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Les « gnambros » et nous

L’heure est grave. Le secteur du transport terrestre en Côte d’Ivoire va de mal en pis. Et pour cause ? Le diktat des « gnambros » (jeunes chargeurs) dans les gares routières et sur nos routes. A Abidjan, ce phénomène est devenu une véritable gangrène. La nature a horreur du vide, dit-on. La non régulation du secteur par le ministère des Transports continue de causer de nombreux désagréments, non seulement aux chauffeurs et leurs apprentis, mais aussi aux clients.

En effet, dans les gares routières, les gnambros prélèvent des taxes sauvages dont on ignore l’utilité pour le secteur lui-même, et encore moins pour l’Etat de Côte d’Ivoire. En plus de ça, à chaque arrêt du gbaka (mini-car) ou du wôrô wôrô (taxi intercommunal), le chauffeur doit débourser de l’argent aux gnambros ; la taxe varie de 100F à 600F pour le chargement du véhicule. On ne sait pas exactement à quoi sert ce prélèvement. Et si par malheur l’apprenti refuse de payer, il est battu, parfois il passe de vie à trépas, rien qu’à cause de 100F. Pour rappel, en 2014, un apprenti s’est fait projeter sur la chaussée du goudron par un gnambro, sur la voie express d’Abobo-Zoo. Il a failli y perdre la vie, n’eût été l’intervention rapide des secours.

En outre, les citoyens qui doivent se rendre à l’heure au travail, peuvent passer des heures sur la route, tant que le gnambro ne lui donne pas son visa avant de bouger. Et la situation va de mal en pis. Récemment à Abobo, un homme respectable s’est fait bastonner par un groupe de gnambros pour avoir crié son ras-le-bol face à ces agissements malsains.

Lors d’une conférence de presse à laquelle j’ai pris part, le ministère ivoirien des Transports a avoué son incapacité à mettre de l’ordre dans ce secteur dont l’anarchie remonte dans les années 95, au grand dam du pouvoir. Et encore, la nature ayant horreur du vide, arriva ce qui devait arriver. Nous assistons aujourd’hui à la naissance de groupe d’auto-défense, de bandes organisées, avec des branches armées et des réseaux bien ficelés jusqu’au sommet de l’Etat.

Dans ce secteur, la loi du plus fort est la meilleure. Plusieurs jeunes gens ont ainsi réussi à se faire une place au soleil grâce à la force des biceps, et des fétiches. Oui, dans ce secteur, tous les coups sont permis. Des personnes vont “se laver” au village pour venir régner sur un territoire donné. Autour des bras et des reins, on aperçoit des amulettes, des grigris “anti-balles” et “anti-armes blanches” pour mieux se protéger contre d’éventuelles menaces.

La crise ivoirienne a favorisé la prolifération des armes au sein des populations, plus encore au sein de ce gang. Chaque groupe a une bande armée, prête à intervenir par la force en cas de nécessité. En 2012 à Abobo, une simple opération de déguerpissement à la gare routière a viré en un véritable combat, rappelant le triste souvenir de la “bataille d’Abidjan” au plus fort de la crise. Pour dire que les armes circulent encore au sein de cette mafia. Et cela constitue une menace pour la sécurité nationale.

Par ailleurs, le phénomène des enfants “microbes” aurait des ramifications au sein des gnambros qui constituent, en quelque sorte, leur “parrain”. Une révélation faite par l’imam Diaby Almamy, président de l’Ong Nouvelle Vision contre la Pauvreté, qui lutte pour l’insertion des jeunes délinquants. Comme on le voit, le mal est profond. Il est impératif de s’attaquer aux racines de tous ces phénomènes pour sauver des vies humaines. La Côte d’Ivoire émergente doit se faire avec une population en sécurité.

Lama


Halte aux motocyclistes à Abidjan

La vie humaine est sacrée, dit-on. Cependant c’est avec consternation que je constate que certaines personnes s’en foutent de leur propre vie, en l’occurrence les motocyclistes à Abidjan. Pas une semaine ne passe qu’on entende ou assiste à des accidents de moto.

Le samedi 14 mai 2016, pendant que je rentrais calmement à la maison après une journée marquée par des averses de pluie, j’assistai ainsi à un triste décor sur l’autoroute du nord, voie reliant Adjamé et Abobo. Sur l’axe droite, un motocycliste inanimé, couché sur son front à même le gourdon. A côté, un véhicule vide de son chauffeur, ayant pris sa jambe à son cou. De peur d’être accusé de crime volontaire. Je l’avoue, je n’ai pu retenir mes larmes. J’ai interrompu mon voyage pour me renseigner davantage sur cet accident. Après le constat de la Police et des Sapeurs Pompiers, il ressort que le motocycliste n’a pas porté de casque de protection. Pis, pendant la conduite, il s’est permis de faufiler entre deux véhicules (un poids lourd et un personnel). Mais le dernier, qui est un nouveau conducteur (c’est inscrit derrière le véhicule), paniqué, a perdu le contrôle. Et arriva ce qui devait arriver.

Les abidjanais sont habitués à ce genre de scène de manière récurrente. L’entrée des motocyclistes dans la capitale économique ivoirienne s’est accentuée après la crise de 2002, où le pays était divisé en deux : un côté (nord du pays) occupé par les rebelles, et l’autre (sud) par le pouvoir. Au nord, le phénomène des motos a pris une véritable ampleur. Avec l’absence de l’Etat, ces engins à deux roues ont eu le vent en poupe. En provenance des pays limitrophes tels que le Burkina Faso, le Mali, la Guinée, aucun droit de douane ou encore de taxe n’était prélévé. Dans cette léthargie, on assista également à une certaine contagion des autres parties de la Côte d’Ivoire, dont Abidjan. Beaucoup parmi ces motos ne sont pas immatriculées. Donc qui échappent au contrôle des services publics. Dans ce rémue-ménage, une des causes principales est que la plupart des motocyclistes n’ont suivi aucune formation en la matière. Alors que les réalités des villes intérieures ne sont pas forcément les mêmes que celles d’Abidjan où on compte plus d’un million de véhicules en circulation. Et avec les nombreux emboutiellages à Abidjan, beaucoup de citoyens ont opté pour les engins à deux roues. Malheureusement sans formation préalable.

Face à cette situation, l’Etat ivoirien a décidé de monter au créneau. Une chasse aux motos s’est ouverte depuis peu à Abidjan par les forces de l’ordre. Chaque jour, des dizaines de motos sont saisis pour irrégularité. Une mesure qui est à saluer. Reste à savoir si la Police va poursuivre cette rigueur pour éviter la corruption (les arrangements illégaux) dont elle est souvent accusée à tord ou à raison.

Lama


Non à la vente des fascicules à l’université

Cette année, j’ai décidé de retourner sur les bancs pour avoir une autre corde à mon arc, en plus d’être journaliste. Après réflexion, je décidai de suivre les cours à l’université Félix Houphouet Boigny de Cocody pour plusieurs raisons : d’abord, elle est proche de mon lieu de travail. Donc entre midi et deux, je peux rapidement la rallier, sans fournir un grand effort.

En plus, quoiqu’on dise, l’université demeure le temple du savoir. Certes j’ai une formation professionnelle en journalisme. Mais la recherche a toujours été un penchant pour moi. Comme le disent les Ivoiriens : j’aime papier longueur ! (faire de longues études). Bref. A vrai dire, la principale raison qui me poussa vers l’université d’Abidjan, c’est qu’après la crise de 2011, les nouvelles autorités décidèrent de réhabiliter toutes les universités à coup de milliards de F Cfa, comme annoncé. L’université de Cocody changea d’ailleurs de dénomination : on l’appelle désormais UFHB (Université Félix Houphouet Boigny). Tout ceci pour marquer un “départ nouveau”, selon Alassane Ouattara. Ainsi, pour l’observateur extérieur, on pouvait voir une belle façade du “temple du savoir” : les voies dégagées, les amphis rénovés, des fontaines à tout bout de champ, des aires de jeux qui incitent à la pratique du sport. Bref. En tout cas, on “voyait” et on “enviait” les étudiants de l’UFHB.

C’est dans cette illusion que je rejoins l’UFRICA (Unité de Formation et de Recherche en Information, Communication et Art). Le premier cours en amphi N (Niangoran Boua), j’ai failli succomber par la chaleur. On nous avait dit que les amphis étaient climatisés. Mais la réalité est tout autre. En plus, aucun mégaphone pour permettre aux 600 étudiants d’entendre le professeur. Pour ceux assis derrière, on n’entendait que des murmures de l’enseignant déjà épuisé par l’âge. En outre, malgré cette ambiance suffocante, les enseignants accusaient toujours un retard de deux ou trois heures. Et on ne faisait pas plus de deux heures de cours. Pourtant il était marqué cinq heures de cours magistraux (13H30 – 18H30).

Et le comble, tous les enseignants ou presque confectionnaient des fascicules (support de cours) qu’il vendait aux étudiants à des prix exorbitants. En effet, les prix variaient entre 1 000 F et 2 000F, pour un document de moins de 20 pages. Alors qu’à l’imprimerie, un document de 20 pages coûtait 500F, soit la moitié de ce que les profs vendaient aux étudiants. En plus, c’est un véritable réseau mafieux bien huilé avec la complicité des délégués de classe, qui perçoivent un pourcentage sur chaque document. Malgré l’interdiction du chef de département, c’est avec regret que la vente de supports de cours continue sa triste aventure au sein de l’université. On est bien loin de l’Ivoirien Nouveau….

Lama


Abobo / Un matin pas comme les autres

Lundi 18 janvier 2016. 05H30. Abobo, la plus grande commune d’Abidjan. Cette agglomération est dramatiquement appelée “Abobo la guerre”, ou encore “Bagdad City”. Peut-être que ces surnoms sont prémonitoires au désastre que vivent au quotidien les populations de cette cité. Dans le pur hasard, je suis habitant de cette commune.

Comme la plupart des abidjanais, la cherté de la vie nous pousse à nous chercher un abri dans les endroits inhabitables, loin de tout assainissement. Malgré cette misère, le prix des locations continue de grimper à une vitesse vertigineuse. Et comme si la pauvreté ne suffisait pas, l’insécurité bat son plein à Abobo. Tout le monde se rappelle de l’épisode funeste du “commando invisible” pendant la crise post-électorale de 2011.

La crise terminée, un autre phénomène a surgi : les “microbes”. Des enfants dont l’âge varie entre 10 et 23 ans, armés de machettes, gourdins, parfois de pistolets, sous l’effet d’excitants, sèment la terreur au sein des populations. J’ai beaucoup entendu parler de ce gang, mais Dieu merci, je n’en ai jamais vu. En tout cas, pas encore jusqu’au petit matin du lundi 18 janvier. Lundi marque le premier jour de travail. Tout le monde vaque à ses occupations. Dans l’espoir d’apporter sa touche au développement de notre beau pays, la Côte d’Ivoire. Cependant, ce lundi s’est transformé en jour de deuil pour les habitants du quartier “Marley”.

En effet, c’est un quartier dominé par les musulmans, qui se réveillent tôt le matin à 05H pour effectuer la première prière obligatoire de la journée. Tout juste après, les femmes, pour la plupart des vendeuses et commerçantes, se rendent au marché. C’est ce moment qui est choisi par ces petits malfrats pour attaquer les pauvres femmes, qui se battent pour subvenir aux besoins de leurs nombreuses familles. D’habitude, lorsque les “microbes” attaquent, ils dépouillent leurs proies de tous leurs biens, sans toutefois tuer. Mais ce lundi, une dame exaspérée par ces assauts, décide de faire de la résistance. Au fait, ce n’est pas la première fois qu’elle est victime des “microbes”. Elle voulait exprimer son ras-le-bol ce lundi matin. Malheureusement, elle y a laissé sa vie. Le gang de “microbes” composé de 3 garçons, les visages à découverts, n’a pas hésité à poignarder la pauvre dame de plusieurs coups de couteau. Le sang giclait. Dans l’agonie, la dame pose ses deux mains sur son ventre, en entonnant “N’dé, n’dé, n’dé!” (mon bébé ! mon bébé ! mon bébé !) jusqu’à son dernier souffle. Donc elle attendait un enfant. A la vue de cette scène macabre, je dus rebrouser chemin, pour me terrer à la maison. (Fiction)

Lama


Bondoukou : la mendicité, une seconde nature des enfants

Récemment, j’ai séjourné à Bondoukou, ville située dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, à 500 Km d’Abidjan. La ville est connue pour être imprégnée de la culture islamique. Elle est fortement dominée par des musulmans (ethnie malinké), en plus des koulangos et des sénoufo. Ce qui lui vaut d’être appelée la “Ville aux mille mosquées”.

En effet, à Bondoukou, les mosquées sont disséminées dans tous les coins et recoins. Chaque grande famille a au minimum une mosquée bâtie. On ne tient pas compte ni des règles d’urbanisation, et encore moins de l’environnement. Il n’est pas étonnant de voir deux à trois mosquées co-habitées pratiquement dans le même espace géographique. A l’approche de la prière, chaque fidèle choisit le lieu de culte le plus proche, et c’est une ambiance sonore des plus molestantes qui s’installe. Chaque muezzin donne de la voix pour attirer le maximum de fidèle vers sa mosquée.

En plus de cette “concurrence loyale” que se mènent les mosquées, un autre phénomène bat au coeur de cette belle ville : la mendicité. A Bondoukou, la mendicité est reconnue comme l’activité principale des talibés. Ces élèves coraniques sont issus des “medersas”, l’école traditionnelle basée sur l’enseignement islamique auprès des maîtres, appelés “cheicks”. Ces enfants ont entre 8 et 22 ans. Chaque jeudi soir et dimanche soir, ils prennent d’assaut les différents domiciles des citoyens (musulmans ou non) pour réciter des chants liturgiques – mélange de poèmes arabes et malinkés – dans le but d’avoir un peu d’argent. J’ai suivi ainsi deux jeunes talibés (Sékou Ouattara, 14 ans, et Drissa Sissoko, 15 ans). De leur aveu, chaque soir, ils peuvent engranger la somme de 3 000F, parfois 5 000F. Les plus grosses recettes se réalisent pendant le mois de jeûne, le Ramadan, et le Mahoulid (anniversaire du prophète de l’Islam). Selon ces deux bambins, la mendicité a été introduite à Bondoukou par le biais des premiers talibés venus à la recherche de la science islamique. N’ayant aucune activité rémunératrice, ils étaient obligés de mendier pour avoir leur subsistance. Le phénomène a pris de l’ampleur, à tel point que même les élèves issus du système éducatif national ont été entraînés dans la danse. Par manque d’argent, ils accrochent leur manteau “d’intello” pour se vêtir en mendiant une fois la nuit tombée. Pire, c’est devenu un phénomène de mode. Le talibé, qui refuse de mendier, est automatiquement mis en quarantaine, considéré comme un orgueilleux, qui refuse d’être humble.

Avec une telle mentalité, il sera en tout cas difficile de freiner la mendicité dans la “ville aux mille mosquées”, pourtant patrimoine national de l’Islam en Côte d’Ivoire.

Lama


Il était une fois, un reporter à Bouaké

Mai 2015. Je décidais de me rendre pour la première fois à Bouaké, l’ex-capitale de la rébellion ivoirienne. Par le passé, je n’aurais jamais imaginé fouler le sol de cette ville. La simple évocation de son nom suscitait en moi une peur bleue. Adolescent, j’ai entendu dire que Bouaké servait d’abri aux assaillants, au point d’en devenir leur capitale. Adolescent, j’ai entendu dire que Bouaké était le cimetière de milliers de personnes, un no man’s land où personne ne pouvait mettre les pieds. Une zone où on buvait le sang humain. Bref, une zone où l’horreur, la méchanceté, le désordre régnaient naturellement.

Mais après la crise post-électorale de 2011, les appels se sont multipliés pour faire renaître la deuxième plus grande ville de Côte d’Ivoire. Les appels se sont multipliés pour donner une autre chance à la « rebelle » de réintégrer la République ivoirienne.

Deux sentiments me submergeaient en tant que journaliste. D’une part, le doute sur la volonté de Bouaké d’avancer. D’autre part, l’excitation, l’envie de découvrir pour la première une ville en plein coeur de l’actualité de mon pays pendant ces dernières décennies.

Le matin du 12 Mai 2015, ma décision est prise. Je pars pour Bouaké. Dans ma besace, un calepin, un stylo, un enregistreur et un appareil photo. Je saute dans le premier car de 06H. Dans le véhicule, c’est le calme plein. Dans mon esprit, mille et une questions se bousculent. Je suis vite épuisé par le trajet. La route entre Yamoussoukro et Bouaké, à la différence de l’axe Abidjan-Yamoussoukro, est une voie partiellement dégradée en plus d’être étroite. Au total, quatre accidents se sont produits durant le trajet. Des accidents des plus banals aux plus graves avec des morts, des hommes coincés sous les décombres du car renversé. Imprudence, indiscipline des chauffeurs, mauvais état de la route sont les causes principales de ces tragédies. Espérons que la construction annoncée de l’autoroute Yamoussoukro-Bouaké vienne résoudre ce problème épineux.

C’est au coucher du soleil, à 18h05, que je franchis le seuil de l’ex-capitale de la rébellion. « Bienvenue ! » me lance un panneau d’affichage d’une agence de téléphonie mobile. À l’entrée c’est une ville presque déserte. Le corridor s’ouvre sur un bataillon du détachement militaire de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Ces soldats de la paix sont stationnés à leur poste, comme guettant le premier ennemi qui va s’annoncer. Comme pour dire, qui prépare la paix, prépare aussi la guerre. Ces deux termes sont intimement liés quoi qu’on dise.

Je poursuis ma balade…Dans les coins et recoins de Bouaké, plane encore l’ombre de la guerre de 2002. À cette époque, le pays était divisé en deux. D’une part, le Nord contrôlé par les rebelles. D’autre part le Sud contrôlé par le pouvoir d’Abidjan. Au début de la guerre, les populations du Nord ont applaudi car, selon elles, se sentant rejetées, écartées du partage du « gâteau ». Après plusieurs mois de farouches combats et affrontements avec les forces loyalistes, Bouaké va être baptisée  capitale des « rebelles ». Cependant de la lueur d’espoir des populations de voir changer les choses, c’est la désillusion qui va finir par prendre place au fil des temps. Plus d’infrastructures, plus d’argent, plus de financement. L’argent n’aime pas le bruit, surtout pas le bruit des armes. Mais les armes circulent à gogo à Bouaké. Ça ne rassure pas les populations, et encore moins les investisseurs. Ainsi Bouaké se vide peu à peu de son beau monde d’antan, un virage déjà amorcé avec les déplacés de guerre, laissant presque une ville fantôme. L’éducation n’existe presque pas. L’université de Bouaké est délocalisée à Abidjan pour sauver l’année académique.

2002 – 2015. Plus de 12 ans après, Bouaké est toujours à la recherche de ses repères. La nature a horreur du vide. l’Etat de droit étant inexistant, toute sorte d’anarchie a poussé comme des graines de maïs : les taxi-motos, le trafic de drogue, le commerce anarchique, les coupeurs de route…

Certes, Bouaké est rentrée dans la république depuis la fin de la crise de 2011. Elle a fait allégeance au nouveau président Alassane Ouattara. Mais 4 ans plus tard, les choses avancent…difficilement. L’habitude est une seconde nature. Plus d’une décennie dans l’anarchie, Bouaké a du mal à se défaire de ses vieux démons.

Arrivé au centre ville, on se croirait à Ouagoudou : des dizaines de milliers de motos ont poussé à la place de véhicules. La plupart servent de moyen de transport, moyennant une rémunération. D’où le nom de moto-taxis. Selon la mairie de Bouaké, on estime à 7 000 moto-taxis qui exercent dans la deuxième ville de Côte d’Ivoire. En effet, à vue d’oeil, on imagine combien ces conducteurs rendent service à cette partie du pays, autrefois coupé du reste du monde. Il n’existait pas de moyen de transport inter-urbain à cause de l’embargo d’Abidjan. Le seul moyen, c’était les motos. D’ailleurs, on peut s’en procurer à partir de 250 mille frs Cfa. En plus, la demande est conséquente : les populations ont besoin de se déplacer. L’alternative était là, à portée de main. Rien qu’en une journée, on pouvait se faire un bon paquet d’argent. 5000 F. Les moto-taxis, à la différence des taxis, ont la possibilité de parcourir les zones les plus hostiles, non bitumées. La population, comme toujours, a applaudi dès le début. Mais l’homme a horreur de la monotonie. Et les moto-taxis ne l’ont pas compris, malheureusement. Ainsi plus de 10 ans après leur entrée dans la capitale du Gbêkê, les populations en ont jusque là ! La cause ? Le nombre incalculable de morts et de blessés par la faute de ces conducteurs. Des conducteurs qui roulent sans le minimum vital de formation. Sans casque, sans permis de conduire, sans gilet d’uniforme, pourtant recommandés par la mairie. Une mairie qui affiche son incapacité à mettre de l’ordre, de peur de toucher les intouchables : à savoir les ex-combattants.

En effet, en 2011, le gouvernement a mis en place un programme pour la réinsertion des anciens combattants dans le tissu socioprofessionnel. Ainsi au cours des cérémonies d’envergure nationale, l’Autorité pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réinsertion (ADDR) a procédé à la remise des dons constitués de matériels, de bourses susceptibles d’aider les ex-combattants à se prendre en charge. C’est ainsi que certains ont reçu des motos et des tricycles. Cependant nombreux ont fait de ce don un moyen de commerce, de transport dans Bouaké. Et sans formation de base, ils se sont jetés dans cette activité. Et depuis lors, les agressions se multiplient surtout tard dans la nuit, à des heures avancées. L’on n’hésite pas à mettre sur le banc des accusés ces anciens combattants dont certains détiennent encore des armes, ou encore obéissent à leur vice d’antan.

A côté de ce phénomène de taxi-motos, s’est développé également une nuisance sonore à outrance. En effet, Bouaké est dominée par l’ethnie Malinké à majorité musulmane. Le jeudi est « décrété » jour de mariage. Si le mariage en lui-même est une bonne chose, mais le tapage autour laisse les passants pantois. Dès 14h, la ville est en alerte maximale ! Partout sur les grandes artères, du quartier Sokoura, en passant par Dar es salam et Kôkô, les klaxons des taxi-motos, parfois à contre sens, retentissent. Un farouche combat s’impose entre piétons, véhicules et motos. C’est la débandade ! Quand on accompagne la nouvelle mariée chez son époux, personne n’a droit de rester de marbre. Qu’on le veuille ou pas, on sera interpellé d’une façon ou d’une autre. Ici c’est Bouaké, bienvenue à bord !…

Lama


Les « gbakas » ou les marchands de la mort

Les minis cars, communément appelés “Gbakas” en Côte d’Ivoire, assurent la liaison entre les différentes communes d’Abidjan, parfois même en dehors de la capitale économique ivoirienne. Leur avènement date des années 80. D’ailleurs le célèbre chanteur ivoirien “Daouda le Sentimental” évoque ce phénomène dans l’une de ses chansons phares.

Le Gbaka rend des services énormes aux populations. Il est moins cher : avec 100F, 200F, on peut rejoindre rapidement son lieu de travail ou son domicile. Le secteur du transport ivoirien étant marqué par l’anarchie, on assiste à la flambée des prix aux heures de pointe. La loi du marché oblige. Là n’est pas ma chronique du jour.

Je voudrais interpeller, si besoin est, de la tragédie qui tourne autour de ce secteur. Jadis, c’étaient des personnes assez matures – des adultes – qui conduisaient les “Gbakas”. Elles avaient un sens de la responsabilité, et surtout du respect de la vie humaine. Mais aujourd’hui, ces personnes ont dû abandonner les “Gbakas” pour plusieurs raisons, si certaines sont parties à la retraite, d’autres – la majorité – ont mis la clé sous le paillasson tout simplement à cause du secteur qui est devenu dangereux.

En effet, les nouveaux chauffeurs, des jeunes pour la plupart, n’ont aucun respect pour la vie humaine. La course à la richesse oblige. Chacun veut faire toujours plus de profit, au détriment de la vie humaine. Les propriétaires de Gbakas (appelés témérairement “Djoulatchè”) sont très exigeants à propos de la recette. Quatre chauffeurs sur chaque Gbaka. La recette pour chacun s’élève à 15 000F par jour. Ajouter à cela les “gombos” du conducteur. Pour ce faire, la fin justifie les moyens. On est prêt à tout pour se faire de l’argent.

Dès 04H du matin, la journée commence avec des excitants pour être éveillé au volant. Dans ce milieu les sachets d’alcool et de drogue coulent à flots. On ne se cache même plus pour prendre sa “dose”, cela se fait au su et au vu de tout le monde. Une fois au volant le Gbaka est mis à lourde épreuve : toutes les vitesses sont utilisées pourvu qu’on  embarque plus de clients avant les autres concurrents. A bord, l’apprenti chauffeur n’est pas en reste, il crie à tue-tête pour attirer les éventuels passagers. Une fois à bord, plus aucun respect pour le client.

Au dehors, les jeunes chargeurs (appelés “Gnambros”) ne laissent aucun répis aux Gbakas. Chaque chargement est taxé entre 100F et 300F, même si c’est un seul passager à bord. Toutes ces pressions finissent par achever le conducteur, qui doit coûte que coûte enregistrer davantage de recettes afin de supporter les charges. Et bonjour les dégâts.

La dernière en date, c’est un carambolage entre un Gbaka et un gros camion, le vendredi 13 novembre 2015 à Cocody. Un accident qui aurait fait une vingtaine de blessés graves. Selon un témoin, le chauffeur et l’apprenti étaient presque inanimés. Dans la même semaine, à Abobo, un autre Gbaka s’est fait écrasé au contact d’un autre gros camion. Tous les passagers ont trouvé la mort.

Il est temps d’arrêter ce cycle de deuil des populations. Les jeunes gens au volant n’ont aucune formation en la matière. De nos jours, les permis de conduire sont livrés comme des petits pains. Les agents de police commis à la sécurité routière s’intéressent plus au racket qu’à leur travail. Les “gnambros” pululent dans les gares routières et sur tous les points de rassemblement, rien que pour racketter les “Gbakas”.

Dire qu’il faut supprimer les “Gbakas” de la circulation est une illusion. Mais on peut réduire leur pouvoir en développant le transport en commun comme par exemple les trains urbains.

Lama