déjà parce que je me demande où je dois aller, mais aussi parce que pour la toute première fois de ma vie, après plusieurs attaques par des fous, des gens m’ont sauvée.
Un ange
Comme je semble complètement perdue, j’imagine, l’homme qui est intervenu me demande si ça va. Je me sens enfin soulagée que quelqu’un me pose la question. Non pas une question du genre « Fa ahoana e ? » (« Eh ben alors? ») comme la dernière fois, mais une question humaine. Oui, car pour la première fois depuis plusieurs mois, j’ai rencontré un humain. Un vrai humain, avec un regard simple et attendrissant, et non pas un regard qui juge et qui est rempli d’hostilité.
« – Ça va ?
– Oui ça va. Merci.
– Je t’en prie. »
Comme j’ai l’air encore perplexe, il me demande :
« – Tu es vraiment sûre que ça va ?
– Oui, enfin… Je dois aller dans la direction opposée en fait, mais, j’ai un peu peur au cas où la folle est encore dans les parages.
– Ah bon ! Allez viens, je te ramène ! »
Je crois que je n’ai jamais été aussi franche en exprimant ce que je ressentais, depuis très longtemps, et je n’ai jamais autant fait confiance à un inconnu. Mais la nuit va tomber et je ne me sens pas du tout en sécurité.
Nous reprenons le chemin inverse. Quelques mètres plus tard, la folle, le regard toujours aussi menaçant, nous regarde. Elle vient dans notre direction, puis fait demi-tour. Mon cœur bat la chamade.
L’homme, que je considère comme mon ange-gardien, pendant ces quinze minutes, me ramène jusqu’au prochain rond-point. Je le remercie profondément et continue mon chemin, moins inquiète, après avoir une dernière fois sillonné le paysage derrière moi pour voir si la folle ne nous a pas suivis.
Humanité
Je ne reprendrai plus le paragraphe sur la sécurité publique et combien les fous sont mal considérés à Madagascar. Combien une insécurité croissante demeure dans la Grande île, en partie à cause d’eux. J’ai suffisamment palabré sur le sujet lors de la Partie I, et sachez que rien n’a changé depuis…
Je voudrais plutôt aborder la question de l’humanité. Pendant ces près de cinq minutes de combat avec une malade mentale, j’ai compris à quel point les sentiments constituaient l’être humain. Pendant que la folle me menaçait, je dévisageais son visage, son air enragé, pleine de haine, mais en même temps, son comportement était rempli de désespoir. Je n’ose imaginer ce que cette femme a dû subir pour en arriver à ce point.
Je me demandais où était sa famille, si elle avait eu un mari, des enfants… Je me disais que si elle mendiait, c’est qu’elle était consciente de sa pauvreté. Et si elle menaçait, c’est aussi qu’elle ne le supportait plus.
Je ne peux imaginer à quel point ces gens souffrent, mais aussi, à quel point ils sont libérés. En effet, un fou, ça marche dans les rues toute la journée, ça s’assoit sur le sol, ça chantonne, ça fait des grimaces, et ça vit comme ça. Ça s’amuse quoi, comme un être humain aux premières années de sa vie. Je donnerais tout pour m’amuser comme ça, en tant qu’être humain normal bien sûr ! Haha.
Toujours d’un point de vue humain, je ne comprends pas comment on peut laisser ces gens livrés à leur propre sort. D’accord, je comprends que la prise en charge de ces personnes nécessite une contribution financière, mais ce n’est pas comme si tout était à construire aussi. De mon point de vue, une aide à l’hôpital psychiatrique d’Anjanamasina de la part du gouvernement, que ce soit technique, matérielle ou financière, serait d’une grande utilité. Bien sûr, cela ne fait pas partie des « priorités », comme on le dit si souvent.
D’autre part, je suis reconnaissante de savoir que des gens sont encore assez humains à Madagascar pour vous venir en aide en cas d’attaque de pickpockets, de bandits armés et de fous furieux. Des gens prêts à protéger autrui, en pleine rue. Des personnes prêtes à mettre leur vie en danger. Des anges tombés du ciel…