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Le football, c’est l’opium du peuple

photo: https://www.footballhebdo.com/214201217580-classico-real-madrid-vs-fc-barcelone-pronostic

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Que Karl Marx se rassure : lui et ses suivants ont rempli leur rôle. En effet, ils se sont prononcés, ils ont écrit sur les préoccupations des hommes. Parmi les sujets, la religion bien sûr. Pour Marx lui-même, « la religion est l’opium du peuple. » De nos jours, il est un autre phénomène dont on pourrait dire la même chose : le football. Le ballon crée la sensation, suscite passion et fureur. Le ballon mobilise, partout dans le monde.

Si on a la chance d’accéder à une Tv satellite, pour s’en assurer il suffit de suivre un match entre le Real de Madrid et le FC. Barcelone, appelé Classico dans le vocabulaire médiatico-footballistique. Dimanche dernier, ces deux clubs espagnols dont le nombre de supporters sur le continent africain ne cesse de grandir, devaient encore se mesurer sur le terrain. Ils entretiennent une rivalité féroce, sans merci. Une rivalité malheureuse aussi, car elle représente un potentiel facteur de dégradation de la relation entre les joueurs espagnols des deux clubs qui se retrouvent en équipe nationale. Cette rivalité, au-delà des deux clubs, oppose aussi deux grandes stars du ballon rond : Messi et Cristiano Ronaldo. Inutile de préciser que la rivalité entre Catalans et Madrilènes est antérieure à ces deux joueurs dont les noms sont sur toutes les lèvres, hantent le rêve des plus petits, provoquent des discussions chaudes chez les plus grands, poussent le chef de famille à investir les frais de pitance du lendemain dans un abonnement à Canal +, font crier d’émotion les commentateurs de match, donnent matière à gloser à n’en plus finir aux « éminentissimes » consultants sur les chaines et dans les émissions de radio sportives.

Entendez-vous ces cris en provenance des familles quand le Real ou le Barça marque ? Ces dribbles de Messi, ces chevauchées de Ronaldo qui font sursauter de joie. Ce carton rouge de Sergio Ramos qui déclenche une engueulade. Cette supposée faute sur Ronaldo pour laquelle l’arbitre aurait dû siffler penalty mais ne l’a pas fait au grand dam des supporters de Real. Vous rendez-vous compte que les rues sont presque désertes, hormis quelques voitures et motocyclistes ?
Mais il y a mieux. Ou pire. Le classico Real VS Barça est un évènement autant attendu que le jour du 31 décembre. Des supporters des deux clubs parient, s’insultent pour une critique déplacée sur Messi ou Ronaldo, comparent Xavi Hernandez avec Xabi Alonso et Iniesta et Gareth Bale, jurent par tous les saints que Pepe neutralisera Messi ou que, c’est selon, Messi malmènera Pepe, rient, se fâchent et… finissent le plus souvent à en venir aux mains.

Cela me fait penser à une anecdote qui, dans les conditions normales, ne doit pas faire rire. Ce jour-là, Chelsea affrontait le Barça en ligue des champions. Le boutiquier, fan de Chelsea, suivait le match avec son ami, qui n’hésitera pas à vendre sa mère pour le Barça. Chelsea a éliminé le Barça. Le boutiquier, voyant son ami abattu et prostré, riait dans sa barbe. Entré en fureur, son ami lui a administré une gifle brillante qui nous a tous frappés de consternation nous qui étions témoins de la scène. Ensuite, l’ami s’en est allé sans dire mot à personne.

Plus important encore, c’est qu’après le match Real VS Barça, les enfants descendent dans la rue, tapent dans les boites désuètes, crient qui le nom d’Iniesta, Messi, qui le nom de Ronaldo, Alonso. Il y a aussi ces pères qui, en colère après la défaite, tapent dans les chaises, distribuent des coups de poing à la femme et aux enfants. Il va donc sans dire pendant tout le temps que dure ce match, les affres du quotidien sont refoulées au sens où l’entend Freud, la crise économique et politique qui frappe le pays est oubliée, les enfants envoient valdinguer le cahier et les livres de lecture dans un coin. Pour tout le monde, à cet instant, il n’y a que le Real et le Barça qui vaillent…

Si Marx vivait encore, il ne manquerait pas de dire que le football est aussi l’opium du peuple !

Boubacar Sangaré


Mali : IBK à Mopti, pourquoi pas à Tombouctou, Gao ou Kidal ?

IBK dans la région de Mopti Photo: Maliactu

IBK dans la région de Mopti Photo: Maliactu

Parmi les évènements qui ont affolé la presse locale ces derniers jours, il en est un, contre toute surprise, qui n’a pas donné matière à des chroniques brèves mais incisives, à des éditoriaux virulents, à des analyses destinées à éclairer davantage la lanterne de ceux et celles qui brûlent toujours d’aller au-delà du politiquement correct. Tous ou presque semblent feindre être celui qui ne sait rien et, donc, qui préfère se taire, « la fermer », pour ne pas choquer, ou s’attirer les foudres d’un régime qui tâtonne, incapable de trouver vers quelle direction conduire le pays. Il ne peut s’agir que de la visite, qualifiée de « hautement symbolique », effectuée du 17 au 19 mars dans la région de Mopti par le président Ibrahim Boubacar Keïta.

Il est difficile de ne pas convenir que cette visite n’est pas vide d’intérêt, puisque la région de Mopti a aussi subi les conséquences de la guerre lancée contre les terro-djihadistes, les faussaires de la foi que sont AQMI, MUJAO et ANSARDINE, qui ont semé une terreur stalinienne dans les régions du Nord du Mali. Ensuite, parce que c’est à Kona que l’armée malienne, aidée par les soldats de l’armée bleu-blanc-rouge, a stoppé l’avancée des ennemis au prix de la vie d’un nombre incroyable de ses soldats, la DIRPA étant jusqu’à nos jours incapable de fournir un bilan. On ne va pas refaire l’histoire. Hommage rendu aux soldats de Sevaré, rénovation de l’hôpital Sominé Dolo où de nombreux blessés de la bataille de Kona ont été pris en charge, dépôt de gerbes de fleurs au monument élevé à la mémoire de tous les soldats tombés au champ d’honneur, défilé militaire, inauguration du lycée à Bandiagara, et des centrales électriques hybrides à Bankass et Koro. Voilà les éléments constituants de cette visite. Et on voit sans mal qu’il y avait vraiment de quoi jubiler pour les populations de Mopti.

Cette visite avait un sens pour ces populations dans l’esprit desquelles le souvenir de la bataille de Kona reste vif. Les regarder de travers en train de danser, chanter, crier « IBK ! IBK ! IBK ! » reviendrait d’abord à nier le droit à la reconnaissance à ceux et celles dont le fils, le mari, le père… est tombé sous les balles ennemies, ensuite à cracher sur leur joie d’avoir un lycée et des centrales électriques hybrides…

Cependant, il faudrait bien se garder d’abonder dans le même sens que ceux qui n’ont pas trouvé à redire, quelques soient leurs raisons, et qui sont prompts à montrer les griffes pour condamner toute voix discordante. Même le dernier des naïfs ne pouvait se défendre de s’interroger: pourquoi une visite à Mopti, et non à Kidal, Tombouctou ou Gao où les populations n’en finissent pas de hurler à l’abandon de la part du régime de Bamako ? C’est vrai, la réponse n’est pas banale. Surtout que, dans le contexte actuel, les susceptibilités sont, pour ne pas dire autre chose, grandes, et que la réconciliation nationale est devenue le sempiternel refrain qu’on fredonne à tout propos et en tout lieu…

« IBK est à Mopti ? Bah, on ne le savait même pas ! Nous, on a plus important à faire que ça », celui qui disait cela, depuis Gao, à l’autre bout du fil, est tout sauf déconnecté de l’actualité, et était mieux au courant que quiconque de la visite d’IBK à Mopti. Seulement, il exprime un sentiment qui n’est pas anodin. Pour qui s’intéresse aux affaires maliennes, il n’est pas besoin de consulter une boule de cristal pour savoir que la situation à Tombouctou, Gao et Kidal reste encore et toujours sérieuse, avec les tirs d’obus, le retour des djihadistes, la gestion d’une rare opacité de la situation à Kidal et, surtout, le blocage dans lequel se trouve les négociations entre le gouvernement malien, les groupes rebelles armés (MNLA, MAA, HCUA) et les groupes d’autodéfense (Ganda Izo, Ganda Koï). C’est comme le calme avant la tempête. Le dire, l’écrire, ce n’est ni être un oiseau de mauvais augure ni jouer à la Cassandre. C’est plutôt faire preuve de prudence.

Un Etat encore faible

Six mois après le plébiscite d’IBK en qui beaucoup voyaient – et voient toujours- l’homme providentiel, la situation dans les régions du Nord du pays n’a pas connu d’embellie. Surtout à Kidal, d’où est partie la rébellion MNLA qui a projeté le Mali dans les crises sécuritaire et institutionnelle. Mais il y a plus étonnant, quand on sait que les routes de cette région semblent interdites aux nouvelles autorités maliennes, malgré la présence de Serval et de la Minusuma. On se souvient que même le premier ministre, Oumar Tatam Ly, n’avait pu y mettre le pied en novembre dernier… C’est une région malfamée, où dorment tranquillement les bandits de tout acabit, les terroristes qu’il est vraiment difficile de distinguer des groupes rebelles armés. De quoi, en tous cas, renforcer le sentiment que le Mali est un pays coupé en deux, compartimenté, avec une partie du Nord qui semble hors du champ de contrôle du pouvoir central. Or, il est clair que les Maliens ont voté, massivement, pour restaurer l’ordre politique et l’Etat dont on dit qu’il n’a jamais été solide. Il ne fait aucun doute que ce qui se passe à Kidal sert de baromètre à la faiblesse du pouvoir en place, une faiblesse masquée mais réelle qui n’échappe pas un seul instant aux populations de Tombouctou, de Gao. Depuis le temps où ils vivaient sous la coupe réglée des faussaires de la foi, les habitants restés sur place se disent abandonnés par le pouvoir de Bamako. Rien n’a d’ailleurs encore été fait pour leur prouver le contraire.

Parmi les moins puissantes plumes de la presse locale, certaines n’ont pas résisté à dire qu’il eut été symbolique, six mois après son investiture, qu’IBK se rende dans l’une de ces trois régions pour faire oublier aux populations le sentiment qu’ils ont d’être séparées du sud du pays par un immense océan.

Pour parler de réconciliation, ce n’est pas à Mopti…

Dans son numéro du 17 mars, Le prétoire, en parlant de cette visite du président Keïta, a écrit :

« Au cours de cette tournée, le chef de l’Etat parlera sans cesse de dialogue et de réconciliation, termes à la mode et pour lesquels il a créé un ministère aussi inutile que factice. Mais pour se faire entendre, il serait mieux inspiré de s’adresser aux acteurs concernés, et ce n’est sans doute pas dans la « Venise » malienne qu’il va rencontrer les protagonistes du Nord, pas plus qu’il n’a pu les rencontrer tous à Bamako, lors des ateliers de la communauté internationale… »

C’est là un constat, des plus clairs, qui va recueillir l’adhésion de plus d’un dans l’opinion publique nationale, et même au-delà. C’est connu, à propos du dialogue et de la réconciliation nationale, beaucoup a été fait et dit mais il semble toujours que ce n’est pas assez. D’autres actions concrètes sont attendues de la part du pouvoir de Bamako. La plus symbolique serait la visite d’IBK dans l’une de ces 3 régions où se trouvent les vrais protagonistes. C’est là aussi qu’il apparaît nécessaire de poser la question de savoir pourquoi IBK tient à ce que les négociations se déroulent à Bamako, et pas à Tombouctou, Gao voire Kidal.

Boubacar Sangaré


Mali : quand le président passe….

 

 

Le président de passage à Kalaban-coro Photo: Boubacar

Le président de passage à Kalaban-coro. Photo: Boubacar

Au sud-est du district de Bamako, une population estimée à 48 324 habitants (selon le Recensement administratif à caractère électoral) et une superficie de 219,75 km2, juste derrière le petit pont, Kalaban-coro!… l’une des 37 communes du cercle de Kati, administrée par un conseil municipal de 29 conseillers. Des frontières avec Bamako jusqu’au village de Kabala, les abords du goudron sont noirs de monde. Quelques agents du corps policier s’empressent de débarrasser la route de tous ses usagers, les habituels transports en commun, les voitures personnelles, les motocyclistes et…les piétons. Tous ont été sommés de se ranger pour laisser la voie libre. Les femmes venues s’approvisionner au marché ont du mal à traverser pour rallier leur domicile, de l’autre côté de la route. Il est 9 heures moins, et déjà le soleil qui se lève a beaucoup perdu de sa tendresse.

Qui sont ces enfants alignés le long du goudron, marchant les uns sur les pieds des autres, piaillant comme des lurons, bondissant comme bouc en rut ? Encadrés par des policiers, ils ont tous le regard tourné vers une seule direction. Ils crient tous comme des putois « IBK ! IBK ! IBK ! » Ce sont nos enfants, nos petits frères, nos petites sœurs; ils portent l’uniforme de leur établissement scolaire. Quoique nous soyons lundi, ils ont, avec la bénédiction de leur administration, été parqués au bord du goudron, pour acclamer le président Keïta sur sa route vers Kabala, le village suivant. Il est en route pour le lancement de la construction de la cité universitaire. Les élèves de tous les établissements primaires et secondaires sont dans la rue. Des femmes et d’autres jeunes des quartiers sont venus grossir la foule. Tous transpirent comme s’ils étaient dans une étuve. A 10 heures, ils attendent toujours le président. L’impatience se lit sur les visages.

Auparavant, notre benjamin, Moustapha, 7 ans, en 2e année, est venu me trouver à la maison et m’a dit :

« Ils nous ont dit d’aller au bord du goudron pour accueillir IBK. Moi, je n’irai nulle part, parce que ce n’est pas IBK qui me donne à manger. »

Ces propos ont déchaîné l’hilarité de nous tous qui étions là.

Sous prétexte que le président va passer, l’immobilité est imposée partout : les écoles se vident, les conducteurs de transport en commun, alors qu’ils sont à la chasse de leur pitance du lendemain, sont empêchés de rouler, les motocyclistes sont contraints d’emprunter les rues et ruelles pour rallier leur destination. Quand le président passe, rien ni personne d’autre n’existe en dehors de lui, plus personne ne crie, ne parle, ne rit, ne saute, ne danse ou ne pète que pour lui. Quand le président passe, tout est bloqué comme une horloge cassée, tous ou presque retiennent leur souffle. D’aucuns, affichant une joie à couper le souffle, lancent :

« Le pouvoir, c’est le pouvoir. On lui doit respect, soumission et obéissance. »

Aucun commentaire. S’éloigner de là, c’est le meilleur moyen d’éviter de piquer un fard, une engueulade.

Voilà plus de cinquante ans que cela dure. Plus de cinquante ans que nos présidents nous font sortir sous le soleil, nous faisant perdre une partie de notre vie à les accueillir, à les applaudir, les vénérer, à leur baiser les pieds et la main. Plus de cinquante ans que nous courrons derrière leur cortège, alors qu’ils ne font que lever une main hypocrite, affichant un sourire factice pour nous témoigner… quoi ? Sinon leur mépris. Mépris parce qu’ils se font applaudir, accueillir sous un soleil de plomb par un peuple qu’ils affament, à qui ils ne sont jamais parvenus à assurer des conditions de vie dignes, qu’ils abrutissent, et dans l’esprit desquels ils ont inculqué la notion de domination charismatique au sens où l’entend Max Weber. Mépris aussi parce que parmi ces enfants, il n’y a pas celui du président, ni de son fils, ni d’un quelconque ministre du gouvernement. Ce mépris devient flagrant lorsqu’on se rend compte que tous, du président au ministre, répugnent (le mot n’est pas fort) à voir leurs enfants fréquenter ces écoles publiques livrées au chaos avec les enfants issus de la plèbe, du Mali d’en bas. Ils préfèrent les placer loin de tout ça, dans des écoles privées surpayées, pour leur épargner l’enseignement déphasé, inconstant et soporifique qu’on dispense encore dans les écoles d’état.
Ces enfants, qui, hier, ont crié « ATT ! ATT ! ATT ! », et qui, aujourd’hui, crient « IBK ! IBK ! IBK ! » ne le savent pas, et malheureusement ils ne savent pas qu’ils ne savent pas. Ils sont le symbole d’un peuple enfumé qui s’est à ce point égaré dans le fétichisme du pouvoir qu’il a renoncé à son droit le plus élémentaire, sa dignité.

Au bord du goudron, la foule grossit à mesure que le soleil escalade dans le firmament. Cela fait plus d’une heure que les enfants sont là, à attendre le président, pour le voir passer.

 

Au bord de la route (Kalabancoro) photo: Boubacar

Au bord de la route (Kalabancoro) photo : Boubacar

« Pauvres enfants. Pauvres parents. Pauvres citoyens ! Vous êtes issus d’un peuple fier et riche qui ne devrait pourtant pas manquer d’enfants dignes pour éviter la corruption, le piston, le favoritisme. Mais voyez vous-mêmes où nous en sommes. Le mensonge est presque devenu une langue officielle dans ce pays . Ceux que vous prenez pour les hommes providentiels vous promettent monts et merveilles, mais à la longue, il n’y aura rien. Absolument rien. Vous n’êtes d’ailleurs rien pour eux, rien, sinon le bas du panier, le cul d’une poule. Pauvres enfants, arrêtez de crier, il est temps que vous ouvriez les yeux, que vous émergiez de votre somnolence, que vous disiez non à ces nouveaux colons ! »  serait-on tenté de dire. A qui ?

A cette foule d’hommes, de femmes et d’enfants qui se bousculent frénétiquement pour voir, seulement, IBK passer, non, mais sans blague !

A 11 heures moins, IBK passe, attifé d’un boubou bleu, portant une écharpe blanche. Le cortège roule au ralenti, IBK lève ‘’cette main’’ et affiche ‘’ce sourire’’ à la vue de tous ces enfants criant « IBK ! IBK ! IBK ! »

Après plus d’une heure de guet, il faut rentrer. Plus d’une heure durant laquelle même le vent ne soufflait que pour IBK. Tous ces enfants, ces écoliers, dehors pour saluer IBK de passage. Tout ça pour ça ! Ça seulement. Et on se dit qu’il est loin, vraiment loin, le temps du changement dans les mentalités, dans les comportements. Et on se souvient de ce que dit Stanislas Adotevi K. Spero dans  Négritudes et négrologues  :

« Le Nègre danse. Il faut qu’il continue de danser. Mais il ne s’agit plus de danser sur le mode de la répétition, mais de la Révolution. Il faut maintenant danser la danse de la victoire. » P. 246

Oui, il est temps de danser la danse du changement.

Boubacar Sangaré


Mali : Le rap dérape en violences

Le rappeur Saïbou Coulibaly dit Snipper photo: JournalduMali.com

Le rappeur Saïbou Coulibaly dit Snipper photo: JournalduMali.com

La semaine dernière, l’animosité entre plusieurs rappeurs maliens, Gaspi, Iba one et Talbi, Oxbi, Moobjek, a viré à une confrontation physique dont le jeune rappeur Snipper (Saïbou Coulibaly) a fait les frais : agressé en pleine journée chez lui par des hommes armés. Un évènement navrant qui interroge …

Il y bientôt deux mois de cela, un de mes articles (1) alertait l’opinion publique nationale sur les dérapages qui s’installent dans le monde du rap malien. Dans les ‘’morceaux clash’’ dont raffolent les jeunes, les rappeurs se taclent sans cesse verbalement, mais aussi poussent l’outrecuidance jusqu’à insulter père et mère de façon obscène. Ils se lancent des piques, qui nourrissent une haine réciproque qui durera avant de s’éteindre. C’est cette rivalité entre les rappeurs Gaspi, Iba one et Talbi, Moobjek qui anime aujourd’hui la polémique chez les férus de rap. Même s’il reste à déplorer que les grands titres de la presse locale boycottent cette discipline, il semble évident que tous évoquent un art fait pour les nases, les ratés, les délinquants et, par conséquent, indigne d’une once d’égard.

Sinon comment comprendre le peu d’intérêt que tous ou presque ont montré en apprenant que le jeune rappeur Snipper avait été agressé par un gang conduit par Moobjek (un autre rappeur opposé à Gaspi, allié de Snipper). Snipper ajoute même qu’il a été victime d’un hold-up, et qu’il n’en est pas sorti sain et sauf. Lundi dernier, la nouvelle est allée vite dans la rue, si bien que la rumeur, le plus vieux média, a commencé à gérer l’information. Chacun y allait de son récit des faits. Rencontré jeudi dernier chez lui, Snipper, une blessure couverte d’un pansement au sommet de la tête, et des bandages aux doigts, il parlait sur le ton du rappeur sur scène. Il n’a pas hésité à livrer son récit des faits :

« Le lundi dernier, il (Moobjek) s’est rendu chez moi avec une bande de voyous de 40 personnes, aux environs de 14 heures. A cette heure de la journée, il n’y a pas grand monde chez nous; il n’y avait que des femmes dans la rue, et tu n’es pas sans savoir que le lundi tout le monde part au travail. Un pote m’a appelé pour me dire qu’un complot se trame contre moi, qu’il paraît que Mobjek s’apprête à m’attaquer. Il s’appelle Balilou Montana. Il suivait tout sur facebook, mais ne savait pas l’heure où ils allaient attaquer. C’est un autre ami à lui qui lui a écrit sur facebook pour lui dire ça, et je ne sais pas comment ce dernier a eu cette information.
J’étais dans la rue, et j’ai pensé à quitter parce que je ne savais pas l’heure où ils allaient passer à l’acte. Je me suis enfermé à clef dans ma chambre après avoir dit aux enfants de faire savoir à quiconque viendrait me chercher que je suis sorti. J’étais au lit et, à ma grande surprise, notre famille a été envahie par une foule. Ils cognaient sur les portes de mes mamans en criant « où est Snipper ? Où est Snipper ?» Mobjek était parmi eux. Ils sont arrivés avec trois voitures et dix motos, armés de fusils, de machettes, de haches. Comme ma porte était bouclée, ils ont ouvert la fenêtre que j’avais oublié de boucler, et m’ont aperçu. Ils ont défoncé ma porte, Moobjek est entré et on a échangé des coups de poing. J’ai accepté de les suivre dehors. Ils voulaient me mettre dans le coffre d’une voiture, m’amener dans un studio pour me filmer en train de me clasher moi-même, pour ensuite lancer sur youtube. J’ai résisté et refusé d’entrer dans le coffre, et c’est là qu’ils ont commencé à me percer de coup de machettes aux doigts, à la tête, aux pieds. Certains me piquaient aux côtes. J’ai échafaudé un plan pour m’arracher et fuir. La rue était bondée, mais il n’y avait que les femmes et les enfants. Seul mon cousin Bassirou était là. Il a opposé une résistance, ils lui ont pris son téléphone et assené un coup de machette à la nuque. L’arme lui a fait une blessure à l’oreille gauche. Ils m’ont enlevé mon pantalon, filmé. Ils ont emporté mes deux téléphones et 55.000 FCFA. J’ai couru et j’ai fini par tomber dans les pommes. »

Rares sont ceux qui diront le contraire, Snipper paie là le prix de la rivalité qui oppose son allié, Gaspi, à trois autres rappeurs dont Moobjek qui, comme Gaspi, possède un ‘’fanbase’’ (public) très grand. Il se trouve que dans cette rivalité, Snipper en est arrivé à faire monter la mayonnaise, multipliant les ‘’morceaux clash’’ où il attaque, en digne porte-parole de Gaspi, Talbi, Mobjek et Oxbi, dont il ne se prive pas d’insulter père et mère. On sait que ce jeune rappeur est connu pour ses insultes obscènes, ses goujateries verbales (il dit que c’est son style à lui !) qui ont dégoûté nombre de mordus du rap, et lui valent aujourd’hui, après son agression, des « bien fait pour sa gueule ! »

Dans son dernier titre intitulé « Telle mère, tel fils », il s’en prend aux mères des trois rappeurs :

« Telle mère, tel fils. Le fils est à l’image de sa mère. Vous et vos mères, vous êtes les mêmes. C’est vous qui parlez de vos mères tout le temps dans le rap. Et vos mères vous soutiennent tellement dans cette affaire ! (2) Le dernier des maudits, c’est Talbi. On ne doit pas s’enorgueillir d’être un enfant légitime. Dire cela tout le temps, c’est haram sauf si tu veux que quelqu’un d’autre te dise le contraire. Eh bien, je doute fort que tu en sois un. Tu n’es pas un enfant légitime. Tous les Maliens savent que ta mère a fait trois mariages successifs, que tu as trois frères qui n’ont pas le même nom que toi… (Traduction libre) ».

On voit que Snipper n’est pas virulent qu’avec les seuls rappeurs, mais va jusqu’à mettre leur mère dans le même sac qu’eux. Ce fut, à l’en croire, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, hélas déjà plein à ras bord. La virulence des textes avait atteint son paroxysme. Une telle rivalité dans le giron du rap malien n’était jamais parvenue à cette dimension. Une confrontation physique était prévisible, voire inévitable pour qui se souvient encore des menaces que ces rappeurs se lancent par textes interposés.
Mais, il reste que dans cette affaire, on s’est éloigné du rap hardcore, du rap conscient pour finalement basculer dans une sorte de guerre d’égo qui hante désormais les textes. Une passe d’armes d’une animosité rare qui occupe les discussions quotidiennes entre les fans-clubs des rappeurs concernés. Au point que, souvent, on ne peut se défendre de demander s’il y avait des limites au clash, sachant bien que la réponse n’est autre que, dans l’art, la question de la limite est d’ordre personnel. Aussi, on sait que le but poursuivi dans le clash est de faire parler de soi, de faire le boucan.

Ceci dit, l’agression contre le jeune rappeur est un évènement navrant qui ne fera que renforcer les contempteurs de cette discipline, et contribuera à mettre tous les rappeurs dans une mauvaise posture. C’est un acte intolérable, insupportable, qui donne une image noire du rap, et des rappeurs eux-mêmes qui se doivent d’être exemplaires compte tenu de l’influence que cet art exerce sur la jeunesse. On ne peut que s’interroger. Où va le rap malien ? Ne risque t-il pas de perdre sa place dans le monde de la culture malienne ?

Pour Abdoulaye Coulibaly, alias Black Lion, un jeune rappeur de la place, la rivalité entre ces rappeurs dépasse le cadre du clash et « ils feraient mieux d’arrêter », parce que « les insultes père et mère, ce n’est pas tout le monde qui peut supporter. C’est vraiment regrettable. Et ce n’est même pas bon pour l’image du rap. »

(1)- Mali : quand le rap explose et dérape…, lundi 13janvier 2014.
(2)- La tante de Mobjek intervient dans une de ses chansons. Elle y dit que les rappeurs, comme Snipper, qui font des insultes père et mère sont maudits.

Boubacar Sangaré


Mali : à la rencontre de ces Maliens rentrés de la Centrafrique

Des Maliens rentrés de la RCA photo: Boubacar
Des Maliens rentrés de la RCA photo: Boubacar

Il est 10 heures, ce mardi 4 mars, lorsque je franchis le seuil de la cour de la Direction régionale de la protection civile, sise à Sogoniko (un quartier de Bamako). C’est une cour immense, qui, depuis plus d’un mois, fait office de gîte pour ces Maliens ayant fui la Centrafrique, devenue l’un des points chauds du continent. A l’ouest, des bâches servent de refuges de fortune à ces hommes, femmes et enfants. Elles les abritent du soleil aussi, car le soleil est en train de venir. La chaleur aussi. Les bagages sont éparpillés çà et là, dans l’indifférence générale. Ils sont assis, qui sur une natte, qui sur une chaise, promenant un regard abattu sur l’atmosphère ambiante. D’autres sont hagards.

« J’étais commerçant à Bouguera, une ville située à 200 km de Bangui. Les anti-balaka ont attaqué la ville à 3 h du matin, tuant plus de 100 personnes parmi les Arabes tchadiens et les Peuhls, tous musulmans. Ils ont mis le feu aux maisons, aux mosquées. Ils ne touchaient pas aux Maliens parce que nous, nous ne sommes jamais impliqués dans la politique. Mais quand la situation s’est davantage détériorée, ils ont commencé à nous menacer de mort aussi, nous les Maliens. ».

Ces propos ne sont pas extraits d’un polar publié dans la collection Série noire de Gallimard. Ce sont ceux de Seyba Konaté, un Malien vivant en RCA depuis 1999. Il a tout abandonné pour rentrer au bercail.

Depuis bientôt un an, la Centrafrique a regagné son rang de nation instable, avec la déposition de François Bozizé par les rebelles de la coalition Seleka, sous la direction de Michel Djotodia. Le 10 janvier 2014, Djotodia, ne contrôlant plus rien ni personne, démissionne de son poste de président. Le 23 janvier 2014, Catherine Samba Panza devient le chef d’Etat de la Transition. Les Centrafricains sont cependant loin de voir le bout du tunnel. Les violences font encore rage, malgré les efforts immenses déployés par les forces de l’opération Sangaris et de la Misca, pour désarmer les milices anti-balaka et les « électrons libres » de l’ex-Seleka. Ne parlons pas de l’armée centrafricaine, qu’on pourrait qualifier de mexicaine, comme on disait au début du XXe siècle, tant elle est désorganisée et inefficace. La RCA a basculé dans une guerre civile et confessionnelle, qui met en péril, voire déchire le tissu social.

Né d’un père malien et d’une mère centrafricaine en RCA où il a pris femme et a eu 4 enfants, Soumaïla Diarra ne passe pas par quatre chemins quand on lui demande ce qu’il pense de la crise :

« C’est une guerre de l’ignorance, et non de religion entre chrétiens et musulmans. »

Une guerre de l’ignorance. C’en est peut-être une. Mais on ne peut pas ne pas dire que c’est là un des points de vue qu’on émet dans les moments d’incertitude, d’impossibilité. Impossibilité à donner ou à trouver meilleure explication. Impossibilité à en croire ses yeux et ses oreilles. Alors vient le temps de poser la fameuse question léniniste : « Que faire ? ». Que faire pour sauver la RCA du déshonneur, de l’incertitude ? Pour arrêter la machine infernale de la violence ?

Ceux qui ont quitté la RCA l’ont fait faute d’autre choix. Partir, c’est une solution, même si d’autres pensent que le départ est un aveu d’échec…

Aïchétou a 27 ans. Teint clair, cheveux gominés, elle est née en RCA de parents sarakolés. Elle n’a pas été à l’école. Elle y faisait du petit commerce. Elle dit avoir perdu tous ses biens.

« Je suis venu au Mali à cause de la guerre. Je remercie beaucoup le gouvernement malien pour ce qu’il a fait pour nous. Non, je n’ai plus envie de retourner en RCA. Je n’ai plus rien là bas » , dit-elle en lançant un regard ému vers sa maman qui partage un plat avec 3 petites filles.

A ce jour, quatre convois de Maliens ont été acheminés vers le Mali. Dans ces convois se trouvaient également des Centrafricains qui n’ont pas hésité à sauter dans le premier avion pour s’éloigner de l’enfer.

Ces Centrafricains qui se sont retrouvés au Mali

De gauche à droite: Sekou Diarra, Lewis Sambia, Ali Nimaga, Ali Traoré, Isaï Sylver, Nzas Nakaba Abdelaziz
De gauche à droite: Sekou Diarra, Lewis Sambia, Ali Nimaga, Ali Traoré, Isaï Sylver, Nzas Nakaba Abdelaziz

Adossé à un véhicule de la protection civile, MBringa Cherubin, Banguissois, se fait photographier par son compatriote, Isaï Sylver. Ils sont Centrafricains, chrétiens. Ils préfèrent laisser la parole à Lewis Sambia :

« J’ai quitté la RCA parce qu’il y a une crise. Bien que je sois chrétien, je n’étais même pas menacé là où j’étais à Bangui. Je ne voulais pas être dans un parti pris, m’aligner derrière les chrétiens. Mais comme ma vie commençait à être menacée par les musulmans, le mieux c’était de quitter. Je ne suis ni pour les chrétiens ni pour les musulmans. Si la RCA retrouve la stabilité, je vais y retourner. J’ai mes parents là-bas, d’autres ont été tués dans les évènements. La maison de mon père a aussi été incendiée.
J’étais étudiant en génie civil, 2e année. Je voulais devenir ingénieur. Je veux continuer dans la même filière au Mali. On est encore sous couvert du HCR (Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés), et on cherche le statut de réfugié. Pour arriver ici, ça n’a pas été facile, on a même pris des noms maliens. »

A l’inverse de Lewis, Nzas Nakaba Abdelaziz, musulman, lui, préfère pousser un coup de gueule :

« Nous vivons dans une situation très pénible, nous ne sommes pas nourris, protégés. Nous nous soignons nous-mêmes. Quand on va à l’infirmerie, on nous donne une ordonnance tout en sachant qu’on n’a pas un rond. On ne reçoit vraiment pas le traitement dû aux réfugiés. Les gens du HCR viennent, nous rendent visite, nous enregistrent, nous disent d’attendre les statuts. Mais on va attendre ça jusqu’à quand ? C’est pourquoi je tiens à dire aux organismes internationaux et aux opinions publiques de jeter un œil sur nous, parce que nous souffrons. La situation est vraiment difficile. »

Johnny Vianney Bissankonou, ils le connaissent très bien. Ils étaient des auditeurs inconditionnels de son émission Mossekatitude, qui parle, à les en croire, de la jeunesse. « Johnny, c’est vraiment un gars instruit quoi ! », lâche Lewis Sambia.

Un an de violences meurtrières, c’est tout sauf rien. Comment faire entendre raison à ces Centrafricains, jeunes, qui s’entretuent au nom de la religion ? Comment leur faire comprendre que la guerre ne se nourrit que d’hommes, sinon rien d’autre ? La seule certitude, c’est que tous les citoyens centrafricains ne pourront pas partir…D’où la nécessité de constater qu’en RCA, c’est tout le monde qui a échoué. C’est ce qui permettra de repartir.

Boubacar SANGARE


Mali : «journalistes apatrides» riment avec pouvoirs putrides

Le ministre malien de la Justice, Mohamed Ali Bathily Photo: Maliweb.net

Le ministre malien de la Justice, Mohamed Ali Bathily Photo: Maliweb.net

Il est des propos qui n’ont pas seulement le don de faire date, mais aussi font de la peine. Ceux tenus par le ministre malien de la Justice, Mohamed Bathily, par lesquels il descendait en flammes la presse, en font partie. Comme dans un tribunal, il a dressé un réquisitoire dur à l’encontre du travail de la presse. Un réquisitoire dur, mais résonnant de vérités difficiles à mettre sous le boisseau, et qui sont comme le nez au milieu de la figure. Le garde des Sceaux n’a vraiment pas fait l’économie du peu de bien qu’il pense des journalistes.

Nous savons que, ces temps-ci, le département de la Justice se débat avec nombre de dossiers dont le plus important reste la fameuse ‘’affaire des bérets rouges’’, qui a débuté par l’incarcération du désormais général Amadou Haya Sanogo, et se poursuit avec l’arrestation d’autres poids lourds de l’ex-CNRDRE, la découverte de charniers à Kati et à Diago. Une affaire qui promet de nombreux rebondissements. Aussi est-il de bon ton de rappeler que le département concentre l’espoir de tous ceux qui sont assoiffés de justice, d’égalité dans un pays dont les administrations publiques avaient, et ont toujours, l’allure des écuries d’Augias, qu’il est urgent de nettoyer. Il ne faut pas être devin pour savoir que le ministre va s’attirer les inimitiés des profiteurs égoïstes qui abondent encore dans nos administrations, où ils ont érigé la corruption, le népotisme, le favoritisme en style de gestion, au point d’amener les usagers, issus pourtant d’un peuple fier, à troquer leur dignité et leur honnêteté pour la malhonnêteté. Ils sont toujours là, veillent au grain. Ils sont hostiles à tout changement, et passent la nuit à réfléchir sur la meilleure manière de l’empêcher. Pour cela, aucun moyen ne leur semble dérisoire, pas même celui de mettre à leur service la presse privée, où il est facile de « recruter » un « journaliste alimentaire » qui, en l’espace de quelques billets de francs Cfa, n’a aucune gêne de commettre des articles déséquilibrés et inconsistants pour prendre la défense d’un fieffé corrompu, tapi dans l’ombre dans un service public, craignant la tempête de la Justice.

« Partout, c’était le clientélisme et la corruption. Et quand on se hasarde à lutter contre ce fléau, on se fait sûrement des ennemis. Parce que ceux qui profitaient de cette situation ne sont pas prêts à lâcher prise. Ils mettent tout en œuvre, y compris l’achat de la presse pour parvenir à leur fin. Ces journalistes se permettent de citer ton nom dans des affaires pour lesquelles ils ne t’ont même pas interrogé. Au lieu de chercher à équilibrer l’information, ils prennent des sous par-ci et par là, et diffusent des contre-vérités en retour… », ces propos du garde des Sceaux, Mohamed Bathily, où il qualifie certains journalistes d’«apatrides», contenus dans un discours lu devant des militants des Associations pour le Mali (APM) et publié par Le Serment, parlent d’eux-mêmes.

Oui, le « journalisme alimentaire » est devenu une sorte de modalité du journalisme au Mali, et un nombre incroyable de journalistes s’en donnent à cœur joie. Oui, ce phénomène a jeté le doute sur les compétences et la crédibilité de la presse, l’un des éléments importants de la démocratie. Oui, le journalisme a été vidé de son contenu; le professionnalisme, l’impartialité sont devenus un luxe qu’on ne prend plus le temps de se payer.

Cette mise en cause du travail de certains journalistes (pas tous, il existe encore des confrères patriotes et sincères) est recevable, car il faut convenir que la presse n’a pas le comportement, la déontologie, que le lectorat est en droit d’attendre.

Mais on peut fixer des limites aux critiques du ministre, dans la mesure où la presse malienne n’est rien de moins que le reflet d’une société en état de décomposition morale et intellectuelle avancée, où l’échelle des valeurs a subi de profonds changements. Notre presse est à l’image de ce peuple qui s’est débiné, égaré. Ce peuple qui a perdu la notion de la droiture. Ce peuple qui a été abruti par des décennies de pratique d’une démocratie de pacotille, et à qui on n’a pas pu éviter la voie de la corruption. Là où il faut se dissocier du point de vue du garde des Sceaux, c’est de dire que l’achat de la presse n’est pas une spécificité de ces corrompus finis en bisbille avec la justice. Non ! Si cette presse est d’une médiocrité énorme aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle a toujours été mise à la traîne, à coup de millions, par ces pouvoirs supposés démocratiques, qui préfèrent se voir encenser au mépris d’un peuple sciemment maintenu dans l’ignorance. Cette presse s’est parfois, de connivence avec le pouvoir en place, employée à fournir des écrits putrides destinés à abêtir le peuple. C’est pourquoi, parfois, « un journaliste apatride » rime avec un pouvoir putride. Un pouvoir qui utilise cette même presse, sur laquelle le garde des Sceaux Mohamed Ali Bathily cogne, pour désorienter son peuple. Et il est clair que ce n’est pas aujourd’hui que cette pratique disparaîtra.

Boubacar Sangaré


Algérie, où s’arrêtera Bouteflika ?

Abdelaziz Bouteflika, Président algérien photo: https://www.republicoftogo.com/Toutes-les-rubriques/Diplomatie/Bouteflika-ecrit-a-Faure
Abdelaziz Bouteflika, président algérien photo: https://www.republicoftogo.com/Toutes-les-rubriques/Diplomatie/Bouteflika-ecrit-a-Faure

Fin de suspense en Algérie, le plus grand pays du Maghreb, région qui comprend aussi la Libye, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie. Le 22 janvier 2014, en annonçant la candidature d’Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat, le premier ministre Abdelmalek Sellal a créé l’émoi, la frustration, la surprise et…la honte. Honte, pour tous ceux qui, comme dans un rêve les yeux ouverts, espéraient voir le crépuscule d’un système politique que nombre d’éditorialistes, qui osent souvent sortir du politiquement correct, qualifient de vétuste, grabataire. Tous ceux qui, algériens ou non, se posaient la question « un quatrième mandat pour quoi faire ? » ont maintenant une réponse : pour occuper le palais d’El-Mouradia, avec encore une fois la bénédiction des décideurs, terme qui désigne les généraux dans le vocabulaire médiatico-politique algérien.

Il faut relever d’emblée que beaucoup ont encore du mal à y croire, et affirment avec zèle que leur doute se dissipera lorsque « Boutef » lui-même déclarera à haute et intelligible voix qu’il est candidat au scrutin du 17 avril prochain. Une posture qui, n’en doutons pas un instant, n’est pas sans relation avec l’état de santé actuel de Bouteflika, lequel est à la tête du pays depuis 1999. En effet, « Boutef », 76 ans, est affecté par un AVC depuis le printemps 2013, et la presse algérienne dit de lui qu’il est usé, atteint, diminué, incapable de prendre la moindre décision, invisible.

Cette nouvelle a lâché dans le pays la vanne des colères : « Une colère qui monte. Une colère à suivre. Comment être surpris ? Quelle humiliation ! Quel crachat à la figure du peuple algérien. (1) »

Perpétuation du statu quo

La candidature de « Boutef » n’a pas donné lieu qu’à une poussée de colère qui empêche toute retenue, tout raisonnement cohérent. Des éditorialistes algériens, dont la plume en découd souvent avec le silence, se sont attachés à décrypter le message envoyé par l’annonce de Sellal. « Boutef » candidat, qu’est ce que cela implique-t-il ?

L’éditorialiste du Quotidien d’Oran, K. Selim, y voit le signe que « le processus de reconstruction du statu quo est en marche alors que le système a atteint un niveau d’impotence gravissime. » Il ne s’arrête pas là, et étend son analyse à l’attitude du peuple algérien, qui, souvenirs de « la décennie noire » obligent, préfèrerait s’accommoder d’un quatrième mandat plutôt que de tenter un coup de force :

« Ils (les Algériens) éliminent, par expérience, les tentatives de changements par la rue ou par « la révolution », en raison des coûts faramineux que cela engendre. Une attitude réaliste qui tablait sur l’idée qu’il y aurait suffisamment de sagesse et de lucidité au sein des responsables qui sont dans le système pour comprendre qu’il faut changer. (2) »

C’est donc entendu, l’espoir conservé d’un changement du régime en Algérie disparaît avec la candidature de Bouteflika, dont l’élection ; comme à chaque fois, paraît inévitable, surtout avec une opposition faible, peu crédible, et qui donne l’impression d’être incapable d’assumer son propre combat politique.

Imposture

Dans son essai ‘’Un regard calme sur l’Algérie’’, le journaliste algérien, Akram Belkaïd, cite le livre ‘’Bouteflika : une imposture algérienne’’ de son confrère et compatriote Mohamed Benchicou qui présente Bouteflika comme l’enfant « adultérin d’un système grabataire et d’une démocratie violée ». Le livre « détaille ses frasques, ses mensonges et, d’une certaine façon, offre un résumé édifiant des tares du système algérien : incompétence, malhonnêteté, mépris du peuple… »
Comme Benchicou il y a dix ans, Akram Belkaïd, estime que le système ne va pas manquer de moyens pour détourner la colère qui monte. Qu’il va jouer au dilatoire :

« Une tension avec le Maroc ? Une dégradation de la situation aux frontières du Sud. Possible. Une guerre médiatique avec l’Egypte ? Mais, l’arme suprême, celle qui fait mouche à presque tous les coups, c’est la France »

Bouteflika est donc parti à la conquête du palais d’El-Mouradia, non sans avoir divisé le puissant DRS (Département du renseignement et de la sécurité), l’armée. La presse privée et ceux qui sont opposés à un quatrième mandat crient leur indignation, contre un système qui semble depuis longtemps installé dans l’autisme. Où s’arrêtera Bouteflika ?
(1) Algérie : la diversion à venir, Akram Belkaïd
(2) Que faire ?, K. Selim, Le Quotidien d’Oran
(3) Un regard calme sur l’Algérie, Akram Belkaïd

Boubacar Sangaré


Mali : Le fatidique choix du dialogue avec les groupes rebelles armés

Les groupes rebelles aux négociations de Ouagadougou Photo: Maliwab.net
Les groupes rebelles aux négociations de Ouagadougou Photo: Maliwab.net

Le gouvernement malien s’est engagé à parler avec les groupes rebelles armés du Nord le langage du dialogue. Une posture fidèle à celle adoptée par les précédents régimes ayant eu à affronter des rebellions. Mais celui d’IBK veut, avant tout, passer au crible les accords de paix passés afin d’éviter une fâcheuse rechute.

Voilà quatre mois que les négociations entre le gouvernement malien et les groupes rebelles armés du Nord sont à l’arrêt. C’est pour préparer la reprise du dialogue qu’avec l’accompagnement de la MINUSMA, le gouvernement a tenu, jeudi et vendredi derniers, des rencontres pour traiter de la question du cantonnement, du processus de démobilisation, du désarmement et réinsertion, la réinstallation de l’administration et des services sociaux dans les trois régions du Nord Tombouctou, Gao, Kidal. Ensuite viendra le temps des pourparlers inclusifs qui réuniront les groupes rebelles (Mouvement Nationale de Libération de l’Azawad, Mouvement Arabe de l’Azawad, Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad ), le gouvernement et la société civile.

Il n’y a indéniablement pas lieu de s’étonner ou de s’offusquer, inutile d’être sorcier pour savoir que la solution aux rebellions armées sortira des tables des négociations. Les différents gouvernements ont toujours privilégié le dialogue, respectant une sagesse bien de chez nous :

« la guerre est inefficace là ou le dialogue échoue. »

Tout comme il est clair que plusieurs facteurs dépossèdent le gouvernement d’autre choix que le dialogue, dont le plus important est le fait que les communautés touareg et arabe – dont sont issus les groupes armés- sont aussi fondatrices de l’état républicain du Mali ayant vu le jour le 22 septembre 1960. Ensuite, parce que la méthode musclée employée par la première république n’a pas été efficace pour contrer la machine des rebellions récurrentes au Nord du Mali; une zone déjà bien instable à cause des affrontements entre tribus touareg : Ifoghas, Oulimidaines, Kel Antassar, Kel Air, Kel Ahagars, Regueibats, Imghads… A l’époque, la première république s’était assigné l’objectif d’apporter une solution aux affrontements, en passant, d’abord et avant tout, par l’élimination de « la féodalité en généralisant l’éducation universelle et républicaine », l’introduction d’un « mode électoral démocratique comme seul et unique moyen de désignation des chefs de tribus et de fractions. » Le régime de Modibo Keita n’a pas pu conduire à terme ce programme politique.

Mais cela n’est pas anodin, et prouve à qui veut comprendre que les gouvernements maliens ont été toujours partisans de la solution politique. Ce qui a d’ailleurs conduit à des accords de paix qui n’ont jamais atténué la souffrance des populations, et réglé les difficultés qui ont toujours engendré des mouvements de violences dans cette partie du pays. Les vrais déterminants des rebellions, à savoir l’affaiblissement du pouvoir central politique, et l’aggravation des conditions économiques des populations, n’ont jamais été traités comme il se devait. Ce sont là les véritables raisons de ces rebellions qui, à force de manipulations, reprennent à leur compte des revendications d’indépendance, vieilles de plus de 60 ans, qui remontent à l’époque de l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS), que la France souhaitait créer « pour récupérer les régions sahariennes de plusieurs pays ( Niger, Mali, Algérie, Soudan) afin de maintenir son contrôle sur les ressources qu’elles abritent (1)» C’est dans cette logique que s’inscrit la démarche de la rébellion du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) qui, comme toutes les autres rébellions, a aussi, à n’en plus finir, agité l’argument facile de la marginalisation du Nord du Mali.

En décidant de s’engager dans les négociations avec les groupes rebelles armés, le gouvernement malien relance aussi les débats sur les différents accords passés qui se sont avérés infructueux.

Les défectueux accords de paix du passé

Lorsque Iyad Ag Ghali, membre de la puissante tribu des Ifoghas, a pris le chemin des maquis à la tête du Mouvement Unifié de l’Azawad (MUA), en 1990, avec d’autres groupes tels que Front Populaire de Libération de l’Azawad ( des tribus Chamen et Amas), l’Armée révolutionnaire de Libération de l’Azawad ( des Imrads), le Front Islamique Arabe de l’Azawad ( des Arabes Kounta et Maures), le gouvernement, ne cherchant que la cessation des hostilités, a signé le 11 avril 1992 « le Pacte National ». Un accord qui fait le black-out sur les véritables causes du manque de développement économique et social : manque d’éducation, féodalité, mauvaise gestion des ressources de l’Etat, absence de projet politique de développement. La mise en place de « fonds spéciaux », le « changement des missions dévolues à l’armée », stipulés par l’accord, ont achevé d’entériner un transfert des responsabilités de l’Etat aux groupes rebelles, créant une poignée de privilégiés, laissant les populations dans la pauvreté et la désespérance.

Le même scenario s’est produit avec l’ « Accord d’Alger » du 04 juillet 2006, que le gouvernement de l’époque a signé lorsque les officiers supérieurs Ibrahim Ag Bahanga et Hassan Fagaga avaient allumé la mèche d’une rébellion et créé l’Alliance pour la Démocratie et le changement (ADC).

Les leçons que les populations du Nord ont tirées du « Pacte National » et des « Accords d’Alger » ont été que pour faire partie de la catégorie des privilégiés, il faut prendre le chemin de la rébellion.

C’est pourquoi, le régime d’IBK en optant, encore une fois, pour le dialogue doit faire preuve de prudence extrême. Il doit placer au centre des négociations les principales préoccupations de toutes les populations du Nord : multiplication des points d’accès à l’éducation, à la santé, la protection des populations, la présence de l’armée, promotion de la formation professionnelle…

Cela posé, il reste à ajouter que le bilan, catastrophique, des négociations antérieures doit engager le gouvernement malien à prendre conscience que les revendications des rébellions, actuelles et passées, ne prennent pas en compte les préoccupations de toutes les populations du Nord. Et que ces négociations n’ont, à la vérité, servi qu’à sauver la mise aux maitres d’œuvre des rébellions et leur clique : les premiers avaient des promotions, les seconds étaient intégrés ou réintégrés dans l’armée nationale. Cependant que les vraies aspirations des populations restaient sans réponses. Ces populations au nom desquelles ils prétendent prendre les armes, mais qui ne les ont jamais mandatés ! C’est là que s’impose le besoin de préciser qu’il faut éviter l’amalgame en n’assimilant pas la population touareg aux rebelles du MNLA.

(1) Cahier spécial, La crise au Mali : Recueils de contributions, décembre 2012

Boubacar Sangaré


Rapport RSF sur la liberté de la presse: l’Afrique patine, le Mali recule

photo: RSF

photo: RSF

Le mercredi 12 février 2014, Reporters sans frontières a rendu public son « Classement mondial de la liberté de la presse 2014 ». Evolutions, impacts négatifs des conflits armés sur la liberté de l’information et ses acteurs, conflit entre la liberté de l’information et le sacro-saint concept de sécurité nationale et de surveillance, privatisation de la violence…Voilà les grandes lignes de ce rapport vide de toute tendresse envers les pays peu respectueux de la liberté de presse.

Dans le rapport, on lit que pour la quatrième année consécutive, la Finlande reste indétrônable, conserve son rang de première dans ce classement établi sur 180 pays contre 179 dans l’édition précédente. Et l’Érythrée sacrifie encore une fois à la tradition en arrivant à la 180e place, sans surprise.

On sait que dans le monde, les conflits armés ont embrasé nombre de pays parmi lesquels se trouve la Syrie où, depuis mars 2011, le régime de Bachar El-Assad réprime la contestation populaire, et a entraîné le pays dans une guerre civile et confessionnelle qui met en danger la liberté d’information et ses acteurs. Ce qui fait que la Syrie arrive à la 177e place, juste avant ceux que le rapport appelle « le trio infernal » à savoir le Turkménistan, la Corée du Nord et l’Erythrée, « véritables enfers pour les journalistes ».

Par ailleurs, dans les pays qui, chaque année, publient des rapports sur les droits de l’homme où ils distribuent les bonnes et les mauvaises notes au monde entier, la liberté de l’information est étouffée au nom du sacro-saint concept de sécurité nationale et de surveillance. C’est le cas notamment aux Etats-Unis (46e, perd 13 places), où la condamnation du soldat Bradley Maning, la traque de l’analyste de la NSA Edwad Snowden, le scandale des relevés téléphoniques d’Associated Press, risque de 105 ans de prison pour le jeune journaliste indépendant Barett Brown, sont autant de signes marquants du recul des pratiques démocratiques.

L’Afrique patine…

L e rapport de Reporters sans frontières révèle que la situation de la presse en Afrique a subi en 2013 une terrible dégradation. Il y a une ombre au tableau. Le cas le plus alarmant est celui de la Centrafrique, 109e, qui perd 43 places à cause d’une année 2013 caractérisée par des violences, intimidations et attaques contre les journalistes.

Mais l’Egypte et l’Afrique du Sud sont l’antithèse de la Centrafrique. En Egypte (159e), un vent de liberté a soufflé sur les médias auxquels le président Morsi, déchu, serrait la vis. En Afrique du Sud, qui monte à la 42e place, RSF se réjouit surtout du refus du président Jacob Zuma de signer la loi prévoyant la poursuite en justice des personnes cherchant à porter à la connaissance du public des informations sur la corruption ou l’incompétence dans l’intérêt du public.

Le Mali marche à reculons

Parmi les pays où la liberté de l’information a eu à subir des éraflures, le rapport classe le Mali, qui a chuté dans le classement, à la 122e place. Une position pas très jolie, que RSF met sur le compte de la crise au nord du pays.
Le Mali pourrait faire partie de la catégorie des pays où les groupes infra-étatiques sont source d’insécurité pour les journalistes : Libye, Somalie, RDC…

On se souvient que les deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, ont été assassinés à Kidal…
Boubacar Sangaré


École malienne : Comment sortir par le haut ?

Des élèves en classe, Mali photo: Maliactu.net

Des élèves en classe, Mali photo: Maliactu.net

C’est une vidéo, pas des plus intéressantes, qui a déchainé l’hystérie de tout le Mali, et réchauffé le « sirupeux » débat sur l’école malienne. Cette école à laquelle les différents régimes démocratiques ont destiné force discours, études, réflexion sans jamais parvenir à la sortir de l’ornière. Chaque jour qui passe la fait basculer davantage dans la « nakba », au point que « l’école va mal » est devenu un slogan qui compose désormais l’hymne matinal dans les familles, rues, administrations et « grins », nos groupes informels de discussion.

Avec cette vidéo, qui a fait le buzz sur Internet, voire dans la presse tant nationale qu’internationale, la honte s’est installée dans les esprits. La colère des autorités scolaires et du malien lambda a éclaté aussi vite qu’une grenade lancée. Les esprits chagrins ont fait pleuvoir des critiques destinées à abattre le système éducatif national. Il faut concéder, d’ores et déjà, que c’est une vidéo qui atteint, qui a atteint les limites dans le pathétique : une étudiante en droit qui peine à définir le droit ; une autre, étudiante en médecine, qui ne sait pas ce que c’est que l’hypoglycémie ; une diplômée en secrétariat d’administration qui sue sang et eau pour épeler un mot… Voilà, en gros, les images qui ont concentré les attentions. Elles valent aujourd’hui à ces étudiantes, ma foi plus aguicheuses qu’intelligentes, et au monde de l’éducation malienne, d’être la cible de railleries, d’insultes, et de susciter débats et que sais je encore.

Aujourd’hui, c’est le temps des accusations mutuelles. La chaine de télévision Africable, qui diffuse l’émission de téléréalité ‘’Case Saramaya’’, a reçu sa part de gifles : elle fut accusée, à tort ou à raison, de vouloir éclabousser davantage l’image déjà inregardable du Mali. Une accusation à laquelle une vedette de la chaîne, le journaliste Sékou Tangara, sans passer par une rodomontade, a répondu que « ce n’est pas la faute d’Africable si les étudiants maliens n’ont pas de niveau »

Donc, autrement dit, « foutez la paix à Africable et cherchez à éviter la sécheresse intellectuelle qui menace de s’abattre sur votre pays ! « 

Mais, essayons de garder un peu la tête froide. Un étudiant malien qui peine à s’exprimer dans la langue de Molière – tout comme celle de Shakespeare- n’est pour moi, qui étudie à l’Université nationale de ce pays, qu’un fait commun, banal. L’explication est limpide : au Mali, comme dans nombre d’anciennes colonies françaises, le français bien qu’institué comme langue officielle et donc de travail, n’est oralement pratiqué que par cette infime minorité scolarisée, dans les administrations, écoles et universités. D’ailleurs, dans ces milieux, parler français est un luxe, un modèle qui a été détrôné depuis longtemps par l’emploi des langues nationales, surtout le bamanan. A l’Université, les étudiants qui s’expriment entre eux en français attirent souvent des regards aussi envieux que haineux.

Bien sûr, il n’y a pas que ça ! Voir le problème uniquement sous cet éclairage reviendrait à exonérer ces élèves et étudiants. En effet, dans un pays qui connait toujours un très faible taux de scolarisation, il ne faut s’attendre qu’à des scandales à la mesure de celui provoqué par ‘’Case Saramaya’’ à partir du moment où les élèves et étudiants préfèrent Rihanna, Gaspi, Iba One, Facebook à Marx, Sartre, Camus, Balzac…Ils s’émeuvent rien qu’à entendre Céline Dion ou Amel Bent, mais éteignent la télé lorsque un débat ou le journal commence.

Il ne serait pas aussi inintéressant de relever que l’introduction dans les écoles primaires publiques de l’enseignement dans les langues nationales, ‘’Pédagogie convergente’’, n’a pas été sans conséquences. Beaucoup d’études ont souligné des disparités énormes en lecture et en expression en français entre les élèves issus du P.C et ceux issus de la méthode classique. Ce qui choque aussi, c’est que rares sont les enfants des autorités scolaires qui passent par la Pédagogie Convergente : leurs enfants sont scolarisés dans des écoles privées surpayées, et envoyés ensuite à l’étranger, souvent dans les riches universités occidentales.

C’est une vraie vérité, le niveau des élèves et étudiants a terriblement chuté. On n’avait point besoin de regarder ‘’Case Saramaya’’ pour s’en rendre compte. Les Universités et grandes écoles sont livrées au chaos. Années académiques interminables, grèves interminables des enseignants, effectifs pléthoriques dans les amphis, étudiants fictifs, notes sexuellement transmissibles, vente des diplômes. Le monde de l’enseignement supérieur est, comme je l’ai écrit dans plusieurs chroniques, le symbole d’une inconscience nationale.

L’épisode de ‘’Case Saramaya’’ est intervenue d’ailleurs quelques jours après que le premier ministre, Oumar Tatam Ly, eut installé un comité chargé de réfléchir à l’avenir de l’enseignement supérieur au Mali. A cet effet, Adam Thiam, l’éditorialiste réputé du quotidien Le Républicain a écrit que

« l’enseignement supérieur au Mali est sur la civière et, reflet exact d’une globalité malade, il n’augure rien de bon pour l’avenir du pays. Les professeurs Koumaré, Ogobara et d’autres cités par le chef du gouvernement sont l’exception d’un système où la médiocrité demeure la règle. Niveaux désastreux malgré des diplômes ronflants, corruption allant jusqu’au système de notation des étudiants, débrayages à tout vent, années académiques interminables, et tout cela dans impitoyable contexte de concurrence communautaire qui finira par nous imposer des ingénieurs sénégalais et des chimistes ivoiriens. »

Boubacar Sangaré


À Inna, elle que les interdits m’ont interdite

Crédit: Jesus Solana
Crédit: Jesus Solana

« Je te donne ce livre volontiers, pour, encore une fois, te dire combien j’aurais aimé t’avoir comme épouse. Mais notre société étant ce qu’elle est, je ne me sens pas capable de la changer. Quand les interdits interdisent à un peul d’épouser une fille au seul et minable motif qu’elle est forgeronne, il n’y a rien d’autre à faire que de passer son chemin. Je ne suis pas d’accord, et je sais aussi que l’Islam, notre religion, ne l’admet pas. A tout moment Inna… »

J’ai couché sur papier ces mots affligeants, la gorge et le cœur en feu, le moral foutu en l’air. Sur le toit de mon studio attenant la chambre de mes parents, les drapeaux sont en berne. Je brûle d’être seul, claustré. Je ne veux parler avec personne, ni avec mon père ni avec ma mère. Ils sont tous assis, dépassés et furieux, le regard tourné vers ma chambre, attendant que je sorte et reprenne le clash. Mais je ne suis pas sorti. J’avais l’esprit ailleurs, j’avais d’autres intérêts en tête. Dans le firmament de mon esprit voltigeait Inna, le visage plein de sourires, les yeux scintillants. Je la sentais tout près, tout près de moi. Mais lorsque j’ai ouvert les yeux, le retour à la réalité a été brutal.

Depuis plusieurs semaines, j’étais occupé par une enquête sur une fille que j’avais remarqué, un soir, en rentrant d’un match de football. Elle revenait du marché où à la nuit tombée elle s’approvisionnait. Ce jour-là, elle avait la mine déconfite, le sourire absent; ses yeux ne vagabondaient pas : elle regardait devant, marchait de ce pas insouciant du lézard. Tout d’un coup, j’ai eu des vues sur elle. Je confiais à mon ami, Amadi, le soin de lui en parler.

« Il n’y a pas de problème. Si vous êtes sérieux, adressez-vous à mes parents. Moi, je ne fais pas confiance aux hommes; ils disent tous qu’ils veulent te marier, et une fois leur désir assouvi, ils disparaissent sur le radar, alors qu’ils ont brisé ton avenir… » Voilà ce qu’elle a répondu à mon ami. Elle a refusé de lui dire son nom. C’était là une réponse d’honneur qui tranchait avec celle, classique, chez la plupart des jeunes filles, prêtes à se jeter dans les bras du tout-venant, surtout en ces temps où le seul dieu est l’argent, où la seule religion est la course à l’argent.

Mes premières enquêtes avaient été infructueuses. Elles ne m’avaient pas permis de découvrir son vrai nom. D’aucuns me disaient qu’elle se nommait Fatim, d’autres Sophie. Il a fallu que ma mère elle-même parte dans sa famille pour savoir qui elle était, en vrai. Elle s’appelait Inna ( le nom a été modifié) . Elle était lycéenne. Petite, elle avait été confiée à cette famille, qui l’a élevée, nous a-t-on appris. Tout semblait sur les rails jusque là, c’est-à-dire jusqu’au soir où nous avons appris qu’elle est forgeronne. Dans ma famille a éclaté un clash entre moi et mes parents.

« C’est une forgeronne. Il y a un interdit de mariage entre les peuls et les forgerons », me dit ma mère, peule elle aussi.

Je lui rétorquais immédiatement que «ces considérations ne sont pas admises dans notre religion qu’est l’Islam ! Et puis, avant d’être peul ou forgeron, nous sommes d’abord tous des fils d’Adam et d’Eve. Des humains… ».

Mon père savait que je voulais me lancer dans une démonstration intellectuelle qu’il ne supporterait pas, alors il m’interrompit : « Eh, t’es né trouver que je suis musulman. Dans tout Bamako, tu n’as pas trouvé autre fille à épouser qu’une forgeronne. Même si l’Islam ne l’admet pas, nous, on ne va pas mélanger notre sang pour ça ! Nous sommes prêts à accepter une Bellah, une Peule, une Sonrhaï, une Bozo, une Touareg…Mais pas une forgeronne. Parce que c’est interdit. »

J’avais maintenant la tête en feu. Je ne savais plus si j’avais les pieds sur terre, ou si je volais dans le ciel. Je ne suis pas d’accord avec ce qu’a dit mon père. Pour moi, dire qu’il « est interdit à un peul d’épouser une forgeronne », c’est trois rien. Je pensais que ces considérations purement mythiques n’étaient plus d’actualité, que nos sociétés avaient suffisamment évolué pour laisser de côté ces pratiques rétrogrades qui ne mènent nulle part. Il a fallu cet épisode pour que je revienne de mes illusions.

Qu’est ce que c’est que cet interdit de mariage entre les peuls et les forgerons ? Ecoutons le poète et ethnologue malien, Amadou Hampaté Ba, peul lui-même, qui en parle dans son livre de conte « NjeddoDewal, Mère de la calamité ». Ce mythe, dit Amadou H. Ba, est très répandu chez les peuls du Ferlo sénégalais, et lui « a été transmis en 1943 (…) Il est également répandu chez les peuls du Mali.

Extrait : « Bouytôring, ancêtre des Peuls, était travailleur du fer. Ayant découvert les mines appartenant aux génies (djinn) du Roi Salomon, il allait chaque jour y dérober du fer. Un jour, pourchassé par les génies, il fut surpris et dut se sauver. Dans sa fuite, il arriva auprès d’une très grande termitière qui était situé dans un parc à bovins. Comme elle comportait une grande cavité, il s’y cacha.

Ce parc était celui d’un berger nommé Nounfayiri (l’ancêtre des forgerons). Le soir, lorsque le berger revint du pâturage avec ses bêtes, il trouva Bouytôring caché dans la termitière. Ce dernier lui avoua son crime et lui dit que les génies le cherchaient pour le tuer. Alors, pour le protéger, Nounfayiri fit coucher ses animaux tout autour de la termitière. Et quand les génies arrivèrent, il leur dit : ‘’Ceci est mon domaine. Je n’ai rien à voir avec le fer’’. Les génies furent ainsi éconduits et Bouytôring sauvé…

….. Quelques jours passèrent ainsi. Bouytôring avait appris à garder les troupeaux et à traire les vaches. Il savait parler aux animaux Ceux-ci s’attachèrent à lui. De son côté, Nounfayiri avait pris plaisir à travailler le fer. Un jour, Nounfayiri dit : ‘’ Voilà ce que nous allons faire. Toi tu vas devenir ce que j’étais, et moi je vais devenir ce que tu étais. L’alliance sera scellée entre nous. Tu ne me feras jamais de mal et tu me protégeras; moi aussi je ne te ferai jamais de mal et te protégerai. Et nous transmettrons cette alliance à nos descendants’’. Nounfayiri ajouta :’’Nous mêleront notre amour, mais nous ne mêleront jamais notre sang’’.

C’est pourquoi il y a interdit de mariage entre les peuls et les forgerons. »

Amadou Hampaté Ba ne manque pas de signaler que « les interdits de mariage n’ont (en tous cas à l’origine) en général rien à voir avec des notions de supériorité ou d’infériorité de caste ou de race. Il s’agit de respecter des alliances traditionnelles, et de ne pas mélanger des ‘’forces’’ qui ne doivent pas l’être… » (1)

J’ai lu « NJeddoDewal » avant d’entrer à l’Université où, en première année, je l’ai étudié (Lettres modernes) dans le programme de littérature orale. Depuis longtemps, ma position est dégagée. Je concède que cela fait partie de l’héritage culturel de notre société, et que quelque part, ce multiculturalisme constitue notre richesse. Mais je ne peux pourtant faire l’économie d’un point de vue personnel. Ces traditions ne doivent pas rester figées, inchangées.Elles doivent être évolutives, progressives, pour aider l’Homme à se réaliser. Cet interdit d’union entre peuls et forgerons n’est à mon sens qu’une barrière ethnique que la mondialisation, ce temps de rencontre des civilisations, doit permettre de lever pour donner davantage de dynamisme au brassage. Sinon, le multiculturalisme que nous exhibons urbi et orbi, tel un trophée de guerre, ne sera pas sauvé des menaces dont il est la cible. Surtout que nul ne peut nier que les rébellions au Nord ont créé, qu’on le veuille ou non, des fractures entre certaines ethnies : peul, sonrhaï, touareg, arabe…Nul n’est donc besoin d’en rajouter !

Inna ne sera donc pas mon épouse. Son sang de forgeronne ne sera pas mêlé à mon sang de peul. Ainsi le veut la société. Mais je ne le veux pas ainsi. Demain, quand je parlerai de Marie aussi, on me dira qu’elle est chrétienne…

NjeddoDewal, Mère de la calamité, Amadou Hampaté Bâ p.218

Boubacar Sangaré


CHAN 2014 : Une éclaircie dans la grisaille libyenne…

L'Equipe de Libye Photo: Malijet.com
L’Equipe de Libye Photo: Malijet.com

La performance de l’équipe libyenne apporte la preuve qu’il n’y a que dans le football où, trois ans après la mort de Kadhafi, la Libye excelle.

 

Ça y est, les chevaliers de la Méditerranée se sont hissés à un niveau où on les attendait le moins, en remportant le Championnat d’Afrique des Nations de 2014, accueilli par l’Afrique du Sud. La Libye a défait les Black Star du Ghana, favoris depuis les premières heures de la compétition, au terme d’un match harassant et prudent qui a conduit les deux équipes à la séance des tirs au but (0-0 ; 4 – 3).

Il serait intéressant de relever que cette équipe libyenne, qui fait d’ailleurs office de sélection A, est « managée » par l’entraineur espagnol de football, Javier Clemente, venu il y a juste quelques mois après la démission d’Abdelhafidh al-Rabich. « J’ai pour mission de mettre en place les structures de travail afin de créer la meilleure équipe possible… » avait dit Clemente dans une interview accordée au quotidien espagnol El Mundo, avant de s’envoler pour la Libye. Cet objectif qu’il s’est assigné n’est pas loin d’être atteint, car tous ceux qui se sont intéressés au CHAN, et ont regardé ne serait-ce qu’un seul match des chevaliers de la Méditerranée peuvent témoigner du beau football produit par cette équipe. La Libye, jusqu’à cette finale remportée, était la surprise de cette compétition dont le niveau du jeu, il faut le dire, a frappé d’étonnement plus d’un, tel le réputé entraineur Claude Le Roy. Ajoutons aussi que Javier Clemente, 63 ans, a eu à coacher plusieurs équipes : Espagne, Serbie, Cameroun, Olympique de Marseille, Athletico de Madrid…

Même ceux qui ne sont pas libyens ont eu le cœur caressé par un zéphyr de bonheur. De fait, cette performance de l’équipe libyenne apporte la preuve qu’il n’y a que dans le football où, trois ans après la mort de Kadhafi, la Libye excelle. Par ailleurs, il n’est un secret pour personne que c’est un pays politiquement et socialement atrophié. Depuis le 20 octobre 2012, le gouvernement de transition, dirigé par Ali Zeidan, a comme priorité le rétablissement de la sécurité publique et de l’autorité de l’Etat sur tout le territoire. Mais toujours est-il que la situation sécuritaire n’arrête pas de se détériorer. Après l’enlèvement du même Ali Zeidan (dans la nuit du 9 – 10 octobre), l’attentat ayant visé l’ambassade de France en avril dernier, la mort en septembre 2012 de l’ambassadeur américain Stevens et trois de ses collaborateurs ; l’assassinat à Syrte du vice-ministre libyen de l’industrie, Hassan Al-Droui, la tentative d’assassinat à laquelle a échappé le mercredi dernier le ministre de l’intérieur par intérim, Seddik Abdelkrim, le bras de fer entre Ali Zeidan et les députés islamistes qui souhaitent sa démission, ont achevé de convaincre que la Libye est une pétaudière. Ce sont là des nouvelles qui ne sont pas de nature à rassurer quant à l’avenir de ce pays qui peine à remonter la pente du désordre créé par la chute de kadhafi. Une chute intervenue après huit mois de guerre civile qui a provoqué des divisions et renforcé la culture de l’affrontement.

Interrogé par le quotidien français Libération, en avril dernier (l’ambassade de France venait d’être visée par un attentat à la voiture piégée), Patrick Haimzadeh, spécialiste de la Libye, a confié que « on est dans un contexte où il n’y a plus d’Etat. Dans le sens régalien du terme, il (Ali Zeidan) n’est pas en mesure d’exercer la violence légitime. Sa légitimité est discutée par tout le monde. Une nouvelle fois, il faut mettre en avant ces questions d’identités, tribales, géographiques, religieuses, qui sont problématiques. Elles ont été exacerbées avec la guerre et elles ont été largement sous-estimées à l’étranger par ceux qui ont voulu réduire la guerre libyenne à une insurrection populaire contre un dictateur pour instaurer la démocratie. (*)»

A la question de savoir si la situation ne risquait-elle pas de se dégrader dans les mois prochain, il répond : « De manière générale, il y a des affrontements, des règlements de compte presque tous les jours (…) Cela peut prendre des années avant de se stabiliser. … »

La Libye est donc un pays en phase de reconstruction Une reconstruction qui peine à tenir la route. Et finalement, rien ne se passe comme prévu. L’euphorie provoquée par la mort de Kadhafi a laissé la place aux inquiétudes. Le processus d’élaboration de la Constitution est en panne, les élections générales au suffrage direct fixées à janvier 2014 n’ont pas eu lieu… Preuve que les autorités libyennes ont du pain sur la planche !
Mais, somme toute, cette victoire en finale du CHAN des chevaliers de la Méditerranée aura le don d’offrir aux Libyens un moment de joie. En attendant la Coupe d’Afrique des Nations 2017 que la Libye doit accueillir.
(*) Patrick Haimzadeh : « En Libye, il n’y a plus d’Etat », Libération, 23 avril 2013.

Boubacar Sangaré


Mali : le beau-père du fils gagne le perchoir, IBK sur la sellette

Le président IBK photo:www.republicoftogo.com
Le président IBK photo:www.republicoftogo.com

Détournement de la Trinité– « Au nom du Père, du Fils et du …beau-père »-, accusation d’avoir un penchant royal et de népotisme et favoritisme… Depuis l’élection au perchoir, le 22 janvier dernier, d’Issiaka Sidibé, la presse locale s’est enflammée et a « enveloppé » dans un maelstrom de critiques le président Keïta. Pourquoi ? Parce qu’Issaka Sidibé, dont la candidature a été préférée à celle de Moussa Timbiné (Président de la jeunesse du parti RPM) et de Abdourramane Niang, n’est autre que le beau-père du fils de IBK, Karim Keïta, député lui-même. Décidément, l’arrivée au perchoir du « beau-père du fils » ne passe pas bien auprès de la presse, qui n’a d’ailleurs pas hésité à démontrer à IBK qu’elle n’est pas disposée à le caresser dans le sens du poil…

La tendance n’est pas à l’étonnement, mais plutôt à l’indignation et à la déception (une déception rentrée, pour le moment). Il n’y a pas à s’étonner parce qu’il y a eu un précédent avec la candidature pour la députation du fils d’IBK, Karim, qui a à l’époque fâché quantité de gens qui ont dit qu’il « flottait dans l’air un parfum de début de règne impérial ». Karim Keïta est député aujourd’hui. Et à peine le tollé provoqué par cet épisode se tasse qu’un autre survient : le beau-père (le père de l’épouse de Karim) du fils gagne le perchoir avec un score qui se passe de commentaires face au député Oumar Mariko du parti Sadi.

N’en doutons pas un instant, Issaka Sidibé a été élu par les députés, ce qui lui garantit la légalité et rend cosmétiques les critiques qui pleuvent en provenance de la presse et des rues de Bamako. Mais la seule ombre au tableau est que cela intervient sur un continent et dans un pays où un constat s’est enraciné, qui est « qu’un pays c’est le fils, le neveu, le beau-père, la nièce, le cousin, l’ami… » Et donc, l’ami, le fils, le neveu… du président peut se rendre coupable de toutes sortes d’actes repoussants, sans craindre la foudre la justice. La conséquence a été la nomination ou l’élection à quelque poste de responsabilité d’un proche du président, quelles que soient ses compétences intellectuelles et ses mérites, est toujours accueillie par un œil réprobateur. Cela demeure une constante.

Par ailleurs, il faut se garder de mettre sur le compte du hasard – comme l’a fait le journaliste Chahana Takiou sur le plateau de l’émission, « Le débat du dimanche » d’Africable- l’élection à la tête de l’AN du « beau-père du fils ». Le père est président, le fils est député et le beau-père occupe le perchoir ! Quel coup de griffe au slogan « Le Mali d’abord » ! Cela est tout sauf anodin, et relance les doutes et les suspicions sur la capacité et la volonté d’IBK de mener une rupture de gouvernance. Aussi, les suspicions se renforcent lorsqu’on sait que, le RPM (Rassemblement pour le Mali) afin d’ éviter qu’on en arrive là, aurait pu avoir la sagesse de mettre hors course Issaka Sidibé. Mais il semble que le parti n’a tiré aucune leçon du cas Karim Keïta.

En cautionnant la candidature d’Issaka Sidibé, beau-père de son fils Karim Keïta, le président Keïta prête le flanc aux critiques, donne une occasion belle à ses contempteurs et « épuise » petit à petit son droit à l’erreur. Les électeurs, eux, ne disent rien d’abord, le regardent à l’œuvre. Laissent faire. Accumulent colère et indignation. Se pincent les lèvres en signe de dépit. Se demandent où va le Mali. Vers un règne impérial ? A dire vrai, un grand nombre de Maliens ne sont pas d’accord avec la manière dont le pays évolue. Ils s’inquiètent d’ores et déjà, déplorent l’inexistence d’une opposition assumée. On a comme le sentiment que la classe politique roule à sens unique. Il est temps qu’IBK allume les clignotants, fasse attention. Pour éviter de voir son mandat s’achever dans une Bbérézina.

Boubacar Sangaré


Mali : Quand le rap explose et dérape…

Tata pound: Dixon, Ramsès, Djo Dama photo:  https://rap2lacitedesdieux99.skyrock.com/2346568199-BIOGRAPHIE-DE-TATA-POUND-ACTUALISEE.html
Tata pound: Dixon, Ramsès, Djo Dama photo: https://rap2lacitedesdieux99.skyrock.com/2346568199-BIOGRAPHIE-DE-TATA-POUND-ACTUALISEE.html

Nous sommes en mars 2006. Le trio du groupe de rap Tata Pound, Ramsès, Dixon et Djo Dama, s’apprête à disséminer sur le marché son nouvel opus La « Révolution » . Mais, déjà, le premier tube de l’album, « Monsieur le maire », fait un tabac dans les rues de Bamako, bien qu’il ait été frappé par la censure et interdit de passer à l’ORTM. Le titre dérange, le trio y dénonce sans ménagement la cupidité de certains maires qui, à peine élus, se spécialisent dans la vente illicite et la distribution effrénée de terrains, jetant aux oubliettes les promesses faites aux électeurs. Dans le même registre de la dénonciation, le second titre «Yelèma (le changement)» parle de la vente des sociétés d’Etat, la privatisation de la Régie des chemins de fer, le bradage de l’Energie du Mali, la crise du football malien, l’emploi des jeunes, la santé… Ces deux chansons s’écoutaient à tout bout de champ dans les rues, on s’accordait à dire qu’ils portaient un germe de dynamite. Le pouvoir d’ATT était sur la sellette, le groupe ne cessait de recevoir des menaces. Les rappeurs décidèrent alors de tenir une conférence de presse au cours de laquelle ils avaient alerté Amnesty International. Le régime les accusait d’être manipulés ; ils craignaient pour leur vie.

Cet album a marqué un tournant dans le microcosme du rap malien, avec l’engagement qui respire dans les textes, les paroles travaillées. Les jeunes rappeurs de Tata Pound, à l’époque comme toujours, revendiquaient un rap conscient, engagé, qui s’inspire des conditions de vie du bas-peuple. Aussi disent-ils qu’ils ont subi l’influence des rappeurs comme I Am, Tupac Amaru Shakur.

De 2006 à nos jours, l’univers du rap malien a poussé comme un champignon, d’autres rappeurs et groupes de rap sont sortis de terre et semblent avoir donné une nouvelle orientation à cette discipline du Hip Hop. Le rap n’était d’ailleurs pas vu d’un bon œil dans une société où le rappeur était considéré comme un raté, quelqu’un qui ne serait jamais rien, qui faisait honte à sa famille et à tout le monde. Après Tata Pound donc, Zion B, Lassi King Massassi, Yeli Fuzo, Kira Kono (Kati), le paysage du rap a explosé avec l’arrivée de Mylmo, Master Soumi, Fuken, Penzy, qui, plus tard, ont formé le groupe Frère de la rue, et les groupes de rap Ghetto K’fry, Génération RR

Mylmo et la ‘’Tata Poundmania’

 

Mylmo N Sahel Photo: maliweb.org

Mylmo N Sahel Photo: maliweb.org

Comme indiqué plus haut, l’opus « La Révolution » a offert au groupe Tata Pound un moment de gloire, et accru son influence dans les couches défavorisées, surtout chez les jeunes, éclairant le pouvoir du rap, et mettant en sourdine les préjugés qui écornaient son image. L’intérêt des jeunes pour le rap a grossi, au grand dam d’un régime corrompu, bancal et autiste. C’est ainsi que, dans les trois dernières années, un rappeur a marché dans le sillage de Tata PoundMylmo.

En plus des politiques, ce dernier vise la société. Dans ses textes, il évoque le quotidien dur des jeunes qui, n’en pouvant plus des quolibets et des remontrances des parents, prennent le chemin de la migration en jurant de ne revenir qu’avec la richesse en poche. Mylmo N Sahel, comme il aime à s’appeler lui-même, parle de tout cela dans son titre « Bandjougou (c’est le nom d’une personne)» où il pointe la vénalité des parents qui violent le droit d’aînesse – sur lequel repose notre société- en étalant leur préférence pour le cadet lorsque celui-ci est plus riche que son frère.

Par ailleurs, dans « Bidenw (les enfants d’aujourd’hui) », il critique les jeunes avec une ironie douce-amère. Il s’en prend à cette jeunesse qu’il dit dévoyée, une jeunesse devenue experte dans l’art de consommer de l’alcool, qui se livre à la débauche, et se fourvoie dans les dédales de la médiocratie. C’est pourquoi, ce rappeur, que tous ou presque tiennent en grande estime, est vu comme « La voix des jeunes » dans un pays où les systèmes éducatif, culturel et sportif se désagrègent, les familles se cassent, la société va à la dérive, le piston est plus important que le droit… On peut donc dire que Mylmo fait partie de ces rappeurs qui ont maintenu allumée la flamme d’un rap conscient, éloigné de la prise de bec artistique qui fleurissait sous d’autres latitudes.

Mais le microcosme du rap malien ne va pas lui aussi tarder à avoir ses « Tupac versus Biggie Smalls », ses « Booba VS Sinik ». Le clash, cette modalité du rap, a fait son irruption, et accaparé l’attention du public pour le plus grand bonheur du showbiz malien. C’est un fait, les groupes Ghetto Kafri, Génération RR … ont conduit le clash au Mali, à son apogée. Ils en sont même arrivés à s’affronter dans le clash underground (qui se déroule en direct, les rappeurs s’attaquent en improvisation). De fait, dans le clash, un rappeur prend à partie un autre ou plusieurs rappeurs qui, à leur tour, répondent dans un autre titre. C’est le phénomène auquel nous assistons, effarés et choqués, depuis quelques mois. Des clashes qui dominent la sphère du rap malien, le plus souvent de niveau série B, avec des textes crus et des paroles vulgaires. Les insultes dépassent souvent leur propre personne pour « s’engouffrer dans le pagne de leurs mères », celles-là même qui leur ont donné le jour. Autant dire que c’est un rap qui perd la boule, déraille…

Réplique du duel « Tupac versus Notorious B.I.G », le rap dérape…

« Je ne dis pas que je vais changer le monde, mais je vous garantis que je vais susciter le cerveau qui va changer le monde », a confié Tupac Amaru Shakur (printemps 1996) au magazine Détails. Né à New-York en 1971, ce rappeur, poète, activiste et acteur, est mort assassiné le 13 septembre 1996 à Las Vegas. La plupart de ses chansons s’inspiraient de la violence et de la misère dans les ghettos, du racisme et des conflits avec d’autres rappeurs. Il a marqué les esprits par son charisme, son « flow » et ses paroles. Depuis Tupac, la rivalité entre rappeurs, voire producteurs, existent. La rivalité qui a fait le plus de bruit dans le monde du rap est celle ayant opposé Tupac Amaru Shakur à Biggie Smalls, et qui s’est achevée dans un bain de sang. En effet, en 1996, Tupac enregistre Hit’Em up où il déclarait avoir eu des relations sexuelles avec Faith Evan, l’épouse de B.I.G.

En 2001, aux Etats-Unis encore, Jay-Z dans le titre « Takeover » dit qu’il avait couché avec la femme de Nas.

Les clashes qui enflamment l’univers du rap malien actuellement vont au-delà de ces obscénités. Ce sont souvent des paroles qui blessent la pudeur. La plus rude de cette rivalité est celle qui oppose Gaspi, Iba One, Sniper au rappeur Tal B. Il faut relever que Tal B et Iba One ont participé au rayonnement du groupe Génération RR, divisé au final. Proches, hier, en froid aujourd’hui. La toile de fond du conflit ne serait autre que le titre « La Paix » qu’ils devaient chanter ensemble, mais Tal B n’y a plus participé.

Dans son titre « Awo O Keledo », Tal B attaque Iba One :

« Va dire à ton père que sa copine a passé la nuit avec moi. Désormais appelle-moi Tonton… (Traduction libre) »

Le public est divisé, et a l’attention excitée par ce duel oratoire qui ne fait que commencer. Comme il fallait s’y attendre, IBa One a surgi de son silence en offrant à Tal B et sa mère un morceau pour leur souhaiter « Bonne Fête de Tabaski » (le titre du morceau) :

« … Fils de mendiante, ta mère aurait dû faire de toi un pet. La copine de mon père qui a passé la nuit avec toi n’est autre que ta mère. Si tu passes la nuit avec ta mère, c’est que tu es un baiseur de mère. Un baiseur de mère…. Ta mère a fait trois mariages successifs. Tous les maliens ont su maintenant que tu es un bâtard. Moi, je suis un fils unique, or toi, les enfants de ta mère ne sont même pas du même père. Il y a des Chinois, des Japonais… Les femmes bénies sont des grandes commerçantes, des grandes teinturières, des bureaucrates. Mais ta mère, elle, passe son temps devant sa table où elle vend de la salade… (Traduction libre)»

Et comme si cela ne suffisait pas, Sniper (Saïbou Coulibaly, son vrai nom) enregistre son titre « Bombe nucléaire » où il assène une sorte de coup de grâce à Tal B :

« Dis à ta mère de cesser de vendre de la salade. Qu’elle vienne pour que le chien de Gaspi la baise et lui donne de l’argent. (Traduction libre) »

Ce sont là des clashes que ne veulent pas entendre des passants dans la rue. Ils se bouchent les oreilles. Des clashes qui sont à deux doigts d’être une cicatrice sur la face du rap malien. C’est vraiment à désespérer d’une jeunesse dont les vrais combats sont ailleurs. Le rap malien n’a ni besoin d’un clash de niveau bac à sable, ni d’un rappeur dont le seul truc consiste à proférer des insanités. Il est donc raisonnable que ces rappeurs se ressaisissent. Il y va de l’intérêt de tous.

Boubacar Sangaré


Mali : ATT, les avocats du diable et le journalisme alimentaire

Amadou Toumani Touré, ancien président de République du Mali Photo: Malijet
Amadou Toumani Touré, ancien président de République du Mali Photo : Malijet

On a dit et redit que le Mali est un pays qui halète encore à cause de l’inconfort sécuritaire et institutionnel dans lequel l’a précipité la rébellion MNLA ayant charrié la horde de barbares d’Aqmi, du Mujao  et d’Ansar Dine. On a aussi dit que ce qui est arrivé à ce pays n’est pas simplement une question de terrorisme ou de rébellion, mais aussi celle d’une vacuité politique et d’une faiblesse de l’Etat. Un Etat brisé par la corruption, le népotisme, l’incompétence des dirigeants, et la kleptocratie. Un Etat dont les citoyens, offensés dans leur dignité et leur honnêteté, avaient fini par se coucher et s’en remettre…à Dieu.

Ce sont là des constats auxquels on ne doit rien enlever. C’est vrai, malgré l’instabilité dans laquelle marinent les populations de Kidal, le Mali commence à « décoller », avec les élections présidentielle et législatives qui ont permis de franchir un pas énorme sur le chemin de la sortie de crise. Les Maliens ont voté et attendent maintenant le « Mali Kura (le nouveau Mali) », débarrassé de la corruption, de l’injustice, et où il y aura une revanche sur les profiteurs du régime d’ATT, et ATT lui-même. Les Maliens, qui se sont sentis trompés et trahis, attendent de IBK qu’il juge tous ceux qui sont impliqués dans le pillage concerté de l’Etat malien.

Ces derniers temps, un communiqué de presse du gouvernement a fait du boucan, et vaut aujourd’hui au président Ibrahim Boubacar Keïta des accusations de toutes sortes lui attribuant même « un désir de vengeance». « Le gouvernement informe l’opinion publique nationale et internationale que l’Assemblée nationale, siège de la Haute Cour de Justice, vient d’être saisie par la lettre n°285/PG-CS du 18 décembre, d’une dénonciation des faits susceptibles d’être retenus contre Amadou Toumani Touré, ancien président de la République pour haute trahison. », peut-on lire dans le préambule du communiqué. Aussitôt publié, aussitôt placé au centre des polémiques dans la presse. Chacun y va de son commentaire, quitte à surenchérir.

« Ibrahim Boubacar Keïta n’a pas changé d’un iota. Au contraire, il vient de prouver aux Maliens qu’il est animé par un sentiment de revanche (vengeance ?) sur l’histoire récente du pays. Cette vengeance le sert-il ? Cette vengeance sert-elle les Maliens qui cherchent à se réconcilier et à construire un pays meurtri et détruit ? (…) Que l’on ne s’y trompe guère, l’éventualité d’une poursuite contre ATT n’obéit qu’à une logique : celle d’humilier et de régler des comptes… » s’interroge et s’indigne le journal L’Aube dans un article digne d’un avocat du diable. Après lecture, j’ai tout de suite pensé à cette phrase de Tahar Ben Jelloun dans son roman L’Auberge des pauvres : « Dire ‘’oui’’ à tout et à tout le monde, c’est comme si on n’existait pas. »  C’est pourquoi je refuse de dire « oui » à cet article, j’use de ma liberté d’expression et de ma liberté de presse pour dire qu’il n’y a vraiment pas lieu de voir dans cette décision du gouvernement un sentiment revanchard ou une volonté d’humilier ATT et son establishment. Que c’est vraiment insulter notre intelligence que d’établir un rapport entre la réconciliation nationale et le procès visant ATT.

En l’espèce, il s’agit plutôt d’appliquer cette formule lancée par Thomas Sankara, le 19 octobre 1983, lors du ‘’Procès des affameurs du peuple’’ :

« Nous jugeons un homme pour rétablir des millions d’hommes dans leurs droits. Nous sommes, par conséquent, de fervents défenseurs des droits de l’homme et non des droits d’un homme. A la morale immorale de la minorité exploiteuse et corrompue, nous opposons la morale révolutionnaire de tout un peuple pour la justice sociale. (1) »

Oui, je suis d’accord avec Sami Tchak lorsqu’il écrit dans « La Fête des masques » ( p.62) :

« Et c’est pure incapacité ou paresse que de peindre le pire des ennemis exclusivement par ses travers répugnants, alors que l’ennemi, même s’il offre toutes les raisons d’être haï, demeure le frère de l’homme ».

C’est pourquoi, je ne résiste pas à l’envie d’écrire qu’ATT n’a pas été qu’un président pantin, sans autorité, mais qu’il a eu le malheur aussi de s’entourer d’incompétents et d’inconscients, qu’il a fait de bonnes choses. C’est vrai, les Maliens veulent se réconcilier, se pardonner. Mais je n’admets pas que mes confrères, tels des matamores, essayent de dédouaner ATT, qualifient d’inopportune et de revancharde la décision du gouvernement de juger Amadou Toumani Touré doit être jugé, tout comme Sanogo et tous ceux qui ont commis des crimes, et ce, quel que soit le crime, c’est- à-dire toute action condamnable par la loi.

Par ailleurs, il est difficile de ne pas dire que le délire provoqué par ce sujet pose aussi la question de l’indépendance de la presse. On sait que quand elle parle, c’est le plus souvent pour détourner l’attention des problèmes fondamentaux, et cela, à cause du per diem, ce « traquenard qui paralyse la plume et la voix des journalistes ». La presse s’agite au sujet de Sanogo, de ATT, mais son silence est assourdissant quant au prix du riz, de la viande, du poisson qui n’a pas baissé d’un iota, et que l’on patauge encore et toujours à Kidal, que….
Ah, le journalisme alimentaire !

(1) Justice du peuple chez Sankara, Grands procès de l’Afrique contemporaine, J. A, Sennen Andriamirado

Boubacar Sangaré


Ah, ce 31 décembre !

photo:www.skyscanner.fr
Crédit photo : www.skyscanner.fr

 

 

Décembre est, on le sait, le douzième et dernier mois de l’année, comprenant trente et un jours. On sait aussi que le 25 décembre est célébrée la fête chrétienne commémorant la naissance de Jésus-Christ : Noël. Il serait bien venu d’ajouter que cette fête, quoi qu’obéissant à un principe religieux, n’en demeure pas moins dispendieux, avec les repas copieux, les libations, les jouets à offrir aux enfants en guise de cadeaux… A ce sujet, j’ai une pensée émue pour tous mes amis chrétiens et toutes leurs familles.

Après Noël, vient le 31 décembre, jour où l’on fête la fin de l’année, jour où l’on se souhaite les uns aux autres les meilleurs vœux pour le nouvel an. D’aucuns, seuls, quiets, préfèrent dresser un bilan de l’année écoulée, alors que d’autres festoient, invitent copain ou copine en boite, s’habillent chic, et font exploser des pétards à minuit sonnant, pour annoncer le nouvel an. Mais, ouvrons ici une parenthèse pour dire qu’il est difficile -pour moi en tout cas- de parler du 31 décembre sans évoquer le sempiternel débat qu’il soulève, et qui est loin d’être réglé dans le monde musulman. En effet, c’est désormais un secret de polichinelle que de demander si « un musulman peut fêter le 31 décembre, la fête de fin d’année ». La question n’est pas encore tranchée, et continue de mettre aux prises les oulémas, foncièrement divisés. Il y a ceux qui pensent que c’est haram , pour être direct, de fêter le jour du 31 décembre, arguant que le mois dont il s’agit ne figure nulle part dans le calendrier musulman, et donc ne pourrait en rien concerner un musulman. Aussi, ajoutent-ils, ce sont les chrétiens qui sont en réalité concernés. A la périphérie de cette manière de voir, il y a aussi ceux qui sont d’avis que le musulman peut bel et bien fêter le nouvel an, mais à la condition absolue qu’il se garde de consommer tout ce qui est haram. Ces derniers sont, eux, les modérés.
Dans quel camp se ranger ? Difficile. Sans vouloir vraiment trancher, ma conviction à moi est qu’on peut, en tant que musulman, s’offusquer des diatribes contre l’Islam d’Oriana Fallaci, ou celles en provenance des Etats-Unis, et répondre à une invitation d’un ami chrétien le jour de Noël voire du 31 décembre. Fermons cette parenthèse.

Quand arrive le 31 décembre, il règne dans les rues comme un climat de foire. Les jeunes s’emballent, se grouillent pour faire des petits boulots, histoire d’avoir de quoi faire la bamboula. Ceux qui ne parviennent pas à se tirer d’affaire, sont gagnés par la dépression, et ont le sentiment de vivre dans une maudite période. Ils se sentent merdeux, piteux car il y a « elle », la copine, qui leur a dit les yeux dans les yeux qu’elle ne sortira le 31 décembre qu’avec le mec le plus offrant- comprenne qui pourra.

Inutile de dire aussi qu’en cette période de vaches maigres, côté vente, la fête de fin d’année est un tremplin pour les magasins de vêtements, de chaussures ; les salons de coiffure et tout et tout. Mais, elle l’est aussi pour les belettes, qui plument, pigeonnent plusieurs mecs à la fois : elles prennent avec eux de l’argent en promettant de les accompagner la nuit de la fête de fin d’année, mais elles n’ont pas la frousse de poser un lapin. Voilà un phénomène qui est à la pointe de la mode chez les filles. C’est vraiment fantasmer que de vouloir sortir avec plusieurs « mecs » à la fois, à moins qu’on ait un don d’ubiquité. Et il est clair pour quiconque réfléchit qu’il est impossible de se mettre à la fenêtre et se voir passer en même temps dans la rue, comme nous l’enseigne Auguste Comte.

Voilà donc pour le 31 décembre, une fête qui mobilise de plus en plus l’attention de beaucoup de monde, surtout les jeunes toujours enclins à ambiancer. Une fête qui excite, passionne, galvanise d’une part ; et d’autre part, qui sonne le glas des relations amoureuses, déçoit, déprime en ce sens que toutes les filles semblent se rassembler sous l’étendard de la coquetterie, de la duperie. Mais c’est aussi une fête propice à toutes sortes de postures, extrémistes comprises.

BONNE FETE DE FIN D’ANNEE A TOUS ET A TOUTES !
BONNE ANNEE 2014.

B. Sangaré


Mali : que faire pour Kidal ?

L'armée malienne aux portes de Kidal  photo: Bamada.net
L’armée malienne aux portes de Kidal photo : Bamada.net

Cela est clair comme l’aube, un grand nombre de Maliens ont cessé d’espérer et se résignent à voir une partie de leur pays, Kidal, s’engluer dans le marais de l’instabilité. Kidal concentre toutes les attentions aujourd’hui, car c’est de là que tout est parti. C’est de Kidal qu’est partie la rébellion armée touarègue qui a projeté le Mali au beau milieu d’une crise sécuritaire et institutionnelle, dont il est en train de sortir. Mais, bizarrement, c’est à Kidal que tout est bloqué, coincé.

Assassinat de journalistes, attentat djihadiste ayant causé la mort de deux casques bleus sénégalais, des tirs à l’arme lourde, voilà des évènements tristes qui ont marqué l’actualité de ces derniers temps à Kidal, une pétaudière par excellence. On le sait, ce sont les groupes rebelles à qui la communauté internationale semble avoir donné carte blanche, qui y mènent la danse. Ils manipulent femmes et enfants, provoquent les militaires, singulièrement ceux de l’armée malienne, et comme pour ajouter aux difficultés, restent armés. Ils sont armés, et dans le même temps l’on continue à forcer la main au gouvernement malien de parler avec eux le langage du dialogue. C’est d’ailleurs la position que défend la France depuis les premières heures de la crise. Il en est de même pour la Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest). Tout cela est vrai, voire possible. Mais, peut-on négocier avec des groupe rebelles qui, en plus d’être armés, continuent d’humilier, de moquer les dirigeants d’un pays qu’ils ont mis à feu et à sang? Est-il acceptable de laisser les groupes rebelles armés, alors que ceux qui ont la charge de sécuriser Kidal, c’est-à-dire, la Minusma et Serval, s’y dérobaient, en tout cas jusqu’au récent attentat-suicide? Pourquoi, à la place des groupes rebelles, ce sont les soldats maliens qui sont cantonnés à Kidal ?

A dire vrai, cette situation trouble le sommeil de tous ou presque, à commencer par le président Keita. Que faire pour Kidal ? C’est à mon sens la seule question qui vaut d’être posée aujourd’hui.

Boubacar Sangaré.


Mandela et les faux héritiers

Mandela Photo: wctrib.com
Mandela Photo: wctrib.com

Comme à sa libération de la tristement célèbre prison de Robben Island, Nelson Mandela tient la vedette dans la presse. Mais, en l’espèce, à la place des sourires et de l’accueil triomphal qui lui ont été réservés à sa libération, les larmes perlent sur les joues, au coin des yeux. Tous ou presque sont sous le choc. Mandela, héros de la lutte anti-apartheid, a fini par déposer les armes au pied de l’inévitable : la mort.

Pour mémoire, Nelson Mandela, avocat, membre du Congrès National Africain, avait dit « adieu à la liberté » le 05 août 1962, jour où, trahi, il a été arrêté près de Horwick. C’est en juin 1952 que ses démêlés avec la justice démarrent. Il avait alors organisé une campagne de désobéissance civile et contrevenu aux lois qui interdisaient aux Noirs d’être en zone blanche le soir. Des lois qui reposaient sur la ségrégation, destinées à denier au peuple noir tout droit à la liberté politique et individuelle. Des lois qui offensaient le peuple noir dans sa dignité, dans son honnêteté. Des lois qui vantaient la suprématie blanche : les Afrikaners. A l’époque, l’Afrique du Sud était donc un pays compartimenté, morcelé, où les disparités sociales sont énormes. Voilà entre autres les raisons qui ont poussé Mandela et ses camarades sur le chemin de la lutte…armée.

C’est cette volonté de Mandela de voir « une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie et avec des chances égales » qui a triomphé après qu’il eut passé 27 ans en prison. Aussi est-il difficile de parler de Mandela sans toucher à ses compagnons de lutte, car le retour du pouvoir entre les mains du peuple noir en Afrique du Sud est le fruit d’un combat collectif dans lequel beaucoup ont péri, exilé, fait la prison. Je pense notamment à Walter Sisulu, secrétaire général de l’ANC au moment de leur arrestation ; à Ahmed Kathrada, ce fils d’immigrés asiatiques, entré en contact avec Sisulu et Mandela en 1948, avec lesquels il plongea dans la clandestinité après l’interdiction de l’ANC en 1963. Il y aussi Govan MBeki, Raymond Mhlaba, Dennis Golgberg, Jeff Masemola, Wilton Mkwayi. Mais il y a un autre nom qui fera frémir d’indignation les « nost-apartheid » (les nostalgiques de l’apartheid) : Desmond Tutu, archevêque, couronné par le prix Nobel de la paix en 1984. Tutu est connu pour ses messages de paix et de non-violence, ses flèches contre l’apartheid et les noirs animés de sentiments vengeresses. C’était un partisan à tout crin du combat pacifiste contre l’apartheid, qui a notamment dirigé la commission vérité et réconciliation créée par Mandela.

Tout cela pour dire que le succès du combat de Mandela vient aussi des sacrifices héroïques consentis par ces hommes et femmes.

Aujourd’hui, partout on pleure comme une madeleine Mandela. Sur le continent africain, les présidents dans leur hommage y vont d’un éloge à faire pleurer. Mais la question qui se pose est de savoir ce qu’ils ont fait, eux, de l’héritage que Mandela leur a légué. Zéro! Dans leurs discours, ils parlent de paix, de réconciliation nationale, de démocratie tout en les massacrant dans leurs comportements de chaque jour. Et l’éditorialiste, Adam Thiam, dit tout :

« …Mandela est mort, presque centenaire. Comme s’il ne pouvait ou ne voulait plus subir la nième humiliation que lui infligeait le continent pour lequel il se battit tant à Bangui. L’Afrique tirant sur l’Afrique, débusquant ses charniers, s’étripant pour l’élection, d’accord sans honte d’être la lanterne rouge au marathon des continents. Ce Madiba-là a raison de s’en aller. (1)»

Une chose sûre, c’est que Mandela est mort pour ‘’vivre’’. Il est parti pour ‘’rester’’.

1- Adam Thiam, In Memoriam : Mandela la fierté et l’honneur de son temps, Arawanexpress

Boubacar Sangaré