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Mali : nos routes, miroir de nos laideurs

A Bamako, se rendre au travail le matin et rentrer à la maison le soir est devenu un exercice déprimant. Sur le mouchoir de poche qui nous tient lieu de routes, on roule serrés comme des harengs en caque. Les files de voitures qui atteignent souvent trois s’il n’y a pas de corps habillé pour assurer la police. Les motocyclistes qui sont en permanence pressés, mais, grande déception, qu’il ne faut pas être surpris de retrouver assis quelque part pour prendre du thé. Et qui n’ont de respect pour personne.

Grognon, je-m’en-fichiste, violent, orgueilleux : tel pourrait être le portrait du conducteur au Mali, qu’il soit en voiture ou à moto. C’est dire combien nos routes ont basculé dans quelque chose d’irrémédiable, d’inquiétant, d’énervant et de décevant. Pourquoi les files de voitures sont interminables tous les soirs et matins sur le pont Fahd ? Réponse lapidaire et suffisante du taximan : « Parce qu’on ne sait pas conduire ».

Ce qui n’est pas faux, surtout lorsqu’on sait que sous nos latitudes un permis de conduire est ce qui s’acquiert le plus facilement, tout passant par le piston, le pot de vin. Conséquence : sur nos routes, la vie humaine est ce qu’il y a de moins sacrée. Les accidents de circulation se banalisent, des vies sont brutalement abrégées, mises en miettes. C’est à cela que se résume désormais le quotidien des usagers à Bamako et à l’intérieur du pays, alors que ceux à qui il revient la charge d’apporter une réponse semblent somnoler dans le marécage de l’indifférence, le gouffre du mépris pour le peuple.

Dans son magistral Toiles d’araignées, Ibrahima Ly, que l’on a pu soupçonner de tout sauf de se cacher derrière son petit doigt, a posé le problème d’une façon inquiétante : il faut rééduquer le peuple. C’est le problème auquel nous ferons face pendant les années à venir, et qu’il nous faudra régler si nous ne voulons pas avoir à gérer une autre crise qui va davantage mettre en péril notre ADN. Rééduquer le peuple, c’est aussi lui apprendre à se comporter partout, mais surtout sur nos routes. Car, disons-le de façon claire, nos routes sont devenues le tombeau des valeurs qui nous permettent jusqu’ici de ne pas perdre la face, après avoir tout perdu. Tout, jusqu’à notre dignité de pays ayant un passé glorieux dont on aime si bien se prévaloir. Ce qu’on y montre, tous les matins, tous les soirs, n’augurent rien de bon pour l’avenir immédiat. Des Maliens insultent, tuent des Maliens, s’étripent, se regardent en chien de faïence. Sur la route de Kalabancoro, qui mène à la nouvelle université de Kabala, ce sont deux étudiants et un professeur qui sont morts sous les pneus de camions à benne. Les autorités ont-elles le culot de nous dire qu’elles n’y peuvent rien ?

Rééduquer le peuple. En Algérie, dans ses discours après l’indépendance, Ahmed Ben Bella lançait à ses concitoyens : « Ne crachez pas par terre ! D’abord, c’est sale, ensuite, c’est comme si vous crachiez sur votre pays ». Il est difficile de ne pas dire que de telles exhortations sont nécessaires aujourd’hui au Mali, 57 après l’indépendance, pour gagner la bataille de l’hygiène, surtout sur nos routes qui s’enduisent tous les jours d’une saleté inacceptable. On y jette tout : des dames patronnesses, fonctionnaires et que sais-je encore baissent la vitre du véhicule pour jeter qui une bouteille de sucrerie, qui un sachet d’eau… Pour faire court, la vérité est que dans ce pays, il y a un besoin urgent et pressant de loi et d’ordre. Parce que tout se passe comme si le pouvoir n’avait pas de pouvoir, d’autorité. En attendant, nos routes sont devenues le miroir de nos laideurs.

Bokar Sangaré


Mali : de qui Ras Bath est-il le prête-nom ?

Qui finance le Collectif pour la défense de la République (CDR) de Ras Bath, devenu l’ovni dans le microcosme de la société civile et un véritable phénomène pour les médias qui raffolent de ces volées de bois vert à l’encontre du pouvoir et de ce qu’est devenue la société malienne ?
Ce qu’on sait et qu’il nous a dit, c’est que l’ex-Premier ministre Moussa Mara, dont le nom revient en permanence parmi ses soutiens, n’est pas derrière son mouvement. Ce dernier, que l’on sait finaud, répète désormais à l’envi ce qui est devenu un air appris : ce n’est pas lui qui est derrière Ras Bath. Une seule évidence demeure : dans cette affaire, la vérité reste la première victime et les contempteurs de Ras Bath donneront beaucoup pour mettre la main dessus. Cela il le sait très bien, lui dont le postulat est qu’il faut « renverser la table » au Mali en 2018. Entre étalage insolent du chômage, insécurité rampante au nord, au centre et au sud du pays, misère dans les hôpitaux et les familles, agitation du front social, Ras Bath ne pouvait pas passer inaperçu avec son discours dans lequel il y a des odeurs révolutionnaires. Comme tout phénomène donc, Ras Bath trouve son explication dans ce cadre-là.

“Ses nombreux voyages à l’extérieur ne cessent d’alimenter de lourds soupçons sur ses alliés ou soutiens”.

Il reste que le « renversement de la table » exige qu’il faut être en position de force, être à la tête d’un mouvement politique capable de conquérir le pouvoir, ce qui n’est pas le cas de l’activiste qui dit qu’il n’a pas d’ambition politique. Or, les récents actes qu’il a posés sont éloquents pour montrer le contraire. D’abord, son départ de la Plateforme Antè A Bana pour des raisons qu’il a déclinées et qui sont battues en brèche au sein du regroupement où il se dit qu’il n’est pas clair dans ses ambitions. Ses nombreux voyages à l’extérieur ne cessent d’alimenter de lourds soupçons sur ses alliés ou soutiens. Et sa campagne « Alternance 2018 » est venue achever de convaincre qu’il y a du Ras Bath dans Ras Bath, c’est-à-dire un homme imprévisible dans son jeu. Qui, malgré qu’il soit un turbulent apôtre du changement et qu’il désire ériger une cloison étanche entre hier et aujourd’hui dans un pays miné par la crise, est aujourd’hui sujet à caution.

Qu’il veuille ou pas, c’est désormais sur la question de ses soutiens qu’on va l’attaquer et qu’on va l’obliger à montrer patte blanche. Il ne sert plus à rien de faire une radiographie de sa base sociale, reposant essentiellement sur les déguerpis, les chômeurs. Et on sait que grâce à lui, on ne pensera plus à cette phrase de Sony Labou Tansi dans La vie et demie quand on parle du Mali : « Pas de héros dans ce pays. Ici c’est la terre des lâches. Vous ne pouvez vous risquer à sortir des normes ». Car Ras Bath a même franchi le Rubicond social, a jeté son bonnet par-dessus les moulins et est devenu un héros pour une jeunesse désorientée, et qui sait ce qui se passe ailleurs et ne rêvent que de mener une vie des VVVF (villa, voitures, vins, femmes).

Son plan ne nous est certes pas très connu. Ce que l’on sait est à l’heure actuelle est qu’il va soutenir un candidat. Lequel ? Personne ne le sait non plus. Or, il est clair qu’on ne saurait se contenter ou s’accrocher aux apparences, au décor, pour se donner bonne conscience. Au risque de passer à côté de quelque chose de très fondamentale pour laquelle se bat Ras Bath lui-même et pour laquelle il parle, dans ces chroniques, avec le ton sévère du Procureur. Ras Bath nous doit cela, sinon, la déception sera à la hauteur de l’espérance. Peut-être pas pour les tenants de cette vision de Machiavel d’après laquelle le but de la politique est la réussite et non la morale.

Bokar Sangaré

Publié d’abord sur Sahelien.com le 11 septembre 2017



Angola oui, mais Koweït aussi

Un coup médiatique réussi que celui de Yaya Sangaré, ministre des Maliens de l’Extérieur et de l’Intégration africaine, qui a décidé d’écourter sa visite à l’étranger pour retourner en catastrophe à Bamako. Parce qu’il y a péril si son gouvernement ne vole pas au secours des Maliens en situation irrégulière en Angola où, l’ivresse du boom minier passée, on en est encore à se demander si les mines sont une chance ou une malédiction. Mais, c’est une autre histoire.

Le sujet aujourd’hui est le sort fait à ces ressortissants maliens à l’étranger dans une période d’intense réflexion sur la migration, dont le chiffon rouge est agité pour faire peur à des électeurs qui ont déjà peur en occident. Mais l’Angola, ce n’est pas le nom d’un pays européen. Et là-bas au moins, les Maliens sont expulsés. Là-bas au moins, ils peuvent espérer revoir leur pays, leur terre, leur maison, les rues qui les ont vu grandir.

Mais au Koweït, non. Dans cette petite monarchie libérale du Golfe persique, les Maliens et autres africains qui ont quitté leurs tertres, poussés par la misère pour partir à la conquête du bonheur, finissent esclaves modernes. Et vivent dans la peur. Avant, c’étaient les bangladaises, les sri-lankaises et les philippines qui tombaient dans les bras d’agences de placements sur lesquelles comptent les familles koweïtiennes pour avoir des domestiques.

Aujourd’hui, ce sont des subsahariennes, à qui des connaissances dans le pays font miroiter les chances d’une réussite au Koweït, notamment dans la restauration. Mais qui se retrouvent domestiques dans des familles arabes où, souvent bien accueillies et leur passeport confisqué, elles sont sous-payées, maltraitées, mal nourries. Le chroniqueur a échangé via WhatsApp avec plusieurs maliennes ayant échoué dans ce qui a tout l’air d’un enfer. L’une d’elle a confié avoir profité d’une porte non verrouillée pour s’enfuir vers l’aube. Sa patronne l’a piquée deux fois avec le couteau. Tout ce qu’elle veut, c’est rentrer au Mali, en l’absence de représentation diplomatique pour l’aider dans un pays où elle ne peut pas non plus se rendre à la police au risque de passer plusieurs mois en détention pour ensuite être expulsée.

Bien sûr, il n’y a pas que les femmes. Les hommes aussi sont concernés.  Mais ce qui choque et humilie, c’est que tout se passe comme si personne ne semble au courant de cela dans les hautes sphères de l’État. Après les Maliens d’Angola sous le coup d’une menace d’expulsion, le ministre Yaya Sangaré devrait s’intéresser à ce que vivent les Maliens au Koweït.

B. S

Publié dans Le Pays du 31 octobre 2018


Les trois bouchers et le péril sécuritaire

Seule la vie d’un homme finit là où elle a commencé : la douleur. Cette affirmation de Yasmina Khadra n’a jamais eu autant de sens qu’après l’annonce de la mort des trois jeunes bouchers tués par un comité de veille il y a plus d’une semaine. Une « bavure populaire », comme l’ont très vite qualifié certains confrères qui ont le sens aigu de la formule.

Les trois jeunes se sont endormis dans la paix du seigneur, lynchés par d’autres jeunes organisés en comité de veille, et qui les ont certainement confondus à des voleurs. Où ? A Doumanzana, en commune I du district de Bamako. Il se raconte que dans les murs de ce quartier sont logés des malfrats ayant le dernier mot la nuit, même face aux forces de sécurité, qui restent aux abonnés absents et préfèrent sous-traiter la sécurité des personnes et des biens à des jeunes organisés en comité de veille.

Comme le gouvernement malien lui-même a pris la coutume de le faire ailleurs dans le pays et qui a donné le résultat que l’on sait tous : d’autres vocations se sont créées. Admettre cela est aussi amer que le jus de citron dans l’œil, mais ce qui s’est passé à Doumanzana porte d’abord un coup de sabre à la réputation des forces de sécurité, notamment de la police, loin d’être en odeur de sainteté auprès des populations pour des raisons qui ne sont cachées à personne, et qui chante ce qui est devenu un air appris : le manque de moyens. Un argument ou prétexte tellement galvaudé qu’il fait sourire.

 

L’épisode triste de Doumanzana consacre le triomphe du constat selon lequel la cote d’alerte a été atteinte quant à l’insécurité en pleine capitale malienne. Conclusion ? Il est regrettable que dans ce pays, on en arrive à une telle situation de non État, de non droit, de non autorité dans les rues, sur les routes, dans les familles, dans les villes, dans les villages. Et, plus important encore, tout cela invalide le discours « iréniste » ventilé par le gouvernement et son club de domestiques politiques, qui ne perdent aucune occasion pour endoctriner au culte de la stabilité, ignorant qu’ils ne sont ni Luther King, ni Desmond Tutu et qu’ils n’auront jamais le prix Nobel.

Encore une fois, la classe dirigeante du Mali a tout avantage à sortir de cette attitude d’ « Eternal activity without action » (s’agiter sans agir), selon la formule de Wordsworth sur Coleridge, et de cette démarche de pompier partout dans le pays où les populations attendent qu’elle agisse.

Bokar Sangaré

Publié dans Le Pays du 7 novembre 2018


Mali: Soumeylou Boubèye Maïga, radiographie d’un mythe

Le chroniqueur n’a pas de sujet, cela fait partie des aléas de ce métier (d’ailleurs, est-ce même un métier ? De quoi (ou de qui) parler aujourd’hui ? Mais de SBM, l’acronyme par lequel les Maliens désignent leur premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, qui semble aujourd’hui être en mesure de marquer profondément la vie socio-politique du Mali. Le Tigre, comme on l’appelle encore, a ses thuriféraires, ses Ballafasseké (griots du légendaire Soundiata) modernes et en costard, voire ses adorateurs, mais aussi ses contempteurs. Il est, semble-t-il, sur tous les fronts à la fois : à Kidal, à Mopti, à Bamako pour activer ses contacts, mobiliser ses partisans, reporter (les élections), réquisitionner (les magistrats), redéployer (les forces de sécurité et l’appareil étatique), organiser, instruire, faire acte de présence. Il ne laisse personne indifférent, séduit ou rebute, mais attire comme l’aimant.

A bien suivre tout ce qui se dit et s’écrit sur lui, il a fait son (petit) effet depuis qu’il est arrivé à la primature, au bord du Djoliba. L’hebdomadaire Jeune Afrique, dans son édito intitulé « L’avenir du Mali » début octobre, n’a pas dit que des bêtises : SBM détiendra bientôt le pouvoir réel. Nul besoin de scruter trop longuement les propos du vieux Béchir Ben Yahmed pour décoder les scènes d’un spectacle qui se joue tous les jours sous nous yeux. Les indices sont légion pour affirmer que SBM est bel et bien le « patron », bien que le rôle suprême n’a peut-être pu le séduire ou lui échoir pour le moment. Car, de ce qu’on sait de lui, il est un bon soldat. Le chroniqueur n’invente rien : feu Ousmane Sow, toujours lui, a écrit que SBM est « loyal, fidèle en amitié et sait garder les confidences ». Malgré cela, on lui prête aussi mille et un coups (réussis), dont la paternité du brûlot « ATT-cratie, la promotion d’un homme et de son clan », signé par un énigmatique Sphinx.

Pour nous, l’histoire est simple : le président Keïta paraît fier d’avoir trouvé un « vrai » premier ministre. Et du même coup, la France aussi, mais il ne faut pas se mêler de cela. Tenons-nous en à ce qui est notre affaire, c’est-à-dire cette mythologisation dangereuse de SBM, qui fait dire à certains observateurs avertis qu’il est en train de se construire la même légende qu’IBK et, par ricochet, une trajectoire similaire. Partout, ceux qui disent de lui qu’il est un politicien « professionnel, rusé et alerte, brillant, éveillé », lui prêtent la capacité de tout réussir : faire réélire IBK, avoir remis le pays sur les rails de la sortie de crise, être le « préféré » des partenaires du Mali, contenter les mécontents.

Mais cette image d’homme à poigne pourrai<t s’avérer être une fiction pour IBK, qui, on s’en souvient, avait lui-même, comme premier ministre d’Alpha Oumar Konaré, laissé des traces dans les cœurs et les esprits. Il avait manié le bâton contre le COPPO, les religieux et les élèves en se construisant une réputation de Kankeletigui, avant de privilégier la carotte. SBM pourra-t-il tenir ? N’est-il pas moins fort qu’on veut bien le faire croire ? Le Tigre pourrait bien se révéler être de papier.

Bokar Sangaré

 


In memoriam : Gaëtan Mootoo, une voix…

 Gaëtan Mootoo. Une voix. Un lundi matin. Le numéro m’était inconnu, mais la blague avec laquelle il m’a abordé a suffi à me détendre :

« Tu as décliné notre rendez-vous dimanche pour un mariage auquel tu as refusé de nous inviter. Les dimanches à Bamako, c’est les jours de mariage ! ».

Nous sommes partis tous les deux d’un fou rire. Il a décliné son identité et m’a mis dans la confidence d’une mission qu’il était en train de préparer à Gao, dans le nord du Mali. Ce qu’il voulait, c’était une cartographie des groupes armés qui opèrent dans cette ville, toujours engloutie par le feu des attentats.

C’est le souvenir qui s’est imposé à mon esprit quand j’ai appris la nouvelle de son décès, dans un message WhatsApp. Lui aussi est « allé pour ce village qui n’a pas de chemin de retour ».

Il a décidé de partir, loin de cette humanité déshumanisée, qui ressemble de plus en plus au zèbre qui ne porte plus de zébrure et donc doit être appelé autrement. Si j’ai quelque chose d’autre à agrafer à mon témoignage, c’est de dire que Gaëtan nous a éclairés sur les violations des droits humains avec la lampe de la crédibilité et de la vérité, et s’est acquis une renommée sans ombre en restant digne de Cyrus le Grand. Peut-être que c’était pour nous préparer comme un général la bataille à affronter ces temps troublés.

Au Mali, on gardera comme une relique le souvenir d’un juste qui, ces derniers temps, aura fait face au code obstiné du déni de réalité des gouvernants sur les charniers qui ne cessent de se multiplier, des écoles fermées dans le centre renvoyant à la rue des milliers d’enfants privés ainsi d’un droit fondamental. Repose en paix Gaëtan Mootoo !

Bokar Sangaré


Mali: le pays ou la réélection ?

 

IBK de passage à Kalabancoro, au sud-est de Bamako, en 2014.
Photo: Boubacar

Entendu mardi soir sur une radio : un député a dit avec la fierté d’un champion de lutte traditionnelle sénégalaise que la réélection d’Ibrahim Boubacar Keïta, dit  » IBK « , était gravée dans le marbre. Rêve éveillé ou réalité, on attend de voir. En quoi est-ce important ? Simplement parce que la voix qui ânonnait dans la radio a fasciné le chroniqueur partagé entre rire et tristesse à l’idée que c’est désormais le sujet qui fait courir tout le monde, notamment dans les arcanes de la scène politique : la présidentielle.

Il y a désormais ceux qui y croient et ceux n’y croient pas (à la tenue). Et on en parle chaque jour comme s’il s’agissait de défendre un club de football. Mais au-delà de la présidentielle, c’est la réélection d' » IBK  » qui est devenue un ballon de foot politique.

Des ministres prennent le masque serein du  » griot  » pour dire les louanges du président et  » impressionner la masse « . La réélection, c’est ce qui leur plaît et ils ne veulent entendre parler que de ça parce que ça arrange leurs convictions, s’ils en ont. Ceux qui suivent les médias d’État ont droit tous les jours à un matraquage publicitaire qui ne dit pas son nom sans que personne ne se soucie de savoir si cela est  » casher  » ou pas. Des pleines brouettes de flagorneries dégueulasses sont déversées chaque jour dans les colonnes de certains canards serviles.

 

La stratégie est déjà en marche et elle est savamment huilée. Vous avez lu  » L’orgueil du désert  » de Djeneba Fotigui Traoré ? Dans ce roman primé l’année dernière, il se passe la chose suivante : pour faire part de l’affaire-rebelle aux autres citoyens à travers la presse, le président use d’une stratégie. Pour lui,  » tout le monde a le droit de savoir, l’information est capitale pour la survie de la démocratie. Mais pourtant, il faut que le peuple ne sache que ce qu’il doit savoir, le reste, il doit l’ignorer, complètement.  »

Des marches, mêmes pacifiques, sont réprimées, des journalistes arrêtées à leur rédaction comme une bande de frappe, achevant de confirmer tous ou presque dans l’idée que «  Big brother is watching you « . Qu’il se déclare candidat à sa propre succession ou pas, la réélection du président Keïta, qui ne cesse d’essuyer les tirs de barrage de l’opposition, des anciens membres de la majorité présidentielle et d’une partie de la jeunesse, est devenue une obsession : c’est un fait.

Mais, et le pays ? Tous ceux qui ne refusent pas de voir savent qu’il reste toujours aux creux de la vague. Qu’il croule au fond de la crise, car elle est toujours là la crise. Les soldats qui tombent comme des mouches, les mines qui explosent et qui n’épargnent ni civils ni militaires, les assassinats et braquages ne sont rien de moins que son prolongement camouflé.

Et ceux qui ne savent pas doivent le rentrer dans leur crâne une bonne fois pour toute : cette crise n’est pas une de ces crises passagères. Non ! Elle s’attaque à la structure même de l’État, du pays, de la classe dirigeante, des communautés et surtout à la façon dont le système est organisé. Il s’agit de ce système de réseaux de patronages néo-patrimoniaux. C’est aussi à croire que les leçons apprises dans les précédentes crises sont sorties par l’autre oreille.

Peu importe qu’il soit réélu ou pas pour le chroniqueur. Il n’a rien contre IBK qui, a-t-il écrit il y a quelques années,  » est entouré de gens dont les objectifs ne sont pas les siens. Qui ne sont pas prêts à se battre avec lui pour édifier ce pays. Et qui ne veulent que les postes, le pouvoir et les privilèges.  » Il s’agit aujourd’hui plus de sauver un pays que de réélire  » IBK  » dont les partisans semblent toujours en mode frontal, prêts à en découdre. Or, le pays est plus important que la réélection.

Dans un récent entretien qu’il a accordé au chroniqueur pour un média étranger, Ousmane Sy a été on ne peut plus clair : la conquête du pouvoir n’est utile que lorsqu’il y a un pays.

 

Bokar Sangaré


Le Mali est-il récupérable ?

Le soleil matinal est intraitable. Sur terre, des paquets humains s’agitent dans un interminable va-et-vient, chacun courant vers on ne sait quelle urgence. La terre ferme et les chaussures, c’est tout ce qui permet de tenir sur pied, désormais, quand l’espoir a déjà pris la forme d’une chimère. Quartier-Mali est comme tous les quartiers de Bamako. Des élèves sèchent les cours pour créer leur cours dans les rues parce que « l’école ne vaut plus rien, pas même le pet d’une vieille grand-mère », des vendeurs à la sauvette le long de la route, une myriade de petits kiosques qui ont troqué les journaux contre le sandwich, le pain et le chawarma. Une odeur suffocante s’élève des fossés ouverts vers les narines donnant un haut-le-cœur. Les hommes et femmes que l’on croise montrent peu de souci pour ce décor désolant.

Le Mali est-il récupérable ? La question est posée au chroniqueur dans un collège de ce quartier où il était venu parler de son livre Être étudiant au Mali pour sacrifier à un rituel de la rentrée littéraire. Un collégien d’environ 14 ans, qui pose pareille question sous une salve d’applaudissements de ses camarades, donnant de légers frissons dans la région du cœur du chroniqueur, qui a fait celui qu’en revenait pas. Le Mali est-il récupérable ? D’abord, il y a un sous-entendu. La question de la « récupérabilité » du Mali se pose, ce qui suppose qu’il est hors de contrôle, perdu, tombé. Tout se passe comme si le pays était compartimenté : nord, centre, sud et Kidal.Les assassinats, enlèvements, tirs d’obus, braquages, voitures sautant sur une mine composent désormais la rengaine matinale dans les plusieurs régions, faisant des terres maliennes des cimetières. La quiétude, nous en avons perdu la notion. Trop de gens meurent, les rues pullulent de veuves et d’orphelins, le pays semble frappé de damnation.

Il y aussi cette humiliation d’entendre, de voir les autres répandre des bruits, des commentaires malveillants sur le pays. Mais l’humiliation réside aussi dans le fait qu’on n’arrive pas à s’assumer. S’assumer et accepter de s’entendre dire que les vrais ennemis du Mali sont ses propres rejetons.
Que répondre au collégien sinon que ce pays ne sera que ce qu’on décidera d’en faire ? Qu’on peut le « faire » ou le défaire, sortir nos haches pour le découper en petits morceaux et le jeter aux quatre vents. Qu’on le veuille ou pas, derrière la chute du pays, au fond de la crise se cache notre main à tous mais surtout de dirigeants indignes de confiance et de responsabilité.

Nous avons touché le fond : c’est ce qui est incontestable aujourd’hui et qu’il faut reconnaître plutôt que d’accuser les autres de nous cribler de mensonges, de calomnies. Que dire ? Que faire ? Rien à part redire que beaucoup de choses ont changé ailleurs, dans d’autres pays, dans d’autres continents et rien ne nous empêche de changer notre pays. Rien.

Bokar Sangaré


Mali: révolutionnaires partout, révolution nulle part

Pour les Maliens, il ne suffit plus de se contenter d’ «avoir été» : il s’agit aujourd’hui d’«être».

La nature n’a rien à faire de l’innocence, c’est pourquoi chacun se bat, se défend pour ne pas périr. Il en est ainsi des peuples qui, face à l’arbitraire qui règne et plie les têtes à sa volonté, se lèvent un jour, font front face à l’autorité, se libèrent de la résignation et de l’obéissance, parce qu’ils ont longtemps accumulé les ressentiments, les humiliations à dénoncer. Il y a un quart de siècle, quand le peuple a compris ce qu’il avait vécu, a compris qu’on tirait profit de ses infirmités, qu’on l’avait habillé en mendiant pour exhiber ses plaies à la charité des pays à qui la classe dirigeante tend la sébile, il s’est affirmé, a exprimé sa dignité. Le pays a vu le peuple chasser le dictateur qui en avait chassé un autre. Mais aujourd’hui, ce pan de l’histoire récente est devenu un fond de commerce pour certains, nostalgiques, nombrilistes.

La nostalgie, comme le chroniqueur l’a écrit plusieurs fois dans ces colonnes, est une de nos névroses. Certains acteurs nostalgiques de ce qu’on appelle par la force des choses « la révolution de 1991 » voudraient maintenir le pays dans le même ordre politique, social et économique, dans le système de réseaux de patronage néo-patrimoniaux. Quand ils parlent, ils commettent cette folie de ramener tout à leur époque, à leur personne sans se rendre compte un seul instant qu’ils sont malades à force de ressasser un récit national bucolique, idyllique, qui dit tout de nous sauf ce que nous fûmes.

Cela veut dire que pour les Maliens, il ne suffit plus de se contenter d’«avoir été» : il s’agit aujourd’hui d’«être». Dire cela, l’écrire comme ça peut faire lever pas mal de sourcils. Mais nos nostalgies de l’économie du temps de Kankou Moussa, de tout le bien que dit de nous Ibn Battûta, ont un parfum de médiocrité qui en dit long sur ce que nous sommes devenus. Or notre triste problème aujourd’hui est ailleurs : dans ce pays, un mur de Berlin passe toujours entre les ethnies, les communautés, les politiciens, les hommes d’affaires, la jeunesse à qui il est besoin aujourd’hui de donner un nouveau dictionnaire pour qu’ils apprennent que la patrie est différente de la famille et que sur nos passeports il est écrit Malien et non bamanan, peul, songhoy, tamasheq….

C’est un fait : il y a un tel bouillonnement au sein de la jeunesse qu’il est impossible de réfréner l’envie de dire qu’une révolution est inévitable et qu’elle peut être violente ou non. Partout, des jeunes sont vent debout et réclament de leurs vœux le changement à coups de slogans qu’ils puisent à pleines mains, qui dans un discours de Sankara, qui chez Fidel Castro, qui chez Che Guevara. Ils dénoncent la double société, un pays immobile dans le temps. Ils veulent changer le quotidien, le présent fait de médiocrité. Or, quand les jeunes s’emparent d’un truc, dans ce pays, comme nous l’avons lu dans les récits fondateurs de nos sociétés, il se passe quelque chose. Dans nos quartiers, nos ghettos, les jeunes en ont assez. Ils sont assoiffés de bouleversements et le fétichisme du passé ne les engage plus parce qu’il n’intègre pas le champ de leurs préoccupations. Partout, il n’y a que des révolutionnaires, qui poussent le pays à sortir de l’ordre ancien, qui veulent que les vieux laissent les jeunes naître.

 

Mais la révolution n’arrive pas. Pourquoi ? Tout simplement parce que les Maliens n’aiment pas les Maliens. Parce que le jeune est le pire ennemi du jeune.

 

L’indépendance a-t-elle été un truquage ? La démocratie un mensonge ? Le chroniqueur est sûr d’une chose : la liberté que la démocratie nous a octroyée, du fait de l’usage qu’on en a fait, a été un attentat contre notre progrès. Elle a accouché de mille et un marchands de patience qui continuent de chantonner la même bonne rengaine, celle de la cohésion sociale, de l’unité. Mais sans les bonnes paroles. Ils opposent les jeunes les uns aux autres. Au Mali, il n’y a pas une jeunesse mais des jeunesses. Les objectifs des uns ne sont pas ceux des autres. Tout ce qu’ils veulent tous ou presque, ce sont les postes, les privilèges et le pouvoir. Le pays et la révolution, eux, peuvent encore attendre. Voilà pourquoi on a des révolutionnaires partout, mais nulle part il n’y a de révolution.

Bokar Sangaré


Mali: la preuve par Iba Montana !

 

Iba Montana, Photo: Bamadacity

Qui est Iba Montana, le jeune rappeur ayant soulevé des passions qui ont fini par très vite retomber comme d’habitude, il y a quelques semaines ? Dans les cris d’orfraie poussés par bon nombre de gazettes locales, on apprend que ce jeune rappeur de 22 ans a tourné des clips dans lesquels apparaissent machettes, couteaux et des adolescents fumant du cannabis. Et que par effet de mimétisme, des images circulant sur les réseaux montrent des adolescents exhiber couteaux et machettes tout en se réclamant du rappeur.

Le formidable brouhaha médiatique qui a cloué au pilori le jeune rappeur et le crêpage de tignasses entre ses fans et nombre de « gardiens de la morale » ont amené le maire de la commune IV, Adama Bérété, à mettre le holà en frappant d’interdiction le tournage des clips du rappeur. Mais la vérité abyssale, c’est qu’on s’est encore une fois éloigné les uns et les autres de l’essentiel, des vraies questions à poser concernant un vrai problème. On reste cloué de colère en constatant que la levée de boucliers indignée contre les clips du rappeur a étouffé les voix, jeunes, qui envoient pourtant un message chargé de gravité à la société.

 

Reprenons par le début. D’abord, le chroniqueur, féru de rap, ne lutte pas contre l’impulsion de dire qu’il n’a pas aimé le flow du jeune rappeur, pas plus qu’il n’a trouvé d’intérêt à écouter ses textes qui, qu’on le veuille ou pas, en disent long sur l’état actuel, le contexte du microcosme du rap au Mali. C’est à dire que, loin du rap engagé, conscient et ludique des anciennes générations, les jeunes ne voulant pas s’aligner sur ceux qui les ont précédés offrent aux fanas de rap des textes dégoulinant de vulgarité, d’insultes et d’obscénités qui choquent la pudeur dans une société conservatrice. Avez-vous entendu ces voix, celle d’Iba Montana et des adolescents en train de l’imiter ? Les avez-vous entendues en train de pointer vers nous, la société, un doigt accusateur ? Le jeune rappeur a parlé, ailleurs chez Les Observateurs de France 24, et ce qu’il a dit est tout sauf anodin.

 

Il confie son intérêt, lui qui est délinquant ou l’a été, pour la question de la délinquance des jeunes dans les quartiers, les ghettos où, selon la formule rendue célèbre par Thomas Hobbes, « Homo homini hupus est » (l’homme est un loup pour l’homme). Autrement dit, ce que veut dire Iba Montana, c’est que nous logeons dans les murs de nos quartiers beaucoup de malfaiteurs, qui se promènent avec machettes, couteaux, pistolets de fabrication artisanale, et qui braquent des motocyclistes, dévalisent des boutiques, des maisons.

Faisons simple : les machettes, couteaux dans les clips sont un phénomène auquel on ne s’attendait pas, mais qui relance de plus belle le débat sur ce qu’on appelle la poussée ou la crise de la jeunesse devenue, aux yeux de beaucoup d’experts, un problème de sécurité qui est d’actualité. Pourquoi ?

 

Dans une analyse qui date de 2011, l’experte nigériane Ecoma Alaga explique que cette crise de la jeunesse « est considérée comme la crise de l’Etat et de son impact sur les jeunes par rapport à la mal gouvernance et à la corruption qui entravent leur accès à l’éducation, aux soins de santé, à l’emploi (…) ». Encore plus important, cette crise amène aussi les jeunes à s’impliquer dans la guerre des gangs, la criminalité, les conflits violents.

Ce qui vient d’être dit peut avoir l’effet d’une décharge soudaine donnée à la tension des nerfs provoquée par Iba Montana et ses clips. Mais, encore une fois, ce jeune rappeur est la preuve que nous ne sommes toujours pas prêts à affronter frontalement les vrais problèmes, qu’on préfère déplacer et qui finiront par avoir un effet boomerang. Le temps n’est plus à cette manie de donner à ses désastres la pureté de la surprise, du rejet, de la désapprobation. Nous gagnerons beaucoup à sortir des sables mouvants des réactions par réflexe pavlovien.

Boubacar Sangaré


Mali : éduquez vos enfants, après on parlera du pays

 

Des enfants au Mali. Crédit photo: Ousmane Traoré dit Makaveli

Qu’est-ce qu’un enfant ? C’est un pays, une nation, une famille, une rue. Il ne vaut que ce que valent ces substrats. Tout ce qu’il dit, fait, exprime ou cache sert de baromètre de l’état d’une société. Cela veut dire quoi ? Telle société, tel enfant, pour paraphraser un célèbre adage. Quand on échoue à faire de l’enfant la matrice, le centre du renouveau, quand les oreilles lassées d’écouter un monde, un pays qui crie et se débat dans les pièges qui se referment, quand un pays, un monde s’engonce irrémédiablement dans les draps de l’orgueil, de l’arrogance, du mépris de soi entraînant celui des autres, cela montre que tout fout le camp.

Pendant un demi-siècle, la mise en avant, la glorification du passé a fait un grand pas, mais il y a eu un petit pas pour tout le reste : l’essentiel. L’autre, avec la débilité qu’on lui connaît, a pointé du doigt une de nos névroses : nous vivons trop le présent dans la nostalgie du passé, par conséquent le présent nous coule entre les mains comme de la fine poussière. Nous sommes responsables des ténèbres dans nos cieux, des aubes écarlates qui se lèvent sur nos terres et qui ne font que « ponctuer l’inlassable répétition des nuits », pour reprendre Leonora Miano (Les aubes écarlates).

Pourquoi parler de tout cela ? Parce que cela fait plusieurs jours que les internautes maliens et d’ailleurs, loin de tout ce que les réseaux sociaux proposent de bizarre et de dingue, bavent de rage de ne pouvoir mettre la main sur les auteurs d’un viol collectif dont la vidéo circule sur Facebook. Ce qui n’est pas aussi sans interpeller quant à l’ampleur que prend le voyeurisme chez nous. Mais le débat n’est pas là. D’ailleurs, des voix émergent pour dire que la vidéo en question remonte à assez loin, qu’elle circulait déjà en 2012 et quelques idiots inutiles se sont donc assis derrière leur clavier pour la balancer et écouter les gens jacasser. Mais le plus grave dans l’affaire, c’est qu’il y a eu un viol commis sur une jeune fille, nous renvoyant à l’interminable débat sur la femme, le sexe et le reste, c’est à dire l’éducation. Un viol, c’est une dignité bafouée, un déshonneur, une honte, un traumatisme. C’est un corps meurtri, désacralisé. Le corps de la femme à laquelle nous avons toujours un rapport maladif.

Pour certains conservateurs, les jeunes filles maliennes doivent faire attention à ne pas imiter les Blancs, comme le chroniqueur a pu le lire dans certains commentaires sur les réseaux sociaux. C’est déjà ça quand on veut détourner les gens de l’essentiel. Ecrit il y a quelques mois à propos des présumés cas de viol au Parc national sur des jeunes filles de 12 à 16 ans :

« Quand il y a un viol, les questions du genre ‘’la fille était habillée comment’’ ou ‘’c’est quel genre de fille ?’’ sont des questions de merde, parce qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise victime. »

Il s’agit encore une fois de problèmes humains de nature complexes. Mais il s’agit surtout du Mali, pays, société complexe où, grande hypocrisie, personne ne veut payer le courage de parler du sexe aux enfants, aux jeunes qui deviennent des Valmont frustrés et abreuvés de scènes sexuelles disponibles gratuitement sur Internet. Et qui s’en donnent à cœur joie en violant des Cécile de Volanges comme dans Les liaisons dangereuses de Laclos. Le chroniqueur tient à préciser que cela ne justifie pas, ni n’explique le viol. Il n’a point envie de plonger dans les détails pour essayer de faire comprendre : « Tout comprendre, c’est pardonner », disent les français. Dans Toiles d’araignées, l’éminent Ibrahima Ly nous renvoie au problème le plus préoccupant qui nous attend : « rééduquer le peuple », mais surtout nos enfants en sortant le microcosme malien de la danse du ventre, en ressoudant les familles qui se cassent et en sauvant les structures culturelles et scolaires qui se désagrègent. Et après, on pourra du reste, du pays.

Boubacar Sangaré

P.S : Quelques heures après avoir bouclé cette chronique, l’arrestation des auteurs du viol a été annoncée.


Mali: les angoisses d’un pays

 

Tombouctou, Mali crédit photo: Maliweb

Si le Mali croule encore au fond de la crise, des inquiétudes, c’est parce qu’à la différence de Pandore, nous n’avons jamais eu de Zeus capable d’ordonner la fermeture de la jarre dont nous avons soulevé le couvercle pour répandre sur notre terre tous les maux qu’elle contenait 

Cette chronique aurait pu s’intituler Les angoisses d’un monde, faisant référence à l’intemporel roman de Pascal Baba F. Couloubaly qui, je vois ça d’ici, prend de la poussière dans nombre de tiroirs. Mais ce n’est le pas le sujet. J’ai oublié qu’on ne parlait pas de littérature, porteuse de valeurs, de morale et de thérapie dans un pays ou un monde où les antivaleurs tiennent lieu, pour reprendre Marcel Proust, de « parangons de vertu ». Un pays, un monde où la meute de « nouveaux chiens de garde » tapis dans les limbes des portails et sites d’informations n’attendent qu’un zeste de critiques dirigées contre le pouvoir pour sortir ses dents. Cela prouve quoi ? Une seule chose : tout simplement que si le pays croule encore au fond de la crise, des inquiétudes, c’est parce qu’à la différence de Pandore, nous n’avons jamais eu de Zeus capable d’ordonner la fermeture de la jarre dont nous avons soulevé le couvercle pour répandre sur notre terre tous les maux qu’elle contenait : la guerre, la famine, la misère, le vice, la tromperie, la passion, l’orgueil, la maladie…

 

Notre histoire récente a été entachée d’erreurs regrettables, et on pourrait dire que c’est le lot de toute aventure humaine. Mais s’il y a une préoccupation plus sérieuse pour nous aujourd’hui, c’est d’accepter de parler de nous-mêmes tels que nous sommes, de notre situation, de notre condition, notre position dans le monde. Rien de tel ne s’observe dans les spectacles offerts en longueur de journée par les politiques, la presse, les instituts de sondage, et dont les Maliens de Bamako trouvent du plaisir à se repaître. Il n’en ressort rien d’intéressant, sinon qu’un fossé désormais infranchissable sépare les acceptants et les contestataires du président Keïta qui, à ce qu’il semble, affiche l’air d’un otage de puissants intérêts politiques, économiques qui tiennent plus à un second mandat qu’au vieux cœur qui bat dans la poitrine de celui qu’ils veulent réélire en 2018.

 

Pendant ce temps, le Mali ressemble chaque jour davantage à un navire qui chavire et qui n’attend que le sinistre moment pour sombrer, couler. Alors que ce qu’il faut, c’est une redéfinition des camps en ce que Pas cal Baba Couloubaly, revenons à lui, appelle dans Les angoisses d’un monde, « la roue qui abat et la montagne à abattre ». Chaque Malien devrait « faire partie de l’engrenage de la roue qui tourne constamment, dont les dents sont faites de volontaires de bien, et à chaque fois qu’un volontaire y adhère, elle aplanit une bosse, une irrégularité de la montagne qu’elle s’est promis de raser ». Les montagnes de difficultés à raser pour redresser le Mali, il y en a : des militaires qui désertent parce que l’armée a failli sous le poids de la sclérose, une guerre qui ne dit pas son nom au nord et au centre et qui apporte chaque jour son lot de militaires tombés sur un front qui n’existe pas, de voitures, camions sautant sur une mine, l’éducation paralysée, la poussée de la jeunesse…

 

Si on n’y arrive toujours pas, c’est qu’il faudrait peut-être regarder jusqu’au dedans des choses. Alors, que faire ? L’excellent Ousmane Sy, que l’on peut accuser de tout sauf de se cacher derrière ses petits doigts, a pourtant posé le problème de façon pertinente : il faut dépasser les clivages personnels pour sauver le Mali. Pour cela, « les différentes composantes de la nation doivent se mettre en dialogue pour esquisser les contours d’un nouveau Mali ». Rien qu’à voir Ousmane Sy écrire ça comme ça, le froid dans le dos l’emporte sur la tristesse. Parce que pour nous, en démocratie, le parti au pouvoir dirige, l’opposition s’oppose.

  1. S


Mali: ce qui doit être dit à IBK

Les propos tenus par le président Ibrahim Boubacar Keïta lors de sa rencontre avec la société civile, venue lui présenter ses vœux, continuent de rythmer les conversations à Bamako et au-delà. Le président a mieux à faire que de se perdre dans des batailles d’égo entre d’anciens camarades qui n’ont plus aucun crédit les uns pour les autres, après en avoir beaucoup perdu aux yeux du peuple.

Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK »

 

Ce que les proches d’IBK lui reprochent le plus souvent, c’est sa « brutalité ». Je le dis parce que l’excellent journaliste et écrivain feu Ousmane Sow l’a déjà écrit dans Un Para à Koulouba. Ils lui reconnaissent sa générosité, son humanisme face à la détresse des autres, mais il a plusieurs fois aussi fait preuve de naïveté, et il traine une réputation d’intransigeance : « IBK parle beaucoup et il sait beaucoup de choses. Mais, il n’écoute pas, c’est son gros défaut. », aurait dit de lui un ministre.

A bien y regarder, tous ces constats trouvent leur vérification dans les propos qu’il a tenus lors de sa rencontre avec la société venue lui présenter ses vœux dernièrement. Qu’a-t-il dit ? Qu’il a « trop encaissé », qu’il s’est « réveillé » et va « sévir ». Autrement dit, qu’il va sortir de sa résignation de vieille hyène édentée. « IBK » a poussé le bouchon loin jusqu’à s’en prendre au chef de file de l’opposition : « J’ai donné 500 millions à l’opposition, mais elle passe le clair de son temps à m’insulter. Elle ne sert à rien. Comme c’est la loi qui l’autorise alors, on va revoir » Interprétation simple : le chef de file de l’opposition passe lui aussi à la caisse à la fin du mois, il ne peut donc pas cracher dans la soupe même si elle est mauvaise.

 

Faisons grâce aux lecteurs des détails. Nous n’allons pas, par exemple, dire qu’il s’est exprimé avec un ton qui n’admettait pas de réplique. Nous n’allons pas dire que le tour de ses propos étaient directs. Mais, interrogeons-nous : pourquoi craint-ils les critiques ? Pourquoi passe-t-il le clair de ses discours à se forcer à la critique à destination de l’opposition, à répondre à ses détracteurs ? A-t-il oublié que le peuple, en lui déléguant sa confiance il y a cinq ans, l’a renvoyé à d’autres responsabilités plus nobles ?

Ce qui doit être dit à « IBK », c’est que s’il est vraiment le président, il doit le faire paraître à travers ses actions de tous les jours, plutôt que de se perdre dans des batailles d’égo entre d’anciens camarades qui n’ont plus aucun crédit les uns pour les autres, après en avoir beaucoup perdu aux yeux du peuple. Encore une fois, le débat est toujours là : d’où vient l’idée que critiquer le président, ses actes et agissements, qu’on soit homme politique ou citoyen lambda, reviendrait à ne pas aimer son pays ?

Disons-le clairement : prétendre que les fonds mis à la disposition de l’opposition ne servent à rien parce qu’elle critique le pouvoir est une façon froide de poser le problème voire une honte sans nom pour notre démocratie qui bat encore de l’aile à l’image du pays entier.

 

Colère des jeunes

Ce qui doit être dit, c’est que la contestation, la remise en cause des actions posées par le pouvoir ne vient pas que des opposants. Elle vient aussi d’une grande partie de la jeunesse qui organise désormais un nouveau front d’opposition à la classe dirigeante, au pouvoir. Et rien n’est plus grave pour un régime de se retrouver dans un maelstrom des critiques des jeunes qui sont de plus en plus facebookistes, youtubistes, twittos, savent ce qui se passent ailleurs, dans d’autres pays, dans d’autres continents où les choses ont changé. Et qui sont convaincus que le changement n’est pas impossible au Mali et aux Maliens.

Pourquoi les jeunes sont révoltés contre la classe dirigeante ? Pourquoi à Kayes, à Gao, à Bamako, les jeunes n’ont plus peur d’en découdre avec la police, la gendarmerie ? De descendre sans a rue quand cela devient nécessaire ? Pourquoi les syndicats n’accordent plus de crédit aux paroles du gouvernement ? La réponse est pourtant simple : parce qu’ils sont de plus en plus conscients de l’échec honteux du pouvoir.

Cet échec qui vient de ce que celui qui l’incarne n’a pas su y mettre le dynamisme et l’utilité attachés à la fonction qu’il occupe. Un président est élu pour répondre aux aspirations d’un peuple, mais lorsqu’il donne la main à ceux et celles qui « assassinent l’espoir », il ne peut empêcher les citoyens, surtout les jeunes, d’ouvrir les yeux, de se faire une opinion et de contester.

 

  1. S

 


Mali: la nost-ATT ou le syndrome du peuple qui ne grandit jamais

 

ATT et son épouse descendent l’avion présidentiel malien parti les chercher à Dakar/ Photo: VOA

 

Amadou Toumani Touré est parti par la petite porte en 2012, dans l’humiliation, l’impossibilité, le ridicule pour finir par revenir par la grande porte en 2017, dans l’honneur. Sans oublier que son retour continue de faire l’objet d’une tentative de récupération politique à l’allure d’une remise en selle de celui qui avait été honni, traité de tous les noms. La logorrhée officielle a placé son retour sous le signe de la réconciliation et la paix, devenues une sorte de ritournelle servie à toutes les occasions. Une seule évidence demeure : la réconciliation et la paix n’avancent pas.

La question est pourquoi : parce que, dans les hautes sphères de l’Etat voire au sein de la classe politique, personne ne veut ouvrir les yeux sur les vrais problèmes du pays. Personne ne veut comprendre qu’on fait du surplace, que la situation actuelle reste identique à celle de 2012, quand ATT tenait les rênes du pays, avec des terroristes et des groupes armés au nord et le président et son gouvernement au sud. Entre les deux, il y a ce peuple dont une partie s’est déjà transformée en une « brigade d’acclamation », pour reprendre Serge Halimi.

 

La foule qui a accueilli le retour d’ATT était nostalgique. Nostalgique du pouvoir de celui qui en a été privé par les militaires, à cause d’une gestion que beaucoup jugeaient catastrophique. Cette nostalgie, qu’elle soit une gifle flanquée au pouvoir actuel ou pas, renvoie un message visant à faire croire que la situation en 2012 était meilleure que celle d’aujourd’hui. Des générations entières sont nostalgiques, accrochées jusqu’au dernier souffle à la conjoncture. Alors qu’aujourd’hui, force est de faire comprendre que le vrai problème de ce pays est structurel et non conjoncturel. Il ne sert à rien de ressasser que c’était mieux sous Modibo Keîta que Moussa Traoré, sous Alpha Oumar Konaré que ATT ou IBK.

 

Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est une véritable remise en cause de la structure même de l’Etat dont nous sommes nombreux à dire qu’il est « anthropophage » car mange ses fils, de cette administration « mongolienne » caractérisée par la lourdeur et de ses fonctionnaires qui ne savent faire rien d’autre que fonctionner, de ce mal-être malien qui consiste à faire semblant.

Les Maliens et même les partenaires du Mali se demandent pourquoi on n’avance pas. La réponse est pourtant simple : parce que tout le monde fait semblant. Parce qu’au-delà des belles paroles, il y a très peu de patriotisme dans ce pays. Parce qu’au lieu de créer des citoyens, notre démocratie a fabriqué des bigots qui ressemblent tellement à « cette masse dont la vie, telle celle des bêtes, se résumait à chercher à bouffer, à chier, à copuler, à enfanter, à crever, cette masse dégoutante. » dont parle Sami Tchak dans La Fête des masques.

 

Pour ce peuple, c’est ATT qui avait raison sur la guerre au Mali. Tout le monde se plantait. Hier, c’était Moussa Traoré qui avait vu juste : les Maliens n’étaient pas faits pour la démocratie. Avant lui, Modibo Keïta avait eu la circonstance atténuante d’avoir voulu construire une société socialiste, qui s’est soldé par un échec. D’autres ont dit ici que ceux qui ont remplacé les colons n’ont fait que privilégier leur intérêt personnel. Seul le peuple ignore lui-même qu’il a toujours eu tort. Et qu’il reste ce bébé éternel qui ne grandit jamais, à qui l’on se plait déjà à vendre l’idée selon laquelle c’est une chance pour le Mali d’avoir ses anciens présidents. Alors que si on est devenu ainsi aujourd’hui, c’est à cause d’eux. Mais aussi nous-mêmes pour avoir toujours vu la vie en rose et n n’avoir jamais vu plus loin que nos nombrils que nous avons toujours pris pour le centre du pays, du monde voire de la vie.

 

ATT est de retour, et il faut lui souhaiter la bienvenue mais pas plus. Ceux et celles qui ont cédé à une dialectique de l’euphorie en voyant dans son retour une bénédiction auront tôt fait de se réveiller et regarder les vrais problèmes en face, car il y en a. Et l’avenir dira si celui qu’on présente comme « L’enfant du centre » pourra oui ou non être de quelque importance dans la crise qui déchire ces régions. Ou bien si, l’euphorie du retour d’ATT passée, nos députés, maires, ministres, juges, policiers, militaires, politiciens vont continuer à nous traiter avec la même arrogance qui, même s’ils l’ignorent, n’est autre chose que l’arme des incompétents et des gens qui ne sont pas sûrs d’eux-mêmes.

B. Sangaré

 


In memoriam : pour Boukary Konaté, le meilleur d’entre nous

 

Photo credit: France 24

Bamako, 2013. Je l’ai croisé à l’escalier à l’Institut français du Mali. Il a eu la gentillesse de saluer en premier. On devait partir pour la même formation de Mondoblog à Dakar. C’est le souvenir qui m’est revenu à l’esprit à l’annonce de sa mort. Boukary est mort les armes à la main ainsi un combattant. Ce qu’il était, lui qui a durant plusieurs mois résisté au rouleau compresseur d’une maladie qui le rongeait. Lui qui, face à la virulence du ton des jeunes frères que nous étions, prenait toujours le masque serein du sage pour nous amener à mettre un peu d’eau dans nos frustrations, dans nos colères. Lui qu’on n’a pu jamais soupçonner de suivisme mais était en permanence animé par le désir de faire la différence. « J’ai peur pour toi quand je lis tes billets. », m’a-t-il dit un jour, dans son bureau. Il me répétait la même chose sur les plateaux de radio qu’on a partagés. Lui qui se voulait blogueur passif.

 

Passif ? C’est à dire qu’il ne voulait pas parler de politique. Sur son blog Fasokan, Boukary écrivait en langue bambara, qu’il voulait valoriser, la sortir des emprunts et des amalgames. Ensuite est venu son projet culturel Quand le village se réveille pour lequel « Fasokan », comme on l’appelait, parcourait les villages pour collecter les traditions, la culture et les diffuser. Les traditions, il aimait en parler comme le Christ aime l’Eglise. C’est grâce à lui qu’on pouvait découvrir pourquoi une grenouille n’a pas de queue. C’est grâce à lui qu’on pouvait découvrir ce qui se cachait derrière le masque dogon.

 

Boukary est un baobab qui est tombé. Un puits plein qui souffrait de voir à côté d’autres puits secs. Une outre pleine dont on a pu tirer beaucoup de choses. Une bibliothèque qui n’a pas brûlé, car ce qu’il savait, il l’a partagé avec nous dans les conditions que nous savions tous. Que dire d’autres ? Que faire d’autres, sinon hochements de tête, sourires d’incrédulité, qui mutent en sensation de dégoût, dégoût de la vie et de tout ce qui la compose. Dégoût d’être un homme, un fils d’Adam qui sera un jour ou un autre mangé par la mort, et qu’on enterrera. Boukary, tu peux enfin te reposer et tu le mérites.

 

Boubacar Sangaré

 


Livre : les dérangeantes vérités de Zana Koné

 

Mettre les pieds dans le plat ou appeler un chat un chat. C’est le moins que l’on puisse dire à propos du recueil de poèmes L’Être et la volonté de Zana Koné, celui qu’on appelle « l’avocat-philosophe ».

Il vient de passer dans l’autre camp, celui de la poésie. Dès les premières pages, les vers résonnent de vérités qui sont comme le nez au milieu de la figure. L’auteur pointe cette coutume que la société malienne a prise d’évoquer en permanence le passé, de s’en glorifier. Elle évoque la bravoure, le patriotisme, la droiture de Soundjata Keîta, de Samory Touré alors que le présent n’est fait que d’incompétences, d’inconscience. Alors s’impose, pour Zana Koné, le besoin de « démythifier » le passé, de s’en émanciper pour saisir le présent qui semble nous couler entre les mains comme de la fine poussière ou de l’eau. C’est ce que nous dit l’avocat-poète dans le poème Devoir de vérité, où il s’attaque au vitriol à ce peuple complice de son enfumage, passif spectateur mais jamais acteur, qui a l’esprit gonflé à l’hélium « des grands mythes », « des grandes illusions », et, encore plus grave, qui est adepte indécrottable de la théorie du complot :

« A César ce qui est à César/ A Soundiata ses exploits/ Enfouis dans un passé à jamais passé/ Et à nous ?/ La Paresse/ Le mensonge/ L’enrichissement sans effort/ L’évocation sans cesse du passé ?/ ».

Il n’est pas besoin de dire que l’auteur met le curseur sur un problème existentiel auquel est confrontée la société malienne, en régression qui plus est. Une société où les digues de la retenues ont été cassées, au point que ce qui était une honte hier fait aujourd’hui la fierté : « O fiers descendants d’ancêtres glorieux/ D’où nous est-il venu/ Que celui qui ne vole pas est maudit ?/ De qui avons-nous appris/ Que celui qui dénonce est aigri ? ».

Zana Koné enfonce le clou lorsqu’il écrit dans Les ruelles de la conscience populaire :

« L’Egypte dans la mémoire de l’histoire/ Un jour fut pharaonique !/ Mais l’invocation des pharaons de l’histoire/ Ne saurait construire une œuvre pharaonique/ O peuple ! Sors donc des souvenirs touffus/ Avant que le présent ne te fuit !/ Nous savons désormais ce que nous fûmes/ Est donc venu le temps de démontrer/ Ce que nous sommes/ Car les descendants impuissants/ D’ancêtres puissants/ Sont souvent appelés décadents. »

Une jeunesse à laquelle on a fait croire qu’elle n’est rien, n’a rien, ne peut rien, un peuple qui s’agite sans agir, une Afrique en « lambeaux » qui a échoué, le massacre d’Aguel’hoc. Le tableau dressé par Zana Koné n’en demeure pas moins sombre dans ce recueil au lyrisme douloureux, mais qui ne s’accommode pas des lectures unanimes et « unamistes », du bien-pensisme, qui sont de mode quand il s’agit de parler de la société malienne.

L’être et la volonté, c’est aussi et avant tout un hommage poignant que l’auteur rend à Thomas Sankara, un des dignes fils d’Afrique, héritiers de Kwamé Nkrumah, Lumumba, Modibo Keïta. Sankara, « l’immortel » qui incarne aujourd’hui encore le progrès par sa volonté inébranlable à mettre son peuple sur le chemin du changement. C’est cette volonté de progrès qui fait défaut selon Zana Koné. Résultat : nos pays, en Afrique, restent englués dans l’entonnoir de la régression à force de rester en permanence dans le passé pour se soustraire au présent et donc à la réalité.

Boubacar Sangaré