Eliphen Jean

Un regard sur l’anarchie haïtienne

moun.com
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J’entends souvent dire qu’Haïti est en proie à l’anarchie, en ce sens, sans doute, qu’elle s’y expose. C’est faux. Il faut plutôt dire qu’Haïti est anarchique, ou bordélique, si l’on veut. Et, c’est cette anarchie qui déchaîne toujours les masses populaires. A mon avis, l’anarchie haïtienne est l’expression de l’insatisfaction du peuple dont les conditions de vie, déjà déshumanisantes, empirent considérablement. Elle est alors caractérisée par une rébellion morale ou même violente contre les injustices sociales, les abus de pouvoir, et par un déséquilibre redoutable de la société. Ce déséquilibre est, pour moi, un corollaire obligé des désagrégations continues des appareils d’Etat.

Par ailleurs, je comprends l’anarchie haïtienne comme la désarticulation de l’armature morale qui se manifeste par le non-respect du droit. Le droit est, ici, considéré comme une hiérarchie de normes édictées par les autorités politiques légitimes, en vue d’organiser les rapports sociaux. Paradoxalement, il arrive que ce non-respect ou cette non-application du droit soit le propre de l’Etat, ce monstre énorme, terrible et débile. Alors que le pays devrait être considéré comme l’apanage de tous, il est plutôt le monopole de l’Etat qui l’expose comme une viande en état de putréfaction avancée, dont il faut se débarrasser en toute urgence, aux yeux de l’international. C’est comme l’a montré le sociologue haïtien, Jean- Jacques Cadet, la société haïtienne s’inscrit dans la nouvelle dynamique internationale caractérisée par la marchandisation systématique. Haïti baigne alors dans une marchandisation sordide. Qui pis est, pour flatter l’œil des acheteurs, on dissimule les bons produits (le dessus du panier) sous les produits médiocres (le fond du panier). Je veux dire que les valeurs du pays sont toutes reléguées et maintenues à l’arrière-plan sur la scène politique internationale. C’est la meilleure façon, pour les grands ténors de la politique, d’attirer les investisseurs internationaux.

Un autre aspect de l’anarchie anarchie haïtienne est lié à une crise, dite crise de représentation. De là, se pose la question à savoir si le pays a les dirigeants qu’il faut à la place qu’il faut. Pour certains, notre président actuel ferait mieux d’exercer son talent de chanteur dépravé, comme ils savent le qualifier, où il montre son cul à ses fans. Pour d’autres, nos parlementaires, pour la plupart, devraient plutôt se promener devant la scène politique comme des lèche-vitrines désargentés, au lieu d’être acteurs politiques. Souvent conscient de la misère du peuple et de ses frustrations, notre président machiavélique invoque de temps à autre des prétextes cousus de fil blanc à triple portée : encourager l’espoir, accuser les opposants et incriminer cette misère qui ne date pas d’hier. Quatre ans déjà au pouvoir, cette attitude de propagandiste donne l’impression que l’élection présidentielle n’a pas encore lieu. Sur ce, souffrez que je le dise, notre pays, Haïti, est voué sans appel à la platitude.

Dans le droit fil de politique haïtienne, il appert que l’Etat est velléitaire. Velléitaire, car il ne se décide pas à agir. Plus la misère empire, plus les crises perdurent, plus le pays dépend de l’assistanat international. Ce qui favorise l’enrichissement personnel des autorités politiques. On voit, en effet, à quel point la société haïtienne se débat désespérément dans une anarchie affreuse qui déchire le pays depuis longtemps, au gré des passions politiques. Les masses populaires stagnent dans un dénuement moral profond. La jeunesse s’y trouve, elle aussi, encroûtée. Les jeunes de 20 à 25 ans, dans le bas peuple, se demandent, pour la plupart, pourquoi leur durée de vie est aussi longue. Le fléau de la misère chronique n’est pas un rêve qui va passer. Il sévit. Dès lors, dans le caraïbe, Haïti devient presque la vitrine du chaos et de l’anarchie.

Toutefois, la vie sociale qui se délite sous le poids de l’anarchie, redeviendra, selon moi, possible moyennant un lien fort entre l’action individuelle et l’ordre social. En outre, il faut des actions citoyennes progressistes. C’est-à-dire, des actions visant au progrès politique, social, économique, et qui tendent à la modification de la société vers un idéal d’une nouvelle société. Notre histoire a besoin d’être marquée par une nouvelle ère : une ère progressiste. Aussi, faut-il, à cet effet, une volonté collective déterminée et une prise de conscience collective qui soit, pour paraphraser Durkheim, un partage de ces croyances et de ces sentiments communs à la moyenne des membres de notre société. Dès lors, il est nécessaire que la société soit libérée du poids de cette tradition de crises, si de sa structure doit dépendre l’idéal des uns et des autres.

Éliphen


Mondoblog, notre fil d’Ariane

elphjn01.mondoblog.org
elphjn01.mondoblog.org

La fracture numérique est moins béante aujourd’hui. La liberté d’expression n’est point sous les barreaux. Mondoblog peut en être fier. Fier d’être ce lacis de soie, ce réseau d’araignées qui filent, ourdissent, et tissent leur toile. Des araignées subtiles, mais d’une cruelle sagacité, pour la plupart. Elles capturent l’insaisissable. Elles piègent le temps qui se croit fugitif et indocile. Rien n’échappe à leurs sens. Le quotidien dans ses complexités, est une de leurs proies volantes bernées par les contre-jours du temps.

Par ailleurs, Mondoblog se constitue un véritable point de ralliement. Il rallie les blogueurs ou araignées d’ici et d’ailleurs autour d’un même but : écrire pour interpeller les consciences et transformer le monde. Chaque billet a ses résonances. Et, qui que l’on soit, on doit être nombreux à y trouver un pan de son vécu personnel. Car, ceux qui écrivent se veulent, pour la plus part, antidotes du quotidien lassant. Car, pour écrire, certains, comme moi, ne choisissent pas. Ils prennent tout. Ils s’étonnent de tout. Ils glanent. Ils grappillent un peu partout. Insatiable curiosité. Inlassables explorateurs de l’insondable monde numérique. Voilà ce que je réalise, en y étant, moi aussi, un fidèle lecteur de billets.

En gros, voilà ce que je veux dire. Mondoblog est, pour moi, cette pelote de fil qu’Ariane remet à ces araignées pour ne pas s’égarer tous ensemble dans le labyrinthe de ce monde en ruine. Ce monde où se débat l’humanité souffrante. Ce monde en proie aux atrocités assassines. C’est donc, je le vois ainsi, notre fil d’Ariane à nous, désormais : Mondoblog. Un phare qui signale les parages dangereux du silence…

Toutefois, si libre d’écrire qu’on puisse être, on risque de se trouver sur le fil du rasoir comme un noyé au fil de l’eau, si on ne ménage pas cette liberté. Car, dès lors qu’on blogue, on tend à exercer son talent de journalisme. On dévoile. On dénonce. On critique. On satirise. On analyse. Dans ce cas, le but du blogueur, pour moi, n’est ni de déplaire ni de complaire. Il consiste avant tout dans la mise à nu de la réalité, bien qu’à sa façon. C’est pourquoi il doit adopter l’attitude du journaliste qui remue sa plume dans la plaie, sans ignorer le sort qui l’attend.

Nonobstant une conscience professionnelle, un blogueur risque de se faire « charlicider » (c’est-à-dire se faire tuer innocemment comme Charlie), s’il se complaît à dire des vérités toutes crues. On connaît bien le salaire de la vérité. Mais, vaut mieux mourir en avouant de telles vérités que de mourir sans les avouer. Leur aveu pourrait faire plus de bien que de mal. Alors, ne taisons pas la vérité. Ne la gardons pas au fond du puits. Notre langue n’appartient pas aux chiens.

Éliphen Jean


Dans mon pays, les immondices servent d’adresses

Incroyable, mais vrai. En Haïti les ordures permettent d’identifier l’emplacement d’un domicile, d’un établissement ou  servent d’indicateurs. Bizarrement, on s’en sert. Imaginez-vous, un bon matin ou un bel après-midi, dans les rues de la capitale ou de la deuxième ville du pays, Cap-Haïtien. Vous devez rencontrer quelqu’un. Vous êtes comme perdu en chemin. Alors, vous téléphonez à ce quelqu’un pour savoir où il est. Vous savez ce qu’il répondra ? Vous n’en croirez pas vos oreilles.

– Veuillez m’attendre à la rue 11 J, vous trouverez un tas d’immondices tout près. Quant à moi, j’traverse à peine la rue 17 I, j’vais prendre le Collège Modèle. J’ai déjà passé l’amas d’ordures. Donc, vous pouvez voir que j’suis pas loin d’arriver…

C’est ainsi que répondra votre quelqu’un. E, voilà que vous endurez pendant environ 45 minutes d’attente, la pestilence qui se dégage du tas d’immondices près duquel vous êtes… Ne vous étonnez pas trop si quelqu’un d’autre vous donne rendez-vous en vous disant, sans aucune gêne, qu’il habite devant l’amas d’ordures le plus élevé, ou plutôt derrière cet amas.

Les immondices constituent, en effet, un véritable mal nécessaire, pour certains. Par ailleurs, lorsqu’elles sont empilées ou pile sur pile, elles sont comparables à des gratte-ciels. Les rues de mon pays, de ma ville plus particulièrement, regorgent, pour la plupart, d’ordures. Cependant, on ne cesse d’entendre un peu partout le slogan « Lari a se salon pèp la (les rues représentent le salon du peuple)». En outre, on ne peut parler de scènes de la rue sans évoquer les tas d’immondices qui représentent, eux aussi, chez nous, un symbole vivant et significatif de la vie urbaine. On en trouve à tous les coins de rue. La ville de Cap-Haïtien, jadis Cap-Français, devrait aujourd’hui s’appeler Cap-Ordures. La mer comme attrait touristique devient un dépotoir, ce qui révèle une défaillance grave du service de ramassage et de collecte d’ordures.

20minutes.fr
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Ce phénomène ne date pas d’hier, mais, si je ne me trompe, après le régime de Duvalier. Les bennes à ordures du service métropolitain de collecte des résidus solides ne font que tourner en rond. En un clin d’œil, un coin de rue fraîchement nettoyé se retrouve bourré de détritus. La question de ramassage reste un véritable casse-tête, malgré les campagnes d’assainissement. C’est en effet un problème de mentalité. La mentalité de la population est dite primitive. Primitive parce que la population ignore les formes sociales des sociétés dites évoluées. Par ailleurs, on se demande si ce phénomène n’est pas lié à l’exode rural, c’est-à-dire à la déruralisation ou au dépeuplement des campagnes au profit des villes.

Éliphen Jean


J’en appelle à l’honnêteté

Web
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La terre n’est pas seulement peuplée de méchants, mais aussi de bons. Il y a des gens dont le cœur est creux et plein d’ordure, il y en a dont le cœur se répugne aux souillures de la vie et surabonde en humanité. Ce cœur est d’une intransigeance puritaine, pour répéter après Romain Rolland, cet écrivain français du 19è siècle. Ce cœur pleure l’humanité souffrante, et semble saigner à chaque battement. Les gens d’un tel cœur luttent, sans compter sur un gouvernement, contre les plus terribles calamités qui fondent sur leur pays : la famine, les épidémies… Ils prennent des mesures contre les fléaux sociaux : l’alcoolisme, la drogue… Alors, ils participent. Ils posent leur petite pierre, ce qui montre leur ambition d’avoir un jour un rocher. Ils se reconnaissent chacun un maillon de cette chaîne qui est le monde. Un maillon ténu, mais infrangible. Ils se sentent tout simplement interpellés, car le monde c’est aussi leur affaire. Ils agissent, car l’action humaine, pour eux comme pour Teilhard de Chardin, est la moelle épinière du monde. Ce sont donc des acteurs sociaux qui comprennent que la société est l’union des hommes, comme écrivait Montesquieu. En effet, ils sont, ces gens-là, foncièrement charitables. Leur charité ne s’enfle pas d’orgueil, et ne cherche pas son intérêt. Ces gens-là font non seulement, pour la plupart, des dons ou des générosités dans des communautés défavorisées, mais la misère dans leur pays éveille en eux, avant tout, des résonances profondes. Être charitable, selon Henry Grouès Pierre dit l’abbé, ce n’est pas seulement donner, c’est avoir été, être blessé de la blessure des autres. Cet homme savait mener son combat contre l’exclusion sociale et la pauvreté, ce qui a fait de lui une figure emblématique de la vie politique et sociale française.

Haïti, quant à elle, ne saurait être peuplée seulement de méchants. Mais, où sont passés les bons ? Ils sont au nombre de combien ? Sont-ils sourds ou aveugles ? Haïti a besoin d’espérer. Haïti veut retrouver sa tête altière de jadis, comme le cygne élevant son cou gracieux par-dessus le marécage. Elle rampe trop longtemps de son ossature… Les inquiétudes rampent graduellement au fond de la jeunesse.

J’interpelle davantage ici la conscience de tous. La mienne est aussi interpellée. J’exhorte les bons et les méchants. J’exhorte les responsables politiques, les militants, les autorités religieuses, à se pencher sur cette jeunesse consciente qui a soif de réussite, mais qui a soif aussi d’espérer… Ce peuple qui aspire à vivre normalement comme un peuple humain. Nous entendons tous les cris aigus et déchirants, tantôt étouffés, tantôt inarticulés, de nos frères et sœurs haïtiens… Tout le pays en résonne. Ces cris viennent de la matrice éventrée de cette femme en mal d’enfant qu’est Haïti. Cris de fureur, de colère, de douleur, de désespoir. Cris de rage.

Je demande aux hommes politiques de réfléchir même un peu sur le sort qui s’acharne sur ce peuple qui est nôtre. J’en appelle à l’honnêteté des uns et des autres. La jeunesse haïtienne est trop longtemps sacrifiée à l’autel de l’injustice et du désespoir. Elle est trop longtemps brûlée au bûcher de l’orgueil, de l’égoïsme, de la vanité, de l’enrichissement personnel. Réfléchissez, et dites-vous si cela en vaut la peine que vous fassiez de la politique. La politique, ne consiste-elle pas à placer l’intérêt général au-dessus des ambitions personnelles ? Ne serait-ce pas beau de dire un jour : regardez comme notre pays rayonne et prospère ?

Chers compatriotes, j’ignore combien de vous liront ces mots, mais je vous rappelle la légende de notre pays : l’union fait la force. Quand est-ce que cette légende deviendra-elle une réalité ? Haïti, soyons persuadés, serait plus forte si elle était unie. Une Haïti unie n’est pas une Haïti sans frontières intérieures, mais une Haïti aimée, adorée.

J’en appelle à l’honnêteté. J’en appelle à votre cœur. Honnêteté de part et d’autre. Vous qui avez le pouvoir, vous qui êtes riches, je vous supplie de faire quelque chose pour changer le quotidien des nôtres. Haïti est notre affaire. J’interpelle la conscience des autorités religieuses notamment protestantes. La quête qui se fait quotidiennement dans les temples que vous dirigez peut se faire aussi au profit de votre communauté. Construisez des entreprises, vos fidèles ont, pour la plupart, besoin d’emploi. A quoi bon d’évangéliser, de faire croire aux fidèles qu’ils ne manqueront de rien comme il est dit dans le psaume 23, alors que des enfants de vos temples ne peuvent pas aller à l’école ? En vaut-il la peine, alors que vos fidèles viennent à l’église affamés ? Il est temps de voir plus loin, il est temps de penser pour demain.

Voyons Haïti comme un corps dont nous sommes chacun un membre, et portons assistance aux membres malades en vue de maintenir ce corps bien portant. Haïti est souffrante.

Éliphen Jean


Il y a des vautours en Haïti

matierevolution.fr
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Rien n’est plus immuable que la nullité. Et, la civilisation haïtienne est, pour moi, d’une nullité lamentable. Alors qu’elle devrait avoir fondamentalement pour but le progrès de l’Être haïtien, et résoudre les problèmes qui se posent aux uns et autres, elle se désarticule au gré des hommes politiques… Nous assistons toujours à contrecœur au retour cyclique des crises systémiques et corollaires obligés. C’est-à-dire que ces crises se renouvellent dans un ordre immuable où les partis politiques, au détriment de la masse populaire, s’escriment à régner sans discontinuité. Nous assistons donc à une prolifération de vautours dans la faune politique. Des vautours prolifèrent, car Haïti leur est une charogne vivante. Les citoyens de petites organisations dites communautaires sont pour la plupart des nécrophores, ce sont de petits rongeurs : ils écrivent des projets, abusivement appelés projets de développement ou communautaires, ils reçoivent des subventions à cet effet, et les projets ne se réalisent pas. Ils exploitent tous alors impitoyablement des malheurs des uns et des autres.

Ces situations où Haïti est au ban des nations, ne font que perpétuer la misère. Tout un peuple s’étouffe sous le joug de la nécessité. Les locomotives électorales et notamment parlementaires, je parle ici des leaders politiques, engagent des luttes antigouvernementales sans fondements et sans effets positifs. Ces luttes sont alors platoniques, puisqu’elles n’aboutissent pas, pour moi d’ailleurs, à des conclusions dans le domaine de l’action politique positive. Or, sous l’enveloppe changeante de ces situations, nous devrions tous penser à sonner le glas de la misère, des impérialismes économique et culturel, et de cette colonisation caractérisée par la destruction des valeurs originales par des valeurs étrangères, pour paraphraser Léopold Sédar Senghor.

Au-delà des phénomènes sociopolitiques, je veux poser le problème sociologique lié à l’articulation civilisation-culture-société, une trilogie qui doit servir de base à la construction ou au renouvellement d’une nouvelle société haïtienne. La civilisation, comme ensemble de phénomènes sociaux et de caractères communs à une société, ne doit pas être quelque chose d’imposé à une majorité récalcitrante par une minorité ayant compris comment s’approprier les moyens de puissance et de coercition, comme le voit d’ailleurs Sigmund Freud. Mais, plutôt, comme une passerelle du problème des cavernes de l’homme à celui de l’homme des cavernes, jusqu’à l’éboulement des cavernes. C’est-à-dire un peu le contraire de ce à quoi Edgar Morin1 assimilerait la civilisation. Tout ce qui menaçait l’homme du dehors, les grands périls, les ténèbres nocturnes, la faim, la soif, les fantômes, les génies, les démons, tout ce qui le maintenait dans une insécurité fondamentale, ne doit pas passer à l’intérieur et menacer du dedans. Ce doit être là, un objectif de la civilisation, un objectif de notre civilisation.

Par ailleurs, je me demande si la civilisation, comme l’a montré François Mitterrand, ne doit pas commencer avec l’identité, ou si l’identité n’en est pas plutôt une composante. Dès lors que la civilisation peut consister à faire passer à un état social plus évolué (dans l’ordre moral, intellectuel, artistique, technique) ou considéré comme tel, elle s’inscrit, à mon avis, dans une démarche de socialisation. Cette démarche doit se réaliser au fil d’une succession d’intériorisations et initier chez les acteurs sociaux toute une inversion de valeurs. Au gré de cette démarche ou ce procès de socialisation, se consolident les fondements culturels de la société. Parler de tels fondements, c’est parler de l’identité, car ils déterminent le mode de vie légitimé de la société qui s’appelle, selon Platon, culture. Ces fondements, j’ajoute, n’étant pas une forteresse inexpugnable, requièrent le respect mesuré des normes.

Certainement, vous vous posez cette question à savoir pourquoi notre civilisation est d’une telle nullité. La réponse est bizarrement simple. La civilisation haïtienne est nulle, car, telle qu’elle est façonnée depuis deux siècles déjà, s’avère incapable de corriger l’éventail des phénomènes sociaux qui la constituent. Et, je ne trouve pas encore d’épithète juste pour la peindre. Elle est anomique ou peu orthodoxe. C’est cette anomie qui détermine l’écroulement ou l’affaiblissement de notre civilisation, et qui conditionne les mauvaises actions populaires. Une action populaire est, chez nous, une suite d’actes désespérés qui permet de gagner l’espoir, et engagée généralement par le peuple. De là, je me demande si la démocratie suicidaire que nous avons en Haïti ne contribue pas à cet affaiblissement. Chacun vit comme bon lui semble. Les opposants et les gouvernants s’acharnent sans arrêt. La politique est meurtrière. Les hommes élus par le peuple veulent régner à vie, ce qui me donne lieu de parler ironiquement d’une dictature démocratique. Ici, j’invite à considérer la dictature comme la forme la plus complète de la jalousie, car le pouvoir est, pour moi, une mine d’or inépuisable. C’est pourquoi les grands ténors de la politique, les gouvernants notamment, deviennent aussi des virtuoses de l’oppression. Or, Haïti est un pays dit démocratique…Voilà une situation qui permet de comprendre notre démocratie comme un paravent à travestir cette dictature où le pays devient propriété, et le peuple objet. Mais, comme disait Georges Duhamel, chaque civilisation a les ordures qu’elle mérite. Et, notre civilisation se vide tellement de sa substance qu’il n’en reste même plus l’écorce.

Dans le désordre actuel du pays, outre la nécessité d’une politique de civilisation et de socialisation des transitions, le premier devoir des responsables politiques est de resserrer le tissu des relations sociales. A cet effet, il est vital d’engager plutôt des conflits positifs, susceptibles de faire bouger le pays. Il est temps de sortir le pays du lacis inextricable des crises pour le mettre enfin sur les rails. Ce n’est pas la tâche du président, mais celle de tous. C’est aussi la tâche des opposants qui investissent beaucoup d’argent contre les gouvernants en réalisant des manifestations délirantes, au lieu de construire des projets durables. Mais, ils sont aussi des rapaces, des jaloux du pouvoir tout simplement. A l’heure qu’il est, nous devons ensemble ressaisir notre civilisation, si nous en avons une, ou notre société en la basant sur le culte des valeurs, de la patrie, de la justice, du passé, mais surtout sur le culte de l’union. Haïti réclame le contraire de cette politique politicienne, c’est-à-dire qu’elle veut plutôt une politique progressiste, clairvoyante et généreuse.

Éliphen Jean

1.- « Avec la civilisation, on passe du problème de l’homme des cavernes au problème des cavernes de l’homme. Tout ce qui menaçait l’homme du dehors, les grands périls, les ténè¬bres nocturnes, la faim, la soif, les fantômes, les génies, les démons, tout ce qui le maintenait dans une insécurité fondamentale, tout cela passe à l’intérieur et nous menace du dedans. »
Edgar Morin (1921-)


Le racisme, un regard qui classe sans appel

Le racisme, c’est un chapitre qui a fait couler beaucoup d’encre dans l’histoire des Noirs et qui est loin d’être clos. Pour comprendre ce phénomène, on doit remonter dans le passé où les grandes découvertes de la Renaissance (la navigation autour de l’Afrique, la découverte des Amériques, etc.) ont confronté les Européens à l’existence de sociétés très différentes des leurs. Ce qui souleva des questions et de grands débats : les Indiens d’Amérique, les nègres d’Afrique étaient-ils des animaux ou des hommes ?

Certainement, pour les hommes de religion, ils étaient des créatures de Dieu à convertir. Pour d’autres, ils appartenaient à des espèces humaines inférieures. Ils étaient incapables de se gouverner par eux-mêmes. Des races supérieures doivent alors les humaniser et civiliser. De là, ces nègres étaient spoliés, réduits en esclavage, voire oppressés. En outre, dès la IIIe République, les manuels d’histoire présentent quatre « races » humaines en fonction de la couleur de la peau (les Blancs, les Noirs, les Jaunes, les Rouges), sans se soucier de la moindre rationalité scientifique. Et ces mêmes manuels tentaient ainsi de légitimer la colonisation, en soutenant la « mission civilisatrice » des « races inférieures » par la « race blanche »…

Les idéologues nazis, se basant sur tous ces préjugés historiques, nationalistes, racistes et antisémites, ont hiérarchisé les races, et souligné plusieurs niveaux de « discriminations ». Le peuple allemand était dit biologiquement supérieur à ses voisins, notamment au peuple français, alors qu’au contraire les Slaves étaient considérés comme des « sous-hommes » bien qu’étant « Blancs » et Européens ; quant aux juifs, ils étaient présentés comme une race biologiquement caractérisable et comme la plus « basse » de toutes. L’antisémitisme revêt donc l’une des formes du racisme. Une forme irréductible à toute autre, car au gré de l’antisémitisme, a été commis un crime de masse le plus organisé, voulu, et le plus indélébile de toute l’histoire de l’humanité.

En effet, en ces moments très agités où les miens – je parle des Noirs d’Afrique – endurent encore des discriminations, je crois qu’il faut davantage de luttes contre le racisme au nom de l’humanité. Lutter contre les discriminations, c’est s’engager à abattre les cloisons entre les sociétés. Montaigne, dès le début du 16e siècle, affirme que chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition : toucher à un homme, c’est toucher à toute l’espèce humaine. Deux cents ans plus tard, les philosophes des Lumières jugent nécessaire d’émanciper le genre humain, car c’est à l’humanité entière que s’adresse la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. La notion de « race » ne manifeste en aucun cas une réalité, mais un fantasme. Donc, les racismes n’ont aucun fondement scientifique. Ils constituent l’expression délirante d’appétits de domination, et de la crainte d’être dominés.

Comme l’injure et la diffamation, le racisme est condamnable, puisque la parole raciste se prononce toujours au préjudice des autres, et qu’il est incompatible avec le respect mutuel. D’ailleurs, l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 souligne que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. Ces textes révèlent alors l’inspiration de Montaigne proclamant que l’injustice faite à un seul Homme est toujours faite à toute l’humanité. Il s’ensuit alors que les droits sont indivisibles, mais aussi que les hommes sont égaux puisqu’on porte chacun en soi toute l’humanité. En effet, le racisme, si l’on comprend bien, va à l’encontre des droits universellement reconnus à tous, à raison de couleur de peau, d’origine ou d’autres critères.

Par ailleurs, il faut souligner que le racisme n’est donc pas un phénomène qui peut être dompté facilement. Certes, on ne naît ni raciste ni antiraciste. On ne naît pas non plus avec cette manière de penser. Mais, on naît égoïste. Pour moi, on n’aime les autres si souvent que parce qu’on n’a besoin d’eux. L’égoïsme enseigne donc l’amour. Le racisme est tout à fait empreint d’égoïsme. Le racisme se manifeste même entre Noirs. Les Noirs de teint clair se croient, pour la plupart, meilleurs que ceux de teint foncé. Toutefois, je n’oublie pas de reconnaître que c’est un fait culturel, un virus transmissible et redoutable. Il n’y a pas de sociétés sans frontières intérieures et sans préjugés. Le racisme, comme le disait Frantz Fanon, n’est pas un tout, mais l’élément le plus visible, le plus quotidien, pour tout dire, à certains moments, le plus grossier, d’une structure donnée. Cependant, lorsqu’on associerait au racisme des phénomènes de concurrence, il paraîtrait alors le pivot de rivalités économiques et sociales. Le racisme serait ici positif s’il constituait une piste d’émulation. Mais, né de l’ignorance, de crainte, de l’absence d’éducation aussi, il se fonde sur de fausses évidences.

Lorsqu’on me pose la question à savoir si l’on peut combattre les préjugés racistes, je réponds oui. Dans la mesure où l’on reconnaît l’humanisation comme un fait de culture. Dans la mesure où aussi l’école fournit tout un savoir sur l’humanité et sur le monde réel, en vue de faire comprendre et accepter les différences entre les êtres humains. Mais, qu’en est-il de ces écoles que les parents riches ou bourgeois veulent voir inaccessibles à des pauvres en exigeant eux-mêmes une éducation plus coûteuse ? La lutte contre les discriminations, notamment racistes, suppose d’abord un engagement vigilant de tous les citoyens attachés à l’égalité et à la démocratie. Elle suppose une prise de conscience d’appartenir à un même monde.

Eliphen Jean


nostalgie

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Mes paupières baissées
descendent tristement
leur rideau
sur mes années giclées
écorchées jusqu’aux plaies du rire
et
de l’autre côté du miroir
rebondit le temps impalpable
dans sa tourmente

je cesse alors de voir le temps
giclé par des volutes de sueurs
à force d’user la trame de ma vie

je cesse aussi de voir ces peuplades
de nègres d’Afrique
qui défraient en tout temps les injures
tisser leurs vies au fil du temps
sur des toiles d’anarchie
avec l’aiguille épointée des jours…

Eliphen Jean


Haïti, ses séismes politiques et conséquences

Voir Haïti « comme un risque de séismes politiques » est une erreur. Nous savons bien ce qu’est un risque. Danger éventuel plus ou moins prévisible. Comme beaucoup de pays, Haïti ne cesse de connaître des bouleversements politiques, dits séismes en raison de leurs dévastations. Ces bouleversements sont constants et la détruisent systématiquement. Dans ce cas, à l’aune des faits, peut-on vraiment parler de risque ? Non. Mais, plutôt d’une situation qui dégénère au quotidien. Pour faire comprendre cela, il est importe de faire le point sur les différentes crises qui désolent le pays depuis longtemps. Nous n’avons pas, ici, la prétention de reconstituer le passé avec tout son éclat d’antan comme pour nous en enorgueillir, alors que le pays est en trouble constant. D’ailleurs, ce passé qui enorgueillit plus d’un est marqué par l’esclavage, le colonialisme, la dictature et l’instabilité politique. On a même l’impression que ce passé est encore présent, puisque les crises dites actuelles sont les mêmes qu’autrefois, mais plus graves. En effet, l’histoire sociale haïtienne est tissée au fil d’une situation sociopolitique de plus en plus insoutenable et désespérée. Les crises y afférentes, pour certains, sont toutes génératrices de chômage et d’instabilité, et maintiennent le pays dans la misère. Jetons ensemble un coup d’œil sur ladite situation pour comprendre qu’Haïti est depuis longtemps secouée par des séismes politiques.

Crises systémiques

Les crises du pays sont avant tout d’ordre systémique. Elles se disent systémiques puisqu’elles sont liées au système politique qui s’identifie à l’État dans son mode de contrôle d’une société globale. On parle alors de crises systémiques quand le système se désagrège, et que sa désagrégation découlant de perturbations politiques constantes se combine avec d’autres facteurs y relatifs pour miner l’organisation sociale ou ronger le tissu des relations sociales. Ces crises, dans une évolution socio-historique, donnent lieu d’accuser impitoyablement les hommes d’État de prévarication, et s’aggravent au fil des jours dans la trame des bouleversements politiques. Elles succèdent si souvent à des phases de stabilité où l’organisation sociale se rétablit, quoique pour peu de temps. Parlant de crises systémiques, je vois des crises comme celles de 1843-1848, 1867-1870, 1908-1915 et 1986 à nos jours. Mais, il n’y a pas que celles-là. Nous vivons d’ailleurs dans une civilisation de crises où le déséquilibre structurel devient, pour la plupart, chaque jour permanent. Dans cette perspective, ces périodes de perturbations politiques conduisent à une plus grande crise, dite crise du système de société où elles affectent la vie sociale dans tous les champs. En d’autres mots, on peut parler de crise systémique généralisée ou multisectorielle, caractérisée, pour moi, par les mobilisations populaires, les instabilités politiques, les conditions de vie déshumanisantes, etc.

Mobilisations populaires

Les mobilisations populaires sont des éléments forts qui, pour moi, caractérisent les crises systémiques. Cependant, elles n’aboutissent pas toujours à des résultats adéquats. Les résultats sont souvent hors de proportion avec la cause, la réparation de préjudices subis, réels ou imaginaires. C’est pourquoi on peut, dans ce cas, parler de quérulence ou de délire de revendication. On peut aussi qualifier les opposants au pouvoir, pour la plupart, de processifs. Il arrive que les revendications sociales ou mobilisations légitimes puissent opérer des changements radicaux au niveau des appareils d’État. Mais, des mobilisations populaires dans un pays comme le nôtre, où les intérêts des plus faibles sont loin d’être pris en compte seront généralement tyranniques. Tyranniques, pour la simple et claire raison que pour Marx, les appareils d’État [sont] les appareils répressifs et idéologiques organiques d’une classe, la classe dominante, comme l’a montré le philosophe français du 20e siècle Louis Althusser dans ses travaux scientifiques sur Marx. En effet, pour comprendre mieux la dynamique des crises en Haïti, il faut une lecture bien scientifique, précisément sociologique, de la réalité, au-delà même d’une lecture « idéologique » des influences et des évolutions.

L’état des conditions de vie

En ces moments très agités, il peut être constaté que l’aggravation graduelle des conditions de vie est une caractérisation des crises systémiques et d’autres y affèrent, outre les mobilisations populaires. La question de la vie chère relie toujours les grandes crises du pays. Les moments aigus de rareté, de dépréciation de la monnaie et de hausse des prix des articles de première nécessité, résultent non seulement des crises, mais favorisent aussi la bourgeoisie et l’impérialisme économique international. Ce sont des situations désastreuses qui perdurent, et ceci, depuis longtemps. Jean-Pierre Boyer a déjà fait lui-même ce constat, dans une proclamation du 20 juillet 1837, que la rareté des objets de première consommation faisant hausser leur prix, a rendu plus difficile la subsistance du peuple (…). Aujourd’hui encore, des témoignages, des articles, des textes abondent sur l’acuité de la crise socioéconomique. En effet, à l’aune des faits, on ne peut vraiment pas parler de crises contemporaines, mais plutôt de crises perdurables ou chroniques qui ont, bien sûr, jalonné notre histoire. Haïti est constamment la proie de séismes politiques.

Vu la situation sociopolitique chronique d’Haïti, je me permets de parler, en gros, de « guerre de situations sociales », une expression de l’historien Auguste Magloire, au-delà des rivalités politiques que je qualifie de rivalités d’intérêts, mesquines et même sournoises. Ce ne sont pas des rivalités à faire bouger le pays. Ce qu’il faut plutôt, c’est, d’une part, l’esprit d’émulation : s’opposer, ou même s’acharner, tout en étant animés par le désir de s’égaler ou de se surpasser en mérite, en savoir et en travail. D’autre part, la polarisation des forces ou des influences des classes en conflits en vue de même entraîner Haïti sur la voie du progrès mécanique. C’est une utopie réalisable.

Éliphen Jean


Revenir en arrière, un véritable tremplin

images-josette.blogspot.com
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On ne peut pas revenir en arrière, disent certains. Certes. Mais, on peut fouiller jusqu’au repli obscur et inexploré de sa conscience. On peut ainsi parvenir à se corriger et apprendre de ses erreurs. Apprendre pour évoluer, avec la sagesse qu’on ne peut pas refaçonner son passé.

Sortir de l’angoisse vers l’extase, tel est le but de certains. Telle est peut-être votre détermination. Quant à moi, c’est un dessein que je veux impénétrable. À cet effet, s’impose un ensemble de réactions à nos actes. C’est-à-dire que nous devons non seulement comprendre nos actes, mais aussi y répondre de façon rationnelle. Il nous faut peser nos actes à la balance de la raison. Nos réactions doivent être logiques et bien pensées, afin de superposer à nos actes une action nouvelle, positive ou plus positive.

J’interpelle, ici, une conscience qui soit un trait d’union entre notre passé et notre avenir, sans pourtant nous couper de nos racines. Car, nos racines constituent la base sur laquelle repose l’équilibre de notre vie. Cette conscience, pour qu’elle soit efficace, nécessite le concours d’un esprit élevé et fort. Quand je parle d’esprit fort, je vois un esprit auquel l’obstacle sert de tremplin pour s’élever à la raison. Cet esprit se réalise toujours avec conscience dans la réalité. En effet, quand on est conscient de ses actes, surtout de soi, et qu’on en tire une certaine leçon par la raison, il devient plus facile de déterminer son avenir et d’avoir une vie rassurante.

Si l’extase, du latin extasis, signifie « l’action d’être hors de soi », cet état doit être atteint dans un tête-à-tête avec soi-même. Sans ce tête-à-tête, la folie ferait irruption dans l’esprit, et s’obscurcirait le soubassement organique de l’instinct. Sans ce tête-à-tête, les contingences du quotidien auraient raison de nos rêves et nos ambitions. Sur ce, pour peu que nous soyons conscients, non seulement de nos actes, mais aussi de nos erreurs, nous avons la chance de faire mieux ou de prospérer. Une prise de conscience, c’est ce qu’il nous faut quand on ne peut pas revenir en arrière. C’est comme disait Paulo Coelho : « Quand on ne peut revenir en arrière, on ne doit se préoccuper que de la meilleure façon d’aller de l’avant. »

Toutefois, s’il faut revenir en arrière, c’est pour réviser nos actions, non pour rendre nos débuts flamboyants. C’est dans cette démarche révisionnelle que nous parviendrons à appendre et nous corriger de nos erreurs, en vue de nouvelles perspectives. Cette démarche, si elle est pensée et planifiée, peut nous révéler des horizons même insoupçonnés. On ne doit pas revenir en arrière par regrets, car ce que nous avons perdu est irrécupérable. Nous pouvons plutôt, si nous le voulons, démarrer à partir de maintenant pour une fin flamboyante. Ceci dit, au lieu de nous perdre en regrets, enrichissons, de préférence, notre présent d’actions positives pour que demain soit meilleur.

Éliphen Jean


Noël, chez nous

nicolebertin.blogspot.com
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Alors qu’autrefois la Noël était synonyme de réjouissances familiales et de jubilation. Elle est, de nos jours, l’occasion de tristesse collective. Ici, on sent le sapin. Ailleurs, les arbres se dépouillent de leur feuillage, et les feuilles tombent comme les années. La bourgeoisie se dit aussi pauvre que le bas peuple. L’obscurité grimpe jusqu’à la cime des sapins. C’est la Noël, chez nous. C’est ce qui se vit. C’est ce que je vois.

Et pourquoi pas une Noël comme jadis ? Des montagnes de cadeaux prêts à se déballer pour emballer les enfants. Mots d’amour sur du papier parfumé et orné de guirlandes de roses, ce sont des vœux d’amour et de bonheur à un être cher. Stands d’expositions dans toutes les écoles. Stands d’animation dans tous les quartiers pour ambiancer les soirées et les rues. Un égal attachement à la tradition de Noël réunit poètes et conteurs, slameurs et chanteurs, graffiteurs et dessinateurs, ambianceurs de bars ou de boites de nuit, riches et pauvres… Je me rappelle de ce temps. J’étais tout petit. C’était, pour la plupart, le bonheur à tire-larigot. J’ai connu, moi aussi, ce bonheur. Si seulement je pouvais repenser mon enfance en l’absence du temps où la misère ternit ma jeunesse…

Nous sommes le 29 décembre. Dans deux jours, l’année prend fin. L’an qui vient s’annonce plutôt mal…comme une décadence de toutes parts. Tout est sombre et funèbre. Les maisons de ma ville sont ternes et sans décor, comme la mer et le ciel, comme le cœur des mamans. L’uniformité terreuse de la vie évoque une incurable mélancolie. La vie est plutôt grise. Ce n’est pas comme jadis où la Noël était toute marquée, jusqu’au début du nouvel an, d’explosions de joie et d’enthousiasme…

Malgré tout, j’espère revoir un jour d’éblouissants feux d’artifice mêler aux étoiles leurs panaches de feu. Je n’ai pas assisté à de tels spectacles, il y a longtemps. J’aimerais tant revivre cette coutume tombée en désuétude… J’aimerais tant revivre ma Noël d’antan. Si seulement je pouvais hâter le temps, je ne peux plus attendre le premier janvier pour me farcir mon bol de soupe aux choux et de giraumont.

Éliphen Jean


IL faut réinventer l’Etat haïtien

Crédit photo: canalplushaiti.net
Crédit photo: canalplushaiti.net

Les mots sont peu pour brosser les sombres anomalies de l’histoire de mon pays. Il faut pourtant le débarbouiller, à l’eau forte, de tous les graffitis misérabilistes qui le noircissent depuis des ans… Mais, comment y arriver sans une prise de conscience collective ? Une prise de conscience de ce que nous sommes réellement, et de ce que nous devons faire pour tirer le pays de son bourbier mouvant.

Haïti, dit-on, est la première République noire indépendante. La bataille de Vertières, l’apogée de la révolte des esclaves de St Domingue, a conduit à son indépendance. Elle peut se considérer comme un engagement patriotique, car c’est de là que sont jetées les fondations de notre République, ou plutôt de notre patrie. Un coup d’œil sur l’histoire nous montrerait bien l’idée révolutionnaire des esclaves, et, surtout, cette volonté d’avoir une nation. Et, c’est ici le patriotisme vivant qui animait cette bataille. Le patriotisme était donc ce désir féroce de briser les chaînes de l’esclavage, et le sentiment d’appartenir à une nation. Littéralement de pater, patriotisme signifie le sentiment d’appartenance à un pays. Il s’agit d’un sentiment fait d’amour et de fierté qui porte à soutenir l’idée de lien à un pays.

Toutefois, il faut reconnaître qu’il existe plusieurs types de patriotismes : social, économique, culturel et juridique. Mais, en ce qui doit concerner le peuple haïtien que nous sommes, c’est le patriotisme social qui nous interpelle, car il renvoie, tout à fait, à cet attachement particulier à un territoire, à une terre donnée. C’est donc le sol qui est le lieu d’attachement où les esclaves ont érigé, dans la tradition, une culture, une identité, une conscience (d’être aussi des humains) qui les dépassaient, mais dont ils furent uniques porteurs. En effet, il est important que mes compatriotes avisés soient conscients de cela, et qu’ils s’engagent dans une dynamique révolutionnaire. Il faut une révolution sociale, en ce sens qu’elle est le passage, réalisé par des forces progressistes de la société, à un degré qualitativement nouveau, supérieur de développement, le mouvement d’un régime social ancien, suranné, vers un nouveau régime, plus avancé. Les barrières, je le crois, qui cloisonnent notre société, ne peuvent être brisées que par une révolution sociale planifiée.

Par ailleurs, ce type de patriotisme se reconnaît dans la défense des valeurs traditionnelles, de la culture propre au pays, qui passe, naturellement, par l’affirmation d’une conscience du « nous ». Qui dit protection de ces valeurs, dit défense d’une identité qui est aussi celle du territoire national contre une occupation ou une présence ressentie comme incongrue. Il faut ainsi une lutte visant à rejeter les valeurs ou cultures étrangères, ou à les basculer en arrière-plan. Au gré du phénomène de la mondialisation, il faut brandir le flambeau du patriotisme contre l’étendard sanglant des impérialismes culturel, politique et économique. Il faut une prise de conscience que nous sommes un peuple indépendant, que nous avons une nation… et que nous devons édifier l’avenir de ce pays à l’imitation du passé. Si le passé était triomphant, pourquoi ne pas s’y modeler ou s’en instruire aujourd’hui, en ce temps de désespoirs et de misère chronique ? Je conseillerais ici de déterrer, ressusciter, pour revoir, une dernière fois, contempler le passé, le parcours accompli des ancêtres. Haïti est l’affaire de tous. Cependant, nous n’aboutirons pas à recouvrer notre fierté nationale sans une reconnaissance citoyenne. Nous n’aboutirons pas non plus sans une politique contre le chômage, car comme disait O. Henry, l’amour, le travail, la famille, la religion, l’art, le patriotisme sont des mots vides de sens pour qui meurt de faim. Parler de chômage, de misère, c’est souligner un cas de péril national qui fera substituer l’instinct de conservation collectif que représente le patriotisme, à celui de conservation individuelle.

En ces temps de déprime économique, où la dérive du chômage devient de plus en plus effrayante, de quoi Haïti a-t-elle besoin réellement? De pont à étagement, de deux carnavals dispendieux par an, ou d’entreprises pour générer des emplois ? De quoi ? L’épouvantail du chômage s’agite très fort, alors que le Président Martelly ne cesse de crier jusqu’à ce jour : « Haiti is open for business*», « Haïti avance ! ». Sous l’angle de la qualité de la vie, le bas peuple qui vote, doit savoir de quel homme d’Etat il a besoin. C’est important. C’est vrai qu’un malheureux au pouvoir est capable de nous rendre tous pauvres, mais un riche au pouvoir (surtout sans une compétence adéquate) n’y peut rien pour les pauvres s’il n’a pas souffert comme eux, ou s’il n’est pas conscient de leurs souffrances. D’ailleurs, les capitalistes, inhumains qu’ils sont, se repaissent de la souffrance humaine. La misère des autres leur sert de tremplin.

De quel homme d’Etat Haïti a besoin ? Elle a besoin d’un homme d’Etat différent de ses vautours habituels, vautours à l’insatiable boulimie politique. Un homme d’Etat qui reconnaît son devoir fondamental, celui d’améliorer les conditions existentielles de la masse. Ce devoir de l’homme d’Etat, pour dire comme Emile Durkheim, n’est plus de pousser violemment les sociétés vers un idéal qui lui paraît séduisant, mais son rôle est celui du médecin : il prévient l’éclosion des maladies par une bonne hygiène et, quand elles sont déclarées, il cherche à les guérir. Voilà l’homme qu’il nous faut. Ainsi, comme un brin de paille dans l’étable, l’espoir luira, et éclatera même, un jour, sur la noirceur lugubre du quotidien. Tant qu’une jeunesse existe, Haïti peut espérer. La jeunesse est le fer de lance d’une nation.

Eliphen Jean


La lecture, dispensatrice de bienfaits

Crédit photo: mysticlolly-leblog.fr
Crédit photo: mysticlolly-leblog.fr

La lecture sustente l’esprit. Il n’y a pas de chagrin qu’un instant de lecture ne puisse dissiper. C’est un excellent antidote contre la mélancolie et les dégoûts de la vie. Il suffit de savoir lire et de lire des livres en faveur de notre personne. En lisant, il arrive que les ressouvenirs confus, vagues et flottants, s’évanouissent. Il arrive aussi que les souvenirs déprimants qui stagnaient dans notre esprit, s’anéantissent dans l’oubli. La lecture est un dictame pour calmer le chagrin… À certaines heures de notre journée ou de notre semaine, trouvons-nous un livre pour y chercher un principe d’intérêt, un thème de divertissement, une raison de réconfort et d’oubli. Trouvons-nous un livre, et ajoutons une dose d’émotions, d’expériences fictives à notre être. Notre personne en a besoin.

Par ailleurs, il semble qu’un sérieux effort de lecture est aussi un véritable travail de divination pour faire revivre les hautes âmes du passé. Je comprends, ici, que lire, c’est ressusciter des sentiments, c’est entrer en conversation avec les gens des siècles passés. Lire, c’est tenter de faire l’autopsie de l’imaginaire… Pour ceux qui sont de notre siècle, ils proposent en fait leur livre à notre générosité. C’est une tâche qu’il nous faut accomplir. Aucun livre n’est achevé, voire parfait. C’est pourquoi tout livre aurait pour collaborateur, son lecteur. Un auteur compte toujours sur ses lecteurs, les critiques lui valent beaucoup. Il écrit mieux quand il est lu et honnêtement critiqué.

Il faut lire. Lire pour se construire. Lire pour grandir. Lire, c’est aussi voyager. Mais, pour connaître ces bienfaits de la lecture, il est nécessaire d’avoir une raison de lire. Pourquoi lire ? Quant à moi, je lis car je me sens souvent seul, et le livre, selon Georges Duhamel, est l’ami de la solitude. Il nourrit l’individualisme libérateur. Dans la lecture solitaire, l’homme qui se cherche lui-même a quelque chance de se rencontrer. Tel est mon cas. Je lis également pour voyager. Quand je lis, j’ai l’impression d’aller partout, je dialogue avec des personnages qui sont loin de mon île… J’ai l’impression d’être au brésil en lisant Paolo Coello, en argentine quand je lis Borges, l’humble aveugle. J’ai longtemps visité la France en lisant Victor Hugo, en étant au bord du lac de Lamartine… Lire, c’est aussi écouter un écrivain qui parle, quoique mort. Je parle à des morts. Je lis surtout le soir, au beau milieu de la nuit, quand le calme est olympien.

J’avais à peine dix-sept ans. Je lisais déjà Héros et culte des héros de Thomas Carlyle. J’ai lu que la véritable université de nos jours, est une collection de livres. Depuis lors, je me faisais appeler collectionneur de livres, je me faisais Rousseau, rat de bibliothèque. Je me faisais même appeler bibliothèque ambulante. Outre que je portais un sac-à-dos assez lourd, mes bras étaient aussi meublés de livres. J’avais presque la sensation de porter Victor Hugo, Lamartine, Vigny, Voltaire, François René de Chateaubriand… et les poètes et écrivains de mon pays, Oswald Durand, Etzer Vilaire, Carl Brouard, Antoine Dupré, Anténor Firmin, Jules Solime Milscent, Massillon Coicou, Jacques Roumain… comme s’ils étaient dans les bras de leur mère. Je portais pourtant des livres.

Toutefois, Francis bacon, dans son livre titré essais, nous conseille qu’il y a des livres dont il faut seulement goûter, d’autres qu’il faut dévorer, d’autres enfin, mais en petit nombre, qu’il faut, pour ainsi dire, mâcher et digérer. Peu importe ce que dit cet auteur, il suffit qu’une lecture nous élève l’esprit, et qu’elle nous inspire des sentiments nobles et courageux. Tous les livres ont besoin d’être lus, c’est avant tout la qualité du bon lecteur qui fait la valeur d’un livre. Les livres, pourvu qu’on puisse les appeler ainsi, sont tous beaux. Ils ont tout simplement chacun leurs lecteurs. Les livres, comme le disait Pétrarque, nous charment jusqu’à la moelle, nous parlent, nous donnent des conseils et sont unis à nous par une sorte de familiarité vivante et harmonieuse.

La lecture est un exercice assez profitable, un voyage qui calme les peines. C’est un capital qui s’accroît. C’est l’antidote du souci, une oasis de bonheur contre un désert d’ennui.

J’offre, ici, trois règles aux lecteurs et aspirants lecteurs :

D’abord, lisez aussi les livres que vous n’avez pas encore lus, peu importe leur date de parution. Une connaissance n’a pas de date. Il vous faut savoir uniquement comment et quand l’utiliser. Ensuite, ne cherchez pas à lire seulement des livres réputés. Un livre ne peut pas être réputé s’il n’est pas lu. Contribuez à ce qu’un livre soit réputé en le lisant bien et en le faisant lire. Enfin, lisez aussi des livres que vous n’aimez pas encore. Vous ne pouvez pas aimer un livre sans l’avoir déjà lu.

Eliphen Jean


Coïncidences parallèles, 2ème partie

Deuxième partie

Voilà ! un tissu d’incohérences, de sensations, d’inepties et de confusions nues… ma vie, me dis-je souvent, doit être étroitement liée à celle de ma première petite amie que j’allais revoir en 2012, la quatrième fois après ses trois années de silence, d’absence et de désespoir. Elle avait déserté ma vie, elle était partie comme en fumée pour l’Argentine. Le seul souvenir qui m’apparaissait souvent comme l’épave du bonheur était celui de son regard candide, malicieux et craquant, et de sa taille fine. Pas même un baiser. Pas même un câlin. Mais, il fallait la revoir…plus belle, plus allumeuse. Et depuis lors, nous étions tous deux altérés du bonheur de nous revoir tous les jours, nous croyant forts d’amour de combattre un jour ce qui nous tiendrait plus tard éloignés l’un de l’autre, l’inconnu. Et, nous nous livrâmes tous les deux au vautour de l’inconnu sans nous soucier des avatars qui nous attendent. Nous nous fixions sans cesse des rendez-vous tous les jours, des rendez-vous galants au bord du temps, nous avions toujours envie l’un de l’autre, nous n’y arrivions pas toutefois. Elle était souvent démotivée par je ne sais quel souvenir implacable et torturant. Ainsi nos rendez-vous devenaient des rendez-vous de simple dialogue ou de conférence en tête-à-tête. J’ignorais l’infranchissable mur qui s’était toujours érigé entre nous en ces instants-là, mais elle, non. Un jour, brûlant du désir de déflorer ce mystère qui s’épaississait petit à petit entre nous, je la pris dans mes bras, la serrai fort contre moi et, je commençai timidement, de peur qu’elle ne me repoussât, à frôler son corps. Dans une sensation étrange, je sentis ses seins se durcir contre ma poitrine, et j’entendis aussi des gémissements, on dirait des bruissements d’air filtré entre les dents serrés, je ne m’arrêtais pas. Alors je glissais ma main droite sur la braguette de son jeans pour lui chatouiller son gros pubis. Tout à coup, elle me repoussa violemment. « Arrêtez! Il faut qu’on arrête ! » cria-t-elle, et tout son corps se mit à trembler. En ces instants, elle commençait toute éplorée à m’affirmer sa personnalité dans une histoire qui n’en finit pas.

« Elle s’appelle Christina V. et je savais l’appeler Tina. Un jour, un homme nommé Vernet passait au bord d’un jardin mystique, hanté par les esprits, dénommé JARDIN NOIR, à Gros-Morne, et il entendit comme un écho au loin, des cris de nouveau-nés. Ces cris étaient pitoyables. Curieux, il pénétrait dans le jardin noir et voyait un bébé chagriné, une petite fille noire, belle mais chétive. Il l’emmenait avec lui comme si c’était la sienne. Cette petite fille, héritière du jardin allait être élevée, grandir dans une famille paysanne. »

Une grande femme aujourd’hui, elle a la chance de savoir comme moi ce côté noir de sa vie à vingt-trois ans. Elle doit se marier à quelqu’un qu’elle aime beaucoup et même trop, ce quelqu’un mourra et elle, elle deviendra une femme normale. C’est peut-être la raison pour laquelle elle ne voulait pas coucher avec moi. Soit qu’elle me préservait, soit que le fameux Saint Jean-Baptiste me protégeait. En tout cas, peu importe ce qui devait advenir, le mystique rêve de m’anéantir dans la quête de mon origine devait se concrétiser. Et il fallait à tout prix, rien que par des instants d’intimité sexuelle, la convaincre que son histoire n’était pas vraie, bien qu’au fond de moi j’eusse profondément peur. Un jour où je décidai de cesser toute conférence sentimentale – je veux parler des rendez-vous limités seulement à des conversations et échanges verbaux dans la chambre ou par les coins de rue – je me levai de très tôt et lui téléphonai :

« Allô ! Oui c’est moi poupée, je viendrais te voir aujourd’hui mais, la veille une moto m’a frappé, j’ai la cheville qui s’enfle »

Ces mots ou cet alibi ne suffisaient pas pour la convaincre de venir chez moi et j’ajoutais : « Je t’attends, je suis à la maison ; tu passeras à la pharmacie la plus proche de ta maison, m’acheter une pommade pour désenfler ma cheville. » Quelle femme amoureuse s’empêcherait de venir ? Elle ne connaissait pas ma maison, mais la zone, oui. Cinq minutes plus tard, elle m’appelait pour se dire en route. Le tap-tap – c’est ainsi qu’on appelle une camionnette de transport public – devait s’arrêter devant la station-service, dite essencerie pour les Africains. J’habitais dans le plus grand appartement du coin, un appartement blanc. L’escalier qui mène à ma chambre commence du rez-de-chaussée, à l’extérieur même de l’appartement. Alors, elle le prendrait tout en suivant mes indications au téléphone. Encore quelques secondes plus tard, on se retrouvait tous les deux dans ma chambre noire et sombre. Elle était timide et stressée mais moi, non car je savais ce que je manigançais. Innocente, elle cherchait ma cheville et moi, le malin, je feignais de souffrir atrocement afin de me faire masser plus tendrement. Peu de paroles échangées, juste des frôlements suggestifs et des soupirs complices. Elle découvrait enfin pourquoi nous y étions réunis ici tous les deux, aucun mystère sur l’objectif de notre présence dans cette pièce noire à haute température. Alors, les mots ne devaient avoir donc plus aucune espèce d’importance à cet instant précis. Elle me dit ainsi : « Dad, caresse-moi, envois-moi au septième ciel et oublie-moi dans les bras de Morphée. » Elle se mit debout sur mon petit lit habillé d’un drap blanc à ourlet fleuri et finement brodé, je lui tins les épaules et commençai à la déshabiller en l’embrassant fiévreusement. Elle avait l’air sûre d’elle. Impatiente, elle me renversa. Sa prise d’initiative m’excita. On a bien fait l’amour. Il n’y avait pas de conférence ce jour-là. C’était notre première fois. C’était un vingt mai. Elle était partie tristement heureuse… je restais nu sur mon lit, attendant ma mort. Le lendemain matin, je me levais en vie, plus en forme que jamais. Elle a bien reçu la nouvelle. C’est ce que je voulais de toutes mes forces. Lui faire l’amour. Si je ne meurs pas, c’est que son histoire est fausse et qu’elle est une femme normale. Depuis lors, elle n’a pas cessé de me désirer. Nos moments devenaient de plus en plus romantiques et immanquables, et son âme fière et noire plus sensible aux titillations piquantes de l’amour qu’elle ne l’avait été naguère… du vingt au vingt-quatre, du vingt-quatre au vingt-sept mai, on se désirait encore tous les deux. Ensuite c’était ses jours de menstruations. On a dû donc reprendre notre petite activité le 13 juin. Ce jour-là, nous avions expérimenté le Kâma-Sûtra, mais elle préférait nous voir en levrette, toutes les parties de nos corps étaient tout en émoi.

Deux jours plus tard, elle me rêvait : « j’étais venu chez elle, monté dans sa chambre, voulant faire l’amour. Ne m’ayant pas désiré et toute nerveuse, elle prit un couteau de boucher et me poignarda. Je me serais dans ce rêve défenestré si la fenêtre était ouverte et assez grande. »

Soudain, elle se réveilla dans un magma d’inquiétudes et de craintes, elle se réveilla dans une mare de sang. C’était plutôt elle, la victime. Saint Jean-Baptiste fut avec moi. Le sang ne s’arrêtait pas de couler et coulait pendant un mois, on eût dit de la ménorragie. Elle se faisait consulter par de compétents gynécologues. Le sang ne s’arrêtait toujours pas. J’ai pourtant bien compris que c’était parce que mon Ange Gardien me protégeait et était plus puissant que celui de ceux-là qui mouraient après avoir fait l’amour avec elle. On se voyait encore et encore. A la fin de juillet, je la persuadai de se rendre à Gros-Morne chez un fameux hougan, quelqu’un qui se met en contact avec l’invisible en vue de remédier à nos problèmes. Ce qui devait se faire était fait, le sang s’arrêtait. Le hougan la fit jurer de ne plus jamais entrer en relations sexuelles avec moi, et la fit voir dans un miroir l’homme avec qui elle devra se marier. Mais qu’en est-il de sa lettre bien enveloppée reçue de je ne savais quel Esprit en juin dernier 2012 avant notre rencontre? Dans cette lettre, mon nom était bien écrit. Dans cette enveloppe, il y avait une somme qu’elle devait partager avec moi. Malheureusement ou heureusement, elle ne l’a pas fait, et elle l’a plutôt partagée avec les pauvres. Peut-être que si j’en avais bénéficié, je n’aurais pas été aujourd’hui à écrire ces lignes discordantes et épuisées…toutes suspendues de l’énigme d’une destinée siamoise.

Toujours à travers le prisme de la passion, l’extérieur est saisissable et, je me contemplais encore fort capable d’abattre l’infranchissable qui fait peur. Mais, conscient de cette grave faiblesse humaine d’éclairer même par le phare du plus grand optimisme, les énigmes qui assombrissent l’existence de l’être, je choisis de me taire ou plutôt, je choisis l’amitié entre Christina et moi. Je me dis souvent, et même aujourd’hui, que notre amitié doit être tutélaire, plus tutélaire que ce fameux Saint Jean-Baptiste que je prétends me protéger, mais qui me laisse passer des nuits blanches, ventre creux, et des journées noires, poches crevées. En amitié, on éprouve moins d’anxiété, ou on n’en éprouve que volontairement. En amitié, passer des lustres, des décennies, des siècles sans se voir n’effraie pas trop. Car, c’est de l’amitié et, de l’amitié tout simplement, sans angoisse et sans heurt. C’est ainsi que de profonds silences s’installent entre nous au jour le jour et s’immobilisent par moments. C’est aussi ainsi que je me remets à vivre avec celle qui m’a circoncis de son sexe et que je n’oublierai jamais, la belle Oli, incapable pourtant d’éteindre mon passé de désenchantement et de mésaventures, mon passé, exutoire par où s’épanche ma déraison, cette raison de vivre qui sort parfois de ma tête.

Eliphen Jean


Coïncidences parallèles

Font surface en face de mon avenir assurément incertain, des non-dits, des secrets, des silences. Coïncidences parallèles. J’éprouve le besoin de retrouver mon origine – comme il doit arriver à tout humain de ressentir à un moment de sa vie – une quête de l’exister, un élan holistique vers son ressourcement. C’est ainsi qu’en plein automne 2012, un beau soir, j’émerge de ce vivier de mensonges et de songes où je vivais depuis vingt-deux ans. À vingt-deux ans, j’éprouve le besoin de savoir pourquoi ma mère et mon père ne vivent plus en couple et pourquoi je suis si attaché à ce dernier en dépit de ses irresponsabilités. Un père qui s’enfuit toujours par la fenêtre quand des dépenses frappent à la porte. Hélas ! Jeanne cherchait, Jeanne trouve, comme dit le vieux proverbe haïtien. Bref! Je m’adresse à ma mère Kaëlle Jean, tâchant de savoir si elle comptait plusieurs amours, dès le dernier soupir de son mari Norilus, le père de mes trois aînés, deux grands frères et une sœur. Toutes les amours dont je serais peut-être un produit de justesse.

Un enfant adultérin

Là, elle prit tout son temps à réfléchir, comme si elle pérorait sur les ombres du passé, comme si les voyelles durent se cogner contre ses dents jusqu’à l’avortement de ses rires pour secouer l’inavouable dans son inertie de fossile. Son visage devient triste et serein comme un regard d’enfant sur du gâteau en vitrine et la conversation languit. Quelques minutes plus tard, elle me révéla, éplorée, que je suis supposé être le fils d’Eli Plaisir, drôle de nom ! Mais non ! Quelque chose m’intrigue ! Je m’appelle Phénéli Jean. Comment porter le nom de ma mère et le prénom de ce « supposé père » ? C’est ici bien que je découvris qu’à cette époque-là où je suis né, un enfant comme moi, adultérin, ne saurait avoir la signature de son père, sans l’autorisation de l’épouse légitime, la vraie femme légalement mariée. Sans doute, ma mère n’était-elle pas la vraie, elle ne serait donc qu’une concubine ! Je persistais avec mes questions jusqu’à la sortir de ses gonds. Tonnerre de Dieu ! S’exclama-t-elle, et poursuivit enfin tristement, les yeux humides et larmoyants:

« Après la mort de mon mari, l’usure m’entraînait sur le chemin d’un prénommé Eli. Quelques mois durant notre aventure, je découvris qu’il était un homme marié, père d’un essaim d’enfants. Je le détestai au point d’avoir peur de le revoir. Ayant voulu à tout prix m’avoir dans ses serres, il se rendit au pied de Saint-Jean Baptiste pour demander un autre enfant. »

Aujourdhui, inachevée

À ces mots, j’aurais éclaté en sanglots et me serais jeté dans ses bras cordés de veines. N’ayant pu m’échapper à tant d’émotions qui pèsent aussi lourd que le plomb de mon passé, je m’en allais tremblotant, les jambes molles, droit vers mon grabat. Ce soir-là, des visions ténébreuses et moroses tourbillonnaient dans ma tête au point de pouvoir dormir. J’essayais de me relier à mon histoire pour donner consistance et cohérence à mon existence. Soudain il me souvint que tout petit, ma mère me traitait de fils de Loa, surtout que je me réveillais toutes les quatre heures du matin, voulant du pain trempé dans de l’eau sucrée. Qu’on le voulût ou non, ma grand-mère Atilia devait frapper à toutes les portes du quartier, sans quoi mes cris seraient si aigus que toute la ville en serait ébranlée. Était-ce pour rien ? Je ne vais pas chercher pourquoi le vert jure avec le bleu. Qu’importe le cas, tout ce que je sais, je le sais bien. Je ne suis pas un enfant naturel. Qu’importe le prix à payer, je le sais et je l’avoue, car ma langue n’appartient pas aux chiens. « Phénéli est le fils de Saint-Jean Baptiste *. » Vérité qui doit déroger à la dignité des esprits, puisque je ne dois pas en parler. Mais, c’est mon histoire malgré tout, et tout simplement. Peut-être la plus étourdissante et la plus incroyable, jusqu’aujourd’hui, inachevée, puisqu’il faut partir vers mes origines jusqu’à prendre racine dans une nouvelle aventure de maturation.

Notes:
Loa ou lwa, esprits de la religion vaudou. On les appelle aussi « les Mystères » , « les Invisibles ».
Saint-Jean Baptiste, saint catholique correspondant ici au loa vaudou Aga-ou Tonè – Sim’bi

Eliphen Jean


Mondoblog, apprendre ou connaître autrement le monde

Blogueurs, ils sont. Quelles que soient leurs différences, leurs frontières intérieures, quelle que soit leur vision du monde, ils se retrouvent là. Ils s’expriment librement. Ils se font l’organe des sans-voix. Ils tissent au fil de l’imaginaire, la Toile.

Les blogueurs dévoilent le monde et interpellent les consciences. Ils évoquent le monde, comme pour le soumettre à la générosité de ceux qui lisent. Ils décapent le quotidien de ses complexités. On peut dire qu’ils se soucient du monde et de la vie des autres. En fait, ils se soucient de tout. Et cette préoccupation les attire les uns vers les autres, elle les hisse vers cet idéal noble qui est de contribuer au changement positif d’un monde en ruine, nonobstant les grands progrès scientifiques.

En effet, je crois que l’eurythmie de l’existence humaine doit dépendre, en quelque sorte, de ça. De cette reconnaissance que le monde est l’affaire de tous, et qu’on est chacun une maille de cette chaîne qui nous lie. Pour le maintien de cette chaîne, il faut tisser des liens entre les continents, car, continent, dans son sens étymologique (continere), signifie « tenir ensemble ». Mais, pour tenir ensemble, il est nécessaire d’avoir un lieu d’échange où les idées, les points de vue se mêlent et parfois s’entrechoquent sans choquer les différences.

Outre que Mondoblog est, pour moi, un lieu d’échanges et d’expression, sa raison d’être réside dans le cafouillis des différents problèmes posés, dénoncés et analysés par les uns et les autres. C’est vrai qu’il n’y a pas « de panacée sociale » comme le disait Léon Gambetta, mais cette communauté est  vivante. On peut voir à quel point les blogueurs y font assaut d’esprit et de zèle.

Dès lors, il suffit d’être de ceux qui naviguent dans les cybermondes, et d’avoir les moyens adéquats. Il suffit d’être sur Mondoblog où le « monde est au blog », si grand qu’il soit. C’est en effet du monde qu’il en est question, pas d’un continent en particulier. Toutefois, honneurs et mérites aux Africains, car, non seulement l’idée vient de chez eux, mais ils sont nombreux à écrire. La blogosphère francophone leur doit quelque chose de particulier.

Éliphen Jean


Elections en Haïti, un véritable casse-tête

Les élections législatives auront enfin lieu. Je crois que oui. Sinon, Haïti sera davantage en ébullition, et les rapaces fondront à discrétion sur cette proie tentante, combien convoitée, qu’est Haïti. Oui, les rapaces qui disent vouloir aider Haïti.

Les manifestations continues des Haïtiens opposants au gouvernement pour la tenue d’élections libres, témoignent de la prévarication du Président Michel Martelly et du Premier Ministre Laurent Salvador Lamothe. On ne cesse de crier A bas ! alors que le mandat du parlement actuel devrait prendre fin le 12 janvier 2015 si le Gouvernement ne différait pas les élections législatives et municipales initialement prévues le 26 octobre. L’opposition, craignant qu’un éventuel vide parlementaire ne conduise Michel Martelly à gouverner par décrets, tient à ce que les élections aient lieu convenablement. Leur seul moyen d’actionner le gouvernement est de fomenter des troubles, sans penser à leurs incidences sur la vie socioéconomique de la masse populaire.

Dans le souci d’éviter une crise plus complexe en 2015, le chef de l’Etat souligne l’urgence d’une solution. Ainsi, il a préconisé une commission consultative, à défaut de quoi le pays serait confronté à une situation préjudiciable à la souveraineté nationale après le départ de la 49ème législature. Cette commission constituée de 11 membres va plancher sur une proposition de sortie de crise, dans un délai de huit jours (jusqu’au 5 décembre). Sa mission, selon M. Gérard Gourgues, est de travailler à créer un itinéraire par lequel passeront les forces vives de la nation, les partis politiques et les institutions pour aboutir aux élections…

Les élections législatives et municipales ainsi que les présidentielles, a avancé le chef de l’Etat, doivent avoir lieu durant la même année. Quant aux présidentielles, elles se réaliseront en octobre 2015 selon les échéances constitutionnelles, moyennant que des complications financières ne viennent se greffer là-dessus.

Toutefois, point n’est besoin de s’en prendre au chef de l’Etat, car cette crise électorale est, pour lui, comparable à celle connue par ses prédécesseurs entre 1992 et 2010. En outre, il déplore le comportement des sénateurs de l’opposition qui ont empêché le vote des amendements de la loi électorale. Ce comportement dénote, pour les pro-gouvernementaux, un blocage juridique volontaire.

Par ailleurs, le président Martelly trouve ses pieds dans son petit soulier de baptême. Cette commission lui est un véritable fouet, surtout avec M. Gérard Gourgues, cet homme de loi âgé de 89 ans, qui se passe de présentation. M. Gérard Gourgues lui met les bâtons dans les roues. Il déclare : « Monsieur le président de la République, les décisions que nous aurons à prendre après examen du dossier, les formules que nous aurons à adopter vous seront transmises et nous vous demanderons dans l’immédiateté de vouloir les traduire en acte pour que la nation puisse dire que nous avons enfin un gouvernement, une élite capable… » Il a ensuite, dans son discours, fait savoir au chef de l’Etat que ce ne seront pas des conseils, mais des ordres, des recommandations impératives. Ces propos lui ont valu un tel tonnerre d’ovations que le président Martelly est resté bouche bée. Sans pitié, il a martelé qu’il faut dire halte-là à la médiocrité, halte-là aux ambitions malsaines et traçons la route directe pour que nous arrivions à des élections comme dans tous les pays de la guerre, et que nous cessons d’être ridicules et stupides aux yeux de la communauté internationale. Peut-on dire que ce gros bonnet de la politique a jeté son bonnet par-dessus les moulins ?

Espérant que cette commission accomplira sa tâche, je trace ici la ligne politique de Evans Paul, un membre de ladite commission : la voie du consensus politique, nécessaire au progrès économique et social du pays, notre pays, Haïti. Aucun pays, a-t-il souligné, ne s’est développé dans le chaos, à partir d’un champ de ruines et d’instabilité.

la commission consultative composée de 11 membres
la commission consultative composée de 11 membres
Me Gérard Gourgues, Mgr Patrick Aris, M. Evans Paul, Pasteur Chavannes Jeune, M. Paul Loulou Chéry, Mme Odette Roy Fombrun, M. Gabriel Fortuné, M. Réginald Boulos, M. Rony Mondestin, M. Charles Suffra, Mgr Ogé Beauvoir.

Eliphen Jean


Haïti à l’arrière-garde de la démocratie

Crédit photo: Eliphen Jean
Crédit photo: Eliphen Jean

Aujourd’hui où le drame sociopolitique d’Haïti, affreux et sanglant, laisse sentir les effets rétroactifs et même symptomatiques de plus graves crises à venir, où la chance de survivre n’a été si faible aussi bien dans le temps que dans l’espace existentiel national, il est nécessaire de repenser la démocratie. Repenser la démocratie afin qu’elle ouvre une porte à l’espoir de changements, sans garantir à quiconque le paradis sur terre. Repenser la démocratie afin de compenser les inégalités sociales et aplanir la voie d’un véritable progrès démocratique. Pour y arriver, l’élite politique, bien formée, doit élever la masse vers elle par une éducation citoyenne basée d’abord sur les valeurs élitaires et des théories démocratiques. Elle doit encourager la participation des citoyens à la vie publique, et la volonté populaire ne doit pas être une fiction.

Comme partout, la politique est, chez nous, une guerre sans effusion de sang. Notre démocratie, déjà trop suicidaire, est à ressourcer. On n’en parle même pas à l’école. À peine que quelques bons scolarisés savent que c’est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, une affirmation d’Abraham Lincoln sur le champ de bataille de Gettysburg en juillet 1863. Le gouvernement haïtien est donc loin d’être démocratique, puisqu’il se repaît de la souffrance du bas peuple, comme les nantis de la bourgeoisie. Or, comme le voyait Maximilien de Robespierre, le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire, c’est la vertu, cette vertu qui n’est autre chose que l’amour de la Patrie et de ses lois. Un bon gouvernement doit alors être perméable aux cris déchirants et désarticulés de la masse populaire. Il doit se montrer touché par la situation déshumanisante de son peuple en réalisant des entreprises capables de générer des emplois. Ce n’est pas en distribuant des kits de survie qu’on sauvera Haïti de la faim, mais en résorbant le chômage. Mais, quel gouvernement avons-nous ? Un gouvernement de mouvance despotique et malveillant.

Toutefois, à l’aune des faits, on se demande si la démocratie qu’on a en Haïti n’est pas une forme de dictature : le peuple élit des représentants qui décident en son nom, et à l’encontre de ses besoins réels. Des représentants qui font fortune dans la misère du peuple… Cela ainsi compris, il est clair que le droit de vote donne plutôt l’illusion d’être en démocratie, et qu’il y a tout un gouffre insondable entre les théories de la démocratie et la réalité démocratique haïtienne. Cette démocratie ne se repose pas sur le respect de la liberté et de l’égalité des citoyens. Elle est plutôt l’expression d’une politique déshumanisante, elle constitue une sorte de paravent qui favorise le monstrueux travestissement de corruptions et la prolifération de rats dans la faune politique. En effet, pour résoudre la crise démocratique, on doit d’abord ressourcer la démocratie, on doit l’étudier dans sa complexité et proposer des cours y afférents à l’école. Une démocratie qui n’est pas enseignée à l’école est une démocratie tyrannique. Devenir un pays démocratique n’est pas un changement facile, c’est tout un processus.

Éliphen Jean


amour à l’encre noire

Je t’aime
toi ma prostituée
au cul public et commercial
je t’aime à l’encre noire

je t’aime
toi ma vierge défoncée
pour qui je suis pervers
je t’aime à l’encre noire

je t’aime
toi ma vie ma chanson de toujours
que je livre à la houle des passions nègres
je t’aime à l’encre noire

à l’encre noire
je veux retracer ton passé
à l’horizon des îles
pour des éclaircis d’espoir
et
pour saluer ce nouveau jour
qui point à la coque de l’horizon
en ovules de sang…

je t’aime à l’encre noire
Haïti au cul public et commercial

Eliphen Jean