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Mali : l’hydre Iyad AG Ghaly

Iyad Ag Ghali, Photo: militantvibes.com
Iyad Ag Ghali, Photo: militantvibes.com

Iyad Ag Ghaly, Abou Fadl de son nom de guerre, a créé l’émoi avec son apparition dans une vidéo, mise en ligne le 29 juillet sur les réseaux djihadistes. Il s’en prend à la France, l’ennemi qu’il s’est découvert, l’accusant d’être intervenue dans la région pour les richesses du sous-sol. Il appelle à la combattre. Celui que presque tout le monde disait mort, caché en Algérie vient de réussir un véritable exploit médiatique. Tout le monde en parle. Occasion inespérée pour faire parler de lui, de son mouvement Ansar Dine, pourtant estampillé terroriste et qui est à l’origine de l’attaque de la ville de Konna, en janvier 2013.

On le sait, ce que de nombreux terroristes de la classe d’Iyad ne perdent pas, c’est la volonté de poursuivre leur combat au nom d’une doctrine rétrograde, très dure, qui utilise la terreur contre tous. Mais il faut relever tout de suite que dans la vidéo, Iyad ne tient pas seulement un discours qui relève du terrorisme. En disant que la France est intervenue pour recoloniser la région et mettre la main sur les richesses (or, uranium…), il se met dans la peau d’un homme politique dont le but est de dire à ces peuples du Sahara (Peuls, Sonraï, Kel Tamachek, Arabes…) qu’ils sont en train d’être les dindons d’une farce qui se joue sous leurs yeux, chez eux et sans eux. Sauf qu’il ne trouvera pas d’oreille attentive, car il ne sert à rien de hurler au loup quand personne ne veut entendre, et surtout quand on est un homme avec un passif aussi lourd que celui d’Iyad. Cet homme a d’abord été une figure historique du mouvement rebelle malien, avant d’être nommé conseiller consulaire du Mali à Djeddah, en Arabie saoudite. Ensuite, il s’est rapproché des mouvements islamistes pour finalement créer Ansar Dine, mouvement touareg islamiste. C’est le 26 février 2013 que le département d’État des États-Unis le désigne comme étant un « terroriste mondial’’. Le rebelle touareg est donc devenu un djihadiste.

Iyad Ah Ghali est une hydre, un véritable mal dont il faut stopper le développement. Il a revendiqué des tirs de roquettes, et des attaques kamikazes qui ont fait des victimes au Nord, on s’en souvient. Il se propose d’installer la charia. Sous ce nouveau visage du djihadisme, Iyad envoie un message d’abord au Mali, ventre mou de la lutte contre le terrorisme, et accessoirement à la France dont les soldats ont détruit sa maison le 27 janvier 2013 dans les bombardements à Kidal.

La grande question qui demeure aujourd’hui : où est Iyad Ag Ghali ? Personne ne le sait. En janvier 2014, les services de renseignement français disaient qu’il se cachait probablement en Algérie. Son apparition dans cette vidéo finira de convaincre les Etats français et malien que c’est un ennemi dangereux, une menace qu’il est urgent d’écarter.

B. Sangaré


Mali : monologue du passager…

des passages dans des transports en commun au Mali, photo: Maliweb.org
Des passages dans des transports en commun au Mali, photo: Maliweb.org

Tu sais mon frère, le Malien est une grande gueule, et ça, ce n’est pas mon trip. Autrefois, on reprochait la même chose aux autres : Ivoiriens, Guinéens, Camerounais, et même à Ahmadinedjad. Tout le monde, de l’intérieur de cette voiture jusqu’en Chine, tout le monde sait qu’on s’est cassé la gueule. Et, au lieu de mettre le clignotant et de se ranger sur le bas côté, non, le Malien continue de donner dans le klaxon, faisant comme si les écailles ne lui sont pas encore tombées des yeux. Moi, je me prends la tête à deux mains quand je l’entends brailler, hurler son hostilité à la France. Je me dis que c’est couillon quoi, et je me demande ce qui se passe dans sa tête pour qu’il demande que la France parte, qu’elle en fait trop ou plus que ce qu’elle était sensée faire. Ce petit Malien qui a crié « A bas la France… ! », qui a demandé le boycott des produits français, qu’est-ce qu’il a fait ou pourra faire afin de combler le vide que la France laisserait si elle en venait à partir. Toi, tu sais ce qu’il a fait ? Moi, j’en sais rien. Ces jeunes, que sont-ils devenus, sinon des paquets de gros nuls. Leur truc, ce n’est que poser le thé, marcher dans les combines des voyous et salopards qui pillent l’Etat, faire la fiesta, et crier sur tous les toits qu’ils ont un diplôme, mais n’ont pas de travail, ignorant que le temps de l’Etat-providence est loin pour ne pas dire révolu, qu’aucun Etat ne peut donner du travail à tout le monde.

Toi, tu es jeune, mais que sais-tu faire, alors que tes égaux, tes semblables en Chine, au Japon font travailler leur matière grise pour fabriquer les jouets, les téléphones portables, et les moto-Djakarta pour lesquelles vous butez les uns les autres ici chaque jour. C’est désolant à dire, mais c’est comme ça.

Et le Malien, il est comme ça. Partout où il passe, il veut montrer à tout le monde qu’il est fier qu’il a un passé noble… mais il n’a rien pu quand son pays s’est déglingué sous ses yeux à une vitesse stratosphérique. Moi qui suis devant toi, j’ai vu le régime de Moussa Traoré tomber, et je peux te dire que c’était le plus minable régime que nous avons connu. C’est sous Moussa que des ignares étaient devenus commerçants import-export, les uns à cause de leur proximité avec la première dame Mariam, les autres parce qu’ils étaient assez proches de Moussa Traoré pour le surnommer Balla. Ces gens-là ont régné sur notre économie, ont vécu leur période de gloire, alors que les gens instruits comme toi tendaient la sébile, ce qui est inimaginable de nos jours.

C’est pourquoi, quand on dit qu’aujourd’hui le Mali a beaucoup avancé, il faut l’admettre. Les travailleurs ne passent plus 4 à 5 mois sans salaire, même si je suis d’accord avec toi que la situation actuelle est telle qu’une vache n’y retrouverait pas son veau. Mais, encore une fois, il faut vous écraser. Laissez-nous à nos ananas, foutez la paix à la France, et faites un effort pour comprendre que vous n’êtes rien, que vous êtes au milieu des fauves et que vous devez vous sentir petit chat. Faut que vous compreniez qu’un autre train est en route…

Je te donne un exemple tout simple. Notre langue vernaculaire la plus parlée, le bamanan, elle est parlée où, hormis dans nos familles, au coin de la rue dans nos grins où on se retrouve pour discuter entre amis, en sirotant le thé ? A la télé, au Conseil des ministres, sur ton acte de naissance, c’est en français. Tu envoies ton enfant à l’école, il réussit, et si tu lui rends visite un matin à son bureau, malheur à toi si tu dis « Aw ni Sogoma, au lieu de dire bonjour ! » Ces trois mots en bamanan te privent de toute considération. Tu n’auras plus qu’à regarder ton fils sourire à celui qui aura dit « Bonjour ! ». Tu peux ne pas être d’accord avec moi, mais c’est comme ça !
Boubacar Sangaré


Intagrist El Ansari a répondu à l’appel du désert

photo: Intagrist El Ansari
photo: Intagrist El Ansari

Marcher, marcher…, « marcher rejoindre le désert saharien ». Marcher encore pour « parcourir et vivre le chemin » qui mène à sa destination. De Paris à l’Espagne, via le Maroc et Tamanrasset, le romancier Intagrist El Ansari a largué les amarres de sa vie parisienne, sédentaire, pour observer cette « loi du désert » si chère aux Touaregs : le nomadisme. Par voie terrestre, il a relié Paris à Tombouctou en un fascinant périple qu’il relate dans son premier livre Echo saharien : l’inconsolable nostalgie (1), préfacé par l’écrivain mauritanien Mbarek Ould Beyrouk.

Le sujet du livre, on l’aura compris, est donc le Sahara, cette immensité désertique, que l’auteur ne commence à célébrer qu’à partir de Ménaka, cette ville touarègue localisée à  1500 kilomètres au nord-est de Bamako.

« … mon expédition ne prendra sens qu’en m’enfonçant dans l’immensité désertique… », écrit-il.

Aussi se glisse-t-il dans le désert pour retrouver la « liberté perdue en tombant dans la sédentarisation ». Il y rencontre en chemin, comme à Tamanrasset dans le désert algérien, des personnes qui ont leur propre histoire, y passe soirée mémorable dans un village. Extrait :

« Ce soir-là j’ai appréhendé ce qu’un ami m’avait dit en cours de route, en venant à Tam : « La grâce, je n’ai compris ce que c’est qu’en venant à Tamanrasset. ‘’ Ce soir, à mon tour, j’avais pénétré ce que j’avais toujours ressenti comme un manque, mais que je ne parvenais pas à nommer !
Touché par la grâce qui régnait et qui émanait du public, je me suis approché du marié, lui demandant de me raconter son histoire…’’ Je suis venu à Tam pour la première fois l’an dernier’’, m’a-t-il dit, avant de poursuivre : « J’y suis resté deux mois, j’ai rencontré ma femme. J’ai eu beaucoup de mal à repartir d’ici… Et en repartant chez moi, à Kidal, je ne suis pas parvenu à tenir en place, là-bas… Je suis alors revenu me marier avec elle, et nous repartirons d’ici, ensemble, dans quelques jours… »

Mais ce voyage, effectué entre 2009 et 2011, outre le fait qu’il célèbre le désert, répondait aussi chez l’auteur à un besoin d’aller à la recherche de ses racines. En effet, Intagrist retourne sur la terre de ses ancêtres, les premiers membres de la tribu des Kel Ansar établis à Tombouctou depuis le 16 e siècle.

Intagrist El Ansari est journaliste malien. Il est réalisateur et reporter.

(1) Echo saharien : l’inconsolable nostalgie, Intagrist El Ansari, préface de Beyrouk, Editions Langlois Cécile, Montgeron, Essonne, Prix 17 euros

 https://www.editionslangloiscecile.fr

Bokar Sangaré


« La France ne mourra pas tant que… »

 

Elle arrangea sa perruque, les yeux pétillants derrière ses lunettes de vue. Elle expliquait un poème « Mourir de soif de faim » du poète malien Hamadoun Ibrahima Isseberé, tiré de son recueil Les Boutures du soleil. La professeur s’est laissée aller à dire que si dans nos pays si riches nous continuons à mourir de soif et de faim, c’est que le colonisateur vaut mieux que nos dirigeants actuels. Que…

« La France est une puissance en déclin. Elle devient de plus en plus féroce. Une puissance par nature est féroce, à plus forte raison une puissance en déclin. Aujourd’hui, la France n’a rien, rien! Quiconque se met sur son passage elle l’écrase. Vous savez, c’est maintenant que le Niger commence à profiter de son uranium. Et le Mali ne peut pas résister. On n’a pas le choix et on ferait mieux d’abandonner notre fierté  »malienne » mal placée.

Mais la France ne mourra pas tant que ses ex-colonies existent. Tant que le Mali, le Congo, le Niger, la Côte d’Ivoire… ne meurent pas, la France ne mourra pas. »

Bokar Sangaré


Mali : partira, partira pas ?

Moussa Mara, Premier Ministre du Mali, photo: news.abamako.com
Moussa Mara, premier ministre du Mali, photo: news.abamako.com

Quatre mois après sa nomination à la tête de l’exécutif, les projecteurs de l’actualité sont braqués sur Moussa Mara. Pas un seul jour ne passe sans qu’on ne parle de lui dans une presse partagée entre ses contempteurs et ses défenseurs. Certains évoquent même son imminent départ de la primature. Partira, partira pas ?

C’était inévitable. Le premier ministre Moussa Mara fait la Une des gazettes au Mali. Il se dit et s’écrit tellement de choses à son propos que l’observateur un tant soit peu averti ressent l’envie de se pincer le nez devant l’impressionnante somme d’articles sur le même sujet. Des articles dans lesquels se trouvent tous les ingrédients d’un récit kafkaïen.

Beaucoup ont jugé Moussa responsable de la dégradation de la situation à Kidal, où l’armée malienne a subi une tannée terrible à l’occasion de sa visite qui a été jugée inopportune, impréparée, visqueuse, et dont les conséquences ont été désastreuses. Les critiques ont fusé. On le disait populiste, dur d’oreille, enclin à la « bravitude ». Nombreux sont ceux qui lui en tiennent encore rigueur. Ils ne lui pardonnent pas de s’être rendu à Kidal.

Mais il n’y a pas que ça. Ce qu’on ne dit pas assez, c’est qu’au sein du RPM, parti politique d’IBK, certains pontes ont encore du mal à accepter le choix du « boss » d’avoir porté Moussa Mara à la tête de l’exécutif. En choisissant Mara, IBK en a pris plus d’un au dépourvu au sein de son parti, où le souhait le plus partagé était de voir le premier ministre sortir des rangs du parti. Un souhait dont ils n’ont jamais fait mystère, témoin l’acharnement auquel ils ont soumis le premier ministre apolitique Oumar Tatam qui a fini par démissionner. En effet, Tatam Ly, qui a reçu des commentaires bienveillants dans la presse, avait été présenté comme une sorte de gibier capturé au cours d’une battue organisée par des pontes du parti d’IBK, le RMP. Une battue en prévision de laquelle beaucoup de chiens avaient été dressés. Le gibier a donc quitté le bois et a été neutralisé. Après donc sept mois à la tête de l’exécutif, le banquier n’avait pas tardé à établir la différence entre le travail dans une institution financière et celui au sein d’un gouvernement dont certains membres sont tout, sauf un troupeau docile.

Au sein du RPM, après Tatam Ly, on voulait un premier ministre qui soit politique, mais pas n’importe lequel : un des leurs. Et si IBK, encore une fois, est allé à la pêche d’un premier ministre hors des murs de sa famille politique, on est en droit de dire qu’il y a baleine sous le gravier. Certains observateurs y ont décelé une sorte de désaveu d’IBK vis-à-vis de ses camarades du RMP, lesquels, de leur côté, ont parlé d’une entorse à la démocratie.

Aujourd’hui, il existe entre Moussa Mara et certains pontes ou apparatchiks du RPM comme une sorte de guerre froide, qui a fini par migrer dans la presse où les deux camps ont trouvé des « avocats de second ordre ».

Ainsi, dans un récent article « Primature ou mosquée ? », qui contient une bonne dose de naïveté, le journal « La Révélation » s’en prend à Moussa Mara, qui est présenté comme un vulgaire opportuniste, un P.M. inexpérimenté, dont les visites de travail hors de Bamako ont l’allure d’une campagne électorale où il « offre en son propre du sucre, des tee-shirts et des copies du coran aux populations locales ». Un P.M. qu’IBK ne garderait que malgré lui… Autant dire que c’est un article déséquilibré, qui n’a pas demandé plus d’une heure de peine, et dont on se demande si celui qui l’a commis n’est pas un… journaliste alimentaire.

Moussa partira ou ne partira pas ? La question reste posée, et les jours à venir nous édifieront davantage. Mais, une chose est sûre, c’est qu’en se débarrassant de Mara, IBK va prêter le flanc aux critiques et confortera ceux qui ne veulent pas entendre parler d’un départ de Mara, et selon lesquels « IBK a peur que Mara ne lui fasse de l’ombre ».

Bokar Sangaré


Mali : ni Azawad, ni autonomie, ni indépendance…

photo: springtimeofnations.blogspot.com
photo: springtimeofnations.blogspot.com

Dans la vie d’une nation, il est des moments où tout va mal, tout, et tout le monde s’en rend compte, du plus vieux au dernier-né, générant ainsi une sorte de « panique au pays » qui profite aux prophètes de malheur de tout poil. La période que le Mali traverse depuis longtemps maintenant ne fait pas exception. C’est une sorte de période ‘’roman’’, faite de péripéties terribles pour tout un peuple offensé dans sa dignité, son amour-propre, et à qui on a pu éviter de sombrer dans le pessimisme, d’acquérir un état d’esprit sceptique qui lui fait croire chaque jour davantage à la Nakba, oui, c’est le terme, car comment qualifier autrement la partition d’un pays ?

La situation du Mali, c’est un fait, ne porte pas à l’optimisme. Nous connaissons le pouvoir malien, nous le savons d’une faiblesse vertigineuse qui le rend incapable de décisions précises- c’était le cas jusqu’à maintenant- concernant la question du nord du pays où sa voix ne porte plus, son autorité s’est effritée au moment où l’armée nationale y a cédé devant l’implacable rouleau compresseur des groupes rebelles armés MNLA, HCUA, MAA…, dont les drapeaux flottent, outre Kidal, sur Djebock, à 45 km de Gao, sur Ber, à 53 km de Tombouctou. Inutile de dire que le statu quo au nord frise l’inacceptable, et que celui Sud n’en demeure pas moins une raison pour retirer sa confiance aux détenteurs actuels des leviers du pouvoir. Parce qu’il y a eu un vote, un plébiscite, avec 77 % des suffrages exprimés pour IBK, pour restaurer l’ordre politique et l’Etat. Un Etat solide, comme jamais il n’a été, qui n’aura aucune commune mesure avec celui que nous avons maintenant, compartimenté, coupé en deux, avec une partie qui semble couler comme de l’eau entre les doigts du pouvoir.

La presse locale parle, tous les jours, et dans tous les sens, des pourparlers inclusifs qui démarreront à Alger le 16 juillet prochain, entre le gouvernement malien et les groupes rebelles armés (HCUA, MNLA, MAA…) et d’autodéfense. C’est une presse qui est vent debout, qui s’interroge sans cesse par rapport à cette question des négociations, et, plus important encore, s’avance jusqu’à placer le président Keïta au centre des critiques, lui reprochant une gestion de l’Etat, à la diable, d’une opacité rare, dénonçant la mise sur pied d’une oligarchie. Au point que le slogan de campagne « Le Mali d’abord ! » a été détourné en « La famille d’abord ! ».

Force est de constater qu’au Mali, la presse fait plus de politique que la politique elle-même qui, à propos des pourparlers, s’est installée jusqu’ici dans le mutisme. Il aura fallu que le Parena, et oui, encore ce parti, on se souvient du mémorandum polémique sur les sept premiers mois du quinquennat du président de la République, au grand soulagement de beaucoup, ne brise la glace lors de sa conférence de presse donnée le samedi dernier par son président sur la « Situation politique nationale : comment sortir de l’impasse ? » Le parti du bélier blanc propose la réunion d’ « une Table ronde majorité/opposition élargie aux autres forces vives du pays pour élaborer une Plateforme et une vision malienne qui seront défendues par les négociateurs du gouvernement » et « l’élection des gouverneurs de toutes les régions du Mali par des assemblées régionales élues à la proportionnelle et disposant de réelles compétences dans le cadre du principe démocratique de la libre administration des collectivités territoriales ».

Bien entendu, la perspective de la tenue des pourparlers à Alger n’a pas laissé l’opinion indifférente. Elle vaut aujourd’hui à ce pays d’être criblé de reproches, d’accusations qui ne sont pas gratuites pour la plupart. C’est vrai, il est impossible de garder la tête froide à la veille de ces négociations, surtout après la lecture du « document de projet d’institutions pour un statut particulier de l’Azawad », signé respectivement par Bilal Ag Achérif, Alghabass Ag Intallah et Sidi Ibrahim Ould Sidati. Dans ce document, dont la presse s’est fait l’écho, il est parlé de doter l’Azawad d’institutions, ce qui débouche sur « une collectivité qui remplacera Tombouctou, Gao, Kidal et leurs cercles » avec une autonomie de gestion.

Les groupes armés ne méritent pas d’être autorisés, mais ils font partie du champ médiatique national et international. Que le gouvernement malien accepte de négocier avec eux, qu’on le veuille ou non, ne doit pas jeter aux mites ces différentes interrogations:

Une autonomie pour faire quoi ? Pour faire bande à part dans un pays qui craque de partout, dans un pays où la démocratie et l’Etat de droit constituent encore un problème de fond ? Une autonomie parce qu’il s’agit d’une région qui révèle de potentiels extractifs en minerais, pétrole, gaz, gisements de terres rares, etc. Une autonomie parce que la communauté et quelques idiots spécialisés ou spécialistes ès charabia ont été assez dupes de croire à ce discours séparatiste selon lequel le Nord a été sciemment maintenu dans le sous-développement ?

Alors qu’on sait pertinemment qu’au Mali, de Kayes à Kidal, les systèmes éducatif, culturel… se désagrègent. Partout, c’était la même politique de démission qui a été menée. Et si les groupes rebelles pensent qu’avec l’autonomie ils pourront relever seuls ces défis, c’est qu’ils sont politiquement immatures.

Enfin, pour finir, le MNLA n’est, et n’a toujours été qu’un groupe Facebook, avec un projet constitué par des étrangers. Ce groupe armé n’est constitué que d’une poignée d’individus qui ne représentent qu’eux-mêmes. Les « rebelles » du MNLA ne sont pas des Messies, c’est pourquoi la majorité des Touareg les évitent, comme on regarde une merde sous sa semelle.

Boubacar Sangaré

HCUA : Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad

MAA : Mouvement arabe de l’Azawad

MNLA : Mouvement national de libération de  l’Azawad

Parena : Parti pour la renaissance nationale


Mali : qu’on se le dise, c’est l’échec d’une Nation !

 

Mme Togola Marie Jacqueline, ministre de l'Education nationale malienne, photo : mali-web.org
Mme Togola Marie Jacqueline, ministre de l’Education nationale malienne, photo : mali-web.org

La presse locale et l’opinion publique n’en finissent pas de s’enflammer. Cette affaire charrie la colère, les accusations et les interpellations. Une fois n’est pas coutume, et pourtant ! Les sujets des examens scolaires nationaux ont fait fuite, mettant dans l’embarras le département de l’éducation qui avait garanti que, cette année, toutes les dispositions avaient été prises pour parer à toute éventualité. Une bien petite naïveté, car c’était sans compter sur la mafia de corrupteurs tapis dans l’ombre dans le département, dans les académies… et qui, chaque année, vendent des sujets d’examens nationaux. Cette chaîne va du département de l’éducation aux académies d’enseignement, en passant par les établissements secondaires.

Chaque année, les sujets font fuite, circulent dans les salons, les rues, entre les quartiers, sont envoyés par SMS, sont polycopiés dans les cybercafés avant même la date des épreuves. Tout le monde le sait depuis bientôt une décennie. Le phénomène gagnait en ampleur, était devenu un fait commun et banal pour ne pas dire une réalité qui dépasse tout le monde. Presque tous ceux qui ont eu à gérer ce département ont été confrontés à ce phénomène de honte.

Quand l’opposition argue que le président Keita a placé son régime sous le signe du changement, donc que de tels événements ne devraient pas se produire, elle joue son rôle, il est vrai. Mais, elle a cédé trop vite à la facilité en parlant de l’incompétence de Moussa Mara et sa ministre de l’Education. L’opposition a cédé à la facilité, car elle s’est refusée à toute réflexion nécessaire à propos de cette affaire.

Des sanctions vont tomber, les premières ont déjà été prononcées.

Cependant, rappelons que la fuite des sujets d’examens scolaires pose tout simplement la question de ce qui reste de nos valeurs ancestrales. Quelles valeurs dans une société en situation de faillite, en état de décomposition morale et intellectuelle avancée ? Une société qui poursuit sa terrible marche à reculons. Il faut convenir avec K. Selim, l’éditorialiste vedette du Quotidien d’Oran, qu’ : « Une société n’est jamais immobile, elle est en mouvement. Mais le cadre dans lequel elle évolue influe sur la direction de ce mouvement. Cela peut-être un mouvement vers l’avant ou la créativité et la solidarité des femmes et des hommes s’expriment sur la base d’un patriotisme historique. Cela peut également – et les exemples ne manquent pas- être un mouvement régressif ou l’idéal national s’étiole au profit du  » localisme »…(1) ».

Au Mali, la société est en mouvement mais régressif : laisser-aller général, misère dans les familles et les hôpitaux, chômage du père, des fils et des filles…

Cette affaire de fraude dans les examens scolaires n’est que le symptôme d’un Mali contaminé d’abord par les salopards et les voyous, et ensuite par une bourgeoisie cossue qui veut tout subjuguer convaincue que l’avenir du pays ne peut et ne doit reposer que sur ses propres enfants. Des enfants pour lesquels elle est prête à tout. Une bourgeoisie qui ignore que « ceux qui trichent dans la vie ne savent pas où ils vont (2) ».

Dans cette affaire, il y a un constat d’échec à faire par tout un chacun. C’est toute une nation qui a échoué. N’oublions pas qu’il y a ceux qui vendent les sujets et qu’il y a ceux qui les achètent !

(1) Ghardaïa, pourquoi ? K. Selim, Le Quotidien d’Oran
(2) Les Frasques d’Ebinto, Amadou Koné (roman)

Boubacar Sangaré


Enterré comme un chien

photo: malijet.com
photo: malijet.com

Après-midi ensoleillé. Début du ramadan, La famille Coulibaly s’apprête à mettre sous terre un de ses fils. Dans la famille, dans la rue, pas de pleurs, pas de cris de colère. Les visages ne sont pas tendus, aucune bâche n’est dressée pour accueillir les voisins et amis qui viendront faire des bénédictions… Rien, absolument rien, de ce qui indique qu’un décès est survenu. Seule pleure Awa, la sœur du disparu.

La tombe est prête, le corps est déjà enseveli. Il n’y a pas foule, quelques jeunes du quartier et pas plus de trois vieillards, dont le père du défunt. Il n’a pas reçu la prière des morts. Personne ne priera sur lui, personne, car il n’a jamais posé son front contre la terre pour prier Allah. Il n’est pas musulman. Voilà pourquoi ni l’imam, ni les fidèles de la mosquée ne sont venus.

Son petit frère Salif et un ami discutent ferme :

« C’est ce qui est bien pour les gens comme lui qui ne sont pas sincères avec la prière! », dit Salif.

On l’appelait Wara (le lion), sobriquet qu’il s’était lui-même donné. C’était un soulard confirmé, indécrottable. Chaque soir, il buvait comme un trou, urinait et chiait dans son froc, venait s’arrêter devant la famille pour divaguer, proférer des insanités. Il était connu pour être un « Esprit rebelle », avait juré de ne jamais se courber pour prier. Il ne répondait jamais à un « assalamalek« . Pour son père, un homme parmi les fidèles respectés et respectables du quartier, pour toute la famille, Wara est une salissure, une honte pour leur nom.

Au cimetière, un silence abyssal règne sur la foule. On a du mal à en croire nos yeux et nos oreilles. Le corps de Wara a été descendu dans la tombe, ensuite couvert de boue. Aucune prière n’a été récitée. Wara n’est pas musulman, il ne le mérite pas. Les visages ont commencé à être serrés, les cœurs meurtris. Wara a été enterré comme un inconnu, un malpropre, un impie, un mécréant.

Quelques instants plus tard, son père s’est adressé aux jeunes qui étaient là :

« Il n’a eu que ce qu’il mérite. N’est pas musulman qui ne prie pas ! Voilà le sort qui attend ceux parmi vous qui ont relégué la religion au second plan. Wara n’a jamais prié, et donc on ne priera pas sur lui. Vous êtes tous avertis… »

Hochements de tête, yeux obscurcis par la colère, sourires d’incrédulité, qui mutent en sensation de dégoût, dégoût de la vie et de tout ce qui la compose. Dégoût d’être un homme, un fils d’Adam qui sera un jour ou un autre mangé par la mort, et qu’on enterrera selon qu’il est musulman, chrétien ou pas. Wara a vécu et est mort pour rien !

Un ami de Wara, indigné, n’a pas hésité à exprimer son désaccord.

« Si Wara était riche, il ne serait pas enterré comme un chien ! Même l’imam serait là sans se faire prier. »

Boubacar Sangaré


Mondial 2014 : Les Grecs, l’antithèse des Ghanéens et des Camerounais

Brésil 2014 Colombie-Grèce, photo: www.africatopsports.com

Brésil 2014 Colombie-Grèce, photo: www.africatopsports.com

Quelle coupe du monde ! Plus riche en péripéties qu’en bons et agréables matchs! Alors que les Black Stars du Ghana et les Lions indomptables du Cameroun défrayent la chronique avec des querelles entre joueurs, insultent l’entraineur et les journalistes, et réclament leurs primes, la sélection grecque, elle, après sa fracassante qualification pour les 8èmes de finale aux dépens de la Cote d’Ivoire, fait à nouveau parler d’elle, et pour le meilleur

En effet, les hommes de l’entraineur portugais Fernando Santos ont fait savoir à leur fédération qu’ils renonçaient à encaisser leurs primes de qualification pour les 8èmes de finale.

«Nous ne jouons que pour la Grèce et le peuple grec. Tout ce que nous attendons de vous, c’est une aide pour trouver un endroit et y construire un centre d’entrainement pour notre équipe nationale », était-il écrit dans la lettre. Une manière pour eux, selon l’interprétation la plus partagée, de manifester leur solidarité vis-à-vis de leur pays, la Grèce, qui a sombré depuis 2010 dans une crise de la dette publique, amenant ainsi les pays de la zone euro et le FMI à lui accorder un prêt de 550 milliards de dollars, à la condition que l’État grec pratique un ajustement structurel.

Le geste des joueurs grecs est considéré comme grand. Leur décision leur vaut d’être placés plus haut dans la  » balance du patriotisme » que les Ghanéens et les Camerounais. Tous ceux qui en veulent à ces deux équipes africaines n’ont pas manqué de déclarer leur sympathie pour les Grecs, devenus illico presto les représentants des joueurs patriotiques, qui ne sont ni cupides ni voraces. Des joueurs qui veulent mouiller le maillot au nom de l’amour qu’il porte à leur pays sont des exemples que devraient suivre les équipes du Ghana et du Cameroun dont les joueurs se sont plus distingués pour des histoires de primes que sur le terrain.

Les Blacks Stars et les Lions indomptables, les guignols du Mondial 2014

En 2010, en Afrique du Sud, l’équipe de France a offert à la planète foot un véritable feuilleton avec la fameuse grève de l’entrainement, les insultes dans le vestiaire, entre autres histoires. Tant et si bien que les joueurs étaient devenus un sujet de rigolade: des guignols.
Au Brésil, cette année, les Black Stars ont été guignoleux. Histoire de primes, Kevin Boateng insulte le coach Kouassi Appiah, les membres de la délégation en viennent aux mains, refus de s’entrainer, Gyan Asamoah qui insulte le journaliste Olivier Pron de RFI… avant de sortir face au Portugal un football digne de  » joueurs arrivés au terme de leur période d’utilité« , pour reprendre le journaliste J. Remingono. Une équipe mauvaise, défensivement, s’entend. Un triste bilan, puisque pour mémoire, le Ghana s’était arrêté à l’étape des quarts de finale à la coupe du monde 2010 en RSA. Une triste image.

Par ailleurs, les Lions indomptables du Cameroun ont, eux aussi, offert un spectacle guignolesque. Après l’affaire des primes, la bagarre en plein match entre Benoit Assou Ekoto et son partenaire a jeté la honte sur tout le Cameroun.

 

 bagarre assou ekotto monkandjo, photo: newsdusport.com

bagarre assou ekotto monkandjo, photo: newsdusport.com

Bien entendu, on peut être d’accord avec cette mise au point du blogueur et écrivain camerounais Florian N’gimbis:

«Pourquoi lorsqu’on parle de patriotisme, on en demande toujours plus aux sportifs, aux musiciens et autres artistes et non au fonctionnaire lambda ou au dirigeant x ? C’est simple : leur aura et leur talent ne sert qu’à cautionner le vol de hautes personnalités cachées dans l’ombre et qui les utilisent comme des marionnettes pour servir de caution à leur cupidité, leur avidité, leur malhonnêteté. Créateurs de richesses qu’ils ne mangent pas, voilà leur « devoir ».
Quel industriel camerounais parce que milliardaire laisserait quelqu’un s’emparer de son bien dans ce Cameroun ? Quel ministre parce qu’assis sur des monceaux d’argent acquis de façon plus ou moins licite laisserait quelqu’un s’accaparer de « son cinq francs » ? Œil pour œil, dent pour dent, les Lions ont compris la leçon. »

Personne, absolument personne, n’a le droit de demander à ces joueurs de renoncer à leur prime sous prétexte que leur pays est pauvre et misérable. Non, ça n’a rien à voir. Apres avoir joué, on doit avoir  » droit à son droit ».

Cependant, impossible de ne pas reconnaître qu’il y a bel et bien lieu d’établir une comparaison entre les Grecs et les Camerounais et Ghanéens. C’est légitime car les Grecs ont renoncé à leur prime après s’être qualifiés pour le second tour, alors que les Camerounais et Ghanéens n’ont pu gagner aucun match. En voyant la suffisance, l’attitude de gouape qu’ont certains joueurs de ces 2 formations, on se dit qu’ils ne sont que des sales gosses qui n’ont nul respect pour le maillot de l’équipe nationale, et donc qu’ils ne méritent pas d’être où ils sont. Des sales gosses qui revendiquent des primes, mais marquent contre leur camp comme John Boye, ou prennent un deuxième but qui les élimine. Des sales gosses qui, au lieu de battre la Croatie, se battent entre eux!

Les piètres joueurs font toujours de piètres équipes!

Boubacar Sangaré


Le jour où je suis rentré chez moi sans ma moto

Arrestation d'un voleur de moto à Kayes (Mali) photo: www.kayesinfo.net

Arrestation d’un voleur de moto à Kayes (Mali) photo: www.kayesinfo.net

Que toutes les femmes du monde me pardonnent d’avoir dit cela: celle qui met au monde un voleur aurait dû accoucher d’une merde à sa place! Et je n’ai que faire de la colère qu’éprouveront quelques adeptes du bien-pensisme qui me diront qu’un voleur est après tout un homme, et donc qu’avoir pour lui un minimum d’humanité ne fait de mal à personne. Pour moi, un voleur ne vaut pas d’être un homme.

Jeudi 12 juin. Faculté des Lettres de Bamako. Le cours de grammaire de texte vient d’être interrompu, nous sommes libres de rentrer à la maison. Je récupère ma moto au parking avec l’intention de rentrer, mais j’ai pensé à faire un tour au Décanat pour retirer mon diplôme de DEUG II (Lettres modernes). Je gare ma moto devant le Décanat, avec plusieurs autres motos, avant de monter au premier étage avec un camarade étudiant.

Là-bas, il nous a été signifié que ledit diplôme n’est pas encore disponible. En descendant l’escalier je jette un regard vers l’endroit où j’ai gare ma moto: elle n’y est plus. Je presse le pas, complètement affolé. Effectivement ma moto n’est plus là. Je ne me faisais aucune illusion, elle a été volée, c’est tout. Interrogés, les gardiens et étudiants qui se trouvaient là ont répondu qu’ils ne savent rien.

Pris de panique, je ne savais que faire, une sarabande d’idées se bousculait dans ma tête. Je n’en revenais pas, je me croyais en plein scenario d’un film dont j’étais le héros. Je refusais de voir, d’admettre, de réaliser ce qui m’arrivait, et me disais , comme pour me convaincre moi-même, que non ma moto ne peut pas avoir été volée, que je viens de la payer il y a seulement 5 mois, que mon père a bataillé dur pour l’avoir. Qu’il n’était pas question qu’un « bâtard de bâtardise », pour reprendre Ahmadou Kourouma dans « Les Soleils des Indépendances », me la pique comme ça… Et pourtant, devant le Décanat, il n’y avait plus nulle part trace de ma moto. Et pourtant, il ne me restait que la clef. Et pourtant, tous ceux qui étaient là refusaient de croiser mon regard. Mon ami étudiant Salebou m’a pris sur sa moto pour faire le tour des mille et un parkings qui sont sur la colline du savoir (l’ensemble des universités de Bamako). L’espérance de la retrouver s’effaçait au fur et à mesure que le soleil avançait dans le ciel.

« Peut être que tu ne le sais pas, sinon tous les jours une moto est volée devant le Décanat ! Chaque jour ! Nous-mêmes, on ne sait plus que dire », m’a confié un ami étudiant, membre de la sulfureuse Association des Elèves et Etudiants du Mali (AEEM), avant de me conseiller d’aller faire une déclaration à la Police.

« Les voleurs, ce sont vous-mêmes les étudiants. Presque chaque jour un étudiant vient faire une déclaration de perte pour sa moto, son téléphone… Que voulez-vous qu’on fasse quand les voleurs c’est vous ? », me dit, en colère, une policière au commissariat du 4ème arrondissement. Je fais ma déclaration et l’enregistre chez le chef de la Brigade de recherche, sans la moindre lueur d’espoir de retrouver ma moto.

« Où est ta moto? », me demande ma mère. Je lui réponds en lui montrant la clef. Des insultes, imprécations, reproches ont commencé à pleuvoir comme vache qui pisse sur moi.

Qu’inspire cet événement qui a toutes les allures d’un mélodrame ? Rien que ce que je ne savais déjà. C’est-à-dire que, dans ce pays, les universités sont tout, sauf des Universités. Ce ne sont que des océans de médiocrité, d’amoralité et que sais-je encore, où l’imbécilité est programmée, où on ne sait pas qui est qui ou quoi. Ce sont aussi des nids de voleurs, braqueurs et autres brochettes de fripouilles, qui se sont constitués en véritable réseaux et opèrent en toute impunité au sein des Facultés. Leur cible privilégiée ? La moto Jakarta. Ils sont spécialistes du vol de Jakarta ! Celui qui a volé ma moto m’a tué. Le vol n’est pas un délit, mais un crime. Tout voleur est un criminel, un homme qui ne vaut pas d’être un homme. Voler quelqu’un, c’est comme le buter.

Après mon P.C cassé dans l’accident, c’est ma moto qu’on m’a piqué. Je régresse, tandis que les autres vont de l’avant. Sans P.C, sans moto, la vie pour moi n’a plus de sel, même si je vivais avant de les acquérir. L’implacable rouleau compresseur de la régression, du retour à la case départ. De quoi aviver en moi l’irrépressible envie de partir, de faire mon deuil des études, d’abandonner, dire adieu à cette université qui n’est pas plus qu’un cul de sac. Partir…peut être pour le Maghreb, l’Algérie, le Maroc…

Bokar Sangaré


Mali: insoutenable vie d’étudiant

A l'amphi de 1000 places, Facultés des Lettres, des Langues et des Sciences du Langage Photo: maliactu.net

A l’amphi de 1000 places, Facultés des Lettres, des Langues et des Sciences du Langage Photo: maliactu.net

La vie d’étudiant, c’est apprendre à affronter les péripéties et vicissitudes qui entrelardent la vie courante. C’est supporter les difficultés financières et matérielles, la faim, le manque de sommeil, les humiliations… Ce sont des situations à traverser avec philosophie. C’est bien sûr l’espoir que demain, une fois le diplôme en poche, le meilleur viendra. Qu’ « après la pluie, le beau temps ». Que le bonheur n’ouvre jamais ses bras à une tête qui n’a pas connu la souffrance.

Les difficultés de la vie d’étudiant, les grands titres de la presse locale ne s’y intéressent que très peu. On ne sait pas pourquoi. Si quelqu’un choisit d’en parler, c’est le plus souvent un entrefilet. Pas de trace d’un témoignage d’étudiant. Aucune responsabilité n’est située. Chaque année, l’octroi des trousseaux et bourses pose problème et fait grand bruit dans les universités et grandes écoles maliennes. Dans les amphis, au Campus, un vent de colère et de déception souffle régulièrement sur nombre d’étudiants. J’ai déjà consacré de nombreuses chroniques à ce constat récurrent.

Chaque année, le modique trousseau de 35 000 et quelques francs CFA, alloué à tous les étudiants réguliers, qui devrait être payé avant la reprise des cours, n’est le plus souvent perçu par les étudiants qu’à la fin de l’année académique. Les bourses sont, quant à elles, sont payées avec 4 à 5 mois de retard.

Cette année ne fait pas exception. A l’Université des Lettres, des Langues et des Sciences du langage, cela fait 3 mois que les étudiants n’ont rien perçu, pas même les trousseaux. Ce véritable dysfonctionnement ne date pas d’aujourd’hui. Il s’agit même d’une composante naturelle de la planète universitaire malienne. Les étudiants s’y sont habitués et n’en font presque plus un problème… Sans trousseau, sans bourse, ils reprennent le chemin des amphis, payent les frais d’inscription, les brochures et autres copies des cours, les chambres sur les campus, la nourriture. Ni le ministère de l’Enseignement supérieur, ni le Centre National des Œuvres Universitaires (Cenou) ne semblent chercher à résoudre ce retard chronique. Plus grave encore, ils se distinguent par leur déficit de communication sur ce problème. Ils abandonnent les étudiants à eux-mêmes, à la merci des difficultés. Comme si cela était normal. Comme si étudier rimait avec galérer.

La bancarisation des bourses, la réforme-division de l’université de Bamako en 4 grandes entités – avaient donné l’espoir aux étudiants que ces failles allaient être balayées tout de go. Mais il est ahurissant, mais vraiment ahurissant, de constater qu’on en est toujours au statu quo. Il n’y a eu aucune éclaircie dans le ciel brumeux et triste de l’enseignement supérieur. Toujours les mêmes difficultés, toujours les mêmes revendications. Celles des étudiants. Celles des profs. Arriérés d’heures supplémentaires, renouvellement des administrations des universités…

N’oublions pas que la non satisfaction de ces revendications en 2011 avait provoqué grèves illimitées, arrêt des activités pédagogiques, refus de corriger les examens, rétention des notes, blocage des concours par les enseignants. Une année blanche.

L’insoutenable vie d’étudiant impacte le mental. Elle décourage, parfois jusqu’à l’abandon. L’avenir de l’enseignement supérieur malien est en jeu.

Bokar Sangaré


Rap : « Dieu a-t-il oublié les Noirs ? »

Master Soumy, Digalo et Mylmo photo: Bamada-city.com
Master Soumy, Digalo et Mylmo photo: Bamada-city.com

« S’ils viennent activer du feu sur notre terre, c’est qu’ils vivent du sang versé de nos guerres. Mon Afrique crie au secours, douleurs et peines. L’Union africaine financée par l’européenne. Toujours trahie par ses frères, c’est Africa. Thomas Sankara, Lumumba… »

« Ils », c’est « homme blanc », l’Occident, qui est criblé de reproches, mis au banc des accusés dans le single enregistré par trois jeunes rappeurs, trois pointures du rap malien : Master Soumy, Mylmo et Digalo qui se nomme lui-même « la voix d’or ». Pompier pyromane, c’est le titre qu’ils ont choisi.
Les rappeurs accusent l’Occident d’être celui qui allume le feu en Afrique pour venir l’éteindre ensuite. Ils l’accusent d’être responsable des guerres, soulèvements populaires, rébellions et assassinats politiques… qui ont agité, et agitent encore, le continent africain.

« Pompier pyromane ! Tu as poussé Kadhafi dans le dos, étouffé les Libyens, accaparé tout le pétrole de Tripoli/ Tu es entré en Tunisie, a mis de l’huile sur le feu et Ben Ali est parti en marathon/ Depuis que tu es venu au Nord, tu as remonté le MNLA contre nous, sinon au temps de Moussa Traoré nous nous ne négocions pas avec les rebelles/ Tu as mis la peau de banane sous les pieds de Djotodia à Bangui, pompier pyromane, appui des anti-balaka/ Pompier pyromane c’est toi qui a morcelé le Soudan, en amplifiant la tension entre El Béchir et Salva Kir… (traduction libre)»

On voit sans mal que dans ce couplet, le trophée de la déstabilisation est décerné à l’Occident qui, aux yeux des rappeurs, n’est pas étranger à la chute et la mort du Guide de la Jamahiriya libyenne, Khadafi, aux soulèvements populaires qui ont secoué nombre de pays du monde arabe, notamment la Tunisie et l’Egypte, à la rébellion label MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) devenue un caillou dans la chaussure des Maliens…

Cependant, ce single est un couteau à double tranchant. Il n’épargne personne, pas même les Noirs. Les rappeurs reprochent aux Noirs leur aveuglement, leur manque de discernement et de dignité.
Master Soumy décrit les Noirs, les Africains, comme les rois du farniente.

« Question-réponse : Dieu nous (les Noirs) a-t-ils oubliés ? Le Satan a-t-il mis du somnifère dans notre bouillie ? Assez de notre grasse matinée ! Au finish, est-ce que les Noirs (l’Africain) ne sont pas venus pour un reportage ? (Traduction libre) »

Mylmo accuse les Africains d’avoir livré Kadhafi aux Occidentaux :

«  Moi je pensais je voyais clair parce que je portais les lunettes de Kadhafi/ Moi j’ai (Kadhafi) été livré aux Blancs par mes propres frères, preuve que les Noirs portent des lunettes en banco… (traduction libre) »

Il faut le dire, Master Soumy et Mylmo sont deux rappeurs dont la réputation n’est plus à faire, tant ils se sont distingués, ces dernières années, grâce à l’engagement de leurs textes dans lesquels ils s’en prennent avec ironie aussi bien à la société qu’à ceux qui détiennent les leviers du pouvoir. Leurs textes leur ont apporté la sympathie de ceux qui ne sont pas friands de rap, certainement parce qu’ils se sont inscrits dans la dynamique d’un rap conscient, engagé, loin des prises de bec qui ont enflammé ces derniers temps le microcosme du rap malien, englué dans des règlements de comptes fort malheureux.

La « voix d’or » de Digalo interroge autrement :

« Ce sont eux (l’Occident) qui entendent toujours que nous sommes en train de nous entretuer/ Mais l’homme blanc n’aide personne de façon désintéressée/ (…) / C’est pourquoi je me demande si, en Afrique, nous avons une dignité/ C’est pourquoi je me demande si Dieu n’a pas oublié les Noirs (traduction libre) »

« Dieu, as-tu oublié les Noirs ? Les Blancs ont tout fait. Durant toute notre existence nous, nous n’avons pu « créer » que les sorcelleries… »  C’est sur cette note dure à avaler que se termine ce single.

Bokar Sangaré


L’antidote du prêcheur

Une mosquée Photo: Journaldumali.com
Une mosquée Photo: Journaldumali.com

Vendredi, jour où les fidèles de l’islam vont à la mosquée pour célébrer la prière de l’après-midi. Les fidèles, ou les prieurs, arrivent les uns après les autres, entrent dans la mosquée, et accomplissent deux rakaa en guise de salutation pour la mosquée avant de dédier leur attention, prêter une écoute sans pareille aux sermons du prêcheur qui, depuis bientôt 30 minutes, est là à parler de Dieu, du Coran, du prophète Mahomet… mais aussi et surtout du monde et des crises qui l’agitent.

Ce n’était pas un discours du genre

« l’Occident a péri, il n’existe plus. Le modèle qu’il proposait aux nigauds a failli. C’est quoi ce modèle ? C’est quoi au juste ce qu’il considère comme une émancipation, une modernité ? Les sociétés amorales qu’ils a mises sur pied, où le profit prime, où les scrupules, la pitié, la charité comptent pour des prunes, où les valeurs sont exclusivement financières, où les riches deviennent tyrans et les salariés forçats, où l’entreprise se substitue à la famille pour isoler les individus afin de les domestiquer puis de les congédier sans autre forme de procès (…) où des générations entières sont parquées dans des existences rudimentaires faites d’exclusions et d’appauvrissement. »

Non, son discours n’avait rien de semblable à ce brûlot lancé par le cheik des talibans en pleine occupation russe, dans Les hirondelles de Kaboul (1). Pour lui, si les guerres, la famine, les séismes, les maladies…s’abattent sur le monde comme des faucons fous, c’est parce que partout ou presque les hommes se sont détournés de Dieu, les hérésies se multiplient, les filles marchent nues dans les rues, la fornication « se légalise », les mariages se cassent en un clin d’œil. Il a ajouté que ce sont là les signes annonciateurs de la fin imminente du monde. Il ne s’est pas arrêté là. Il est allé jusqu’à dire que la pire des solutions est celle que les hommes semblent avoir trouvée : qui consiste à payer des armes pour se préparer à une éventuelle guerre… arguant que

« nul ne peut prévoir le désordre, le sauve-qui-peut dans une foire des chats »

Pour ma part, au-delà de la folle concentration avec laquelle j’ai suivi ce discours, je n’ai pu me défendre de dire que voilà une analyse que les politologues et géopoliticiens doivent penser à intégrer dans leur grille de lecture ! Si pour eux, les Etats sont mus par une raison utilitaire et la plupart des guerres actuelles sont d’ordre géostratégique, le prêcheur pense le contraire : si le monde est en passe de ressembler à un « chaos dans le chaos », un « naufrage dans le naufrage », c’est parce que nous avons cessé de voir en Dieu la seule source de notre salut, avons transcendé les limites qu’Il nous a fixées, et avons transgressé ses interdits…

L’antidote que le prêcheur a donné pour éviter le chaos vers lequel se dirige le monde est le retour à Allah. Pour étayer ses propos, il a rappelé un épisode en Turquie. Le peuple avait déchiré des pages entières du Coran dans les rues. Le prêcheur explique que cela provoqua la colère d’Allah qui, furieux, créa un tremblement de terre.

Voilà donc l’antidote du prêcheur avant le chaos !

(1) Les hirondelles de Kaboul (roman), Yasmina Khadra, ed Seuil

Boubacar Sangaré


Mondoblog, d’où viens-tu ?

P. Couve Photo: Médiacadémie | L'essentiel de la révolution numérique pour ...

Cela fait cinq jours que la plateforme Mondoblog a posé ses valises au bord de la mer, à Grand Bassam. Les Mondoblogueurs sont venus de plusieurs pays du monde pour participer à la formation annuelle qui se déroule, cette année, en Côte d’Ivoire.

Lundi 5 mai

Cette année, les blogueurs ont eu l’immense chance de rencontrer Phillipe Couve qui, on le sait, est l’artisan de la première émission participative, Atelier des médias, animée par Ziad Maalouf.

L’Ateliers des médias, créé en 2007, n’en demeure pas moins un boulevard ouvert aux « acteurs des évolutions et des révolutions des médias dans le monde ». Depuis plus de trois ans, j’entendais parler de cet homme partout ou presque où il était question des rapports outils numériques médias. J’ai donc eu la chance de satisfaire ma curiosité, de le rencontrer et d’évaluer les appréciations répétées et fort bienveillantes que j’avais entendues à son égard. Inutile de dire que pour nombre de Mondoblogueurs, ce fut un immense plaisir de, prêtez-moi l’expression, « voir en vrai » celui qu’ils respectent et admirent.
Phillipe Couve est effectivement aussi le père fondateur de Mondoblog, cette plateforme qui regroupe « aujourd’hui plus de 350 membres actifs répartis dans 50 pays », et qui est « née en 2010 d’une volonté de développer une blogosphère en langue française de qualité dans les pays du Sud. »

Pour faire court, les Mondoblogueurs sont les poupins de Phillipe Couve.

Mondoblog, d’où viens-tu ?

Le temps était clément. Il pleuvotait. Le ciel était parsemé de nuages. Eperonnés par l’envie d’entendre leur « père », les blogueurs se sont installés dans un calme inhabituel, les yeux rivés sur le logo projeté de MONDOBLOG.

M. Couve a expliqué que le projet était né entre Bamako et Kinshasa. A Bamako, il donnait une formation à de jeunes journalistes. Le soir, il leur donnait rendez-vous dans un cyber pour leur apprendre à mettre en ligne des vidéos… A Kinshasa, Cédric Kalonji avait créé Congo Blog qui allait devenir célèbre. Parti dans le nord de la France, à Lille, afin de poursuivre ses études à l’Ecole de journalisme, Cédric Kalonji a eu l’idée de demander à des jeunes de raconter la vie quotidienne au Congo. Plus tard, c’est au sein de l’émission Ateliers des médias, que la rubrique Mondoblog fut créée afin de donner la parole aux blogueurs pour qu’ils expliquent ce qui les avait poussé au blogging.

Voilà, en gros, un flashback le long du chemin qui a donné naissance à Mondoblog, cette plateforme qui héberge des blogueurs vivant en Afrique, en France, en Haïti, en Australie…

Il faut relever que M. Couve ne s’est pas contenté que de parler de Mondoblog et du rôle du journaliste-citoyen. Il a évoqué les questions de la loi de Metcalfe, de l’Internet en Afrique, et des perspectives pour l’Afrique de demain…

 

P. Couve Photo: Médiacadémie | L’essentiel de la révolution numérique pour …

 

Boubacar Sangaré


Mali : c’est pourquoi il faut partir…

Jeunes à Douentza, Mali, photo: www.rnw.nl
Jeunes à Douentza, Mali, photo: www.rnw.nl

L’avenir appartient à la jeunesse. L’avenir d’un pays repose sur sa jeunesse. Il est fréquent d’entendre ce discours en politique, dans les débats, dans les amphis à l’université… Ces beaux discours provoquent presque toujours, un tonnerre d’applaudissements dans les rangs des premiers concernés, les jeunes, et une onde d’espoir chez leurs parents inquiets.

Pourtant, ces phrases sonnent comme une ritournelle publicitaire destinée à frapper l’attention. Des mots sans volonté politique.

Ce discours, je l’écoute toujours avec intérêt, même si pour moi comme pour beaucoup d’autres, il est l’emblème d’une hypocrisie qui ne dit pas son nom. C’est-à-dire que ceux qui le tiennent n’y croient pas eux-mêmes, ou plutôt, dissimulent sous ces paroles leur cupidité, leur incompétence. Ce n’est pas qu’ils ignorent la portée de ce qu’ils disent, non, non ! Ils savent au contraire que partout dans le monde la jeunesse est devenue une véritable industrie dans laquelle il faut investir pour assurer le futur, ils savent que la jeunesse peut faire tout (…), ils savent qu’un pays qui ne respecte pas sa jeunesse n’avance pas et donc se condamne à la régression, ils savent que dans toute vie la jeunesse est un carrefour, un virage qu’il faut savoir négocier au risque de tout faire capoter. La jeunesse, c’est une longue saison, une nuit constellée de rêves, un palier intermédiaire entre l’enfance et la vieillesse dont la traversée est un rien délicate.

Être jeune est dur. Le plus dur est d’être jeune dans un pays où tous les ingrédients sont réunis pour conduire la jeunesse dans l’impasse, où la jeunesse est considérée comme un cas désespéré. Dans son livre « L’Afrique en procès d’elle-même », Koro Traoré écrit :

« Plus de cinquante ans après les indépendances de la plupart des pays d’Afrique, le système éducatif ne s’est toujours pas adapté aux réalités du monde et à l’évolution des sociétés africaines.

L’enseignement élémentaire reste un luxe pour la majorité. Et l’enseignement supérieur ne forme en grande partie que des diplômés sans emploi, incapables d’entreprendre ou de s’insérer dans la vie active dès qu’ils quittent leur formation. Malheureusement, dans un tel contexte, l’enseignement professionnel et technique qui devrait être privilégié demeure le parent pauvre du système éducatif africain. »

Ce constat qui colle fort bien à ce qui se passe au Mali n’est pas fait par n’importe qui. C’est celui d’un ancien chargé de mission à la présidence de la République malienne, et au cabinet du premier ministre.
Je suis jeune et à l’université mes profs me disent de marcher la tête haute, d’être fier de mon pays qui me donne une bourse, les paye pour qu’ils m’enseignent… et qu’au temps où, eux, ils étaient à la fac, c’était différent, il n’y avait pas de bourses, il n’y avait pas Internet. Pour moi, ils commettent cette folie qu’ont les vieilles personnes de ramener tout à leur époque et à leur personne. Université livrée au chaos, la corruption et le pillage concerté des deniers publics sont devenus des institutions, le mensonge est devenu une langue officielle, les discours sont plus importants que les actes, chômage désespérant, diplômes qui s’achètent…

Avec une jeunesse qui représente 65 % de la population (des jeunes de moins de 25 ans), mon pays est classé 182e sur 187 dans l’indice de développement humain du PNUD ( en 2012). Une société sans cœur. Une société hypocrite qui évoque la bravoure, la droiture, le patriotisme de Soundiata, Samory alors qu’elle est dans un gouffre taillé par elle-même du fait de l’inconscience, l’incompétence de ses propres enfants. Quelle société sans cœur ! Société qui a fait de sa jeunesse une quantité négligeable, en lui disant qu’elle est incapable, ignorante, qu’elle n’est rien, n’a rien, ne peut rien, ne sait rien. Ici, n’en déplaise à quelques ânes qui ne voient pas le bout de leur propre nez, nos dirigeants ont cultivé le mépris pour la jeunesse, faisant d’elle un ennemi qu’il faut contrôler en lui jetant en pâture des promesses, des discours, des billets de francs Cfa. Une jeunesse pour laquelle les voyous, les salopards et salonnards sont devenus des archétypes. Jeunesse à laquelle on a fait croire que le piston est plus important que le droit ou qu’avoir « des relations dans les services publics » est plus important que les diplômes. Jeunesse aujourd’hui convaincue que l’excellence et la médiocrité se valent, que le vol, la triche sont naturels. Une société sans cœur.

A la fac, pour mes profs, je ne suis pas un étudiant comme les autres, comme on en trouve plein à la Sorbonne, à Harvard, à Oxford. Non, non, je suis un étudiant à part, dans un monde à part, un étudiant pas fichu de faire le moindre raisonnement cohérent sur la situation sociale, politique et économique de son pays, qui en sait plus sur la ville de Paris que sur Tombouctou ou Kidal, à qui on recommande la lecture de Kafka, Dos Pessos, Hemingway alors qu’il ignore fichtrement qui est Yambo Ouologuem, Aïda Mady Diallo, Pascal Baba Coulibaly, Massa Makan Diabaté, Ismaïla Samba Traoré… Oui, je sais, nul n’est prophète en son pays. No man is a prophet in his own country. Et comprenez bien, je n’ai pas été contaminé par le virus du « localisme ».

La seule alternative, c’est de partir.. Fuir ce pays qui ressemble au « poisson qui pourrit toujours par la tête », le laisser aux mains d’incapables et d’incompétents. Mais, n’y a-t-il pas une autre explication, plus insupportable ?

Ces incompétents, ces incapables savent parfaitement que cette jeunesse est un atout, une chance qu’il ne faut pas négliger. Ils misent sur la jeunesse, mais pas toute la jeunesse. Ils misent sur leurs propres enfants. Ils leur réservent toutes les chances. Ils veulent que ce soit eux qui dirigent le pays quand eux-mêmes auront quitté la scène politique, économique … Les rênes du pays doivent rester entre les mains des mêmes. Il faut continuer à « assassiner l’espoir (1)» en sacrifiant la jeunesse, la méprisant, ne lui parlant que pour formuler des promesses en matière d’emploi et de création d’entreprises.

Et après, on se demande pourquoi la plupart des boursiers envoyés à l’étranger choisissent de ne pas revenir ? C’est parce qu’ils veulent être respectés, éviter cette humiliation qui veut qu’on ne réussisse que grâce au piston. La jeunesse est à nos dirigeants ce qu’étaient Goriot, Vautrin…à Paris dans Le père Goriot. C’est-à-dire des êtres qui ne disent rien à personne. Tant pis pour quelques « inféodés » qui penseront que je raisonne comme une pantoufle. Moi, je ne peux plus résister à cette nauséeuse angoisse de vivre dans un pays qui a renoncé à t’aimer depuis longtemps, où il n’y a que des loups. Partout des loups. Pessimisme ambiant. Béni-non-non je suis. Béni-non-non je reste.

(1) Mali, ils ont assassiné l’espoir, Moussa Konaté, ed L’Harmattan

Boubacar Sangaré


Mali: une histoire de vol de téléphone

photo: www.thibaudd.be
photo: www.thibaudd.be

« Votre attention, camarades ! Cette étudiante vient de perdre son téléphone, un Samsung Galaxy SIII (S3). A l’instant ! Nous prions la personne qui a pris le téléphone de le déposer juste à l’entrée ouest de l’amphi. On considère qu’il n’a même pas volé… »

C’est le responsable de classe des étudiants en Licence ès Lettres qui a fait cette annonce. Ses mots se sont perdus dans l’indifférence générale de la foule d’étudiants, qui, depuis le matin, attendent en vain leurs professeurs. Pas un seul n’est encore venu. Il est déjà midi.

Certains étudiants ont écouté, calmement, sans bouger, choqués, effarés, pensant certainement à cette imprécation que l’on profère en permanence en cas de vol :

« Qu’Allah maudisse le voleur ! Celle qui met au monde un voleur n’a rien fait… »

Le temps, qui n’attend jamais rien ni personne, file comme un bolide, indiquant comme par télépathie à l’étudiante que le Samsung Galaxy S3 file déjà loin d’elle, au même rythme que les jambes du voleur. Des larmes ont commencé à perler sur ses joues poupines. Elle a rougi. Elle pleurait, pleurait doucement, lentement. Fièrement. Elle pleurait de ce pleur qui force l’admiration, le respect. Elle pleurait sans crier.

Le voleur avait déjà éteint le téléphone. Tous les appels tombaient sur le répondeur. Les espoirs de pouvoir le retrouver s’effaçaient aussi vite que les flammèches. Elle a essuyé les larmes qui cascadaient comme une chute d’eau. Elle s’est ressaisie, a rangé ses effets avec la promptitude d’une secrétaire, toujours en furie, les yeux pétillants de haine. Ma cousine, qui est une de ses amies, m’a dit qu’elle partait faire une déclaration à la police.

Cette histoire n’est pas isolée. L’année dernière, en plein examen de fin d’année, une étudiante, inondée de larmes, avait fait pitié à un amphi plein à craquer. Elle a « perdu » son sac qui contenait son WIKO et 50.000fcfa.

« La personne qui a volé mon sac peut prendre l’argent et le téléphone. Mais je la supplie de déposer la carte SIM et le sac quelque part. Dans les toilettes, par exemple » avait-elle imploré.

Quelques minutes plus tard, le sac avait été retrouvé dans les toilettes.
Sans le téléphone. Sans l’argent.

AH, L’ETUDIANT MALIEN…

Boubacar Sangaré


Un accident

photo: www.pressafrik.com
photo: www.pressafrik.com

Un matin pas comme les autres. La chaleur est dure. Le réveil difficile. Cela fait un peu plus d’un mois que le printemps est arrivé. Les nuits sont aussi torrides que les jours. Un vent chaud, sec et poussiéreux souffle, ploie les branches d’arbres, fait voltiger les feuilles fanées… et maltraite le visage.

Jeudi. J’enroule mon turban bleu autour de mon cou et mets le cap vers la rédaction du journal, réfléchissant à n’en plus finir au sujet sur lequel la rédactrice en chef me demandera de travailler, aux efforts que cela me coûtera, aux appels que je passerai probablement à telle ou telle personne pour compléter mes informations. Je pense au petit soir, moment toujours triste pour moi, quand je rentre me demandant chaque jour comment et d’où me viendra le budget pour payer l’essence du lendemain. Je me dis que faire ce métier n’en vaut pas la peine, que je ferais mieux de chercher à faire autre chose que de me perdre dans une presse où le sérieux a sérieusement reculé, où il faut être dans le camp de ces confrères qui font office de valetaille pour ceux qui détiennent les leviers du pouvoir, afin de s’offrir son bifteck, porter costume et cravate, rouler en voiture et avoir ses entrées dans le palais du numéro un, c’est-à-dire le président.

Je conduisais ma moto tranquillement, quand, à Djicoroni, alors que je passais les feux tricolores, un autre motocycliste, voulant à tout prix me doubler sur la gauche, me donna un coup de volant qui me fit perdre l’équilibre. Je fus catapulté et allai mordre la poussière loin de ma moto, en plein milieu du goudron, obligeant voitures personnelles, transports collectifs et motos à m’éviter de justesse. Un motocycliste imprudent n’a pu éviter de rouler sur le sac qui contenait mon PC. J’étais là, allongé en plein milieu du goudron, le bras droit et le genou gauche en train de saigner.

Mon coude me faisait terriblement mal. Ceux qui marchaient le long du goudron s’arrêtèrent. Quelques motocyclistes furent pris d’un effroi considérable. Je me suis relevé tant bien que mal, tenaillé par la douleur. J’ai récupéré mon sac. Un motocycliste a relevé ma moto. Ce qui m’a le plus choqué, c’est que mon bourreau ne s’est même pas donné la peine de s’arrêter.  » Quel imbécile, fils de grognasse! » me suis-je dit. Françoise, mon amie chroniqueuse, a raison :

 » La circulation, c’est vraiment parfois la jungle! »

Ma colère et ma douleur m’ont rappelé une réalité qu’il est difficile de balayer d’un revers de main: nous vivons une période de décadence dont les symptômes, dépravation des mœurs, inconscience, immoralité, incivisme, inflation, faiblesse de l’État, rappellent les derniers siècles de l’Empire romain.

La foule qui me regardait en train d’éponger le sang qui coulait de mon bras et de mon genou, me conseillait de me rendre à l’hôpital sans attendre. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser :

 » Vous ne pouvez pas comprendre… »

Ils ne peuvent vraiment pas comprendre que j’appartiens à la grande masse de ceux qui vivent au jour le jour. On peut ne pas me croire, mais je viens d’un milieu nécessiteux, pour lequel il n’y a pas d’autre choix que de payer une plaquette de paracétamol à 100 F Cfa chez le boutiquier du coin, quelle que soit la maladie ou la douleur. Impossible de se payer le luxe de l’hôpital où on vous accueillera avec une ordonnance dont le montant brouille la vue. Oui, pour moi, aller à l’hôpital est un luxe. L’hôpital et la pharmacie n’existent pas pour moi, ou, plus exactement, n’ont aucune raison d’exister. Ma colère peut paraitre ridicule à certains, mais elle vaut ce qu’elle vaut. Combien d’accidentés de la circulation routière sont transportés en urgence à l’hôpital et y rendent l’âme parce qu’ils n’ont pas de quoi payer les premiers soins ? Combien de Maliens voient leur père, mère ou leur fils mourir ainsi ? Combien de Maliens sont renvoyés de nos hôpitaux publics faute de place?

Pourtant, tous ceux pour qui nous, citoyens, avons voté ont promis de réduire les inégalités sociales, de garantir l’accès quasi gratuit à des soins de santé de qualité et à une éducation digne de ce nom. Les inégalités perdurent et se creusent.

C’est aussi vrai que le soleil se lève à l’est. La vie ici bas n’est vraiment plus de tout repos. Ceux qui refusent de s’en accommoder se condamnent à la souffrance. On ne peut qu’être d’accord avec les propos que Yasmina Khadra prête à Mirza Shah dans Les hirondelles de Kaboul :  » Les mentalités sont celles d’il y a des siècles. Depuis que le monde est monde, il y a ceux qui vivent et ceux qui refusent de l’admettre. Le sage, bien sûr, est celui qui prend les choses comme elles viennent. Celui-là a compris. »

Prendre les choses comme elles arrivent, pas comme on veut qu’elles soient. Cela me rappelle une autre phrase, celle que Gayle Bishop (Melissa Sagemiller de son vrai nom), dans le film Sleeper Cell, lance à son amant, Darwin al Hakim (Michael Ealy), agent infiltré du FBI : » La vie, c’est ce qui arrive, pas ce qu’on rêve. »

Boubacar Sangaré

P.S : J’ai eu cet accident le jeudi 3 avril 2014. Mes blessures sont assez graves. Mon ordinateur a été mis hors service. Retour à la case départ…


Mali : les leçons du 26 mars par Me Konaté

Mamadou Ismaël Konaté, Mamadou Konaté Avocat Associé, Cofondateur de la SCPA JURIFIS CONSULT Photo: www.jurifisconsult.com
Mamadou Ismaël Konaté, Mamadou Konaté Avocat Associé, Cofondateur de la SCPA JURIFIS CONSULT Photo: www.jurifisconsult.com

Pour l’avocat, le 26 Mars ne doit pas se limiter à juger les hommes et l’histoire, mais à remettre en question le devenir de la démocratie malienne.

Que fut réellement le 26 mars 1991 pour le peuple malien, une révolution ou une régression ?

Maître Mamadou Ismaila Konaté : Il s’agit sans doute d’une révolution plus que d’une régression. L’aspiration profonde du peuple du Mali était l’ouverture démocratique, incompatible avec le régime politique de l’époque, basé sur l’unicité et le centralisme démocratique. Ce régime de parti unique était d’ailleurs conforme à ce qui existait dans la plupart des pays d’Afrique, caractérisé par l’absence de grande compétition, peu favorable au suffrage universel. Sans doute que la révolution paraît énorme dans la mesure où malgré le bouleversement politique qui a entraîné un changement à la tête de l’Etat, la société malienne est fondamentalement restée la même, sans que ce bouleversement n’ait pu entraîner des changements positifs en matière d’éducation, d’amélioration de la santé, de bien-être, de construction de l’Etat, et pour ce qui est de la consolidation des institutions et de la démocratie.

Aujourd’hui, 23 ans après le 26 mars, pouvons-nous conclure que la démocratie a été un échec sur toute la ligne?

On ne peut pas dire que la démocratie a été un échec. En disant cela, il faut tout de même reconnaître que 20 ans après, les acquis sont maigres. Le 22 mars 2012,un régime constitutionnel, légal a été renversé par un coup d’Etat militaire. Sur ce plan, il reste à faire beaucoup d’efforts pour faire accepter que le seul mode d’accession au pouvoir reste l’élection. Pour autant, la démocratie ne doit pas permettre à une oligarchie politique d’exercer le pouvoir solitaire et exclusif par le biais d’un suffrage tronqué, au nom d’un peuple pour lequel on plaide par procureur, contre son gré. Dans le système démocratique malien, l’intérêt particulier a tendance à prendre le pas sur l’intérêt général. Le système démocratique est un pis-aller dans notre pays, qui donne l’opportunité à des hommes et des femmes, d’exercer le pouvoir politique, au nom d’une puissance publique, qu’ils ramènent à leur petite personne. Pour qui a vu l’histoire récente du Mali, disloqué, embrasé, dans un contexte de manque de cohésion sociale, face à des hommes et des femmes, incapables de commercer entre eux, en faisant fi, au nom de la nation et de la patrie, de leur race, souvent différente, de leur religion en contraste, de leur origine éloignée, alors même qu’ils n’ont pas d’autre choix que de se réclamer du Mali et de ce qui est malien. Ce défi est celui de la réconciliation nationale qui incombe à chaque Malien que l’histoire nationale interpelle.

Pensez-vous que ceux qui ont renversé le régime dictatorial de Moussa Traoré n’ont pas mieux fait que lui ?

Il ne s’agit pas de reconnaître en ce 26 mars 2014 le meilleur ou le plus valeureux des fils du Mali qui se sont succédé à la tête de l’Etat. Modibo Keita jadis, Moussa Traoré ensuite, Alpha Oumar Konaré avant-hier et Amadou Toumani Touré par deux fois, aujourd’hui Ibrahim Boubacar Keita ont juré de donner le meilleur d’eux-mêmes, pour construire le pays de leurs ancêtres. Chacun de ces chefs a sans doute participé au devenir de la nation malienne, dans un contexte, un environnement et face à des exigences d’un peuple et d’une nation qui ont aussi évolué. Nul n’est dupe, chacun de ces hommes a dû commettre qui, des impairs, qui, des erreurs, qui, des fautes que seule l’histoire jugera. Au demeurant, le Mali leur saura reconnaissant ou pas. Ce peuple aspire comme tout peuple au bonheur, à la concorde et au développement. Ce défi incombe aujourd’hui à celui qui est à la tête de l’Etat aujourd’hui. Il doit s’engager aujourd’hui à réunir le territoire et ses hommes, à fructifier la richesse nationale, à assurer l’égalité des chances de tous ses fils, à maintenir la paix et la concorde.

Sur l’avenir des institutions maliennes, êtes-vous optimiste ? Le Mali est-il définitivement à l’abri d’un nouveau coup d’Etat ?

Les institutions actuelles de la République sont celles-là mêmes qui se sont essoufflées dès les premières heures du coup d’Etat militaire. Ces institutions n’ont pas pu éviter l’écroulement de l’Etat. Tout cela est rendu facile face à une faible conscience nationale et un engagement politique d’acteurs politiques et publics dont le crédit fait quelque peu défaut. Contre ce phénomène, il s’agit de réfléchir et de proposer un cadre institutionnel le plus en rapport avec nous-mêmes, notre environnement, notre culture et notre pratique démocratique.

On peut s’interroger sur le caractère effectivement universel du suffrage à tous les coups contesté. On peut également s’interroger sur le rôle et la mission d’un député représentant de la nation, incapable d’exercer son pouvoir de contrôle sur l’exécutif. On peut également s’interroger sur la nature particulière de la justice et du juge qui refusent de se bander les yeux, pour rendre la justice conformément à la loi, sans aucune référence à la race des protagonistes, à leur origine, à leur religion et à leur état de fortune. Qu’est-ce que c’est que cette justice qui n’est pas à l’abri des influences par rapport à son indépendance ? On peut s’interroger sur les rapports hommes et femmes, sur les rapports interreligieux, sur les rapports sociaux, en l’absence d’un véritable cadre teinté de moral, dans un contexte de manque d’éthique. Toutes ces questions doivent être prises en charge, pour permettre à ce grand Mali, issu du Soudan français, des empires et des royaumes d’antan, de faire renaître à l’esprit de chaque Malien un honneur, une dignité, une grandeur.

Cet entretien a été publié sur le site Journadumali.com

Propos recueillis par Boubacar Sangaré