Anani AGBOH

Stephen Keshi, merci pour ces moments !

Il était 6h30 ce mercredi matin quand je sortais de la maison pour aller au boulot. Et comme j’ai pris l’habitude (tel un rituel depuis un moment) je branchais mes écouteurs à mon smartphone et j ‘allumais la radio RFI pour écouter l’une des éditions d’Afrique Matin. Le choc : je fus envahi par un sentiment d’immense tristesse lorsque le premier titre du journal annonça ton décès. La fédération nigériane de football, ta féderation, avait donné la nouvelle via deux tweets. Un malaise cardiaque a donc mis fin à tes 54 années sur terre.

https://twitter.com/thenff/status/740391266563837952

Je me souviens comme si c’était hier de cette campagne des éliminatoires couplés des Coupe d’Afrique des Nations (CAN) et Mondial 2006 où tu as qualifié avec brio et contre toute attente les éperviers du Togo pour la prestigieuse compétition africaine de football et pour la grande messe du football mondial.

Je voudrais m’arrêter comme on observe une minute de silence pour un illustre disparu, et tu l’es, Stephen Keshi, puisque c’est de toi qu’il s’agit. Je voudrais te dire merci pour ces moments inoubliables, ces moments d’euphorie que tu nous a fait vivre lors de ton premier passage à la tête des éperviers entre 2004 et 2006.

Durant cette période tu as écrit les plus belles pages du football togolais. Tu as mené les plus merveilleuses batailles à la tête des éperviers. Je me souviens d’abord de cet après-midi de ce 19 juin 2004 au stade de Kégué où nous avons terrassé les lions de la Téranga du Sénégal trois buts à un (3-1). Nul ne vendait cher notre peau après notre défaite inaugurale, le 4 juin 2004, en Zambie face au Chipolopolos pour le début de ces éliminatoires des CAN et Coupe du Monde 2006. Encore moins, face à des sénégalais quarts de finalistes du Mondial Corée du Sud-Japon 2002 et qui voulaient coûte que coûte se qualifier pour l’Allemagne. C’était sans compter sur ton envie et ton ambition de qualifier le Togo pour le Mondial allemand. Tu étais le seul d’ailleurs à y croire ! Il se raconte que le président de la République Togolaise t’avait juste demandé de qualifier l’équipe pour la CAN 2006 qui s’est déroulée en Egypte. Tu lui avais dit que tu pouvais faire plus, que la Coupe du Monde était ton ultime objectif. Ainsi, Henry Camara, El Hadj Diouf, Tony Sylva et leurs coéquipiers n’ont pas résisté face à la bande à Adébayor, Sénaya Junior et Agassa Kossi. Les sénégalais ont été les premiers à subir les foudres de tes ambitions de coupe du monde.

Je voudrais m’arrêter comme on observe une minute de silence pour te dire merci pour ces moments inoubliables.

Je me souviens ensuite de ce match retour, le 26 mars 2005, à Bamako face aux Aigles du Mali où nous étions menés un but à zéro (1-0) jusque dans les derniers instants du match. Battu petitement un but à zéro (1-0) à Lomé, les maliens se devaient de réagir et de prendre leur revanche. Même si j’avais un petit espoir qu’on allait au moins obtenir le match nul,pas un seul instant je n’ai imaginé imaginé qu’on allait réaliser le holdup parfait, qu’on allait retourer la situation et terminer par une victoire plus que délicieuse de deux buts à un (2-1). Ici également, tu as surpris tout le monde avec cette victoire à l’arrachée face à ce Mali des Mamadou Diarra et Seydou Keita.

Je voudrais m’arrêter comme on observe une minute de silence pour te dire merci pour ces moments inoubliables.

Je me souviens aussi de ce match retour, à Dakar au Stade Léopold Sédar Senghor ce 18 juin 2005, où les sénégalais nous attendaient de pied ferme après le trois-un (3-1) à eux infligés à Lomé. Ils devaient laver l’affront et se repositionner dans la course au Mondial. Je me souviens alors de cette frappe surpuissante de Olufadé Adékanmi dans la lucarne de Tony Sylva pour l’ouverture du score. Le Togo menait alors 1-0. Ce fut un match de toutes les sensations car après ce but, le Sénégal égalisa et pris l’avantage en menant 2-1. Mais les éperviers blessés dans leur amour propre et animés par la hargne de revenir au score ont tout essayé. Et grâce à la paire Shéyi Emmanuel Adébayor-Sénaya Junior, le Togo égalisa sur un but d’école et d’anthologie. Nous arrachâmes le match nul. Un match nul aux goûts de victoire pour nous et de défaite pour les sénégalais.

Je voudrais m’arrêter comme on observe une minute de silence pour te dire merci pour ces moments inoubliables.

Je me souviens enfin de cet ultime match de ces éliminatoires où le Togo s’est déplacé à Brazzaville, le 7 mai 2005, pour affronter les diables rouges. L’enjeux de ce match était simple mais il était aussi une forte pression pour les éperviers. Nous avions notre destin en main. Nous devions gagner pour éviter les calculs et se faire coiffer au poteau par le Sénégal. Mais que ce fut dur ! Nous fûmes menés au score deux fois. Nonobstant ces deux coups au moral, tes joueurs ont tenu bon. Nous arrachâmes la victoire, synonyme de qualification pour la coupe du monde 2006, sur un but de Koubadja Kader. A la fin du match, ce fut la liesse à Lomé. Malgré la pluie et le délestage, les rues étaient bondées de monde. Tous s’embrassaient, criaient de joie, se disaient fiers d’être togolais.

Je voudrais m’arrêter comme on observe une minute de silence pour un illustre disparu, et tu l’es, Stephen Keshi, puisque c’est de toi qu’il s’agit, pour te dire merci pour ces moments inoubliables, ces moments d’euphorie que tu m’as fait vivre lors de ton premier passage à la tête des éperviers entre 2004 et 2006.

C’est toi Stephen Keshi qui nous a offert tout ça ! Le Togo venait de se qualifier pour une première fois à une coupe du monde de football. Le lendemain fut chômé et férié sur toute l’étendue du territoire national. Au cours de tous les matchs que nous avions joués tout au long de ces éliminatoires à domicile, nous avons tu nos divergences politiques, ethniques, religieuses, idéologiques et que sais-je encore ! C’est dire combien tu as été important pour notre pays. Même si tu n’es pas toujours resté au Togo , même si tu es revenu une deuxième fois (2007-2008) puis une  troisième fois (2011) pour chapeauter les éperviers parce qu’on t’a viré au lendemain de la CAN 2006 (officiellement pour mauvais résultats) et que tu as vu tes joueurs évoluer sur les pelouses allemandes à la télé, Stephen Keshi, tu m’as suffisamment prouvé que tu as aimé mon pays le Togo qui ne t’a pas aimé à la même mesure en retour et je ne veux me souvenir que des moments que tu m’as fait vivre. Je veux juste te dire Stephen Keshi ou Big  Boss : Thank you for this wonderful moments!

 


Connaissez-vous bien Lomé ?

Autrefois surnommée la belle et ironiquement à tort ou raison jusqu’à une période récente la poubelle, Lomé, la capitale du Togo peut derechef se targuer de retrouver ses lustres d’antan tant elle s’agrandit dans sa partie nord avec de nouveaux quartiers reliés par de nouvelles infrastructures routières. Des infrastructures qui économiquement facilitent la circulation des biens et des personnes et le long desquelles, s’érigent des boutiques, des bars, des supermarchés, des boites de nuit, des restaurants, des succursales de banques, des revendeurs et revendeuses de tout genre, etc. Ce qui change littéralement le quotidien des riverains qui n’ont plus besoin d’aller jusqu’au centre ville pour accéder aux produits de premières nécessités, faire du commerce, se faire plaisir et beaucoup d’autres choses encore. Mais, savons nous comment le Lomé du passé s’est-elle construite? Quelle a été sa première rue goudronnée? Quand l’électrification de ses principales rues a-t-elle débuté? Où se trouvait l’aéroport de 1931 à 1945? Quand la Cathédrale a été construite?

Voici dix choses que vous deviez savoir sur Lomé:

  1. Elle devient la capitale du Togo en 1897 ;
  2. De 1931 à 1945, l’Aéroport de Lomé était à l’emplacement de l’actuel CHU Sylvanus Olympio (ex CHU Tokoin) ;
  3. Le Palais des Congrès situé au quartier administratif s’appelait « la maison du RPT »;
  4. L’avenue Maréchal Foch qui mène vers le Grand marché et qui passe devant la Cathédrale de Lomé a été la première rue goudronnée de Lomé par un ingénieur du nom de Gustav en 1947 ;
  5. La Cathédrale de Lomé, 1ère église catholique de Lomé, a été construite entre 1901 et 1902 et consacrée le 02 septembre 1902 ;
  6. Le titre d’Archevêque de Lomé a été créé officiellement en 1955 ;
  7. L’Ecole Nationale d’Administration (ENA) en face de la Grande Poste abritait les locaux du Lycée Bonnecarrère construit entre 1927-1928 ;
  8. L’électrification des principales rues de Lomé commença dès 1927 ;
  9. Le quartier Amoutivé était surnommé le « petit Bè » ;
  10. L’actuelle avenue du 24 janvier avait pour dénomination « Sanguera Strasse ».

 


La  classe wifi « Yangzhilong »

Je les voyais, courant 2013, adossés au mur de cette maison située dans le quartier Bè-Château (au sud de Lomé), les yeux rivés sur leurs téléphones intelligents, leurs iPad qu’ils tenaient en main, et sur leurs ordinateurs portables posés sur leurs genoux ou sur leurs motos. Silencieux parfois, bavards aussi, ils pouvaient s’esclaffer et créer un vacarme pas possible. Même à des heures tardives. Eux, c’était les « élèves » de ce que j’appelle la « classe wifi » dite « Yangzhilong » du nom du propriétaire chinois du réseau wifi dont la classe se servait. Avant de vous dire comment nous nous sommes rencontrés, cette classe wifi et moi, je trouve important de vous donner ma définition d’une classe wifi.

Une « classe wifi », qu’est-ce que c’est ?

Une classe wifi est un rassemblement ou un regroupement spontané, régulier ou continu, de jeunes (filles comme garçons) qui squattent, utilisent ou se connectent à un wifi auquel a priori ils ne sont pas censés avoir accès. Il s’agit parfois de wifi souvent codés de particuliers, comme dans mon cas, de sociétés, d’entreprises, d’institutions, de grands hôtels, etc. Il suffit que l’un des élèves ait le code d’accès par une connaissance. Le code devient du coup un secret de polichinelle et se répand comme une traînée de poudre. La durée de vie d’une classe wifi peut être courte, moyenne ou longue. Si le nombre d’Internet addicts qui se connectent au wifi croît de façon exponentielle, s’ils deviennent trop encombrants, trop bruyants et trop gourmands en étant connectés même au-delà de minuit autour des maisons, derrière ou devant les hôtels, les entreprises et grandes institutions, le code d’accès est changé et la classe wifi se disloque d’elle-même.

Ma première connexion au wifi « Yangzhilong »

Passé plusieurs fois devant cette classe wifi sans avoir eu le courage et la volonté d’approcher un des élèves en vue d’avoir le code d’accès, parce ce que me disant que je pouvais me passer d’une connexion wifi à l’air libre, debout, assis sur une brique ou accroupi, que je pouvais souscrire aux différents forfaits internet très coûteux de l’opérateur national de téléphonie tranquille à la maison et que je n’avais nullement besoin de squatter un wifi, j’étais condescendant et un brin paternaliste voire moqueur envers cette classe.

Mais un soir, rentrant d’une réunion d’église, et passant encore devant eux et parce que je devais mettre à jour certaines applications sur mon téléphone-étant donc dans le besoin-, je pris mon courage à deux mains et me dirigeai vers un jeune homme du groupe. Adossé au mur de la maison d’où venait le wifi, je lui demandai gentiment, après avoir activé le wifi sur mon téléphone, s’il pouvait me donner le code d’accès du wifi Yangzhilong que mon smartphone venait de détecter. Il répondit favorablement à ma demande. Je devais taper Yangzhilong en lettres capitales.

Pendant ce temps, les autres élèves de la classe surfaient allègrement. Aucun d’eux, je crois, ne fit attention à moi. Je restai connecté, si ma mémoire est bonne, pendant plus de 2 heures avec des allers-retours entre ma boîte mail, whatsapp et mon application d’informations sportives préférée. Je rentrai ce jour chez moi au-delà de 22 heures.
Les jours qui suivirent, je faisais partie des tous premiers qui venaient en classe. Dès que je rentrais du boulot, je répondais présent dans la classe Yangzhilong. Tel un virus qu’on m’avait inoculé, j’en étais devenu accroc. Ma contamination a été plus que rapide. Car économiquement, cela m’arrangeait! Plus de forfaits internet qui coûtent les yeux de la tête et la peau des fesses ! J’étais connecté au wifi du boulot toute la journée et le soir au wifi Yangzhilong. Je ne pouvais pas espérer mieux !

Ma régularité me fit faire plusieurs connaissances dans le groupe. Je m’étais habitué à certains. On pouvait causer de tout et de rien, se partager des applis, des chansons et parler de nos petites conquêtes, les filles que l’on draguait sur Whatsapp et Facebook. La majorité de la classe était masculine. Les filles se faisaient rares. Certains membres de la classe qui se connaissaient assez, organisaient de petites fêtes ou des sorties. Les blagues et les petites piques fusaient.

« One people, One Gbadja »

A ceux qui venaient dans la classe à la fois avec leur smartphone et leur ordinateur portable, on répétait « one people, one gbadja » en référence au slogan « one people, one beer » d’une célèbre marque de bière africaine. Chacun devrait venir avec un seul appareil. De préférence, un téléphone intelligent. Un ordinateur portable pouvait ralentir la connexion. Venir avec deux, voire trois appareils pouvait être considéré comme un crime de lèse-majesté par les membres de la classe. « Gbadja » qu’on peut traduire littéralement en langue mina ou éwé par « large » est le nom un peu péjoratif et souvent railleur que l’on a donné aux smartphones dès leur apparition au Togo par comparaison aux anciens téléphones portables plus petits pour la plupart. On trouvait ou on continue de trouver les smartphones trop larges et trop grands quant à leurs dimensions et épaisseurs. Dans la classe, on priait ceux qui avaient plusieurs appareils en main de rentrer tôt afin de fluidifier la connexion. Lorsque les élèves devenaient trop nombreux comme certaines soirées, on leur demandait sur un ton sarcastique s’ils ne pouvaient pas rester à la maison et souscrire aux forfaits des compagnies de téléphonie mobile. Pourquoi êtes-vous si radins ? Ne pouvez-vous pas nous laisser profiter du wifi comme cela se doit et profiter d’une connexion rapide ? Telles étaient les principales interrogations qu’on leur adressait. Au fil des jours et des semaines, je me rendis compte que ne pouvait intégrer la classe wifi Yangzhilong qui veut.

La classe n’était pas facile d’accès

Aucun critère n’était défini. Mais quand tu n’es pas une connaissance d’un des membres de la classe, que ta tête ne plaisait pas, qu’on juge que tu n’es pas assez courtois quand tu formules le vœu d’avoir le code d’accès du wifi, qu’on sente que ton intégration élargirait encore le groupe et par ricochet ralentirait la connexion, on te répondra qu’on ignore le code parce que la personne qui l’a donné n’a pas voulu qu’on le sache et a pris le téléphone pour le taper directement sans qu’on ne le voie et qu’on était navré de ne pouvoir répondre favorablement à ta demande. Il était aussi interdit aux nouveaux membres de la classe d’emmener leurs amis les jours qui suivent leur intégration ou de donner le code d’accès à tout va. Ils pouvaient subir de gentilles menaces.

Ce fut une belle expérience

De façon générale, tout se passait dans une ambiance conviviale. Les railleries, les petites piques, le partage d’applications, d’expériences dans l’utilisation des smartphones, les surnoms faisaient partie du quotidien de la classe wifi Yangzhilong. J’étais par exemple surnommé l’homme au Lacoste parce que j’avais l’habitude de porter des polos. Malgré mon insistance, je ne sus jamais comment les premiers membres de la classe, les pionniers si je peux m’exprimer ainsi, avaient réussi à connaître le code d’accès du wifi de ce propriétaire chinois qui alimenta la connexion de la classe. Yangzhilong était comme notre Partenaire technique et financier (Ptf).

Un Ptf qui pendant les deux mois environ qu’a duré cette classe wifi était absent et ignorait tout de comment nous avions bien exploité son wifi. Un soir, je me rendis encore une fois dans la zone de couverture du wifi et m’apprêtant à m’adosser au mur, un des membres du groupe qui était à une centaine de mètres me héla et me fit signe de venir. C’est là qu’il m’apprit que le code d’accès de  Yangzhilong avait été changé. Rentré de son voyage, Yangzhilong fit une visite inopinée aux membres de la classe un soir où je fis l’école buissonnière. Ils s’étaient expliqués et Yangzhilong leur avait fait comprendre qu’ils ne pouvaient plus squatter son wifi sous son mur, qu’ils faisaient trop de bruit, surtout à des heures tardives et que cela gênait la quiétude du voisinage qui s’en était d’ailleurs plaint. Yangzhilong avait donc signé l’arrêt de la classe wifi. Je rebroussai chemin et rentrai bredouille à la maison.

Ce fut pourtant une belle expérience. Humainement parlant, je fis beaucoup de nouvelles connaissances. J’ai appris aussi de bonnes blagues et mon sens de l’humour s’est vraiment aiguisé.

Les classes wifi sont un phénomène qui prend de l’ampleur depuis quelques années à Lomé (Togo) où vous verrez des groupes entiers de jeunes autour de sièges de grandes entreprises, dans le quartier administratif, devant les hôtels et j’en passe ! Les forfaits internet des différents prestataires de services surtout du mobile jugés trop onéreux expliqueraient-ils ce fait ? Je ne saurai le dire !

Depuis, je n’ai plus intégré d’autres classes wifi. Je ne dirai pas que je reste fidèle à Yangzhilong comme une femme qui refuse de se remarier après le décès de son mari. Disons que mon attitude paternaliste et moqueuse a refait surface. Je me dis désormais que je peux m’en passer, que le wifi du boulot me suffirait et que rester dehors à des heures assez tardives n’est pas bon pour ma sécurité. Je peux toujours me farcir le forfait internet de l’opérateur national de téléphonie mobile.


SOTRAL en mode « latrine publique »

La scène se passe dans un bus SOTRAL (Société des Transports de Lomé) de la Ligne 12, qui va de la BIA située au grand marché de Lomé jusqu’à l’entreprise de l’Union au quartier Avédji.
Ce lundi 25 avril 2016, je suis parti un peu tard du boulot, vers 18h30. Je me suis résolu à prendre un taxi. Arrivé à la place des martyrs dans le quartier administratif, pas très loin du ministère du commerce et de la promotion du secteur privé où se trouve un arrêt SOTRAL et où je peux prendre un taxi, j’ai vu un collègue, lui aussi habitué du bus SOTRAL. Il m’a fait comprendre qu’entre 18h30 et 19h00, le dernier tour passait et que c’était possible de prendre le bus. Je me suis donc ravisé et j’ai attendu avec lui. Il n’avait pas tort. On a effectivement pris le bus.

Une fois entrés dans le bus et ayant payés nos tickets, mon nez m’alerta aussitôt qu’il détectait une fragrance étrange dans le bus. Au fur et à mesure que j’avançai vers le fond du bus, l’odeur prenait de l’ampleur. Des passagers rouspétaient, protestaient et grognaient. Ils morigénaient en fait une jeune maman. « L’enfant n’a même pas porté de caleçon«  déplora une passagère. « Même pas de couche«  ajouta une autre sur un ton colérique. Les critiques, les insultes, les commentaires et les remarques fusaient. C’est là que je compris que le bébé ou l’enfant (entre 1 et 3 ans) de la maman en question avait déféqué ou pour faire plus court, avait ‘fait caca’, et, par la même, l’origine de cette odeur bizarre qui m’interpella dès mon entrée dans le bus. Déjà que les odeurs corporelles fermentées étaient légion dans le bus, cette soirée de lundi était une aubaine pour les amateurs, s’il y en a, d’odeurs fétides. Tout avait l’air d’un cocktail explosif d’odeurs répugnantes. Nos nez allaient souffrir le martyr.
Revenons donc à la jeune maman, source de toutes les attentions dans le bus. Dans sa bulle, elle ne daignait même pas s’excuser auprès des passagers. Pour elle, il n’y avait rien d’anormal. L’odeur du caca de son enfant ne devrait poser aucun problème. Enfermée donc dans une logique de méthode Coué, elle répliquait de plus belle aux remarques et injures des passagers surtout des femmes plus âgées qu’elle, qui essayaient de la conseiller tant bien que mal. « Que chacun s’occupe de ses oignons ! » semblait-elle dire. Que son enfant ait fait caca, qu’il n’ait pas porté de caleçon, qu’elle ne prenne pas bien soin de sa petite fille, qu’elle l’ait laissée dans la bassine avec laquelle elle a pris le bus après son caca comme si elle s’en débarrassait n’engageait qu’elle, et personne d’autre ne devrait s’en plaindre. Elle ne mit pas longtemps à provoquer un véritable tollé dans le véhicule. Une levée de boucliers s’ensuivit. Au fur et à mesure que le bus avançait et que d’autres passagers le ralliaient, l’odeur du caca prenait de l’ampleur et les contestataires devenaient de plus en plus nombreux. Le bus se transforma en un tribunal où la jeune maman, seule, était sur le banc des accusés, face aux autres passagers qui représentaient la société.
Elle était un peu l’incarnation de tout ce que la morale sociale réprouve. Dans le déni total, elle tenait mordicus. À la voir de plus près, elle ne paraissait pas si jeune que cela. Je lui aurais donné volontiers entre 30 et 40 ans. Peut-être moins. Elle avait la coupe afro, portait un t-shirt blanc et avait noué un pagne autour de ses reins. Elle se défendait, argumentait comme pas possible. Les mamans plus âgées et les vieilles femmes lui disaient de la fermer car « elle avait tort ! », arguaient-elles. Les hommes âgés aussi abondaient dans le même sens. Le comble fut atteint lorsqu’elle menaça son enfant de punition pour lui avoir causé tout ce qui était en train de se passer. Les passagers la mirent en garde de ne jamais lever la main sur son enfant ni dans le bus ni en dehors. Elle voulut même lever la main sur un vieux monsieur qui ne la supportait guère et ne le cachait pas en lui faisant des remarques désobligeantes : « ton mari doit vraiment souffrir à la maison », « il doit être lassé de toi », « plus jeune, je ne t’aurais jamais fait la cour », « ton mari n’a rien trouvé de meilleur que toi ? », « tu ne prends pas bien soin de toi, de ton enfant, encore moins », « quelle éducation peux-tu donner à ton enfant ? », « t’as-t-on forcé à enfanter ? », etc. Telle était la kyrielle de remarques, de questions et de commentaires aussi acerbes les uns que les autres à son endroit. Elle provoqua l’ire de certains passagers qui voulaient, l’odeur du caca devenant insupportable, qu’on la sorte carrément du bus. Le contrôleur qui, maintes fois, avait essayé de la ramener à la raison, faillit céder à leur demande. Ce furent d’autres passagers, pour la plupart des femmes, qui vinrent à sa rescousse en plaidant la cause de son enfant. « Ce ne serait pas bien de la faire descendre avec l’enfant ! » avançaient-elles. Elles suppliaient les autres de patienter car elle descendrait bientôt.
Elle descendit effectivement à Bè-Klikanmé, emportant avec elle son bébé, l’odeur ô combien nauséabonde du « caca », toute la frustration, la colère, l’indignation et l’amertume qu’elle avait pu provoquer chez les passagers et toute l’outrecuidance, l’opiniâtreté et l’impolitesse dont elle avait fait montre durant le trajet. Cependant, sa descente ne mit pas non plus un terme aux différents débats qu’elle avait pu susciter.
Je me suis finalement dit qu’elle avait simplement permis aux passagers, après la dure journée qu’ils avaient sûrement passé, de se défouler sur elle et de libérer toute leur frustration. Au final, tout le monde en a eu pour son grade !