David Kpelly

Le lézard de papa Eyadema

Quand la mémoire va ramasser du bois mort, elle ramène le fagot qui lui plaît. Sagesse du vieux père sénégalais Birago Diop dans ses Contes d’Amadou koumba.

Mémoire, mémoire qui me coule ce soir comme la Seine de Guillaume Apollinaire sous le pont Mirabeau, conte-donc, chante-nous le fagot que tu as ramené.

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Les trois martyrs du sanctuaire

Il avait la tête sale. Les cheveux en désordre. Son teint clair avait bronzé sous la poussière et les rayons solaires. Ses pieds enflés. Ses jambes et ses bras tremblants. Un petit colis en main. Épuisé. Il inspirait pitié. Il était pitié.

Bonsoir, monsieur, s’il vous plaît, je suis originaire du Bénin et je… Ton cœur en un bond chuta dans ton ventre. Le simple nom de ce pays pouvait te faire ouvrir les entrailles de tous les humains, rien qu’avec Épuisé mains nues. Tu ouvris la bouche mais aucun son n’en sortit, et tes mains s’étaient chargées de parler. Il comprit et se mit devant toi à genoux. Epuisé. Complètement épuisé, monsieur. Il ne pouvait plus faire un seul pas. De nouveau, ta main parla. De nouveau il insista. Il avait aussi faim. Soif. Plus de cent vingt kilomètres à pied, depuis la ville du Nord où il avait été dépouillé de tout son argent et frappé. Plus d’une semaine à pied, monsieur, ayez pitié. Il avait à peine quinze ans et…

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Lettre à l’Afrique endeuillée

Le mépris de l’Occident vis-à-vis de l’Afrique ne date pas d’aujourd’hui. Le 19 mai 1879, à Paris, lors d’une célébration de l’abolition de l’esclavage par la Seconde République, Victor Hugo l’un des plus grands hommes des lettres de tous les temps, brillant prosateur et orateur adulé, présenté comme un ami des peuples noirs, prononça ces paroles lors de son discours :

«… Il est là, devant vous, ce bloc de sable et de cendre, ce monceau inerte et passif qui depuis six mille ans fait obstacle à la marche universelle. Ce monstrueux Cham qui arrête Sem par son énormité, l’Afrique… Quelle terre que l’Afrique ! L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire qui date de son commencement dans la mémoire humaine, l’Afrique n’a pas d’histoire… Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie, déserte, c’est la sauvagerie… Au dix-neuvième siècle, le Blanc a fait du Noir un homme, au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde… Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème… »

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«Mo », notre héros c’est toi

In Memoriam, Mohammed Nabbous (27 février 1983 – 19 mar 2011)

« Aigles qui passez sur nos têtes
Allez dire aux vents déchaînés
Que nous défions leurs tempêtes
Par nos mâts enracinés. »

Alphonse de Lamartine, La Chute d’un ange

Mouammar Kadhafi est mort. Tué. Mort, le mythe. Mort après les milliers et les milliers de Libyens qui ont perdu la vie depuis février 2011, début de la révolution libyenne. Mort, bah ! Mort, ouf ! Mort, hélas ! Mouammar Kadhafi, toute une histoire, une légende !… Lire la suite…


Les orgasmes du faux marabout

Profession, boutiquier. Il vend dans une petite cabine dix fois plus sale qu’un poulailler, juste en face de ma maison. Il est aussi marabout. On dit qu’il l’est. Aucune preuve pour l’affirmer à part son assiduité à la mosquée du quartier et quelques femmes, très sales, comme lui-même, ses clientes, qui lui rendent de temps en temps visite dans sa boutique qui, dit-on, lui sert également de lieu de travail. Trente ans à peine. En jeune marabout qui se respecte et qui respecte Allah et les hommes, il n’entretient aucune relation, chaude bien sûr, avec aucune femme. Lire la suite…


Le gigolo à l’église

Quelques mésaventures du lit de Gédéon, un personnage, gigolo de vingt ans, de mon recueil de nouvelles Le Gigolo de la réforme (Edilivre, Paris, 2009).

Ma gonzesse au dos

J’étais, un jour, au lit avec une femme mariée qui subitement commença par crier et aboyer comme un chien enragé. Né au village où les pratiques animistes n’avaient pas besoin de crier gare pour se vautrer dans les habitudes, j’avais quelques notions de ces barbaries.  Lire la suite…


Le Descartes assassiné

In memoriam, Toussaint (1981-2006)

Cinq ans maintenant que tu dors du sommeil du juste, mon ami. Cette nouvelle que je t’ai écrite, tirée de mon recueil de nouvelles Le Gigolo de la réforme (Edilivre, Paris 2009), pour te dire que tu es toujours là, avec moi, pour moi.

Je n’avais plus aucun doute. C’était vrai. Hélas. Mon meilleur ami s’en était allé. Comme Descartes, Boole, Cauchy, Einstein, Lavoisier et tous ces illustres noms des sciences exactes auxquels il s’identifiait, mon illustre et fidèle compagnon s’était tu. Toussaint était mort. Mort sans gloire. Toussaint était mort rien ! Il était mort comme un jeune pauvre Africain. Intelligent mais pauvre, vaillant mais seul, ambitieux mais impuissant. Toussaint était mort étouffé, étouffé dans sa rage de vaincre, étouffé dans son ambition de s’accomplir, étouffé par son propre peuple. Le rêve du géant finissait donc ainsi, quand il n’avait pas encore cessé d’être nain. Descartes mourait ignoré quand le rationalisme moderne n’était pas encore né…

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Le pleurer-rire de la chute du roi Kadhafi

 


Depuis le 21 Août 2011 où les rebelles libyens ont investi Tripoli la capitale libyenne, la voix du Colonel Mouammar Kadhafi, le guide de la révolution libyenne, le renard du désert, le roi des rois d’Afrique… s’en va, au jour le jour, s’affaiblissant. Elle s’éteindra, cette voix qui a pendant des décennies fait trembler les puissances occidentales,  dans un délai plus ou moins long, ou avec la fuite, ou l’arrestation ou la mort de celui qui passe incontestablement pour le dirigeant le plus influent du continent noir des trois dernières décennies. Mouammar Kadhafi est aujourd’hui pourchassé, traqué comme un rat, sa tête mise à prix, sa famille matraquée, son royaume avili, son pays réduit en miettes.

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Le rival presque cocasse d’un président

Plus cocasse tu crèves!

Baobab Fils a succédé à son père Baobab Père à la tête de la République de Soutacountry, petit pays imaginaire de l’Afrique de l’Ouest voisin du Togo, selon la formule du de-père-en-fils. Le de-père-en-fils ? Bah, c’est cette nouvelle forme de succession dans les républiques démocratiques du  continent noir qui permet aux pères de la nation de passer, comme un domaine familial, le fauteuil présidentiel à leur fils adoré, le fils de la nation, avec la bénédiction des institutions internationales africaines, la communauté internationale, la France en bandoulière, bien sûr. Lire la suite…


La femme de l’officier

La femme de l'officier

J’étais dans le hall d’Ecobank Mali, pour un transfert d’argent vers le Togo. Sacré chemin de Croix pour un jeune Togolais sorti d’une famille pauvre, démunie, que de trimer à l’étranger ! Il est la solution à tous les problèmes de sa famille au pays restée, et il suffit que son phone sonne, affiche l’indicatif du pays, pour que son cœur commence à battre tam-tam. Un nouveau problème à régler. Sur-le-champ. Vite, les dix chiffres de Western Union, la question et la réponse test. La sœur est très très très gravement malade. Le père en coma. L’oncle paralysé. La cousine a été opérée et son mari, conducteur de zémidjan, taxi-moto, n’a pas assez de sous pour la prendre en charge, elle est presque morte. Funérailles, cercueil à acheter. Toits à réparer dans la maison familiale. Uniforme de la mère à acheter pour la fête de la chorale à l’église. Lire la suite…


La femme du pasteur… et du fou

Terre et Ciel ! Comment le dire, le conter, le chanter, pour qu’on ne me traite pas de menteur ? Nos histoires, celles de chez-nous là-bas au Togo, sont aussi cocasses les unes que les autres, aussi cocasses que l’histoire même du pays, aussi cocasses que ses dirigeants, aussi cocasses que son Président, aussi cocasses que ses opposants, aussi cocasses que ses élections, aussi cocasses que ses participations à la Coupe du monde de foot, aussi cocasses que ses pasteurs, aussi cocasses que ses fous… Cocasserie des cocasseries, tout est cocasserie au Togo. Donc, de fous et de pasteurs cocasses du Togo cocasse, parlons.

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Indignez-vous, Togolais, contre vos bêtises !

 

Beau Togo

J’ai connu le couple C. à Bamako en décembre 2010 lors d’une soirée organisée par un ami togolais ingénieur pour fêter sa promotion. Monsieur Raymond C. de Kpalimé (Sud du Togo) est ingénieur en télécommunications dans une société de téléphonie mobile du Mali. Sa femme, Ingrid, de Niamtougou (Nord du Togo) est commerciale dans la même société. Gentille fille. Le couple s’était formé sans le lien du mariage depuis deux ans, en 2008, comme on le remarque dans beaucoup de cas au Togo. Ils ont, euh, ils avaient une fille d’un an, Gracia. Toute la classe et la beauté d’un jeune couple à l’abri du besoin.

Depuis cette soirée, le couple C. était devenu pour nous, célibataires, une véritable référence qu’on citait pour se persuader qu’il était temps pour nous de chercher une compagne, fonder un foyer, et arrêter de traîner comme des chiens dans tous les restaurants togolais de Bamako à la recherche de la pâte, du foufou, ou d’autres plats du pays. Les amis assidus à l’église affirment qu’ils y sont présents tous les dimanches. Presque toujours habillés en uniforme. Un signe d’amour au pays, un couple qui s’habille en uniforme pour aller à l’église. Ils s’aimaient. Sûrement.

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Le pauvre Christ des voleurs

 

– Tu sais, mon frère, vous êtes congolais et je suis togolais, nous sommes tous des étrangers dans ce pays, et nous avons besoin de nous comprendre. Je vous jure que cet argent c’est tout mon salaire du mois passé, qui doit me permettre de passer ce mois, et je ne sais pas comment je vais me débrouiller dans ma situation actuelle, pardon, mon frère, rends-le-moi, s’il te plaît, ou au moins essaie de m’en donner juste une partie, Dieu te récompensera d’une autre manière.
– Huuum, tu sais, je ne sais pas combien de fois je suis obligé de te le répéter, mais je ne suis pas un voleur. Je suis un fervent chrétien et je n’ai jamais volé de toute ma vie. Je reviens d’ailleurs d’une veillée de prière.

Peuh ! Qu’un chrétien autoproclamé peut être moche en mentant !

 

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Indignez-vous, Africains, avec Edem Kodzo !

Edem Kodjo est, sans aucun doute, l’un des plus brillants intellectuels et l’un des hommes politiques les plus influents d’Afrique. Mais au Togo, son pays d’origine, il passe aux yeux de beaucoup de ses compatriotes, à commencer par moi et presque toute ma génération des années 80 qui n’avons connu que les atrocités de la dictature d’Eyadema, pour l’un de ces hommes détestables à la source des malheurs de notre pays. Secrétaire général de l’ex Organisation de l’Unité Africaine, OUA, il fut tour à tour Premier ministre sous Gnassingbé Eyadema et son fils. De quoi justifier, valider cette haine dont on le couvre, dans un pays où tout ce qui collabore avec le régime dictatorial cinquantenaire est mordicus classé sur la liste rouge des pestiférés de la République. Sa

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Le jean de l’Etranger

Le jean de l’Etranger (nouvelle)
Deuxième partie

Nouvelle inspirée de l’histoire d’un  jeune diplômé togolais fuyant le  chômage chez lui, arrivé au Mali en  2008.

Trois jours après mon retour à la  maison, je me foutus de nouveau les deux pieds dans de la merde. J’étais cette nuit en train de lire Le Village de l’Allemand de Boualem Sansal que j’étais parti emprunter au Centre culturel français quand ma voisine frappa à ma porte, Monsieur l’Etranger, j’ai un problème, ma fille vient de piquer une crise cardiaque, je n’ai pas d’argent pour louer un taxi pour l’amener à l’hôpital, je n’ai pas non plus de force pour la prendre au dos, aidez-moi, s’il vous plaît.

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Le jean de l’Etranger (Nouvelle)

 

Le jean de l’Etranger (Nouvelle)
(Première partie)
Nouvelle inspirée de l’histoire  d’un jeune diplômé togolais fuyant  le chômage chez lui, arrivé au Mali  en 2008.

Okitina kiti, akota bé nya yé !
Comment vous traduire ? Une  petite nostalgie pour me rappeler  ces temps où dans les coins de rue  on jouait aux cartes, là-bas, chez moi ! Rien d’une incantation, mes chers ! Juste pour dire qu’il faut avoir une large poitrine pour supporter. C’est pas facile, vous dis-je !
Mais je suis encore debout ce matin. Pour toi, Mère Marthe. Je souris légèrement, comme un collégien sur une photo passeport. Une belle fille, comme le sont la plupart des filles de ce pays, me dépasse et croit qu’à elle mon sourire est adressé.

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Les intellos togolais face à leurs ténèbres

Réflexions sur le roman, Ténèbres à midi, de l’auteur  togolais Théo Ananissoh (Gallimard, 2010).

«Je suis rentré de France pour me mettre sous les ordres  de quelqu’un qui aurait dû être mon domestique. Voilà le résumé de ma situation. »
La situation ? Celle d’un jeune intellectuel africain, togolais, Eric Bamezon, qui retourne chez lui, au Togo, après des études en France, et qui se voit catapulté comme conseiller à la Présidence, au service d’un régime pourri par la corruption, la prévarication, le meurtre… Sous l’apparente opulence dans laquelle vit le jeune conseiller à la Présidence, belle voiture, belles femmes, beaux costumes, gronde la voix du regret.

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Ces dealers et Cie des bas-fonds de Cotonou

Florent Couao-Zotti
Fiche de lecture du roman Si la cour du  mouton est sale, ce n’est pas au porc de le  dire de l’écrivain béninois Florent Couao-  Zotti.

« Smaïn courait comme un diarrhéique. Il  courait, valisette au vent, sans savoir vers  où s’orienter, dans quel endroit échouer.  Ses yeux, des boules de grillons excités,  scrutèrent l’enceinte de l’établissement. A  gauche, les entrepôts s’alignaient, grands,  immenses avec leurs lots de grues, comme  figés dans l’éternité. Devant, des camions,  avec leurs remorques positionnées pour  des chargements. Plus loin, des pyramides de marchandises, avec à côté, des conteneurs installés les uns sur les autres tels des cartons ou des boîtes d’allumettes… »
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