Fabien

Aux réfugiés, l’OFPRA pose «beaucoup de questions», mais «ils sont gentils»

Le monde compte plus de 20 millions de réfugiés, et le 20 juin leur est dédié. En France, pour obtenir ce statut particulier, les personnes doivent se présenter à l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Cette administration qui dépend du ministère de l’Intérieur français a reçu plus de 85 000 demandes de protection en 2016. Environ une sur trois est acceptée. Dans ses locaux, les entretiens se succèdent.

Pour Radio France internationale, j’ai pu assister à un entretien d’un de ces demandeurs d’asile. J’ai aussi parlé avec les responsables de l’OFPRA et des associatifs qui collaborent avec l’institution pour aider les réfugiés.

Reportage réalisée pour RFI pour le journal de 21h (temps universel) du 20 juin 2017 .
Présentation : Anne Soetemont
Réalisé avec l’aide des équipes de RFI

 

Vous pouvez retrouver la version web de ce reportage sur RFI ou sur InfoMigrants. Pour informations, voici quelques chiffres concernant les réfugiés en France – ils ont été produits par l’OFPRA dans son rapport d’activité 2016.

Extrait du rapport d’activité 2016 de l’OFPRA


« Police partout, justice nulle part », crient les banlieues françaises

A un peu plus d’un mois d’intervalle, à Bobigny puis à Paris, des manifestants demandent des comptes à l’Etat et aux forces de l’ordre. Venus pour la plupart des banlieues, ils dénoncent les discriminations et les violences policières. Entre débordements et récupérations politiques, les instigateurs du mouvement ont parfois du mal à faire entendre leurs voix.

« Police partout, justice nulle part » : ce slogan a résonné, ces dernières semaines, de la Seine-Saint-Denis à Paris. Des barres d’immeubles périphériques aux grands boulevards de la capitale.

L’étincelle, c’est l’affaire Théo. Mais comme le remarque un manifestant à Bobigny, ce « cocktail explosif », est en gestation depuis longtemps. Déclassement, insuffisance de services publics, d’emplois, de transports, mauvaises relations avec les forces de l’ordre sur fond de racisme… Voilà le quotidien d’une partie des habitants de banlieues. C’est contre cela qu’ils se lèvent et descendent dans la rue. Pour les journaux du week-end de France Culture, j’ai couvert deux de leurs manifestations.

La première se tient le samedi 11 février, à Bobigny. Plusieurs centaines de manifestants se réunissent devant le tribunal de grande instance et demandent « justice pour Théo ». Avant les débordements de la soirée puis de la nuit, l’incendie de plusieurs véhicules, les dizaines d’interpellations, etc., il y avait des discours. A la place des insultes, il y avait des revendications.

Pige réalisée pour France Culture pour le journal de 9h du 12 février 2017.
Présentation : Camille Magnard
Rédacteur en chef pour le week-end : Benoît Bouscarel
Réalisé avec l’aide des équipes techniques de France Culture

 

Après une heure de discours, des jeunes montent sur la passerelle (à droite) qui mène au TGI. Elle est bloquée par des CRS, malgré les jets de projectile et les insultes. Le face-à-face se déclinera dans de nombreuses rues de Bobigny et de Seine-Saint-Denis dans la soirée.

Un peu plus d’un mois plus tard, le 19 mars, place de la Nation, environ 7000 personnes se retrouvent à l’appel des familles de victimes de violences policières et du collectif « Urgence notre police assassine ». La manifestation se termine dans la soirée par plusieurs concerts place de la République. Elle porte autant de noms qu’il y a de manifestants : « marche pour la justice et pour la dignité », « marche contre les violences policières », « marche contre le racisme d’Etat et la colonisation »…

En tête de cortège, des responsables d’associations de banlieues et des familles de victimes. A leur suite des représentants de Nuit Debout, du parti des indigènes de la République, des anarchistes, des syndicalistes (CGT, SUD), Attac, la Ligue des Droits de l’Homme, des représentants politiques du parti de gauche et du parti communiste. Difficile, dans ce contexte, d’éviter la récupération. C’est ce qui a poussé certains membres de la famille d’Adama Traoré à refuser de participer.

Pige réalisée pour France Culture pour le journal de 6h30 du 20 mars 2017.
Présentation : Amélie Perrier
Rédacteur en chef du week-end : Benoît Bouscarel
Réalisé avec l’aide des équipes techniques de France Culture

 

En tête d’un cortège savamment organisé, les portraits de treize personnes blessées ou tuées lors d’interpellations et d’interventions policières : Rémi Fraisse, Lamine Dieng, ou encore Théodore Luhaka


À Paris, des milliers de personnes marchent contre Trump

À Washington, un demi-million de personnes descendaient dans la rue, samedi 21 janvier 2017, contre le nouveau Président des Etats-Unis, Donald Trump. Cette manifestation, organisée à l’initiative de plusieurs associations féministes, inquiètes des déclarations misogynes du milliardaire pendant sa campagne, a essaimé dans plus de 700 villes, un peu partout dans le monde.

Cette #womensmarch a surtout fédéré une large coalition de groupes, d’associations, de syndicats et de partis, souvent classés plutôt à gauche. Ensemble, ils mettaient en garde contre les dérives xénophobes, homophobes et sexistes de Donald Trump.

Pige réalisée pour France Culture pour le journal de 18h du 21 janvier 2017.
Présentation : Anne Fauquembergue
Rédacteur en chef : Benoît Bouscarel
Réalisé avec l’aide des équipes techniques de France Culture

 


La culture du pavot afghan repart à la hausse

La production afghane de pavot aurait augmenté de près de 50% en 2016 selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Dans un rapport publié le 23 octobre 2016, l’organisation explique cette augmentation par la hause des surface cultivées et de la productivité. Les autorités afghanes pointent du doigt une insécurité grandissante, qui profite aux traficants.

Pige réalisée pour France Culture pour le journal de 12h30 du 23 octobre 2016.
Présentation : Margot Delpierre
Rédactrice en chef : Nabila Amel
Réalisé avec l’aide des équipes techniques de France Culture

Le pavot est une plante d'Asie qui sert à la fabrication d'héroïne et d'opium.
Le pavot est une plante d’Asie qui sert à la fabrication d’héroïne et d’opium (Crédit photo : Wikicommons).


Chypriotes grecs et turcs négocient un rapprochement

Le 7 novembre 2016 s’ouvre à Genève, sous l’égide de l’ONU, des discussions pour permettre un rapprochement des deux entités chypriotes. Au centre des pourparlers pour réunifier cette île divisée depuis près d’un demi-siècle : l’échange de territoires disputés. Ces négociations devaient durer une semaine, mais au bout de 15 jours, elles se terminent sans aboutir à un accord.

Pige réalisée pour France Culture pour le journal de 6h30 du 7 novembre 2016.
Présentation : Anne-Laure Chouin
Rédactrice en chef : Nabila Amel
Réalisé avec l’aide des équipes techniques de France Culture

A Nicosie, capitale de la partie grecque de l'île, certains Chypriotes s'opposent au mur qui les séparent (Crédit photo : Dylan Gamba)
A Nicosie, capitale de la partie grecque de l’île, certains Chypriotes s’opposent au mur qui les séparent (Crédit photo : Dylan Gamba)


Les Kurdes manifestent pour libérer leurs députés

Le samedi 5 décembre 2016 à 15h, les Kurdes manifestent sur la place de la République à Paris. Ils réclament la libération de la dizaine de députés membres du parti kurde HDP arrêtés en Turquie la veille. Réunis par centaines, ils protestent contre la politique répressive du régime de Recep Tayyip Erdogan contre ses opposants.

Pige réalisée pour France Culture pour le journal de 7h du 6 décembre 2016.
Présentation : Benoit Bouscarel
Rédactrice en chef : Nabila Amel
Réalisé avec l’aide des équipes techniques de France Culture


Des milliers de Kurdes manifestent à Paris pour demander la libération de leurs députés enfermés en Turquie
Des milliers de Kurdes manifestent à Paris pour demander la libération de leurs députés enfermés en Turquie


VIDEO – Colombie : l’impossible paix des FARC

Le vendredi 7 octobre 2016, le président colombien Juan Manuel Santos obtient le prix Nobel de la paix : l’accord qu’il a passé avec les guerilleros des FARC a mis fin à un demi-siècle de conflit. Pourtant, les Colombiens ont voté contre cet accord, et les négociations entre l’État colombien et les FARC doivent reprendre. Explications en vidéo.


Comment compter les pays du monde ?

Le 5 septembre dernier, le Kosovo et Gibraltar disputaient leur premier match officiel pour les qualifications de la Coupe du monde de football 2018. Ils sont les 210e et 211e pays membres de la Fédération Internationale de Football (FIFA). Un chiffre largement supérieur aux 193 pays membres de l’ONU. Preuve qu’il y a presque autant de pays que de manière de les compter.

Le décompte des États du monde pose la question de leur définition, de ce qui permet leur existence. Il est coutumier, dans le droit international, de considérer qu’un État est constitué de trois éléments : un peuple, qui dispose d’un territoire défini par des frontières et d’une autorité politique pour l’administrer.

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FIFA : Fédération Internationale de Football

CIO : Comité International Olympique

ONU : Organisation des Nations Unies

CPI : Cour Pénale Internationale, dont le traité constitutif a été signé par 155 Etat (mais ratifié par seulement 124 d’entre eux)

Reconnus, même sans l’ONU

Dans les faits, la reconnaissance, par les organisations internationales ou par d’autres pays, joue un rôle au moins aussi important que la réunion de ces trois éléments pour permettre l’existence d’un État.

Ainsi, Taïwan dispose d’un territoire, d’un gouvernement et d’une population. Pourtant cette île au large de la Chine n’est reconnue comme État que par 22 pays, et ne fait pas partie de l’ONU – même si les Taïwanais sont membres du CIO et possèdent une fédération reconnue par la FIFA. Le pays, « créé » en 1949 par des Chinois fuyant le continent après l’accession au pouvoir de Mao, a choisi pour nom officiel la « République de Chine ». De son côté, Pékin, capitale de la « République populaire de Chine », grince des dents et milite pour que Taïwan passe sous son giron.

Dans l’infographie ci-dessous, Taïwan se situe dans le carré bleu, au même titre que la République turque de Chypre (que seule la Turquie reconnaît), que le Sahara Occidental (reconnu par 25 Etat membre malgré la vive opposition du Maroc) ou encore que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, des territoires de Géorgie satellites de la Russie voisine. Le Kosovo, le plus jeune des États reconnus par des membres de la communauté internationale, n’a pas non plus de siège à l’ONU, puisque s’y oppose notamment son voisin serbe.

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223 pays au compteur ?

Au rang des autres anomalies étatiques, on peut aussi citer la Palestine. Pays observateur non membre de l’ONU, sa reconnaissance en tant qu’État, est acquise dans 135 pays. Mais les Occidentaux peinent à suivre le mouvement. Israël, soutenue par les États-Unis (ils ont retiré leur appui financier à l’UNESCO après que la Palestine en est devenue membre) est le premier artisan de cette absence de reconnaissance. Le Vatican est le deuxième pays « observateur » à l’ONU. Deux autres pays disposent aussi d’un statut spécial auprès de l’Organisation internationale : les îles Niue et les îles Cook, qui peinent à obtenir une totale indépendance vis-à-vis de la Nouvelle-Zélande.

L’imbroglio prend (encore) de l’ampleur si l’on considère les États appartenant à la liste des territoires non-autonomes ou « à décoloniser » selon l’ONU. Au nombre de 16 (même si le Sahara occidental est parfois considéré comme le 17e d’entre eux), il s’agit, à l’exception de Gibraltar, uniquement d’îles ou d’archipels. Un dépend de la Nouvelle-Zélande, deux de la France (la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française), trois des États-Unis, et les dix autres du Royaume Uni.

Pour plus d’exhaustivité, on pourrait enfin évoquer les républiques de Donetsk et de Lougansk, née du chaos de la guerre en Ukraine et reconnues seulement par l’Ossétie du Sud. Ou encore la Transnistrie (Moldavie) et le Haut-Karabagh (Azerbaïdjan), qui ne sont également reconnus que par des États eux-mêmes non reconnus par un Etat membre de l’ONU. Soit un total, discutable et discuté, de 223 pays.


Les Érythréens continuent de fuir leur pays

 L’Érythrée célèbre cette année les 25 ans de son indépendance. Mais dans le pays, l’heure n’est pas à la fête : chaque mois, plusieurs milliers de personnes, jeunes pour la plupart, fuient la misère extrême et l’autoritarisme du régime.

Il y a un peu plus de 25 ans ans, l’Érythrée s’émancipait de l’Éthiopie, après une guerre de plus de trente ans. Aujourd’hui les 6 millions d’habitants de ce petit pays de la corne de l’Afrique, qui borde la Mer Rouge, vivent avec moins d’un dollar par jour en moyenne. Pourtant l’extrême pauvreté n’est qu’une des causes de l’exil de la population.

Selon le Haut Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés (HCR), environ 5000 personnes quittent le pays chaque mois. « Ce sont souvent des jeunes, issus des centres urbains et de la capitale Asmara. Ils sont plutôt éduqués et doivent disposer de fonds pour payer les passeurs », explique Léonard Vincent, journaliste à RFI et spécialiste de la région.

« La pauvreté est la conséquence d’une mauvaise gestion de l’économie par la dictature », estime Léonard Vincent. L’auteur du livre « Érythréens : fuir ou mourir » affirme que les jeunes de ce pays « n’ont plus rien à perdre : ils n’ont pas de perspective d’emploi et sont victimes de la brutalité du régime ». C’est ce qui les pousse à entreprendre un voyage à l’issue incertaine, souvent au péril de leur vie.

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Source : HCR, 2015
La « Corée du Nord » de l’Afrique

A la tête de l’Érythrée, Isaias Afwerki. En poste depuis un quart de siècle, l’indéboulonnable président tient son pays d’une main de fer. Pour Alain Gascon, professeur émérite à l’Institut français de géopolitique (IFG), « c’est l’une des pires dictatures du monde ». Une dictature particulièrement fermée, ce qui vaut au pays le surnom de « Corée du Nord de l’Afrique ».

Depuis la fin de la guerre d’indépendance avec l’Éthiopie, le pays est toujours en état d’urgence. « L’armée et le régime ont les plein pouvoirs, et tous les opposants sont des traîtres », poursuit l’universitaire. Selon lui, des personnes sont emprisonnées depuis plus de quinze ans, sans jugement, pour avoir demandé les élections normalement prévues par la Constitution. En un quart de siècle, les Érythréens n’ont jamais voté.

« Il n’y a pas de liberté politique, religieuse, économique, et pour éviter le service national, les gens entrent dans la clandestinité ou fuient. » Alain Gascon en est sûr : le service national, qui existe depuis la naissance de l’État érythréen, serait l’une des principales causes de l’hémorragie migratoire que connaît le pays.

Obligatoire pour toutes les personnes majeures, ce service peut durer plusieurs années. Il peut être effectué sous la forme d’un service militaire. « Il n’y a plus d’université, et dès la fin des études, les jeunes sont placés dans des camps de l’armée ou dans des entreprises, explique Alain Gascon, leur avenir est bouché ». Et de résumer : « Ce n’est pas de l’esclavage, mais ça y ressemble fortement ».

Des réfugiés érythréens dans un camp humanitaire en Éthiopie
Des réfugiés érythréens dans un camp humanitaire en Éthiopie. Crédit photo : Flickr

L’Érythrée justifie ce service national par le besoin de protéger le pays. Il existe depuis l’indépendance un conflit latent avec le voisin éthiopien, notamment pour des motifs frontaliers. « Si l’Éthiopie respectait les décisions prises par la commission de tracé des frontières de l’ONU, l’Érythrée n’aurait plus besoin de réquisitionner sa population comme elle le fait », estime Patrick Ferras, ancien du renseignement français et directeur de l’Observatoire de la corne de l’Afrique. Cette position ne fait pas l’unanimité : d’autres, comme Alain Gascon pensent que ce conflit larvé avec l’Éthiopie sert surtout de prétexte à Isaias Afwerki pour maintenir l’état d’urgence en Érythrée.

Érythrée, entre diaspora et autarcie

Pour Patrick Ferras, « environ 10% de la population érythréenne survit grâce aux aides alimentaires des pays occidentaux et des ONG. » Pourtant, le pays est l’un des plus fermé au monde : les touristes n’ont pas le droit de quitter la capitale sans visa, et le régime a tendance à considérer les humanitaires comme des espions étrangers. « Le gouvernement a une vision paranoïaque et complotiste de la scène internationale, développe Alain Gascon, d’où une certaine tendance à l’autarcie. »

Cette peur de l’extérieur n’empêche pas l’Érythrée d’accueillir des troupes saoudiennes, pour leur permettre d’intervenir au Yémen. « Épisodiquement, les finances érythréennes sont remises à flot par des dons providentiels de l’Arabie Saoudite ou du Qatar » affirme Léonard Vincent. Et de poursuivre : « Des entreprises chinoises, russes, ou même canadiennes investissent dans les mines d’Érythrée, et la possible présence d’hydrocarbures dans les sous-sols du pays pourrait accroître la tendance. »

L’Union européenne fait aussi partie des soutiens de l’Érythrée, et l’aide à la fois à se développer économiquement… et à mieux garder ses frontières, pour tarir le flux de migrants. Les Érythréens étaient la deuxième nationalité la plus représentée dans les entrées illégales sur le territoire de l’Union en 2015.

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Source : Frontex

Aujourd’hui, entre 1/4 et 1/3 de la population érythréenne vivrait à l’étranger selon Léonard Vincent. Ils sont à l’origine d’une manne financière vitale pour le pays : « La loi impose à tous les membres de la diaspora de verser 2% de leur revenu au gouvernement, sans quoi, on les menace de s’en prendre à leur famille », explique Alain Gascon. Preuve qu’en dépit d’une autarcie affichée, le pays dépend de l’étranger.

Deux très bons reportages :

Sur la situation en Érythrée, au delà de l’image que veut en donner le gouvernement : Un visa pour l’Érythrée, l’un des pays les plus fermés du monde (Nicolas Germain et Roméo Langlois pour France 24)

Sur l’horreur de ceux qui tentent de fuir leur pays, entre rançonnage, torture, et difficultés d’intégration une fois arrivés en Europe : Voyage en barbarie (Delphine Deloget et Cécile Allegra, Prix Albert Londres 2015)


Dadaab, plus grand camp de réfugiés au monde, pourrait fermer

Au Kenya, le gouvernement a annoncé son intention de fermer ses camps de réfugiés, pour des motifs sécuritaires. Le camp de Dadaab, le plus peuplé du monde avec 350 000 habitants, serait lui aussi démantelé.

Ce n’est pas une première : le Kenya dit vouloir fermer ses camps de réfugiés. Le 11 mai dernier, le ministre de l’Intérieur annonçait la crainte que des terroristes ne s’y cachent parmi les civils.

En avril 2015, après l’attaque de l’université de Garissa qui avait fait plus de 140 victimes, le gouvernement avait déjà fait part de sa volonté de fermer ses camps de réfugiés et de renvoyer ces populations dans leur pays. Sous la pression internationale, et notamment celle du Haut Comité des Nations unies pour les réfugiés (HCR), les autorités kényanes s’étaient ravisées.

Pourtant, selon un récent sondage IPSOS research, 69% des Kényans sont favorables à la fermeture du camp. D’après le HCR, les risques de fermeture et les tensions que génère Dadaab chez les populations riveraines poussent 500 à 1000 personnes à quitter le camps de Dadaab chaque jour. Le camp existe depuis 1991 : initialement prévu pour 90 000 personnes, il en accueillait 425 000 en 2013 selon le HCR.

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Le camp de Dadaab, le plus grand du monde, est proche de la frontière avec la Somalie / Google Map

Dans tout le Kenya, plus de 600 000 personnes vivent dans des camps de la sorte, dont plus de la moitié dans le seul camp de Dadaab. La plupart viennent des pays voisins en proie aux conflits et à la famine. Comme c’était le cas en 2015, l’ONU a à nouveau demandé au gouvernement de reconsidérer sa décision concernant la fermeture du camp.

Le camp de Dadaab, le plus peuplé du monde, accueille plus de 350 000 déplacés. Dans leur immense majorité il s’agit de Somaliens, qui ont fui les Chebabs, un mouvement terroriste se revendiquant du fondamentalisme islamique et qui contrôle le sud de la Somalie voisine. Les Chebabs sont à l’origine de l’attaque de l’université de Garissa, située à une centaine de kilomètres à l’ouest de Dadaab.

Début août, les autorités de la région de Garissa qualifiaient le camp de « havre de terreur« . Une référence aux trafics et à la contrebande d’armes qui transiteraient par le camp depuis la Somalie, et qui servirait les réseaux terroristes implantés dans la zone.


Tranquillement, l’État de Floride étouffe les Everglades

Quand le climato-scepticisme politique s’appuie sur les gros sous de l’industrie, les environnementalistes n’ont plus droit de cité. En Floride, le gouvernement, les législateurs et les agences environnementales font la sourde oreille aux réclamations des citoyens.

Alors qu’approche à grands pas le COP21, sommet de l’ONU sur le climat organisé à Paris cette fin d’année, la position qu’y adopteront les Etats-Unis est l’objet de toutes les attentions. Les efforts timides d’Obama en la matière – comme la signature en novembre dernier d’un accord pour la réduction des émissions de CO2 avec la Chine – sont l’expression d’une tendance plus large : aux Etats-Unis, la protection de l’environnement n’a pas le vent en poupe.

Le cas floridien est à cet égard révélateur. Le troisième Etat le plus peuplé du pays  (20 millions d’habitants) jouit d’un poids politique fort : il fait partie de ces « swing states », ces Etats qui peuvent voter républicain ou démocrate aux élections présidentielles ; en 2000, c’est d’ailleurs les électeurs de Floride qui avaient fait pencher la balance, à 537 voix près et malgré un décompte critiqué, en faveur de George W. Bush. Celui-ci s’était imposé face au démocrate et défenseur de l’environnement Al Gore. Déjà à l’époque, les Floridiens n’étaient pas les plus fervents amis de la nature.

Récemment, des fonctionnaires de l’Etat de Floride affirmaient aux médias que leurs supérieurs leur avaient formellement interdit d’employer les termes « climate change » ou « global warming », probablement à l’initiative de l’actuel gouverneur républicain Rick Scott.

Interrogé sur ces accusations, Rick Scott a nié, défendant en toute simplicité son climato-scepticisme affirmé par une vérité simple : « I am not a scientist ». Refuser un fait quasi avéré est un droit ; imposer aux autres d’en faire de même est un dogme à peu près obscurantiste. D’autant que les fonctionnaires ayant dénoncé la censure ont été remerciés ou placés en arrêt maladie – il n’y a que la vérité qui fâche dit-on.

House of Scott
(Crédit photo : Cathy Cochrane et Sherry Snowden, via doinmytoons.blogspot.com)

LE « US SUGAR DEAL », PROGRAMME ENVIRONEMENTAL MORT-NE

Il est à regretter que ce refus de considérer les dangers qui pèsent sur l’environnement déborde du seul champ sémantique. Actuellement, le gouvernement et les législateurs floridiens essaient d’enterrer le « US Sugar Land Deal ». L’idée de ce programme est de racheter à l’entreprise sucrière US Sugar des terrains au sud du lac Okeechobee, le second plus grand des Etats-Unis, pour y construire des centres d’épuration. Pour le moment, l’eau du lac est détournée vers l’est et l’ouest – d’où des crues-  à cause d’exploitations agricoles qui empêchent son écoulement naturel vers le sud – d’où un assèchement. Or, plus au sud se trouve le  parc naturel des Everglades, dont l’écosystème unique lui a valu d’être classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 1993. Chaque année le parc accueille environ un million de visiteurs.

Le lac Okeechobee est pollué, et son écoulement qu’ont modifié urbanisation et agriculture intensive menace la faune et la flore de toutes les rivières qui y prennent leur source. En dirigeant ses eaux vers le sud, comme c’était auparavant le cas, l’Etat pourrait construire des centres de dépollution. Une dépollution dont se chargeraient aussi naturellement les plantes d’eau qui séparent Okeechobee des Everglades.

En 2009, une première version du US Sugar Deal, établie par le gouvernement du républicain Charlie Crist prévoyait l’acquisition de 187 000 acres de terrain pour presque deux milliards de dollars. De difficultés financières en opposition des lobbys industriels, la Floride a dû revoir ses  ambitions à la baisse. C’est finalement à une transaction d’un montant de plus de 190 millions de dollars pour 28 000 acres de terres qui semblait se profiler. L’option d’achat pour cette transaction expire en octobre 2015.

« BUY THE LAND », UNE REVENDICATION CITOYENNE QUE LE GOUVERNEMENT N’ENTEND PAS

« Buy the Land », tel est donc le slogan des activistes écologistes. Ils l’ont clamé le 7 avril, pour l’anniversaire des Everglades, lorsqu’une petite centaine d’environnementalistes se sont déplacés à Tallahasse, capitale de l’Etat, pour rencontrer sénateurs et représentants – majoritairement républicains – et les convaincre de respecter leur promesse d’achat. S’en est suivi un concert de la star floridienne Jimmy Buffett, au pied du Congrès de Floride, auquel ont assisté un petit millier de personnes.

Le “Everglades Action Day », le 7 avril à Tallahassee. ( Crédit Photo : Cara Capp, de l’Everglade Coalition)


D’autres sont allés jeudi 9 avril 2015 à West Palm Beach, au siège du South Florida Water Managment District, agence gouvernementale en charge de la gestion des eaux autour du lac Okeechobee et des Everglades. Lors de la réunion publique des dirigeants du SFWMD, une cinquantaine d’écologistes de différentes associations ont tour à tour pris la parole pour demander l’achat des terres.

A Tallahasse comme à West Palm Beach, les citoyens ont obtenu la même réponse : les projets en cours sont déjà nombreux, et rien ne sert d’en entamer un nouveau avec le US Sugar Deal. L’Etat a d’autres priorités, l’achat des terres n’en est pas une. Et tant pis si pendant ce temps les Everglades sont asphyxiées par le manque d’eau et l’inaction politique.  Dans les faits, l’administration a déjà collecté l’argent du US Sugar Land Deal par le biais d’une taxe sur les documents juridiques – taxe approuvée par référendum par 75 % des Floridiens en novembre 2014. Mais aujourd’hui, l’Etat de Floride ne veut plus entendre parler d’une telle transaction. De son côté US Sugar joue la montre, puisque si l’option d’achat expire, le prix de ses terres va augmenter.

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Crédit photo : Cathy Cochrane et Sherry Snowden, via doinmytoons.blogspot.com

 

ARGENT CONTRE ENVIRONNEMENT

Les proximités des décideurs politiques et des industriels ne font aucun doute : en 2013, US Sugar emmenait Rick Scott, gouverneur de l’Etat, et Chris Crisafulli, président de la Chambre des représentants floridienne, au Texas pour des parties de chasse tous frais payés. En 2014, selon le Miami Herald, l’entreprise finançait les candidats républicains de Floride à hauteur de deux millions de dollars. Pour ce qui est du South Florida Water Management District, que l’on pourrait croire indépendant en tant qu’agence gouvernementale, ses dirigeants ont tous été nommés par Rick Scott et son administration.

Il n’y a cependant pas que les politiques que ceux qui ne veulent pas du US Sugar Deal essayent d’acheter. En témoigne le rassemblement du 2 avril 2015, devant le siège du SFWMD, où une cinquantaine de personnes clamaient leur opposition à l’acquisition des terres par l’Etat. Cette démonstration était presque convaincante, jusqu’à ce qu’une journaliste du Palm Beach Post aille interroger les participants… et découvre qu’il s’agissait d’acteurs, payés pour jouer les manifestants par « Stop The Grab », une émanation ad hoc du Tea Party, mouvement libertaire conservateur et poujadiste états-unien.

Comme le faisait remarquer un environnementaliste lors de la réunion publique des dirigeants du SFWMD : « A moins d’être payé, personne ne s’oppose au rachat des terres ». Même sans manichéisme, la dualité des positions demeure claire : d’un côté l’industrie et la plupart des pouvoirs politiques ; de l’autre la majorité des citoyens et les écologistes.  Une situation dont la Floride n’a malheureusement pas l’exclusivité.

Article original paru sur le site de La Manufacture 2.0, webzine de Sciences-Po Lille

 


Le dessinateur Olivier Balez parle de Charlie

Olivier Balez vit depuis huit ans au Chili, mais la récente tuerie de Charlie Hebdo l’a fait réagir. En tant que dessinateur et artiste, mais surtout en sa qualité de citoyen.

On doit au dessinateur français Olivier Balez de nombreuses illustrations : bande-dessinées, couvertures de livre, reportages graphiques (comme son tout récent album consacré à l’observatoire de l’ALMA), et aussi des collaborations avec la presse française (Libé, Le Monde, la revue XXI…). Après plusieurs années à Paris et beaucoup de voyages, Olivier Balez a finalement posé ses valises au Chili, il y a huit ans ; mais comme beaucoup, l’onde de choc de la tuerie de Charlie Hebdo ne l’a pas épargné.

Pour sa génération, « Cabu, c’était comme un oncle » ; un oncle qu’il lui est même arriver de croiser, avec d’autres membres de la rédaction de Charlie Hebdo, alors qu’il était encore à l’école Estienne (Paris 13e), toute proche de l’ancien siège du journal satirique. Les dessins de Charlie, Olivier Balez les qualifie volontiers de « féroces mais pas méchants », tout en saluant leur capacité à « appuyer là où ça fait mal ».

Eduquer, dessiner, vivre

Selon le dessinateur, le gros problème de notre époque est le manque de compréhension des images. Lui qui a grandi au temps des Coluche et des Desproges, maîtres incontestés de l’art de la provocation, il s’attriste qu’aujourd’hui les gens soient autant choqués par les dessins de Charlie. Pour ne pas assimiler la corrosivité du journal à de la violence gratuite ou islamophobe, il faudrait réapprendre à lire les images,  donner les outils de l’interprétation et les moyens de la compréhension aux jeunes notamment – surtout dans une époque où l’omniprésence de la télévision donne « l’impression d’une réalité ». L’image ou le dessin expriment une subjectivité affirme Olivier Balez, et il faut savoir analyser les éléments qui la composent, mais aussi ce qu’elle ne montre pas, ce qui est hors-champ.

A vouloir trop bien faire, à prendre trop de pincettes, on sombre dans le politiquement correct et l’unanimisme naïf. L’artiste se dit solidaire du mouvement « Je suis Charlie », sans pour autant l’appuyer aveuglément. Il se range derrière Luz, membre survivant de la rédaction de l’hebdomadaire : « ça les aurait emmerdé », à Charlie Hebdo, de devenir un symbole de la liberté d’expression. « On n’a pas tué un journal, on a tué des personnes » et il ne faut pas élever au rang de martyrs poursuit le dessinateur. D’autres prendront leur place, continueront leur travail, et la presse libre vivra.

De là la nécessité de prendre son temps pour (re)penser les tristes événements de l’actualité – surtout dans un monde « qui va trop vite » selon l’artiste. La liberté d’expression n’est pas morte ce 7 janvier 2015, mais elle ne continuera d’exister que si l’on a le droit de débattre et de prendre du recul pour échanger. « Tu n’es pas d’accord avec mon dessin ? OK, dis moi pourquoi et on en parle » : c’est ça l’intérêt de Charlie Hebdo pour Olivier Balez. Dans une société multiculturelle comme la France, la question soulevée en creux est celle du vivre-ensemble ; et pour y répondre, mieux vaudront l’humour et les crayons que la violence et les armes.

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Olivier Balez (Wikicommons)

Article initialement paru sur le site de lepetitjournal.com de Santiago


Delphine Batho au Chili

La députée et ancienne ministre de l’écologie Delphine Batho était de passage à Santiago, invitée à un séminaire de deux jours qui réunissait des députés d’Europe et d’Amérique Latine. Au programme : la démocratie, la cohésion sociale, les inégalités… je suis parti à sa rencontre.

Le séjour de la députée de la circonscription des Deux-Sèvres et ancienne ministre de l’écologie (juin 2012 – juillet 2013) n’a duré que quatre jours, mais a été riche en enseignements : de mercredi à dimanche, Delphine Batho a rencontré des politiques européens et chiliens. Elle a échangé avec Máximo Pacheco, ministre de l’énergie, sur les réformes énergétiques à venir et sur la place du solaire dans le pays. En compagnie de Pablo Badenier, ministre de l’écologie, elle a évoqué le rôle moteur que pouvait jouer le Chili aux niveaux régional et mondial dans le cadre du sommet sur le climat de Paris 2015 – comme en témoigne l’instauration prochaine d’une taxe carbone, un projet qui n’est pas éloigné de ceux de l’Europe en la matière. Enfin, la place des femmes dans la société, sur le marché du travail, et les violences qui leur sont faites ont été le sujet de ses conversations avec Claudia Pascual, ministre des femmes.

Avenir et citoyenneté

La députée socialiste s’est également rendue au Congrès, à Valparaiso, où elle a pu s’entretenir avec Guido Girardi, président de la commission du futur auprès du parlement et principal instigateur du Congreso del Futuro, dont lepetitjournal.com vous parlait il y a peu. L’occasion pour elle de saluer une « démarche prospective à laquelle participent des scientifiques » qui fait parfois défaut en France, où les enjeux de long-terme ne sont pas toujours considérés à leur juste valeur.

Dans un contexte marqué par les récents attentats du début de l’année, Delphine Batho a largement été interrogée par ses homologues sur la citoyenneté en France et sur le réveil civique qu’avaient provoqué ces événements.  Dans un pays comme le Chili, où les élites s’inquiètent de la désaffection pour la politique et de la montée de l’abstentionnisme, la Française a pu rappeler que c’est quand elles sont menacées que la République et la démocratie sont le plus vigoureusement défendues.  La réaction internationale de solidarité et de soutien vis-à-vis de la France a fait selon elle « chaud au cœur au peuple français, et lui a permis de redécouvrir la place qu’il occupait dans le monde ».

La jeunesse et les nouvelles gauches

Née en 1973, Delphine Batho confie qu’elle voulait depuis longtemps venir au Chili. L’expérience du gouvernement socialiste et démocratique de Salvador Allende apparaît à son sens comme « un exemple pour tous les socialistes français », comme l’a confirmé la visite de François Mitterrand en 1971. Aujourd’hui les jeunes générations ont un « tâche historique à remplir », en « changeant les règles héritées de la dictature ». C’est ce qui fait pour l’ancienne ministre tout l’intérêt du vaste programme de réformes de la présidente Michelle Bachelet, notamment en matière d’éducation.

Sa visite au Chili lui a aussi permis de revoir son ami d’enfance et camarade de classe Marco Enríquez-Ominami, exilé en France pendant la dictature, arrivé troisième aux élections présidentielles de 2009 et de 2013. Dirigeant fondateur du parti progressiste, l’homme incarne la nouvelle gauche chilienne, et grimpe rapidement dans les sondages. Comme c’est le cas des mouvements espagnol et grec, Podemos et Syriza, le parti progressiste représente une nouvelle offre politique, qui croît dans l’intervalle de la déception citoyenne face à la  gauche traditionnelle de plus en plus convertie à l’austérité économique. Cette austérité contre laquelle elle avait protesté quand elle était ministre de l’écologie dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, ce qui l’avait poussé à la démission, et plus tard à la rédaction d’un livre autobiographique, Insoumise*.

Pour conclure, Delphine Batho a affirmé attendre impatiemment la venue en France de ses amis chiliens, ainsi que la visite officielle de la présidente Michelle Bachelet, au mois de juin 2015. Car selon elle, le Chili et la France « ont beaucoup à s’apprendre mutuellement ».

delphine batho
Delphine Batho (Crédit Photo : Wikicommons)

*Insoumise, Delphine Batho, éd Grasset, 262 p., 18 euros

Article initialement paru sur le site de lepetitjournal.com de Santiago


Le Pentagate fait tomber les têtes

Grands patrons ou ténors de l’UDI, le « Pentagate » (du nom des entreprises du groupe Penta) n’épargne personne ; résumé d’une affaire sur fond de financement douteux de campagnes électorales, de prestations fictives et de conflits d’intérêts.

Quiconque ayant croisé de près ou de loin un journal ou un média chilien au cours des quatre derniers mois a forcément eu écho du « caso Penta », ou « Pentagate ».  Tout commence au mois d’août dernier, quand est révélée par le service des impôts (SII) une fraude massive au FUT – le Fondo de Utilidad Tributaria, qui permet normalement aux entrepreneurs de payer moins d’impôts pour réinvestir leurs bénéfices, et qui devrait disparaître avec la réforme fiscale du gouvernement Bachelet.

Les enquêteurs découvrent d’abord que, par l’intermédiaire d’un de leurs comptables, Hugo Bravo, les entreprises Penta, dont le champ d’activité va de la sécurité à la santé en passant par la banque et la finance, ont dissimulé à l’administration plusieurs centaines de millions de pesos – deux milliards pour les seules années 2009 et 2010. Pis, Hugo Bravo, depuis en procès contre ses anciens employeurs, dévoile une liste de politiciens, appartenant pour la plupart à l’UDI, parti d’opposition, qui auraient sciemment bénéficié de fonds issus de la fraude. Les dirigeants du groupe Penta, Carlos « Choclo » Délano et Carlos Lavín, dont la responsabilité n’est pas avérée, sont dès lors le sujet d’une enquête, au même titre que plusieurs autres hauts responsables du groupe.

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Carlos Délano, protagoniste central du Pentagate (Crédit Photo : Wikicommons)

Un système trouble mais bien rodé

A noter qu’en plus d’être le copropriétaire du groupe Penta, Carlos Délano est aussi membre du directoire du Teletón – dont le fonctionnement n’est pas exempt de critiques – et membre du conseil d’administration de la « Universidad de Desarrollo » – dont une enquête a révélé en 2012 les irrégularités (salaires très élevés des professeurs, location des locaux à une entreprise détenue par les membres du conseil d’administration, etc.). Depuis le Pentagate, l’homme ne siège plus auprès de ces deux institutions, de même qu’il a quitté, à l’instar de Carlos Lavín la direction de plusieurs branches des entreprises Penta.

Pour créer la « Universidad de Desarrollo » à la fin des années 1990, la famille Délano s’était alliée, entre autres, à la famille Silva : Ernesto Silva, président de l’UDI et neveu de Carlos Délano a d’ailleurs été visé par l’enquête du Pentagate à la fin 2014. Autre célébrité de la scène politique chilienne gravement entachée par cette affaire, Pablo Wagner, qui aurait reçu, alors qu’il était secrétaire d’Etat aux mines sous le gouvernement de Piñera, plusieurs millions de pesos de la part des entreprises Penta par le biais de fausses factures et de fausses déclarations  de revenus. Enfin, Joaquín Lavín, ancien ministre de Piñera, ami de longue date des « Carlos », autre membre fondateur de la « Universidad de Desarrollo » et candidat à las présidentielle de 2000 est aussi dans le viseur de la justice.

La question du financement des campagnes politiques

Le site du SERVEL , le service électoral chilien, rappelle la loi sur le financement des campagnes électorales : il est impossible pour un donneur de verser plus de 230 millions de pesos à un parti politique ou de dépasser cette somme dans le total de ses dons à différents candidats. S’il semble que le groupe Penta ait excédé cette limite, la question est surtout de savoir si les transferts d’argent aux candidats ont tous été déclarés ou non. Théoriquement, aucun don de plus de 500 000 pesos ne peut être anonyme. A l’heure actuelle, et outre les personnalités précédemment évoquées, les services fiscaux enquêtent sur les campagnes d’Ivan Moreira, de Laurence Golborne, de Pablo Zalaquett, et d’Ena von Baer, tous membres de l’UDI.

Face à ces événements, la majorité présidentielle se frotte les mains. C’était d’ailleurs elle qui avait demandé l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire en octobre sur le cas Pentagate. La roue pourrait toutefois tourner, puisque ce lundi 12 janvier, c’était la directrice de campagne de Michelle Bachelet, Ana Maria Lagos, qui était à son tour entendue dans cette affaire.

Article originalement paru sur le site de lepetitjournal.com de Santiago


Patagonie : la magie du bout du monde

A plus de 2 000 kilomètres au sud de Santiago, à l’extrémité du continent américain, se trouve la Patagonie, qui chevauche le Chili et l’Argentine. J’ai passé une petite semaine dans ce bout de terre au goût de bout du monde, côté chilien. Sensations garanties.

L’invitation au voyage

Patagonie, détroit de Magellan, cap Horn, Terre de Feu, Ushuaia… Ces noms ont le goût du rêve, ils sont ceux de l’aventure. Lointaines, ces localités et leur évocation font fleurir en nous les aspirations au voyage. Quand je pense à la Patagonie, je pense au gaucho, son maté, son poncho et son chapeau, à cheval pour surveiller son innombrable bétail ; quand je pense à la Patagonie, je pense à tous les navires et leurs marins que les eaux froides ont engloutis. Mythifiée par des générations de littérateurs et d’explorateurs, cette région recouvre un petit tiers des territoires chilien et argentin, soit plus d’un million de kilomètres carrés.

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La ville de Punta Arenas, au bord du détroit de Magellan (Crédit Photo : FL)

Alors, quand on met pied à terre à l’aéroport de Punta Arenas (« pointe ensablée »), ville la plus au sud du continent côté chilien, on s’attend à tout. Punta Arenas, qui compte plus de 100 000 habitants n’a pourtant en elle-même pas grand-chose à offrir. Située sur la rive nord du détroit de Magellan, la ville fait face à l’île de la Terre de Feu, ainsi nommée par les Espagnols du XVIe siècle qui s’étonnèrent des nombreux brasiers qu’y allumaient les indigènes.

L’architecture de Punta Arenas est révélatrice du passé de cette région. Les vieilles maisons de pêcheurs faites de bois, de tôle et de couleurs, reléguées dans les périphéries, cohabitent avec des bâtiments coloniaux et d’autres plus modernes – comme une immense (et immonde) tour de verre située sur le front de mer et accueillant le tout nouveau casino de la ville. Un argument de taille pour attirer les touristes fortunés ?

Marins, treillis et touristes

Car sans le tourisme, la Patagonie se mourrait économiquement parlant. Quoique la pêche s’y maintienne, le transit commercial maritime, à l’instar de ce qui s’est passé à Valparaiso, a singulièrement décru, si ce n’est disparu, depuis l’ouverture du canal de Panama qui évite aux bateaux de fréquenter les eaux hostiles du détroit de Magellan. Témoignage vivant du passé de cette terre d’accueil des marins : les innombrables boîtes de strip-tease, probablement anciennes maisons closes que compte Punta Arenas.

La Patagonie demeure cependant militairement stratégique : les bases militaires côté chilien sont nombreuses, puisque jusque tard dans les années 1970, les dictatures argentine et chilienne envisageaient d’en venir aux armes pour assurer des frontières longtemps contestées – et tracées au cordeau plus ou moins aléatoirement vers la fin du XIXe siècle.

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La bien nommée « route de la fin du monde » (Crédit Photo : FL)

Si les habitants vivent donc largement du tourisme, la région pourrait finalement en pâtir. En dépit de leur nombre croissant, les hôtels, restaurants, et autres agences de voyages proposent des prix étonnamment élevés. Aujourd’hui, seuls les plus riches ont le privilège de troubler la quiétude d’une région longtemps faiblement habitée. Beaucoup de Chiliens n’ont d’ailleurs jamais eu le loisir de visiter la Patagonie. Quand le tourisme se fera accessible au plus grand nombre, il faudra aux habitants une forte conscience écologique et historique pour résister à l’invasion.

Un goût de bout du monde

La Patagonie fait partie de ces endroits où l’homme blanc s’est échoué par accident, et où il s’est installé par fierté. Un défi qu’il s’est lancé à lui-même et à l’environnement. Les éléments lui ont fait comprendre qu’il n’était pas le bienvenu – les premiers indigènes le savaient déjà, et respectaient trop la Nature pour lutter contre elle. Les noms et les lieux évoquent une histoire douloureuse et témoignent de la rigueur de la vie australe : Puerto del Hambre (« port de la faim »), dont la population a été décimée par la famine, le Fort Bulnes, délaissé car invivable, le fjord « Ultima Esperanza » (« dernier espoir »), qui a donné son nom à la province de Puerto Natales, au nord de Punta Arenas, la « route de la fin du monde », qui rallie entre autres ces deux villes… En parlant de route d’ailleurs, il n’y a aucun moyen de descendre jusqu’au sud de la Patagonie chilienne en voiture sans passer par l’Argentine (ou sans emprunter un onéreux ferry) – soit un périple de trois jours depuis Santiago. Preuve s’il en est que cette terre, malgré notre présomptueuse démiurgie, reste encore un peu insoumise.

Quoique rare et clairsemée, la population patagonne (moins de deux habitants au kilomètre carré) est foncièrement métissée. Plus qu’en beaucoup d’autres régions d’Amérique du Sud, les apports européens (Slaves, Allemands, Français) sont nombreux, et les locaux sont aujourd’hui l’évident produit de rencontres fructueuses entre indigènes et colons occidentaux. La région est aussi désertée par ses jeunes, qui préfèrent pour beaucoup aller étudier plus au nord, le plus souvent à Santiago.

5h30 : le soleil se lève à Torres del Paine
5 h3 0 : le soleil se lève à Torres del Paine (Crédit Photo : FL)

Alors qu’est-ce que la Patagonie ?

Je pense qu’on pourrait commencer par dire qu’elle est le lieu de la rencontre tumultueuse des deux plus grands océans de notre planète. La confrontation houleuse de l’Atlantique et du Pacifique n’a pas engendré que le plus dangereux des détroits (Magellan) et le cap Horn, mais aussi un paysage sauvage que balaient inlassablement vents et marées, et où semblent venir s’appesantir les nuages du monde entier – il ne fait pas souvent beau en Patagonie. « Ici on peut voir toutes les saisons de l’année en une journée » disent les habitants. Les rafales, qui avoisinent facilement les 100 km/h rendent la circulation maritime et aérienne périlleuse, mais font surtout changer les températures et le temps du tout au tout en moins d’une heure. En hiver, un taxi me disait que la neige atteignait bien un mètre… Autrefois du moins, puisqu’aujourd’hui le réchauffement climatique rendrait les hivers plus cléments selon lui.

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Les Cuernos del Paine – en langue mapuche, « Paine » signifie « bleu » (Crédit Photo : FL)

Les paysages patagons rappellent avec justesse la revendication du Chili d’être un pays « andin, pacifique et antarctique ». La région la plus au sud du Chili s’appelle d’ailleurs « Magallanes y Antártica », et englobe supposément une part importante de la calotte glaciaire du pôle sud. L’extraordinaire parc naturel de Torres del Paine, qualifié de « huitième merveille du monde » dénote de la proximité des Andes, et contribue à attirer un nombre croissant de randonneurs à Puerto Natales, point de départ des excursions pour cette terre encore presque vierge. Le Pacifique n’est lui jamais très loin au Chili, tant le pays est fin et étiré. Quant à l’Antarctique, à environ 1000 kilomètres plus au sud, on est rapidement convaincu d’y être par le froid, mordant même en été, par la durée d’ensoleillement (de 5 h 30 à 23 h  en été également), et par la rencontre inopinée au milieu du détroit de Magellan, sur l’île de Magdalena, d’une colonie de 60 000 pingouins venus du Brésil pour se reproduire.

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Caillou pelé au milieu du détroit de Magellan, l’île de Magdalena est une nurserie de pingouins et de mouettes (Crédit Photo : FL)

Ce paysage de montagnes, de landes et de fjords, de neige de vents et d’écumes pourrait je crois ressembler à un mélange de la Scandinavie, de l’Ecosse et des Alpes (ne connaissant que les Alpes, je ne m’avancerai pas trop sur cette comparaison). Dans ces plaines immenses et plus ou moins verdoyantes, des barrières fatiguées contiennent un bétail éparpillé sur des hectares entiers de prairies à la végétation rase. Ces conditions favorables font de la viande patagonne un immanquable pour tout bon carnivore. En montant un peu en altitude, on croise facilement des guanacos, petits cousins des lamas, à moitié en liberté et à moitié habitués à prendre la pose pour les touristes qui sillonnent les routes pas toujours goudronnées.

Entre ces vastes étendues vides que ponctuent de grandes demeures de propriétaires terriens et les ilots de la côte que déchirent les flots et les vents, surgissent des montagnes ; rocs noirs et menaçants, tapissés d’arbres centenaires et toujours verts, couronnés par les neiges éternelles ou de brillants glaciers. Ces roches infatigables plongent à pic dans de grands lacs turquoises et tortueux, que d’abruptes et gigantesques cascades abreuvent. L’infinie quiétude de ces lieux revêt quelque chose de divin, de par son intensité, de par son immensité. Dans le ciel un rapace, condor ou aigle, passe lentement, sans bruit. La Nature s’impose, lyrique, romantique, et l’on ne peut que s’incliner devant la symphonie silencieuse de la terre et de l’eau ; on ne peut que se sentir petit, insignifiant, face à l’intarissable et intense mélodie des éléments. C’est donc au moins émerveillé, au mieux bouleversé que l’on repart de la Patagonie, avec dans le cœur le seul désir d’y revenir.

Guanaco patagon
Guanaco patagon (Crédit Photo : FL)

 


Chili, Pérou, Bolivie : des différends historiques aux rivalités frontalières

Entre le Pérou qui milite pour quelques grains de sable, la Bolivie qui se bat pour obtenir un accès à la mer, et le Chili qui fait la sourde oreille, la région est minée – littéralement, mais surtout par les conflits diplomatiques.

Le 27 août 2014, une centaine de Péruviens manifestaient dans le sud du pays, à la frontière avec le Chili, pour revendiquer leur souveraineté sur le « triángulo terrestre ». Soutien ferme de Lima : le président Ollanta Humala avait lui-même présenté quelques jours auparavant des cartes révisant la géographie locale, incluant ce triangle aux possessions péruviennes –alors qu’il est officiellement chilien. Colère de Santiago, qui prévenait en guise d’avertissement que la zone comportait encore des mines actives, souvenirs explosifs d’une histoire houleuse. Ces troubles pour s’approprier un triangle de 3,7 hectares (soit cinq terrains de foot), plus que des épiphénomènes, sont les signes révélateurs des nombreux différends frontaliers qui obscurcissent les relations diplomatiques du Chili avec ses voisins.

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Le fameux triangle terrestre, au nord du Chili (Crédit photo : Wikicommons)

Loin d’apaiser les esprits, mais en vue d’éviter le conflit ouvert, le ministre de l’Intérieur du Pérou déclarait après la dispersion de la manifestation : « Ce territoire est nôtre, et il n’est pas nécessaire de mettre des vies en danger pour le prouver ». Si les autorités péruviennes se permettent ce genre d’incartades, négationnistes plus qu’audacieuses, c’est que leur pays est fort de sa récente victoire devant la Cour internationale de justice (CIJ) dans une affaire qui l’opposait au Chili à propos des frontières maritimes. Là encore une histoire de triangle (les Sud-Américains sont apparemment très portés sur la géométrie). En 2008, Lima saisissait la CIJ pour obtenir une délimitation des eaux territoriales en fonction d’une ligne équidistante des côtes péruviennes et chiliennes – les Chiliens arguaient jusque-là que la limite des mers nationales dans la zone, particulièrement poissonneuse, devait suivre le parallèle, plus au nord. Au terme de la procédure, le 27 janvier 2014, la CIJ coupe la poire (et l’océan) en deux à l’avantage du Pérou : la délimitation des eaux territoriales suivra le parallèle pour les 80 premiers miles nautiques depuis la côte, et la ligne d’équidistance pour les 120 suivants. Les gouvernements des deux pays se plient à la décision, le Pérou se félicitant d’avoir récupéré 70 % des territoires qu’il demandait au travers de sa plainte.

Chili-Bolivie : le poids de l’histoire 

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas pour Lima que Santiago éprouve le plus d’inimitié, mais pour Sucre. Afin d’éclairer ces différends, il faut remonter à la guerre du Pacifique (ou « guerre du nitrate », ou « guerre du salpêtre ») qui oppose à la fin du XIXe siècle le Chili à la Bolivie et au Pérou. Ces pays n’ont pas cent ans quand le conflit éclate, en 1879. Les responsabilités sont partagées, et diffèrent selon de quel côté des frontières on se place. En bref, le Chili possédait des entreprises qui exploitaient le salpêtre au nord, en territoire bolivien, mais n’aurait pas obtenu les avantages fiscaux en la matière que promettait Sucre. Conséquence : l’armée chilienne attaque, et remporte la victoire en 1884. Résultat : une vingtaine de milliers de morts, le Chili augmente d’environ 25 % son territoire, le Pérou en perd proportionnellement autant, l’Argentine récupère quelques miettes au passage, mais surtout, la Bolivie est privée de sa région littorale. Avant la guerre, le pays avait 200 kilomètres de côtes ; à la fin des hostilités, 150 kilomètres séparent la Bolivie du Pacifique. Et plus d’un siècle plus tard, la pilule a toujours du mal à passer.

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« La Bataille d’Arica »  (1880) pendant la guerre du Pacifique, Juan Lepiani. Arica appartient désormais au Chili. (Crédit photo : Wikicommons)

La preuve ? La Bolivie est l’un des rares pays sans façade littorale à avoir une marine militaire. Composée de plus de 5 000 hommes et comptant une centaine de navires de toutes tailles, elle patrouille là où elle le peut, c’est-à-dire sur les fleuves amazoniens, et sur le lac Titicaca, à plus de 3 000 mètres d’altitude. Par ailleurs, dans l’article 268 de la Constitution du pays votée en 2009, l’Etat bolivien affirme « son droit […] imprescriptible sur le territoire qui lui donnait accès au Pacifique », et que le récupérer « par des moyens pacifiques ou grâce à l’armée […], est un objectif permanent auquel l’Etat bolivien ne saurait renoncer ». Le ton est donné. Le comble est sans doute que la Bolivie a un « jour de la mer » : tous les 23 mars, le pays célèbre avec amertume l’époque dorée où rien n’empêchait son peuple de rejoindre « son » océan. A cette occasion, une devise, apprise dès le plus jeune âge en Bolivie, refait surface : « La mer nous appartient de droit, et la récupérer est notre devoir ».


L’échec des négociations

Convaincus de mériter un accès à l’océan Pacifique, les Boliviens ont d’abord tenté de négocier avec Santiago sur le plan diplomatique. Les deux pays étaient sur le point d’arriver à un accord au milieu des années 1970 grâce à la connivence des dictateurs Hugo Banzer et Augusto Pinochet. En février 1975, après une rencontre emblématique à Charaña, à la frontière bolivo-chilienne, les deux hommes renouent les liens diplomatiques, rompus en 1962 pour une mésentente vieille de trente ans à propos du fleuve binational Lauca. Dans la continuité de ce rapprochement, début 1976, le Chili propose à la Bolivie la cession d’ « une zone maritime souveraine, attachée au territoire de la Bolivie par une bande territoriale également souveraine ». Mais pour être légalement valide, le projet doit recevoir l’accord… du Pérou, conformément au Protocole de 1929 qu’a signé avec lui le Chili. Or, Lima n’avalise pas l’initiative chilienne, mais propose l’internationalisation d’un trapèze de 66km² de terre, entre le Chili, le Pérou, et la Bolivie. Refus offusqué du gouvernement chilien, estimant qu’avec une telle proposition, le Pérou ne répond pas à une demande d’autorisation de cession d’un territoire à la Bolivie, mais interprète à son avantage le Protocole de 1929, essayant d’accroître géographiquement sa souveraineté (quitte à la « partager »), et ce au détriment du Chili. Les négociations en restent là.

Et c’est ainsi que depuis le milieu des années 1970, il n’y a plus de relations diplomatiques entre les deux pays. Certains projets ambitieux ont  cependant vu le jour pour relier la Bolivie au Pacifique, comme la construction d’un tunnel long de 150 kilomètres, sous la frontière péruano-chilienne, qui aboutirait sur une île artificielle à quelques encablures de la côte. Techniquement faisable, ce projet rencontre surtout des oppositions politiques : personne ne veut d’un tunnel sous sa frontière, et la Bolivie demande un accès à la mer en bonne et due forme, pas la plus longue canalisation du monde –même si on peut y faire passer des trains et des voitures.

Refus de diplomatie et instrumentalisation politique

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Toutes ces régions appartenaient auparavant au Pérou ou à la Bolivie, et comme le mentionne la carte, « la représentation des frontières ne fait pas nécessairement autorité » (Crédit photo : Wikicommons)

Dans les faits toutefois, la Bolivie a obtenu avec le traité de 1904 « la liberté de transit commercial la plus étendue sur son territoire et dans [l]es ports [chiliens] situés sur le Pacifique » (possibilité d’installer des douanes dans les ports d’Arica et d’Antofagasta, exonérations partielles des droits de transit par le Chili…). C’est précisément ce traité, par lequel la Bolivie reconnaissait la perte de son territoire, que le président bolivien Evo Morales veut contester lorsqu’il lance, en avril 2013, une procédure contre le Chili devant la CIJ. A l’heure actuelle, Santiago a demandé à la Cour de se déclarer incompétente pour trancher le dossier, et les deux parties ont jusqu’à février 2015 pour argumenter leurs positions. Ce qui n’empêche pas les deux pays de se livrer à de bruyants échanges de vidéos dans l’intervalle.

Des négociations bilatérales avaient pourtant été relancées en 2007 par la présidente Michelle Bachelet, pour trouver un moyen terme. Mais « Evo » a préféré le coup d’éclat. Les dirigeants de la région ont compris tout l’intérêt qu’ils pouvaient avoir à flatter voire à exalter les nationalismes : Humala manifestait lui avec les Péruviens pour réclamer la cession du « triángulo terrestre » pendant sa campagne présidentielle. Plus encore qu’il n’entretient les rivalités historiques à des fins électoralistes, ce genre de comportements grève profondément tout espoir d’entente et de rapprochement entre les pays d’Amérique Latine, handicapant par suite l’essor et le développement du continent. A l’heure où celui-ci a fait de l’intégration économique et de la liberté de circulation des hommes et des marchandises des objectifs à atteindre, une définition consensuelle des frontières semble plus que jamais s’imposer comme une impérieuse nécessité.

Article original paru dans le sixième numéro du Jeu de l’Oie, la revue internationale de Sciences-Po Lille


Un défilé de plus pour les « Furiosos Ciclistas »

Hier soir, comme tous les premiers mardi de chaque mois, avait lieu à Santiago la traditionnelle « cicletada », manifestation à vélo organisée par le mouvement Furiosos Ciclistas (MFC – traduire par « le mouvement des cyclistes furieux« ). L’occasion pour les cyclistes de tout poil de s’approprier la chaussée pendant quelques heures et de faire valoir leurs droits.


20h, mardi 4 novembre, Métro Baquedano ; la Plaza Italia, centre névralgique de la circulation de Santiago, est noire de monde – et de vélos. Noire de monde, mais multicolore : entre les phares des bicyclettes, les néons montés sur certaines d’entre elles, les lumières des casques de leur propriétaire, et les sacs ou autres gilets fluorescents, la palette est complète.

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Tracé du parcours de la manifestations cycliste du mardi 4 novembre 2014 (Crédit : Ministerio del Interior y de la Seguridad Pública)

Brillant spectacle que ces centaines de cyclistes qui s’élançaient ce mardi soir dans une boucle débutant et finissant à Plaza Italia, et passant entre autres par Recoleta, Independencia, San Martin et la Alameda, la principale avenue de la capitale chilienne. A  chaque mois son nouveau trajet, celui du 4 novembre étant un peu plus court qu’à l’accoutumée (une petite heure et demi en pédalant tranquillement). La procession, colorée et luminescente, est hétéroclite : entre les couples, les enfants, les pros, ceux venus entre amis, les nudistes, les jeunes en BMX ou les hommes d’affaires en costume trois pièces, tout le monde semble pouvoir s’y retrouver.

Les uns fusent, les autres flânent, mais tous se respectent. Le tintamarre des sonnettes est parfois couvert par les cris de cyclistes heureux, et se fond dans la musique que certains diffusent avec des enceintes portables. On en oublierait presque les embouteillages de vélos à chaque virage (même si ceux-ci sont rares), les klaxons des automobilistes coincés sur les axes perpendiculaires au tracé, ou encore les applaudissements et les encouragements des badauds qui observent le défilé depuis le trottoir d’un oeil interrogateur, agacé ou effaré.

Manifester pour « byciviliser »

Cela fait 20 ans que le Mouvement Furiosos Ciclistas (MFC) organise des manifestations de ce genre ; même si ce n’est que la cinquième officiellement permise par l’Intendance Métropolitaine, la mairie centrale du Grand Santiago, qui participe dorénavant au tracé du trajet. Pendant la cicletada, il est fortement conseillé de porter un casque et d’avoir des feux, avant et arrière : normalement obligatoires, il est possible de s’en passer pendant la manifestation. Cependant, difficile d’échapper dans ce cas aux regards réprobateurs des policiers venus encadrer le défilé.

L’objectif pour le leader du MFC César Garrido, comme il le rappelait dans une interview au Mercurio en 2013, c’est de faire valoir, dans la légalité, les droits du cycliste dans l’espace public et sur la chaussé – pendant le défilé il est d’ailleurs interdit de rouler en vélo sur le trottoir ou à contresens, et des organisateurs sont postés un peu partout pour le rappeler à l’aide de mégaphones.

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La « cicletada » de ce mardi 4 novembre 2014 (Crédit Photo : FL)

Contestataire mais civique, le MFC se veut pacifique plus encore que rebelle. Parmi les revendications du mouvement, faire diminuer la vitesse maximale autorisée en centre-ville (de 60km/h à 40 km/h), ou habituer les automobilistes à la présence de cyclistes en « bycivilisant » la ville – un néologisme dont on trouve la définition dans le très drôle (et pertinent) dictionnaire du site du MFC. Dictionnaire ou l’ « automobile » est « pour certains une alternative de transport valide et pour d’autres l’ennemi numéro un de la cohabitation urbaine », où « le piéton » devient « un véhicule bipède dont les deux extrémités sont à la fois directrices et motrices », et où l’ « activisme » se définit comme le fait de « pédaler à dessein ».C’est donc avec conviction et bonne humeur que l’on manifeste pour promouvoir le vélo à Santiago. Le mouvement, importé des USA, existe aujourd’hui dans plusieurs villes du Chili : Copiapó, Valparaíso, Talca, la Serena, Concepción…

La « bici », comme on l’appelle ici, est une véritable institution, et beaucoup de maisons sont dotées en la matière, ce qui pallie au manque de vélos publics (type Vélib). Selon César Garrido, il n’est même pas dangereux de pédaler à Santiago. A titre personnel, ce n’est pas mon avis : les pistes cyclables, qui se multiplient, sont encore rares, et les chaussés défoncées sont bien plus favorables aux autos, qui font généralement peu cas des vélos. Je ne suis pas le seul à le faire, mais je préfère souvent rouler sur le trottoir à Santiago, en dépit du caractère incivique (et illégal) de la chose. Par facilité, pour ma sécurité, et il est vrai, aux dépends des piétons et de leur confort, et ce même si la pratique est largement tolérée. De là l’importance de pédaler en militant avec les Furiosos Ciclistas, pour mener à bien leur « vélorution » tant attendue, et réhabiliter la convivialité urbaine au travers du cyclisme ; pour les intéressés, le Grand Soir c’est mardi soir,  au début de chaque mois.

Article original publié sur le site du Petit Journal de Santiago


« Superclásico » : culture foot et ambiance au stade

Dans chaque pays, pour chaque sport, il existe un « clasico », un derby, un « immanquable », que tous les aficionados regardent inévitablement devant leur télé ou, si c’est possible, au stade. Pour ce qui est du foot au Chili – le sport national, juste avant le barbecue – la confrontation la plus attendue de la saison, c’est Colo-Colo contre la Universidad de Chile (« la « U » »). Mais puisque j’y étais, autant vous raconter comment s’est passé ce que l’on appelle ici le « Superclásico ».

Première étape : les billets

Pour les supporters, tout commence une semaine avant le match : celui-ci est le dimanche 19 octobre, et les ventes de tickets en ligne ouvrent le samedi 11 pour les abonnés des deux clubs, le dimanche 12 pour le reste du public. Cependant, il faut disposer d’une carte chilienne pour payer sur internet : premier échec pour mes colocataires et moi-même. Comme la vente des billets physiques, hors-ligne, ne débute que le lundi, je me porte volontaire pour aller les acheter nos quatre places aux bureaux du revendeur du club. Une fois sur place, second échec, personnel cette fois : on m’y informe que pour le « Superclásico », c’est au stade qu’il faut se rendre pour avoir sa place.

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Les gens dans la file d’attente observent de loin les heurts entre supporters et Carabineros, qui jouent du jet d’eau (Crédit photo : FL)

 

C’est donc a l’ « Estadio Monumental » que se poursuit ma recherche. A midi et demi, des centaines de personnes y font la queue pour acheter leur entrée. L’ambiance donne un avant-goût du match : chants de supporters, maillots du club et hymnes de Colo-Colo – l’équipe joue à domicile à l’Estadio Monumental. Les fans de la « U », eux, achètent leurs places en ligne, aucun n’osant faire le déplacement au stade de l’éternel rival avant la rencontre. D’ailleurs ça tombe bien, Colo-Colo c’est aussi le club que je supporte. Pas tant par conviction sportive au demeurant, mais surtout par mimétisme vis-à-vis de mon amical proprio chilien.

Survoltés, les supporters s’agitent : les deux heures d’attente en plein soleil, sous une chaleur de plomb, n’ont rien d’apaisant, surtout pour ceux qui tournent déjà à la bière. A tel point que les Carabineros sont obligés d’intervenir, en marge de la file d’attente, pour éteindre un feu allumé par quelques ultras. Les lances à eau des forces de l’ordre, qui servent normalement à disperser des manifestants, sont aussi utilisées pour rafraîchir la queue en vue d’y éviter les malaises. Des policiers en tenue anti-émeute encadrent une foule électrique, et sont présents jusque devant les guichets de vente, où ils complètent les barrières pour empêcher les débordements.

Si les billets partent rapidement, c’est en parti dû à leur prix : les premiers sont à 6.000 pesos (moins de 10 euros), et les plus chers, hors loges, ne montent qu’à 20.000 pesos (une petite trentaine d’euros). Cependant, on ne peut pas acheter de places pour d’autres que soi, les billets étant nominatifs… Troisième échec donc : mes collocs ne pourront pas m’accompagner et c’est en solitaire que mon immersion footballistique se fera.

« ça va être l’émeute là-bas »

J’aime bien le foot. D’abord, parce qu’avant que la FIFA ne s’en mêle, avant que ça ne devienne une histoire de gros sous, c’est aussi un très beau sport collectif. Le plus facile à pratiquer par ailleurs : un peu de place, deux bouts de bois et un truc plus ou moins rond pour jouer le rôle du ballon, il n’en faut pas plus. Ensuite, et quoiqu’on puisse dire de sa professionnalisation et de la corruption qui le ronge, ça réunit plein de gens autour de leurs écrans, autour d’une passion commune. C’est populaire, ça donne lieu à des échanges animés, et ça fait presque toujours un sujet de conversation avec les inconnus – surtout en Amérique du Sud qui plus est, où l’on suit assidûment les championnats locaux, mais aussi européens.

J’aime bien aller au stade aussi : on n’y voit pas forcément grand-chose, mais l’ambiance est incomparable. Dans le cas du Superclásico cependant, un doute me ronge et grandit à mesure des mises en garde : apparemment quand Colo-Colo rencontre la U, ça clash. Pour de vrai. J’ai donc droit à des regards stupéfaits et des moues dubitatives quand je dis que j’y vais seul : « ça va être l’émeute là bas, tu sais ? », « moi j’ose plus y aller à ces matchs ». Seule fausse note dans ce concert alarmiste, un Chilien qui se dit déçu des nouvelles règles de sécurité des stades : « avant il y avait de l’ambiance, mais maintenant on a plus le droit de rien faire, ça n’a aucun intérêt, autant le regarder depuis chez soi ».

Jour J

C’est donc anxieux et les poches presque vides que je me rends au stade le dimanche matin. Le match commence à midi, mais on m’a conseillé d’y être une heure avant. A 11 heures en effet, les gradins sont presque pleins. Cet horaire, pour nous inhabituel (les matchs sont en général en fin d’après-midi ou en soirée en Europe), s’explique par le fait qu’en avançant les heures des rencontres, les autorités ont voulu diminuer le taux d’alcoolémie moyen des supporters. Pourtant, à 10h, le métro tremble et sursaute, littéralement, sous le poids des « colocolitos » qui chantent leurs hymnes et tapent le rythme, du pied ou du poing… bière à la main.

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Les Carabineros en tenue émeute ont sorti les matraques pour dissuader les ultras de la U (Crédit photo : FL)

Dans les tribunes, comme pour tout bon derby, les supporters de la U, qui joue à l’extérieur, sont parqués dans un virage, isolés par des policiers. Cela n’empêche pas les plus violents de s’attaquer aux infrastructures, notamment en arrachant les panneaux métalliques qui les empêchent de voir leurs homologues de Colo-Colo. Passé ce petit aménagement de dernière minute, les provocations de deux côtés se multiplient, entre doigts d’honneur et autres obscénités. Côté des supporters de la U, une barrière en vient à céder, et les Carabineros en tenue anti-émeute n’ont d’autres choix que d’investir la tribune vide séparant les ultras de deux clubs. Avant le début du match, les policiers sont obligés de jouer de la matraque contre les grilles pour « calmer » les plus agités ; un contingent finit même par descendre sur la pelouse pour tempérer les ardeurs des plus aventureux.

Le soleil, au zénith, n’arrange rien et tape dur. Ma casquette de Colo-Colo, achetée trois petits euros à un vendeur à la sauvette à la sortie du métro ne me sert donc pas qu’à passer inaperçu, mais aussi à éviter l’insolation. Car c’est de blanc et de noir, les couleurs de Colo, que le stade est drapé : tout le monde ou presque a apporté son maillot, et les fumigènes, les drapeaux et les banderoles sont de sortie. Les chants sont connus de tous ou presque, et certains visent directement l’équipe de la Universidad de Chile – preuve de la rivalité historique qui nourrit ce derby santiaguino.

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Le virage qui fait face à celui de la U a sorti les drapeaux blancs et noirs, les couleurs de Colo-Colo, avant même le début du match (Crédit photo : FL)

Je ne m’étendrai pas sur le match en lui-même, l’ayant déjà résumé ici ; ce qu’il fallait en retenir, c’est que ce qu’on appelle en Europe des « contacts » sont ici des pichenettes, et que le foot « à l’anglaise » (entendez « physique ») est au foot chilien ce que le catch est à la boxe. Ici on ne fait pas semblant, on joue fort. Pas toujours proprement, mais on y met de sa personne : les simulations sont rares, et ça fait plaisir à voir – enfin tant qu’on regarde du foot et pas de la lutte ; au total 8 joueurs écopent d’un carton jaune, et 2 d’un rouge. Pour ceux que ça intéresse, Colo-Colo a gagné, 2-0.

Alors que retenir de ce match ?

D’abord, qu’il n’était pas si dangereux de s’y rendre seul : beaucoup viennent en famille, avec leurs enfants, et comme souvent, la violence n’est le fait que d’une minorité –même s’il être bon de préciser qu’une centaine de personnes ont été interpellées aux abords du stade ; quelques rixes ont éclaté, dans les tribunes, mais aussi après le match, en plein centre-ville ; un homme célébrant la victoire de Colo a aussi été poignardé à mort dans la soirée.

Ensuite que l’Estadio Monumental n’est pas si « monumental » que ça. On y rentre par le haut des tribunes, qui sont au niveau de la route (le stade est creusé dans la terre), et les sièges, presque tous utilisés ce jour-là, sont au nombre de 40 000 – 20 000 de moins qu’au Vélodrome à titre de comparaison. D’ailleurs, les sièges sont là pour la déco, par principe. D’une part parce qu’ils ne sont pas numérotés – personnellement, j’ai changé trois fois de places pendant le match –, d’autre part parce que pendant la partie, personne ne s’assoit. En France il me semble qu’on ne se lève que de temps en temps (pour les occasions de buts, les fautes criantes ou les olas) ; au Chili, pour les Superclásico au moins, on ne s’assoit que quand le jeu s’arrête, et puis c’est tout.

Enfin, et j’en reviens à mon propos sur le foot en général : ce sport a un incroyable pouvoir fédérateur, même s’il mène parfois aux pires inepties. Je suis allé seul à ce match, je ne connaissais ni les chants, ni les joueurs de l’équipe que je « supportais ». Pourtant, je me suis réjoui et insurgé à l’unisson de tout un stade. Autour de moi tout le monde avait compris que je n’étais pas Chilien, mais à chaque but j’ai eu droit, comme tout le monde, à des poignées de main chaleureuses et à des accolades sincères. Et ça c’est l’esprit du sport, le vrai, même si on a parfois tendance à l’oublier.

En annexe, une très belle série de photos sur le match, et une vidéo de l’entrée des deux équipes sur le terrain.