Ahlem B.

Maroc : la burqa, une interdiction, des questions

Mon pays me réserve souvent bien des surprises… et fait rare, celle-ci en est une bonne ! Il y a quelques jours, certains sites d’informations marocains ont annoncé que le ministère de l’Intérieur aurait interdit la production et la commercialisation de la burqa au Maroc, pour des raisons de sécurité. Très vite, la machine s’est emballée et les médias locaux ont relayé l’information, les médias internationaux l’ont félicitée, les intellectuels l’ont analysée, les réseaux sociaux l’ont commentée, les détracteurs l’ont fustigée… Alors moi bien entendu, j’ai voulu en savoir plus sur cette interdiction, pour en connaitre les contours et m’assurer qu’il ne s’agit pas uniquement d’un effet d’annonce, rediffusé par mimétisme médiatique.

 

En parcourant les différents sites d’informations, je réalise que certains relatent l’interdiction au conditionnel, d’autres au présent… que certains illustrent leur article avec un niqab en titrant burqa, d’autres le jilbab… qu’ici on parle d’une circulaire écrite, là d’une notification orale… Moi qui cherchais une information sûre et fiable, j’en ressors plus confuse encore, avec davantage de questions que de réponses. J’ai donc décidé de me pencher sur cette annonce au contenu imprécis, aux contours flous et aux sources anonymes.

 

Soulevons d’abord la question de l’objet de l’interdit : la burqa.

Pourquoi avoir choisi la burqa, alors que c’est une pratique marginale au Maroc ? Pourquoi ne pas avoir explicitement évoqué le niqab, plus répandu ? Selon le site Yabiladi, le terme burqa aurait été mis en avant par les autorités pour désigner « l’ensemble des voiles intégraux », Média 24, « tout ce qui couvre entièrement le visage ». Par ailleurs la plupart des médias ont illustré leur article avec un niqab et non une burqa. Quel imbroglio !  Et je dois avouer que parfois, moi aussi je suis perdue dans ces dénominations nouvelles : burqa, niqab, tchador, jilbab et autres curiosités moyen-orientales, dont j’avais à peine connaissance avant de connaître Ben Laden !
La burqa désigne ce voile intégral porté principalement en Afghanistan, au Pakistan et en Inde. La burqa correspond à l’application de la purdah (littéralement « rideau ») qui désigne une pratique empêchant les hommes de voir les femmes et l’obligation de ces dernières de se couvrir. La stricte application du purdah restreint leurs activités personnelles, sociales et économiques à l’extérieur de la maison. Il y a 2000 ans avant l’islam, les femmes de l’ancienne Assyrie restaient à l’intérieur, dans la pénombre.

Après les invasions en Perse au 7ème siècle, cette pratique a été adoptée par les musulmans : elle s’est probablement développée en Perse et s’est ensuite répandue dans les pays voisins. On l’appelle aujourd’hui voile islamique, suggérant ainsi que le port du voile est une prescription de la religion musulmane. Pourtant, il s’agit d’une tradition païenne Assyrienne datant de … 2000 ans avant l’avènement de l’Islam…. et qui a resurgi bien après la mort du prophète. Puis dans le années 80, sous le régime des talibans.

 

Pour dépêtrer tout cela, voici un bref rappel des caractéristiques de chacune de ces tenues.

Le hijab signifie « voile », « rideau ». On l’emploie pour parler du voile le plus répandu, couvrant la tête et les cheveux, mais pas le visage.

Le jilbab, une longue robe, souvent noire et utilisée par les Saoudiennes. Il ne cache pas le visage, mais il couvre l’intégralité du corps, masquant les formes de ses porteuses.

Le tchador est un vêtement  iranien correspondant à la pratique du chiisme iranien. Le tchador n’est pas seulement le voile , mais une pièce de tissu, sans manches, que les femmes iraniennes portaient avant l’avènement de l’islam.

Le niqab masque le visage et tout le corps, à l’exception des yeux. Il est plutôt le fait de pratiquants d’un islam rigoriste, notamment les salafistes. Le niqab s’accompagne parfois de gants pour dissimuler les mains et de lunettes de soleil ou d’un masque pour les yeux.

 

« Le voile intégral » a évolué au fil du temps et de l’espace, se propageant à coups d’imams farfelus, de dollars et de pétro-dollars, de complots, de coups d’états et de guerres intestines/ internationales. Les médias, dans la confusion, le sensationnalisme, dans la multitude d’informations, lui ont permis de devenir une information vraie, en diffusant largement la dénomination  « voile islamique »: cette information, sur-intériorisée est devenue vérité, cette tradition lointaine, la norme religieuse.

 

Ceux qui arguent que le voile intégral est une tradition de l’Islam ne font que démontrer leur méconnaissance sur cette pratique ! Ils continuent de l’employer comme instrument d’oppression et de négation de la moitié de notre humanité, pour maintenir leur société dans une structure patriarcale extrême, qui nie et efface l’existence même de la femme de la vie.

 

Plus qu’un vêtement, c’est une revendication politique qui se réclame des mouvements les plus extrêmes. C’est un porte-drapeau, noir étendard de mouvements politiques et idéologiques plus que d’une conviction religieuse.

 

 

Passons à présent aux questions autour de la circulaire. Où est-elle ? Quel numéro porte-t-elle ? Sur quel texte (loi, décret…) s’appuie-t-elle ? Quel fondement légal ? Jusqu’à présent, l’information de l’interdiction s’appuie sur des sources officieuses qui la relaient sous couvert d’anonymat. Voilà près d’une semaine que la presse se fend d’articles et toujours aucune communication officielle. Et là je réalise.

 

Quelle manœuvre politique subtile, car ourdie pendant une période de flottement durant laquelle le Maroc brille par son absence de gouvernement : personne pour voter un texte, le débattre, le contester, le retarder… Pour rappel, depuis les dernières élections législatives il y a près de 4 mois, le Maroc attend toujours la constitution de son gouvernement. Le chef du gouvernement sortant, Abdelilah Benkirane, avait été mandaté par le le roi Mohammed VI pour constituer une nouvelle majorité, suite à l’annonce des résultats qui ont donné gagnant le parti PJD (Parti de la Justice et du Développement). Depuis, faute de réunir de majorité, le pays attend son gouvernement, spectateur d’un blocage et de tractations politiques, tiraillé entre un parti islamiste qui se prétend modéré et qui a démontré le contraire sur le terrain ces dernières années, et des partis de technocrates décidés à porter le Maroc dans une ère économique moderne.

 

Quelle stratégie habile, car elle émane du ministère de l’intérieur, invoquant la sécurité de l’État pour justifier la décision: qui pourrait contester la Raison d’État, sinon un ennemi de la nation? Imaginez un instant le tollé si cette interdiction avait émané du ministère des Habbous et affaires islamiques…
Quelle opération étatique ingénieuse, car non seulement elle permet à nos services de renseignements de cartographier les foyers de résistance et d’identifier les récalcitrants qui pourraient constituer une menace dans la lutte contre le fondamentalisme et le terrorisme. Mais elle permet également de rectifier cette tendance importée de l’exterieur vers un radicalisme religieux, depuis l’arrivée du PJD au pouvoir il y a une dizaine d’années, et de recadrer et restaurer le positionnement du Maroc comme le pays d’un islam pacifiste, tolérant et ouvert sur le monde.

 

Quel formidable écho au discours du roi du Maroc, à Rabat pour le 63e anniversaire de «la Révolution du roi et du peuple» et celui de Dakar à l’occasion de la célébration de la Marche Verte, contre toute forme de terrorisme et d’obscurantisme justifiés au nom de l’islam.

 

Bref. Bien que floue, bien qu’imprécise, bien qu’elle soulève des questions, cette interdiction me réjouit ! Le Maroc lance son offensive contre ces accoutrements qui ne sont ni une tradition marocaine, ni une tradition islamique. Il coupe l’herbe sous le pied des prétendus imams d’outre-mer et autres prophètes de malheur qui voudraient nous faire croire qu’il s’agirait d’une obligation religieuse et universelle. Alors j’ajouterai aussi, quel courage ! Le Maroc prend position et interdit cette pratique avilissante, au risque de se mettre à dos une partie des pays et des musulmans les plus radicaux.
En revanche, le traitement de cette information a révélé l’ignorance et la confusion qui règnent dans certains médias de masse et dans l’opinion publique. Il serait une erreur de continuer d’employer les termes de « voile islamique » pour désigner la burqa ou le niqab. Peut-être « voile intégral » ? Les médias ont une responsabilité, celle de fournir une information documentée, fiable et vérifiée… autrement, ils finissent par créer et répandre des idées fausses. Et à force de les répéter, elles en deviennent vraies.

 

Ah et dernière chose, qui a retenu mon attention. Hier, je lisais cela, sur un site d’information européen : « simple hijab ». Rappelons qu’il y a encore 10 ans au Maroc (et dans le monde), des débats similaires portaient autour du voile « hijab ». Le hijab désigne le voile que certaines femmes musulmanes disposent sur leur tête pour dissimuler leurs cheveux. Aujourd’hui, on l’appelle « simple hijab », on le préfère, comme un « moindre mal ». Comment en si peu de temps, médias et opinion publique, ont-ils glissé ? Comment le débat sur le voile intégral a-t-il supplanté celui du hijab ? Comment, ce qui était inacceptable il y a encore une décennie, l’est devenu aujourd’hui ?

 

Que nos esprits sont amnésiques ! Que nos cerveaux malléables !

Ahlem B.

Crédit photo: nabilghandi.com


La Civilisation, ma mère – Les Folles histoires de Sam Lgaouri

 

2 ème Partie: Être

 

Ça fait longtemps que je n’ai pas écrit. C’est qu’il s’est passé des tas de trucs depuis. Ah la la, si tu savais! Bon, je peux pas tout te raconter mais au moins.
J’ai du chiper des tas de dirhams pour cette histoire, et tu sais, j’ai pas mangé un bonbon ou un chocolat ou rien acheté depuis très longtemps, juste pour en ramasser un maximum et te raconter le plus. Le gars qui écrit à ma place, il m’en réclame de plus en plus, des dirhams, parce que je te rappelle, et c’est sûr, tu as déjà oublié, moi j’ai 7 ans, je ne sais pas lire ni écrire, parce que je suis un enfant de pute et je n’ai pas de mère, pas de père. Je ne vais pas à l’école parce que je n’ai pas de papiers ni d’âge ni de nom ni rien et ça, ça veut dire que je suis illégal devant tout le monde.

Bref. Dans ma rue, ça ne va plus du tout. Mais alors, plus du tout, ma rue, elle devient complètement dingo. Tu te souviens, de cette association qui nous a refilé des tas de cartons plein pour nous aider à les développer? Ben ça a fichu un bordel terrible. Terrible. Depuis, tous les jours, L’Oncle Haj est tabassé par Chen9our , Oueld L3aouja par Rbia, L’Oncle Aziz l’Épicier par l’Oncle Saïf, L3alem par l9afez, etcetera etcetera. Et il y a 2 jours, c’est Tante Saida Bent L3aouja qui a été rouée de coups par l’oncle Barbe Rouge, parce que sur son ordinateur, des gars qui lui ressemblent et que personnene  connaissait avant l’ordinateur lui ont dit de la tabasser pour aller encore plus au paradis. Il hurlait que Tante Saïda Bent L3aouja, c’est une sorcière parce qu’elle fait du proxénétisme, alors que la pauvre, elle, tout ce qu’elle a toujours fait toute sa vie depuis toute petite, c’est d’aider les hommes à se sentir mieux. On prétend qu’elle fait jaillir un truc de l’intérieur. Je n’ai jamais bien compris ça, et j’ai jamais compris si c’était une phrase pour de vrai ou un truc comme une morale. Va savoir. Sinon, les autres gars de ma rue, ils sont en taule pour un tas de raisons mais ils attendent encore qu’on leur explique lesquelles.

La fille au couscous, elle est passée l’autre jour et elle a caressé ma tête en murmurant qu’ils étaient tous aliénés. Je ne vois pas bien ce que les ekstraterrestres ont à voir avec ça mais j’avoue que parfois, quand tu les regardes bien, Saida Bent L3aouja, L9afez, L7aj, l3alem, Aziz L’Épicier, Chen9our, Rbia, Barbe Rouge, Oueld L3aouja, et tous les autres, tu jurerais qu’ils viennent tous d’autres planètes.

Bref.

Il m’est arrivé une affaire dégueulasse ce matin. J’en tremble encore, je t’assure.

Voilà l’histoire. Y a un gars ce matin, il s’est approché de moi. Il avait des bonbons à la main et m’a dit de m’approcher. Je dois te dire, au début, j’étais méfiant, parce que des gars qui te donnent des trucs aussi bons, juste comme ça, pour rien, c’est très très bizarre, elle dit tante Saida Bent L3aouja. Mais comme il a aussi un sourire et un coca, je me suis approché.
– Avant, assieds-toi près de moi.
Je m’assois. Il pose sa main sur ma cuisse et moi je sursaute. Il m’a demandé si ça me plait, sa main, et moi j’ai haussé les épaules. Je savais pas bien quoi répondre. Même si je me sentais mal à mourir. Il m’a touché mon truc mais on a tellement pas le droit de parler de ces choses-là que moi, à cet instant, j’ai rien osé dire. Et moi je savais même pas que c’était mal, avant qu’on me l’annonce.

Soudain, la fille au couscous a déboulé je-sais-pas-d’où et même si est est petite et fluette, elle était tellement furieuse, là, qu’on aurait juré que sa voix pesait 150 kg de force. Le gars a détalé et personne a pu le rattraper.

Moi je suis resté là, vide, et j’ai pleuré, pleuré, sans vraiment savoir pourquoi. Parfois, tu te sens tellement seul, que tu as l’impression que ton ventre est emporté dans un tourbillon noir. Elle a dit qu’il avait busé de moi. J’ai pas bien compris mais ça a l’air affreux, ce truc. La fille au couscous, elle m’a tenu la main longtemps, ses paumes et ses yeux étaient moites tellement elle était triste. Comment j’aurais pu savoir, moi, personne en parle jamais de ces trucs et quand ils le font, ils ricanent comme des hyènes.

Le salaud.

Ça m’a tellement fait réfléchir cette histoire que j’ai essayé d’aller à l’école en cachette pour trouver des réponses, pour apprendre des trucs et vite sauver le monde. Mais c’est pire que dans ma rue là-bas. J’ai vu des trucs incroyables. J’ai pas tenu une journée. Y avait des maîtres et des maîtresses qui attachaient les enfants en les battant avec des bâtons, des clous, des tuyaux de butanes et autres inventions maléfiques, sous une pluie d’insultes, d’autres aux toilettes qui embrassaient ou caressaient des élèves, qui échangeaient des bonnes notes contre des billets, des cours très particuliers ou des baisers… et tellement de trucs dingues que j’aurais plus assez de dirhams pour payer mon gars et te raconter le reste.

Dis, tu le sais pas, tout ça, hein?

Tu parles.

J’ai tout déballé à la fille au couscous quand elle est revenue cet après-midi, c’est là qu’elle m’a parlé de trucs qui ont changé le monde, parfois. Elle m’a parlé de gens qui ont écrit des textes et des manifestes de liberté, des déclarations universelles, des discours de rêves et de rome. Comme d’habitude, j’ai pas tout bien compris de ce qu’elle a dit mais j’ai essayé. Je dois faire un truc sinon je vais crever. Mais j’ai plus le choix, tous, tous ici pètent un plomb. Et moi je suis perdu parce que dans mon coeur, je dois faire quelque chose. Et moi j’ai pas grand-chose, moi, à part des mots.

J’ai donc décidé un truc grave. J’ai besoin de ton aide. Je sais, on te dit de te méfier et laisser couler la vie, pas de bien, pas de malheur et des tas de conneries comme ça. Les adultes, ce qu’ils inventent parce qu’ils ont la flemme, c’est juste pas possible.
Tu te souviens de mon copain 3ouita, qui est mort sans prévenir ni rien le salaud? Il avait 6 ans. Moi j’ai 7 ans et je veux pas crever comme ça. Je suis pas un salaud. Je veux au moins essayer. Parce que ça peut plus durer, tout ça, et que moi je sens que j’explose, même si j’explose pas pour de vrai, quand même, et c’est dommage que toi tu peux pas voir ce qui se passe à l’intérieur de moi.

C’est pour ça, moi aussi, j’ai décidé d’écrire mon Manifeste pour les Enfants:

« Chers ministres, chers citoyens et chères citoyennes, cher amis et ennemis, chères amies et ennemies,

Considérant,

1/ Je veux que tous les enfants aient le droit d’aller à l’école.

2/ Je veux que personne n’a le droit de me frapper, me torturer,
m’humilier, m’exploiter, me faire travailler, me faire exclave, me violer, ni rien qui fasse du mal à mon corps, à mon coeur et à ma tête.

3/ Je veux que tous les enfants aient le droit d’être logés, nourris, vêtus, soignés.

4/ Je veux une instruction, une éducation, une identité.

5/ Je veux naître libre et légal.

6/ Je veux être un enfant égal à tout le monde et que tout le monde soit l’égal de tout le monde.

7/ Je veux que tu me protèges.

8/ Je veux, si tu veux, que tu me trouves un papa et une maman (ou juste un des deux) si je n’en ai pas, ou plus.

9/ Je veux que tous les enfants ont une école à côté.

10/ Je veux que les enfants aient le droit de savoir, de croire, de comprendre, de s’interroger, de pas être d’accord.

11/ Je veux que les enfants ont un parc où jouer en sûreté, je veux des bibliothèques pour lire.

12/ Je veux aussi une barre de chocolat tous les matins, et un coca. Bon, ce point là, c’est pas très grave, si tu peux pas. « 

Les adultes, ils croient que c’est déjà foutu. Qu’on est foutus, alors ils essaient même plus. Mais moi, mais nous, on doit faire quelque chose, n’est-ce pas? On doit sauver ma rue et je suis au désespoir de pas savoir quoi faire.

Et dis toi, tu veux bien le signer, mon Manifeste?

S’il te plaît.

 

 

* « La Civilisation, ma mère…! » Driss Chraïbi

 

Traductions
Sam Lgaouri: Sam l’étranger
Saïda Bent L3aouja: Saïda Fille de la Tordue
L’Oncle Saïf: L’Oncle Sabre
L’Oncle 9afez: L’Oncle Je-sais-tout
Oueld L3aouja: Fils de la Tordue
Chen9our: Hâche
L’Oncle 3alem: L’Oncle Savant


#Fiction – Le Poisson Révolté

Il était une fois, dans un lointain lointain royaume, au large d’une longue trainée de sable, un vaste vaste océan.

De loin, le spectacle était majestueux; on ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine déférence face à cette immensité bleutée: c’était des étendues d’eau et d’azur qui se confondaient avec l’horizon, des lumières scintillantes qui pétillaient sur une surface veloutée, des flots d’algues et d’écume crépitante qui s’étalaient puis se ravalaient au bord de petites dunes de sable jaune. 

Cependant, étrangement, plus on approchait, plus ce vaste vaste océan apparaissait nauséabond, plus il se colorait de gris. En fait, en approchant tout à fait, on réalisait que les lumières scintillantes sur la surface étaient le reflet de bouteilles en verre, de conserves et de sacs plastique, les algues, des pelures de fruits et de légumes, et l’écume, une mixtion boueuse de chimie indigeste et toxique. Une odeur fétide prenait à la gorge avant de s’incruster dans la peau.

En se rapprochant davantage, on découvrait un décor plus surprenant encore.

Il y avait là un village qui abritait des dizaines de bâtiments difformes, hideux qui laissaient échapper des fumées noires et des relents immondes. Des hommes de tout âge et de toute taille, en chapeau de paille et combinaison bleue, étaient alignés, silencieux, à la queue-leu-leu  à l’entrée de l’usine. Au dos de la combinaison, on pouvait lire cette inscription: « ouvrier-pêcheur ». 

À l’intérieur de l’usine, les machines bourdonnantes cadençaient le geste des travailleurs réglés en chaîne sur la ligne de travail qui leur était assignée. Ici, une « Ligne de farcissage », là une « Ligne d’empaquetage », là-bas, une « Ligne d’emballage », etc.: les lignes de travail, par centaines, serpentaient au milieu du grand plateau, comme les tracés d’un labyrinthe complexe.

Le regard vide, le geste mécanique, les ouvriers-pêcheurs répétaient la même tâche, seuls au milieu de ce grouillement silencieux et ces machines mugissantes.

Tous les matins, des milliers de poissons, crustacés et mollusques arrivaient entassés, inertes, amoncelés dans des convoyeurs: l’opération industrielle et chimique pouvait commencer. Les ouvriers-pêcheurs alors triaient, désossaient, nettoyaient, découpaient, farcissaient, panaient, marinaient et autres tâches avant de les parquer dans des boîtes, conserves, pots ou verrines, prêts à être vendus dans chaque recoin du lointain lointain royaume, et même au-delà.

Les hommes, donc, n’avaient plus tant besoin de pêcher avec une canne à pêche par exemple. C’était un autre temps cela, et seuls quelques marginaux arrivaient encore à remonter quelque fretin. En effet, des techniques très avancées et très modernes permettaient maintenant de récolter des milliers de poissons en quelques heures seulement, et des tonnes en une année: sennes tournantes, filets de palangres, chalutage de fond, aquaculture et autres méthodes  redoutables d’efficacité.

Et les poissons continuaient de déferler tous les jours par flots continus, se déversant par tas devant les bâtiments.

Enfin! Revenons plutôt à notre récit.

Un jour, l’homme qui mit au point toutes ces techniques était de sortie en mer, il voulait tester une nouvelle invention qu’il avait imaginée la veille. Et c’était déjà un succès: en moins d’une heure, il réussit à remonter avec ses hommes des millions de poissons et crustacés. Il ne tenait plus de fierté devant cet exploit! 

Pour savourer cette victoire face à la nature, l’homme se rendit seul sur le pont et huma à plein poumon l’air marin: la brise fouetta ses joues et un sentiment de puissance gonfla sa poitrine un instant. 

Soudain, il fut traversé par un sentiment étrange. Il se sentait observé. Il inspecta autour de lui, mais personne. Il était seul sur le pont. Bah! Sans doute mon imagination, se rassura-t-il d’abord. Toutefois, le malaise ne le quittait pas et il continuait de sentir un regard appuyé sur sa nuque. Subitement, son attention fut attirée par des yeux fixes. Il fut parcourut d’un long frisson. 

Sur le sol, un petit poisson gisait, flasque, immobile, toutefois, ses yeux vitreux le fixaient avec insistance. Et son regard semblait si vivant encore!

L’homme mit un coup de pied au poisson en proférant un juron. Le malheureux percuta le pont avec bruit et revint glissant à ses pieds.

– Je suis venu te parler.

Une voix monocorde et caverneuse avait prononcé ces mots.

D’où venait cette voix? Diable! Il n’y avait personne ici!

– Je suis venu te parler. C’est moi, le poisson, à tes pieds. Oui, c’est bien moi qui te parle.

– Un poisson ne peut parler! s’écria l’homme avec effroi.

L’homme croyait à un mauvais rêve. Comment était-il possible qu’un poisson parlât? 

– J’ai appris.

– Pourquoi?

– Parce que je ne supporte plus le silence de la nature. Je veux vivre, moi. Je veux arrêter ce massacre, moi. Parler est devenu une nécessité. Cette volonté a éveillé ma conscience et ma conscience, ma révolte.

Le poisson poursuivit:

– Je me suis révolté contre notre condition, si fort, que j’ai fini par penser. Puis explorer. Puis apprendre. Puis comprendre.

– Puis comprendre. Il répéta ces derniers mots avec un regard triste, infiniment triste.


– Des millions de tonnes pêchées chaque année, et chaque année, toujours plus encore. Comment en êtes-vous arrivés là? à dépeupler ce vaste vaste océan jusqu’à en exterminer des espèces et bouleverser l’ordre naturel? à nous dénaturer? Avec des milliers de km d’hameçons, des filets qui plongent comme un tube jusqu’à plus de 200 mètres de profondeur et se referment sur tout ce qui passe, avec…


L’homme, la surprise passée, recouvra sa vigueur et l’interrompit:

– Non! Et puis, je ne fais rien de mal! Au contraire, grâce à moi, grâce à ce système, grâce ce qu’on fait dans ce village, on nourrit des milliards de personnes dans le monde entier et on en fait travailler des millions!

– Aujourd’hui, l’humanité a consommé toutes les ressources naturelles que la Terre pouvait produire en un an. Bientôt, vous pêcherez les créatures des abysses. Viens, je dois te montrer.

Le poisson, déterminé, se glissa avec peine et effort jusqu’au pont, faisant craqueler ses écailles sèches contre le sol.

– Viens, suis-moi. Tu dois voir. Tu dois voir ça aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard.

Le poisson se mit soudain à frétiller et se tortiller jusqu’à se jeter dans l’eau, sous les yeux hébétés de l’homme.

Au bout de quelques secondes, il bondit à la surface et cria:

-Viens!

Sans vraiment y penser, l’homme le suivit et plongea.


Épisode 2:



Il s’engloutit dans l’eau crasse et dans sa chute, sa tête cogna des débris, ses bras heurtèrent des objets, ses pieds accrochèrent des ordures. Il se coupa même légèrement, avec un flacon brisé. Un mince filet de sang se répandit dans l’eau, puis peu à peu se dilua dans l’onde trouble.

L’homme maintenait les yeux fermés, obstinément fermés, subitement étreint par l’angoisse de se sentir si insignifiant, si vulnérable dans ce précipice obscur et inconnu, se maudissant d’avoir suivi ce mollusque dans son délire. 

Enfin, peu à peu, il ralentit dans sa descente, puis flotta en apesanteur dans l’eau. Encore étourdi, désarçonné par cette nouvelle gravité, il osa entrouvrir un oeil, puis un second. 

Le poisson clappa avec ses lèvres, laissant s’échapper quelques bulles qui filèrent à toute allure vers la surface:

– Bienvenue dans le monde que tu as bâti.

Autour de lui, des milliers de paires d’yeux le fixaient, les paupières écarquillées. Le monde marin s’était soudain arrêté, et ses créatures campaient en foule pour regarder leur bourreau dans les yeux. L’homme crut sa fin proche, certain qu’elles se préparaient à le déchiqueter. Mais elles l’encerclaient, immobiles, silencieuses et le regard lugubre. Après un long réquisitoire muet et accusateur, durant lequel le vaste vaste océan cessa de respirer, le supplice, enfin, prit fin.

L’eau frémit; les bancs de poissons molticolores s’ourlèrent et se renflèrent, avant de disparaître au large, aussi subitement qu’ils étaient apparus. 

À peine l’homme s’était-il remis de son émotion, qu’il fut pris d’une nouvelle frayeur. Quelque chose de lourd avait éfleuré son bras. C’était un requin: il se laissait couler à pic.

Qu’il avait l’air minable, le requin, le prédateur amputé de son aileron, avec sa gueule terrifiante et ses dents féroces, à présent inutiles! Qu’il était misérable, à se laisser tomber, comme lesté d’un poids imaginaire, tandis qu’il se mourrait, pitoyable d’impuissance et de famine!

Plus loin, un essaim de crevettes était pris au piège dans un sac plastique, et le sac sous pression se refermait sur les malheureuses qui s’asphyxiaient; à côté, un dauphin éventré pleurait: un morceau de verre était planté dans sa branchie. Un chant mortifère et chevrotant accompagnait sa fin.

Le poisson, ne disait mot, il filait à toute allure entre les charniers, zigzaguant entre les morts et les blessés. L’homme continuait de le suivre, de plus en plus désemparé.

Soudain, l’eau devint gélatineuse et des ombres gluantes déambulèrent autour de lui.

Le poisson, remarquant le rictus de dégoût qui déformait le visage de l’homme, commenta froidement:

– Regarde, ces quantités impressionnantes de méduses, gigantesques, toxiques. L’ordre naturel est bouleversé. Déséquilibré. Elles n’ont même plus besoin de s’accrocher aux coraux, puisqu’elles ont appris à le faire sur vos déchets.

– Chaque seconde, 412 kilos de plastiques sont déversés dans ce vaste vaste océan. À la surface des océans, ce sont 270 000 tonnes de déchets plastiques qui flottent. Mais dans les fonds marins, figure-toi, c’est bien pire : on parle là de dizaines de millions de tonnes!

Maintenant, devant eux, une longue ligne, comme une corde à linge, s’étirait sur des millers de kilomètres. Des centaines de poissons étaient suspendus aux hameçons alignés, certains se débattaient encore suffocants, dans un ultime instinct de survie, contre leur mort pourtant inéluctable.

– Chaque année, plus de cent millions de tonnes de poissons sont pêchés, l’homme raclant jusque dans les fonds marins. Des espèces millénaires ont disparu en quelques années de pêche seulement, d’autres ont vu leur nombre chuter de façon vertigineuse. C’est toute la chaine alimentaire qui a été brisée.

L’homme, pris d’une violente nausée, réalisa soudain qu’il nageait dans une eau rouge et épaisse: lorsqu’il compris que c’était le sang de ses victimes, il fut pris d’une violente nausée. Il aurait voulu vomir tout son soûl, disparaitre, se débarrasser de cette masse gluante qui lui collait à la peau, qui le pénétrait par la bouche, par les yeux, par les pores. Il se sentait devenir fou! Puis enfin, ils sortirent de ce passage immonde. 

Un brouhaha assourdissant régnait dans les profondeurs: c’était le bruit des machines  et des hommes qui faisait vibrer l’eau. Un mammifère long de plusieurs mètres, coloré de noir et blanc, passa à quelques mètres.

– C’est un orque, il s’est égaré et ne retrouve pas son groupe. À cause du bruit des machines et des hommes, son sonar ne fonctionne plus. Certains mamminfères se perdent en mer, car déboussolés. D’autres ne repèrent plus leur proie dans les profondeurs, car privés de lumière. Or les chants les rassemblent et leur permettent de repérer leurs proies.

Soudain, sous le poids des accusations, alors qu’il baignait dans les fluides d’un sang criminel, l’homme s’écria, furieux:

– Quelle différence entre vous et moi?  Vous aussi êtes des prédateurs! C’est la loi de la nature!

– La nature n’a pas organisé, industrialisé, ni fait profit de la mort. 

– Pourquoi m’avez-vous conduit ici? glappit l’homme. Vous croyez que ce lointain lointain royaume, que ce vaste vaste océan ne survivront pas aux inventions de l’homme? 

– Vous pensez donc que la terre, la mer, le soleil ne vous survivront pas?

Soudain, un echo assourdissant retentit et un spasme souleva les profondeurs. Les écorchés, les souffreteux, les blessés, les mourants, même ceux encore suspendus à leur hameçon, tous rirent aux éclats. L’océan vrombissait dans un rire dément, il convulsionnait dans les soubresauts de ce fou-rire marin.

Lorsqu’enfin le vaste vaste océan recouvra son calme, le poisson ironisa:

– Figure-toi, je n’ai aucune inquiétude pour la terre, ni l’océan, ni le soleil. Ils vous survivront, et longtemps encore, mais pas vous.

Il ajouta, le ton solennel:

– Ce n’est pas la terre qui doit être sauvée, c’est toi, c’est la survie de ton espèce. Viens, je vais te montrer quelque-chose.

Il insista encore:

– Suis-moi donc, tu dois voir cet endroit.

Et le poisson fila lestement, droit devant lui.

À suivre…


On va-t-en guerre ?

On en riait il y a encore 2 semaines. Un rire parfois jaune, parfois pédant, tour à tour cynique ou craintif, mais on en riait encore, comme ces gens qui n’ont jamais connu la guerre. « C’est la 3ème Guerre mondiale! », s’exclame-t-on entre amis, famille ou followers, entre un tweet, un café ou deux portes. Et le mot grave, le mot guerre, le mot lourd est lancé encore léger, bien que ponctué d’une exclamation empreinte d’indignation et d’impuissance. Et d’un brin d’excitation sans doute. Mais c’était encore loin, là-bas, dans d’autres pays. Alors on en riait encore.

Et puis les drames se sont succédés, sanglants, terrifiants. Et puis ces morts, ces larmes, ces fleurs, cette communion mondiale. Ces derniers jours, j’ai eu à la fois chaud et froid, passant des larmes hébétées aux sourires attendris. Dans mon ventre cependant, un malaise persistant, un sentiment d’angoisse, d’hébétude, de désarroi.

« Nous sommes en guerre contre Daesh. » Le mot fuse, au plus haut sommet de l’État. François Hollande annonce que la France est en guerre, lors du discours suivant les attentats de Paris, du vendredi 13 novembre. Mais il l’annonce, glissé dans une phrase, ce n’est pas vraiment une annonce, encore. Je réalise alors que le mot guerre était jusque-là peu employé, on parlait (et encore) de lutte ou de conflit. Les déclarations de politiques et d’experts pleuvent dans les médias sans que l’on en mesure, dans l’immédiat, l’importance, la complexité, la gravité, ni les implications et collatéraux. Le mot fuse et se noie dans le brouhaha. La population est submergée (et suspendue) aux déclarations précipitées, noyée dans une surabondance d’informations, partagées sur le vif, dans l’urgence, dans un flash vidéo de 2 minutes, 140 caractères ou un titre, créant une situation hautement et doublement anxiogène – car anxiété individuelle et mondialisée – pour la population. C’est qu’on est tellement pressés, nous, enfants post-modernes ou hyper-modernes… Seulement, aujourd’hui je veux prendre le temps, m’interroger, réfléchir. Il l’a dit: c’est la guerre. Et moi je veux savoir si nous sommes en guerre et je veux comprendre tout ce que cela implique. Je veux savoir au nom de quoi ces jeunes, de la France au Liban, en passant par le Mali, le Cameroun, la Tunisie et tous ces pays qui ont vécu continuent de vivre l’horreur, au nom de quoi ces personnes que j’ai peut-être un jour croisé d’un regard ou d’un sourire, qui auraient pu être moi ou mes ami(e)s, ont pu assister et/ou succomber à un tel massacre ? Je veux savoir. Que retiendra l’histoire de ces roses ? Quel statut auront-elles? Victimes d’attentats ? De guerre ? Seront-elles dénombrées dans ces chiffres froids et glaçants que l’on nous a enseignés dans les bancs de l’école ? Je suis mal à l’aise en écrivant cela, j’essaie cependant de conserver ma lucidité et renoncer à l’émotion qui peut vite submerger mes pensées.

Quelle est cette guerre qui n’a pas de nom et ne veut décidément pas se nommer ? Ces recrutements massifs annoncés pour la sécurité, dans la police et l’armée, quel budget sera alloué ? Quel ministère ? Va-t-on le considérer comme budget de guerre ? Entrons-nous dans une économie de guerre ? Quelles pratiques économiques exceptionnelles seront mises en œuvre ? Pourquoi n’ai-je pas encore entendu ces mots ? Trop tôt ? Mais alors, sommes-nous en guerre ou pas ? Quelles implications socio-économiques ? Si c’est la guerre, il faut se défendre, il faut s’engager, il faut résister ? Comment ? Dans quelle cadre ? Comment définir aujourd’hui son engagement, sa responsabilité, et surtout, à quelle paix aspire-t-on ? 

Je me souviens de ces lectures, de ces centaines de fois où j’ai imaginé ce fameux jour de septembre 1939, lorsque la nouvelle est tombée: la déclaration de guerre à 11h de l’Angleterre, et celle, à 17h, de la France. C’est d’ailleurs, précisons-le, la dernière déclaration de guerre officielle, délivrée par le Ministre des affaires étrangères aux corps diplomatiques. Et cela m’interpelle. Je réalise soudain qu’en effet, c’est la dernière déclaration de guerre officielle en France.

Je me penche sur quelques définitions et articles, j’ai besoin de comprendre, de dénouer l’anxiété dans le ventre, de combler le vide sous mes pieds.

 

Une déclaration de guerre est une déclaration formelle d’un gouvernement national pour signifier l’état de guerre entre cette nation et une ou plusieurs autres. La première déclaration de guerre a été promulguée à la Renaissance.

L’article 35 de la Constitution française indique que:

« L’État de guerre autorisé par le Parlement. Le gouvernement informe le Parlement de faire intervenir les forces armées à l’étranger au plus tard trois jours après l’intervention. »

En droit international public, une déclaration de guerre entraîne la reconnaissance entre les pays d’un état d’hostilités entre eux, de plus une telle déclaration permet de régir la conduite des engagements militaires entre les forces de ces pays.

Article 42 de la Charte des Nations Unies: « Si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l’Article 41 seraient inadéquates ou qu’elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de membres des Nations Unies. »

On adopte donc des résolutions ces dernières décennies car le terme « État » est devenu obsolète dans ce contexte. On ne fait plus la guerre seulement à un ou des États. Ce qu’on appelle EI, Daesh ou Isis n’est pas non plus un État. Nous sommes dans une guerre asymétrique, entre un état et un « groupe » ou organisation qui propage de façon sanglante son idéologie. Ce groupe qui, cependant, aspire à être un état, porté par une expansion sanglante et fulgurante, et porteur d’un modèle de civilisation, qui, bien que barbare, dispose de son chef, ses codes, son économie, sa monnaie, etc. 

Par ailleurs, l’ONU définit ainsi les termes de la légitime défense:

Article 51 de la Charte des Nations Unies: Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n’affectent en rien le pouvoir et le devoir qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.

Je m’arrête un instant et je m’interroge cette fois sur contre qui et contre quoi on fait la guerre. Ce que j’entends ici et là: on fait la guerre à Daesh. Au terrorisme. À l’islamisme. Au radicalisme. A l’obscurantisme. À l’intégrisme. Au djihadisme. Au salafisme. Au wahhabisme. À la Syrie. À la « musulmanie ». À l’islamisme qui se radicalise. On est en guerre contre bien des choses ! Mais quoi ? Le sait-on seulement. Ou alors ne savons-nous pas comment les nommer, ces choses ? C’est vrai, ce phénomène hybride, qui a enfanté des mouvements monstrueux, est polymorphe, mondial et mondialisé, cruel, médiatisé, tentaculaire, hollywoodien, nihiliste, suicidaire. Il dépasse l’entendement tant il y a d’horreur, de pensées et d’actes inconcevables. Cela sert presque leur cause, à Daesh, tant on ne peut envisager que telles horreurs soient perpétrées par des humains. Mais en déclarant la guerre seulement à Daesh, allons-nous en finir avec le fanatisme et le terrorisme ? Car il y a des mouvements non daeshiens pourtant proches de ces idéologies. Le débat est confus, car les mots et les notions le sont. On va les bombarder au nom de quoi, ces pays qui abritent (et parfois « combattent ») ce mouvement alors ? Comment combat-on une croyance ou une pensée ? Les victimes innocentes, on va les appeler comment désormais ? Des collatéraux ? Rappelons que, s’ils ont fait un passage dans un pays du Moyen-Orient, certains n’en sont pas moins nés dans ces mêmes pays qu’ils bombardent ou mitraillent aujourd’hui. La guerre hyper-moderne n’a pas de frontières donc. Des « daeshiens » sont peut-être à Saint Denis, peut-être rue du Docteur Blanche, peut-être place de Clichy. Va-t-on bombarder aussi ces rues ? Les évènements récents ont rappelé, dans une douche glacée, que la guerre était aussi à l’intérieur de nos frontières. 

Par ailleurs, si on déclare la guerre à l’obscurantisme, pourquoi ne la déclare-t-on pas à l’Arabie Saoudite ? À l’économie qui alimente et répand, grâce au libéralisme, des mouvements et traditions obscures ? On se dit prêt à sacrifier plus de liberté pour plus de sécurité. On devrait plutôt être prêt à sacrifier plus de contrats pour plus de sécurité.

Cette question est cruciale, complexe et délicate, et bien sûr, j’ai bien plus d’interrogations que de réponses. Je me dis que ce, ou plutôt ces groupes suivent des mouvements de pensée, parmi d’autres dans l’islamisme. Or le vocabulaire depuis 2001 a associé islamisme et salafisme ou wahhabisme. Il existe pourtant d’autres mouvements, d’autres courants de pensée, certains laïcs, certains démocrates, certains libéraux, toutefois, ils demeurent inaudibles ou méconnus.

Il est important de comprendre ici que je ne dissocie pas la dimension religieuse du conflit, je mets en question le vocabulaire ambigu depuis 2001, qui à force d’approximations et de répétitions, a fini par entrer dans le langage courant et dans les moeurs, « extrêmisant les extrêmes ». Car faire la guerre à l’islamisme, c’est faire la guerre à tous les musulmans, c’est faire la guerre à une religion, c’est offrir à des groupes de fanatiques de quoi nourrir une idéologie fanatique et assurer une propagande victimaire, en grossissant leurs rangs sans effort.

Quelle est donc cette guerre qui ne porte pas son nom, cette guerre nouvelle qui a un arrière-goût immonde et nous rappelle à ce que l’humanité a fait de sombre ? 

Les mots doivent cristalliser le nom de cette guerre, sinon, les mots volent en éclats, le vide s’installe, ouvrant les brèches au chaos. 

Ah, ces monstres. Oui, ils le sont. Et ils sont aussi des hommes ordinaires. Je les vois maintenant, ces hommes qui suivent les consignes et cessent de penser. Je te comprends maintenant, Hannah. La banalité du mal se joue sous nos yeux depuis quelques années. On n’a donc rien retenu, de l’histoire ? Et soudain, je vois le rocher retomber sur Sisyphe et mon ventre se noue davantage, angoissé par notre condition, absurde, par cet éternel recommencement.

Donc pas de déclaration de guerre officielle. Je réalise que s’il n’y a pas de déclaration de guerre, il n’y a donc pas de traité de paix. Si on ne ne peut exprimer ni contre qui, ni contre quoi on est en guerre, comment envisager la paix ? À partir de quel moment donc, pouvons-nous envisager avoir gagné ou perdu une guerre ? J’ai d’ailleurs observé que certains pays dans le monde étaient encore « officiellement » en guerre, n’ayant pas signé de traité de paix, celle-ci l’étant de fait.

Je m’interroge sur moi-même, sur la ou les façons de m’engager dans cette guerre « brouillon ». Et je ne cesse de penser à Jean et Hélène, héros d’un roman de Simone de Beauvoir, dans Le Sang des autres. Comment les hommes avaient-ils pu laisser faire, et sombrer dans la guerre ? Cette question m’obsédait. Je me souviens d’Hélène, si désinvolte, si égoïste, rêvant de liberté sans responsabilité. Jeune femme indifférente à la montée des fascismes et des violences. Je me souviens de Jean, si passif; il redoute les conséquences de ses actes, car il considère que ses actions empiètent nécessairement sur la liberté d’autrui et en n’agissant pas, il observe, tout en se déclarant prêt à se sacrifier, mais reste dans l’inaction et sacrifie ainsi le sang des autres. Je me souviens les avoir haï, méprisé pour leur mauvaise foi. Et puis la seconde partie s’ouvre. Bouleversante. Ils sont touchés dans leur liberté et s’engagent dans une résistance farouche. Je n’ai pas lu le roman depuis mes 16 ans, mais j’en ai gardé un souvenir, une sensation de malaise qui m’ont marqué.

Peut-être que eux non plus, ne savaient pas vraiment à quoi ils avaient affaire et qu’ils le découvraient peu à peu, dans une escalade de la violence assez prolongée dans le temps pour qu’elle s’installe dans les moeurs et la banalise au profit d’une forme plus violente encore, invisible, immatérielle tant qu’elle ne les touchait pas de près. 

On parlait, plus jeunes, de collabos, avec dédain, de la masse qui observait, avec mépris, et voilà que je réalise que je suis cette masse, aujourd’hui. Cette masse que j’ai jugée, gamine. Cette masse impuissante qui ne sait par où commencer dans cette complexité, dans ces enchevêtrements géo-politico-socio-économico-culturelo-etc qui n’en finissent pas de paralyser l’action. En définitive, peut-être suis-je Jean ? Peut-être suis-je Hélène ? 

Comment résister ? Mon éducation humaniste se heurte à l’idée du sang et de la guerre et je dois avouer que je n’ai jamais touché une arme, ni entendu un coup de feu. Et oui, moi aussi je voudrais continuer de résister en buvant des verres en terrasse, en vivant avec encore plus d’urgence et d’intensité. 

J’écris et pendant ce temps, dans le monde numérique, j’ouvre youtube et des vidéos aux scènes atroces aux millions de vues me sont suggérées; sur Facebook, des brèves, des études, des analyses, des fakes, trolls et mèmes se suivent et se partagent, sans vérifier ni la source, ni la crédibilité; des vidéos de décapitations, des pages de haine sont sponsorisées et suivies par des millions de fans. On donne de l’espace à la médiocrité, à l’ignorance et la violence tout en la dénonçant. On pense dénoncer en partageant une vidéo pareille ? En réalité, on offre des vues, qui offrent des likes, qui offrent des « recrues ». Parfois même de l’argent s’il y a insertions publicitaires. On pense résister en partageant ? Que le commentaire indigné mènera un imam imposteur en prison ? Non, il va plutôt y gagner des milliers ou millions de disciples en quelques jours.  Les déclarations se mêlent aux opinions personnelles et dans tout ce brouhaha, il y a ce silence assourdissant, dans toutes ces analyses, ces chiffres, débats, il y a une lumière aveuglante, dans toute cette gesticulation, il y a une inertie bouillonnante. La loi du nombre l’emporte dans le numérique. Les algorithmes, le big data ou le data mining n’ont pas d’étique ni de positions politiques et retiennent seulement vos partages et non pas vos commentaires, même scandalisés. On peut voir une vidéo de viol, de décapitation, d’humiliation, et au milieu, un pub pour des couches bébé. Absurde. Peut-être même des AdSense sont-ils reversés au terroristes, sans même le savoir ni le vouloir ? Ce qui semblait être le siècle du partage de la connaissance a plutôt employé ces découvertes pour nourrir nos pulsions de mort. Des fanatiques se sont emparés de l’outil pour en faire un terreau de propagande et de recrutement. La guerre et la résistance sont donc aussi sur ce front, le front numérique. Comment allons-nous sortir de ces paradoxes et contrôler ce territoire virtuel ?

Comment allons-nous sortir des paradoxes de façon générale, dans cette guerre hypermoderne ? Cette guerre de concerts contre kalchnikov, cette guerre de drones contre bombes humaines, cette guerre de vie intense contre désespoir nihiliste, cette guerre de plaisir contre suicide. On a tout et pourtant le sentiment de rien. 

Quelques questions, quelques pensées partagées. Peut-être brouillons par moments. C’est que moi aussi, j’ai besoin de nommer les choses et peut-être que si je ne les nomme pas toujours clairement, c’est que moi aussi, je ne les conçois pas encore tout à fait bien. Je m’y essaie. Et je veux m’engager, je veux résister, je veux que gagne la vie contre ces horreurs, mais je veux savoir à quoi, contre qui, avec qui et pourquoi je m’engage. Et dans ce cas, quelles sont mes responsabilités. 

Comment dans ce cadre envisager la « résistance » ? Dans cette guerre non conventionnelle, comment les citoyens peuvent-ils résister de façon non conventionnelle tout en restant garant de la liberté, de la loi et de la démocratie ? Dénoncer son voisin, c’est de la résistance ou de la délation ? Anonymous, des résistants ou une milice ? Comment faire justice sans supplanter la justice ? 

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, disait Boileau. Énonçons donc maintenant ce que nous concevons pour notre monde.


Sur mon fil d’actualité, depuis ce matin, cette question encore: c’est la 3ème Guerre mondiale ? On ne s’exclame plus, on demande. Et on ne rit plus.

J’ai commencé à écrire l’article il y a quelques jours. Je suis en train de publier le billet et je réalise qu’il est déjà obsolète. Cette vitesse! François Hollande est actuellement en conférence de presse avec Obama. 


« Raconte, Shéhérazade » احكي يا شهرزاد

Ces textes sont le résultat d’une collaboration avec la CMOOA et la talentueuse Radia Biaz Lahlou. J’ai eu le plaisir de ressusciter Sheherazade et les « Mille et une Nuits » pour raconter l’exposition de Radia Biaz Lahlou à travers des contes imaginés, en phase avec l’actualité du monde arabe.

Il était une fois à Baghdad, un vieux géologue fantasque et rêveur. Toujours une pioche à la main, l’original parcourait le monde et creusait partout, partout où il pouvait! Il creusait sous les roches et les montagnes et les sables et les rues et les trottoirs et les maisons…, enfin, tout ce sur qu’il foulait sous ses pieds, il ne pouvait s’empêcher de le creuser! Il faut dire que depuis ses 7 ans, le vieux géologue était obsédé par l’idée de faire une découverte extraordinaire qui le mènerait à la gloire universelle. Seulement à 110 ans, voilà que, à son grand dépit, il n’avait toujours pas fait sa découverte extraordinaire.

Un jour, au milieu d’un désert brûlant, le géologue creusait comme à l’accoutumée quand sa pioche buta contre un objet dur et se fendit. Lui, il tomba à la renverse et sa tête buta contre une pierre. En se relevant, il remarqua que c’était une pierre blanche, qui semblait avoir été taillée et sculptée avec une telle précision, une telle finesse, une telle passion, qu’il sentît qu’elle se tenait juste là, sa découverte extraordinaire!
Cependant, il n’avait plus de pioche pour poursuivre l’excavation et il se méfiait bien trop de confier son secret aux coquins de savants qui s’empresseraient de s’approprier sa découverte. Il creusa donc avec ses mains et sa détermination; peu importait la douleur de ses paumes lacérées et ensanglantées, peu importait le soleil de plomb et l’aridité du désert, seule comptait la trouvaille.

Il creusa ainsi à mains nues durant 10 ans, comme un forcené, jusqu’à ce qu’il put enfin déterrer le trésor : une statue! Une femme sculptée, sublime, monumentale ; sous ses aisselles perçaient des ailes, comme prêtes à laisser s’envoler la femme, qui semblait retenus par des chaînes et un tissu noir couvrant sa taille. Il fouilla autour de la statue et découvrit, contre elle, enroulés dans une peau de chèvre, des centaines de feuillets.

001 VICTOIRE ? Sculpture Résine et poudre de marbre 295 x 160 x 200 cm Radia BIAZ LAHLOU
001
VICTOIRE ?
Sculpture
Résine et poudre de marbre
295 x 160 x 200 cm
Radia BIAZ LAHLOU

L’explorateur les examina : ils comportaient des inscriptions aux caractères étranges, comme s’il s’agissait d’un autre alphabet. Cela ne ressemblait à rien de ce qu’il connaissait: était-ce la langue d’une civilisation ancienne? un langage codé? Notre savant se tenait là, recroquevillé, la main sur le menton, rajustant ses lunettes ou tripotant sa barbe, ce qui prouvait comme il était perplexe face à l’énigme. Une voix cependant lui soufflait que sa découverte allait changer le cours de l’histoire.

La statue était si colossale qu’il ne put, seul, la transporter jusqu’en ville. Figurez-vous qu’il lui fallut jusqu’à cent hommes pour la relever et jusqu’à cent autres pour la déplacer!

***************

Le géologue, n’ayant pu résoudre l’énigme des inscriptions sur les feuillets, fit part de sa découverte au royaume. Il réunit auprès de lui les plus grands savants et plus illustres spécialistes du monde. Cependant, parmi ces savants fous ou géniaux, en dépit de leurs grosses lunettes et de leur barbe, personne ne sut élucider le mystère: que représentait cette statue?

Cette femme, avait-elle existé? Était-ce une femme qu’on libérait ou que l’on enchaînait? Et ces feuillets, que signifiaient-ils? Les savants analysèrent, devisèrent, se fâchèrent, éructèrent, prouvèrent, théorisèrent mais rapidement il formèrent 2 clans : ceux qui pensaient qu’elle allait se libérer des chaînes et s’envoler, et ceux qui affirmaient qu’elle était captive de ces chaines et ce curieux drapé noir. Dans le royaume, la rumeur se répandit et tout le monde se mêla de cette affaire: dans les chaumières, les bars, les cafés, au parlement, c’était à présent la discorde partout. Le peuple aussi fut divisé en 2 clans. Les esprits s’échauffèrent et les hommes en vinrent même à se battre pour prouver qu’ils avaient tellement raison. Le savant était au bord du désespoir, il ne dormait plus, ne mangeait plus, ne se lavait plus et ne survivait plus à la mort que pour élucider le mystère de sa découverte extraordinaire.

001 VICTOIRE ? Sculpture Résine et poudre de marbre 295 x 160 x 200 cm Radia BIAZ LAHLOU
001
VICTOIRE ?
Sculpture
Résine et poudre de marbre
295 x 160 x 200 cm
Radia BIAZ LAHLOU

Un matin, notre explorateur marchait en ville en trainant son air triste et sa pioche fendue, quand soudain il s’arrêta au spectacle d’une fillette allongée sur l’herbe au milieu d’un joli jardin entouré de roses, un livre à la main. Il s’assit près de l’enfant et se confia à elle ainsi. Le vieux géologue parlait en mettant des apostrophes à toutes ses voyelles, ce qui lui donnait un drôle d’accent:

– Ô mâlheur! Ces lêttres, il faut les dêchiffrer, c’est un têmôignage de l’histoîre mon enfant, une trâce de notre humânité! Mais persônne, aujourd’hui encôre, n’â su dêchiffrer ce mystêre!

– Eh bien, demandez à Shéhérazade, l’épouse du Sultan! s’écria-t-elle.

Shéhérazade! Pourquoi diable n’y avait-il point pensé plus tôt! Le savant, qui ne tenait plus de joie, dansait en accourant au palais comme un fou. La sultane était renommée pour son érudition, pour sa mémoire prodigieuse et son goût pour l’histoire, les arts et la philosophie: elle seule pourrait résoudre ce mystère, assurément!

Lorsqu’il arriva à la porte du palais, le géologue s’adressa aux gardes ainsi :

– Je dôis voir Shéhérâzâde, une mission de lâ plus haûte importance! Une découverte extrâôrdinaire!

Les gardes se moquèrent avec un rire gras et les rustres le chassèrent à coup de bâtons.

Lui continuait de scander :

– Je dôis voir Shéhérazade, une mission de lâ plus haûte importance! Plus il criait, plus ils riaient. À ce vacarme, Shéhérazade, qui passait justement par là, entendit prononcer son nom et accourut : – Pourquoi ces cris?

– Ce va-nu-pied demande audience auprès de la sultane! Hahaha! Une mission de la plus haûte impôrtance! Hahaha Il aurait fait une découverte extraôrdinaire, clame-t-il! Hahaha!

– Shéhérazade, accôrdez-moi quelques minutes, je ne saurais trouver la paix dans la mort si je ne la trouve point ici: je dois élucider ce mystère et vous seule y pourrait m’aider.

Shéhérazade, piquée de curiosité, voulut en savoir plus sur cette fabuleuse découverte, puis, après avoir sermonné les gardes et ordonné de laisser entrer toute personne souhaitant audience, elle fit entrer le malheureux, qui boitait encore sous les coups reçus. Il conta l’histoire à Shéhérazade, la statue, la femme, les ailes, les chaînes, le drapé, les feuillets, la discorde… et Shéhérazade, dévorée de curiosité, voulut voir cette statue de femme et ces lettres codées qui divisaient tout le pays. Elle aussi, excitée par l’affaire, voulut percer à jour cette énigme: cette femme, était-elle en train de s’envoler ou de se couvrir?

Elle se rendit aussitôt auprès de Shahrayar pour l’enquérir de son projet. Le sultan, qui connaissait son goût pour l’étude et qui l’encourageait, toujours, fit atteler les chameaux et préparer le cortège pour mener son épouse à destination. Shéhérazade s’empressa de préparer sa valise, puis baisa tendrement le front de ses bambins, amoureusement la bouche de son époux et s’en alla explorer cette figure du passé, subitement surgie au présent.

***************

Le royaume était en ce temps paisible. Le sultan sanguinaire, grâce aux ruses de Shéhérazade, avait renoncé à égorger ses femmes et vivait en bonne entente avec son épouse. Ils avaient maintenant trois enfants qu’ils aimaient tendrement.

Pendant l’absence de Shéhérazade dans le royaume, il se produisit cependant des choses étranges dans la cour du sultan. Un imposteur, opportuniste et malfaisant, profitant du voyage de la sultane, se rapprocha peu à peu de Shahrayar, le flattant, vil et servile, le séduisant, fourbe et hypocrite. Quand il eut gagné sa confiance, le malfaisant ourdit une terrible machination. Il pria le sultan de rentrer plus tôt de la chasse et proposa de l’emmener en promenade pour converser dans un de ses somptueux jardins. Pendant qu’ils se promenaient entre les allées aux espèces infinies de fleurs et d’oiseaux, ils entendirent des rires et des murmures s’élever derrière un pommier: le sultan se pencha et distingua la silhouette nue d’un vieil homme et celle d’une femme qu’on eut juré être l’ombre de Shéhérazade.

002 PAIN BALL Installation 140 x 90 cm Radia BIAZ LAHLOU
002
PAIN BALL
Installation
140 x 90 cm
Radia BIAZ LAHLOU

***************

Shéhérazade, le tromper? Shéhérazade, avec un amant? Il ne pouvait le croire!
– Halte-là!
Les silhouettes feignirent l’étonnement et s’enfuirent pour s’enfoncer dans la nuit, se faufilant entre les rosiers et les orangers.
– C’était Shéhérazade! s’écria l’intriguant.
Il excitait la colère de ce dernier et finit par le persuader que Shéhérazade l’avait trahi. Le sultan, furieux, blessé, était à présent aveuglé par une rage noire.
Le vil homme profita de sa colère pour le persuader de capturer Shéhérazade et la lapider, la pendre, l’égorger et tout cela en même temps.
– Gardes! Arrêtez-les! Fermez les portes du palais! ordonna le sultan. Qu’on arrête Shéhérazade et qu’on me la présente! Préparez l’échafaud, les cordes, les lames et les pierres! Convoquez la foule et les bourreaux!L’imposteur se frottait les mains en aparté: sa machination avait réussi!Le père son vizir, à l’annonce de la funeste nouvelle, fut effondré: il avait compris que c’était un terrible complot. Il envoya aussitôt une dépêche à sa fille menacée, il la prévint du grand malheur et lui décrivit le sort tragique que lui réservait son époux.
Shéhérazade, qui était au fond du désert avec le vieux géologue, reçut la dépêche et interrompit aussitôt ses travaux. Elle demanda qu’on prépara son cortège pour rentrer au plus tôt au palais. Elle se para de son plus somptueux caftan et glissa quelques feuillets dans sa bourse. Notre explorateur, lui, était fou de désespoir et de dépit, et sans Shéhérazade, il ne pouvait élucider son énigme. Il décida donc de l’accompagner.La sultane arriva au palais où l’attendaient le sultan Shahrayar, l’imposteur, son père le grand vizir et ses bourreaux.
Ces derniers la menèrent à une place, derrière le palais, où les attendait une meute hystérique, aboyante, venimeuse, défigurée par la haine. Elle éructait des insultes et levait haut les mains qui serraient de grosses pierres, prêtes à les jeter sur l’infâme.
– À mort, Shéhérazade! À mort!Elle, marchait dignement, étourdissante de beauté dans son caftan brodé à la main, traversé par une large fente qui laissaient voir ses jambes gracieuses.

003 Photographie lenticulaire 170 x 105 cm - Radia BIAZ LAHLOU
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Photographie lenticulaire 170 x 105 cm – Radia BIAZ LAHLOU

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Les enfants de Shéhérazade, qui étaient présents à l’exécution, se mirent à pleurer très fort à la vue de leur mère, et à l’instant où le sultan ordonna qu’on la mît à mort, les enfants hurlèrent en choeur :

– Pitié Père! Pitié avant de la tuer, une dernière histoire, quelques minutes! On doit connaître la fin du conte entamé! Le père, qui aimait tendrement ses enfants et qui ne supportait point de les contrarier, s’émut et accorda leur grâce. Shéhérazade, reconnut là une ruse de ses enfants et sourit.

– Qu’on écoute Shéhérazade! Elle sera exécutée juste après! Le premier bourreau retira la corde de son cou, le second la lame de sa gorge et les habitants reposèrent leur pierres. La foule se tut.

Shéhérazade retrouva l’éclat de ses yeux et la belle sultane s’assit sur le rebord de l’échafaud. Elle commença son récit ainsi:

– Ce récit commence dans le palais du sultan Azal, un homme bon et aimant, sultan d’un vaste empire. Son épouse, qu’il

aimait tendrement, vouait un véritable culte aux papillons et pour lui prouver son amour, le sultan son mari, fit planter un jardin si fleuri, si coloré, si luxuriant que toutes les espèces de papillons étaient forcément attirées ici. Ainsi, tous les jours, il la prenait par la main pour lui faire découvrir une nouvelle espèce et voir ses yeux s’émerveiller.

Un soir, alors qu’il n’arrivait pas à s’endormir, le sultan sortit se promener, à la recherche d’une espèce inédite à montrer à sa douce moitié, quand soudain il aperçut deux ombres enlacées. La surprise, puis la colère le clouèrent. Sous ses yeux, il reconnut son épouse et son amant. Il bondit lestement sur eux et d’un geste vif, il trancha la gorge du traître avant de battre la traitresse à mort. De retour au palais, il réunit ses ministres pour une session extraordinaire :

– Le destin d’une femme aura scellé celle de l’empire et sa perfidie celle de toutes les femmes! Désormais, les femmes, ces êtres perfides, que dis-je! ces sous-êtres, vils et trompeurs, rusés et malfaisants devront se draper de noir et ne plus franchir le seuil de leur maison sans être accompagnés d’un tuteur mâle, certifié de leur famille. Leur maison sera leur prison, leur punition la servitude.

004 RéincaRnation installation 245 x 180 cm Radia BIAZ LAHLOU
004 RéincaRnation installation 245 x 180 cm
Radia BIAZ LAHLOU

***************

Le sultan, autrefois si bon, sombra dans une humeur maussade et devint plus en plus féroce. Il décida qu’il fallait asservir toutes les femmes du royaume et pour cela, il réunit les malfrats, les désoeuvrés, les convertis, les haineux, les misogynes, bref, tous les malheureux et toutes les malheureuses de l’empire et au-delà, qui trouvaient là enfin une cause à leur coeur vide, avide ou criminel et leva une armée sanguinaire. Les troupes attaquèrent les villes, brûlèrent les villages, pillèrent les monuments, décapitèrent les hommes, violèrent les femmes, égorgèrent les enfants.

Le sultan, porté par ses conquêtes, par le sang et la chair, encouragé par le silence du monde, continua dans son escalade meurtrière. Ainsi, rapidement, il légalisa le viol et l’esclavage de certaines populations puis autorisa toutes sortes de dépravations et de vices sur les femmes. Les familles tentèrent de fuir ou de s’exiler, souvent au péril de leur vie, des hommes, des femmes, des enfants, térrifiés, assoiffés, affamés, parfois blessés jusqu’aux frontières d’autres pays, mais ces dernières eurent vite fait de fermer les frontières, craignant de voir affluer ces hordes de malheureux.

005 oppREssion Bas-relief 145 x 145 cm Radia BIAZ LAHLOU
005 oppREssion Bas-relief 145 x 145 cm
Radia BIAZ LAHLOU

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À suivre…


Nos Anciens « Poilus » – Les Folles Histoires de Ahlem B.

 

Je prends un petit-déjeuner gai et copieux dans un café de ma ville: c’est une terrasse couverte d’une bâche jaunâtre qui se jette sur une avenue où l’on peut ouvertement observer les passants reluquer, les passantes s’outrager, les voitures se cogner, les conducteurs se vilipender. Je me sens ici à Casa et j’apprécie ce moment autour de msemen, de 7ercha, de thé et de jus d’orange.

Bref, à côté de moi s’installe une tablée de 4 gars, tous très vieux, sourds, myopes et boiteux. Ils s’accommodent à grand bruit de canes qui claquent, de chaises qui grincent et d’os qui craquent. Sans blague.
Au bout de quelques minutes de silence essoufflé, enfin, ils parlent.
– Ah les amis, que c’est bon de vous voir! Quoi, combien? 20 ans? 20 ans, qu’on n’a pas été tous réuni!
-20 ans? non non, 30 ans au moins. Tu perds la mémoire, l’ami!
– Mais non, c’est toi qui perds la boule!
Toute la tablée s’enflamme et crie des mais si! 20, mais non, 30.
Soudain, dans la pagaille, l’un d’eux perd l’équilibre, se rattrape sur le dossier de sa chaise et fait tomber sa cane. Nos regards se croisent.
Merde. J’ai compris.
Je me baisse, je la ramasse, je lui tends. Et depuis cet instant, je me suis baissée, j’ai ramassé, j’ai tendu 10 fois. À chaque fois, ce regard.
Moi, là, ça me fiche la trouille de vieillir.

Bref, il hurle dans mon oreille:
– Viens, viens approche-toi, gentille demoiselle. Tu sais ce qu’on fait là aujourd’hui? Ces 3 tocards, je les ai pas vus depuis 20 ans au moins et c’est sans doute la dernière fois qu’on se verra avant qu’on nous enterre…

Lui dit ça gaiement pendant que moi, dans tout mon corps, mes organes enflent, enflent comme s’ils allaient pleurer tous ensemble. Les vieux, ils font semblant d’être amis avec la mort et moi, ça me fiche la chair de poule.

– Fais pas cette tête, gamine! Deux d’entre nous ont un cancer qui les ravage, et le troisième, regarde le débris, il en a aussi pour quelques jours au pire, quelques mois au mieux. Moi non plus, j’ai plus rien à tirer de ce monde, regarde-moi!
– Hahaha! Mais on a vécu, t’inquiète pas, gamine! Viens t’assoir avec nous. Viens, jeunesse, viens écouter ton pays, ses gens, viens t’imprégner de l’histoire de ses anonymes. Lui tu vois, avec son cigare et son air suffisant, figure-toi que c’est un ancien anarcho-syndicaliste qui a été en prison 3 fois, au moins 10 ans à chaque fois. L’autre, qui a l’air d’un universitaire crève-la-faim, un ancien étudiant anti-monarchiste. Enfin celui-là, avec ses allures de consul fauché est marié à une bourgeoise qui l’entretient, lui, tiens-toi bien, qui était – était, hahaha! – un ultra-gauchiste emprisonné et torturé plus de la moitié de sa vie. Gamine, on a fait la 2e guerre, l’indépendance du Maroc, on a survécu aux années de plomb…

Soudain, il s’interrompt, l’air de se souvenir d’une anecdote:
– Hahaha! Tu te souviens du jour où on est venu nous chercher, dans la maison de Zohra, on était en planque chez elle depuis 6 mois! Des brigades ont débarqué dans sa maison, prêtes à nous engloutir on-ne-sait-où: on était coincé à l’intérieur, sans issue. C’est là qu’on a eu l’idée d’emprunter un des « l’tam »* de Zohra, on l’a enfilé et on a sauté par la fenêtre comme ça. On est passé à côté de la police, RG et consorts déguisés en femme, comme si de rien n’était. Oh, pourtant! ce qu’on a eu peur! Ils nous ont pas attrapés ce jour-là. C’était en 197.
Tous, ils rient.
– Mais non, c’était en 197., !
– Mais non! L’année de Zohra, 197.!
– Samia?
– Non, Zohra!!
– Tu es sénile!
– Tu es sourd!

– Ah la la! On a vécu de sacrées histoires si tu savais. On n’avait peur de rien, pas comme vous, les jeunots On avait des tracts, de vrais journaux d’opposition, indépendants, on galérait, mais on y arrivait! De vrais dissidents, pas ces mauviettes d’aujourd’hui.
– Et on a pris cher.
Silence. Un silence qui pèse des plomb.

– Au fait, je bois ce thé sucré à la mémoire de Zohra!
– À Zohra!
– Qui est Zohra? je demande.
Leur visage s’éclaire et tous en choeur s’exclament:
– Zohra, la belle!
– Zohra, la fleur!
– Zohra, la résistante!
– Zohra, c’était une femme au top. Elle a planqué des juifs, des parachutistes, des résistants, des nationalistes, des communistes…
– Qu’est-elle devenue?

Silence.

– Elle a été embarquée un jour, en 197.. On ne l’a plus jamais revue. Pouf! Disparue! Sans tombe, sans corps, sans identité, comme si elle n’avait jamais existé. Et pourtant. La première féministe, la première résistante, la première militante que je connaisse….

Re-silence.

– Ohhhh! Et lui de donner un bruyant coup de poing qui fait trembler toute la table. J’ai rencontré la semaine dernière notre cher ami Samuel, il habite encore El Jadida! On s’est caché pendant près d’un an dans un abri secret, une cave souterraine qui date de la Première Guerre mondiale, je crois, et les autorités françaises étaient à notre recherche: lui parce qu’il était juif, moi parce que j’étais communiste. C’était en… en 194.! Ou 194., je ne suis plus très sûr.
Le vieux au cigare se lève soudain et décrète, solennel, qu’il est temps de faire la grande balade.
– C’est quoi, la grande balade? je demande.
– À chaque retrouvaille, on se promène dans le Casa de notre enfance.

On s’en va donc visiter Casa, à petits pas, au rythme de mes quatre vieillards ragaillardis par cette escapade dans leur ville et leur passé.

– Tu te souviens de Jamal? On venait le voir ici, près du marché de la Liberté. Rue… Alsace Lorraine! Sa mère y tenait un bureau de tabac et on écrivait nos manifestes dans l’arrière-boutique, en 195.
– Mais non! 196.
– 195. Va soigner ton Alzheimer l’ami, va!
– Tu te souviens, « Spartacus » au Lynx, avec son grand écran panoramique aux allures d’opéra?

On est passé à côté du Colisée, du Vox, du Rialto, du Lutetia, de l’Arc, etc. . Ici c’était rue Centrale, là rue de l’Union, par là-bas, Bab el mersa et ses chalutiers. On est passé par de vieilles galeries, maintenant disparues, on s’est rappelé du vendeur de valises, du tailleur, du chemisier, du glacier. Nos anciens avaient mille anecdotes à rapporter pour chaque endroit.
Il est bientôt 17 h, la grande balade est finie. Les amis se prennent longuement dans les bras: sans doute était-ce leur dernière accolade.

Avant de partir, l’un d’eux revient vers moi et me dit en riant:

– On a merdé, gamine! On a été fort au début, puis on a été ravagé par le régime, puis par nos faiblesses. On est devenu aigre et plein de fiel pour la plupart, et je comprends que plus personne ne veuille se reconnaître en nous. Même si on s’est battu et on a souffert. Beaucoup souffert. Gamine, on a merdé, on est fini et on vous a laissé un sacré bordel. Vous, faut pas que vous merdiez sur ce coup-là. Si en 20 ans on a pu produire des gamins désoeuvrés, en 20 autres, on peut produire des gamins qui ont coeur à leur pays et à eux-mêmes. Non?

Je les vois maintenant partir, le pas léger, la cane aérienne, le regard allègre.

Ils sont là, nos anciens poilus. Nos aïeux, héros anonymes ignorés par le pays et oubliés par le peuple, méprisés par l’histoire.

Moi, je n’ai pas envie de rentrer: je rebrousse chemin et fais la grande ballade dans le sens inverse. Je repasse par les cinémas fermés, par les bâtiments en ruines, par les monuments délaissés, puis l’euphorie retombe et je repense à ces 4 vieillards, ces anonymes qui ont fait mon pays, qui ont écrit un bout de notre histoire, et qui crèveront comme si de rien n’était, comme s’ils n’avaient jamais été.

Et j’ai mal. Le temps. L’oubli. C’est terrible. Terrible.
* Vêtement traditionnel féminin marocain qui couvre le corps et une partie du visage


Le Point d’Orgue – Les Pays Imaginaires

 

Il était une fois, dans un lointain lointain royaume, dans une belle belle contrée, des habitants qui se haïssaient. Et ils se haïssaient tellement, qu’ils en avaient fini par haïr tout le monde.

Ici, dans cette belle belle contrée, les autres, on les dépouillait, les enfants, on les battait, les femmes, on les violait, les fonctionnaires, on les soudoyait, les juges, on les achetait, les gardiens, on les méprisait, les savants, on les exilait, les artistes, on les enfermait, les ouvriers, on les sous-payait, les ministres, on les surpayait, les médiocres, on les encensait, les lois, on les ignorait, les handicapés, on les maltraitait, les malades, on les tuait, les animaux, on les torturait.
Oui, ici, les habitants se haïssaient tant qu’ils n’avaient cure de vivre dans des amas d’ordures, au milieu de pestilence et de benzine, les habitants se haïssaient tant qu’il leur importait peu qu’on les escroquât, qu’on les humiliât, qu’on les avalisât, enfin! les habitants se haïssaient tant qu’ils finirent par croire que leur haine, c’était ce qui maintenait la paix. Et tous ceux qui menaçaient d’ébranler leur haine et leur paix étaient décrétés ennemis de la contrée.

La haine, qui s’était d’abord distillée doucement, imperceptiblement, semblait maintenant se propager à grande vitesse, de jour en jour plus véhémente, plus sanglante. Quelques notables d’ici et du monde s’inquiétèrent enfin pour leurs intérêts et voulurent expliquer cette violence soudaine dans la région : pour cela, ils firent venir des analystes de renommée qui en conclurent que cette crise était due à un vent de haine venu de l’est. Oui ! Un souffle chaud, puissant, ravageur qui emportait sur son passage l’amour et la raison des hommes sans qu’on n’y pût rien faire. Pour ralentir ce vent de haine dévastateur, des réflexions furent longuement menées et des décisions stratégiques furent aussitôt appliquées: en effet, on invita des penseurs qui suggérèrent que les habitants devaient cesser de penser, et ils firent fermer les écoles; on convia des démocrates qui soutinrent que pour avoir plus de liberté, il fallait supprimer la vermine, et ils firent enfermer les opposants; on sollicita des économistes qui décidèrent qu’il fallait avoir plus de pauvres en créant moins de riches, et ils ruinèrent les ménages. Quand on mesura que le vent de haine ne menaçait plus les intérêts des notables d’ici et du monde, mais qu’il en soufflait encore suffisamment pour les servir, ces derniers se turent. Ou partirent.

Cependant, dans ce lointain lointain royaume, dans cette belle belle contrée, même la haine ne suffisait plus à maintenir la paix à présent. L’aigreur, l’amertume, les rancoeurs, elles gonflaient, s’amplifiaient. Maintenant, partout, l’ignorance prévalait, la pauvreté se multipliait, la frustration se propageait, l’injustice régnait, la colère grondait, la violence éclatait, et une musique sourde s’élevait doucement, montant crescendo, menaçante, cruelle; des notes de peur et de terreur bruissaient pendant que les accords se succédaient avec toujours plus d’intensité, dans un crescendo soutenu, et maîtrisé, et aliénant.
Mais à propos ! Revenons à notre conte et à ce jeune garçon.

On murmure qu’il naquit là un enfant dont personne ne connaissait l’histoire, et qui avait pourtant une histoire merveilleuse à rapporter aux habitants de son lointain lointain royaume, de sa belle belle contrée.

Alors un instant, je vais vous la conter.
À suivre…


Chapitre 1: L’aventure commence – L’Enfant aux Aventures

Cette histoire a été co-écrite avec mon neveu de 7 ans et demi. Lui racontait, moi j’écrivais. Il m’a dit s’être inspiré de son livre préféré pour conter son récit: « L’Enfant et la Rivière », d’Henri Bosco. Il m’a imposé les emplacements des virgules, des points, vérifiant chaque seconde si je n’avais rien changé à son texte, me demandant à chaque instant de le relire à voix haute, pour vérifier que je n’avais pas ajouté ou supprimé un mot. Il est l’auteur de 95% de ce que je vous partage aujourd’hui, les 5% sont ma contribution dans la fluidité du récit ou la grammaire.

Cette histoire commence dans une vieille auberge qui date de 1792.

Je m’appelle Mahé et je vis dans cette vieille auberge avec ma maman et mon papa. Ma grand-mère n’est pas là parce qu’elle est morte, mais heureusement, de vieillesse. Il y a, tout près de l’auberge, un endroit merveilleux mais interdit et je n’ai pas le droit d’y aller: c’est trop nul! Moi, Mahé, 7 ans, je rêve d’y aller, à cet endroit, mais les adultes, qui décident toujours de tout, ont décidé de m’en empêcher: les adultes aussi, c’est nul.

Cet endroit interdit et merveilleux, c’est une rivière, et on raconte qu’elle est parsemée de rapides et qu’elle est traversée de courants très forts, si forts qu’ils peuvent vous engloutir dans un tourbillon: c’est en effet, dit-on, l’endroit le plus dangereux de la région. Ma grand-mère, avant de mourir, se promenait souvent au bord de cette rivière, mais ne s’en approchait jamais de trop près: c’est dire le danger hein! même les ancêtres sont terrifiés par les crues et les courants puissants de cette rivière! Au fait, j’adorais ma grand-mère et même si elle n’est plus là, je l’adore encore: elle me manque tellement!
Un jour, maman et papa sont sortis et m’ont prévenu qu’ils rentreraient très tard, sûrement à la tombée de la nuit. Moi, je suis resté seul dans l’auberge et depuis la fenêtre, j’observe la rivière menaçante, ses creux, ses rapides, ses tourbillons tout en rêvant d’y tremper mes pieds.

Tout à coup, je décide de prendre mon courage à deux mains et de braver l’interdit de maman et papa. Je marche donc jusqu’à la rivière et m’approche du bord: c’est vrai qu’elle est terrifiante, cette rivière. Soudain, j’aperçois une barque, la détache et grimpe dedans pour naviguer dans la redoutable rivière. C’est parti: mon aventure commence! Ah la-la, quelle aventure! La barque lutte contre les courants qui m’entrainent loin, si loin que je finis par m’échouer sur une île. Une île! Je suis prêt à l’explorer comme un explorateur quand j’entends des cris: d’où viennent ces cris? J’aperçois alors un petit garçon enchaîné à un arbre! Avec de vraies chaînes! Je vais vers lui:

 » Comment tu t’appelles? je lui demande.

– Hergé. Attention, il y a 4 gangsters qui kidnappent les enfants et les enchaînent à cet arbre. Il faut me détacher! La clé se trouve dans la maison d’où on voit s’échapper la fumée noire, là-bas.

– Moi je m’appelle Mahé. Ne t’inquiète pas, je vais te détacher!

– Fais très attention Mahé, ces hommes sont cruels, encore plus cruels avec les enfants. »
Soudain, quatre gangsters sortent de la maison: vite! je me cache! Quand ils sont suffisamment loin, j’avance à pas de loup jusqu’à la maison, j’ouvre la porte qui grince, et sur la table, je trouve un trousseau avec une grosse clé. Je la saisis aussitôt et cours libérer mon ami Hergé de ses chaînes. Alors qu’on était en train de fuir, les gangsters nous ont aperçus et ont commencé à courir, courir pour nous attraper! Pendant cette course folle, je bute contre une pierre et tombe. Une grosse main me saisit par le collet, me soulève et tente de m’enchaîner. Quelle frayeur! Heureusement, Hergé était là et je peux t’assurer qu’il s’est battu comme un lion contre le gangster: Ouf! il a réussi à me sauver.

On court de nouveau à toute allure jusqu’à ma barque pour fuir cette île maudite.

Avec mon ami Hergé, on a navigué dans la rivière jusqu’à s’échouer sur une autre île. On avait faim, alors on a mangé des écrevisses et des coquillages.
Maintenant, le soleil se couche. On a dormi sur un lit qu’on a fabriqué avec des feuilles de peuplier. Tu sais, je n’ai jamais si bien dormi de ma vie! Le matin, pour le petit-déjeuner, on a ramassé des champignons et on les a grillés dans un four en pierre qu’on a fabriqué nous-mêmes.

Sur cette île, il y a des ruines d’anciens villages: on les a traversés jusqu’à parvenir à un village récent: les rues y sont animées, pleines de gens et d’enfants.
Soudain, avec mon ami Hergé, on arrive devant la porte d’un cimetière et comme par miracle, j’aperçois la tombe de ma grand-mère chérie. Pas une fleur sur sa tombe en ruine, que des pierres et des orties. Mon coeur, à ce moment, est traversé d’une infinie tristesse. À côté, il y a les tombes d’autres morts, mais elles sont belles et fleuries et majestueuses. Je décide de voler quelques fleurs pour les déposer sur la tombe de ma grand-mère. Mon ami Hergé m’a aidé. Mais tu sais, j’ai volé uniquement des fleurs sur les tombes qui en avaient beaucoup hein! sinon, ce serait cruel! Tout près de ma grand-mère repose aussi mon grand-père et j’ai fait pareil pour lui: j’ai volé quelques fleurs pour les déposer au pied de sa tombe.

À suivre…


Le ballet pantomime – Les folles histoires de Ahlem B.

« Que diable allais-je faire dans cette galère ? »

Je ne sais pas bien comment j’ai atterri ici, et pendant que je me pose la question, moi, j’ai la tête fourrée dans les bras d’une lointaine cousine que je connais pas et qui se croit obligée de m’étouffer entre ses seins pour bien montrer qu’elle est ravie d’accueillir la fille de la fille de l’oncle de son grand-père chez elle. Ou un truc comme ça. Sans blague.

Bref, la femme, la cinquantaine entamée mais l’air beaucoup plus, m’installe avec cérémonie dans son petit salon marocain.
Elle s’assoit quelques minutes avec moi, me demandant si ça va, oui merci, et elle, ça va ? oui merci, et son mari, ça va ? oui merci; elle cite ainsi un à un tous les membres de la famille proche et lointaine pendant que j’opine des oui merci.
Je réponds mécaniquement à ses politesses et j’observe cette femme qui laisse au premier regard une impression étrange. Elle porte une robe de chambre enfilée de travers, usée, couverte de peluches et des taches jaunissantes par endroits; sous le vêtement long aux manches légèrement bouffantes, une superposition de sérouals amples en coton s’échouent inégalement sur des pantoufles en fourrure ornées d’une fleur au milieu.
En dépit de son accoutrement, on devine une beauté ruinée par le temps, une richesse ancienne minée par l’économie.

Subitement, elle s’approche de moi et sans crier gare, elle se met à caresser mes cheveux, le regard doux et vague, un peu absent:

– Que tu es jolie! Profites-en, va! ça ne va pas durer. Moi j’étais belle, si belle, ah si tu avais pu voir comme j’étais belle. Tous les hommes me convoitaient. J’étais belle, si belle… J’avais de longs cheveux soyeux, blonds, une peau blanche, blanche, douce… Regarde-moi maintenant…. Tu es jolie, tes cheveux sont doux… Mais tout ça va disparaître.

Elle continue de me caresser les cheveux, sa main de plus en plus crispée.

« Que diable allais-je faire dans cette galère ? »

Puis, aussi subitement qu’elle s’était approchée de moi, elle disparaît dans un couloir et me laisse plantée seule au milieu de la pièce.
Le salon est à l’image de sa maîtresse : une élégance défraîchie et une odeur de renfermé mêlée à un vieux parfum de rose.

Soudain, je sursaute. Des cris étouffés.

– Si, tu descendras, j’ai dit !

– Je ne veux pas! s’écrie une voix de jeune fille. S’il vient, je vais vous fiche la honte.

– Chuuuut! On va t’entendre en bas, il y a quelqu’un, qu’est-ce qu’on va penser! Tu es une honte. Une honte pour moi, pour la famille.

Son père:
– Mais elle est si jeune, laisse-là. Enfin laisse-là, donc.

– Tu m’as laissé ma jeunesse, toi? Tais-toi !
Comme elle a craché ça. Avec quelle rage elle a vomi ça.

Il se tait.

– Ta tante a appelé, son amie veut marier son fils, elle m’a prévenue qu’ils allaient passer à l’improviste dans dix minutes. Ils veulent te rencontrer.
J’entends les protestations du père et de la fille, et ça la fait gronder de plus belle.
– Tant pis, ils seront là cet après-midi et je te jure, tu as intérêt à bien te tenir. Tu crois que tu as le choix ? Tu crois qu’il y a le choix?! Un avenir brillant. Une grande famille. Qui, qui, quelle folle n’en voudrait pas? hurle-t-elle la voix stridente, comme prise d’un accès d’hystérie. Comment ça pourquoi? parce que je l’ai décidé.

Je m’enfonce davantage dans le matelas, contre le mur, dans le coin le plus sombre du salon : sans blague, moi, je suis pas à l’aise et j’ai juste envie d’être ailleurs, de m’effacer, tétanisée d’être précipitée malgré moi dans l’intimité de cette famille. C’est terrible. Terrible.

– Ils seront là dans 10 minutes. Allez vite ! Elle ordonne, péremptoire.

Enfin, le silence. Un silence qui pèse des tonnes.

La mère s’habille, s’apprête, se pare, puis elle passe au salon, elle l’habille, l’apprête, le pare.

La jeune fille est encore dans sa chambre, et je peux entendre d’ici le désespoir muet, la rage sourde, les hurlements étouffés de la malheureuse.

Et moi je suis là, seule, à la fois ridicule, embarrassée, révoltée.

La sonnette retentit et la mère, faussement nonchalante, ouvre la porte.

– Bienvenue, bienvenue, bienvenue!

Les femmes s’exclament mille banalités, se jurant entre deux bises s’être follement manquées, tout en pestant contre la ville et le temps qui éloignaient les familles les unes des autres.

Je sens soudain une présence dans la pièce et me retourne brusquement : la jeune fille est là, celle qu’on destine aux fiançailles, elle se tient devant moi, près de la porte, la moue rebelle, la mine renfrognée. Elle a l’air très jeune et est déjà, indécente de beauté.

L’hôtesse chaleureuse invite ses convives à rejoindre le salon et s’exclame, feignant la surprise:

– Oh ma chérie, tu es là ? Regarde qui est venue nous rendre visite !

La jeune fille, tête baissée, entêtée, marmonne quelques mots inaudibles. Puis elle lève la tête une seconde, prête à les fusiller du regard, quand ses yeux butent soudain sur ceux du soupirant. Aussitôt son visage se déride, son regard s’anime, ses lèvres se plissent: je crois bien qu’elle se retient de rire.
C’est que le prétendant est gros et courtaud, et son visage laideron est ravagé par de grandes oreilles décollées. Il marche à petites foulées, le torse bombé, en sautillant, comme s’il avançait sur la pointe des pieds. On voit bien qu’il essaie de gagner quelques centimètres et sans doute quelque importance.

Les deux cousines s’assoient l’une près de l’autre, et un peu plus loin le prétendant. Ses jambes pendouillent légèrement en l’air, trop courtes pour toucher le sol et lui, embarrassé par ce matelas trop haut, essaie de poser au moins la pointe des chaussures.

– Tu nous apportes du thé ma chérie, demande la mère, la voix mielleuse.

Peu à peu, je m’échappe du salon, je n’entends plus rien, un silence sourd bourdonne dans mes oreilles pendant que j’assiste à la pantomime qui s’exécute sous mes yeux.

Elle ne va pas tout de suite à la cuisine, la jeune fille contourne d’abord le salon et s’arrête pile derrière l’aspirant. Nos regards se croisent: elle me fait un clin d’oeil pitre puis se poste derrière son dos; elle prend soudain un air bouffon, puis mime un bossu, un idiot, un bigleux, un âne. Elle joue ensuite à se décoller les oreilles, se tordre la bouche, gonfler son ventre : elle le singe dans une série de mimiques et de personnages grotesques et elle a un mal fou à se retenir de rire. Elle laisse échapper parfois un souffle qui la trahit quand elle se met à pouffer.
Elle s’engouffre enfin dans le couloir et disparaît dans la cuisine : elle revient un plateau de thé à la main, l’air amusé, la lueur taquine. Au moment de passer le thé au prétendant, l’effrontée s’arrête une seconde de plus, une seconde insistante et pleine de défi; lui, déstabilisé, elle, insolente de beauté : l’infâme rougit jusqu’aux oreilles et saisit le verre de thé brûlant, les yeux fuyants.

La comédienne fait de nombreux va-et-vient, prenant soin de passer derrière le jeune garçon pour rejouer, inlassablement, le ballet bouffon sans que personne ne la voie sauf moi. Autour de nous cependant on commence à se douter de quelque insolence, sans être sûre de bien savoir laquelle:  je crois que nos rires étouffés nous avaient trahies.

Bref, voyant qu’il n’y avait finalement rien à en tirer, de cette gamine, le chaperon se lève et invite son fils du regard : il est temps de partir. La mère les raccompagne jusqu’à la porte, et les deux femmes s’embrassent une dernière fois avant de se promettre qu’à l’avenir, elles essaieront de vaincre la ville et le temps pour se voir plus souvent, la famille.

La porte aussitôt fermée, j’entends un cri. Je sursaute. Le burlesque cède à présent la place au tragique et sous mes yeux se joue un ballet où la mère exécute une danse de la fureur : elle se fiche des claques douloureuses sur les joues, puis sur les cuisses, elle s’arrache les cheveux, mime le couteau planté dans son coeur, menace de ses mains d’étrangler sa fille, feint l’évanouissement et la crise cardiaque, puis enfin elle se laisse choir, magistrale, sur le matelas du salon.
En même temps qu’elle déploie les bras dans de grands gestes d’emphase, la tragédienne blâme la fatalité et maudit son destin funeste.

Bref. Moi, je quitte la maison sur la pointe des pieds. C’est que je voudrais surtout pas me faire remarquer en train de filer et, à cet instant j’aurais tout donné pour disparaître, loin, loin.

– Tu t’en vas?
Merde.
Cette fois, la mégère me caresse la joue, et sa main crisse sur ma peau, comme du papier de verre. Je recule d’horreur.

Enfin, je réussis à m’échapper. Dehors, j’entends encore la harpie monologuer d’une voix stridente et maintenant, elle hurle qu’elle était en train de ruiner sa vie.
Sans blague. Sa vie.

C’est terrible. Tout ça, c’est terrible.

« Mais que diable allions-nous faire dans cette galère?


* « Que diable allait-il faire dans cette galère? » Scapin, dans Les Fourberies de Scapin – Molière


L’Hôpital – Les Folles Histoires du Chat Crotté

Je me balade sur l’avenue, claudiquant et sifflotant, tout guilleret de profiter de cette journée ensoleillée : par moments je taquine des fourmis ou des scarabées, par d’autres je bondis sur des papillons. C’est là qu’un engin éventré passe en trombe, et il se rue sur les voitures et il survole les piétons et il défonce les panneaux !
Un bus. Dans son envol, le monstre laisse derrière lui une traînée noire, raffinée d’essence et de benzine, qui forme aussitôt un nuage épais et menaçant. La nébuleuse se répand dans l’air, fonce sur nous et maintenant, c’est la panique: les voitures, vite ! se hâtent de remonter les vitres, les passants, vite! se pressent sous leur manteau, les bêtes, vite! filent dans leur trou. Longtemps après, enfin, le nuage finit par se dissiper, laissant place à un spectacle de désolation : mortes mes fourmis, décimés mes papillons, crevés mes scarabées! Les malheureux gisent sur le sol, inertes; seuls quelques-uns, plus résistants, continuent de se tordre et se tortiller en crachant leurs poumons. J’ai même pitié de ce scarabée à l’agonie qui tressaute pour se remettre sur ses pattes, alors moi j’ai voulu l’aider à se retourner, mais je dois t’avouer un truc dégueulasse: sans le vouloir, parce que trop grand ou trop fort, moi, je l’ai écrabouillé.
Tu sais, moi aussi, le fou furieux m’a laissé dans un piteux état: mes poumons sifflent, ma respiration est lourde, ma langue pâteuse. Je m’affale à demi-inconscient sur le trottoir, en proie à une violente crise d’asthme.

Je te l’ai dit ? Je suis un chat épileptique, je boite et en plus je suis asthmatique. Si, si, je te l’ai déjà dit, mais pour sûr que tu as déjà oublié. D’ailleurs tu crois que ça intéresse quelqu’un, ça ? Tu parles. Je suis un chat et si je veux des soins, je dois payer le prix fort. Ici, c’est clinique privée ou tu crèves. Quoi l’hôpital ? Même toi, tu préfères crever plutôt que d’y aller.

Mon estomac gargouille. J’ai faim. L’hôpital, tiens, ça c’est une idée! Je n’irai sans doute pas m’y soigner, en revanche, c’est une très bonne adresse pour déjeuner, crois-moi.

Je vais donc, la patte qui boîte et le poumon qui siffle, me délectant déjà du festin qui m’attend.

Devant moi, un vieux bâtiment estropié. J’y suis! Je me faufile avec peine entre les corps entassés dans le couloir d’entrée et parviens enfin à atteindre la salle d’attente. Ici, une femme met bas, là, un homme pisse le sang, là-bas, un autre pisse tout court. À côté de lui gît un môme qui braille, le couteau encore planté dans l’abdomen et au milieu de cette grande confusion, des blouses bleues et blanches, crasseuses, déchiquetées, enjambent les malades le sourcil froncé ou indifférent.
J’aperçois une petite souris filant à toute allure: je la saisis entre mes griffes et l’avale d’une traite.

Je poursuis ma balade, traversant copin-clopant les salles de consultation et les blocs opératoires. Une porte est grande ouverte, j’entre. Un chirurgien découpe le ventre de son patient nu comme un ver. Je le regarde faire par-dessus son épaule jusqu’à ce que je remarque une couleuvre qui rampe doucement sous le lit. Je l’ai pas mangée hein, tu m’as pris pour qui ? J’ai juste joué avec jusqu’à ce qu’elle en ait marre. Enfin, je crois bien qu’elle en avait marre, parce qu’un moment, elle ne bougeait plus du tout.

Bref.

Dans une autre pièce sombre, deux infirmières chuchotent, l’air mystérieux, le regard complice. Je ne peux m’empêcher de tendre l’oreille.

– C’est tout bon?
– Voilà. J’en ai laissé un peu pour qu’on ne se doute de rien.

J’observe avec attention leur manège: tout en faisant crépiter son chewin-gum, une infirmière vide le contenu des fioles dans une poche en plastique tandis que sa collègue le remplace par un liquide transparent, qu’elle verse soigneusement dans chaque fiole.

– Allez vite! Remets le sérum à sa place et range le reste. La prochaine fois, on mettra juste de l’eau. T’sais que la dernière fois, il y a un des doc’ qu’a râlé?!
– Je sais! Il a remarqué qu’il manquait du produit de chimio, alors le malin, il a tracé un marqueur au stylo sur chaque fiole. Mais je l’ai repéré, moi.
Sourire goguenard, clin d’oeil entendu, crépitement de chewin-gum.

Elles referment les fioles, recollent les étiquettes avec soin et les replacent dans un placard qu’elles vérouillent avec une grosse clé.

L’infirmière au chewin-gum quitte la pièce, dans sa main la poche en plastique pleine du liquide volé. Je la suis.
Elle va à la rencontre d’une dame qui semble attendre dans le couloir, l’air pressé et coupable, jetant des coups d’oeil furtifs autour d’elle. Pendant que l’une glisse la poche en plastique dans le sac à main, l’autre fourre des billets de banque dans la blouse; puis chacune de reprendre son chemin, l’air de rien.

Je continue de pister la criminelle. Elle retourne dans la pièce sombre, sort la grosse clé, ouvre le placard et glisse quelques fioles et seringues dans sa poche.

Elle marche longtemps avant d’arriver dans l’aile des cancéreux. Elle pénètre dans une chambre où s’entassent une dizaine de malades. J’introduis mon museau fureteur dans l’entrebâillement de la porte : l’infirmière est maintenant penchée sur une vieille dame au visage ravagé par la maladie. La malheureuse! Elle porte un fichu sur la tête, mais il ne cesse de glisser sur son crâne lisse et dégarni, et elle, inlassablement, le rajuste d’une main tremblante. L’infirmière sort une fiole et une seringue de sa poche puis relève le drap, découvrant ses bras maigres et décharnés. J’entends murmurer la dame, la voix chevrotante et pleine de gratitude:

– Que dieu te bénisse, que dieu te bénisse ! Merci, pour ce que tu fais. Que Dieu te remplisse de maisons, de richesses et de bonheur. Ton coeur est noble, ton métier aussi! Que Dieu te bénisse !

La dame l’abreuve de prières, l’infirmière l’inonde de sa mixture diabolique. Et moi, j’ai envie de gerber.

Je suis prêt à m’en aller quand soudain, je distingue au fond de la chambre un petit corps recroquevillé sur un lit, la tête sur le côté, les yeux absents, fixant au loin le mur crasse.
Je crois qu’elle a senti mon regard parce qu’elle s’est tournée brusquement vers moi. Je suis pas un sentimental, hein ! Simplement cette fillette, elle m’a fichu un coup.
Ça aussi, pour sûr c’est encore toi et ta foutue pollution. Un instant, moi, je te déteste.

Je me niche dans son cou. Il est glacé. Elle esquisse un sourire pénible et alors là c’est parti, moi j’en fais des tonnes, je fais le pitre, le clown, le chien, tout ce que je peux, et la petite, elle rit, elle rit, et moi, j’ai chaud au coeur. Je me pelotonne dans son ventre, attendri, parce que figure-toi que moi aussi à cet instant, je me sens moins seul.

Tout à coup, je me dresse, alerte, le poil hérissé. Voici l’infirmière qui se dirige vers ma fillette, ruminant encore son chewin-gum dégoûtant, et à peine commence-t-elle à sortir de sa poche la fiole trafiquée, que je prends mon air hystérique et hideux. Et crois-moi, avec toutes les tares que je traîne, je peux être carrément hideux. Elle, terrifiée, détale en hurlant que je suis un jenn*, non, un monstre, non, un diable!

Tu parles.

– Tu reviendras me voir de temps en temps ?

J’acquiesce. Je joue encore un peu avec elle mais déjà, elle s’endort, la tête contre mon ventre.

Je m’en vais. Je quitte enfin l’hôpital, le coeur triste, infiniment triste.
Mais repu.

* Un jenn: un démon


Le vieux bouquiniste – Les pays imaginaires

Épisode 1:

Il était une fois, dans un lointain lointain royaume, logé dans une petite petite boutique, un vieux bouquiniste.

Dans cette contrée, on ne le désignait guère que par ce nom: le vieux bouquiniste. C’était un homme grand aux épaules anguleuses, le corps sec et osseux. Sur son visage rond trônait un nez busqué, chaussé de grosses lunettes aux verres épais, où perçait la lueur vive de ses yeux minuscules et légèrement globuleux. Toujours haut perché sur un tabouret en bois, il se tenait immobile derrière son comptoir, les sourcils froncés, la mine absorbée et un livre à la main.

Il vivait dans un endroit fort curieux: la petite petite boutique était en effet bâtie comme un comble sombre, exigu, et le plafond était traversé par une charpente en bois. Sur les murs, sur les portes, partout étaient tapissés des centaines de posters jaunis, des couvertures défraîchies; par là, des revues empilées comme des tours, par là-bas, des BD en vrac, et tout autour, sur les étagères grossièrement fixées jusqu’au plafond, tourbillonnaient des milliers de livres entassés les uns contre les autres. Par endroits, tout était soigneusement classé, mais par d’autres, quel capharnaüm!
Et cette odeur! Une puissante odeur d’autrefois imprégnait l’air où flottaient de fines poussières, poussières d’histoires, minuscules particules d’encres et de papiers en suspension, que l’on voyait parfois onduler dans le rai de soleil qui s’échappait de la lucarne.

De temps en temps, une personne l’arrachait à sa lecture: celui-ci voulait des polars, celle-là recherchait un titre particulier, cet enfant une BD…; le vieux bouquiniste reposait alors son ouvrage, après en avoir soigneusement corné la page, tirait sur un rideau épais et s’engouffrait dans l’arrière-boutique quelques minutes. On l’entendait fureter entre les étagères, puis enfin, il resurgissait le bras tendu et le sourire content, sa trouvaille à la main. L’homme servait alors au lecteur quelque histoire croustillante autour de l’oeuvre et de son auteur. À ce moment, c’était un autre homme: il contait en gesticulant de tout son corps, vivant chaque instant de sa narration. Et il riait! un rire franc, à gorge déployée, qu’il communiquait aussitôt à son interlocuteur.

Voilà sans doute pourquoi les habitants de cette contrée aimaient à s’arrêter dans cet endroit curieux; et puis, quel plaisir de flâner entre ces rayons désordonnés! On y faisait souvent des découvertes surprenantes: une édition particulière ou un livre rare, un ouvrage censuré ou une traduction inédite.

Enfin! Revenons à notre histoire. Un jour, une jeune enfant entra là. Elle passa d’abord la tête dans l’entrebâillement de la porte, craintive, puis elle osa un premier pas hésitant. Soudain rassurée, elle franchit le pas tout à fait.
Elle observa avec curiosité toutes ces piles de manuels, ces colonnes de magazines, ces étagères de livres… et ses yeux stupéfaits passaient des livres au bouquiniste, du bouquiniste aux livres. Elle finit par demander d’une voix étonnée:

 » Vous avez lu tous ces livres?! »

Il répondit sur un ton jovial:

 » Ah mon enfant! Des livres, j’en achète, j’en vends, j’en échange tous les jours. Il y a toujours quelque chose de nouveau à lire. »

Il posa son ouvrage et sortit un petit livre sous son comptoir.

« – Tiens, commence par celui-ci.
– Je ne sais pas lire. »

 » On ne veut pas que j’aille à l’école. C’est pas pour les filles, ni pour les pauvres qu’ils disent. Donc je travaille au marché. Mais chaque jour, à la même heure, cette heure-ci, les parents font leur sieste, alors je m’échappe. Une heure à moi, pour moi. »

Le brave homme, qui était resté silencieux, s’assit sur le tabouret et ouvrit le petit livre illustré. D’une voix douce, il démarra le récit.

Une heure s’écoula, une heure seulement où, dans le délice des mots, elle parcourut mille mondes et fit mille voyages, elle vécut mille aventures et devint mille personnes. Puis, dans un bruissement de papier, il interrompit sa lecture et referma le livre. Ce ne fut pas sans peine qu’elle reprit ses esprits, et elle se rappela soudain qu’il était temps de partir, vite!

 » Je peux revenir demain?
– Oui. »

Elle revint le lendemain, puis le surlendemain et tous les jours qui suivirent; le vieux bouquiniste lui faisait la lecture durant une heure, tandis que par-dessus son épaule, les yeux rivés sur le livre, l’enfant essayait de déchiffrer tous ces mots alignés, qu’elle ne saisissait pas.

Ainsi passèrent des jours, puis des années.

Un jour, alors qu’elle passa la porte comme à l’accoutumée, elle trouva le vieux bouquiniste debout à l’entrée, l’air impatient, comme s’il l’attendait. Et en effet, il l’attendait. Ce jour-là, Il lui tendit le roman qu’il tenait entre les mains et à sa grande surprise, déclara:

 » À toi maintenant, tu peux le lire. »

À suivre…


La Partie de Dames – Les Folles Histoires du Chat Crotté

Épisode 1: J’ouvre un oeil, puis un second, encore somnolent. J’adore dormir. D’ailleurs, je fais ça la moitié du temps. L’autre moitié, je la passe à flâner dans les rues ou à guetter mes repas.Je suis un chat. Chez nous, on dit qu’il faut crever le chat avant qu’il ne franchisse la porte de ta maison*, et même si j’aime pas beaucoup cette expression, je préfère te prévenir dès maintenant, j’ai sale caractère.
Je n’ai rien d’un charmant chaton élevé dans la chaleur d’un foyer bien nourri. Même, je ressemble plus à un rat qu’à un chat. Mais te moque pas. Essaie de grandir toi, dans une poubelle.Je suis né avec une patte courte, alors je marche en claudiquant, et à cause de ta foutue pollution, je suis asthmatique. Je suis aussi épileptique. L’épilepsie en revanche, c’est pas toi. Ça, c’est parce qu’avant ma naissance, ma mère vivait dans une pharmacie et je la soupçonne de s’être envoyé des trucs dingues.
Ça fait beaucoup? C’est ça de naître dans la jungle urbaine. Si j’étais né dans ma brousse, je serais encore un félin. Pas une bête asthmatique qui fait de l’épilepsie. Domestiquer, qu’ils ont dit. Tu parles, les hommes ont plutôt fichu un sacré bordel dans nos gènes. Moi, personne a jamais envie de me caresser. Seulement un gamin de temps en temps, ou un gars aussi crotté que moi. Dans mon quartier, la plupart du temps les gens sont méchants. Parfois en me baladant, je reçois un coup de pied comme ça, pour rien. Les humains peuvent être cruels, sans raison.
Du coup pour me venger, moi aussi je fais des trucs dégueulasses. Comme ce matin. Je traversais l’avenue quand subitement, j’ai senti une douleur sourde me traverser la poitrine. J’avais été projeté par une voiture à plusieurs mètres. Je n’ai pas eu le temps de rebondir sur mes pattes et mon corps s’est brutalement abattu sur le sol. Je suis resté étourdi quelques secondes, puis au moment d’ouvrir les yeux, j’ai réalisé que j’étais dans les bras d’une gamine en larmes.T’aurais pu trouver ça touchant. Moi je lui ai griffé la joue, hystérique.Bref. J’ai faim. Je parcours quelques ruelles jusqu’à la décharge. Je trouve là-bas des hommes en loques, des vaches malingres, des moutons affamés, des poules déplumées: ils se bousculent pour des restes de pourriture. Le museau dans les sacs en plastique, ils mangent tout, les sacs aussi d’ailleurs, tellement ils ont la dalle. J’avoue, moi aussi parfois, je me suis envoyé des trucs dingues.
Aujourd’hui, c’est bondé, ça va forcément finir en bagarre et moi j’ai pas envie d’y perdre un oeil. Manquait plus que je sois borgne, aussi.
Je fais donc demi-tour et décide d’aller voir le gardien de nuit qui me sert de temps en temps un bol de lait.En chemin, j’aperçois une mère entourée de ses chatons. Pendant que je bondis de trottoirs en fenêtres, je repense à la mienne. Les premiers mois de ma vie, ma mère ne m’a jamais quitté, ni mes 5 frères et soeurs et si quelqu’un se risquait à s’approcher de nous, elle lui envoyait un regard furieux puis campait sur ses pattes pour soutenir son regard. On se nichait aussi tous dans son ventre, en jouant des jeux rigolos, en famille. C’était du tonnerre.Puis un jour, pouf! elle a disparu, sans un mot, sans un miaulement. Elle était partie. Essaie de t’attacher, toi, après ça.J’aperçois le vieux gardien. Il est là, toujours à sa place, toujours dans la même position. Petit, trapu, le ventre mou et bedonnant, il a le visage buriné par le soleil, la peau desséchée par le froid des veillées nocturnes. L’homme reste de longues heures assis, les genoux recouverts d’un plaid, sur une petite chaise enroulée dans des laines et des tissus. Il a l’air de penser à rien, affalé, immobile, les yeux mi-clos et fixant le vide avec insistance.
Je passe sous sa chaise en miaulant doucement. Il m’a vu. Il propose qu’on joue une partie de dames. Pourquoi pas? J’accepte. Après tout, je suis prêt à accepter n’importe quoi pour un peu de lait
Dans sa poche, il y a une craie et quelques capsules de Coca. Il trace le damier et on joue pendant des heures, silencieux tous les deux. De toute façon, le bavardage, moi, c’est pas trop mon truc.Je sais pas à quoi il pense, il a la même expression, toujours. Ça m’intrigue de plus en plus cette histoire. Je sais pas pourquoi, aujourd’hui, je n’y tiens plus et je finis par lui demander:
– À quoi tu penses, tout le temps?
Ses yeux, dans un battement de cils furtif, sourient:
– Tu ferais quoi, toi, si tu gagnais 7 millions de Dh au loto?
Je le regarde surpris.
– Je ne sais pas. J’y ai jamais pensé.
– Moi je joue tous les jours depuis quarante ans. Et tous les jours, je fais des simulations, de ce que je pourrais faire avec tout cet argent. Écoute. D’abord, avec mes 7 millions de Dh, j’achèterais cette maison qui se vend à côté: j’irais ensuite demander la main de Aïcha. Je lui achèterai des tas de trucs en or. Ou alors l’inverse, d’abord la demander en mariage puis acheter l’or et la maison. Avec 2 millions de dirhams. Il me restera combien? Attends je recompte. Ou tant pis pour Aïcha, après tout, si je me marie je vais devoir partager. Je laisse tout pour moi, c’est mieux. J’achète plutôt une affaire et j’en mets un peu à la banque. Il faut penser à une affaire qui marche. La bouffe, par exemple, ça marche toujours.Il continue ainsi à énumérer, compter, évaluer, réévaluer les combinaisons possibles avec ses 7 millions de Dh. Ses yeux sont lumineux, et pour la première fois depuis que je le connais, je vois de la vie sur son visage. D’habitude, il est totalement inexpressif.Un peu assommé par son verbiage, je l’interromps, et lui demande sournoisement, comme peut l’être un chat:
– Tu as déjà gagné?
Il m’adresse un regard contrarié, chargé d’un lourd reproche.
De nouveau, ses yeux retrouvent leur fixité effrayante. Il soupire, dépité :
– Non.
Après un long silence, il me dit:
– Toi tu as 7 vies. Je ne pourrais pas imaginer revivre ma vie 7 fois. En tout cas, si elle ressemble à ma chienne de vie…

J’avais oublié cette histoire. J’espère que c’est qu’une légende. Parce que traîner ma patte courte, mon asthme et mon épilepsie encore 7 foutues vies, je te jure, je finirais par crever de rage.

La partie s’achève, j’ai gagné. J’ai sifflé mon lait puis je l’ai laissé là, le regard encore dans le vide.
Moi, je continue ma balade pour guetter mon repas dans la nuit noire.

* Au Maroc, expression pour dire qu’il faut poser les règles dès le départ pour éviter la confusion ou les mauvaises habitudes
 


Le Gai Pinceau – Les Pays Imaginaires

Il était une fois, dans un lointain lointain royaume, une blanche blanche ville.

Blanche? Ah bah! il y avait longtemps qu’elle ne l’était plus vraiment: il y avait maintenant tant de maisons et de monde et de bruits, que tout paraissait étroit, comme si la ville se resserrait à mesure qu’elle grandissait. Ses murs étaient étriqués, mal bâtis, ses bâtiments s’empilaient, gris et enfumés, et les maisons, laides, étaient plantées au milieu de tas d’ordures et de détritus.

Les habitants vivaient à l’étroit, on les voyait errer dans la grisaille, de plus en plus sales, coléreux ou taciturnes : ils avaient fini par se traiter avec le même mépris que leur ville.

C’était dans cette contrée morose que se déroula l’aventure que je vais vous conter.

Il vivait là un jeune garçon. Sa maison était entassée dans une allée exigüe et il lui suffisait d’enjamber la porte pour être dans le salon des voisins.

Le jeune garçon aimait vagabonder dans les ruelles désordonnées de la ville, où il pouvait contempler tout son gré les habitants. Ce gardien qui courait toujours essoufflé, un bras tendu derrière une voiture, cette dame qui promenait tous les jours ses cinq chiens terrifiants, cette bande de jeunes qui jouait au foot quelle que soit l’heure et toutes ces autres figures qui peuplaient dehors. Il les guettait, les observait, sans jamais leur parler, leur adressant parfois un sourire timide lorsque leurs regards se rencontraient.

Un jour, en jouant avec de vieux cartons, il découvrit, enfoui dans un pli, écrasé sous un tas de vieilleries, un long pinceau. Le manche en bois avait verdi, les poils étaient raides et cassants. Il prit le pinceau, le lava avec de l’eau savonneuse puis l’essuya soigneusement. Il se nicha ensuite dans un coin de sa chambre et plongea le pinceau dans la gouache soyeuse. Doucement, il l’étala sur le mur. Jamais il ne se sentit si bien.

Dès lors, le jeune garçon et son pinceau ne se quittèrent plus. Ensemble, dans la chambre qui sentait les baumes et les essences, ils racontèrent leur ville, ses gens, les plis de leurs visages, et ils peignirent sur les murs des mondes que mille mots n’eurent pu jamais exprimer.

Quelques années passèrent, le jeune garçon devint un jeune homme. Le temps et l’exercice avaient aiguisé son talent, il avait maintenant le coup de pinceau assuré et précis.

C’était à cette époque qu’il vécut cette curieuse aventure. Voici comment cela avait commencé.

Un matin qu’il se promenait dans les ruelles de la blanche blanche ville, il se figea brusquement. Devant lui se dressait un mur, grand, majestueux, blanc! D’un blanc immaculé. Il resta ainsi quelques minutes immobile, il la voyait déjà, oui! la fresque qu’il pouvait peindre.

Excité, il accourut le jour même chez son directeur d’école pour l’informer de son projet et ce dernier l’encouragea vivement à le réaliser.

Toute la nuit, le jeune homme songea au grand mur blanc, et enfin, très tôt le matin il y retourna avec son pinceau, ses couleurs et sous le bras une petite échelle.

Pendant des heures, le pinceau entre les doigts, le geste caressant, il étala la gouache sur le mur : il esquissa dans mille formes et mille couleurs à ce qu’il voyait de beau et de laid et de joyeux et d’injuste et de silences et de violences dans sa ville.

Les passants s’arrêtaient curieux, puis rapidement, un attroupement se forma. Chaque coup de pinceau agissait comme une poudre de magie; la bonne humeur finit par gagner la foule.

À ce moment, quelque chose de singulier courait dans l’air : il y avait longtemps que la ville n’avait plus senti son coeur s’ébranler.

L’harmonie fut interrompue par un coup de frein brutal, des hommes en uniforme descendirent brusquement de leur voiture, puis sans ménagement se ruèrent sur le jeune homme. Ils l’agrippèrent par le collet. Il manqua de trébucher, le pinceau rebondit sur le sol dans un bruit sec.

Les passants se dispersèrent, filant vite, les yeux baissés. La foule, lâche!

Le jeune homme fut jeté sans vergogne à l’arrière de la voiture et conduit au commissariat.

Durant le trajet, quatre hommes l’encadraient.

– La beauté ? Ha ! Avoue que tu complotes!

– Dessiner? Sur les murs. Un original, un fou, c’est donc ça ?

– Alors on se prend pour un artiste? Un drogué oui!

– Tu fais partie d’une de ces sectes satanistes, avoue! Un adorateur de Satan! Mécréant!

– Tu troubles l’ordre! Et tu crées un attroupement! Ha-ha! C’était une réunion non autorisée?!

Doucement, il serrait le pinceau dans sa main, puisant dans le bois et la gouache la force nécessaire. De quoi l’accusait-on? Le jeune homme était terrifié, et il se voyait déjà pourrir dans un sombre cachot, très loin, très longtemps.

Ils arrivèrent au poste de police, et le voilà parqué dans un coin, entouré de ripoux et de malfrats, traité comme le plus vil des criminels.

Combien de temps resta-t-il là, seul, dans le désarroi le plus total ?

De temps en temps, des officiers passaient par là, lui filant une tape sur la tête et profitant du passage pour déverser une pluie d’insultes. Il était tour à tour traité de drogué, de voleur, de déviant, de pervers, de Satan, et de tout cela à la fois.

Bref. Il sembla qu’on se souvînt enfin de sa présence: une troupe d’officiers s’avança vers lui, le chef au milieu.

Le jeune homme pressa ses doigts contre le pinceau.

– Alors c’est vous l’artiste?

Il n’eut pas le temps de répondre, les hommes s’empressèrent de faire part au chef de la nature de l’arrestation: le suspect peignait sur un mur, à coup sûr il complotait, ou se droguait, ou pire encore, allez savoir!

À la surprise de tous, le chef se tourna vers les officiers:

– Transportait-il quelque chose d’illicite ? Faisait-il quelque chose d’illégal?

Les hommes balbutièrent un non.

– Alors, relâchez vite le jeune homme!

Incroyable!Tout le monde le fixait, stupéfait.

Les officiers détachèrent les menottes en roulant vers lui de grands yeux menaçants.

Ils virent, encore plus surpris, le chef retirer son gant blanc et tendre la main pour le saluer.

– Nous avons laissé notre ville sombrer. Cette blanche blanche ville a besoin de vie, de couleurs… de renaître. Elle a besoin de ses enfants. Merci.

Il lui serra la main longuement, chaleureusement.

Le jeune homme n’en revenait pas.

Il quitta enfin le poste. Il était libre!

Il retourna aussitôt près de l’endroit où il fut arrêté : il fallait qu’il allât jusqu’au bout. Il retrouva son échelle et les pots de couleurs abandonnés devant la fresque inachevée.

De nouveau, perché sur l’échelle, il fit danser son pinceau et ses couleurs sur le mur. Et de nouveau, la foule l’entoura, les yeux brillants.

C’est ainsi que depuis ce jour, dans ce lointain lointain royaume, dans cette blanche blanche ville, en se promenant dans les ruelles, l’on pouvait admirer sur certains murs les fresques du jeune homme et de son gai pinceau.

On raconte que ce jour-là, dans le coeur des habitants, quelque chose avait bougé. Voyant leur ville s’égayer, les hommes, peu à peu, la traitèrent avec moins de mépris. Même, ils la voulurent rendre plus belle encore, et petit à petit, la blanche blanche ville retrouva sa blanche blanche splendeur.

Ah! j’oubliais… et plus jamais, dans ce pays imaginaire, on n’inquiéta un artiste.


Les mèches rebelles – Les Folles Histoires de Ahlem B

Un tas de cousines et de tantes squattent ma chambre, s’habillent et se déshabillent, se saupoudrent et se peinturlurent pour l’occasion. L’Occasion, c’est une invitation au baptême d’une lointaine cousine d’un lointain cousin que j’ai jamais vu.

Bref, une tante s’approche et louche sur ma chevelure, le regard appuyé, la grimace désapprobatrice. Elle a mes bouclettes en horreur, comme si elles menaçaient de ruiner la promesse de mon bel avenir de jeune fille.  » Une jeune fille, tu comprends, bientôt une jeune femme, ça va chez un coiffeur pour avoir les cheveux lisses et tout et tout. Surtout pour les occasions.  » Merde. Encore ce foutu tout et tout qui me fiche le cafard. Et moi j’ai pas envie de réécouter cette litanie de la jeune fille en devenir, alors j’accepte d’être entraînée chez le coiffeur au bout de la rue.

Elle glousse avant de me lancer un : tu t’y habitueras, va!

L’habitude. C’est terrible. Terrible.

Bref, la porte s’ouvre brusquement sur une nana mâchouillant joyeusement son chemin-gum, un sèche-cheveu à la main, une brosse à l’autre. Elle fait crépiter mille bises de chaque côté de mes joues, à droite, à gauche, encore à droite, en me demandant comment ça va, la famille, etc. C’est la première fois que je la vois, moi, et voilà qu’elle me prend déjà dans ses bras, m’appelant sa belle et  sa chérie. Sans blague.

Tandis que j’entre dans le salon, je suis frappée par cette chaleur parfumée et cotonneuse qui enveloppe la pièce, mélange d’odeurs de chaud, de cheveux, de cigarette, de chimie et de shampoings trop odorants.

Une des coiffeuses et une cliente sont assises sur des petits tabourets placés autour de la table et m’invitent avec chaleur à partager leur repas. Je m’assois. Sur la table un plateau de thé et de mlaouis est posé sur de vieux magazines râpés qui datent d’au moins 5 ans, les Unes défraîchies prédisant encore des victoires qui n’auront jamais lieu, chroniquant sur des faits qui ne seront jamais survenus, annonçant des promesses qui ne seront jamais tenues.

Une femme, jeune, mais déjà le visage fatigué, bavarde en attendant son tour. De temps en temps, elle fiche une tape à ses deux gamins bruyants. Une employée en blouse blanche passe le balai sans conviction, dans une mécanique nonchalante, les yeux rivés sur la télé haut-perchée.

Ma tante s’installe, les jambes allongées, les pieds en éventail plantés sous le nez de l’esthéticienne qui frotte, décrotte, rabote, ponce, lime, vernit. Pendant qu’elle fait ça, elle aussi a les yeux rivés sur l’écran.

À moi maintenant. Une fille joviale me shampouine, le regard nigaud absorbé par ce moment de suspense, d’espoir et de déception intenses, celui où Pedro va annoncer à Melinda qu’il renonce à Rosalinda, mais que Melinda, croyant qu’il ne la choisirait pas, avait embrassé son meilleur ami et que ça avait tout fichu en l’air. Ou un truc comme ça.

Bref, elle m’enroule la tête dans une serviette et me fait assoir en face d’un grand miroir. De temps en temps, elle décroche son regard de la télé et raconte:

– Je travaillais comme esthéticienne avant, à la botte d’une folle. Je t’assure une furie, elle a failli me rendre dingue, moi et l’équipe de nanas qui bossait pour elle.

Elle nous fouillait tous les jours, persuadée qu’on l’avait volée. Une cinglée, superstitieuse et parano. Elle comptait toutes ses crèmes et mettait même un marqueur. Une fois, une crème a disparu, elle nous a mises à poil et a fouillé toutes nos affaires. Ce jour-là, je suis rentrée chez moi et j’ai pensé, va te faire foutre. Et puis j’ai décidé d’ouvrir mon truc il y a un mois.

Soudain, des cris stridents éclatent dans le salon: je me retourne, les deux gamins sont en train de s’écharper.
– Qu’est-ce qu’il y a bande d’idiots??! La jeune maman dit ça en les frappant du revers de la main.
– Elle veut pas aller me chercher un verre d’eau.
Ça, c’est le petit qui pleurniche d’une voix indignée.
La petite résiste:
– Pourquoi j’irais lui chercher un verre d’eau?
– Tu es ma petite soeur. Et puis, je suis un garçon et toi une fille. Tu dois m’obéir.
La mère lui jette un regard réprobateur, mais indulgent, hésite une seconde, puis ordonne à la fillette qui a les joues rouges de colère.

– Va lui ramener, allez file, parce que c’est ton grand-frère. Et je veux plus vous entendre.
– Non. Il a qu’à le ramener lui-même.
– Vaz-y! C’est pas au garçon de faire ça. Toi tu es une fille. Allez va maintenant, va ramener un verre à ton grand frère.

Sa voix soudain se radoucit: « Allez s’il te plaît ma fille, sois une bonne fille et écoute-moi. Laisse-le, lui c’est un garçon, c’est têtu et fier. Toi tu es une fille, plus raisonnable. Une fille, c’est patient. »

Des lueurs de rage s’échappent des paupières de la gamine mais elle dit rien, on voit bien qu’elle se retient d’étrangler le frère.

– Pourquoi tu pleures? Et alors moi j’avais trois frères, je subissais pire, tu n’imagines même pas. En plus moi, ils avaient le droit de me frapper. Tu as de la chance toi, allez va maintenant, obéis.

Les femmes essaient à leur manière de consoler la gamine. Elle les fixe curieusement et on voit bien qu’à cet instant, elle les déteste.

– Ah oui la famille, les frères. Moi j’en avais de terribles. Ils se gênaient pas pour me frapper. Et tu crois qu’on me donnait raison? On me disait: patience, une femme doit être patiente. Tu entends ma fille, sois patiente, sinon tu vas souffrir plus tard.

– Tu te souviens, ce jour où il t’a traînée par les cheveux parce qu’il t’a croisée dans un café. Une honte, la pire de ma vie. Et voilà, pourtant regarde je suis encore vivante. Tu t’y habitueras, va!

Moi aussi à cet instant je les déteste. Je déteste les gens qui vous arguent « pourtant regarde je suis encore vivante. »

Bref, la fillette le regarde l’oeil défiant et embué de rage; l’avorton la regarde l’air fier, une lueur conquérante et un sourire victorieux.

Voyant qu’elle n’obéit toujours pas, sa mère lui flanque une tape sur la jambe, alors elle finit par s’exécuter lentement, très lentement, comme si elle pesait des tonnes, prenant soin de le narguer à sa façon. Comme si sa lenteur, c’était un petit acte de rébellion, un bout de liberté volé.
Elle finit par lui tendre le verre d’eau, le visage révolté et meurtri. Le petit con.
Et cette gamine, s’habituera-t-elle? se résignera-t-elle?

À présent j’ai la sensation de flotter dans la bulle d’un parfum moite. Je transpire et j’ai peine à respirer, la poitrine oppressée; j’étouffe entre les vapeurs de chaud et les relents d’arômes.
Toutes ces senteurs, au fond, ça pue.

Soudain j’ai vraiment pas envie que mes cheveux soient lissés, brillants ni même parfumés. J’ai envie de les laisser sécher librement, j’ai envie de les laisser friser, boucler, de les agiter dans l’air. Qu’ils me fouettent la nuque!  Maintenant. Je me lève subitement, et je les laisse toutes plantées là, dans leur salon, dans leur bulle humide, et je sors précipitamment les cheveux encore trempés. Un vent d’air frais me gifle, et je me sens déjà mieux.

Non, je veux pas, je veux pas m’y habituer, va!


Chapitre 5 : Mourad Raïs – Les Folles Histoires des Oudayas

Épisode 5 :

Barbary pirates by Dinsdale
Pirates barbaresques par Dinsdale

Je suis plongé dans une douce transe, à la gorge un sentiment d’urgence. Qu’y a-t-il dans cette toile ? Je brûle de la dérouler, et je vois briller dans les yeux de Hanane la même lueur.

Nous avançons le pas rapide, cherchant un endroit pour s’assoir à l’abri des regards. Après avoir sillonné une dizaine de ruelles, enfin, on aperçoit un jardin. Qu’il est joli! Un style andalou fleuri de lauriers-roses, d’orangers, de citronniers… C’est parfait ! On s’assoit, dissimulés derrière un oranger.

Je tressaille en sortant la toile du cartable. Un puissant remugle me prend à la gorge. Je la déroule doucement, avec précaution.
Soudain, plusieurs feuillets s’en échappent et s’éparpillent sur l’herbe. En les ramassant, je remarque qu’ils sont cousus ensemble, protégés par une couverture en peau d’animal. Sur les feuillets, je distingue des mots tracés à l’encre noire.

On reste comme ça quelques secondes, étourdis par ces poussières d’antan, fascinés par cette précieuse découverte.

– Tu penses que le joueur de guembri a réussi à libérer le guide ?
– J’espère! Attendons-les ici. Pendant ce temps, je vais essayer de déchiffrer ce qu’il y a écrit. On dirait les pages d’un très vieux livre…
– Tu crois que c’est ça qu’ils recherchaient, les deux hommes ?

Je frissonne, partagé entre un sentiment de danger et une curiosité dévorante. Le joueur de guembri serait sûrement furieux de voir que j’ai sorti la toile du sac, et c’est vrai que ce n’est pas très prudent. Mais c’est plus fort que moi, je meurs d’envie de savoir ce que c’est !

Je commence la lecture en chuchotant:

17th century rabat
17 siècle Rabat

« L’an 16… M…
J’étais depuis un an grand amiral de cette République maritime qui fourmillait de commerçants juifs et européens, d’exilés espagnols, de marins, de pirates et de corsaires, venus s’enrichir par le commerce des biens et des hommes. Tous parlaient l’espagnol, que j’appris rapidement. J’aimais cet endroit qui avait une âme à part : un repaire d’insoumis. Moi aussi je l’étais. »

Je m’arrête. Les premiers feuillets sont illisibles et la plupart des mots effacés. Le troisième semble mieux conservé, je reprends la lecture.

The_Slave_Market
Le marché aux esclaves par Gustave Clarence Rudolphe Boulanger

« L’An 16.7

Nous rentrions d’une course fort hardie qui nous avait menés jusqu’en mer d’Islande. Ce jour-là, nous débarquâmes dans un hameau et capturâmes des centaines d’âmes que nous irions revendre comme esclaves ou forçats sur les marchés de Salé et d’Alger. Certes la prise était modeste, mais l’écho de cet exploit retentirait dans l’histoire, assurément ! L’Islande! Peu de marins pouvaient s’enorgueillir d’une telle expédition ! »

Encore une fois je m’arrête: impossible de déchiffrer les lignes suivantes. Je sors un autre feuillet.

« Morbleu des hommes à la mer ! m’écriai-je. Perché sur la poupe de mon navire, je savourais l’heureuse victoire quand j’aperçus quelque dizaine d’hommes se débattre avec rage au milieu de l’océan, essayant désespérément de se cramponner à leur galère brisée, qui coulait à grande vitesse. Dans quelques minutes, elle serait engloutie dans les profondeurs, entraînant avec elle les malheureux. Nous les sortîmes de l’eau grelottant de froid et de terreur, épuisés par leur lutte contre l’océan. Ils nous rapportèrent alors un fait très étrange : le bateau d’une femme conduisant des hommes les avait pris au piège et dépouillés de tout leur or. Ils racontèrent avec un mélange d’effroi et d’admiration comment elle avait mis à sac leur navire qui portait plus de 1 000 tonneaux, des peaux, des tissus, des bijoux, et près de 300 000 pistoles. Au début je n’en crus rien. Quoi ? Une gonzesse aurait razzié un tel navire, un tel équipage… un tel butin ! Des pirates de surcroît, rodés à la mer et aux attaques ! Non, non décidément ! »

« Ce n’était pourtant pas la première fois que j’entendais parler de cette écumeuse : depuis quelques mois, il se chuchotait entre les brises qu’une femme pillait des navires marchands et de corsaires. On l’appelait Lalla Qarsana. »

Encore elle!
Ma gorge est brûlante, chaque mot renferme tant d’histoire, et elle est là, à la fois mystérieuse et palpable.
Hanane m’écoute, absorbée.

« Piqué, j’ordonnai qu’on suivît cette curieuse expédition. »

Sur un autre feuillet :

« Nous nous retrouvâmes nez à nez, sabre contre sabre, les lames étincelantes. Je restai quelques secondes interdit. Soudain, une douce chaleur, suivie d’une douleur aigüe lacéra ma chair. Elle avait profité du désarroi pour porter un coup de sabre qui avait traversé ma poitrine jusqu’à la joue. La surprise me fit trébucher. Je me relevai enfin, titubant et ensanglanté, mais la coquine était déjà partie ! Elle avait lestement sauté sur son navire et je restai planté là, la regardant filer avec son équipage, un goût âcre dans la bouche, une rage sourde dans le corps, humilié d’être mis en défaite par cette femme enturbannée aux yeux fauves. »

Murat Reis
Murat Reis

« Au diable, la funeste rencontre ! J’eus encore préféré qu’elle me tranchât la gorge, que de vivre avec cette humiliation. Moi, moi, pillé par une gonzesse ! Morbleu!  Moi le capitaine, l’armateur, l’amiral, moi le corsaire, moi Mourad Raïs, qui avait pillé la Manche, les mers de Hollande et les ports de Lisbonne, moi la terreur des flots, dont les échos retentissaient jusqu’aux confins du Pacifique, il fallait que je lavasse mon honneur. Je jurai de la retrouver et lui faire payer l’affront. Eh quoi ! Cette femme avait saccagé ma galiote, pillé mon butin, pis ! elle avait marqué mon corps à vie, et l’humiliation, je devais la porter dans cette profonde cicatrice.»

Mourad ! Le prénom que j’ai entendu tout à l’heure ! Les deux hommes, parlaient-ils de ce Mourad-ci ? Ma curiosité est à son faîte.

Là encore le texte est effacé. La lecture devient de plus en plus difficile, les mots couverts d’humidité et de taches brunes.

Plus loin, sur un autre cahier.

« Je la retrouverais, dussé-je naviguer sur les cieux ! »

Avait-il fini par la retrouver ? je me demande, rêveur.

– On dirait que c’est écrit à des époques différentes.
– Oui… Zut, tout est effacé. Je n’arrive à déchiffrer que quelques mots, ici et là : Capitaine John, Suleyman Raïs, Grindavik, République, chevalier de Maltes, Le Veneur, Barbaresques, Lanzarote, Moulay Zidân, La Bonne aventure…

J’interromps la lecture : ici, des pages semblent avoir été arrachées à la hâte!
Vraiment, je ne comprends pas grand-chose à tout cela… Qui est donc ce corsaire, ce Mourad Raïs ? Je sors de mon cartable le livre d’histoire : quelle déception ! Rien sur le Raïs. Ni sur les corsaires. Curieux, non ?

Une voix intérieure continue de me souffler que j’allais au-devant de gros ennuis et que je n’aurais jamais dû me mêler de cacher cette toile, ni de l’ouvrir, l’autre en revanche, plus forte, était folle de tenir entre les mains ce qui semblait être un vieux manuscrit de corsaire.

Maintenant je n’ai qu’une hâte, revoir le guide et le joueur de guembri. Eux seuls pourront éclairer ces mystères; nous devions nous montrer patients et attendre : le mâalem a dit qu’il saurait nous retrouver.

– Quelle heure est-il ? Ah déjà 15 heures !

À suivre…


Les Pays Imaginaires – Le Magicien d’Ô

Il était une fois, dans un lointain lointain royaume, un vieux vieux métier, qui se transmettait de père en fils : le métier de guerrab*.

Ah, le guerrab! Quelle fière mine il avait ! Toujours un large chapeau multicolore sur la tête et vêtu d’une longue tunique tombant jusqu’aux genoux, l’homme superbement apprêté parcourait les douars, traversait les villages, arpentait les villes, à pied et dans une cadence entraînante : « Ding Ding » les cuivres percutaient, « Ting Ting » les tasses tintaient, « Drin Drin », la cloche sonnait, « El Maâ Lillah, W’lli Ata chi, Fi sabil Allah », la voix claironnait.

À son passage, les passants assoiffés criaient « Ya l guerrab ! » et l’homme s’arrêtait, détachait de sa ceinture l’outre en peau de chèvre, puis l’air cérémonieux, il versait l’eau précieuse et parfumée dans une tasse en cuivre. Une fois désaltérés, ils le remerciaient avec un sourire reconnaissant et lui tendaient quelques piécettes. Quant aux enfants, lorsqu’ils le voyaient défiler ainsi paré, ils le regardaient passer comme un rêve. Et alors l’homme reprenait sa marche sous le soleil de plomb, le pas lascif et la mine paisible.

Sur sa route donc, le guerrab distribuait aux hommes la source la plus précieuse qui fut; partout où il passait, les sources d’eau jaillissaient et les fontaines se répandaient, il lui suffisait de se pencher pour récolter la sève coulante.

Quel âge avait-il ? On eut pu lui donner 100 ans comme 1000, qu’importait! son visage creusé de sillons dégageait une aura de sagesse, de sérénité et de bienveillance propre à ces figures immortelles.

Ici, le ruisseau avait tari ? On l’appelait pour le faire rejaillir. Là, on se disputait la paternité d’un point d’eau ? Lui apaisait les esprits. Si bien qu’on finit par le surnommer: Le « Magicien d’Ô ».

Mais un jour, à sa grande surprise, alors qu’il faisait joyeusement tinter son passage comme à l’accoutumée, personne ne le héla. Il marcha encore, longtemps, très longtemps, sans jamais être arrêté, sans un sourire, sans un regard.  Les hommes n’avaient-ils donc plus soif? se demandait-il, intrigué.

Quelle fut sa déconvenue quand il vit les passants se promener avec des bouteilles d’eau, toisant avec dégoût son outre précieuse !

À présent, « Ding Ding »les cuivres gémissaient, « Ting Ting », les tasses sanglotaient, « Drin, Drin », la cloche hoquetait, «El Maâ Lillah, W’lli Ata chi, Fi sabil Allah », la voix bourdonnait. La pauvreté et la  misère le guettaient, et voilà peu à peu le guerrab réduit malgré lui à un accoutrement folklorique qui étonnait les touristes et amusait les passants. Parfois, on lui jetait une pièce par terre, comme s’il était mendiant, et lui avait mal. Oui, très mal.

Dans ce lointain lointain royaume, personne ne voulait plus de son eau, pis encore, partout on le chassait comme un malpropre. Car maintenant les hommes se désaltéraient dans du plastique, et des bouteilles, il y en avait de plus en plus chaque jour, par centaines, par milliers, par centaines de milliers!

Ignoré, méprisé, humilié, le vieil homme se réfugia dans une montagne et se terra dans une baraque en ruine. Il se nourrissait de pain, d’olives et de thé : il n’avait rien besoin de plus, se disait-il, sinon que sa dignité fût sauve. Il passa ainsi des années, se laissant décrépir dans l’abandon et la solitude.

Un jour, une fillette qui s’était égarée en allant chercher de l’eau croisa l’ermite. Elle avait dû marcher très longtemps, jusque très loin, pour étancher sa soif. Car dans son village, on ne trouvait plus une goutte d’eau! Plus rien ! En effet, alors que les bouteilles en plastique proliféraient, les sources peu à peu tarirent, les nappes s’asséchèrent, les puits se vidèrent, et ici et là éclataient des querelles, parfois sanglantes!, pour se procurer de l’eau douce. Partout dans le pays, la soif menaçait.

La malheureuse transpirait à grosses gouttes, respirant avec peine, lorsqu’elle aperçut, allongé sous un arbre, le vieil homme au chapeau surprenant. Sa curiosité d’enfant eut raison de sa peur, elle l’aborda:

– « Qui êtes-vous ? »

– « Autrefois, on m’appelait le Magicien d’Ô. »

Qu’il avait l’air mal en point ! Le front soucieux, le regard las.

– « J’ai soif. »

Le vieil homme, sortant de sa torpeur, remarqua les gouttes de sueur qui perlaient les joues de la fillette.
Il se releva aussitôt, saisit son outre et avec cérémonie, comme autrefois, lui versa à boire dans une tasse de cuivre. Soudain, il avait retrouvé, un peu, de sa superbe.

– « Quelle eau délicieuse! Qui êtes-vous ? et pourquoi portez-vous ce costume ? »

– « Fillette, tu ne sais pas donc qui je suis? Avons-nous disparu jusque dans les mémoires ? »

Il avait soufflé ça dans un murmure, puis, se reprenant:

– « Je suis le guerrab, le porteur d’eau. Autrefois, je parcourais le royaume, désaltérais les soifs, conciliais les hommes. »

– « Ah ? »

– « Quoi, on nous a vraiment oubliés ? Mais c’est la débâcle! Alors on m’a tué ! Alors on tue notre culture! notre mémoire! On la méprise! Oui! on méprise notre identité, jusqu’à en faire un folklore ridicule, jusqu’à nous laisser crever comme des misérables, pire! des miséreux! Déliquescence! Un peuple qui dénigre son histoire est un peuple qui se méprise – non! qui se meurt! Une eau stagnante pourrit d’elle-même. » Il fulminait.

– « On a encore besoin de vous Magicien, les sources de plus en plus tarissent, les hommes de plus en plus se haïssent ! »

– « C’est trop tard », soupira-t-il avant de fermer les yeux, résigné.

Ils s’endormirent ainsi, paume contre paume. Le lendemain, la fillette se réveilla, quelque chose de lourd pesait sur sa petite main.

– « Réveille-toi Magicien, il fait jour! »

Elle eut beau le secouer, rien n’y fit, le vieil homme ne bougeait plus. Les yeux fermés, la mine sereine mais absente.

– « Réveille-toi, s’il te plaît, Magicien, on a besoin de toi ! »

Mais c’était fini.

La fillette pleura longtemps, très longtemps sur le corps inerte du vieil homme.

Puis soudain elle se ressaisit, sécha ses larmes et se releva décidée. Elle lui retira le chapeau trop large qui s’échoua sur sa tête, elle saisit l’outre trop grande qu’elle accrocha à sa ceinture, et s’en alla d’un pas ferme.

« Non, il n’est pas trop tard ! », s’écria-t-elle.

« Non, je ne te laisserai pas mourir. Désormais, je serai ta mémoire, Magicien d’Ô, je serai notre mémoire, et partout où j’irai, je raconterai ton histoire, j’apporterai la paix, la joie et la sérénité. »

C’est ainsi que depuis ce jour, dans le lointain lointain royaume, entre les douars et les villes et les villages, l’on pouvait voir passer une fillette au chapeau trop large et l’outre trop grande, partager avec les hommes la denrée la plus précieuse, la sève la plus délicieuse, la source de vie, en contant à tous l’histoire millénaire du Magicien d’Ô.

*Guerrab: Porteur d’eau

Crédit photo : Driss Maaroufi


Résistances – Les Folles Histoires de Ahlem B.

 

 

C’est l’heure du goûter. J’adore ce moment où seule, enfin seule, je me délecte d’un roman accompagné d’une tasse de café crème. 

 

Mais voilà, encore un délicieux moment de paix gâché par cette fichue sonnette! Maudissant déjà l’intempestif, je me lève et saisit l’interphone:

– C’est qui?

– 9rib*

– Qui 9rib?

La voix revêche:

– 9riiiiib!

– Qui ça, 9rib?

Le ton rogue:

– Tante Aïcha! Ta mère est là?

– Non.

Ouf, elle va s’en aller.

– Ouvre je vais l’attendre.

Merde.

 

La porte s’ouvre sur une dame renfrognée, le fichu mal ajusté et empaquetée dans une djellaba de couleur maussade grossièrement coupée. Elle me claque deux bises. Me pique les joues. Aïe!

 

Elle s’assoit, je m’assois, on se tait. C’est qu’on a pas grand-chose à se dire. Et puis cette tante, moi je l’aime pas trop: elle m’a toujours fichu le cafard avec ses lèvres affaissées de dégoût, sa voix âcre, son regard hargneux. Je crois que je ne l’ai jamais entendue rire, mais toujours rognonner ou rouspéter.

 

Bref. De temps en temps, pour rompre le silence gênant, elle fait semblant de s’intéresser. 

 

– Ça va l’école? 

– Oui, merci.

La vérité elle en a rien à foutre.

 

 

Silence.



– Où est ta mère?

– Je sais pas.

Incrédule, soupçonneuse:

– Comment ça tu sais pas.

Ses petits yeux me scrutent, non me percent! comme si je participais à un complot qui visait à lui cacher où se trouvait ma mère. Moi je dis non juste pour l’emmerder.

– Mmmmm

Son Mmm suspicieux, il m’enrage.

 

 

Silence.

 

 

– Ramène-moi un verre d’eau. 

Je lui apporte de l’eau et tout de suite, elle en profite  pour me demander sur un ton grincheux un tas de menus services, rapproche mon sac par-ci, tends-moi le téléphone par là etc… parce qu’un gamin ici, figure toi qu’il est corvéable à merci. Mais sans un seul merci bien sûr.

 

 

Silence.

 

 

Son regard inquisiteur examine le salon:

– Tiens c’est nouveau ça. Elle l’a acheté quand ta mère?

Je réponds pas.



Silence.

 

 

– Qu’est-ce que tu lis?

Je lui donne le titre, persuadée qu’elle connait pas.

 

Tout à coup son visage s’éclaire:

– Aaaaah je me souviens de ce roman! Je l’ai eu à l’oral du bac! Une merveille!

 

Elle se tait, le regard soudain pensif, comme si elle fouillait dans ses souvenirs. 

 

Le silence avant la tempête parce qu’à partir de là,  elle s’est plus arrêtée de parler, subitement volubile. Si volubile que par moments, moi je crains qu’elle ne s’étouffe avec un mot ou qu’elle n’avale son dentier. Sans blague.

 

– Les souvenirs! Ah l’époque de la colonisation! Tu sais, quand j’avais 10 ans, je cachais des lettres et des paquets dans mon cartable, entre mes livres scolaires, puis je roulais en vélo – parfois des kilomètres! – pour les porter à telle ou telle famille. Des résistants. J’étais morte de trouille! Jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas ce que je transportais! Et à chaque fois je devais aller dans une maison différente! Je toquais trois coups à la porte puis je me glissais vite dans la maison pour que personne ne me voie, et une fois les paquets remis, on me servait des friandises ou un verre de lait. Ah la la si on m’avait arrêtée! Si on avait su! Même ma famille ne savait pas ce que je faisais! Tu sais les colons ils rigolaient pas et dieu sait ce qui me serait arrivé si on avait pensé à fouiller l’écolière que j’étais. Ils pouvaient débarquer à tout moment chez toi! Je les ai vus faire hein, embarquer nos voisins, nos amis, je les ai vus rafler des familles entières qu’ils soupçonnaient de résister, ou qu’on avait dénoncées!

 

 

– Une fois, en sortant de l’école, j’ai aperçu des manifestants avec des portraits du roi, ils réclamaient le retour de Mohamed V alors en exil et ils exigeaient la liberté haut et fort au milieu du boulevard! Ce jour-là, la police nous a violemment dispersés, ils tapaient sur tout ce qui bougeait et nous on courait, on courait pour éviter d’être bastonnés ou embarqués. Dans la course folle, j’avais perdu mes sandales, mais j’ai continué de courir, j’ai parcouru des kilomètres et des kilomètres pour arriver à la maison! J’avais les pieds meurtris et en sang, mais je n’ai pas osé rentrer à la maison dans cet état, alors j’ai sonné chez une de nos voisines à qui je remettais souvent des paquets. Une amie de la famille, une juive. Sans me poser de questions, elle m’a lavé les pieds dans une bassine et les a enduits de baume. Que c’était douloureux! Je pensais aussi à mon père, et je te jure, c’était encore plus douloureux que les écorchures! S’il avait su! La brave dame m’a raccompagnée jusque chez moi et elle a détourné l’attention de mon père pendant que vite! je suis allée me coucher pour ne pas le croiser.

 

Ah vous, vous n’avez pas vécu ça. Vous n’y pensez pas, vous n’y pensez plus, peut-être même vous ne savez pas, mais nous, on s’est battus pour la liberté!

 

Tu sais, les colons, ils pouvaient débarquer à tout moment chez toi. Pour réquisitionner de l’eau souvent. Nous, on galérait parce qu’on était obligés de fournir toutes nos réserves d’eau ou de nourritures et parfois, il ne nous restait plus rien. Rien! Heureusement, on s’entraidait beaucoup entre voisins! Ah ben oui, parfois rien à manger ni à boire! Ah les salauds!

 

Je la regarde les yeux ronds. Je ne l’ai jamais entendue dire salaud. Ni rien qui se rapproche de ce champs lexical.

 

Elle me déballe encore mille anecdotes, le sourire fier et le regard plongé au loin dans son passé d’enfant rebelle.

 

– Ah tu m’aurais vue avant. Eh! Ne me vois pas comme ça. Non, non! J’étais pas comme ça! J’étais jeune, belle et rebelle, insoumise aux hommes, aux règles, à la société, je me battais pour l’indépendance, pour la liberté. Et tu sais? Hihihi! je mettais des dos nus et des bikini! ah la la, comme j’étais tu sais! Mais non, tu ne sais pas.

 

Une pointe de regret dans sa voix maintenant.

 

Que s’est-il passé? j’aimerais lui poser la question mais je n’ose pas.

Comment ça a-t-il pu devenir… ça?

 

Il se fait tard, elle interrompt son récit, me promettant de me raconter d’autres histoires la prochaine fois. 

 

Elle s’en va et moi je referme la porte derrière elle comme on referme un roman palpitant mais inachevé.

 

Je suis d’abord dans un état d’euphorie, toute excitée de connaître ces bribes de notre passé, ces histoires, cette Histoire que nos aïeux nous racontent trop peu et que l’école ne nous enseigne pas.

 

Puis l’euphorie retombe et je me demande de nouveau: Que s’est-il passé? Comment cette femme qui a mis tant d’énergie, si jeune, à libérer son pays a-t-elle échoué à se libérer elle-même? Comment ces femmes, si fortes, se sont-elles résignées à leur sort? Pourquoi?

 

L’euphorie s’en est allée tout à fait, et maintenant, mes mains, mes mains tremblent de peur.

J’ai peur, oui. J’ai peur, de grandir, de vieillir, de devenir rêche et hargneuse, amère et passive, j’ai peur d’abandonner cette vie et ce volcan qui bouent en moi. Oui, j’ai terriblement peur de me résigner, comme toutes ces autres.

 

 

* 9rib: Un proche

 

 


Harcèlement de Rue… Et toi, tu entends quoi?

#HarcèlementDeRue

Et toi, tu entends quoi?

Il y a deux ans, j’ai démarré ce projet, lister les cochonneries qu’on peut entendre en marchant dans la rue. La liste n’est pas exhaustive.
L’objectif est de partager toutes les saletés qu’on entend à longueur de journée, avec tout ce qu’elles portent de perversion, de violence ou d’humour… très moyen.
Et vous, qu’est-ce que vous entendez quand vous marchez? Les hommes, qu’est-ce que vous dites?

P.S: merci aux contributeurs de ce projet!

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Chouffia nchouffik Jlaleb ou 9oualeb Kesksou Lbeldi Le rouge qui bouge Lmolliate Mama MMM Nfrek Sbou3A

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