Wébert Charles

La camionnette rouge

Ce texte est le premier chapitre de la nouvelle La camionnette rouge qui a été finaliste du Prix du jeune écrivain francophone à Muret (France) en 2013. Toute reproduction de ce texte ou d’une partie du texte est formellement interdite.

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Mercredi

6h am

Poste Marchand

 

Gérard savait qu’il devait être là, ici, assis dans sa camionnette rouge, avec à son coté Raymond. Raymond est comme tout le monde, un rescapé du tremblement de terre, qui n’a su sauver que son bras gauche. Comme tout le monde ici, Raymond avait laissé quelque chose de lui, là-bas, sous les décombres. On a tous perdu quelque chose, ici, ce mardi-là. Les uns : des bras, des pieds ou autres parties du corps, les autres le sourire, l’imprudence et l’amour de ce pays, cette terre tremblotante comme les enfants souffrant d’épilepsie.

Ici, si tout le monde connaissait Raymond, personne cependant ne savait rien de son histoire qu’il refuse de raconter. Personne ne savait où était Raymond, ce mardi. Les uns pensaient qu’il était au pénitencier national, les autres à l’église Méthodiste de Poste Marchand. Pénitencier ou église, quelle différence? On est toujours sous une dalle, cerné de quatre murs. Et Dieu seul sait combien de dieux habitent les prisons… C’est peut-être par vanité que Raymond n’ajoutait rien à son récit.

Gérard lui, n’était pas comme tout le monde. Il était ce jour-là dans sa camionnette rouge, et il aurait juré que c’était un camion Mack, 10 roues et 8 cylindres, qui avait heurté l’arrière de sa camionnette tellement la terre la secouait. Dieu soit loué, ce n’avait pas été le cas, tout le monde savait combien Gérard aimait sa camionnette rouge, qui nourrissait sa famille qui s’était vue augmenter, après la mort de son frère Castel. A part, perdre quelque chose on en a tous gagné une autre, une nouvelle charge : s’occuper de soi comme d’un autre, se surveiller, inspecter, se préparer à courir à la prochaine catastrophe…

Pour Gérard mieux valait la terre que sa camionnette rouge…

En réalité, la camionnette n’avait jamais été rouge. Mais on l’appelait ainsi car depuis plus de deux ans Gérard avait promis à tout le monde qu’il allait la repeindre en rouge, d’un rouge vif, disait-il. Mais, il y avait toujours quelque chose à faire : remplacer le frein, la batterie, le moteur, l’accélérateur, les pneus, les gentes, les bancs, les coussins, une vitre… et au bout de deux ans la camionnette n’avait toujours pas été repeinte. Mais tout le monde à Poste Marchand, Lalue, Christ-Rois l’appelait, par dérision, la « camionnette rouge » jusqu’à ce que tout le monde finisse par croire que la camionnette était rouge, non de couleur, mais de nom. Et Gérard, lui, avait perdu l’envie de repeindre sa camionnette puisque tout le monde s’était mis d’accord sur ce point là.

C’était une vieille Mazda grise, le gris de l’aluminium nu, deux portes avec une vieille carrosserie en bois d’ébène, par devant laquelle on pouvait lire : « Charité désordonnée commence par soi-même » Ici, toutes les camionnettes ont leurs slogans. Parfois brutal, et parfois doux, comme par exemple, le prénom d’une femme. Une camionnette sans slogan n’attire pas de passagers. A la station, on peut passer des journées entières à les lire, les corriger et en sourire :

 

« Bon Dieu bon, Bon Dieu rit, Rien ne sert de courir il faut partir a point, kapab pa soufri, Pa gad ale m’, Yes aya, Tèt frèt, L’homme pas Dieu, Adrianna, Tèt kale, Don’t follow me, Vierge miracle, Malè pa mal, Pito nou lèd nou la, Rosemarie Chérie, Christ revient, Psaume 113 v7, Kris kapab, Bon ti grenn, La force divine, I love you Jesus, One love, La destinée, Ave Maria, Don de Dieu, La familia, Echèk pa lanmò, Jesus is my life… »

Ici, à la station on peut lire tout un livre avec des phrases ambulantes qui ne sont jamais les mêmes, dans leurs innombrables va-et-vient…

La Camionnette de Gérard ne se faisait pas remarquer uniquement par son écriteau noir mais aussi par le bruit insupportable que faisait le moteur. On pouvait l’entendre depuis l’église Saint Antoine. Bien qu’insupportable, tout le monde ici supportait le bruit. On avait développé une certaine affinité pour Gérard et sa Camionnette. Peut-être par ce qu’il distribuait, tous les soirs, une partie de ses recettes, aux enfants du quartier…

Wébert Charles, extrait de La Camionnette rouge, Finaliste prix du Jeune Écrivain de langue française en 2013.


Il y a 102 ans, Etzer Vilaire recevait le prix Davaine de l’Académie française

Le 28 juin 1912, le poète haïtien Etzer Vilaire recevait le prix Davaine de l’Académie française pour ses Nouveaux poèmes. Il devint le premier Haïtien, mais aussi le premier Caribéen, a s’être vu décerner une récompense des mains des Immortels. 

Le poète haïtien Etzer Vilaire
Le poète haïtien Etzer Vilaire

Né à Jérémie(Haïti), la cité des poètes, le 7 avril 1872, Etzer Vilaire est un poète incontournable de la littérature haïtienne du début du XXe siècle. Souvent considéré comme l’un des chefs de file du mouvement éclectique de la Génération de la ronde (1898-1915), quatrième période de la littérature haïtienne, il a été repéré par Georges Sylvain qui l’encouragea à publier ses vers. En 1901 parut la première version d’un long poème sous le titre « Les dix hommes noirs » (suivi de Pages d’amour). Véritable satire de la société contemporaine pour certains (Eddy Arnold Jean), œuvre totalement exotique pour d’autres, « Les dix hommes noirs » a connu un succès monstre et sera considéré, même un siècle plus tard, comme l’œuvre la plus accomplie de l’auteur, la plus étudiée en salle de classe et qui a suscité le plus de controverse dans la critique littéraire. En 1907, alors qu’il rassemblait ses textes en vue de constituer son œuvre complète sur les conseils de l’éditeur français Georges Barral, Etzer Vilaire reviendra sur ce long poème et recomposera un bon nombre de vers.

Entre 1902 et 1910, il publia plusieurs recueils de poèmes à succès : « Le Flibustier » (1902), long poème sur la solitude, l’amour et le désenchantement, « Homo. Vision de l’enfer » (1902), « Poème de la mort » (1907), « Les années tendres » (1907), les « Nouveaux poèmes » (1910). C’est avec ce dernier recueil qu’il reçut le prix Davaine de l’Académie française le 28 juin 1912 en présence de ses compatriotes Jean-Price Mars et Georges Sylvain. D’après un article paru dans le journal français Le Temps le samedi 15 juin 1912, dans son numéro 18610, le Jérémien devait partager son prix, d’une dotation de 2 000 francs, avec trois poètes français : Armand d’Artois pour son livre « Muse et musette », Lucien Rolmer pour son recueil « Chants perdus » (2e volume) et Jacques Sermaize pour « L’Heure qui passe ».

L’histoire littéraire rapporte qu’Etzer Vilaire n’a plus laissé aucun texte après avoir reçu le prix et est resté silencieux pendant la période de l’occupation américaine (1915-1934) jusqu’à sa mort survenue le 22 mai 1951. Nous voulons clarifier néanmoins qu’Etzer Vilaire a publié, probablement à tirage réduit, un livre à compte d’auteur pendant l’Occupation américaine lequel a été retrouvé dans ses archives, chez son arrière-petit-fils, M. Etzer Vilaire Fils, sous le titre « La vie d’un solitaire pendant l’Occupation américaine ». Un livre qui n’a jusqu’à présent pas été repris.

 

Wébert Charles


Peyizaj : voir Haïti autrement

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© Roberto Stephenson
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©Roberto Stephenson

PEYIZAJ. Voilà un titre qui résonne fort. Un mot qui s’écrit en créole mais qui se lit tout aussi bien en français. Un mot qui porte en lui toute la « poéticité » des lieux réels ou fictifs. C’est le titre d’un album de photos dans lequel on entre avec tous les soucis du quotidien pour sortir la tête remplie de belles images, de coins inimaginables d’un pays qui a la mauvaise réputation d’être le lieu de tous les malheurs et de toutes les catastrophes. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, les paysages d’Haïti sont présentés dans leur beauté qui étonne tout voyageur en panne d’images. Il aura fallu un livre comme celui-ci pour nous aider à nous voir autrement et pour vendre à la communauté internationale une nouvelle image de l’ancienne perle des Antilles.

Haïti, ancienne colonie espagnole et française, a été, et est resté, le pays de toutes les beautés géographiques. C’est cela que le photographe Roberto Stephenson veut nous montrer dans ce beau livre de plus de 200 pages. Dans « Voyage aux trois Guyanes et aux Antilles » de Gerrit Verschuur, on lit qu’« Haïti est un des pays les plus privilégiés par la nature. Après Cuba, c’est sans contredit la plus jolie perle du chapelet des Antilles… ».

Ponctué tout au début de beaux textes de Yanick Lahens, de quelques passages des correspondances de Christophe Colomb, des extraits de « Le pays des Nègres » d’Edgar de La Selve et du livre du Père Léon Bonnaud, « L’apostolat en Haïti », le livre de Roberto Stephenson est de ces rares livres qui ne vendent pas la misère, l’insalubrité à bon marché à des âmes sensibles. En 100 clichés, le photographe promène nos yeux naïfs dans les quatre coins du pays. De belles photos de la Source Puante sur la route Nord, de la citadelle Laferrière à Milot, des plages de Port-Salut, des vues de la région de Mandarin dans l’Artibonite, de Bassin Bleu à Jacmel et de la fameuse chute Saut d’Eau dans le département du Centre. Cent photos-miroirs, prises avec soin qui, en nous faisant visiter l’histoire de l’île d’Hispaniola, nous plongent dans la beauté des paysages d’Haïti.

 

Wébert Charles


Entrer dans le poème

Faubert Bolivar
Faubert Bolivar

«Aime-t-on
Avec sa carte d’identité
Son cœur gauche
Son cœur droit
De quelle couleur
Est donc l’amour ?»

Quand tu prends un livre et tu l’ouvres sur ce poème, un peu par hasard, tu te dis : Boutures ! Comme d’autres disent Bordel ! Tu refermes le livre. Tu sautes sur la première de couverture. Tu regardes là-haut. Le nom de l’auteur : Faubert Bolivar. Et tu te dis que Faubert est aussi poète. Aussi, non pas parce qu’il a reçu récemment la mention spéciale du prix Deschamps pour une pièce de théâtre ni le prix Marius Gottin de la Caraïbe. Mais parce que tu as vu quelques représentations, ou parce que tu as lu clandestinement une de ces pièces par l’entremise d’un ami. Oui, les textes voyagent la nuit ! Et tu rouvres le livre. Tu lis, avec la ferme conviction de découvrir quelque chose. Tu entres dans le livre quoique le titre, « Mémoires des maisons closes », ne t’y invite pas. Par quelle porte entrer dans les maisons fermées ? Par infraction ? Par le poème, peut-être. Mais la poésie, n’est-elle pas infraction dans les mots ? Comment entrer dans le poème dans une posture de critique littéraire ? Tout discours sur la poésie n’est-il pas condamné à être poème ? C’est Roberto Juarez qui fit dire à Novalis que la critique de la poésie est une absurdité. Et pour sortir de cette absurdité, il faut entrer dans le poème. Se faire poète.

Le recueil de poèmes que viennent de publier les éditions Bas de page sous le titre de « Mémoire des maisons closes » est un livre que Faubert Bolivar rumine depuis près de vingt-cinq ans. Non pas ruminer dans le sens du ressassement perpétuel de l’œuvre selon Maurice Blanchot, mais ruminer dans le sens de réciter, avec toute une pléiade de poètes. En 1999, la revue Boutures fit paraître dans son premier numéro quelques poèmes de Faubert Bolivar qui deviendront « Marelle ». Des poèmes d’amour, qui disent la beauté des corps (toujours au pluriel) de la femme aimée, rêvée. « Je passerai la nuit […] /à faire l’amour avec tous tes corps ». Un poète qui parle avec « un cœur plein de poussière ».

De A à Z

La deuxième partie du livre, compose, selon l’auteur, en 2006 à Kingston, se veut un jeu. Jeu dans les mots. On entre dans le poème par la structure élémentaire de la phrase : les lettres. Faubert tente un jeu de 26 poèmes qui correspondent aux vingt-six lettres de l’alphabet. Si dans la première partie du livre Faubert joue avec les corps, ici, il s’agit de jeu de sons, d’assonances… qui, pourtant, capte l’attention du lecteur moins que le fait la première partie du livre :

« A l’ombre de la tour
Je dessine des larmes
Des bruits de sel
Pour la poche des voyageurs
Ainsi l’avion ne croît plus
Sans aveu
Qui croque mon pain de chaque jour » (p. 46)

« Grand bois ilé, ilées o… ! » est le titre de la dernière partie du livre publiée en supplément. Ce sont des poèmes dédiés à des hommes et des femmes chers au poète: Iya, Maude, Belou, Nounou, Nono… des poèmes qui parlent tous d’îles, « de toutes les villes » qui ont vu naître l’auteur.

« Mémoires des maisons closes » est un recueil succulent. La chute des premiers poèmes laissent aux lecteurs la possibilité de prolonger le poème, le faire sien, le ruminer, prendre sa place dans les mots, habiter le poème.

 

Wébert Charles


Kettly Mars revient à la nouvelle

Il est rare que les écrivains reviennent à ces genres dits mineurs (poésie, nouvelle, conte), considérés souvent à tort comme des tremplins servant à accéder au roman. Kettly Mars, romancière dont la célébrité et le talent ne sont plus à démontrer après vingt ans de carrière, revient à la nouvelle en publiant chez C3 éditions deux recueils : « Laquelle de nous était Eurydice ?» et « Et tant pis pour la mort» 

Kettly Mars (c) Le Nouvelliste
Kettly Mars
(c) Le Nouvelliste

Paru dans la collection « zuit » sous la direction du romancier Gary Victor, « Et tant pis pour la mort » est un petit recueil de quatre nouvelles qui reprend les grands thèmes chers à Kettly Mars avec ses propres parfums et couleurs. La nouvelle éponyme qui débute le livre se passe dans un petit village retiré de la capitale. Retiré du monde. Port-au-Vent, comme Port-à-l’Ecu d’Emile Ollivier dans son roman Passages, n’est pas Port-au-Prince, ni son reflet. C’est un village imaginaire où les gens vivent au bord de la mer, avec leurs préjugés, leur haine mais aussi et surtout l’amour de la famille, cet orgueil cornélien qui a fait le succès de l’auteur d’Horace.

Ezéchiel, le protagoniste de la nouvelle, revient dans son village natal après douze ans d’absence passés à faire ses études dans des universités américaines. Il s’est fait accompagner de son épouse Malory, « femme aux yeux verts » et à la peau blanche. Tout le village est ébloui par la présence de cette créature étrange, cette blanche aux cheveux longs qui arpente les rues de Port-au-Vent avec son mari les jours de messe. Une blanche. Un objet intouchable, pour les villageois. Et le pêcheur Bébo l’avait compris. Il ne fallait pas toucher la blanche d’Ezéchiel, même si elle lui coure après tous les matins au bord de la mer, près de son bateau. Bébo ne put toutefois s’empêcher de laisser Molory tomber dans son bateau, dans ses bras et lui faire l’amour dans le déroulement infini de la mer de Por-au-Vent. Ils font l’amour, jusqu’au jour où le père d’Ezéchiel, Clervil, les surprend et que son sang gicle sous les coups de machette de Clervil. Mais que peut le pêcheur, sinon que se regarder mourir ? Que faire ? Mais tant pis pour la mort…

Les trois autres nouvelles du livre sont moins sombres que la première. Kettly Mars y parle des milliers d’Haïtiens qui rêvent tous les jours de fuir le pays, cet enfer (L’antichambre du paradis). Il est aussi question d’homosexualité, de ce mal de vivre son corps comme on l’entend. Dans la nouvelle «Barbie blues», Alexandre vit mal sa sexualité. Informaticien de talent employé dans une grande boîte, il rêve de culottes en dentelles et de rouge à lèvres. Il est désespéré, jusqu’au jour où il rencontre Antoine dans un supermarché qui tombera amoureux de lui.

Les quatre nouvelles qui forment « Et tant pis pour la mort » sont écrites avec un vocabulaire simple, choisi peut-être par l’auteure. Les lecteurs des grands romans de Kettly Mars ne se retrouveront peut-être pas dans cette écriture légère, mais l’auteure vise par là même à satisfaire un public plus large, qui fera le déplacement pour venir la voir au Parc Historique de la Canne à Sucre les 19 et 20 juin 2014. Un public de jeunes, d’apprentis lecteurs qui trouveront dans ces livres la porte d’entrée qui mène au nirvana de l’univers romanesque de l’auteure.

 

Wébert Charles


Pour une introduction à la littérature haïtienne

Première couverture du livre
Première de couverture du livre

Avez-vous déjà lu Dezafi ? Bon Dieu rit ? Que raconte le premier roman de la littérature haïtienne ? Quelles relations existe-t-il entre l’univers romanesque de Jacques Roumain et celui de Pétion Savain ? Quels sont les plus beaux romans paysans de la littérature haïtienne ? Comment Jean-Price Mars aborde-t-il le folklore, l’art haïtien et la littérature haïtienne ? Que doit la littérature aux mythes ?
50 livres haïtiens cultes qu’il faut avoir lus dans sa vie est un livre plein de livres. Des livres lus et approuvés…

Note de l’éditeur (LEGS ÉDITION)

ISBN13 : 978-1499524727
ISBN10 : 1499524722
Premier trimestre 2014
Pages : 122


À l’angle des rues parallèles

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Première de couverture de la dernière édition

Les éditions C3 viennent de prendre une bonne décision en rééditant le roman de Gary Victor, « A l’angle des rues parallèles », qui a reçu en 2003 le prix du Livre insulaire (Ouessant). Non pas parce que bon nombre de lecteurs de l’auteur de « Les cloches de la Brésilienne » considèrent ce roman paru en 2000 comme le chef-d’œuvre de Gary Victor. Certains, plus zélés encore, parlent « du récit le plus inquiétant de notre littérature ». Ce qui est louable dans cette réédition est que C3 semble trouver le but ultime de cette activité –ce qui n’est pas valable pour toutes les rééditions de la maison. On ne réédite pas pour rééditer. La version haïtienne, reprise en 2013 et qui continue à être vendue chez les libraires et via les distributeurs, est malheureusement truffée de fautes typographiques, qui, malgré les talents qu’on reconnaît à l’auteur, n’ont pas manqué de lui valoir certains coups de gueule dans les milieux littéraires. Heureusement que C3 intervient dans ce débat et propose un texte (ce qui n’est pas valable pour le péritexte) soigneusement relu et bien présenté.

« A l’angle des rues parallèles » met en scène Eric, devenu tueur à son propre compte, depuis la réforme de l’administration publique qui lui a coûté son poste. Il ne vit que pour un seul homme. Pour avoir sa peau, son cadavre; le ministre des Finances Mataro qui est censé être le responsable de sa déchéance. Face à cet individu, une arme à la main, il hésite. Il apprendra que les responsables sont nombreux. Et aura par la suite d’autres préoccupations. Entre temps, à Port-au-Prince, les miroirs deviennent aveugles. Les écritures s’inversent et les rues sont emplies de mouches. Va-t-il changer de vie après avoir fait la connaissance d’une pute de Pétion-Ville, Marjorie, violée par la statue de saint Pierre ? Aura-t-il le courage de venger son cousin, le poète Anastase retrouvé mort un matin à l’angle de deux rues parallèles, laissant derrière lui un recueil de poèmes comme une réponse au monde décadent ? Tout reste donc à découvrir.

« A l’angle des rues parallèles » est le roman de toutes les folies possibles. Du dépassement de l’univers même des grands romans fantastiques classiques. Un voyage au-delà de toute vraisemblance et de tout réel. Les miroirs qui deviennent aveugles, n’est-ce pas un refus de la théorie du reflet de Stendhal pour qui le roman est « un miroir promené le long du chemin » ? Un roman dont on sort totalement bouleversé. Happé par le temps, l’espace et le réel.

Wébert Charles


Pia Petersen : les femmes en Occident, sont-elles libres ?

La collection  « des affranchis » des éditions du Nil a demandé à quelques auteurs de rédiger une lettre.  La lettre qu’ils n’ont  « jamais écrite ». Une expérimentation littéraire à l’ère de l’explosion de l’autofiction ? Une sorte de jeu qui aboutirait aux je (je moi et je l’autre) littéraires ? Dans Instinct primaire, Pia Petersen, écrivain danois, auteur d’Un écrivain, un vrai chez Actes Sud, sous la trompeuse apparence d’une lettre d’amour, nous parle de la femme. Ses instincts de reproductrice. Sa soumission à un modèle social désuet qui n’a pas été pensé pour elle ou avec elle.Pia Petersen, (c) lexpress.fr

 
Pia Petersen, (c) lexpress.fr

 Les premières phrases du livre laissent croire qu’il s’agit d’un roman. Un de ces romans épistolaires dans lequel le narrateur n’est pas le lecteur, mais une troisième personne (réelle ou fictive). Ce n’est pourtant pas le cas d’Instinct primaire. C’est un essai. Un essai qui se déroule sur fond de fiction ou d’autofiction. Ce n’est pas une œuvre littéraire telle que le conçoit  Roland Barthes dans Essais critiques (Écrivains et écrivants). C’en est peut-être une pour Jean-Paul Sartre dans Qu’est-ce que la littérature ? (Qu’est-ce qu’écrire ?). Au milieu de toutes ces contradictions théoriques (engagement ou désintéressement de la littérature), une chose est sûre : ce livre est une lettre-prétexte pour dire l’abêtissement de la femme moderne qui partage sa vie avec un homme comme un morceau de gâteau.

Le mariage est un contrat désuet

Pour la rédactrice de cette lettre (Pia Petersen ?), le mariage est un contrat désuet, qu’on met « autour du cou » de l’autre pour le posséder. Un simple acte d’achat d’un produit pour une durée indéterminée. Un lien sacré qui perdure dans une société qui n’a de sacré que la recherche des intérêts personnels, du profit. Un deal  comme on dit en anglais.

« Le mariage est fondé sur un contrat et ça me trouble. Aujourd’hui, en Occident, on divorce à tout bout de champ, ce qui annule le caractère sacré de ce lien. […] Mais si le mariage n’est plus une union sacrée, il est réduit à n’être qu’un contrat, voire un contrat d’embauche à durée indéterminée, soit, mais dans lequel les clauses de rupture devraient être prévues. Ce contrat alors n’est plus qu’un acte de propriété qui se revendique à chaque instant au nom d’une vieille, trop vieille tradition, désormais inadaptée à la société actuelle » (p. 30)

Pour l’auteur, le mariage devrait être un choix. Non pas une imposition. Car la société occidentale le sanctionne par des avantages et des désavantages fiscaux. Celui qui refuse de se marier se trouverait dans l’obligation de payer son choix. Le mariage, s’il est envisageable, devrait être un contrat à durée déterminée. Le jusqu’à ce que la mort nous sépare traditionnelle entrave la liberté de l’individu.

La femme s’appartient

Le corps de la femme n’appartient à personne d’autre qu’à elle. Cela, tous les féministes l’ont compris. Mais, Pia Petersen va plus loin. Pour lui, le problème de l’avortement ne devrait pas être posé, car il revient à la femme de décider si elle veut avorter ou pas, non pas à la loi.

« […] elle seule [la femme] a le droit sur son corps et ce qu’elle en fait est de sa responsabilité, à elle et cela n’est pas négociable. La question [de l’avortement] ne devrait même pas être posée. A moins, bien entendu, que son corps soit mis sous tutelle d’Etat comme étant un bien de l’humanité à préserver, auquel cas, elle ne s’appartiendrait plus, auquel cas elle ferait partie d’un fonds commun, à la manière d’une espèce à préserver ou d’un monument classé patrimoine mondial […] » (p. 33)

Non, enfanter n’est pas la fonction première de la femme !

Instinct primaire est un vrai plaidoyer contre la femme-animal, qui n’a d’autre but que la reproduction. Le danger est beaucoup plus grave quand la femme croit elle-même qu’elle ne s’accomplit qu’en mettant au monde un enfant ; qu’en jouant sa fonction de reproductrice, de fournisseuse de bras au capitalisme ambiant. La femme, a-t-on envie de dire, est une fournisseuse de main-d’œuvre. Un objet. Une machine à reproduire. Qui s’achète sur le marché matrimonial (Gary Backer) et qui se vend à bon marché, car elle croit elle-même en sa valeur marchande.

Ce livre de 112 pages pose des problèmes profonds. Pia Petersen s’expose au scandale, soulève le voile que porte la société occidentale qui se dit libre et dans laquelle la femme est un dogme, une chose à ne pas toucher, qui ne peut se (re)penser, effort pourtant indispensable à son plein épanouissement. « Si la femme se remettait en question, sa situation serait plus claire et peut-être même qu’elle ne voudrait plus retourner à la maison ou porter le voile ou attendre de se faire violer dans une tournante ».

 Pia Petersen, Instinct primaire, Paris : Ed. Nil, Coll. Les Affranchis, 2013, 112 pages

Wébert Charles


Parolier de la démesure

 

J’ai appris à te parler
Depuis que je suis
Parolier de la démesure
Mais ici
Parler d’amour est un acte isolé
Manqué
Que chacun isole
Par manque de parenthèses
Parler dans la démence
Aussi simple que se laver les mains

J’ai tout appris dans ton silence
Mais la mer que tu m’as laissée
Est trop bleue
Pour remplir mon trop plein d’absence
Et les rues que l’on porte
Viendront bientôt
Briser nos rêves
Couverts de barbelés
Comme des murs de Berlin

 

© Webert Charles


Un baiser mauve par temps de dictature

L’écrivain Dany Laferrière et le dessinateur Frédéric Normandin viennent de faire paraître un bel album jeunesse, Le baiser mauve de Vava, aux éditions Mémoire d’encrier. Ce livre jeunesse se veut la suite des albums précédemment publiés : Je suis fou de Vava et La fête des morts.

La première de couverture du livre
La première de couverture du livre

Dany Laferrière de l’Académie française, s’adresse dans un livre aux couleurs vives et à l’encre fine, aux jeunes lecteurs. Le baiser mauve de Vava est un beau livre, dans tous les sens de l’ expression. Le jeune narrateur, qui, pourtant, porte un nom de vieillard, Vieux Os, nous fait voyager au territoire inoubliable de son enfance : Petit-Goâve. La capitale du bonheur de Dany Laferrière qu’il a rebâtie, réaménagée, en grand géographe des mots et des pages. Une ville peuplée de sons, de couleurs, mais aussi et surtout de gestes. Gestes parfois simples qui en disent plus long que les longs discours. C’est de ces gestes-là qu’il s’agit dans Le baiser mauve de Vava. Un après-midi, aux derniers rayons de soleil, les pieds bien trempés dans l’eau calme de Petit-Goâve, Vieux Os rêve de Vava, sa bien-aimée. Bien vite, il apprend que Vava est malade. Chagrin. Rage. Et désespoir. Les os de Vieux Os sont cassés. Mais il ne se laisse pas décourager. Il cherche un antidote à la fièvre de Vava, à défaut d’un antidote de la dictature, des macoutes aux lunettes noires qui sillonnent la ville. C’est là que sa grand-mère Da lui apprend que seul un baiser mauve peut sauver Vava.

La dictature vue par les enfants

C’est Dany Laferrière lui-même qui a dit récemment au sujet de son dernier livre « que les enfants n’aiment pas les jouets ». Phrase paradoxale, mais qui revêt un sens profond. Pour Dany Laferrière, aucun sujet n’est hors de portée des enfants. La dictature. La mort. L’amour. Pourquoi faudrait-il que les enfants ne parlent pas ? Le baiser mauve de Vava est un livre sur la dictature des Duvalier à ses débuts, eut-on envie de croire. Les lunettes noires commencent à envahir tous les coins et recoins de Petit-Goâve. Couvre-feu. Silence et murmures. La dictature devient « ce Monstre qui empêche à un garçon de dix ans de visiter son amoureuse qui a la fièvre ». Mais Vieux Os ne se laisse pas faire. Il brave la nuit noire avec son chien Marquis et ses canards, jusqu’à la porte du château dans lequel Vava est prisonnière de la fièvre. Il dépose sur sa joue gauche le baiser mauve qui la délivrera de ses maux. Vava est sauvée. La princesse des papillons est revenue. La ville devient gaie et les papillons embaument la ville de la cendre fine de leurs ailes jaunes. Mais Vieux Os doit faire face à son destin qui lui réserve bien des tours.

Le baiser mauve de Vava est un livre pour petits, certes, mais que les grandes personnes liront avec beaucoup de plaisir. N’est-ce pas ainsi qu’on évalue un livre jeunesse ?

Wébert Charles


10 romans haïtiens qu’il faut avoir lus dans sa vie

« Il faut lire ! », nous dit-on à tout bout de champ, comme une parole d’évangile. Mais on nous recommande rarement de bons livres ou de bons auteurs. Il y va de la survie de la littérature. Henry Miller, grand écrivain américain du XXe siècle, nous dit « ce qui rend vivant un livre est la recommandation passionnée qu’un lecteur en fait à un autre ». Voilà une liste de romans incontournables de la littérature haïtienne, écrits en français, à lire absolument, pour ceux qui se demandent par où commencer.

Dany L. Par Dieulermesson PETIT FRERE
Dany L. Par Dieulermesson PETIT FRERE

 

1- Compère général soleil, Jacques Stephen Alexis

Un classique parmi les classiques. Une œuvre qui se contient. Hilarion Hilarius souffre, sans ironie, de « mal caduc ». Il vole. Tombe en prison. Et devient communiste. Une belle histoire d’amour entre Hilarion et Claire-Heureuse, écrite avec ce style merveilleusement réaliste qu’on reconnaît à Jacques Stephen Alexis.

2- Gouverneurs de la rosée, Jacques Roumain

Voilà un roman incontournable. Impérissable. Chef-d’œuvre de la littérature mondiale, traduit en plus d’une vingtaine de langues et réédité régulièrement. Manuel, tel un messie, revient de Cuba réconcilier deux familles à Fonds-Rouge, divisées depuis plusieurs décennies. Si la source qu’il découvre est symbole de vie, elle sera également symbole de partage et de vivre-ensemble. Un roman paysan dont l’urbanisation de l’espace littéraire haïtien n’a su ternir la fraîcheur.

3- Les Rapaces, Marie Vieux-Chauvet

Ne cherchez pas Marie Vieux-Chauvet là où vous l’attendez. Si sa trilogie « Amour, Colère et Folie » a pu faire scandale dès 1968, il n’en demeure pas moins que Les Rapaces, publié à titre posthume en 1986, soit un chef-d’œuvre remarquable. Petit livre d’une centaine de pages, Les Rapaces met en scène, dans une structure trilogique (qui est chère à l’auteure), les misérables, les pauvres gens des bas quartiers sous un régime totalitaire dont la première partie vient de se terminer avec la mort du « vieux tyran », François Duvalier.

4- Bamboola Bamboche, Jean-Claude Charles

Personne ne vous dira le contraire, vous allez avoir du mal à finir ce livre. Non pas parce qu’il est difficile à lire, mais tellement fluide qu’on sent l’envie de le lire goutte par goutte, par petites gorgées. Un de ces livres qui laissent impuissante la critique littéraire. Un roman à la « chérie je t’aime et tu t’démerdes ».

5- Possédés de la pleine lune, Jean-Claude Fignolé

Les « Jean-Claude » se suivent et se ressemblent, comme  les « Jacques ». Jean-Claude Fignolé, sans doute le plus grand écrivain haïtien vivant aujourd’hui, est l’auteur de ce livre merveilleux, qui raconte l’histoire d’Agénor et son combat avec un poisson, mais aussi de tout le village des Abricots. Un roman difficile à lire, mais qui finit par emplir la tête de belles images.

6- Thérèse en mille morceaux, Lyonel Trouillot.
Ceci est un excellent roman. Comme son auteur n’en fait plus. Lyonel Trouillot ne connaît certes pas d’histoires rocambolesques à la Gary Victor, mais il a l’avantage sur celui-ci qu’il sait écrire. Roman de la quête d’identité, du dédoublement et de toutes les beautés narratives, Thérèse en mille morceaux est un livre à lire d’une traite, sans pause-café.

7- Fado, Kettly Mars

Voilà un roman qui ressemble au précédent dans la construction du personnage. Anaïse-Frida, femme divorcée le jour et putain audacieuse la nuit, passe sa vie entre son appartement, à coucher avec son ancien mari, et le bordel de Bony. Mais une chose les unit : la voix de la chanteuse portugaise Amalia Rodriguez. Un livre merveilleux. Sans doute le chef-d’œuvre de Kettly Mars.

8- La couleur de l’aube, Yanick Lahens

La couleur de l’aube est un roman bouleversant. Diablement bien écrit. Yanick Lahens donne la parole à deux sœurs qui attendent leur frère Fignolé par temps d’assassinat et de zéro-tolérance. Deux filles-femmes qui s’appuient sur leur mère, leur « démanbré », et qui disent clairement « tant que mère est en vie, la fin du monde n’aura pas lieu ».

9- Le sexe mythique, Nadine Magloire

Un livre sans poésie, certes. Immoral pour certains, franchement dérangeant pour d’autres. Nadine Magloire n’a jamais été bien reçue dans son pays. Mais ce roman a le mérite d’être le premier roman haïtien écrit par une femme qui soit allé aussi loin dans la description érotique. Une femme qui vit sa liberté, qui la chante et surtout qui dit son corps dans une saison de dictature prude et machiste au cours de  laquelle les poètes parlent par signes et n’osent même pas « rire dans le noir ». Un petit roman de 86 pages qui ne nous laisse pas du tout froid.

10- L’énigme du retour, Dany Laferrière.

Ce roman est un très beau livre. Mais ce n’est pas le chef-d’œuvre de la littérature haïtienne, malgré le Médicis de 2009. C’est un roman à-prendre-ou-à-laisser. Un livre qu’on lit en se demandant : « mais qu’est-ce qu’il raconte celui-là ? » et que finalement on découvre qu’on n’a pas besoin de grand-chose pour faire un chef-d’œuvre. Il suffit de sauter dans le premier vol qui emmène au pays natal et d’écrire dans son calepin tout ce qui bouge autour de soi.

Webert Charles


Pour une littérature jeunesse en Haïti

© Claude B. Sérant
© Claude B. Sérant

La littérature jeunesse en Haïti ne connaît pas ses lettres de noblesse. Elle n’est pas la seule. Par contre, à l’opposé de la poésie, il n’y a pas lieu de parler de crise. Elle n’a pas eu un grand essor malgré la parution de quelques livres jeunesse ces vingt dernières années. Du conte pour enfants à la bande dessinée (BD), ce genre (s’il en est un) n’a pas la faveur des maisons d’éditions haïtiennes, des institutions privées et publiques et des médias. La littérature est-elle une affaire d’adulte ? Quand doit-on apprendre à lire en Haïti ? Quel livre offrir à son fils de 8 ans parmi tous ces romans qui sortent chaque année ? Les Immortelles ou Mauvaise éducation ? Si les protagonistes de ces romans sont très jeunes, ils ne sont pas en tout cas des livres pour enfant. Et ce n’est pas là leur défaut.

La littérature, une affaire d’adultes ?

En Haïti, des maisons d’édition se créent par lots. Des oeuvres (roman, poésie) se publient par grappes. Mais quelle place réserve-t-on aux livres jeunesse ? Les trois dernières maisons d’édition, qui récemment ont fait parler d’elles, n’ont aucune collection jeunesse. Les éditions Bas de Page qui ont publié jusqu’ici plus d’une dizaine de livres n’en ont pas. Les éditions C3, avec un catalogue de 34 ouvrages, n’ont jusqu’à présent publié que des romans, des recueils de poèmes et des essais. La même remarque est valable pour les éditions Ruptures.

Les institutions publiques, comme la Direction nationale du livre, par exemple, ne font pas de la littérature jeunesse leur priorité. Malgré l’acharnement de la DNL à partager le livre. A donner le goût de la lecture aux jeunes et aux moins jeunes. La réflexion autour de la littérature jeunesse est quasiment inexistante. Les auteurs de bande dessinée, pour la plupart, se font publier à compte d’auteur.

La 19e édition de la foire annuelle «Livres en folie» (sans doute la plus grande foire du livre du pays, voire de la Caraïbe) avait reçu 129 auteurs en signature qui ont signé plus de 165 livres. Dans cette floraison de livres, l’on peut facilement constater qu’il n’y a eu que 5 livres jeunesse (Conte, B.D,etc.). Ce qui ne fait pas plus de 3%. Nous sommes d’accord que la place réservée à cette littérature est donc trop restreinte.

Des auteurs de livres jeunesse

Parmi nos écrivains ayant fait de la littérature jeunesse, on peut citer Philippe-Thoby Marcelin (La reine des poissons, La tortue musicienne…) Georges Castera (Bòs Jan/Jean le menuisier, Le coeur sur la main), Evelyne Trouillot (yon fi, yon gita, yon vwa/la fille à la guitare), Marie-Célie Agnant (La légende du poisson amoureux), Edwidge Danticat (Célimène. Conte de fées pour fille d’immigrante), Lyonel Trouillot (Mèt Jonas, granmèt baton/ Maitre Jonas, l’homme au bâton), Dominique Batraville (La fête des cerfs-volants), Margaret Papillon (La légende de Quisqueya, L’île mystérieuse du capitaine Morgan), James Noël (La fleur de Guernica), Jocelyne Trouillot (Kou, Sekrè Fifi, Jennjan debyen…) Claude Bernard Sérant (La soupe au giraumont de grann Adé), Teddy Kesser Mombrun (Alain au piquet…), Sabine Boisson, avec plus d’une dizaine de « Piwouli », Madame Franck Paul avec toute sa série de « Madame Roger », Clélie Aupont (Bien fait pour Garoulou). On peut ajouter Odette Roy Fombrun, Ilona Armand, Marlène Etienne…

Il faut aussi signaler les efforts consentis par des maisons d’édition comme Les éditions Choucoune, Kopivit l’Action sociale, éditions CUC, Deschamps qui publient un bon nombre de livres jeunesse. Mais, il arrive que l’on n’en parle pas assez et que les parents ne soient pas suffisamment motivés par les médias dans le choix des livres pour leurs enfants. Il revient aux maisons d’édition, aux auteurs, aux journalistes de faire la promotion du livre jeunesse afin de préparer l’esprit des enfants à la littérature et leur donner l’envie de lire et de découvrir des auteurs et des personnages qui plus tard marqueront toute leur vie.

 

Wébert Charles


Dominique Batraville dans la peau d’un ange de charbon

Les éditions Zulma viennent de faire paraître le premier roman de l’écrivain et journaliste Dominique Batraville, L’Ange de charbon. Un livre sur l’après-séisme qui mêle humour noir, mysticisme et quête identitaire.
Dominique Batraville
Dominique Batraville

Lange_de_charbonDominique Batraville, connu en Haïti comme globe-trotteur, dramaturge, acteur, écrivain et chroniqueur littéraire, est un homme à multiples chapeaux. Son dernier livre, L’Ange de charbon, dans la même veine que son récit Le récitant zen, nous fait revivre Port-au-Prince nommé Port-Loto, secoué par le séisme, un après-midi de fin du monde.

Dans ce roman, l’auteur nous fait voir le réel dans un kaléidoscope…M’Badjo Baldini, le narrateur du livre et l’Ange de charbon lui-même, clame haut et fort sa nationalité italienne, dans une ville qui ne finit pas de subir des catastrophes naturelles et politiques. Faudrait-il être italien, polonais, égyptien pour survivre à la catastrophe dans un pays où le refus de soi est monnaie courante ? Plongé dans une sorte de délire proche de la paranoïa, M’Badjo Baldini dérive dans les rues de Port-au-prince, sur les ruines de la capitale dévastée par M. Richter.

L’Italien noir

12 janvier 2010. L’année 00. Un séisme décime la ville de Port-Loto. La communauté italienne est dévastée. Des sept oncles de M’Badjo Baldini, il ne reste que Fra Danilo Baldini. Le narrateur se donne pour mission de raconter le roman de sa famille, les Baldini. C’est cette vision délirante que nous fait voir le personnage principal du roman L’Ange de charbon, un Italien noir qui manifeste un amour démesuré pour la culture italienne, le football italien, les chaussures italiennes. Mais, à cause de la couleur de sa peau, il doit à tout moment justifier son italianité :  » Je suis M’Badjo Baldini, Italien d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Je parle très peu l’italien. Je m’en fous. Je suis un personnage inconnu de Pirandello ». Si le narrateur semble être un aliéné mental, qui n’est peut-être pas sorti sain et sauf du séisme, sa vision des choses en dit long sur la constitution de la société haïtienne. Ne sommes-nous pas une multitude de communautés qui se cherchent ? Comment être Haïtien aujourd’hui ? et comment les diverses communautés (juive, polonaise, italienne) ont-elles vécu le séisme ?

Le pacte de la fiction et du réel

Dominique Batraville, en forgeur de mots, de situations et de villes, va aux confins du réel pour nous camper une ville assiégée, abattue par la nature aussi bien que par la dictature. Si, dans le roman haïtien, Port-au-Prince, comme personnage, a souvent un nom d’emprunt (Port-aux-Crimes, Port-aux-Putes, Port-aux-Crasses), c’est par le sobriquet de Port-Loto ou de Port-aux-Crimes que Dominique Batraville nomme la ville. Mais, ce qui est frappant, dans tous les cas, il s’agit d’une vision sombre de la ville. La même technique est utilisée quand les écrivains nomment les tyrans du régime dictatorial des Duvalier. Dans L’Ange de charbon, François Duvalier est baptisé Papa Guédé Nibo et son fils Jean-Claude Duvalier, Guédé Nibo fils. Si certains écrivains ont donné aux Duvalier des noms d’emprunt par prudence, Dominique Batraville, pour sa part semble le faire pour créer un pacte entre le réel et la fiction et pour dire que l’imaginaire est le territoire inaliénable du romanesque.

L’Ange de charbon de Dominique Batraville est un roman qui bouleverse, quoique l’écriture fasse tourner le lecteur dans une spirale. Son écriture fragmentaire, la mise en récit des diverses communautés qui vivent en Haïti, font que ce livre n’est pas un roman de trop sur le séisme.

 

Wébert Charles


La mort du patriarche Gabriel Garcia Márquez

G.G. Marquez (c) colombie-passion.com
G.G. Marquez (c) colombie-passion.com

Premier coup de fil de ce 17 avril, il est 16 heures. Dans un bar de Port-au-Prince. Un ami sort de la salle d’accueil du petit resto de l’avenue Magloire Amboise et m’appelle. Je sais qu’ils font ça souvent, les amis. Pour m’annoncer un but de tel grand joueur. Un dribble. Ou une pénalité forcée. Mais, cette après-midi sous le soleil de plomb, une bière à la main, l’ami m’a dit : « Márquez est mort ». Et j’ai frappé trois coups sur la table, comme un ivrogne. Je ne savais pas pourquoi. Suis-je devenu ces automates condamnés à faire des gestes inconscients? Mais, que diable voulez-vous ! Márquez est mort.

Quelques minutes plus tard. Mon téléphone sonne. Un SMS. « Márquez mouri », écrit cet autre ami. Et j’ai senti la même chose, comme si ce grand écrivain pouvait mourir deux fois. Dans deux langues différentes. Dans deux situations. Une fois à la télé et une autre fois dans les méandres incalculables de la binarité de la communication. Mourir ou vivre. La vie, elle-même, n’est-elle pas un jeu binaire? A prendre à ou à laisser.

Au fait, Márquez, je ne savais pas si, en posant doucement tes « Cent ans de solitude » sur l’étagère de la bibliothèque ce matin, tu rendais l’âme dans un lit froid de Mexico. Depuis l’annonce de ton alitement, j’ai porté ce livre dans mon sac tous les jours. Pour te retenir en vie. Et te voilà mort sur mon étagère. Moi, toi. Toi, moi. Une bière à la main. Dans un pauvre bar de Port-au-Prince où la servante passe et repasse son balai sous mes pieds interminablement.

Wébert Charles


Le séisme du 12 janvier : des universitaires accusent

Ruines de la Cathédrale de Port-au-Prince (c) TV5 Monde

12 janvier 2010. Un séisme d’une magnitude 7.3 chevauche la ville de Port-au-Prince et ses environs. Elle explose, et les cadavres pleuvent.  316 000 morts (chiffre contesté par l’USAID). Et vous connaissez la suite. Ce que vous ignorez, peut-être, est que ce séisme n’est que la mauvaise parure qui cache des problèmes qui ont fermenté depuis plus de 500 ans. Et que des rapaces en ont profité pour s’enrichir et consolider leur système.

Pour éclairer  nos lanternes, des chercheurs, professeurs d’université, journalistes (près d’une cinquantaine) se sont penchés sur le séisme en l’analysant d’un œil fin. Ces travaux sont réunis par le professeur Mark Schuller et l’éditeur Pablo Morales en un volume de 368 pages, riche en informations et qui ne manque pas de dénoncer l’échec du néolibéralisme en Haïti.

Le livre « Tectonic Shifts », publié aux Etats-Unis en 2012, est repris dans une traduction en créole par le linguiste Avin Jean François, sous le titre « Deplasman Tektonik ». Divisé en trois parties, le livre offre une réflexion profonde sur la catastrophe meurtrière de janvier 2010.

La naissance d’un séisme économique

Selon les coordonnateurs de l’ouvrage, les efforts des Haïtiens eux-mêmes après le séisme ont été absents du débat international. L’altérité des Haïtiens qui s’entraidaient les premières secondes après le désastre, n’a pas fait la une des journaux internationaux. Ce sont plutôt les images sales, les cadavres en décomposition, les enfants abandonnés que les médias ont offerts durant trois semaines à l’étranger, pour déchaîner la compassion des citoyens charitables. Cette technique, quoiqu’avilissante pour nous, avait permis d’amasser plus de 1,4 milliard de dollars aux Etats-Unis. Reste à savoir quel usage on a fait de cet argent. Kevin Edmonds, étudiant en maîtrise à l’université de Toronto (Canada), reprend les statistiques de l’  « Associated Press » : 33 % de l’aide américaine pour le relèvement sont allés droit à l’Armée américaine (US Army). Les ONG en ont reçu de leur côté 43 %.

Toujours selon l’auteur qui dénonce le « business de la pauvreté en Haïti », « la Croix-Rouge américaine a amassé $ 225 millions de donations privées ». Cependant, « seulement 106 millions sont dépensés en Haiti, soit moins que la moitié, 18 mois après le séisme ».

De leur coté, Ansel Herz et Kim Ives mettent les projecteurs sur l’arrogance des firmes internationales, s’occupant de leur butin, pendant que les pauvres gens meurent sous les décombres. Les auteurs ont repris un  « texte secret » (dévoilé par WikiLeaks) de Kenneth Merten, alors ambassadeur des Etats-Unis en Haïti, pour qui « la ruée vers l’or est lancée » en Haïti. Les auteurs affirment que l’ancien ambassadeur aurait écrit: «  Pendan Ayisyen yo ap fouye dekonb tranblemann tè a, anpil konpayi ameriken ap vini pou vann konsèp yo, pwodui yo ak sèvis yo ».

Isabeau Doucet et Isabel Macdonald, pour leur part, ont pointé du doigt  la Fondation Clinton qui illustrerait bien le « désastre du capitalisme ». Selon les auteurs, « Fondasyon Clinton pwopoze pwojè a, li finanse li et li egzekite li ». Ils dénoncent la mauvaise gestion du projet et affirment que ce projet était voué à l’échec.

Un séisme profond

Pour les auteurs de cet ouvrage, il ne s’agit pas uniquement des Etats-Unis. Anthony Olivier-Smith, anthropologue, pense que le séisme du 12 janvier se fermente depuis 500 ans. Ce n’est pas un accident. Ni un jugement de Dieu.  Les causes sont liées à l’histoire.

L’anthropologue fait une belle démonstration pour illustrer sa thèse. Partant de la mort des Taynos (les premiers habitants de l’île), il questionne l’histoire. Fouille. Et réfléchit. Selon lui, après la mort des Taynos, les Français arrivent sur l’île 125 ans après avoir imposé l’esclavage aux Africains qu’ils ont eux-mêmes fait venir à Saint-Domingue. En 1804, ces esclaves se déclarent libres. De là est née la vulnérabilité du pays. Les Français demandent à être dédommagés. En 1825, les Haïtiens s’endettent et s’appauvrissent pour payer cette indemnité.  En 1915, les Etats-Unis occupent le sol. Pillent les richesses du pays. Sous le gouvernement des Duvalier (1957-1986), les cochons créoles, principale richesse des paysans, sont tués. Les paysans deviennent plus pauvres. Le FMI réduit le tarif des importations. Les produits agricoles internationaux envahissent le marché. Le dernier recours des paysans est de laisser leurs terres pour venir construire des bidonvilles à Port-au-Prince. Constructions anarchiques. Tremblement de terre. Désastre. 316 000 morts. Selon Yolette Etienne, 86 % des maisons détruites ont été construites à partir de 1990.

Les causes, comme on le voit, paraissent plus profondes qu’une simple faille tectonique.  Par ce livre, les universitaires (étrangers et haïtiens) veulent informer le plus grand nombre sur les questions qui les concernent. Voilà pourquoi ils offrent, avant l’édition française, une version en créole. Pour que les gens du peuple la lisent. Des argumentations discutables certes, mais qui sont bien construites. Un livre qui ne plaira pas, il faut le dire.

Wébert Charles


Alléluia pour l’École nationale des arts

Le 2 décembre 2013, l’École nationale des arts (Enarts) a accueilli sa nouvelle promotion d’étudiants. Placée sous la tutelle du ministère de la Culture, elle est l’unique école d’art du pays. Quoique manquant de moyens, les étudiantes et étudiants font en sorte que chaque jour soit une fête et ne ratent pas l’occasion de partager ce sentiment.

Quelques étudiants de l'Enarts
Quelques étudiants de l’Enarts

Jeudi 6 février.  Même décor, à la rue Monseigneur Guilloux. Dans la promiscuité des passants qui vont et viennent à un rythme irrégulier, des librairies à même le sol, des marchandes de fritures et des chauffeurs de taxi, certains étudiants de l’École nationale des arts se réunissent au gré du hasard pour s’offrir un après-midi rythmé de battements de tambours. Détrompez-vous ! Il ne s’agit pas de carnaval, ni de ces activités périodiques organisées par des institutions, dans un cadre formel. Des étudiants se réunissent, en un après-midi surchauffé, comme la pluie se décide à tomber ou pas, en plein soleil.

L’art est dans la rue

Il n’est pas encore 4h de l’après-midi quand Etzer, professeur d’arts plastiques, Junior et Kebyesou décident de traîner derrière eux tambours, tchatcha et autres instruments afin d’offrir un concert en plein air, en pleine rue. La culture est dans la rue, pensent certains, et les étudiants le prouvent si bien. Ils laissent les murs fermés de l’école et s’installent devant la porte d’entrée.

Bientôt des étudiants de la faculté d’ethnologie rejoignent le cercle. La tension monte. Et les tambours se font de plus en plus percutants. Comme on le sait, les Haïtiens sont sensibles au son du tambour. Et c’est Jean Price Mars qui le dit lui-même : «l’Haïtien est un peuple qui danse, qui chante… au rythme du tambour». Soudain, les passants rejettent leur statut de passant. Pour  prendre part au concert improvisé. Certains tapent les mains, d’autres ont su trouver je ne sais où des instruments. Les tchatcha se partagent et se départagent, et les tours de jambes aussi. Les chauffeurs de bus ralentissent pour jouir même quelques secondes de la partie. Les libraires des trottoirs abandonnent leurs livres. Les marchandes dansent. Chantent. Bougent. Au gré du son des tambours. Le samba Billy, un étudiant finissant, tchatcha en main, rythme la partie de sa voix. Il entonne des chansons traditionnelles du registre du vaudou. Tout chante, enchante et laisse sous le pas des spectateurs un doux tangage. La vie est une fête. Les étudiants de l’Enarts l’ont bien compris.

Un mois après l’accueil de la nouvelle promotion de l’École nationale des arts, les cours vont bon train, selon Fedna David, une étudiante en année préparatoire. « J’ai abandonné des études de journalisme pour entrer à l’École nationale des arts et je ne regrette rien. » Cheveux courts, style afro, elle se laisse prendre dans les retentissements des tambours. Mervens et Urbain Jérôme, deux frères qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau, viennent tout droit de Petite-Rivière de l’Artibonite pour faire des études en théâtre à l’Enarts. Ils disent aimer la vie en famille, le sens de partage des étudiants.

Entre-temps, les rythmes changent à une vitesse incalculable. La sueur monte et le plaisir avec elle. Non loin de l’Enarts se trouve l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (Hueh). Des gens y meurent tous les jours, certes, la situation des malades est déplorable.  Mais dehors, les jeunes ne sombrent pas dans le désespoir. Ils chantent et dansent dans un contraste saisissant.

 

Wébert Charles


Corps et Âme : repenser le discours sur le genre par le théâtre

Dans le cadre de sa tournée dans plusieurs universités du pays, la troupe Corps et Âme s’est produite ce vendredi 7 février à la Faculté des sciences humaines. Gaëlle Bien-Aimé et Katianna Milfort ont joué « Le genre & le nombre » dans une atmosphère très conviviale.

Vue de la pièce
Vue de la pièce

« Pourquoi tu me parles de pénis, Katia ? » La question est tombée brusquement sur la cour de la Faculté des sciences humaines cet après-midi de 7 février. Et je vous laisse imaginer le comportement des centaines d’étudiants, debout, pour la plupart, dès 1h 30 p.m. et qui vont passer 30 minutes avec la troupe Corps et Âme. « Le genre & le nombre » est une pièce qui met en scène deux étudiantes, Gaëlle et Katia, planchant sur un devoir. Comme vous le savez, dans ces séances de travail en groupe, on finit toujours par aborder d’autres sujets. Dans le cas de Gaëlle et de Katia, il s’agit de sexe. Non pas d’érotisme, dans le sens sadien du terme « sexe », mais du genre, ou des genres. La domination du masculin est vite passée au crible de la critique et du bon sens des deux personnages.

De l’éducation sexuelle à la révolte

La pièce est très originale. Deux personnages y jouent, à la Vladimir et Estragon dans la pièce « En attendant Godot » de Samuel Beckett. Mais, il ne s’agit pas de théâtre absurde, ni de deux individus qui attendent un dieu, les bras croisés. Mais deux femmes, qui décident d’aller au fond de la perception du sexe fort, ce que Nadine Magloire appelle « Le sexe mythique » : le masculin. Katia, rêvant d’une enfant, pense à son éducation sexuelle pour qu’elle ne souffre point, comme sa mère, de la peur des hommes.

Les relations entre mère et fille sont analysées, les traditions et les jeux enfantins sont revus à la loupe de l’égalité et de la justice. Gaëlle et Katia mettent tour à tour en scène des personnages qu’elles incarnent. Ce qui fait penser que le théâtre est lui-même un théâtre, un théâtre dans le théâtre, comme on parle de récit dans le récit en narratologie ou de mise en abîme.  Gaëlle devient spectatrice quand Katia joue et vice-versa.

Ce procédé a permis aux personnages d’être plus près des problèmes abordés : de la manifestation des femmes qui revendiquent leur liberté d’atteindre l’orgasme, déclarant même « Tout tan revandikasyon nou pa pase nou pap pran bwa », jusqu’à un bouleversement radical de la structure de la société machiste…

Une réussite

Le public a été très enthousiaste d’assister à la pièce. Les étudiants n’ont pas caché leur satisfaction. Après la représentation, des étudiants rencontrés sur la cour de la faculté nous ont dit prendre conscience de la situation. C’est le cas de Hadson Albert, étudiant finissant en Communication sociale à la Faculté des sciences humaines. « Je suis très satisfait de la représentation. Je n’ai aucun problème avec les revendications des femmes malgré que je suis un homme ». Pour Etienne Jean Rollet, étudiant en psychologie, intéressé à la sexualité et aux représentations sur le genre : « En tant  qu’homme qui est allé à l’école, je pense que la revendication des femmes est juste. Je suis pour l’égalité des genres ».

La deuxième représentation de « Le genre & le nombre » à la Faculté des sciences humaines a été une réussite, malgré certaines imperfections dans la sonorisation. Mais ceci n’a pas diminué la beauté et surtout la portée sociologique de la pièce.

Wébert Charles

 


Au revoir Laborde (carnet de voyage)

Notre Dame de Lourdes (c) Webert Charles
Notre Dame de Lourdes
(c) Webert Charles

Laborde est un petit quartier dans le département du Sud d’Haïti, plus précisément aux Cayes, à quelques minutes de Quatre-Chemins. Au tournant, à droite, nous avons pris la route qui mène à Jérémie. Après avoir laissé derrière nous l’aéroport Antoine Simon, nous voilà déjà perdus dans les arbres et dans l’odeur des feuilles mortes et des cactus en feu. Ici, tout a un nom. Tout chante et enchante. Et les petites filles ont le nom des grandes villes.

Nous nous sommes arrêtés en face de Radio Communautaire de Laborde. Une ancienne maison accotée à la cathédrale Notre-Dame de Lourdes. La brise nous accueille et nous berce de son chant matinal. Et l’inconnu s’annonce déjà avec une odeur de café.

L’église Notre-Dame de Lourdes abrite une école pour les petits enfants, et le chant des oiseaux traverse la balustrade pour nous étreindre. Dans la grande cour de l’église, on découvre une grotte qui, selon la légende, mènerait à la ville des Cayes. L’atmosphère est légère et nous suivons de près la course des enfants de l’école Notre-Dame de Lourdes pendant les heures de récréation.

Tous pour l’environnement

Non loin de notre point de repère se trouve une association socioprofessionnelle, formée par des cadres (agronomes, sociologues,ingénieurs) venant pour la plupart des Cayes : ACAPE, Association des cadres pour la protection de l’environnement. Elle évolue dans le quartier de Laborde depuis août 2006 et possède des embranchements dans plusieurs zones de la commune. Le local de l’ACAPE est entouré d’avocatiers, de cerisiers et d’épis de maïs. On y fait la connaissance de Raymond Delinois, de Miliane Mombrun et de Wilner Louis du comité de direction de l’association. L’objectif d’ACAPE, selon son directeur Raymond Delinois, est « de travailler pour embellir et protéger les ressources naturelles des Cayes afin de conserver l’environnement et de donner un appui aux agriculteurs dans le système d’agriculture durable ».

ACAPE(c) Webert Charles
ACAPE
(c) Webert Charles

L’association travaille avec plus de 450 familles d’agriculteurs (fermiers ou exploitants) en organisant des séances de formation facilitant l’appropriation des nouvelles techniques visant à protéger l’environnement, mais aussi dans la réutilisation des déchets organiques. Elle forme également plus de 110 écoliers, selon la coordonnatrice de projets, l’agronome Miliane Mombrun. Les enfants sont formés dans l’amour de l’environnement et aident leurs parents dans leurs différentes activités.

L’ACAPE est en train de monter un programme de production et de plantation de 50 000 plantules aux Cayes. Pour ce faire, elle est financée par le PNUD et une institution allemande. Elle reçoit aussi des financements du FAO et d’une ONG évoluant à Boston: Haiti Funds.

La petite usine de cassave

A quelques mètres du local d’ACAPE, à Kodère, se trouve une cassaverie. Petite industrie bien entretenue où l’on voit le four, les moteurs et l’appareil de séchage des cassaves. L’odeur du manioc nous accueille dès l’entrée de la petite usine. Mme Vita Jeune nous parle de son fonctionnement et de la fabrication des cassaves.

Cassaverie
Cassaverie

Le processus est simple, selon elle. Il suffit de moudre le manioc, le sécher, laisser l’eau alimenter les jardins du coin, puis l’installer au four. Et les cassaves sont déjà prêtes à fondre sous notre langue avec ou sans beurre de cacahuètes. Elles sont vendues dans toute la ville des Cayes et, parfois, à Port-au-Prince.

 

S’il existe un village au monde où l’on a vite appris la générosité, l’amour du travail et la solidarité, c’est Laborde. Les enfants sont toujours partants pour vous chanter leur hymne à l’amour et à la joie. Les arbres vous protègent des rayons du soleil et l’ombre vous tient au frais jusqu’à la sortie du quartier. Sur la route de Jérémie, nous avons dit « au revoir Laborde » avec un mystérieux sourire sur les lèvres, sachant que les villes ne finissent jamais de traverser les passants.

 

Webert Charles