Jule

Kreuzberg

De l’accumulation.

« Je ne suis pas jalouse de ce que tu fais, ça ne me plairait pas d’écrire, de faire du théâtre, non je ne suis pas jalouse de toi. Mais je ne sais pas, peut-être du fait de porter un projet, d’en être fière.

Moi je ne suis vraiment pas une artiste, je ne suis pas dans la création.

Ca m’a toujours amusée, tu as remarqué qu’un mégot de cigarette jeté par une femme est toujours un peu rouge au bout ? C’est drôle de le remarquer.

Qui ? Oui Wharrol je connais. Non les autres je n’en ai jamais entendu parler. Ah bon il y a des artistes qui ont fait ça aussi ? Comment tu dis ? Compression, accumulation… C’est dingue. Et comment tu dis qu’il s’appelle celui du magasin ?

Tu sais j’ai repensé à ce que tu m’as dit l’autre jour. Tu as raison, je pourrais ouvrir un magasin avec tout ce que j’accumule depuis que je suis petite. Et tu sais, tout est classé par ordre chronologique et par thème.

Ne jette rien, ça peut toujours servir.

Plus tard dans ma maison j’aimerais remplir toute une pièce –les toilettes ou le cagibi je ne sais pas encore- de cartes postales publicitaires. Depuis que je suis à Berlin je les collectionne. D’ailleurs ne bouge pas, je vais voir à l’intérieur s’ils en ont. Je crois que j’ai vu des canards, j’en ai déjà douze avec des canards. »


Revaler Straße

Un regard dans la nuit.

Qu’y a-t-il dans ses yeux quand il les pose sur moi ? Toute ma peau frissonne et mes cheveux s’hérissent, il se glisse et le sait, au plus profond de moi. Il soutient mon regard, oui car j’ai besoin d’aide, si puissant ce regard qu’il me fait reculer, mes pupilles se rétractent comme pour me protéger.
Qu’y a-t-il dans ses yeux à ce garçon sérieux qui livre sa pensée en trois mots tout au mieux, un mirage que ces mots sous son profond regard, hagard cet entourage qui ne peut qu’observer. Le courant qui circule n’est pas tant électrique mais davantage cynique car on sait tous les deux qu’un autre tient notre cœur dans ses doigts amoureux. Sauf qu’en cet instant là, nous sommes seuls au monde, au milieu de son reste le tonnerre au loin gronde, personne ne saura voir sa seule main dans le noir se glisse dans mon dos, descend sous ma chemise, plisse ses yeux brûlants, ardente, telle la tour je tangue, sur mes deux pieds, abandonne la musique le rythme qu’elle impose, m’oppose à une quelconque osmose être nue sous ses yeux me mène à l’overdose.
Murmure à son oreille, me souffle un baiser silencieux, nos regards sont pareils à deux gosses prétentieux. Nos visages sont figés, impassibles, ni lui, ni moi, n’a idée de ce qui nous anime.
Diurnes dans le noir, deux regards malheureux où brillent de mille feux, les néons lumineux, de cette nuit sans lune.


Friedrichshain

Le miroir du couloir.

On a beau essayer de s’en protéger, partager une intimité c’est partager des secrets, c’est entrer dans ceux des autres et ouvrir sa propre porte, rien ne sert de cacher la clé la serrure d’elle-même disparaît.
Daniel est pourtant loin de moi. Le couloir aurait pu faire office de frontière dans cette ville lumière qu’un mur transperçait autrefois. Mais les miroirs que sont nos deux âmes se contentent d’un rayon jaune ou gris pour s’atteindre en plein cœur même entre deux pays. Et c’est ainsi qu’aussi je me suis vue en lui, qu’il a bu son reflet dans mes larmes, qu’il a su reconnaître en son âme tous les sons de nos cœurs dévastés.
La résonance est telle que mes pieds se dérobent que ses mains tremblent encore quand il veut m’approcher. Maladresse de l’homme, noyé par son ivresse, qui cherche parmi ses mots une expression maîtresse qui pourrait selon lui parler mieux à mon âme en passant bêtement par ma tête amusée.
Je lui tends en riant, avec toute ma tendresse une main décharnée pour apaiser ses craintes. Éreintée je lui montre avec se simple geste que les miroirs frères ne renvoient pas les mots seuls les rais de lumière.
Le sourire de ses yeux nous fait taire tous les deux, nous retournons ensemble au milieu des heureux.


Heimat

J’aime ce mot allemand : Heimat. Il est vrai que Meerschweinchen me plaît aussi maisHeimat est plus poétique. Quoique ça se discute car cette sonorité si originale [ai], encadrée par la difficile et perverse différence de [ʃ ] lui confère une forte teneur inspiratrice. Disons qu’Heimat est un peu plus subtil, dans la métaphore et dans le son. Dans l’image qu’on y associe.
Heimat.
Heimat, c’est l’idée qu’on peut se sentir chez soi dans un endroit qui ne nous est pas civilement attaché.
Heimat c’est affirmer son identité dans l’appartenance à une nature, à une culture, sans avoir à s’en justifier.
Je ne suis pas née ici, je n’ai pas de maison à moi, pas de papiers ni de compte en banque, je ne paie pas d’impôts et ne reçois pas de courrier, mais je m’y sens chez moi. J’y suis chez moi. Parce que mon reflet dans la vitre est le même que celui que j’entrevois dans mon miroir propre. Parce que ceux qui me savent et me rencontrent aujourd’hui mon cœur les connaît comme amis. Parce que je ne fais pas semblant, je ne joue aucun rôle, aucune idole à massacrer je suis et je resterai… Si je le pouvais. Si seulement je le pouvais. Mais au fond n’y suis-je pas tant attachée parce qu’elle est éloignée ? La nostalgie du pays enjolive mes écrits. Ma patrie ma partie se rejoue chaque avion qui décolle est le dé qui s’envole pour décider serein de ma vie en son sein. De ma vie loin des miens, la vérité m’appartient.


La Ville

Qu’est-ce qui définit une ville. Qu’est-ce qui fait qu’une ville est une ville. Pourquoi certaines seraient elles mieux que d’autres. Qu’est-ce qui te traverse toi, au plus profond, quand tu traverses sa rue. Et que serait une ville sans habitant. Sans personne pour la voir, la montrer, la vivre en l’habitant, en pénétrant ses lieux, en transformant ses tours en bougeant ses contours.
Les habitants sont la vie de la ville, le cœur qui bat. La ville grouille et loin d’être terrifiant le son qui sort de ses entrailles se fait charmeuse mélodie.
Écoute-la et laisse-toi séduire. Oui je sais, le bâtiment si beau et silencieux atteindra ton esprit parfois peut-être ton cœur. Segments de la ligne artistique qu’on aime tant découper mais choisis le mouvement. Essaie pour voir. Happé par le mouvement, le balancement des voix autour de toi elles font partie des gens des vrais gens dont l’âme, l’esprit et le corps émettent une vibration spéciale, particulière. Goûte à la sensation, si merveilleuse, d’une captation, d’une connexion entre ces vibrations et le battement de ton cœur, les aortes en avant.
Car on connaît une ville quand on connaît ses habitants.