Isidore KWANDJA NGEMBO

Union africaine – ZLEC : un accord qui bâtit le futur du continent

Au sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA), qui s’est tenu en mars dernier à Kigali, au Rwanda, quarante-quatre sur les cinquante-cinq États membres ont signé un accord-cadre pour la mise en place de la Zone de libre-échange continentale (ZLEC).

Cet accord constitue une initiative ambitieuse de développement économique qui mérite d’être souligné et qui vise à créer de nouvelles perspectives commerciales pour les opérateurs économiques africains.

En effet, l’expansion du commerce sous-régional, régional et l’intégration économique continentale, sont essentielles pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les pays africains dans leurs efforts de développement.

L’initiative notable de renforcement de liens commerciaux pose des jalons pour accroître le commerce et l’investissement intrarégional, qui sont la clef de voûte du commerce Sud-Sud et viendrait ainsi pallier aux difficultés économiques du continent.

Dans le monde actuel, le commerce des services est un secteur de l’économie mondiale qui connaît une croissance rapide et joue un rôle de plus en plus important pour le développement économique des États.

La ZLEC devrait permettre l’élimination progressive des droits de douane entre les pays membres, tout en favorisant le commerce intra-africain et ainsi sortir l’Afrique du piège dans lequel elle est prise depuis des années, de simple producteur des matières premières pour l’exportation.

Les économies modernes sont justement fondées sur la connaissance et les services, plutôt que sur l’exploitation des matières premières et le travail physique. Alors que la plupart des pays africains sont condamnés à rester pris dans le piège de simples producteurs et exportateurs des matières premières dont les prix sont fixés par les marchés internationaux, en dollar américain.

La dépendance aux matières premières expose les pays africains aux caprices des marchés mondiaux caractérisés par une très forte volatilité des prix.

Les poids lourds de l’économie africaine tels que l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Égypte, l’Algérie, ont signé cet accord, à l’exception du Nigeria qui s’est abstenu pour l’instant.

Toutefois, la réalité c’est que, le commerce interrégional est beaucoup plus en expansion au détriment de celui intrarégional. L’Afrique, dans son ensemble, fait beaucoup plus facilement le commerce avec de pays d’autres continents qu’elle ne le fait aussi bien à l’intérieur des États du continent entre eux, soit autour de 16 % intra-africain, de 50 % avec l’Asie et de 70 % avec l’Europe.

Beaucoup des barrières subsistent encore et entravent les échanges en Afrique tels que le faible degré d’intégration économique et du commerce sous-régional et continental, la libre circulation des personnes et les politiques d’investissement souvent très conservatrices qui ne cadrent pas avec les réalités du monde économique actuel et qui ne sont pas propices à l’investissement, à la croissance et à la création d’emplois.

Le développement du commerce sous-régional doit être accompagné d’une plus grande coopération sous-régionale et régionale. Fort malheureusement, en Afrique, le commerce, même au sein des sous-régions : Afrique du Nord, de l’Ouest, australe et centrale, demeure beaucoup plus faible par rapport aux potentiels réels de la plupart des pays.

Pour que cette Zone de libre-échange continentale devienne une réalité tangible et vivante pour les citoyens de l’Union africaine, il est fondamental que les États africains dépassent les nombreuses barrières qui subsistent encore et qui entravent les investissements, les flux financiers et d’échanges régionaux. Il est également fondamental que les États améliorent l’environnement juridique et judiciaire des entreprises afin de sécuriser les investissements privés étrangers. Et enfin, qu’ils abolissement progressivement les obstacles à la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux à l’échelle du continent.

Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue


Les évêques catholiques congolais sollicitent l’aide du Canada en vue des élections

 

Une délégation de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), conduite par son président, Monseigneur Marcel Utembi, archevêque de Kisangani et son vice-président, Monseigneur Fridolin Ambongo, Archevêque coadjuteur de Kinshasa et prochain successeur du cardinal Laurent Monsengwo, séjourne en ce moment au Canada pour solliciter de l’aide en vue des élections de décembre 2018.

La mission des évêques catholiques du Congo au Canada se rendra à Ottawa, Montréal et Toronto, essentiellement pour faire le plaidoyer auprès des autorités gouvernementales et religieuses, des milieux économiques et de la société civile canadienne engagée en faveur des droits de la personne, de la démocratie et de la justice sociale. Le but est de solliciter un appui diplomatique, technique et financier, une expertise canadienne, afin de garantir la réussite du processus électoral dans leur pays.

Le choix du Canada pour cette mission d’explication de la crise politique en République démocratique du Congo (RDC) et pour la sensibilisation du public canadien n’est pas fortuit. Le Canada est l’un des acteurs majeurs qui contribue aux efforts conjoints menés au niveau international pour aider et accompagner ce pays dans son processus démocratique.

Le peuple congolais réclame le respect des textes qui régissent la politique de leur pays. Conformément à la Constitution de la RDC (qui ne permet pas au président sortant, Joseph Kabila, de se représenter pour un troisième mandat) et à l’Accord de la Saint Sylvestre (signé le 31 décembre 2016 par le pouvoir en place et par l’opposition, et qui prévoyait à l’époque, alors que le mandat du président Kabila touchait à sa fin, d’organiser, entre autres, une présidentielle avant fin 2017, ce qui n’a pas été le cas), le peuple congolais, dans son ensemble, est déterminé à aller aux élections en décembre 2018 pour pouvoir enfin élire un successeur à Kabila, malgré certains défis d’ordre financier et technique qui restent à relever.

Les Canadiens d’origine congolaise croient profondément que leur pays, le Canada, en tant que pays fondé sur des valeurs fortes de droits et libertés pour tous, dont les principaux comprennent la primauté de l’État de droit, le respect du processus démocratique, des droits de la personne et des libertés fondamentales, peut jouer un rôle diplomatique crucial pour aider à faciliter une première alternance démocratique du pouvoir sans heurt dans ce pays.

Le Canada pourrait à la fois, aider à pousser le régime de Kinshasa à organiser des élections crédibles et transparentes, mais également apporter un appui technique et financier substantiel à ce pays pour l’aider dans son cheminement vers la tenue d’élections réellement libres, justes et inclusives, afin d’assurer une transition pacifique du pouvoir et parvenir ainsi à la stabilisation de ce pays qui a beaucoup souffert des affres de la guerre.

Genèse de la crise politique congolaise

La RDC connaît actuellement une crise politique et constitutionnelle extrêmement grave. Du président de la République aux Gouverneurs de provinces, en passant par les Sénateurs, les Députés nationaux et provinciaux… quels représentants et dirigeants élus des institutions politiques du pays sont toujours dans leur mandat ? Si la plupart d’entre eux exercent leur pouvoir hors mandat, n’y a-t-il pas là une grave crise de légitimité démocratique aujourd’hui en RDC ? Des élections s’imposent.

La situation actuelle d’instabilité politique généralisée dont souffre la RDC est principalement due au manque d’organisation des élections présidentielles et législatives pourtant prévues en décembre 2016 (comme dit dans l’accord de la Saint Sylvestre).

Cette situation inédite mène dangereusement à l’arbitraire, à la dérive autoritaire du régime et se traduit par la mauvaise gouvernance qui aggrave davantage la crise socio-économique et la détérioration continue des conditions de vie de la population.

Devant l’évidence que les élections ne pouvaient être tenues à la date prévue par la Constitution, les forces politiques et sociales congolaises, toutes tendances confondues, avaient accepté, à l’unanimité, de se retrouver autour d’une table de négociations avec l’aide de l’Église catholique locale en vue de rechercher une solution idoine pour sortir de cette crise de légitimité.

Les négociations politiques entamées, avec la médiation des clergés catholiques, ont permis de faire baisser la tension politique qui régnait à ce moment-là au Congo et d’éviter le chaos total qui aurait pu se produire à la fin du deuxième et dernier mandat du Président Joseph Kabila, le 19 décembre 2016.

À l’issue de ces négociations, la classe politique et la société civile sont parvenues à un compromis politique de sortie de crise. Ils ont signé un accord politique, ce fameux accord appelé communément « Accord de la Saint-Sylvestre », signé le 31 décembre 2016. Dans cet accord, il avait été décidé que le pouvoir et l’opposition conviennent de former un gouvernement de transition afin d’organiser des élections présidentielles et législatives au plus tard en décembre 2017 (et d’assurer la transparence du processus électoral). Mais le non respect et la non application de cet accord politique a permis à Joseph Kabila de rester au pouvoir au-delà de la fin de son mandat constitutionnel et d’être toujours au pouvoir aujourd’hui, pour combien de temps encore ?

Car il faut malheureusement compter avec les sombres manœuvres des acteurs politiques congolais qui se traduisent par le manque de confiance mutuelle, de volonté politique, et surtout l’insouciance manifeste et le manque de compassion pour leurs concitoyens qui croupissent dans la pauvreté et la misère, dans un pays qui recèle de vastes ressources naturelles si convoitées par le monde entier.

C’est dans ce contexte difficile et grave que s’inscrit la démarche actuelle des évêques congolais au Canada pour sensibiliser tous les hommes de bonne volonté, non seulement les responsables politiques, et économiques, mais aussi ceux qui travaillent dans les milieux sociaux et culturels. Tenter de sensibiliser de de mobiliser tous canadiens sur la situation actuelle que traverse la République Démocratique du Congo.

Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue


OIF: Les vraies raisons du limogeage du directeur de la Francophonie économique

C’est trop réducteur d’affirmer que l’économiste togolais Kako Nubukpo a été congédié suite à sa tribune parue le 29 novembre dans le journal Le Monde Afrique : Franc CFA : les propos de M. Macron sont « déshonorants pour les dirigeants africains ».

Cette publication est certes une goutte d’eau de trop qui a fait déborder le vase. Mais c’est depuis bien longtemps que plusieurs observateurs intéressés au bon fonctionnement de l’OIF commençaient à être agacés par les sorties médiatiques intempestives de M. Nubukpo, considérées comme étant très dommageables pour l’Organisation, et surtout par le mutisme de la haute direction de l’OIF.

À première vue, les prises de position de M. Nubukpo dans le débat, « pour » ou « contre » l’usage du franc CFA, peuvent être considérées comme une démarche tout à fait logique d’un scientifique qui réfléchit sur une problématique de société dans laquelle il vit. Mais le hic, c’est que M. Nubukpo était en même temps le directeur de la Francophonie économique et numérique au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). À ce titre, il était tenu par le devoir de réserve, conformément aux Statuts de son organisation. Le sujet sur lequel il prenait souvent position publiquement concernait à la fois un certain nombre de pays d’Afrique francophone contre un autre pays francophone, pour ne pas le nommer, la France, tous membres de l’OIF.

Un sérieux problème éthique et déontologique

Dans toutes les administrations publiques, tant nationales qu’internationales, lorsqu’on embauche un nouvel employé, on procède d’abord à la vérification des antécédents, puis on lui fait signer un contrat dans lequel il s’engage au respect des valeurs, des principes et des règles du Code d’éthique et de déontologie.

En recrutant M. Nubukpo pour s’occuper des questions économiques de l’OIF, son employeur était censé être au courant de ses opinions en la matière. Néanmoins, il s’attendait également à ce que l’intéressé s’acquitte de ses fonctions en respectant des normes éthiques élevées sur les plans de l’objectivité et de l’impartialité, conformément aux devoirs et obligations prescrits par les Statuts de l’organisation.

M. Nubukpo devrait faire preuve de prudence dans ses propos, s’astreindre au devoir de réserve et s’abstenir de toute expression publique d’opinions qui pouvait porter atteinte aux intérêts de son organisation, et surtout, régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts de son organisation et ne servir que celle-ci.

Malheureusement, les prises de position de M. Nubukpo, certes judicieuses, posaient néanmoins un problème d’ordre éthique et déontologique qui risquait d’affecter sérieusement l’accomplissement harmonieux de ses fonctions et mettre à mal l’impartialité de l’OIF.

Les dispositions réglementaires et contractuelles de l’OIF à ce sujet sont très claires. Le Titre III du Statut du personnel actuellement en vigueur, stipule expressément ce qui suit, notamment en ce qui concerne les devoirs et obligations du personnel :

« 17. En acceptant leur nomination, les membres du personnel s’engagent à s’acquitter de leurs fonctions en ayant exclusivement en vue les intérêts de l’Organisation.
19. Ils évitent tout acte ou toute déclaration qui pourrait avoir des répercussions dommageables, eu égard au caractère international de leurs fonctions. Ils n’ont pas à renoncer à leurs sentiments nationaux ou à leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses, mais ils doivent, à tout moment, observer la réserve et la neutralité dont le statut international leur fait devoir.
21. Les membres du personnel ne peuvent se livrer, sans l’autorisation préalable du Secrétaire général, à aucune activité politique ou associative qui risque de porter atteinte à l’indépendance et à l’impartialité qu’exige leur qualité de membres du personnel de l’Organisation.
22. Les membres du personnel doivent observer en tout temps la plus grande discrétion dans l’exercice de leurs fonctions.
26. Le temps de travail des membres du personnel est exclusivement réservé à l’accomplissement des missions de l’Organisation.
26.3. Les membres du personnel s’abstiennent de toute conduite qui pourrait, directement ou indirectement, être incompatible avec l’exercice de leurs fonctions au sein de l’Organisation. »

En effet, si la notion d’impartialité commande celle de la neutralité, inversement, l’absence de neutralité induit l’absence d’impartialité. Au regard de ce qui précède, il est clair que M. Nubukpo a failli aux devoirs d’impartialité et aux obligations qui s’imposent aux fonctionnaires de l’OIF dans l’exercice de leurs fonctions, tout comme dans leur vie personnelle.

Quand bien même M. Nubukpo peut prétendre parler en son nom et non au nom de l’OIF, il reste qu’il était chaque fois présenté comme étant « directeur en charge de la Francophonie économique ». De ce fait, la ligne à tracer était très mince entre ses prises de position personnelles et la position officielle de son organisation, à ce sujet.

Même dans l’hypothèse où il s’agirait effectivement d’une position personnelle, mais dès lors qu’elle était exprimée par celui-là même qui était chargé de mener à bien l’action économique de l’OIF, il était relativement facile de faire un lien possible entre les deux positions. De toute façon, ses fonctions au sein de l’OIF lui offraient une plus grande visibilité faisant en sorte qu’il bénéficiait d’une présence accrue dans les médias imprimés et radiotélévisés pour exprimer publiquement ses opinions personnelles.

Tout en reconnaissant à toute personne le droit d’exprimer librement ses opinions, M. Nubukpo, en tant que fonctionnaire international, devrait néanmoins faire preuve de discernement dans ses faits et gestes, adopter une attitude impartiale, de manière à éviter tout conflit d’intérêt réel ou perçu, afin de ne pas susciter un malaise dommageable à l’OIF et embarrasser son employeur.

Il est donc clair qu’en montant au créneau pour défendre ses opinions contre le franc CFA, tout en fustigeant publiquement les États membres et certaines personnalités qui soutiennent le maintien de cette monnaie, alors que de par ses fonctions, il était tenu par l’obligation de réserve, M. Nubukpo doit avoir mesuré toutes les conséquences de ses prises de position, qui étaient en porte-à-faux avec les règles de l’organisation qui l’employait.

Pour éviter tout embarras possible, la haute direction de l’OIF se devait de clarifier rapidement et sans équivoque la position de l’organisation et agir en conséquence, sinon son silence serait interprété, à tort ou à raison, comme une approbation tacite de positions personnelles d’un fonctionnaire sur un sujet déliquat qui concerne plusieurs membres de l’Organisation.

Pour ou contre le franc CFA ?

Il est très important pour moi que ça soit clair comme l’eau de roche, que je ne suis pas en train de prendre position pour ou contre le franc CFA, mais je relève simplement un problème éthique et déontologique qui pouvait à la longue embarrasser sérieusement les dirigeants de l’OIF et créer un malaise entre les États membres.

Je suis très conscient que la question du franc CFA, notamment le besoin de recouvrer la souveraineté monétaire et financière des États concernés vis-à-vis de leur ancienne métropole, est extrêmement sensible au point que les dirigeants politiques de ces pays se sont toujours abstenus de toute prise de position publique pour l’abolition du franc CFA.

Quand bien même que la question de cette monnaie demeure un sujet tabou dans le milieu politique africain, son maintien ou non a toujours alimenté le débat public, tant dans le milieu universitaire qu’auprès de la masse populaire d’Afrique francophone.

Le franc CFA est une monnaie utilisée dans 15 pays du continent noir et considérée, à tort ou à raison, comme un vestige de la période coloniale et un obstacle rédhibitoire au développement des économies des pays de la Zone franc.

Les pourfendeurs, dont M. Nubukpo, qui militent depuis quelques années pour son abolition, dénoncent énergiquement la « servitude volontaire » de leurs dirigeants politiques et économiques qui s’obstinent à utiliser une monnaie coloniale.

Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue


Quand une enquête qui se voulait révélatrice de la gouvernance de l’OIF perd de sa crédibilité!

Tout d’abord, il convient de le dire d’emblée clairement que personne n’est contre l’enquête qui a été menée par le Bureau d’enquête du Journal de Montréal à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Dans une société démocratique, le journalisme d’investigation est utile, voire même nécessaire, en ce sens qu’il veille au bon fonctionnement et à la transparence dans la gestion de nos institutions publiques. C’est d’ailleurs l’un des moyens les plus efficaces que les professionnels des médias utilisent, en toute indépendance et objectivité, pour démasquer et révéler notamment, des faits de corruption et autres méfaits, de détournement de fonds/biens publics à des fins personnelles ou d’abus de pouvoir.

Au fond, ce qui est troublant et incompréhensible au sujet de cette enquête, ce n’est pas tant l’indignation ou le désenchantement exprimés, dans les médias et autres réseaux sociaux, par d’honnêtes citoyens qui travaillent dur pour nouer les deux bouts du mois, et entendent que des sommes colossales auraient été dépensées pour la rénovation d’un édifice, c’est plutôt la manière dont les résultats de cette enquête ont été présentés astucieusement et utilisés par une certaine presse pour susciter un tollé général auprès de l’opinion publique francophone, et particulièrement québécoise et canadienne.

Une enquête qui aurait pu servir de base et contribuer à une réflexion profonde sur le fonctionnement général de nos institutions, tant à l’échelle locale, nationale qu’internationale, et ouvrir la voie à d’éventuelles réformes possibles qui s’imposent pour une utilisation à bon escient des deniers publics, a malheureusement servi de sources pour des attaques personnelles, au point d’annihiler tout le crédit qu’on pouvait encore lui accorder.

En effet, au lieu de nous parler beaucoup plus sur ce à quoi l’enquête a porté essentiellement, à savoir, la gestion de l’OIF ou même du bilan de Michaëlle Jean à 18 mois de la fin de son mandat, nous avons été servis, comme lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs, par des attaques en règle contre sa personne.

Il faut que ça soit clair et net, nous ne sommes pas en train de nous porter à la défense d’une gouvernance à laquelle nous ne sommes aucunement comptables, ni de près ni de loin, ce que nous déplorons vivement, c’est cet acharnement contre la personne de Michaëlle Jean. Cette manière subtile de balancer, de façon brute, des gros chiffres qui auraient été dépensés, pour susciter l’indignation du public, et par ricochet, fournir des munitions aux détracteurs qui s’en sont d’ailleurs servis à cœur joie pour mener des attaques en règle contre la pauvre dame.

Cette manière subtile de balancer, de façon brute, des gros chiffres qui auraient été dépensés, pour susciter l’indignation du public, et par ricochet, fournir des munitions aux détracteurs qui s’en sont d’ailleurs servis à cœur joie pour mener des attaques en règle contre la pauvre dame.

Sachant pertinemment bien que le mandat de Michaëlle Jean achève à la fin de l’année prochaine, derrière ces révélations et tout cet acharnement médiatique sans pareils, l’on peut y voir toute sorte de scénarios, y compris les intentions inavouées de saper sa crédibilité et ainsi nuire toutes ses chances de pouvoir rempiler pour un second mandat. Une stratégie qui, si elle s’avérait exacte, risquerait fort bien d’avoir un effet inverse de celui escompté par ses détracteurs.

Tout compte fait, Michaëlle Jean ne devrait pas perdre de vue que, si en 2014 c’était son discours et la perception positive qu’on avait d’elle qui ont prévalu, en 2018 ce serait le bilan de réalisations tangibles et concrètes qu’il faudrait présenter pour convaincre l’opinion publique francophone.

Lire aussi : Michaëlle Jean : une controverse qui ne sert pas les intérêts du Canada, ni ceux du Québec à l’OIF


Michaëlle jean se dit victime d’un acharnement médiatique

Un sujet a dominé l’actualité de cette semaine au Québec et au Canada francophone, dans les journaux, à la radio et télévision francophones, au point d’éclipser d’autres nouvelles importantes. Il s’agit de la publication des résultats d’une enquête menée par une équipe du Journal de Montréal qui nous a révélé que des montants faramineux auraient été dépensés pour la rénovation de la résidence officielle de la secrétaire générale de la Francophonie à Paris et pour les déplacements officiels du personnel de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

En parcourant tous les commentaires exprimés au sujet de cette fameuse enquête, le tollé général et le brouhaha que cette nouvelle a suscités dans l’opinion publique, cela nous amène à nous interroger sérieusement sur les véritables motivations et intentions, réelles ou supposées, des enquêteurs qui ont publié de tels chiffres, de manière brute, sans jamais prendre la peine de les contextualiser objectivement.

En effet, il nous est difficile de porter un jugement de valeur sur les résultats d’une enquête dont on ne connait pas exactement le but recherché par les auteurs, ni même la méthodologie qui a sous-tendue leurs investigations. Toutefois, il va sans dire que les intentions derrière cette publication étaient de clouer publiquement Michaëlle Jean au pilori de l’infamie.

Michaëlle Jean a été élue secrétaire générale de la Francophonie en novembre 2014, pour un mandat de quatre ans qui finit normalement à la fin de l’année prochaine. L’édifice qui a été rénové par l’OIF, pour son secrétaire générale, appartient au gouvernement du Canada, qui est par ailleurs un membre éminent de cette organisation et apporte une contribution substantielle au budget annuel pour son bon fonctionnement. S’il y a des biens qui ont été achetés avec l’argent de l’OIF, ils appartiennent à l’organisation, non à Michaëlle Jean.

S’il y a des biens qui ont été achetés avec l’argent de l’OIF, ils appartiennent à l’organisation, non à Michaëlle Jean.

En somme, c’est beaucoup de bruit pour rien. L’enquête aurait été plus percutante et embarrassante si elle avait révélé que Michaëlle Jean aurait gonflé les montants de la rénovation d’un édifice du gouvernement du Canada, qui fait office de résidence officielle du secrétaire générale de la Francophonie, pour s’en mettre plein les poches.

Concernant les sommes qui auraient été dépensées pour les voyages officiels, nous ne sommes pas sans savoir que l’OIF est une organisation intergouvernementale qui compte 84 États et gouvernements membres ou observateurs à travers les cinq continents. L’une des missions importantes lui confiées par les gouvernements et États membres est notamment d’accompagner les États dans leurs processus de transition démocratique, de contribuer au renforcement de l’État de droit, au respect des droits de la personne, des libertés d’expression et de la presse dans l’espace francophone.

Nul besoin de rappeler ici que le bilan en matière du respect des principes essentiels de la gouvernance démocratique, dans la grande majorité des États membres de la Francophonie, est très peu reluisant. Et que, cela constitue un défi de taille pour l’OIF qu’il ne sera pas possible de relever qu’en travaillant à la fois avec les États concernés et de concert avec ses partenaires internationaux pour trouver des solutions durables.

La stratégie adoptée par l’OIF pour la promotion de la démocratie dans l’espace francophone consiste, entre autres, à offrir le soutien technique au processus électoral et l’observation des élections dans un certain nombre de pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe centrale et des Caraïbes. Pour cela, elle fait appel aussi bien aux ressources internes et externes de l’organisation pour accompagner les États qui sollicitent son assistance.

Ce n’est donc pas en étant cloîtrés dans leurs bureaux au 19-21 avenue Bosquet à Paris, ni même perchés au sommet de la tour Eiffel que les fonctionnaires et autres experts externes peuvent aider à surveiller les élections dans un État membre. C’est un travail qui nécessite qu’ils descendent régulièrement sur le terrain pour comprendre les réalités, souvent spécifiques à chaque pays, afin de mieux les accompagner.

Toute cette controverse entourant la rénovation de la résidence officielle de la secrétaire générale de la Francophonie, qui ressemble à  un acharnement médiatique, ne sert pas du tout les intérêts du Canada, ni ceux du Québec, qui jouent par ailleurs un rôle prépondérant au sein de cette organisation intergouvernementale.

Lire : Dépenses de l’OIF: Ottawa et Québec ne critiquent pas Michaëlle Jean


Les conséquences possibles de la réduction des effectifs à la Monusco

Le vendredi 31 mars 2017, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l’unanimité la Résolution 2348 (2017) prorogeant le mandat de la mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) – une plus grande mission de stabilisation dans le monde -, tout en réduisant légèrement les effectifs.

Ainsi, aux termes de cette Résolution, les effectifs maximums autorisés passent théoriquement de 19 815, le nombre de militaires et de policiers, à 16 215, soit une réduction de 3 600 personnes. Mais pratiquement sur le terrain, les troupes déployées resteront quasiment identiques, soit environ 16 000 Casques bleus réellement déployés. Ce qui laisse subsister une marge de manœuvre qui permettrait le déploiement éventuel des troupes canadiennes, si le gouvernement en décide ainsi.

En effet, le gouvernement libéral avait promis d’augmenter le rôle du Canada dans le monde, tout en exprimant son intention de déployer jusqu’à 600 militaires et 150 policiers canadiens au sein des missions de maintien de la paix des Nations unies, notamment en Afrique, avec un budget de 450 millions dollars sur trois ans. Mais jusqu’à ce jour, le choix de la mission où nos troupes seront déployées se fait toujours attendre.
Un choix cornélien pour une mission

Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan a fait une tournée africaine en août dernier pour justement explorer les possibilités d’engager des troupes canadiennes dans une des missions des Nations unies actuellement déployées dans le continent. Il reste que le choix pour une mission où le Canada devra déployer ses troupes, loin d’être fortuit, sera guidé par un certain nombre de considérations politiques, économiques et sécuritaires, et ce, en tenant compte, bien évidemment, de la sécurité nationale et de nos intérêts géostratégiques dans ce continent. En pole position des intentions canadiennes, par ordre de préférence, figuraient notamment le Mali, la République démocratique du Congo (RDC), la République centrafricaine (RCA) et le Soudan du Sud.

Dans tous les cas, il serait invraisemblable que le Canada engage des troupes dans une opération militaire qui risquerait de mettre en danger leur sécurité, ainsi que celle des citoyens canadiens. Or, de ces quatre missions des Nations unies en Afrique, il y a lieu de noter toutefois que celle du Mali est sans doute la plus dangereuse, en ce qui concerne la sécurité des Casques bleus. Depuis le début de cette mission en 2013, plus d’une centaine de Casques bleus ont déjà péri dans des affrontements armés avec les groupes rebelles ayant des ramifications transfrontalières avec les terroristes dans cette région du Sahel difficilement contrôlable.

De plus, en déployant un nombre aussi important des troupes dans une mission, tactiquement, le Canada voudrait bien prendre le commandement de la mission. Or, en mars dernier, l’ONU avait déjà nommé un Général belge, en tant que commandant militaire des opérations au Mali.

Est-il encore possible à la Monusco?

Jusqu’avant la Résolution du Conseil de sécurité, la RDC était dans une meilleure position à bien des égards, étant donné que le Canada est déjà intervenu dans ce pays en 1960, alors que le Congo sombrait dans le chaos au lendemain de son accession à l’indépendance. Le Canada avait, fort de son expérience dans les opérations de maintien de la paix, joué un rôle déterminant au sein de la mission des Nations Unies au Congo (ONUC) de l’époque pour rétablir la paix et la stabilité de ce pays. Et depuis, le Canada a toujours été à l’écoute et sensible aux problèmes congolais.

Bien que la Résolution 2348 (2017) a réduit les effectifs de la Monusco, elle lui confie en même temps un autre mandat prioritaire d’appuyer la mise en œuvre de l’accord de 31 décembre 2016, communément appelé Accord de la Saint-Sylvestre. Ce qui voudrait dire qu’il est encore possible pour le Canada de jouer un rôle déterminant au Congo pour aider ce pays à se sortir d’une impasse politico-sécuritaire qui dure depuis trop longtemps.

En effet, même si le Canada n’a pas encore formellement déposé son plan de déploiement de Casques bleus pour une quelconque mission de paix des Nations unies, la semaine dernière, le premier ministre canadien Justin Trudeau a apaisé les craintes de tous ceux pensaient que les priorités canadiennes auraient changées avec l’arrivée au pouvoir de la nouvelle administration américaine. Il a appelé à la patience, en soulignant que « nous demeurons engagés, mais nous allons prendre notre temps pour s’assurer qu’on fait la bonne chose […] C’est pour ça qu’on est en train de réfléchir de façon très responsable et attentive à comment nous pouvons aider le mieux possible. »

Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan a renchéri pour sa part que « la décision d’envoyer des troupes n’importe où dans le monde est une décision très importante pour tout gouvernement. Nous étudions toutes les missions et leur complexité. »

Comme quoi le déploiement de troupes canadiennes en Afrique se trouve encore sur la table à dessin du premier ministre canadien et de son ministre de la Défense.


Crise politique en RDC: pas d’Accord politique ni de Constitution

La situation actuelle de crise de légitimité démocratique grave dont souffre la République démocratique du Congo (RDC), crise liée au manque d’organisation des élections présidentielles et législatives, risque fort de prendre des proportions violentes et incontrôlables si une solution n’est pas rapidement trouvée et mise en place.

En effet, il convient de noter que toutes les institutions du pays sont fin mandat. Une situation inédite qui mérite d’être soulignée en ce 21ème Siècle et qui suscite beaucoup d’interrogations mêlées d’inquiétudes très sérieuses sur les risques possibles et réels de dérive autoritaire et de l’arbitraire.

Les mandats de tous les élus du peuple : le président de la République, les députés nationaux et provinciaux, les sénateurs, les gouverneurs de provinces, sont arrivés à expiration. C’est une violation grave de la Constitution du pays, rendant ainsi incapables ceux-ci de remplir honorablement et légitimement leurs fonctions le mieux possible.

Pour pallier à cette situation de crise politique qui persiste dans ce pays et qui compromet tout progrès socio-économique, les forces politiques et sociales, avec le soutien de la communauté internationale, avaient appelé au dialogue national pour parvenir à un accord politique global afin de résoudre les problèmes liés à l’organisation des élections libres et transparentes. Mais le pouvoir et l’opposition politique sont restés campés sur leurs positions, et divisés sur un certain nombre de questions fondamentales et de principes, des uns et des autres.

Le pouvoir avait tout de même organisé, à la va-vite, un dialogue avec une partie de l’opposition politique et formé un gouvernement avant la fin du mandat du président Kabila. Mais celui-ci semble paralysé, complètement inerte et incapable de mener une quelconque action d’envergure pour soulager un tant soit peu la misère de la population.

Après l’échec patent de la médiation de l’Union africaine, conduite par l’ancien premier ministre togolais Edem Kodjo, les forces politiques et sociales congolaises ont accepté à l’unanimité de retourner à la table de négociation avec l’aide de l’Église catholique locale pour essayer de colmater les brèches et de trouver des solutions à la crise politique et constitutionnelle que connaît le pays, dont il est impossible de prédire l’issue.

Les prélats ont cru bon d’œuvrer avec la ferme volonté d’engager un dialogue constructif, dans un esprit de compréhension mutuelle et de conciliation pour parvenir à un compromis politique. Mais, c’était sans compter avec les sombres manœuvres des acteurs politiques congolais qui se traduisent par la mauvaise volonté, l’insouciance et le manque de compassion dont ils font souvent preuve face à la misère de leur peuple.

Les négociations menées par les prélats, qui ont évité de justesse un chaos total qui aurait pu se produire à la suite de la fin du mandat présidentiel de Joseph Kabila, le 19 décembre 2016, avaient tout de même abouti à un accord le 31 décembre 2016, appelé communément accord de la Saint-Sylvestre.

À la suite de cet accord politique, le pouvoir et l’opposition avaient convenu de former un gouvernement de transition dans le but d’organiser et d’assurer la transparence du processus électoral prévu avant la fin de cette année. Toutefois, la mise en œuvre des dispositions de cet accord pourtant convenues, pose un véritable problème, particulièrement en ce qui concerne le choix et la désignation du premier ministre, chef du gouvernement issu de l’opposition.

En effet, le problème de la classe politique congolaise tient beaucoup à l’absence de culture politique démocratique et au non-respect des dispositions des textes, en général, et particulièrement de lois du pays, par ceux-là mêmes qui sont supposés veiller strictement à leur application.

L’Accord avait prévu que des élections présidentielles et législatives soient organisées au plus tard en décembre 2017. Mais à cette allure, il est techniquement impossible d’imaginer un seul instant que les élections auront bien lieu comme convenu. La question que l’on se pose précocement, qu’est-ce qui va se passer après décembre 2017, si les élections ne sont pas organisées ?

Échec de la médiation catholique

Sous la houlette de l’Église catholique locale, les négociations en vue de l’application de l’accord du 31 décembre ont accouché d’une souris. Les médiateurs ont constaté malheureusement l’absence d’une volonté politique dans le chef de deux parties de rechercher une solution pacifique à la crise politique et constitutionnelle que connaît leur pays. Dans un climat de manque de confiance et de compréhension mutuelle, ils ne peuvent plus conduire indéfiniment leur mission de bons offices.

C’est ici l’occasion d’appeler au sursaut patriotique du président Joseph Kabila de sortir de son mutisme habituel, de briser son silence et de sauver cet accord de la Saint-Sylvestre, qui lui a permis de rester au pouvoir au-delà de la fin de son mandat constitutionnel, le 19 décembre 2016. Il doit très clairement parler à sa famille politique pour trouver des voies et moyens d’aplanir les divergences et assurer l’application de l’accord tel que convenu, pour le bien de son peuple.

À défaut et devant l’impasse persistante, la communauté internationale doit prendre ses responsabilités en utilisant tous les moyens coercitifs possibles pour contraindre le régime de Kinshasa de la mise en œuvre effective de cet accord qui, implicitement, fait l’objet d’instrument de compromis politique en vigueur pendant cette période transitoire où la Constitution a été complètement violé et paralysé.

Il est profondément triste de voir un pays aussi riche, qui recèle de vastes ressources naturelles et de nombreux talents, avec un niveau scandaleux de pauvreté, alors que les dirigeants sont complètement insouciants et ne manifestent aucunement la volonté d’assurer le bien-être social et un avenir sécurisé à leur population. Il faut avouer que la RDC est depuis une vingtaine d’années un État défaillant et ingouvernable.


Célébrons la Francophonie et réaffirmons les valeurs partagées

Il y a quarante-sept ans, jour pour jour, que l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), autrefois appelée Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), avait été portée sur les fonts baptismaux. Aujourd’hui, le 20 mars 2017, les 274 millions de locuteurs francophones dans toute leur diversité et les amoureux de la langue de Molière répartis aux quatre coins de la planète, célèbrent la Journée internationale de la Francophonie.

Une Francophonie internationale et institutionnelle qui, comme en témoigne le nombre d’adhésions à chaque Sommet, ne cesse de s’élargir, de se consolider et d’étendre ses tentacules même au-delà de liens linguistiques et historiques qui, autrefois, unissaient les pères fondateurs et constituaient le fondement même de l’Organisation.

Aujourd’hui la Francophonie, au travers de la langue que nous avons en partage, est devenue une grande famille élargie et composée à la fois d’hommes et de femmes dont le français est leur langue maternelle, de ceux et celles qui l’ont reçue en héritage colonial, et de tous les autres qui l’ont choisie ou choisissent allègrement de l’apprendre.

C’est donc une Francophonie vivante qui non seulement affirme sa diversité, mais utilise la langue française pour promouvoir la diversité culturelle non pas comme un obstacle, plutôt comme un pilier essentiel et une valeur ajoutée au développement socio-économique de nos sociétés.

Par les temps qui courent, il me semble nécessaire de souligner aussi à l’intérieur de nos États que la diversité culturelle est une richesse. Je pense profondément que cela mérite d’être mentionné très clairement surtout en ce moment où la montée du populisme et la démagogie xénophobe ont le vent dans les voiles dans certaines de nos vieilles démocraties occidentales, notamment en ce qui concerne les questions relatives aux politiques d’immigration, d’intégration et de droit d’asile.

En effet, certains acteurs politiques, en mal de positionnement, n’osent pas dire tout haut à quel point la diversité culturelle est une richesse indispensable dans nos sociétés de plus en plus mondialisées, ni même défendre publiquement les droits de minorités vulnérables, par crainte de perdre des voix de leurs électeurs qui sont parfois hostiles aux étrangers.

Mais la Francophonie, c’est aussi un espace fondé sur de valeurs partagées que sont la primauté de l’état de droit et le respect des libertés fondamentales, la démocratie et le respect des droits de la personne, qui sont enchâssées dans la Charte de la Francophonie comme support juridique et socle de l’édifice francophone. Et, sur ces points, on s’attend à ce que la Francophonie soit ferme dans son action.

En effet, ce qui est jugé inacceptable et intolérable au Canada, en France, en Belgique, en Suisse ou au Luxembourg, doit l’être également dans les autres pays, tel qu’au Burundi ou en République démocratique du Congo. On ne doit pas se complaire dans un rôle d’observateur inactif alors que pendant ce temps, de centaines de milliers de vies humaines périssent sans défense.

Ne soyons pas gênés de reconnaître que, comparativement à d’autres espaces linguistiques, l’espace francophone est celui où la démocratie balbutie encore. C’est aussi l’un des espaces les plus troublées du monde, notamment le continent africain, avec de nombreux cas de violations sérieuses et systématiques des droits humains, des restrictions et l’usage de la violence excessive par les forces de l’ordre pour réprimer les manifestations pacifiques, etc. Il y a absence d’une véritable démocratie représentative dans de nombreux pays membres de l’OIF.

On attend de l’OIF qu’elle soit vigilante et accompagne sans complaisance les États membres à consolider les principes démocratiques, la primauté de l’état de droit et le respect des droits de la personne.

Si nous voulons réellement construire ensemble un futur commun basé sur le respect de valeurs partagées, l’OIF doit savoir apporter des réponses durables et appropriées aux nombreuses situations d’instabilité politiques récurrentes et de guerres qui secouent de nombreux pays de l’espace francophone. Autrement, on ne saurait prétendre que la Francophonie devienne une force politique et économique capable de peser dans la balance des relations internationales et de faire entendre sa voix sur la scène mondiale.


Un Fonds bleu pour protéger la forêt du Bassin du Congo

Très souvent lorsqu’ils se réunissent aux sommets internationaux sur l’environnement et le changement climatique, les dirigeants politiques nous ont habitué avec de beaux discours qui sonnent creux, de grandes déclarations de bonnes intentions auxquelles eux-mêmes n’y croient pas et de promesses mirobolantes qui n’engagent que ceux qui y croient.

L’initiative annoncée lors de la COP22 à Marrakech, en novembre dernier, par le président congolais Denis Sassou-Nguesso, de créer un Fonds bleu pour le Bassin du Congo, de l’ordre de 100 millions d’euros qui sera alimenté chaque année, n’est pas restée qu’une simple déclaration de bonnes intentions. Elle vient d’être lancée officiellement ce jeudi 09 mars 2017, à Oyo au nord de la République du Congo.

Pilotée par la Fondation Brazzaville – un organisme caritatif et indépendant, à but non lucratif basée aux Royaume-Uni -, cette initiative d’un Fonds bleu vise à subventionner à la fois des actions qui protègent les écosystèmes forestiers et celles qui stimulent l’économie de façon significative, en créant des possibilités d’emploi et en contribuant à lutter contre la pauvreté. Ultimement, c’est une initiative qui s’intègre parfaitement aux efforts déployés par la Communauté internationale, dans le cadre des objectifs de développement durable à l’horizon 2030.

Encore faut-il que cette initiative tienne pour longtemps. Toutefois, il est encore prématuré d’affirmer s’il s’agit d’un feu de paille ou d’une véritable volonté de la part des initiateurs, à la fois de résoudre les problèmes environnementaux et de stimuler l’économie en faveur du bien-être socio-économique de populations locales.

Mais c’est l’occasion pour nous de rappeler encore une fois de plus l’utilité et les nombreux bienfaits que la forêt en général et spécifiquement celle du Bassin du Congo – deuxième poumon écologique de la planète après l’Amazonie -, rend à l’humanité toute entière. Cette forêt humide d’Afrique centrale joue un rôle important, par sa biodiversité exceptionnelle et ses écosystèmes, et contribue à la régulation du climat avec la séquestration du carbone. Elle libère de l’oxygène indispensable à la vie de toute l’humanité, ce qui contribue à la diminution des émissions mondiales de gaz à effet de serre et au ralentissement du réchauffement de la planète.

De ce fait, nous bénéficions tous d’une manière ou d’une autre de services rendus par ce patrimoine naturel du Bassin du Congo et de sa diversité biologique. Par conséquent, nous devrions tous contribuer à sa préservation, pour le bien de générations actuelles et futures.

C’est pourquoi nous lançons ici un appel pressant aux gens de bonne volonté; à tous ceux qui ont à cœur le bien-être de notre planète Terre ; aux organismes nationaux, régionaux et internationaux qui s’occupent de la protection de l’environnement ; et aux pays nantis, d’apporter un appui financier, technique et organisationnel indispensable pour soutenir les efforts de pays de la sous-région d’Afrique centrale de protéger et préserver les forêts du Bassin du Congo, qui contribuent de façon significative à notre qualité de vie, préservent celle des générations futures et contribuent à la lutte contre le réchauffement climatique.

En effet, on ne le dira jamais assez que les populations d’Afrique centrale qui se privent des bénéfices financiers susceptibles d’être générés par l’exploitation forestière à grande échelle, ne reçoivent pas nécessairement une rétribution juste et équitable de la communauté internationale, du sacrifice qu’elles consentent pour le bien de l’humanité.

L’Afrique centrale est une des sous-régions les plus riches d’Afrique, qui regorge d’importantes ressources naturelles, pétrolières, de gigantesques ressources en eau potable et un potentiel important d’Hydro-électricité susceptibles d’impulser le développement du continent. Mais pour des raisons évidentes que je n’ai pas l’intention de développer ni d’analyser plus en détail, elle demeure malheureusement la sous-région qui éprouve beaucoup de difficulté d’attractivité et d’absorption d’appuis techniques et financiers extérieurs, comparativement aux autres sous-régions du continent.

LIRE AUSSI :

– Protéger les victimes du changement climatique

– COP22 : Il est temps de traduire les promesses en action concrètes pour l’Afrique

– COP22 à Marrakech : Le Maroc prêt à relever le défi climatique

– Hans Jonas et l’accord de Paris sur le climat

– COP21 : tirer les leçons des échecs précédents

– Changement climatique : l’Afrique attend une juste rétribution

– Le sommet du G7 et la question du réchauffement climatique

– Paris 2015 : un accord sur climat est-il possible ?


RD.Congo : Que cache le massacre au Kasaï central?

 

Depuis quelques jours, il y a des vidéos qui circulent abondamment dans les médias et partagés sur les réseaux sociaux, montrant des images atroces et gravissimes de forces de l’ordre congolaises en train de massacrer impunément les populations civiles sans armes.

Ce énième massacre a suscité un profond émoi dans la population et auprès de la communauté internationale, ce qui a donné lieu à des critiques acerbes de nombreux pays et une désapprobation tous azimuts de la violence dont font souvent preuve les forces de l’ordre de ce pays contre des populations civiles.

Le gouvernement de Kinshasa a voulu, dans un premier temps, nier l’évidence en tentant de minimiser la gravité de crimes, mais il a été incapable d’étouffer la vérité. En effet, le dysfonctionnement de la communication et la cacophonie étaient tels que les ministres se contredisaient les uns les autres et n’étaient même pas en mesure de gérer convenablement la situation. Finalement, le gouvernement a fait volte-face en reconnaissant que les forces de l’ordre avaient commis des excès et en annonçant l’ouverture d’une enquête pour établir les faits sur les violations graves des droits humains au Kasaï central.

Cette cruauté répréhensible qui dépasse tout entendement, commis au mépris de la dignité inhérente à la personne humaine, est particulièrement préoccupante et constitue incontestablement un crime de guerre et un crime contre l’humanité.

Les auteurs matériels et intellectuels, les commanditaires et exécutants de ces crimes inacceptables doivent savoir que tout usage excessif, irrationnel et disproportionné de la force, provoquant mort d’hommes est un crime imprescriptible dont ils devront, tôt ou tard, répondre individuellement de leurs actes de terreur, au regard du droit pénal international. Qui plus est, il existe déjà un précédent important au sein du système de justice pénale internationale.

Un climat de terreur règne en RDC

Mais au-delà du sanglant massacre au centre du pays qui a profondément choqué l’opinion publique, et de bien d’autres encore quotidiennement à l’Est du pays, il y a là de quoi s’interroger sérieusement s’il ne s’agit pas d’une stratégie du chaos orchestrée dans le but d’embraser à nouveau tout le pays afin de justifier l’impossibilité d’organiser les élections libres et transparentes à la fin de cette année tel que prévu dans l’Accord de la Saint-Sylvestre, qui tarde encore à être appliqué.

Il y a lieu de rappeler toutefois qu’en RDC, l’usage de la violence excessive et de mauvais traitements de la population civile, les intimidations contre les partis d’opposition, les militants de droits humains et autres journalistes qui essaient de faire correctement leur métier, sont devenus monnaie courante du régime pour se maintenir au pouvoir.

Le Rassemblement de l’opposition, un regroupement hétéroclite constitué des partis issus de tous les horizons politiques, dont certains sont motivés par la recherche du pouvoir, d’autres par l’appât du gain facile, d’autres encore par esprit de revanche au pouvoir, s’accordent tous sur un seul point, celui de faire plier le président Joseph Kabila, qui ne peut plus se représenter après deux mandats successifs, de respecter la Constitution congolaise.

Quand l’opposition tombe dans le piège du pouvoir

Cette union des forces politiques de l’opposition qui avait fait front commun derrière Étienne Tshisekedi pour faire pression au président Kabila de respecter la Constitution et qui l’a amené à négocier les termes de la période transitoire, avant les élections, commence à se lézarder avec la mort de son leader.

Il faut dire honnêtement que tout cela était malheureusement prévisible, étant donné que cette union ne reposait sur aucune base idéologique. En effet, rien ne réunit mieux un groupement politique qu’avoir un projet de société commun pour lequel tous travaillent pour le concrétiser. Or, même lorsqu’il veut diriger le gouvernement maintenant, tel que convenu dans l’Accord, le Rassemblement de l’opposition n’a pas un projet de société commun.

Qu’à cela ne tienne, l’erreur monumentale que le Rassemblement de l’opposition a commise et qu’il regrettera peut-être profondément, est d’avoir signer un chèque en blanc un peu trop blanc au régime de Kabila qui, en contrepartie, ne semble pas tenir sa parole et respecter son engagement. Et pourtant, son maintien au pouvoir, après le 19 décembre 2016, est garanti par cet Accord qu’il rechigne à appliquer. Du coup, le Rassemblement de l’opposition se retrouve dans une position de faiblesse sans beaucoup de capacité d’action et dans l’impossibilité de faire le rétropédalage en remettant en cause le pouvoir même de Joseph Kabila.

Pour revenir aux événements tragiques de cette dernière semaine au Kasaï central, il est regrettable de voir que les dirigeants congolais n’ont pas la moindre considération pour les populations civiles. Ces événements ont démontré, si besoin en était encore, qu’ils ne se préoccupent guère de la protection et du bien-être de leurs populations. De ce fait, il est inconcevable, voire même indécent qu’ils s’obstinent à vouloir s’accrocher à tout prix au pouvoir uniquement dans le but ultime de protéger leurs petits intérêts individuels aux dépens de l’intérêt supérieur de la nation.

Faut-il rappeler en définitive qu’une des responsabilités primordiales qui incombe à tout gouvernement, est de veiller à la sécurité des citoyens et à la protection de leurs biens. Cette responsabilité requière de gouvernants qu’ils soient notamment en mesure de transcender leurs intérêts individuels pour privilégier l’intérêt général; de répondre aux questions fondamentales et vitales de leurs concitoyens; d’avoir de grands desseins pour leur pays; et d’œuvrer jour et nuit à créer les conditions nécessaires à l’épanouissement et au bien-être de leur population.


Avec la mort de Tshisekedi : qu’adviendra-t-il de l’accord de la Saint-Sylvestre ?

Les négociations politiques entamées, fin 2016, par les clergés catholiques en République démocratique du Congo (RDC), avaient permis de faire baisser la tension qui régnait sur l’étendue du territoire congolais, à la veille de la fin du dernier mandat du Président Joseph Kabila. Une initiative qui a été beaucoup appréciée au niveau national et international. Ces négociations ont abouti à la signature d’un accord le 31 décembre 2016, appelé « Accord de la Saint-Sylvestre ». Un accord auquel s’est joint l’ensemble de la classe politique, toutes tendances confondues.

En vertu de cet accord, il a été convenu notamment de mettre en place un gouvernement de transition qui serait dirigé par un représentant du Rassemblement de l’opposition jusqu’à l’organisation des élections présidentielle et législatives avant la fin 2017.

Si l’on n’y prend pas garde, avec la disparition brutale du baobab autour duquel se rassemblait la frange majoritaire de l’Opposition politique (OP) pour faire contrepoids et exercer une pression au régime de Kabila, cet accord risque de prendre une tournure complètement différente de ce qui était convenu.

Deux scenarii possibles risquent de se produire

Du côté du pouvoir

Première hypothèse, la Majorité présidentielle (MP) continue avec sa stratégie actuelle de faire traîner en longueur les discussions et parvenir à faire accepter à l’OP de proposer plusieurs candidats au poste de Premier ministre. Ainsi, le président Kabila aura non seulement la possibilité de choisir, parmi les candidats proposés, celui qui fera son affaire et lui sera docile, mais surtout continuera de garder la main haute sur ce Premier ministre. L’accord sera ainsi appliqué, mais dans la continuité du régime en place.

Deuxième hypothèse, la plus plausible, la MP, comme toujours, utilise la bonne vieille recette politique de « diviser pour mieux régner », en activant la « main noire » qui distribue notamment des billets verts à certains membres du Rassemblement de l’opposition et de l’UDPS – les deux structures politiques que dirigeait Etienne Tshisekedi -, dans le but de les faire éclater pour ainsi clamer qu’il n’y a plus d’interlocuteur fiable avec lequel nous pouvons établir un dialogue sérieux dans le cadre de cet accord.

Du côté de l’opposition politique

Première hypothèse, malgré la mort du Patriarche, le Rassemblement de l’opposition résiste à la tentative du régime de Kabila de le faire éclater, reste uni et parle d’une seule voix pour le faire plier à respecter le prescrit de l’accord de la Saint-Sylvestre. Il pourra ainsi bénéficier de l’appui populaire. Cette population qui croupit dans la misère, privée de services vitaux tels que de l’eau potable et l’électricité, dépourvue du pouvoir d’achat des produits vitaux de première nécessité pour la santé. Une population frustrée, qui avait fondé beaucoup d’espoir sur Tshisekedi et qui se sent maintenant orpheline.

Deuxième hypothèse, le Rassemblement politique conditionne le rapatriement du corps de l’illustre disparu à la mise en œuvre de l’accord de la Saint Sylvestre. Accord issu du dialogue pour lequel Tshisekedi s’est battu, dans un premier temps isolé, puis rejoint finalement par l’ensemble de la classe politique congolaise.

C’est un point de vue qui est de plus en plus exprimé par la base du parti cher au Phoenix de Limete, qui souhaite que ce soit le gouvernement issu de cet accord qui organise les funérailles officielles et une sépulture dignes du combat que l’homme a mené pour la démocratie dans son pays.

Les partisans de Tshisekedi et la grande majorité de la population congolaise craignent, à tort ou à raison, que le pouvoir fasse de la récupération politique avec le corps de l’illustre disparu, alors que de son vivant, le Président Kabila maintenant au pouvoir depuis 16 ans, ne lui a jamais serré la main, en tout cas pas publiquement. Il est donc hors de question que le corps de Tshisekedi rentre au Congo avant l’application de l’accord.

Un accord qui obtient l’appui international

Bien qu’il soit resté très discret pendant les négociations, le Groupe international de soutien à la facilitation du dialogue congolais constitué autrefois de l’ONU, OIF, UA, UE, a apporté un appui total aux clergés congolais.

À la mort d’Etienne Tshisekedi, les quatre organisations ont unanimement rendu hommage à l’illustre disparu et réitéré leur soutien à l’application intégrale de cet accord, considéré comme un des héritages d’Etienne Tshisekedi, pour faciliter la bonne tenue des élections.

Dans un communiqué rendu public le 4 février dernier, Michaëlle Jean, Secrétaire générale de la Francophonie a déclaré que : « La témérité d’Étienne Tshisekedi, figure emblématique de la vie politique congolaise, n’aura laissé personne indifférent, tant elle s’inscrit dans l’histoire mouvementée de la construction de l’État de droit en République démocratique du Congo. On l’a vu encore dans le cadre de l’Accord politique, conclu le 31 décembre 2016, entre les différentes coalitions de l’opposition et la majorité présidentielle. »

L’Union européenne a été plus précis, en appelant ouvertement « les acteurs politiques à honorer la mémoire du défunt en mettant en œuvre l’accord de la Saint-Sylvestre qui doit mener le pays vers des élections paisibles et démocratiques. »

À l’Union africaine, la Présidente sortante, Nkosazana Dlamini Zuma, a déclaré la même chose : « la meilleure façon de rendre hommage à son héritage et son long combat pour la démocratie en RDC est de mettre pleinement en œuvre l’accord du 31 décembre 2016 ».

Le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies a également invité « les acteurs politiques à honorer la mémoire d’Etienne Tshisekedi en s’engageant résolument dans la mise en œuvre totale de l’accord politique du 31 décembre 2016 »

Tout le monde sait bien qu’à partir du 20 décembre 2016, le pouvoir du Président Kabila est garanti par ce compromis politique qui a été dégagé le 31 décembre 2016, et qui lui garantit de rester encore une année de plus au pouvoir, le temps d’organiser des élections démocratiques et transparentes pour lui trouver un successeur.

Mais au-delà de possibles prises de position relevant de la politique politicienne qui peuvent surgir pour tenter de torpiller ou même de faire capoter cet accord, le régime de Kabila devrait clairement comprendre que c’est lui qui a tout à gagner à préserver les acquis de cet accord. Il n’a donc aucun intérêt à vouloir énerver la population qui attend impatiemment la mise en œuvre de cet accord pour aller vite aux élections à la fin de cette année, comme prévu. Agir autrement risquerait non seulement de susciter de la frustration auprès de la population et accroître de nouveau la tension, mais cela reviendrait à scier la branche sur laquelle le Président Kabila est assis momentanément.


Hommage à Etienne Tshisekedi : l’intraitable militant de la démocratie

Etienne Tshisekedi

L’homme qui a marqué l’histoire politique congolaise au cours des quatre dernières décennies, et dont le combat démocratique a transcendé le temps et les générations, s’est éteint mercredi 1er février 2017 à Bruxelles, loin de sa terre natale qu’il chérissait tant. Le colosse incontournable qui régentait la vie politique en République démocratique du Congo (RDC) et déplaçait les foules, ne pourra plus jamais les haranguer.

Comme tout bon sportif de haut niveau qui préfère se retirer au sommet de sa gloire, l’intraitable Etienne Tshisekedi wa Mulumba a préféré tirer sa révérence au summum de sa popularité, et ce, à un moment crucial où le peuple congolais avait encore besoin de lui pour qu’il joue un rôle clé en accompagnant sagement la classe politique congolaise dans le processus transitionnel qui s’annonce tumultueux et dangereux pour l’avenir de ce pays.

Premier Congolais docteur en droit, Etienne Tshisekedi était un homme de principes et de convictions qui aura passé toute sa vie jusqu’au bout à lutter pour défendre et promouvoir les valeurs démocratiques et le respect de la primauté du droit en RDC. Malgré le caractère pacifique de son combat politique, l’homme était radical dans sa façon de percevoir l’avenir de son pays. Il prônait un changement radical nécessaire pour réformer la gestion politique et économique pour le bien ses concitoyens. Il luttera toute sa vie pour un changement social et politique qu’il ne verra malheureusement pas.

Tshisekedi est resté fidèle aux idéaux de justice, de liberté d’expression, d’égalité et de dignité humaine, auxquels il croyait fermement jusqu’à sa mort. Son engagement au service du peuple congolais était total et sans failles. Et, ce peuple lui a aussi bien servi. Pour preuve, sa popularité remarquable ne s’est jamais démentie et n’avait cessé de croître au fil des années. L’homme était devenu incontournable sur l’échiquier politique congolais. Toute tentative de vouloir le contourner était vouée à l’échec. Il avait un charisme naturel qui n’était pas forcement lié à ses talents d’orateur, mais à la force de ses convictions et son engagement, qui inspiraient confiance et respect même auprès de ses adversaires.

Un parcours de combattant de la liberté

Tshisekedi était l’un des personnages les plus éminents qui, en RDC, ont combattu pour la démocratie, la liberté d’expression, les droits humains, et se sont opposés aux régimes successifs de Mobutu, Kabila père et fils. Il a personnellement payé lourdement le prix de son combat politique. Durant la quarantaine d’années d’opposition politique, l’homme a subi toutes sortes de violations des droits humains par les régimes qui se sont succédé au pouvoir en RDC : arrestations abusives, emprisonnement, actes de torture physique, mentale et psychologique, relégations au village sans adduction d’eau ni électricité, etc. Mais toute cette cruauté inacceptable n’a pas altéré son engagement. Par sa constance et sa ténacité, l’homme a su vaincre la peur et les intimidations.

Maintenant qu’il a disparu, on ne saura jamais le secret de sa longévité dans le combat politique et la résistance à la dictature. L’homme a emporté avec lui également, dans sa tombe, des pans entiers de l’histoire politique du Congo dont il fut un des principaux acteurs.

Quel héritage laisse-t-il ?

La disparition brutale de Tshisekedi, certes prévisible étant entendu que la mort est une conséquence naturelle de la vie et un phénomène qui touche tout être humain, est tout de même survenue à un très mauvais moment pour l’avenir de son pays.

A l’exemple de Moïse, dans la bible, qui avait vaincu de nombreuses difficultés et conduit le peuple Hébreux à traverser la Mer rouge hors d’Égypte, Etienne Tshisekedi aura également conduit le peuple congolais jusqu’aux portes de la terre promise sans y entrer et leur a dit « prenez-vous en charge ». Avec la disparition de cette figure emblématique, c’est sans nul doute que la vie politique ne se fera plus de la même manière qu’avant.

Etienne Tshisekedi était un modèle d’exemplarité pour les Congolais qui se battent pour l’instauration d’un État de droit. Mais l’homme n’était pas qu’un opposant historique comme on aimait bien l’appeler, c’était toute une « école » qui a formé la classe politique et aussi une pépinière où les différents régimes qui se sont succédé allaient débaucher les faibles d’esprit.

Nombreux dans la majorité présidentielle, aussi bien à l’époque du Marechal Mobutu, de Laurent Désiré Kabila, qu’actuellement avec Joseph Kabila, sont passés par cette « école Tshisekedi ». Nombreux dans la classe politique congolaise, toutes tendances confondues, doivent leur ascension, soit directement, soit indirectement, à Etienne Tshisekedi. Certains, pour leur acharnement farouche contre Tshisekedi, d’autres pour leur rapprochement à Tshisekedi et leur éloquence à pourfendre le régime, finissaient par se faire acheter au prix fort par le régime.

En effet, même si Tshisekedi n’a pu atteindre son objectif, il a réussi à semer l’idée dans la tête de Congolais, d’imaginer un avenir meilleur pour leur pays. C’est ça le précieux héritage que Tshisekedi a laissé au peuple congolais : « Prenez-vous en charge ». 

Rendre hommage à Tshisekedi

Etienne Tshisekedi a fait sa part. Tout sa vie, il a mené avec acharnement un combat pacifique pour la démocratie et l’État de droit. Il savait bien qu’en politique il faut savoir négocier, mais il n’était pas prêt à faire des compromissions, à se compromettre lui-même dans les combines politiciennes, les mensonges et les déshonneurs. Il s’est sacrifié en faisant passer, avant tout, l’intérêt général aux intérêts personnels, en renonçant à tous les privilèges et en résistant à toutes tentatives de succomber aux sirènes du pouvoir tant et aussi longtemps que celui-ci ne servait pas les intérêts de son peuple.

Maintenant que cette boussole qui guidait le peuple congolais n’est plus, le meilleur moyen de lui rendre hommage et d’honorer sa mémoire pour ce combat noble qu’il a mené pour l’édification de la démocratie dans son pays, serait de poursuivre sa lutte pacifique pour la démocratie et le respect de la primauté du droit en RDC.

Il revient donc à chaque Congolais, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, selon ses capacités, ses moyens et ses compétences, de prendre le relais et de faire sa part pour continuer ce combat pour la démocratie, la liberté d’expression, l’état de droit et le respect des droits de la personne, dont le pays a fondamentalement besoin pour opérer des changements substantiels pour le bien des Congolais.

À la classe politique qui négocie la période transitoire, elle doit avoir à l’esprit que Tshisekedi a payé de sa vie pour le Congo. À son âge, 84 ans, il ne serait pas en train de travailler jour et nuit, de présider des réunions et des audiences pour son pays. Il serait plutôt en train de s’occuper de sa santé et de sa famille. Alors négocier, de bonne foi, une transition pacifique qui devra conduire le pays vers des élections démocratiques, libres et transparentes fin 2017 et asseoir le respect des principes de la démocratie constitutionnelle, du respect strict des lois et de la bonne gestion des affaires publiques. C’est de cette façon que vous allez honorer la mémoire de l’illustre disparu.

Tshisekedi était grand, il le restera dans la mémoire collective de Congolais. Son combat pour la démocratie est aussi le vôtre, et est loin d’être gagné. Vous tous ensemble, mettez tout en œuvre pour entretenir la flamme de l’espoir et de la liberté qui a été allumée par Etienne Tshisekedi wa Mulumba, et faites de sorte qu’elle ne s’éteigne pas mais continue de brûler dans le cœur de chacun et de tous.


La Francophonie a-t-elle les moyens de ses ambitions dans la lutte contre le terrorisme ?

 

Après deux années passées à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), Michaëlle Jean nous livre son appréciation, et dit s’inscrire résolument dans la continuité du legs de ses prédécesseurs en portant à son tour l’OIF sur la trajectoire des réalités du moment avec force, y compris là où on ne l’attendait pas.

Elle place ainsi son mandat dans le cadre des missions de l’OIF et tâche de mettre en œuvre la feuille de route, qui lui a été confiée par les chefs d’États et de Gouvernements. Feuille de route dont l’un des axes prioritaires est d’œuvrer pour une Francophonie économique en mettant l’accent sur l’investissement dans le capital humain, l’atteinte des objectifs du développement durable, l’apport essentiel des forces vives que représentent les femmes et les jeunes dans tous les efforts déployés.

Michaëlle Jean a accepté de partager sa réflexion sur la gouvernance de l’OIF et, un autre sujet qui lui tient à cœur, la lutte contre le terrorisme et la prévention de la radicalisation violente des jeunes.

De la gouvernance de l’OIF

« En tant que secrétaire générale de la Francophonie, ma mission, conformément à la Charte de l’OIF, est, entre autres, de mobiliser non seulement les États membres, mais aussi les partenaires multilatéraux pour la mise en œuvre des engagements et l’application du Cadre stratégique de la Francophonie 2015-2022, adoptés au Sommet de Dakar. C’est d’ailleurs lors de ce 16e sommet de la Francophonie que j’ai été élue et que les chefs d’État et de gouvernement rassemblés m’ont confié une feuille de route, assurément intense, que les équipes de l’Organisation portent énergiquement. Elles le font en parfaite cohérence, et j’y tiens, avec celles des autres organes et opérateurs de la Francophonie, en impliquant aussi nos réseaux vigoureux d’institutions, d’experts dans tous les domaines et d’organisations de la société civile.

Gouverneure générale du Canada, puis Envoyée spéciale de l’UNESCO pour Haïti, j’ai vu trop d’éparpillement, trop de doublons et d’attitudes en silo, pour envisager la tâche autrement que dans le rassemblement des forces et le partenariat.

Contrairement à ce que j’entends parfois, nous ne nous éparpillons pas. J’y veille. L’ambition des pays est certes grande, mais elle est parfaitement légitime. Elle demande de l’audace. J’aime voir la Francophonie avancer de manière décomplexée, consciente de notre plus-value qui est réelle et désireuse de bien la faire connaître et reconnaître. L’idée n’est pas de trop embrasser, mais de consolider nos acquis, de partager les solutions en marche dans l’espace francophone, avec des partenaires tout aussi volontaires et de toutes nos forces réunies. Nous agissons avec méthode autrement que dans la précipitation.

Je tiens à souligner notamment le travail phénoménal mené avec les jeunes francophones des 5 continents qui ont répondu massivement à l’initiative « Libres ensemble » que j’ai lancée début 2016. D’abord comme une plateforme interactive sur les réseaux sociaux, mais en moins d’un an, l’initiative Libres ensemble est devenue un mouvement très actif y compris sur le terrain et a réussi à rejoindre 5 millions de jeunes de tout l’espace francophone qui jusqu’ici ne savaient rien de la Francophonie et n’étaient pas touchés. De là est né aussi un programme de financement participatif innovant, « Finance-ensemble », pour soutenir généreusement le démarrage des meilleurs projets soumis par des jeunes entrepreneurs sociaux.

Il n’est un secret pour personne que nos ressources sont limitées, toutes les organisations multilatérales font face à ce même défi. Mais notre mérite est d’avoir réussi à responsabiliser tous nos pays membres, associés et observateurs, notamment dans le règlement des paiements arriérés des contributions statutaires.

Ce qui me conforte dans cette démarche, c’est qu’au 16ème sommet d’Antananarivo, en novembre dernier, nos réalisations ont été saluées par les chefs d’État et de gouvernement, ainsi que par les chefs de délégations. Tous et d’un commun accord, ont approuvé les orientations du rapport détaillé que je leur ai présenté de nos actions politiques pour plus de démocratie, de sécurité et de stabilité, en faveur des droits et des libertés, en éducation, formation professionnelle, culture, promotion et valorisation de la langue française, nos stratégies numérique, jeunesse et économique. Tous ces chantiers et combien d’autres encore qui sont engagés avec leur concours et leur assentiment. »

De la lutte contre le terrorisme

« Dans mes anciennes fonctions de Gouverneure du Canada, j’ai agi comme commandante en chef des Forces canadiennes. J’ai, à ce titre, effectué de nombreuses missions sur le terrain où sont déployées des opérations de défense et de maintien de la paix, notamment en Afghanistan, dans plusieurs pays d’Afrique et en Haïti, côtoyé aussi bien les troupes que les populations. J’ai vu combien les nouvelles menaces à la sécurité et à la stabilité du monde, particulièrement de notre espace francophone, sont un obstacle majeur au développement socio-économique et même à l’exercice des droits de l’homme.

En m’engageant à servir les États membres de la Francophonie, je savais bien que le défi sécuritaire serait au cœur de mon mandat. Je suis donc arrivée forte de toutes mes expériences antérieures et animée par la volonté de mobiliser les États, de les encourager à unir leurs forces pour relever ces nouveaux défis sécuritaires et nombreuses menaces qui accablent nos pays actuellement. Nous sommes tous concernés.

J’ai pris officiellement mes fonctions de Secrétaire générale de la Francophonie le 5 janvier 2015. Deux jours après, le 7 janvier, Paris qui abrite le Siège de l’OIF, était frappée et toute la France profondément ébranlée par les attentats horribles et meurtriers contre le journal satirique Charlie Hebdo, puis une épicerie juive. Le monde était en émoi et les manifestations d’indignation sont venue de partout face à ces attaques odieuses et barbares. L’OIF, n’était pas en reste et a su réagir. Espace d’échange, de solidarité, de coopération et de dialogue, l’Organisation se devait d’assumer pleinement son mandat en faveur d’un humanisme intégral, de la paix, de la démocratie, du renforcement de l’État de droit, de la défense des droits et des libertés, en ne ménageant aucun effort de diplomatie politique, mais aussi économique pour endiguer la pauvreté, le mal être des populations qui sont autant de facteurs de risque.

L’espace francophone est heurté de toutes part, comme le reste du monde et paie un lourd tribut. Espace de toutes les disparités, nous savons combien les organisations criminelles transnationales et terroristes trouvent dans la pauvreté un terreau fertile pour recruter des jeunes désespérés, désenchantés et dans en situation de précarité.

Ainsi, le mandat de lutter contre le terrorisme a été précisé clairement dans une Résolution adoptée par les chefs d’État et de gouvernement au sommet de Dakar en 2014. Une Résolution qui a condamnée fermement le terrorisme et réaffirmée la détermination des États à lutter ensemble contre les agressions constantes qui compromettent la paix, la sécurité internationale et le développement économique. »

Des efforts de l’OIF à relever les défis sécuritaires

« Les menaces asymétriques, la nébuleuse des organisations criminelles qui sèment la terreur pour isoler, déstabiliser nos pays, casser nos liens pour mieux contrôler des territoires, dégager les routes et les circuits de tous leurs trafics d’armes, de drogues et de personnes, exigent non seulement que nous intensifions nos actions, mais aussi une vraie mutualisation de nos moyens pour mieux anticiper, prévenir et protéger les populations.

Vous vous souviendrez que l’an dernier le personnel de l’OIF a aussi vécu directement la fureur insensée de cette barbarie lors de la prise d’otages à l’hôtel Radisson Blu de Bamako par une brigade terroriste. Je devais m’y rendre le lendemain. Les onze membres d’une équipe de la Francophonie qui m’y attendait ont connu l’horreur. L’un de ces collègues a été fauché par les rafales assassines des assaillants. Il était allé former les parlementaires maliens, un programme de l’OIF avec l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF).

Donc nous unir, rassembler tous nos moyens pour lutter plus efficacement et largement contre ce fléau est un plaidoyer que je porte partout, là où il le faut et jusqu’au Conseil de sécurité des Nations Unies, où aucun Secrétaire général de la Francophonie, avant moi, n’avait jusque-là été invité à témoigner dans cet hémicycle. J’ai multiplié par exemple les démarches pour faire entendre à la Communauté internationale l’extrême urgence d’apporter des renforts notamment à la Force africaine multinationale mixte dans la lutte contre Boko Haram, ou encore revoir le mandat des opérations de maintien de la paix pour une meilleure adéquation avec la réplique que l’on est en droit d’attendre pour mieux protéger les populations, mieux anticiper, en impliquant et en renforçant les capacités des pays eux-mêmes.

En juin 2016 à Paris, nous avons organisé une importante conférence internationale sur la lutte contre le terrorisme et la prévention de la radicalisation violente. Une conférence qui a connu une forte participation de haut niveau avec celle aussi du Conseil de sécurité des Nations Unies, de l’Union européenne, de l’Union africaine et d’autres partenaires régionaux et internationaux. Avec le ministère français de la Défense, les ministères des Affaires étrangères du Canada et de la Belgique, l’OIF est partenaire de la mise sur pied de l’Observatoire Boutros Ghali pour la paix, dont le siège sera situé à Bruxelles.

Le monde bouge, la Francophonie aussi. J’ai cherché, dès ma prise de fonction, à positionner clairement l’OIF sur la scène internationale. L’OIF est désormais plus entendue et plus reconnue comme un partenaire incontournable. L’Organisation est de surcroit plus attendue. Rien ne saurait arrêter le changement en marche. La Francophonie trahirait le projet de ses pères fondateurs si elle devait faire abstraction de la montée en puissance du terrorisme et de la radicalisation extrême, de l’aggravation des inégalités, du taux scandaleusement élevé et potentiellement explosif du chômage des jeunes, du non accès tout aussi scandaleux et économiquement pénalisant des femmes à l’emploi et aux responsabilités, du nombre jamais égalé, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, de réfugiés et de déplacés, de la persistance de crises et de conflits intra étatiques, de la dégradation de l’état de notre planète. »

Michaëlle Jean termine en disant : « Je peux m’enorgueillir sincèrement de cette Francophonie résolument inscrite dans le monde, bravant les urgences, les défis et les menaces nouvelles. »

À mi-mandat, Michaëlle Jean a tenu à répondre ainsi aux observations émises par certaines personnes selon lesquelles, l’OIF s’éparpillait un peu trop et en s’éloignant de plus en plus de sa mission essentielle qui est de promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique. La Secrétaire générale de la Francophonie croit fermement, selon les éclaircissements apportés ci-dessus, que sa démarche et ses actions sont dans la ligne droite du mandat, des priorités et du plan stratégique de l’OIF. Pour ce faire, a-t-elle dit, il faudra multiplier les efforts pour élargir le cercle des partenaires de l’Organisation, trouver des moyens, accéder à des ressources budgétaires supplémentaires.

Il revient aux lecteurs de se faire une idée de ce l’OIF peut ou devrait faire, et d’en juger la pertinence, à la lumière de cet exposé.


Michaëlle Jean parle sans ambages de son action à l’OIF

 

Réagissant à nos deux derniers articles publiés sur le 16e Sommet d’Antananarivo et sur le bilan de mi-mandat de Michaëlle Jean à la Francophonie, la secrétaire générale de l’OIF m’a ainsi confié, en toute franchise, que mes récents textes l’ont laissée quelque peu perplexe.

« Je connais suffisamment les médias pour savoir qu’ils sont vite preneurs de titres qui frappent et font vendre. J’estime cependant certains jugements trop étroits et l’évocation d’un « bilan » plutôt hâtive, sautant vite à des conclusions, sans tenir compte du travail abattu, de l’ensemble des chantiers entrepris, des faits et des circonstances, des enjeux considérables et des objectifs à atteindre. Je me concentre sur l’œuvre à accomplir dans l’immédiat et dans la durée. Il n’y a pas de panacée, mais du travail. »

La secrétaire générale a tenu à brosser, à l’intention du public francophone, un tableau de certains des travaux accomplis stratégiquement ces deux dernières années notamment dans le secteur économique. Travaux qui commencent à porter et porteront davantage leurs fruits, pour faire face aux défis colossaux auxquels les pays de l’espace francophone sont confrontés.

Son souci constant est «d’accompagner les pays dans leurs efforts, leurs désirs d’émergence, leur volonté d’une coopération plus conséquente, de tirer vigoureusement vers l’avant la Francophonie comme force de proposition, d’actions et de solutions».

Voici in extenso la réaction vibrante de Michaëlle Jean :

« Il nous apparaît assez étrange que vous fassiez fi de l’urgence, de la calamité du chômage chronique qui, chaque année, guette des millions de jeunes, rien qu’en Afrique subsaharienne et en Haïti par exemple, facteur de risque considérable, sur les plans individuel et collectif. La féminisation de la pauvreté est aussi un non-sens absolu, alors que sans les jeunes, sans les femmes, rien n’est possible.

Aujourd’hui, qu’on se souvienne du thème même du Sommet de Dakar en 2014, tous en conviennent. La feuille de route dont j’ai hérité en fait foi. Voilà ce qui motive le travail que nous entreprenons à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) avec le concours de tous les opérateurs et de tous les organes subsidiaires de la Francophonie – AUF, APF, AIMF, Université Senghor, TV5 Monde, tous nos réseaux institutionnels, d’experts, d’organisations de la société civile, de jeunes et de femmes plus rassemblés que jamais.

Nous agissons avec méthode autrement que dans la précipitation. Tel est notre choix, avec le souci d’une minutieuse prise en compte des initiatives en cours, des programmes existants, de la bonne évaluation des actions et des objectifs des États eux-mêmes, ainsi que des acteurs sociaux et économiques sur le terrain. Tous sont concernés et l’approche multi-partenariale que j’encourage permet d’accomplir davantage.

Comment nous reprocher d’être aux côtés des pays en développement, alors qu’ils demandent eux-mêmes d’être accompagnés dans la réalisation de leurs plans d’émergence et de croissance? Nos destinées sont liées et aucun appui n’est jamais à sens unique. Ce dont il s’agit est de mettre en œuvre une coopération renforcée et que tous les pays de l’espace francophone veulent plus efficiente.

Voilà qui explique la façon dont nous déclinons la stratégie économique, en mettant davantage nos expériences et nos meilleures pratiques en commun. Pour sortir de l’assistanat, il faut penser une coopération mieux arrimée, des investissements garantis, des conditions gagnantes de part et d’autre. Pour libérer la croissance, il faut des choix solidement adossés aux perspectives, aux attentes et aux besoins réels qui sont considérables dans les pays plus vulnérables. Or, ce qui change, c’est que les pays mieux pourvus acceptent de venir en renfort, mais pas dans un esprit de charité mal ordonnée, de préférence dans un réel partenariat.

Ce qui me conforte, c’est qu’au 16e Sommet des Chefs d’État et de gouvernement à Antananarivo, tous et d’un commun accord, l’ont estimé ainsi et ont salué le rapport détaillé que je leur ai présenté de tous les chantiers engagés avec leur concours et leur assentiment. J’en veux pour preuve le programme que nous lançons, dans une première phase, dans 12 pays africains et qui consiste à déployer et consolider des incubateurs et des accélérateurs de petites et moyennes entreprises et industries initiées par des femmes et des jeunes, dans des filières ciblées, sur des approches innovantes, créatrices de chaînes de valeurs, de richesses et d’emplois, et qui est fortement applaudi.

Nul n’ignore que les TPE, TPI, PME, PMI sont des moteurs qui permettent de tirer vers le haut le PIB. Il ressort de ce programme une approche intégrée, un travail qui rassemble toutes nos forces vers une croissance partagée, un développement humain, inclusif, responsable et durable, pour plus de stabilité dans le monde et dans l’espace francophone.

Nous sommes tous également déterminés à reconnaître le rôle pivot des populations, l’apport inestimable des collectivités. Tout l’exige et tout nous donne raison, y compris pour lutter à la fois contre les forces de déstabilisation et de destruction, agir à la source des exodes massifs et de la crise migratoire.

Il n’y a pas de stabilité sans confiance ni raison d’espérer. Il ne s’agit pas non plus de doubler les efforts existants, mais d’y contribuer. Tout partenariat suppose aussi une vraie implication, une réelle appropriation pour une pérennisation économique et sociale à long terme.

Oui, cela requiert du temps, mais c’est de responsabilité partagée dont il s’agit, de juste collaboration et de complémentarité. Nous devons être tous comptables des processus et des résultats, dans l’exécution de la tâche ambitieuse que les Chefs d’État et de gouvernement nous ont assignée.

L’ambition est légitime et les équipes à pied d’œuvre sont totalement dédiées. Ne sous-estimez ni les compétences ni la volonté, là où nous agissons avec les acteurs mêmes de l’écosystème économique. Rien, dans tout ce que nous entreprenons, n’est accessoire, mais totalement intégré. Le kit à monter et appliquer, le concept du « ready made » comme disent nos amis anglophones, n’est pas acceptable.

Nous optons davantage pour un processus de co-construction, qui consiste à amener et à associer des partenaires, impulser les synergies nécessaires en établissant des passerelles, des liens, des maillages dans tout l’espace francophone, pour une coopération robuste et durable.

Déjà nous amenons le Vietnam, des pays d’Europe centrale et orientale, comme des Amériques et des pays africains, Sud-Sud, Nord-Sud, à s’associer sur des projets dans des filières porteuses, avec volonté et dans une éthique de partage.

Le secteur privé que nous impliquons aussi activement et stratégiquement répond avec enthousiasme et trouve une Francophonie le pied solidement à l’étrier de la monture économique. Nous rassemblons les ministres par secteurs, pour plus de partage et pour l’amélioration notamment du processus décisionnel, de la gouvernance et de l’environnement des affaires.

La stabilité politique étant une condition indispensable du développement économique, nous avons su exiger des partenaires internationaux plus de cohérence, de concertation, de complémentarité et de coordination au fil de plus de 50 missions d’accompagnement technique en amont des processus électoraux ou encore en prévention et en sortie de crise, que j’ai déployées dans un nombre record de pays de l’espace francophone.

Il arrive que la démarche soit ardue là où certains interlocuteurs sont rétifs, mais ce travail constant de diplomatie qui réclame une infinie persévérance avec les politiques comme avec la société civile porte aussi ses fruits. »

Michaëlle Jean y croit dur comme fer et veut que toutes et tous en soient conscients. C’est pourquoi elle a estimé important de répondre, point par point, aux observations formulées dans nos articles et qui sont régulièrement soulevées par certains observateurs.


À mi-mandat : quel bilan de la Francophonie économique?

Il y a exactement deux ans jour pour jour que Michaëlle Jean succéda à Abdou Diouf à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), le 5 janvier 2015. Une succession qui revêtait une dimension à la fois historique et symbolique de voir, pour la première fois, une femme à la tête d’une organisation intergouvernementale dont pratiquement tous les États et gouvernements membres n’étaient presque pas dirigés par une seule femme.

Pendant sa campagne à la direction de l’OIF, Michaëlle Jean avait promis de faire de la francophonie économique le pilier essentiel de son mandat et son cheval de bataille. Son élection était considérée, par beaucoup, comme une nouvelle page de l’histoire qui s’ouvrait dans la gouvernance de l’OIF et qui viendrait combler un manque criant de stratégie économique qui a longtemps été souhaité pour cette organisation. Une stratégie économique qui devra s’adapter à la réalité du monde actuel où l’économie est la principale préoccupation aussi bien des États que des citoyens.

L’arrivée de Michaëlle Jean à l’OIF avait donc suscité beaucoup d’espoir, d’autant plus que cette organisation avait besoin d’un coup de rajeunissement et de dépoussiérage en aménageant un espace pour exécuter une nouvelle mission économique et faire de la Francophonie un vecteur important pour le développement économique de l’espace francophone.

À mi-mandat, nous avons voulu en savoir un peu plus sur ce qui a déjà été fait concrètement à cet égard et ce qui reste à faire. Nous avons ainsi posé la question au directeur chargé de la Francophonie économique et numérique à l’OIF, l’économiste togolais Kako Nubukpo, celui-là même qui chapeaute le programme économique de Mme Jean.

Où en est-on avec la Francophonie économique?

Voici, en résumé, ce qu’il nous a dit au sujet des principales actions qui ont été entreprises jusque-là et les résultats obtenus à ce jour :

La stratégie économique développée par Mme Jean comporte deux volets : microéconomique en lien avec les Objectifs de développement durable (ODD) et macroéconomique qui vise à faire de l’espace francophone, « un espace d’échanges, de prospérité et de solidarité privilégiés ».

La direction de la Francophonie économique mobilise toutes ses énergies et tout son savoir-faire au service des femmes et des jeunes.

Le premier objectif était de renforcer l’entrepreneuriat par le démarrage et la consolidation d’incubateurs de petites et moyennes entreprises pour soutenir la croissance et la création d’emplois. Pour le moment, des incubateurs sont déployés dans 12 pays d’Afrique subsaharienne. D’autres pays de l’espace francophone, notamment d’Asie, d’Europe centrale et orientale, Haïti également, sont très désireux d’accueillir ce programme.

On sait que les incubateurs font déjà leurs preuves dans beaucoup de pays de l’espace francophone, notamment en France et au Québec. Nous n’avons pas à réinventer la roue.

Le deuxième objectif était celui d’aider les femmes et les jeunes à entrer en partenariat avec d’autres femmes, d’autres jeunes entrepreneurs, d’autres acteurs économiques dans tout l’espace francophone, et à se fédérer en communautés et réseaux d’entrepreneurs. Dans ce deuxième volet, l’OIF sert de facilitatrice, de catalyseur d’opportunités, de compétences et savoir-faire.

Pour ce qui reste à faire dans les deux prochaines années, les grandes lignes sont énoncées dans le livre blanc qui a été rendu publique en novembre dernier lors du sommet d’Antananarivo, dont le thème était : « croissance partagée et développement responsable comme conditions de la stabilité du monde et de l’espace francophone ». Le livre blanc parle de perspectives d’avenir en matière économique pour la seconde phase de la mandature de Mme Jean, et se résume en quatre axes principaux : encourager l’entrepreneuriat et la création d’emplois stables et décents dans les secteurs innovants et de développement responsable ; appuyer la diplomatie commerciale francophone ; soutenir le développement des nouvelles technologies et du numérique ; et accompagner la transformation structurelle des économies.

Pour mener à bien cette mission qui lui a été confiée par les chefs d’État et de gouvernement, la philosophie de madame la secrétaire générale se résume en quatre points :

Primo, l’OIF mise sur le renforcement des capacités de son personnel, ainsi que celles des acteurs des pays concernés en privilégiant le « faire », plutôt que le « faire-faire » qui a longtemps prévalu au sein de l’organisation.

Secundo, l’OIF mise sur la création d’emplois pour sortir de la pauvreté, les femmes et les jeunes, qui représentent plus de 52% de la population de l’espace francophone.

Tertio, l’OIF encourage le partage d’expertise entre les pays du Nord et ceux du Sud, tout en évitant que cela soit perçu comme si les experts étaient au Nord et les récipiendaires au Sud.

Quarto, l’OIF tient beaucoup au suivi et à l’évaluation des actions qu’elle mène sur le terrain. Pour ce faire, des missions sont régulièrement organisées pour rencontrer les acteurs sur le terrain et s’enquérir de leur appréciation de l’action de l’organisation. Parallèlement, l’OIF rend régulièrement compte aux instances de la Francophonie.

Des objectifs certes louables mais formulés en des termes beaucoup trop généraux et difficilement atteignables dans un court terme. En effet, compte tenu des ressources limitées dont dispose actuellement l’OIF, il serait judicieux de se fixer des objectifs spécifiques, réalistes, mesurables et assortis des délais, pour s’attendre aux résultats concrets d’ici à la fin du mandat de Mme Jean.

Deux prochaines années pour confirmer la dynamique en cours?

Le mi-mandat est le moment idéal de jeter un coup œil dans le rétroviseur, de passer en revue les progrès accomplis jusque-là, les objectifs qui n’ont pas pu être atteints et de recadrer, avec les meilleures approches, là où il faut absolument faire des réajustements.

En lisant les médias francophones, depuis la fin du 16e sommet d’Antananarivo, les langues commencent à se délier et les gens se questionnent publiquement « où va la Francophonie? »

Dans l’entendement de nombreux observateurs qui s’intéressent à l’OIF et au rôle éventuel auquel ils s’attendent de la voir jouer, notamment dans son nouveau volet économique, c’est d’avoir une véritable stratégie économique qui contribue à la création d’un espace économique intégré et susceptible d’attirer des investissements privés, créateurs de richesses et d’emplois. L’élaboration et la mise en œuvre effective d’une telle stratégie économique nécessiterait, au préalable, une analyse prospective et cohérente qui tienne compte du fait que l’OIF est à la fois composée des pays très développés, émergents, en développement et pauvres. Et que, peu importe leur niveau de performance économique, tous expriment le besoin de coordonner les efforts au sein de l’espace francophone en vue de poursuivre la croissance économique qui soit profitable à tous et qui procure des emplois dans les pays respectifs.

En effet, vu les moyens très limités dont dispose la Francophonie pour mener des actions économiques concrètes, palpables et visibles sur le terrain, avec un impact dans la durée et qui bénéficie à une large majorité de la population francophone, l’OIF aurait beaucoup à gagner, en efficacité et en efficience, en se limitant à définir les cadres généraux de coopération économique et de collaboration entre les États, sur les sujets d’intérêt commun ; en lieu et place de se mouiller la chemise, comme une ONG, avec des petits projets qui ne touchent pas directement la grande majorité de francophones. À toutes fins utiles, l’OIF a des partenaires – acteurs non étatiques accrédités auprès des instances de la Francophonie -, sur qui elle pourrait compter pour faire ce travail de terrain.

La stratégie économique d’implantation des incubateurs n’est pas mauvaise en soi, c’est simplement qu’elle est orientée essentiellement vers les pays en développement, ce qui ressemble bien à de l’aide au développement. Et jusqu’à présent, ces actions ne touchent qu’une infime minorité de la population francophone. De plus, ce n’est pas parce que les incubateurs d’entreprises ont aidé à la création des PME prospères en France ou au Québec, comme l’a souligné le directeur chargé de la Francophonie économique et numérique à l’OIF, qu’en les transposant, mutatis mutandis, dans d’autres pays, ils auront le même impact. Dans les pays où ils ont connu du succès, il y a plusieurs autres paramètres qui ont contribué à ce succès et que l’on ne trouve pas forcément dans les pays où l’OIF les implante actuellement.

Ce que les gens attendent de l’OIF, et cela depuis trop longtemps, c’est la mise en place d’une structure pérenne de la Francophonie économique, vouée à se développer et s’enraciner avec le temps, sur le modèle de la Conférence des ministres de la jeunesse et des sports (CONFEJES) qui est devenu pratiquement le pivot de l’OIF en matière d’éducation et de formation et qui facilite la collaboration et les échanges entre les responsables étatiques en charge du secteur éducatif.

Une structure pérenne qui réunirait régulièrement des ministres de l’Économie, de l’industrie, du commerce et des petites et moyennes entreprises pour débattre et trouver des solutions aux problèmes de chômage des jeunes et des femmes ; lutter contre la pauvreté et pour la réduction de la fracture sociale entre les pays développés et les pays en développement qui aggrave les souffrances humaines.

Les succès d’une telle initiative serait assurément mis à l’actif de la secrétaire générale et constituera l’un de ses héritages durables et le plus significatif de son passage à la tête de l’OIF.

Fixer le cap sur le mandat essentiel de l’OIF

Il y a un dicton qui dit : « qui trop embrasse, mal étreint ».

Malgré sa volonté manifeste et son dévouement sans pareil à vouloir placer l’OIF au cœur de toutes les urgences du monde, Mme Jean sait pertinemment bien que pour être efficace, elle devrait, à toutes fins pratiques, se concentrer sur l’essentiel de priorités stratégiques de son organisation. Avec un budget de moins de 100 millions, l’OIF ne peut pas se permettre de tout faire et n’en a tout simplement pas les moyens.

En effet, pour éviter de prêter le flanc aux pêcheurs en eaux troubles, Mme Jean devra choisir ses batailles pour une action efficace et éviter d’être trop générale. Il est fondamental qu’elle se fixe des objectifs stratégiques précis, réalistes et opportuns au regard des moyens dont dispose son organisation. La tentation de tout considérer comme étant des priorités fera en sorte qu’au bout de ligne rien ne le sera réellement.

De toute façon, et ce, peu importe son activisme débordant qui permet de faire parler de l’OIF dans les enceintes multilatérales pertinentes, l’action de Mme Jean sera évaluée ultimement sur la base de la réalisation et des résultats obtenus par rapport à la feuille de route établie par les chefs d’État et de gouvernement et à la mission claire qui lui a été assignée au sommet de Dakar, notamment de bâtir une fondation pour la construction d’une francophonie économique.

DU MÊME AUTEUR:

Les 100 jours de Michaëlle Jean à l’OIF: quel bilan peut-on dresser?

Michaëlle Jean un an à l’OIF: beaucoup reste à faire

Francophonie: Michaëlle Jean devra panser les plaies laissées par son élection en Afrique


Pourquoi le Canada n’enverra pas ses troupes au Congo

Depuis l’accession de la République démocratique du Congo (RDC) à son indépendance du royaume de Belgique en juin 1960, le Canada a toujours été parmi les membres de la communauté internationale qui sont intervenus militairement pour aider à chaque fois que ce pays était au bord de l’implosion. Le Canada est également l’un de ceux qui contribuent financièrement à la Mission de l’organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco), une mission qui dure depuis maintenant dix-sept ans.

En 2010, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, avait sollicité le gouvernement Harper pour déployer des troupes canadiennes et prendre le commandement de la Monusco. Mais le Premier ministre, dont la doctrine de politique étrangère était : « If you’re not effective, he does not see why we should be going out there«  , avait décliné l’offre des Nations unies de déployer des militaires canadiens dans un pays où le gouvernement et son armée sont minés par une gouvernance médiocre et une corruption endémique.

Un déploiement des troupes encore incertain

Depuis l’élection de Justin Trudeau en octobre 2015, la doctrine de politique étrangère a changé. Le Canada veut marquer sa présence dans les opérations de maintien de la paix, notamment en Afrique. En août dernier, le ministre canadien de la Défense, Harjit Sajjan, accompagné de l’ancienne Haut-Commissaire des Nations unies aux Droits de l’Homme, Louise Arbour et du Général à la retraite et Commandant de la MINUAR lors du génocide rwandais, Roméo Dallaire, avaient fait une tournée africaine qui les avait amenés en Éthiopie, au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda et en RDC pour explorer la possibilité d’engager des troupes canadiennes dans une des missions des Nations unies en Afrique : RDC, Mali, Sud-Soudan ou Centrafrique.

Mais depuis cette mission d’exploration jusqu’à ce jour, le ministre Sajjan n’a pas encore dévoilé où et quand les troupes canadiennes seront déployées. Ce que l’on sait actuellement c’est que le Canada s’engagera pour une période d’au moins trois ans dans des missions de maintien de la paix en Afrique, pour un coût de 450 millions de dollars canadiens.

LIRE AUSSI :
Trudeau va-t-il offrir une nouvelle perspective à l’Afrique ?
Le Canada veut renouer avec les opérations de maintien de la paix en Afrique.

Les troupes canadiennes ne seront pas déployées en RDC

À première vue, on aurait pensé que la préférence pour le déploiement des troupes canadiennes irait très probablement à la Monusco, compte tenu des intérêts économiques du Canada dans la région, notamment la présence des compagnies minières canadiennes, mais aussi et surtout, des priorités du Canada dans la lutte contre la violence sexuelle faite aux femmes et aux enfants comme arme de guerre, pour la promotion des droits de la personne, l’édification d’un État démocratique régi par la primauté du droit et fondé sur le respect des libertés fondamentales, etc. Mais selon toute vraisemblance, il est sûr et certain que les troupes canadiennes ne seront pas déployées en RDC.

On avait pourtant espéré que fort de son expérience reconnue comme un acteur ayant joué un rôle important pour le maintien et la consolidation de la paix dans le monde, l’intervention des troupes canadiennes en RDC – un conflit armé le plus sanglant au monde et dont le bilan en vies humaines perdues dépasse de loin ceux actuellement très médiatisés de l’Irak, de l’Afghanistan et de la Syrie réunis – aurait pu avoir un impact significatif dans la consolidation de la paix dans ce pays. Mais, il n’en sera malheureusement pas ainsi, et cela, pour des raisons qui sont sans doute assez évidentes et que nous évoquons ci-dessous.

La RDC se trouve actuellement dans une phase cruciale de son histoire. Le 19 décembre 2016 marque la fin du deuxième et dernier mandat du président Kabila, mais ce dernier rechigne à quitter le pouvoir. Il défie ouvertement la communauté internationale, en ignorant les appels réitérés lancés non seulement par les Américains, mais aussi par les Européens, les demandant de quitter le pouvoir au terme de son dernier mandat.

Ce régime de Kinshasa se sert de la police et de l’armée nationale pour étouffer toutes les manifestations publiques, et ce, en utilisant aveuglement de manière excessive et disproportionnée la force, au vu et au su de tout le monde, pour réprimer une population sans défense, qui ne lui demande rien d’autre que le respect de la Constitution de son pays. Mais, même s’il réussit à se maintenir au pouvoir par la force, après la fin de son mandat, il n’aura plus aucune légitimité pour engager l’État congolais.

En effet, la situation d’insécurité récurrente qui prévaut en RDC depuis plus d’une vingtaine d’années, est due au fait que les dirigeants de ce pays sont très peu préoccupés par le sort de leurs concitoyens, pour ne pas dire qu’ils sont les premiers responsables de l’absence de sécurité et de stabilité intérieure.

Dans ce contexte, le Canada ne voudra pas apparaître, aux yeux des Africains, comme celui qui vient implicitement à la rescousse d’un dictateur qui veut se cramponner au pouvoir, sans scrupules, au cœur du continent.

En effet, pendant les quinze années au pouvoir et malgré les appels incessants, tant au niveau intérieur qu’international, de reformer les services de l’ordre à même de protéger la population civile, le régime de Kabila n’a rien fait et s’accommodait bien avec la présence des troupes onusiennes à qui l’on demande de se substituer à la police pour protéger la population civile et à l’armée pour protéger l’intégrité territoriale. Alors que la protection des citoyens et de leurs biens contre les menaces intérieures et extérieures est le premier objectif de tout État digne de ce nom. Et, cela est une obligation essentielle qui légitime même l’action du pouvoir public.

Les troupes onusiennes actuellement en RDC, issues essentiellement de pays en développement, font l’effort de maintenir un semblant de paix et de sécurité, mais en réalité n’interviennent dans la plupart des cas, que pour constater les dégâts et autres violations massives de populations civiles, causés aussi bien par les multiples groupes rebelles qui pullulent dans la sous-région d’Afrique centrale, mais aussi par l’armée régulière.

Le Canada n’a pas non plus l’intention d’aller servir de police ou d’armée nationale d’un pays dont les dirigeants ne se préoccupent pas assez de la protection de leurs citoyens et ne font aucun effort pour reformer leurs services de l’ordre (l’armée et la police) afin de les rendre en mesure de protéger leur territoire.

Nous pensons que le choix du déploiement des troupes canadiennes répondra au nouveau programme pour la stabilisation et les opérations de paix (PSOP), une approche mise en place par le gouvernement Trudeau, qui intègre à la fois les questions de politique étrangère, de défense, de développement et de sécurité nationale.

Même si le choix du Canada était porté sur la mission des Nations unies au Congo, si le régime de Kabila se maintient après le 19 décembre, il est certain que celui-ci ne verrait pas d’un bon œil l’arrivée des troupes canadiennes bien rodées à sa porte. Ces troupes seraient perçues à la fois comme les témoins gênants, mais surtout comme une menace qui, au besoin, est capable de l’anéantir. Et comme il est de coutume dans le système des Nations unies d’obtenir l’accord du pays d’accueil, il est fort possible que le régime de Kabila utilise toutes sortes de subterfuges pour retarder le déploiement.


OIF : Michaëlle Jean devra panser les plaies laissées par son élection en Afrique

31128870582_bc28ff8d34_z

La conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, communément appelée « sommet de la Francophonie », a eu lieu les 26 et 27 novembre derniers à Antananarivo, à Madagascar. Il s’agissait du premier sommet organisé sous l’égide de la nouvelle secrétaire générale l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Michaëlle Jean, élue il y a de cela deux ans exactement.

Ce sommet était une occasion idéale de mesurer le degré de confiance et d’unité de chefs d’État et de gouvernement autour de la secrétaire générale de l’OIF ainsi que leur adhésion à son projet novateur de la francophone économique.

Si l’organisation et le déroulement du sommet se sont passés sans trop d’encombres, plusieurs médias ont noté néanmoins une très faible participation de chefs d’État et de gouvernement, notamment africains, chez qui l’on compte le plus grand nombre de francophones.

En effet, quand bien même ce sommet a connu une participation totale et remarquée du Canada, avec la présence de trois chefs de gouvernement et l’adhésion de la province de l’Ontario comme quatrième gouvernement membre observateur de l’OIF, il y a lieu de noter que, pour une organisation qui comptait alors 80 États et gouvernements membres, associés et observateurs, moins d’une vingtaine de dirigeants ont jugé important de faire le déplacement à Antananarivo pour assister à la cérémonie d’ouverture du sommet et entendre le discours inaugural de la secrétaire générale. Au nombre desquels, seulement une douzaine d’Africains.

31137365191_f605da9b5f_z

Parmi les absences les plus remarquées, on a compté non seulement celles de chefs d’État qui étaient moins enthousiastes à l’idée de voir un non-Africain à la direction de l’OIF, mais aussi, et surtout celles de ceux qui furent des fervents soutiens indéfectibles à la candidature de Michaëlle Jean et qui la considéraient comme une descendante d’Afrique.

Ceci dit, l’absence de nombreux chefs d’État africains au premier sommet organisé par la nouvelle secrétaire générale de l’OIF peut être interprétée comme un message clair et sans aucune ambiguïté que soit la connexion n’est toujours pas bien établie avec ceux-ci, soit que les remous suscités par son élection demeurent encore vifs. C’est ici qu’il faut rappeler à Mme Jean qu’elle a encore beaucoup du travail à faire, d’ici au prochain sommet qui sera électif, pour conquérir les cœurs et les esprits de ceux qui rechignent encore à admettre cette évidence.

Lire aussi :

Il faut noter par ailleurs que le 16e sommet de l’OIF a été précédé par la publication du livre Francophonie: de Hanoï à Dakar, le pacte brisé au contenu tonitruant de Jean-Claude de l’Estrac, qui fut un adversaire farouche de Michaëlle Jean en 2014. Il serait naïf de croire qu’à quelques jours du premier sommet organisé par cette dernière, la sortie de ce livre soit une coïncidence fortuite de la part d’un homme qui a nourri des ambitions pour cette organisation.

Si Michaëlle Jean a l’intention de rempiler, elle devrait aller à la rencontre non seulement des chefs d’État et de gouvernement qui l’ont soutenu et choisi pour diriger l’OIF, mais aussi auprès de ceux qui ont voté contre sa candidature. Elle doit les écouter et leur «vendre» son projet de la francophonie économique, qui a été le thème principal de sa campagne. En faisant notamment valoir le bien-fondé de cette initiative et les progrès déjà accomplis dans sa mise en œuvre.

Ce n’est que de cette façon qu’il sera possible de recueillir davantage le soutien de nombreux États et gouvernements en faveur de l’action de Mme Jean à l’OIF, et ainsi de cicatriser les plaies, apparemment encore ouvertes laissées par ce scrutin historique qui a vu pour la première fois de l’histoire de la Francophonie une femme, non africaine, être élue à la tête de cette organisation.


Denis Sassou N’Guesso propose un Fonds bleu pour le bassin du Congo

 

caup22

En marge de la 22ème Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 22) qui vient juste de clôturer ses travaux le 18 novembre 2016 à Marrakech, en laissant derrière elle un certain nombre des questions non résolues, le président congolais, Denis Sassou N’Guesso, a présenté son projet d’un Fonds bleu pour le bassin du Congo. Une initiative qui mérite d’être applaudie et soutenue fermement, si elle peut soulager un tant soit peu les souffrances et améliorer la qualité de vie de pauvres paysans qui survivent grâce à la chasse, à la cueillette et à couper du bois pour cuisiner, se chauffer, s’éclairer. Mais également pour construire des cases et des racines et écorces d’arbres comme substances médicamenteuses pour se soigner.

Maintenant que les lampions de la COP22 se sont éteints, sous le signe de l’action, il revient aux dirigeants politiques et économiques de traduire leurs promesses d’appui financier et technologique en propositions concrètes et d’appliquer les recommandations formulées lors de cette conférence. C’est dans ce contexte que s’inscrit justement la démarche du président Sassou N’Guesso, le doyen des présidents en exercice en Afrique centrale, d’avoir pris l’initiative louable de créer un Fonds bleu, à hauteur de 100 millions d’euros, pour promouvoir la réduction des effets du réchauffement climatique dans le bassin du Congo.

Mais pour que de tels engagements n’en restent pas à des déclarations d’intentions, il serait souhaitable que le président congolais donne le ton et sert d’exemple pour les autres, en démontrant comment il entend s’y prendre pour garantir l’effectivité d’un tel Fonds. Un fonds qui pourrait bien servir à investir dans le développement des énergies renouvelables pour préserver la forêt du bassin et stimuler en même temps l’activité économique dans une des sous-régions les plus riches du continent africain, mais qui dramatiquement est dépourvue en infrastructures de base pour réussir son décollage économique.

climat_fonds_vert_cle06a425-1-6873e

Au niveau international, il existe déjà un Fonds vert pour le climat, qui est un mécanisme financier des Nations unies, rattaché à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Il représente un levier financier important dans la réalisation de mesures favorisant le développement durable et a pour objectif de réaliser le transfert de fonds des pays les plus avancés à destination des pays les plus vulnérables afin de mettre en place des projets pour combattre les effets des changements climatiques. Le but fixé par les États-parties à la CCNUCC est de réussir à financer le Fonds à hauteur de 100 milliards de dollars américains par an d’ici à 2020. Mais seulement, il y a encore beaucoup d’incertitudes sur la provenance de ces fonds et de doutes persistants quant à la volonté manifeste de la communauté internationale de matérialiser cette initiative.

Ce qui est vrai, c’est que l’inaction ne constitue pas une réponse appropriée au réchauffement climatique. En effet, il existe suffisamment de preuves scientifiques pour affirmer que le réchauffement climatique, résultat du changement climatique, est très probablement lié aux activités humaines, notamment le mode de vie, de production et de consommation. Un défi de notre époque que nous devons tous et absolument relever en protégeant notre environnement. Il est donc nécessaire que les dirigeants politiques agissent, de façon efficace et efficiente, afin de trouver un équilibre entre leur obligation de procurer le bien-être socio-économique à leur population et leur devoir de protéger l’environnement pour les générations à venir.

Aerial view of the Congolese rainforest. Taken on a flight from Kinshasa to Bumba.
Aerial view of the Congolese rainforest. Taken on a flight from Kinshasa to Bumba.

Comment protéger la forêt du bassin du Congo ?

Il est indéniable que la forêt joue un rôle important dans le processus de réduction des émissions de GES, dans la mesure où elle contribue au stockage de carbone et à l’atténuation des émissions anthropiques. En effet, les arbres retiennent le CO2 par le mécanisme de la photosynthèse, rejetant l’O2 et stockant le carbone atmosphérique.

Avec plus de 200 millions d’hectares de la forêt tropicale, le bassin du Congo, est le second poumon écologique du monde et le plus grand réservoir de biodiversité en Afrique. Cette forêt libère de l’oxygène indispensable à la vie de toute l’humanité toute entière. Les écosystèmes qui se trouvent dans cette forêt jouent un rôle crucial et primordial en matière d’atténuation des répercussions des changements climatiques et de protection de la biodiversité.

Mais la forêt du bassin du Congo est aussi une ressource vitale du mode de vie traditionnel des autochtones et un gagne-pain pour la grande majorité de la population du bassin du Congo. Les activités socio-économiques de la plupart des paysans d’Afrique centrale sont concentrées dans et autour de cette forêt. Ces populations ne disposant pas de l’énergie électrique, dépendent quasi quotidiennement de la forêt pour leur survie.

Si la communauté internationale reconnait que la forêt du bassin du Congo contribue énormément à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et que sa préservation est un bénéfice pour le bien-être de l’humanité toute entière, il serait juste et équitable que les populations environnantes qui consentent davantage d’efforts pour limiter l’exploitation de cette immense ressource forestière reçoivent, en contrepartie, une rétribution correspondant aux sacrifices qu’ils s’imposent.

C’est ici qu’il est nécessaire de rappeler, si besoin en était encore, le principe 7 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 : Responsabilités communes mais différenciées.

« Les États doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre. Étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent. »

Enfin, toutes choses étant égales par ailleurs, le jeu combiné de l’exploitation excessive des ressources naturelles et énergétiques actuelle et de la progression constante du réchauffement planétaire n’est pas de nature à soulager les craintes et les préoccupations croissantes suscitées par les changements climatiques et les besoins d’adaptation qui en découlent.

Nous assistons déjà à une recrudescence de phénomènes de détérioration rapide de l’environnement qui contraint des dizaines de millions de personnes aux quatre coins du monde d’abandonner, soit temporairement soit définitivement, leur milieu de vie naturel à cause notamment des inondations massives et généralisées provoquées par des pluies diluviennes qui s’abattent de plus en plus fréquemment sur bien des régions du monde, avec comme conséquences possibles les océans qui se dilatent et le niveau élevé des eaux qui inonde des régions entières, ralentissant brutalement de ce fait tout activité économique et provoquant ainsi des problèmes de migration de population. Les premiers qui subissent de plein fouet les impacts du changement climatique sont notamment les pays en développement, pauvres et vulnérables, qui manquent des ressources financières et technologiques conséquentes pour répondre aux défis climatiques.

Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue