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Mali_ Kidal : Quand le premier ministre, Tatam Ly, donne des précisions sans préciser…

le premier ministre Oumar Tatam Ly

le premier ministre Oumar Tatam Ly photo: Maliactu

La Minusma ne veut pas sécuriser Kidal, parce qu’elle n’est pas venue pour le faire. Elle ne veut pas le faire, parce qu’elle a d’autres chats à fouetter ! Parce qu’elle obéit à la feuille de la communauté internationale dont le MNLA est la poupée.

 

Absence d’un dispositif de sécurité approprié à la visite du premier ministre d’un Etat, rôle de strapontin accordé aux forces armées maliennes dans la sécurisation de la ville de Kidal, Ouverture du gouvernement aux discussions avec les groupes rebelles touareg : voici les axes majeurs des propos tenus par le premier ministre, Oumar Tatam Ly, dans une interview accordée au quotidien L’Essor*. L’Essor est la crème de tous les régimes- hormis celui de Modibo Keita- qui se sont succédé au Mali.

Il serait bien venu de rappeler que le jeudi 28 novembre dernier, une violente manifestation organisée dans l’aéroport de Kidal a contraint le premier ministre à annuler son déplacement dans la ville. Les manifestants, des femmes et des enfants esclaves des manipulations du mouvement indépendantiste touareg (MNLA), ont poussé l’outrecuidance jusqu’à cibler avec des pierres les forces armées maliennes, lesquelles auraient tiré sur eux à balles réelles. Oumar Tatam Ly parle plutôt de « tirs de sommations » ! A Kidal, le discours victimaire ambiant avait déclenché ses tirs, avant de déboucher sur une cacophonie effarante : Mamadou Djeri Maiga, vice-président du MNLA, avait annoncé la reprise des hostilités avec l’armée malienne. Son discours belliciste a été érodé par un appel au calme d’autres ténors. Ils lui ont tiré le tapis sous les pieds.

Cet incident, n’ayons pas peur de le dire, n’a rien de surprenant car il est survenu à Kidal, une pétaudière et non une ville. Ce qu’il faut relever d’abord, c’est cet incident a administré la preuve qu’après le terrible assassinat des deux journalistes français, le jet de pierres ayant ciblé, le 16 septembre dernier, une mission interministérielle (le ministre de l’administration territoriale, le ministre de la réconciliation nationale et du développement des régions du Nord), rien n’a été fait pour « siffler la fin de la recréation » à Kidal.

Comment comprendre qu’un aéroport dont les murs sont interdits même aux mouches a été pris d’assaut par des femmes et des enfants ? A quoi sert alors la présence des forces de l’ONU (la Minusma) à Kidal ? Et même de l’opération Serval ? Comme après les évènements du 16 septembre dernier, le gouvernement en réaction à celui du jeudi dernier, a officiellement interpellé la Minusma. Cela servira-t-il à grand-chose ? …Il n’y a jamais de deux sans trois.

Ce que le premier ministre, Oumar Tatam Ly, n’a pas précisé, c’est que la Minusma ne veut pas sécuriser Kidal. Quand même bien que c’est elle qui en a la charge. Elle ne veut pas le faire, parce qu’elle n’est pas venue pour le faire. Elle ne veut pas le faire, parce qu’elle a d’autres chats à fouetter ! Parce qu’elle obéit à la feuille de la communauté internationale dont le MNLA est la poupée. Cette communauté internationale qui crache sur les larmes, les cris de détresse d’un peuple opposé à la division de son pays.

Le premier ministre a donné des précisions sans préciser qu’à Kidal, contrairement à ce que dit l’accord préliminaire de Ouagadougou, c’est l’armée malienne qui est cantonnée. Pendant que le MNLA fait son chichi. Ses précisons ne tiennent pas en compte le fait que c’est le MNLA, avec la fierté d’un lutteur sénégalais, qui fait et défait Kidal.

Au peuple algérien, Mouloud Feraoun dans son « Journal, 1955-1962 » écrivait : « Pauvres montagnards, pauvres étudiants, pauvres jeunes gens, vos ennemis de demain seront pires que ceux d’hier. » Moi aussi j’écris au peuple malien : « Pauvres Maliens, pauvres Maliennes, vos dirigeants d’aujourd’hui seront pires que ceux d’hier. »

Boubacar Sangaré


Affaire Sanogo : les casseroles des uns, le satisfecit des autres

Le capitaine Amadou Haya Sanogo

Le capitaine Amadou Haya Sanogo

Le temps de la stabilité, le temps de la vérité semble avoir – à jamais ? – suspendu son vol sur le Mali. Notre pays n’a pas encore remonté la pente creusée par Aguel Hoc, le coup d’Etat du 22 mars 2012, le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) et les groupes terroristes. Ce qui est encore le plus étonnant, c’est que le peuple, pour signifier qu’il ne somnole pas, descend maintenant dans la rue pour se faire entendre à chaque occasion. D’abord, les manifestations antifrançaises, puis celles pour la libération du général Sanogo interpellé le mercredi 27 novembre 2013.

Ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’affaire Sanogo » est devenu, pour reprendre une expression bamakoise, « le sel qui agrémente toutes les sauces ». L’affaire, que certains n’avaient pas prise au tragique au début, rythme aujourd’hui toutes les conversations, et fait la joie de ceux dont l’obsession est de voir Sanogo aux prises avec la justice. Elle horripile les uns, fait sourire les autres.

Amadou Haya Sanogo, après son interpellation, a été inculpé pour enlèvement et complicité d’enlèvement. Pour mémoire, certains bérets rouges, parachutistes restés loyaux à ATT’ (Amadou ToumaniTouré), ont disparu après l’échec de leur tentative de contrecoup d’Etat, fin avril 2012. Personne ne sait où ils sont, ce qu’ils sont devenus, s’ils sont encore en vie. Personne, hormis, peut-être, Sanogo lui-même. Sanogo est également indexé dans le meurtre de certains soldats au cours de la mutinerie survenue à Kati le 27 septembre dernier.

On oublie cependant une facette non négligeable de l’affaire. L’inculpation de Amadou Haya Sanogo approfondit la fracture au sein de l’opinion publique nationale. Chacun le sait. Il y avait déjà les « pro » et les «anti-Sanogo ». Le week-end dernier, les rues de Kati et de Bamako ont été envahies par des manifestants qui réclamaient la libération immédiate de Sanogo, dénonçaient une justice à deux vitesses, criaient vengeance, évoquaient même des règlements de compte et de la diversion. Pendant ce temps-là, les familles et proches des bérets rouges disparus, les formations politiques opposées au putsch et certaines organisations des droits de l’homme étalent leur satisfaction, convaincus que « qui casse les verres les paie ». Tous clament que Sanogo ne mérite pas d’être en liberté, et qu’il doit répondre de ses actes devant la justice. La magnitude de la division est telle que le pouvoir en place semble patauger, surtout quand on sait que la présidentielle dernière a montré combien le manitou de l’ex-CNRDRE (Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État) sous le manteau, soutenait le candidat Ibrahim Boubacar Keita.

Sanogo se trouve aujourd’hui dans la situation du  »rat coincé » qui ne peut ni avancer ni reculer. Il ne doit pas être loin de se sentir merdeux, car cette arrestation, et les enquêtes qui suivront, risquent de lever le voile sur les enlèvements, les disparitions et exécutions sommaires, dont les maîtres d’œuvre du contrecoup d’Etat ont été victimes. A l’époque, il était le chef d’orchestre, donc le premier responsable de toutes les fausses notes de l’orchestre.

Pour autant, il faut éviter de se noyer dans le suivisme, et avoir le courage de dire que les partisans de Sanogo, et ils sont nombreux, ont raison de crier à une justice à deux vitesses. Il est difficile, en effet, de ne pas être dérouté par les récentes décisions de la justice malienne. On met le grappin sur Sanogo, alors que le chef de file des bérets rouges de ladite tentative de contre coup, Abidine Guindo, a été libéré. On met le grappin sur Sanogo, alors que les mandats d’arrêt internationaux visant certains membres du MNLA, accusés de crimes et de viols, ont été levés. Ces gens, individuellement (re)devenus persona grata, ont été accueillis au sein du parti RPM pour les législatives, et siégeront même à l’Assemblée nationale. On met le grappin sur Sanogo , tandis que ceux qui sont impliqués dans le pillage concerté de l’Etat malien, ces ministres et anciens présidents indésirables se la coulent douce, quelque part dans le pays, ou ailleurs. Nom de Dieu !

A-t-on besoin de dire que dans un pays où tout le monde parle de  »Mali Koura (un nouveau Mali) », la justice doit faire un sérieux ménage ? Qui est assez naïf pour croire que les Maliens et Maliennes se pardonneront, tant que ceux qui ont volé, pillé, violé les femmes pendant l’occupation du septentrion n’auront pas comparu en justice?

Si le régime de IBK aspire à la justice, cette  » Affaire Sanogo » doit ouvrir la porte à une vaste campagne d’actions judiciaires pour empêcher l’injustice de parler, de triompher. La réconciliation nationale ne se décrète pas. Elle passe par une application sans faille de la justice.

Enfin, last but not least, il y a de quoi être à cran devant le silence inexpliqué des organisations telles que Human Rights Watch, Amnesty International sur le massacre des soldats maliens à Aguel Hoc. Elles, qui sont si promptes à crier au  » génocide » quand on touche à un seul cheveu touareg. Appliqueraient-elles, elles aussi, le deux poids deux mesures ?

Boubacar Sangaré

 


Mali : à la manif…

Des marcheurs tenant une banderole / Photo: Boubacar
Des marcheurs tenant une banderole / Photo : Boubacar

Qui sont ces hommes, femmes et enfants qui sont descendus dans la rue, ce matin du mercredi 27 novembre ? Bamako. Ciel pommelé, et un soleil des moins agressifs qui commence à darder ses rayons. Il est 8 heures. Le parvis de la mairie du district est masqué par des grappes de marcheurs, jeunes et vieux, venus des différents quartiers de la capitale avec une seule et même aspiration : la marche. Des centaines de personnes. Il y a vraiment quelque chose de réconfortant à voir tant de monde, ensemble pour une même cause. On se dit que la démocratie est belle, et grande aussi, car elle offre au citoyen ce luxe rare, et presque inexistant sous d’autres latitudes, de se lancer dans la rue pour se prononcer, dire son mot.

On se dit encore une fois que, dans ce pays, il ne reviendra plus le temps d’un régime monolithique qui met le peuple au pas. Dans la mémoire collective, 1991 bouillonne encore. Chacun porte en lui le Mali à feu et à sang, ce duel sans merci entre un dictateur psychopathique et son peuple déchaîné. C’est au prix d’insoutenables violences que la démocratie a été obtenue dans ce pays. Vingt ans plus tard, la démocratie est toujours là, mais, allez savoir pourquoi, rien n’a changé dans l’étalage insolent de la corruption, du chômage, du népotisme. Rien. Au contraire. La Kleptocratie est montée en force.

La marche. Revenons-y. Nombreuses banderoles. « A bas la politique de soutien de la France au MNLA  (Mouvement national de libération de l’Azawad)», « Quel Azawad ? Bandes armées », « A bas l’armée française au nord du Mali », « Kidal n’est pas un département de la France, mais une région du Mali », « pourquoi deux armées sur un même territoire ????? », … Des cœurs gonflés de sentiment nationaliste. Des phrases a priori gallophobes. Et quid des slogans criés, jetés ?« MNLA= à la France », « L’armée malienne à Kidal », « Mali, Un et Indivisible », « Libérez Kidal », « Le Mali ou la mort ».

Nombreux marcheurs. Des auditeurs de radio, des syndicalistes, des associations, qui ont décidé de marcher pour :

« Sensibiliser les Maliens pour un sursaut national. Certes, nous avons reçu de l’aide des amis, mais il ne faut pas que ces amis se substituent trop à nous. La France, par exemple, est en train de trop faire par rapport à l’aide, au point qu’on doute de son désintéressement. » Ainsi parlait le mathématicien Aboubacrine Assadek, du réseau Handi actions développement et perspectives (RHADP)

 

photo: Boubacar

photo: Boubacar

Que répondre à cette femme, haletante de colère, qui m’ordonne presque de l’écouter, elle aussi, pour qu’elle déverse dans mon dictaphone tout ce qui lui perce le cœur ? Ecoutons là :

« Je suis animatrice de radio depuis bientôt 17 ans. On n’a jamais été d’accord avec IBK, et les raisons de notre rejet sont bien là aujourd’hui. C’est le « IBK d’abord » et non « le Mali d’abord » ! Il ne fait que ce que bon lui semble. Les mêmes personnes qui ont déserté l’Assemblée nationale, violé nos femmes, tué nos enfants (les soldats), ont été candidats aux législatives pour le RPM (parti de IBK), et ont gagné au premier tour dans leur circonscription. Ils siègeront à l’Assemblée nationale, continueront encore de parler d’Azawad. C’est la France qui est à la base de tout ça. Mais, celui qui nous dirige, aussi, est à questionner. Tant qu’on ne dit pas la vérité à IBK, il ne servira pas à grand-chose de le dire à la France. »

Explosion de passions. Emportement. Et indignation.

La grande voie qui quitte la mairie du district pour passer par le boulevard de l’indépendance vibre de chahuts. Une marée humaine marche, encadrée par un important dispositif de policiers et de gendarmes. Les banderoles déferlent, les slogans fusent. Mais il est difficile d’avoir l’esprit tranquille. Il y a la crainte d’être victime d’un larcin. Ces pickpockets qui ne sont jamais loin, veillent au grain, guettent comme des chats. Il y a aussi les voyeurs du haut de leu villa. Certains manifestent leur solidarité. Ils lèvent les deux poings en l’air et entonnent les mêmes slogans. D’autres désapprouvent et regardent la foule de travers. Il y a enfin les confrères qui flashent, interrogent causent…énervent.

Il est 11 heures, presque. La marche arrive au boulevard de l’Indépendance. Cette même place où, il y a seulement 8 à 9 mois, des centaines de Maliennes et Maliens ont accueilli, remercié, vénéré François Hollande, aux cris de Vive la France ! La France qui avait lancé l’opération Serval pour éviter au Mali de passer sous le contrôle des faussaires de la foi que sont Aqmi, Mujao et Ansar Dine. Aujourd’hui, la situation n’est plus la même. Avec des faces de carême, ces mêmes Maliens ont remplacé « Vive! »par « A bas la France ». Comme quoi le « Vive » devient  toujours « A bas! » La place de l’indépendance, lieu symbolique, choisie par les marcheurs pour lire leur communique dans lequel la France, le MNLA et la Minusma ont été mis dans le même sac, attifés des mêmes reproches.

 

Photo: Boubacar
Photo : Boubacar

Le soleil tape. Un étrange moment d’épuisement, inondé du sentiment de fierté d’avoir tenu jusqu’au point d’arrivée: le boulevard de l’Indépendance. Rester se fait pesant, il faut partir. Non sans dire que les Maliens, je ne plaisante pas, ont … enfin …compris qu’il est temps de se dégager de la résignation, du fatalisme. Et que démocratie ne rime pas avec passivité.

 

Aqmi : Al-Qaïda au Maghreb islamique

Mujao : Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest

Minusma : Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali

 

Boubacar Sangare


Mali : ce qui doit être dit

Le président Ibrahim Boubacar Keita Photo: Maliactu.net

Le président Ibrahim Boubacar Keita Photo: Maliactu.net

Je ne suis pas Günter Grass, l’écrivain allemand, Prix Nobel de littérature, qui s’est fait incendier pour avoir publié un poème en prose « Ce qui doit être dit » dans lequel il dénonce la menace de frappes israéliennes contre les installations nucléaires iraniennes. Cela est une autre histoire. Mais je dois avouer qu’à propos de la situation politique qui prévaut au Mali- qui est en passe de raser l’insupportable-, il reste encore beaucoup de choses à dire. Beaucoup de choses à crier, à décrier voire à hurler.

Commençons par les législatives, un sujet dont tous ou presque se soucient comme d’une guigne. Après le premier tour, que dire de ces législatives sinon qu’elles ont été un rendez-vous que les Maliens n’ont pas voulu honorer, à la différence de la présidentielle dont tous se sont accordés à dire qu’elle a été une réussite. Outre le fait qu’au Mali, comme partout sur le continent, les électeurs accordent peu d’importance au choix des députés, il n’en demeure pas moins vrai que les alliances nouées pour ces élections ont désabusé plus d’un. Comme l’a si bien relevé l’éditorialiste Saouti Haïdara :

« Quand le RPM, qui a porté IBK au pouvoir, s’allie avec l’URD de Soumaïla Cissé-qui a annoncé son ancrage dans l’opposition-pour élire le candidat de l’un ou l’autre parti à l’hémicycle, quel contre-pouvoir peut-on espérer voir naître et s’affermir dans ce pays ? Déjà l’on évoque avec sérieux dans certains milieux l’hypothèse que Soumaïla Cissé pourrait être le futur président de l’Assemblée nationale… »
Et il est allé jusqu’à parler d’un « vote protestataire ».

Vote protestataire ou pas, le moins que l’on puisse dire, c’est que de Bamako à Gao le peuple commence à être à cran. Les esprits s’échauffent contre un pouvoir qui, 3 mois après, fait du surplace, surtout sur le dossier le plus brûlant du moment : Kidal.

Mais au milieu de ce concert de colères et d’indignations à propos de Kidal, il y a eu un coup de pistolet : la convocation à la justice du désormais général Amadou Haya Sanogo et son refus de se présenter devant le juge d’instruction. Une affaire qui est devenue un serpent de mer, et qui en est même arrivée à empoisonner la presse. Et cette affaire risque de précipiter le président Keïta dans un guêpier, ce qui portera un coup d’épée à sa réputation d’homme à poigne, incorruptible et intraitable. Plus Sanogo s’entête dans son refus de se présenter devant le juge d’instruction, plus les gazettes nous servent des articles, souvent soporifiques sur une affaire qui, pour reprendre Ahmadou Kourouma dans Allah n’est pas obligé« ne vaut même pas le pet d’une grand-mère », tant il est parfaitement évident qu’elle a donné la preuve que, contrairement à ce que raconte IBK dans ses discours, au Mali il y a bel et bien une personne qui est au-dessus de la loi : son nom est Sanogo. Cela est désormais clair pour tout le monde. Alors, si les confrères ne veulent pas renoncer à tarir leur encre et leur salive pour cette affaire énervante, qu’ils nous laissent de grâce à nos ananas ! Parce qu’il y a d’autres choses plus importantes à dire.

Parfois, je ne peux m’empêcher de demander si Sanogo n’a pas été jeté en pâture à une opinion nationale révoltée par la situation à Kidal. Ou bien s’il n’est pas, comme me l’a écrit de Paris hier une amie chroniqueuse, l’arbre qui cache la forêt.

« Ça veut dire qu’on s’occupe d’une chose alors qu’il y a une multitude d’autres problèmes, m’a-t-elle écrit. Sanogo est un arbre gênant, mais la forêt de choses graves que sont Kidal, la potentielle partition du pays, la non-reprise des négociations de Ouaga, l’impunité, la levée des mandats d’arrêt, le fait que les bandits se présentent aux élections, etc., etc. »

Et voilà ce qui doit être dit, et redit à un peuple qui continue de s’en remettre à Dieu et au pouvoir en place. Ce qui doit être dit, c’est que les Maliens ne doivent pas perdre de vue l’essentiel. Et l’essentiel, c’est Kidal, surtout quand on sait que les groupes rebelles touaregs dont c’est le fief, y ont empêché la tenue des législatives. Preuve que le chemin à faire est long, très long et que rien n’est encore joué. C’est ce qui doit être dit.
Boubacar Sangaré


Mali : un pouvoir faible, un peuple couché

Le président Ibrahim Boubacar Keïta photo: Bamada.net
Le président Ibrahim Boubacar Keïta photo : Bamada.net

Des élections législatives qui risquent d’être mouvementées, des marches de protestation dans la ville de Gao et à Ménaka, des attentats-suicide à Tombouctou. Une mutinerie qui a débouché sur des arrestations et la mort de certains mutins ; les rumeurs, le plus vieux média de notre monde, avait annoncé l’arrestation du désormais général Amadou Haya Sanogo- qui était au cœur de la mutinerie-, alors qu’il n’en était rien; puis, peu de temps après, a circulé la nouvelle d’une convocation à la justice le concernant. Il y a vraiment de quoi rire un bon coup !

A Kidal, deux journalistes de RFI ont été assassinés dans le pire style mafieux. Kidal…

Kidal est aujourd’hui la source de toutes les déceptions et inquiétudes. C’est une zone mal famée, livrée à la merci de bandits de tout acabit, de terroristes qu’il est vraiment difficile de distinguer des rebelles touareg, armés aussi.

En regardant et en lisant ce qui se passe dans cette ville, on est pénétré du sentiment que le Mali est un pays compartimenté, coupé en deux : de Kayes à Gao, la voix du gouvernement est audible, surtout par le truchement des gouverneurs, maires, préfets… A Kidal, tout est différent. Ce qui se passe dans cette région, tout comme les évènements cités ci-devant, sert aujourd’hui de baromètre pour mesurer la vertigineuse faiblesse du pouvoir en place depuis deux mois, malgré les discours et la main menaçante pour mettre en garde. Ce n’est pas suffisant. Sa responsabilité dans la non-mise en application de l’accord du 18 juin signé à Ouagadougou entre le gouvernement de transition et les différents groupes rebelles (ce qui aurait permis de mettre un peu d’ordre à Kidal), n’échappe à personne. Pis, c’est un pouvoir qui sait et dit, avec une gêne masquée, mais réelle, qu’à Kidal il ne contrôle rien : ses ministres ne peuvent y mettre le pied, le gouverneur ne vaut pas cher. Alors que chaque jour, les Maliens et Maliennes ont de plus en plus l’impression que la région de Kidal coule entre les mains du pouvoir comme de la fine poussière ou de l’eau, et se disent que la France, en intervenant dans le cadre de l’opération Serval, semble leur avoir fait la farce de prétendre vouloir vider le Mali de tous les groupes armés, alors qu’elle sert de parapluie aux groupes rebelles, surtout le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), à Kidal.

C’est un fait, la position de la France à Kidal alimente des réactions parfois anxiogènes. Mais il y a pis. Des analyses d’ordre géopolitique concernant la France commencent à trouver une loge dans les esprits. Pour ces analyses, qu’on jette à l’opinion publique comme des os aux chiens, la France, comme tous les pays du monde, est guidée par une raison utilitaire, et n’est pas intervenue au Mali pour faire de l’humanitaire. Dernièrement, un chercheur anthropologue spécialiste de la bande sahélo-saharienne, André Bourgeot, disait à qui veut l’entendre, au cours d’une conférence-débat sur le thème « Les rebellions touarègues : enjeux et perspectives. », que si « le Mali veut voir le dénouement de la situation qui prévaut à Kidal, il faudrait accorder à la France la primauté de l’exploitation des gisements de l’ensemble des régions du Nord (le pétrole à Taoudéni, le phosphate à Tilemsi, le manganèse à Kidal)… »*

C’est là une analyse que certains commentateurs de l’actualité n’ont pas résisté à livrer depuis les premières heures de la crise, quand d’autres continuent de botter en touche, objectant que c’est aux Maliens et à leurs dirigeants de régler cette question.

Les Maliens et leurs dirigeants. Pour qui observe depuis un certain temps la vie politique au Mali, il n’est pas besoin de dire que la politique de démission qu’ont menée les deux premiers présidents démocratiquement élus-ATT et Alpha O. Konaré- a fait du peuple malien ce que l’écrivain togolais Sami Tchak appelle dans son roman La fête des masques : « Cette masse dont la vie, telle celle des bêtes, se résumait à chercher à bouffer, à chier, à copuler, à enfanter, à crever, cette masse dégoutante. »

C’est un peuple démissionnaire, simplissime, qui hurle sa colère contre la mauvaise gouvernance, la corruption, dans son salon et dans son ‘grin’ (groupe de discussion informel), mais n’ose pas descendre dans la rue. C’est d’ailleurs ce qui justifie l’absence d’une société civile forte au Mali : tous veulent être des obligés et des obligeants du pouvoir en place.

Pourtant, on n’a pas besoin d’être Stéphane Hessel pour dire qu’il existe pour ce peuple « des raisons de s’indigner », et de s’étonner, en le voyant s’installer dans la pire des attitudes qu’est l’indifférence. Le pouvoir lève des mandats d’arrêt lancés contre des criminels, accepte que les mêmes criminels participent à la course pour la députation; un général est pointé du doigt dans la mort de certains soldats au cours de la mutinerie survenue à Kati, et demeure « plus royaliste que le roi ». De tout cela, le peuple malien n’en a cure, n’ose même pas lever le petit doigt pour se prononcer. Et c’est là que réside la raison des craintes pour l’avenir de ce pays, parce que sans une société civile forte et organisée la corruption, le népotisme, le favoritisme, la même kleptocratie reprendront de plus belle, si tant est qu’ils aient disparu.

Le pouvoir au Mali reste faible et le peuple continue de montrer qu’il demeure couché.

(*) Ambitions françaises au nord du Mali : Les révélations du chercheur, André Bourgeot, sur la confusion à Kidal, L’Annonceur

Boubacar Sangaré


Mort des deux reporters de RFI au Mali : le cauchemar de Kidal

RFI en deuil Photo: RFI

RFI en deuil Photo: RFI

« Le journalisme, on l’oublie souvent, c’est aussi prendre des risques et aller sur tous les fronts où se joue l’Histoire. Ce n’est pas dîner en ville où l’on ricane entre people. »(Christine Ockrent). Claude Verlon et Ghislaine Dupont sont partis, comme l’écrit René Maran dans Batouala « les yeux clos à jamais, pour ce noir village qui n’a pas de chemin de retour. » Leur mort a sonné le tocsin d’un dur réveil à la réalité qui prévaut dan cette ville de Kidal.

La nouvelle de l’assassinat à Kidal des deux reporters de Radio France Internationale (RFI), tombée ce samedi 2 novembre, a été pour tous une douche écossaise : elle est survenue au moment même où les Maliens, impatients, attendaient une opération spéciale de RFI au Mali. Et c’est en préparant un sujet sur Kidal dans le cadre de cette opération que les deux journalistes ont été enlevés puis exécutés par…par…comment d’ailleurs les qualifier ?

Une nouvelle qui a ébranlé, à n’en point douter, la rédaction de RFI encore haletante d’indignation. Indignation, parce que la mort de ces deux journalistes -dont le professionnalisme ne souffre d’aucun doute -, est une perte énorme non seulement pour cette radio, mais aussi pour le monde de la presse. Indignation encore, parce qu’on a d’un côté deux journalistes qui se battent pour la liberté d’information et qui sont morts pour la défendre; de l’autre, des lâches, des forbans qui, sous les étendards du terrorisme, n’ont pas la honte honteuse de tuer des innocents.

Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, il y a 4 ans de cela, Christine Ockrent, alors à la tête de l’Audiovisuel extérieur de la France (RFI et France 24), interrogée par François Soudan, a confié ceci :

« Le journalisme, on l’oublie souvent, c’est aussi prendre des risques et aller sur tous les fronts où se joue l’Histoire. Ce n’est pas dîner en ville où l’on ricane entre people. »

Ghislaine Dupont et Claude Verlon, en choisissant de se rendre à Kidal, « où se joue encore l’Histoire », étaient conscients des risques qu’ils prenaient ; surtout qu’ils en étaient à leur deuxième mission dans cette partie du nord du Mali, après s’y être rendus le mois de juillet dernier pour couvrir la présidentielle. Elle, Ghislaine, a plus de 20 ans de carrière ; lui, Claude en a 30 ans. C’est au Mali qu’ils sont tombés, sous les balles d’invétérés assassins. C’est au Mali qu’ils ont été « mangés » par la mort. Ils sont partis, comme l’écrit René Maran dans Batouala, « les yeux clos à jamais, pour ce noir village qui n’a pas de chemin de retour. »

 

Mais, arrêtons un peu de nous perdre en délires, et essayons de saisir la réalité l qui va au-delà de tout cauchemar dans cette ville de Kidal . Après la mort de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, il n’y a plus personne à duper à propos de cette ville que des représentants de la communauté internationale se sont dépêchés de qualifier de « zone de non-droit ». Les forces onusiennes déployées dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilité au Mali (Minusma), l’armée malienne et les forces de Serval-très concentrées sur le Sahara-, sont dans l’impuissance de « siffler la fin de la récréation » dans cette zone où les armes circulent comme si nous étions dans une période de guerre civile. On sait aussi que Kidal, c’est le fief des groupes rebelles touaregs du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) HCUA (Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad), MAA (Mouvement arabe de l’Azawad), voire des islamistes  d’Ansar Dine. Un cocktail de groupes rebelles qui sont loin de désarmer, en violation de l’accord du 18 juin qu’ils ont signé à Ouagadougou avec le gouvernement malien.

En effet, l’accord de Ouagadougou réaffirme un certain nombre de choses pour le Mali : l’intégrité territoriale, la forme laïque de la République, l’acceptation du principe de désarmement des groupes armés, le retour des forces de sécurité et de défense, et le redéploiement de l’administration générale et des services sociaux de base à Kidal. Il faut dire que c’est le contraire de tout ce que stipule cet accord qui se produit à Kidal.

C’est pourquoi d’ailleurs, j’adhère au point de vue de Tiébilé Dramé- qui a été l’émissaire spécial du chef de l’Etat malien à Ouagadougou-, qui crie à une impuissance nationale et internationale dans la mise en application dudit accord. C’était sur RFI, en réaction à la mort des deux journalistes.

Tous ceux qui ne refusent pas de voir admettent qu’à Kidal, la situation n’a connu guère d’amélioration. On est comme toujours au petit matin de cette rébellion. « Laisse faire le temps », « L’eau trouble finit toujours par s’éclaircir », voilà des expressions que les Algériens connaissent bien, qui résument l’attitude de l’État malien et de la communauté internationale vis-à-vis de la situation à Kidal. Et il a fallu la mort de ces deux journalistes pour que soit sonné le tocsin d’un dur réveil à la réalité dans cette ville. Kidal, c’est un cocktail Molotov dont l’explosion coûtera cher à tout le monde

Que Dieu accueille Ghislaine Dupont et Claude Verlon parmi les justes!

Boubacar Sangaré


Centraf rique : Le passage par Hobbes

Des combattants de la Selakaphoto: AFP/PACOME PABANDJI
Des combattants de la Selaka
photo: AFP/PACOME PABANDJI

La Centrafrique se décide à Bangui mais se vit aujourd’hui ailleurs, dans des villages abandonnés à la discrétion d’une bande de frappe de l’ex-Seleka.

 

C’était prévisible ! En Centrafrique, tous ou presque étaient convaincus qu’il était difficile de passer de Bozizé à Djotodja « sans passer par Hobbes », c’est-à-dire un « Etat de nature » où l’homme est un loup pour l’homme, comme c’est le cas aujourd’hui à Bossangoa, Bouca, Bangassou…

Relevons d’ores et déjà qu’il n’est pas aisé de s’exprimer à propos de la Centrafrique. Surtout que chaque jour, par l’artifice d’internet, des blogs, des centrafricains tout comme des journalistes étrangers sur place, rendent compte du développement d’une crise qui n’a pas encore dit son nom mais qui semble avoir dépassé la cote d’alerte. Guerre civile, confessionnelle-larvée ? Ce qui est sûr, c’est que tous les risques pour y parvenir sont réunis avec surtout la chape de violence qu’une bande de frappe incontrôlée de la galaxie Seleka font subir à des pauvres et paisibles populations aux abois. Encore plus grave, c’est qu’un glissement vers un conflit confessionnel – entre chrétiens et musulmans- semble en train de s’opérer. Résultat, plus de 3 000 centrafricains se sont réfugies dans la province d’Equateur, en RDC ; des populations cherchent à se mettre à l’abri des atrocités, se cachent dans la brousse comme si nous étions encore au stade primitif, ou se réfugient dans la capitale Bangui.

Mais ce qui humilie et choque, c’est que la Communauté Économique et Monétaire des Etats de l’Afrique Centrale (CEMAC) et l’union Africaine, ont encore une fois montré qu’elles ne sont que des modèles d’impuissance du fait de leur incapacité à apporter une solution tranchante à cette crise qui a fini de mettre sens dessus dessous ce pays du continent. Dans un article intitulé « La solution ne viendra pas d’eux… », le blogueur Johnny V. Bissankou ne fait pas dans le détail et dit à qui veut l’entendre de ne pas attendre grand-chose de la CEMAC dans cette crise. Et pour ceux et celles qui ont besoin d’une autre définition de la cemac, il écrit que c’est

« une communauté divisée, faible à tous les niveaux, dirigés par des présidents qui sont tous ou presque arrivés au pouvoir dans leur pays à la faveur d’un coup d’Etat et qui gagnent par l’opération du Saint Esprit toutes les élections présidentielles qu’ils organisent ».

 

Comment expliquer que cinq sommets après le renversement de Bozizé, on en soit toujours à une espèce de stase, à assister à une cavalcade de discours de la part des dirigeants de cette communauté (voire de l’Union Africaine), qui semblent ne pas avoir compris qu’il est temps de passer de « la parole vide » à « la parole pleine » ? Impénitence ? En tous les cas, ça y ressemble.

« Quand l’Etat est fort, il nous écrase ; s’il est faible, nous périssons », cette phrase de Paul Valery, qui a valu des heures de débats en terminale avec notre professeur de philosophie, vient à l’esprit à propos de l’état actuel de la Centrafrique. Dans ce pays, l’Etat est faible et des Centrafricains sont en train de périr dans une scandaleuse indifférence quasi générale. Les médias internationaux, qui ne passaient pas une seule heure sans parler de la RCA, pressés –qui sait ?- de voir Bozizé déchu, ont aujourd’hui détourné les yeux au moment même où le nec plus ultra de la crise sécuritaire et humanitaire a été atteint. Le président autoproclamé, Michel Diotodia, et son premier ministre Nicolas Tiangaye, ce brillant avocat qui, faut-il le rappeler, a défendu en 1986-1987 jean-Bedel Bokassa lors du procès de ce dernier, donnent la pénible impression de ne rien contrôler dans le pays et d’assister impuissants au calvaire des populations.

Le plus grave reste la démission des élites politiques et intellectuelles qui, à force de rivaliser de prises de position dans la guerre de place, ont fini par signer un pacte implicite avec Diotodia …et sa clique dont une partie se complait aujourd’hui à faire « descendre une couronne d’enfer sur la tête » des populations de certains villages. Et tout cela à la faveur de l’impuissance des forces de la MISCA et de la FOMAC qui sont bien en peine de les désarmer.

Et le grand perdant s’appelle le peuple centrafricain qui est en train de payer un lourd tribut à ce qui ressemble désormais à un imbroglio. Mais « les régimes vivent, s’usent et meurent », écrit Malika Mokkedem dans L’interdite. Le peuple, lui demeure et n’a jamais été vaincu par personne. La Centrafrique va se relever, le peuple centrafricain subsistera et aura raison- j’espère que ce sera dans l’immédiat – de cette situation qui n’arrange rien ni personne.

Boubacar Sangaré


Monologue d’un amant heureux

Photo de Ludestru sur Flickr
Photo de Ludestru sur Flickr.

Non, non, tu ne peux pas savoir tout ce que j’ai subi pour avoir Maïmouna. J’étais dingue d’elle, sans te mentir. Mais Maï (diminutif branché de Maïmouna) est une dure. Elle n’a rien à voir avec ces filles faciles qui acceptent de vous suivre pour un oui, pour un non. Chaque jour, à la recréation, je venais pour la rencontrer, la draguer. On se saluait, échangeait. J’essayais de lui bafouiller mon amour, mais c’était le moment pour elle de me plaquer comme un chien encombrant. Elle disait qu’elle me considère comme un ami et non un petit ami. Parfois, elle me regardait comme on regarde une merde sous sa semelle.

Et un souvenir s’impose toujours à moi quand je la vois. Un jour, à la recréation, je l’ai appelée ; elle est venue. On parlait, souriait. Elle a une bonne tapette. J’étais décontracté et je me disais : je suis à deux doigts de gagner. C’est à ce moment-là que son petit ami, que je venais de découvrir, est venu ; il l’a saisie par la hanche comme pour se moquer de moi, et l’a entrainée loin. Elle s’est laissé faire. J’ai perdu la tramontane, les yeux obscurcis par la colère. Je me sentais comme un grain de sel jeté dans un fleuve. Ses amies et les amis de son petit ami ont éclaté de rire, cela me choquait davantage. Mais j’ai préféré ravaler ma fierté, déposer mes armes de jeune homme bagarreur au pied de l’amour. L’amour que j’avais pour Maï.

C’est une vérité aussi amère que le jus de citron dans l’œil : quand on aime, on est aussi aveugle que sourd. Un homme amoureux, c’est comme, au foot, un attaquant qui a la balle au pied et ne voit que le gardien dans le but adverse. Tous ceux qui expriment leur désapprobation sont exclus de ta considération. Pour toi, ils prêchent dans le désert. Personne n’existe en ce moment, hormis toi et elle. Et si ton ex râle, tu lui jettes à la face :

 « Le chien aboie, la caravane passe. »

Ça t’étonne, hein ? Tu te dis que ce n’est pas la même Maï qui a honte de te fixer dans les yeux pour  parler. C’est bien d’elle qu’il s’agit. Il y a même pire que  tout ça. Des fois, elle me disait de venir à 14 heures l’attendre. Je venais, et elle n’était là qu’à 16 heures. Dès qu’on commencait à parler, elle disait que l’heure était venue de rentrer. Elle s’en allait, filait à l’anglaise. Je m’en retournais à la maison, le cœur meurtri, et après, je partais m’entrainer. Me confier à qui ? Je n’avais personne à qui confier ma peine d’avoir à souffrir pour une fille ! Amour rime aussi avec secret, ça tu ne le sais pas. Je passais la nuit éveillé, à penser à Maï et à la compétition qui m’opposait à son petit ami, Mohamed. Pour la rencontrer à l’école, je ne me faisais plus accompagner par un ami : tous m’ont dit qu’ils ne pouvaient plus supporter les humiliations de Maï.

Mais moi je gardais la tête froide. De quoi tu ris ? Je suis au sérieux. Qui, si ce n’est moi, peut encore se regarder dans la glace après qu’une fille lui eut dit qu’elle le détestait au plus haut point, et qu’elle ne voulait plus le voir ? J’ai résisté malgré tout. A un moment donné, faute de savoir quoi faire, je me consolais en disant que demain, quand j’aurais gagné l’amour de Maï, il ne resterait dans mon esprit rien de toute cette souffrance. Et puis, après tout, j’ai lu dans Voltaïque de Sembène Ousmane :

« On se dégoûte du désagréable ; l’agréable rend entreprenant. »

Arrête de rire, Boubacar, sinon je ne vais plus rien te dire ! Tu ne vas pas me dire que je faisais, prête-moi l’expression, de « l’aplaventrisme » (à plat ventre), au sens où l’entendait Sankara.

Aujourd’hui, tout cela est désormais derrière nous. Elle m’aime. Je l’aime. Nous nous aimons. Mais ces souvenirs pas très jolis sont toujours là. Et, pour moi, Milan Kundera a raison lorsqu’il écrit dans La Plaisanterie :

« Tout sera oublié et rien ne sera réparé. Le rôle de la réparation (et par la vengeance et par le pardon)  sera tenu par l’oubli. Personne ne réparera les torts commis, mais tous les torts seront oubliés. »

Boubacar Sangaré


Françoise Wasservogel, journaliste : « Les Maliens sont déçus, ils espéraient que l’élection allait être un coup de baguette magique’’.

Françoise Wasservogel, Journaliste (photo: F. W)
Françoise Wasservogel, journaliste (photo : F. W)

Françoise Wasservogel est la correspondante en France de l’hebdomadaire malien Le Reporter, où elle tient une chronique intitulée  »L’œil du reporter ». Dans les lignes qui suivent, elle livre son point de vue sur les derniers évènements qui ont agité la ville de Kati, les manifestations à Gao, la médiatisation internationale du Mouvement national de libération de l’Azawad et les lourdes tâches qui attendent le président Ibrahim Boubacar Keïta.

 

Quels commentaires vous inspirent les derniers événements qui ont mis la ville de Kati au premier plan de l’actualité ?

Les informations qui nous arrivent sont contradictoires, nous n’avons aucun recul, il est donc difficile d’avancer une analyse argumentée. Cependant, il est clair que, depuis le 22 mars 2012, le mot Kati engendre les sentiments les plus forts chez beaucoup, surtout une rancoeur absolue à l’égard de ceux qui ont fait tomber le régime ATT, et qui sont accusés d’avoir favorisé l’occupation du Nord par des bandits de toutes sortes. Aujourd’hui, quelque 19 mois plus tard, alors que Sanogo a été promu général par Dioncounda, on ignore quelle influence il peut encore avoir à Koulouba. Les revendications et jalousies de ses collaborateurs semblent avoir entraîné des altercations sérieuses à Kati. Les arrestations présumées des uns et la découverte des corps des autres alimentent toutes sortes de commentaires et condamnations verbales, alors que seule l’Histoire pourra nous éclairer. Ce qui me semble évident, c’est que les Maliennes et Maliens, qui sont sortis en masse pour élire le président afin de relever le bateau Mali, sont déçus, ils espéraient que l’élection allait être un coup de baguette magique. Il faut du temps pour apaiser 21 mois de chaos. C’est à toutes et tous que revient aussi la charge de relever le pays qui souffre depuis plusieurs décennies, ne l’oublions pas.

A Gao, le jeudi dernier une manifestation s’est tenue contre les négociations avec les différents groupes rebelles. Sur des pancartes, on pouvait lire  » Oui à l’opération Serval mais non à la partialité de la France dans la crise du nord du Mali ». Alors, vous pensez comme ces manifestants qu’au nord du Mali, la France a une position floue ?

On a vu les photos de ces pancartes, lu des slogans sur plusieurs autres thèmes, la vie chère, les coupures d’électricité, etc., mais  le principal souci des populations au Nord est leur sécurité physique et alimentaire. Elles demandent que les forces maliennes et étrangères assurent leur sécurité, car elles redoutent le danger qui les guette.

Les populations s’interrogent sérieusement sur le comportement de beaucoup de policiers et militaires maliens qui, au lieu de veiller sur elles, continuent à les racketter pour tout et n’importe quoi, comme autrefois. Les gens sont fatigués, se sentent méprisés, humiliés, et se demandent pourquoi les autorités ne rétablissent pas l’état de droit, puisque chacun sait que c’est cette quête à l’enrichissement personnel qui a ouvert les portes aux différents groupes armés.

Les populations qui sont restées chez elles tout le long de l’occupation savent ce qu’elles ont vécu, qui a fait quoi, et quelle est l’attitude des différentes forces armées en poste dans leurs régions. Ces populations, principalement, les « jeunes de Gao » ont marché à plusieurs reprises, face aux coupeurs de mains d’abord, et malgré l’état d’urgence, ensuite. En janvier, ils ont accueilli les forces Serval comme leur sauveur. Ils s’interrogent effectivement sur l’attitude de la France à l’égard du MNLA puisque la situation à Kidal n’évolue guère. Cependant, il ne faut pas faire d’amalgame entre les « différents groupes rebelles », comme vous dites. La marche du 10 octobre, à Gao, a fait suite aux tirs d’obus revendiqués par le Mujao, le groupe qui a martyrisé la région pendant des mois. Je répète, ils sont sortis principalement pour demander qu’on assure leur sécurité et que l’Etat assume ses responsabilités. Ils ne comprennent pas comment certains membres du Mujao peuvent circuler en ville sans être inquiétés. Donc, oui, on peut se poser des questions sur l’attitude de la France vis-à-vis du MNLA, mais, au vu des dernières attaques sur Tombouctou et Gao, cela ne doit surtout pas occulter le danger terroriste qui persiste dans le Nord, et menace donc tout le Mali.

Selon vous, qu’est-ce qui explique qu’au fort de la crise malienne, le MNLA se faisait inviter à tout bout de champ sur les plateaux de télévisions françaises ? On se souvient que c’est via une chaîne française que le MNLA a proclamé l’indépendance de l’Azawad.

Vous touchez là une interrogation cruciale. La médiatisation internationale accordée au groupe indépendantiste nous ramène à l’Histoire qui lie le Mali et l’ancien colon. N’oublions pas que l’Histoire a commencé en 1885, à la Conférence de Berlin, car tout est une histoire de pillage des ressources. Après l’échec, en 1958, du projet français de création de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS), qui ambitionnait de détacher des espaces territoriaux de l’Algérie, du Soudan français (le futur Mali), du Niger et du Tchad, des zones réputées riches en ressources minières au seul bénéfice de la puissance coloniale, le colon a ethnicisé les espaces afin de diviser pour mieux régner. L’image de « l’homme bleu » du désert a été créée, protégée par l’article de la Charte des Nations unies concernant le droit des peuples à l’autodétermination. Il ne faut donc, malheureusement, pas s’étonner que les médias internationaux aient offert et continuent d’offrir les plateaux à ces « hommes bleus » qui, consciemment ou pas, font le jeu de la mondialisation, exclusivement préoccupée par le profit au détriment des populations.

Mais est- ce que cela n’est pas aussi dû a une morosité diplomatique de la part du Mali, surtout de l’ambassade du Mali en France?

Les représentations diplomatiques ne sont que des antennes de leur gouvernement à l’étranger. Votre question interroge donc sur les desseins et alliances de ceux qui ont dirigé le pays pendant toute cette crise. La reprise des accords provisoires de Ouagadougou et l’accord final nous révèleront le dessous des cartes.

Etes vous d’accord avec le constat qui est que les médias occidentaux, français en tête, ont relégué aux oubliettes les Peuls, Songhaïs, Bozos, Dogons, qui, quoi qu’on dise, sont majoritaires au nord du Mali?

Cet « oubli » volontaire complète ce que je viens d’expliquer. Malgré les chiffres démographiques qui montrent que le Nord n’est pas différent de la mosaïque culturelle malienne en général, les médias continuent de soutenir les revendications d’un groupuscule qui ne représente que lui-même, qui n’est mandaté par aucune des autres communautés, largement majoritaires, et ce, malgré ce qu’ont pu affirmer les Maliens Tamachek, et les porte-parole des diverses populations maliennes : Peuls, Sonrhaïs, Bozos, Dogons etc.

Tout le monde s’accorde a dire que le président IBK a du pain sur la planche : réforme de l’armée, réconciliation nationale, lutte contre la corruption… Ne pensez- vous pas qu’on oublie un peu l’éducation qui, pourtant, apparaît comme le chantier le plus délicat ?

La tâche du président et de son gouvernement est vaste et immense. Vous citez vous même les chapitres principaux, et tout devra être mené de front. Mais, vous avez raison, la base de tout développement est l’alphabétisation et l’instruction obligatoires pour toutes et tous. C’est une politique à long terme, qui doit être menée d’une main de fer, mais, qui, encore une fois, est l’unique voie vers un développement du pays. Les bonnes mesures doivent être prises, et chaque famille doit en être le vecteur principal. Cela prendra certainement une vingtaine d’années, mais c’est la condition sine qua non, pour que le Mali nouveau voie le jour.

Par rapport à l’avenir du Mali, vous êtes pessimiste ou optimiste?

Je veux être optimiste, bien sûr. Mais il faut faire preuve de réalisme, et oser dire que l’avenir dépend de la volonté de tous les Maliens et Maliennes, de Koulouba au village le plus reculé, de tourner la page à la corruption, l’enrichissement illicite, et l’impunité qui ruinent l’avenir des enfants. C’est le chantier de chacune et chacun. Il faut relever les manches, construire des fondations saines au nouveau bâtiment malien, afin que chacun soit heureux d’y vivre et ne pense plus jamais à risquer sa vie vers l’enfer du mirage occidental.

Propos recueillis par Boubacar Sangaré


Lampedusa ou le tombeau des rêves

Les corps des immigrésPhoto: AFP
Les corps des immigrés
Photo : AFP

Plus 127 corps de femmes et d’enfants repêchés, 200 personnes disparues et 155 personnes sauvées, sur les 500 migrants qui étaient dans le bateau qui a fait naufrage, jeudi dernier, à presque 550 m de Lampedusa, cette île italienne de 600 habitants, plus proche de l’Afrique, et dont les habitants vivent essentiellement de la pêche et du tourisme. C’est un bilan meurtrier devant lequel la maire, Giusi Nicolini, n’a pu contenir ses larmes ; même le pape François a réitéré son soutien à ces migrants à qui, en juillet dernier, il avait confié :

« L’Église est avec vous dans votre quête d’une vie plus digne pour vous et vos familles ».

L’Italie a décrété un deuil national.

Mais il reste que l’île de Lampedusa est le tombeau des rêves d’une vie meilleure de ces migrants qui, la misère aux trousses, préfèrent tourner le dos à leur pays socialement, politiquement et économiquement en panne. Dans cette tragédie, on aura appris que les migrants sont Erythréens et Somaliens. Cela n’a rien d’étonnant pour qui sait que la Somalie est un pays menacé dans son existence, et dont on ne parle dans les médias, occidentaux surtout, que lorsque la famine y sévit comme un feu de brousse sous l’harmattan, ou quand les shebabs croisent le fer des forces de l’AMISOM.

L’Erythrée, ce pays de 6,2 millions d’habitants, devenu indépendant en 1993, et dirigé depuis par Issayas Afewerki, figure en bonne place au nombre des pays peu respectueux des libertés et des droits de l’homme : le parti unique ; une justice tout sauf indépendante ; une opposition en exil en Ethiopie, en Europe et aux Etats-Unis. C’est l’un des pays les plus pauvres du monde avec une économie fragile,  résultat des tensions avec ses voisins Ethiopiens et Djiboutiens.

Ce naufrage de Lampedusa est d’abord celui d’un continent- l’Afrique – dont les pays ne sont jamais parvenus à assurer à leurs populations des conditions de vie « sortables ». Ces populations qui sont excédées, auxquelles on fait miroiter les chances, fausses, d’une réussite dans une Europe qui les repousse comme on décline une offre. Une Europe qui veut se débarrasser d’eux, par tous les moyens, y compris en les laissant se noyer en mer. Dans une lettre adressée, il y a un an, aux Européens, alors que l’Europe venait de recevoir le prix Nobel de la paix, la maire de l’île de Lampedusa, Giusi Nicolini a estimé que c’est « un sujet de honte et de déshonneur ».

«Je suis de plus en plus convaincue que la politique d’immigration européenne considère ce bilan comme un moyen de modérer le flux migratoire, quand ce n’est pas un moyen de dissuasion. Mais si le voyage en bateau est pour ces personnes la seule façon d’espérer, je crois que leur mort en mer doit être pour l’Europe un sujet de honte et de déshonneur… », écrivait-elle.

Bien sûr, ce qu’a dit le président de la République, Georgio Napolitano, est à redire : à savoir que l’Italie se sent « seule » face à ce problème dans une Europe étouffée par une grave crise économique. Et il est allé jusqu’à demander le renforcement de la surveillance des côtes d’où partent « ces voyages de désespoir et de la mort. » Surveiller seulement les côtes suffira-t-il ?

Je ne pense pas. Surtout lorsqu’on sait que ce n’est pas aujourd’hui, en 2013, que les jeunes Africains ont commencé à monter au casse-pipe pour rallier l’Europe. Hier, en 2003, l’Espagne était une destination prisée pour ces immigrés clandestins, Africains majoritairement, qui tentaient de passer le détroit de Gibraltar (entre le Maroc et l’Espagne) au péril de leur vie. Et, encore plus important, parmi ces immigrés 10 % étaient des femmes, qui arrivaient en Espagne enceintes, ce qui facilitait d’ailleurs leur régularisation (la loi espagnole sur l’émigration clandestine prévoyait la régularisation des personnes les plus vulnérables, dont les femmes enceintes ou avec enfants). Ainsi, en mai 2004, dans un reportage intitulé « Gibraltar : détroit de détresse », une jeune femme de 21 ans, Cherish, ayant fui la guerre civile qui avait embrasé le Liberia, confiait au magazine « Elle » :

« La traversée a été terrible. Nous étions plus de cinquante sur un bateau de six mètres (…) Des gens vomissaient (…) J’ai vu trois personnes se noyer. Elles étaient tout près du bord et ne savaient pas nager. On n’a rien pu faire pour elles. C’est grâce à Dieu que je suis là (Espagne). »

Mais, on sait que depuis 2001, l’Espagne avait renforcé son système de surveillance du détroit sous la pression sécuritaire de l’Europe. Ce qui n’a dissuadé ni les passeurs ni les candidats à cette immigration clandestine.

Pour faire court, il faut dire que l’Europe et le monde entier n’assisteront plus à une tragédie de cette sorte le jour où la Mondialisation sera une réalité !

Boubacar Sangaré


Législatives au Mali : connaissez-vous Karim Keïta, le fils du président I.B.K ?

La photo de profil du compte twitter de Karim Keita
La photo de profil du compte twitter de Karim Keita

La participation possible à la course pour la députation de Karim Keïta provoque un ramdam médiatique au Mali. Le fils du président IBK a rendu publique son ambition de défendre les couleurs du RPM (Rassemblement pour le Mali) dans la commune II du district de Bamako en novembre prochain.  L’Afrique est habituée aux carrières de « fils de », souvent illégitimes. Je me propose, dans ce billet, de revenir sur ce que l’on sait de Karim Keïta et sur certaines des réactions que suscite cette histoire.

« Je suis un citoyen malien, j’ai des ambitions pour mon pays et j’ai envie de commencer par un mandat électif. Je ne veux pas être nommé par une décision de ministre ou par un décret présidentiel. J’ai envie d’être élu d’abord et avoir une légitimité politique », a confié Karim Keïta, 33 ans, au bihebdomadaire 22 septembre non sans signaler qu’il a de la difficulté à convaincre son père, le président Keïta, qui est encore sur la réserve. Avant d’aller plus loin, il ne serait pas inintéressant de reproduire ci-dessous quelques commentaires à propos de ce sujet, glanées sur le site Maliweb :

« héyi ayé sabali doni, moi je croyais qu’on devait rompre avec ces comportements. Depuis qu’on a dit avant même la prestation de serment de IBK que c’est son fils Karim qui répondait au téléphone à sa place, j’avais douté. S’il ose (Karim) et si son père (IBK) le laisse faire, chers Maliens, attendez-vous à tout désormais et c’est fini pour le Mali. »

 » En Afrique en général et au Mali en particulier, le commun des mortels oublie que ces enfants aisées qui partent étudier a l’étranger et qui viennent avec des papiers bidons sans compétence ni charisme peuvent diriger une communauté, c’est faut. Ces  soi-disant enfants se cachent sous le boubou de leur père pour se manifester. S’ils sont conscients de leur personnalité pourquoi lors des élections communales en commune IV, il n’a pas pu honorer l’image de son père face à M. Mara Moussa. »

« Il peut se présenter là où il veut, c’est aux Maliens d empêcher la création d’un pouvoir dynastique chez nous. Les Sénégalais ont voté contre ça, faisons de même. Les enfants de président trop impliqués dans la gestion de l’Etat, c’est terminé. »

« Encore un « Né en France », un autre Français qui veut nous diriger comme son père français IBK et le premier ministre Français Tatam Ly. Les deux premiers ont réussi leur coup en cachant honteusement leur nationalité française aux Maliens . »

« Je veux commencer par un mandat électif ». On est prévenu, ceci n’ est que le début, le but étant certainement de prendre le relais de son père à la présidence.
Avoir des droits, ne veut pas forcément dire exercer cela, d’autant plus que dans nos pas sans contre-pouvoir, rien ne pourra prouver la neutralité des pouvoirs publics, et donc la donne est fausse dès le départ.
Mais en réalité, il ne fait qu’éclairer les Maliens sur le fait que le pouvoir risque d’être confisqué par une classe ou plutôt une caste . »

Commençons par dire que c’est un sujet qui ne provoque pas de réactions chez les commentateurs politiques. La plupart se sentent mal à l’aise. Ils craignent probablement qu’on leur reproche un trop grand intérêt pour ce « fils de ». Ils ne veulent pas tomber dans ce panneau-là ! En plus, en lisant les réactions, parfois virulentes, qu’il suscite, Karim Keïta serait tenté de répondre à la Jean Sarkozy (l’affaire Jean Sarkozy, le fils de Nicolas Sarkozy, dont la promotion annoncée à la tête de l’Établissement public d’aménagement de la défense avait fait des vagues en 2009, en France) : Lorsqu’on s’appelle (Keïta), les choses sont parfois plus difficiles.

Mais, il est impossible de ne pas dire que ces réactions sont aussi porteuses d’un sentiment de colère partagé par beaucoup sur le continent africain. Sentiment de colère contre ces fils de présidents dont le gros a des comportements que le peuple estime peu exemplaire- je pense notamment à Obiang N’guema Teo, dont on disait qu’il est plus italien que Berlusconi-, et mène une vie excentrique. De plus, il ne fait aucun doute que les souvenirs des successions dynastiques survenues sur le continent ne se sont pas encore effacés des mémoires : Joseph Kabila (Congo), Faure Gnassimbé (Togo), Ali Bongo (Gabon)…

Mais revenons au cas Karim Keïta, le fils du président Ibrahim Boubacar Keïta, qui est l’un des deux candidats du parti Rassemblement pour le Mali (RPM) aux élections législatives fixées au 24 novembre prochain.

Karim Keïta, comme Karim Wade ?

Karim Keita à côté d'IBK (photo: Mali Actu)
Karim Keita en train de regarder son téléphone à côté d’IBK (photo : Mali Actu)

Directeur associé de « prestige Consulting » (Côte d’Ivoire), directeur et fondateur des sociétés « Konijane », Konijane strategic partners…, Karim Keïta est présenté comme un des conseillers influents du président Keïta, dont il a été un membre de la direction de campagne lors de la présidentielle , au point que des rumeurs lui prédisaient un portefeuille dans le gouvernement.

Son cas s’apparente, à quelques réserves près, à celui de Karim Wade, le fils de l’ancien président du Sénégal Abdoulaye Wade. Un « fils de » qui a aussi donné du grain à moudre aux médias tant nationaux qu’internationaux. Pour mémoire, Karim Wade, à 42 ans, était monté en force au sein des rouages du pouvoir, avant d’essuyer une déculottée terrible aux municipales en mars 2009. Et il a même perdu dans le bureau de vote de son propre quartier Point E. Il y a même eu front TSK (Tout Sauf Karim). Et on sait aussi que Karim Wade a été conseiller de son père, et est entré au gouvernement.

Au Mali, c’est le fils d’un président de la République en exercice qui se porte candidat non aux municipales, mais aux législatives. Et déjà, il récolte des réactions hostiles, dans une société où, à n’en point douter, le phénomène de « fils de ou de fille de » a pris une proportion on ne peut plus inquiétante. Mais, après tout, c’est aux populations de la commune II du district de Bamako, où il est candidat, de lui permettre, ou non, de siéger à l’Assemblée. Il y a de cela 4 ans, au Sénégal- pays cité en permanence comme un modèle en termes de démocratie- la candidature de Karim Wade aux municipales a, en tous cas, fini dans la honte.

Boubacar Sangaré


Au Mali des casques bleus soupçonnés d’abus sexuels

Des casques bleus au Mali (photo: Malijet.com)
Des casques bleus au Mali (photo: Malijet.com)

A Tombouctou, tous ou presque ont retenu leur souffle à cause de l’attaque par des kamikazes qui a visé, samedi, un camp malien et y a blessé des militaires. A la naïveté de certains Tombouctiens qui croient que tout est devenu normal, il faut opposer ce constat qui est que les régions libérées de la férule des terro-djihadistes sont tout sauf « des zones paisibles ». C’est toujours « le calme avant la tempête », cela qu’on le déplore ou pas. Par contre, à Gao, outre cet évènement tragique qui arrive comme un cheveu sur la soupe, il convient de signaler que ce sont les accusations d’abus sexuels et de mauvaise conduite contre des casques bleus qui occupent encore les attentions.

 

En effet, quiconque s’intéresse aux affaires maliennes et lit régulièrement les dépêches d’agences de presse, occidentales surtout, a du s’émouvoir devant les informations sur « les accusations d’abus sexuels (à Gao) et de mauvaise conduite portées contre des casques bleus». Surtout qu’il y a bien longtemps que des amis de Gao, blogueurs, disent avoir reçu des témoignages faisant état des cas de viol contre  des jeunes filles dont se seraient rendu coupables des casques bleus déployés dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma).

 

Disons-le tout de suite, ce n’est pas la première fois que de telles accusations éclaboussent les casques bleus, quand on sait que « ces sales pratiques » ont commencé à faire surface en 2004 en République démocratique du Congo. Et le malheur a été qu’au Congo, des officiers n’ont pas voulu coopérer dans le cadre des enquêtes menées par l’ONU. Puis, il y a eu la Côte d’Ivoire en 2011 où l’opération des Nations unies pour la Côte d’Ivoire (Onuci) a aussi reçu « des allégations dénonçant des abus sexuels des casques bleus sur des mineurs depuis 2006 ». A l’époque, l’Onuci s’est dit très préoccupée, car son « nom » avait été traîné dans la fange en 2007 par de pareils cas occasionnés par des casques bleus marocains qui étaient basés à Bouaké.

Et aujourd’hui, c’est au tour du Mali d’assister à une résurgence de ces mêmes comportements fangeux de la part de certains casques bleus qui ne sont rien de moins que des cocos – le mot n’est pas fort. Ainsi, après la RDC, la Côte d’Ivoire…, il est donc à remarquer que les accusations d’abus sexuels et de mauvaise conduite sont en instance de devenir l’étiquette des casques bleus; et de là à dire qu’ils sont comparables à une boîte de Pandore qui s’ouvre d’elle-même, il n’y a qu’un pas qu’il ne faut d’ailleurs franchir sans la moindre réserve.
Ainsi, ces accusations qui pèsent sur ces casques bleus viennent tout simplement à donner raison à une opinion publique malienne qui, forte des cas d’abus sexuels en d’autres pays du continent, n’avait pas tardé à manifester son hostilité au déploiement des ces forces onusiennes dont on dit qu’elles ont des agendas personnels : trafic de drogue, abus sexuel…

La nationalité des casques bleus concernés n’a pas été révélée. Et on sait que « les pays contributeurs de troupes portent la responsabilité d’ouvrir une enquête et de veiller à prendre les mesures disciplinaires et judiciaires appropriées si les allégations s’avéraient fondées », comme l’a affirmé Martin Nesirky, le porte-parole du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, dans une dépêche. Mais on ne peut s’empêcher de poser la question suivante : pourquoi après la RDC, la Côte d’Ivoire… les mêmes accusations continuent de refaire surface ? On peut répondre que c’est parce que, peut-être, entre « la politique de tolérance zéro à l’égard des abus sexuels » et le comportement des casques bleus, il y a un fossé, immense. Et on peut aussi évoquer le fait que c’est parce que le recrutement des casques bleus n’est toujours pas soumis à des critères suffisamment sévères, ce qui fait qu’il n’est même pas surprenant de retrouver dans leur rang des forbans.

L’opinion publique malienne attend donc de voir les conclusions des enquêtes qui seront menées et les sanctions qui frapperont les coupables pour qu’enfin le cas malien soit un rempart contre d’autres abus sexuels dont se rendront coupables des casques bleus.

Boubacar Sangaré


Ces voix qui font désespérer du monde

Photo credit: Yelli Fuso
Photo credit: Yelli Fuso

Il arrive des moments où on a le sentiment que ceux qui luttent pour la justice, l’honnêteté, la vérité…se trompent dans un monde déjà gagné par l’imbécilité, la perfidie et la saloperie. Ils n’y peuvent rien. Le même sentiment m’a envahi, un mardi soir, lorsque je suis tombé sur une émission sur les antennes de la Radio Klédu (fréquence 101.2, Bamako).

« Voix de cœur », c’est le titre de l’émission en question, qui, m’a-t-on appris, bénéficie d’une grande audience qui dépasse les seules limites de la capitale. Ce succès, à mon sens, n’est pas le fait du hasard, mais plutôt tient au fait que l’émission donne la parole aux auditeurs pour qu’ils exposent leurs problèmes, d’ordre conjugal, familial et souvent sentimental. Ensuite, vient pour les animateurs- qui, à les entendre parler, ont chacun des connaissances sur les us et mœurs du pays, sur la religion (l’islam surtout)- le temps de donner leur avis, des conseils. D’autres auditeurs aussi appellent pour réagir.

Mais ce n’est pas tout. Le fait est que les histoires racontées dans cette émission relèvent pour la plupart de faits divers dont raffolent les Bamakois. A ce sujet, je ne saurais oublier de souligner au passage le succès de mes confrères du journal Kabako  (signifie en bamanan ce qui étonne, qui est extraordinaire) qui consacrent beaucoup de colonnes aux faits divers. Je commence par dire que j’ai pris le train en marche, à la différence d’une masse de Maliens qui aiment prendre les trains qui arrivent… en retard ! C’est aussi cela être malien aujourd’hui.
La première histoire est celle d’une jeune fille de 16 ans. C’est son amie, chez qui elle s’est réfugiée, qui a appelé pour raconter qu’elle a des coïts forcés avec son père qui, encore plus grave, met son veto à toute demande de mariage la concernant. La mère de la fille travaille dans une administration et donc n’est pas fréquente à la maison. Et elles sont comme l’âne de Buridan, ne savent pas s’il faut ou pas mettre la mère de la fille au courant. Voilà résumée rapidement la situation.

Et les avis ne se sont pas fait attendre. Une des animatrices de l’émission a estimé que « le linge sale se lave en famille. Ce que je dis à la jeune fille, c’est de menacer son père d’informer sa maman s’il ne déclare pas forfait.»

Un autre animateur n’a pas cherché midi à quatorze heures et a signifié à la jeune fille d’informer sa maman qui, ensuite, doit en parler aux amis de son époux pour que ces derniers lui fassent entendre raison. Des auditeurs ont appelé pour livrer leur point de vue. Comme chacun voit midi à sa porte, d’aucuns ont exhorté la fille à quitter la famille pour s’établir chez un frère de sa mère ou de son père. D’autres ont même juré par tous les saints que ce n’est pas son père, car à leur entendement, il est impensable d’avoir des rapports avec sa fille. Un auditeur est allé jusqu’à demander à la jeune fille de lui donner juste le nom et le prénom de son père qu’il se propose de rendre impuissant.

Une autre animatrice (ils étaient quatre dans le studio) s’est laissée aller à dire qu’au temps ancien, où elle avait encore les seins pointus, une jeune fille ne portait qu’un seul pagne, et laissait découverte la poitrine, allait où bon lui semblait, sans même craindre de se faire violer. Bien sûr, a-t-elle ajouté, le copinage existait, mais ne se pratiquait aussi « salement » qu’aujourd’hui : il n’y avait jamais de rapport entre le copain et la copine. L’époux d’une jeune fille qui avait gardé son hymen devait honorer celui qu’elle a eu comme copain. Pour l’animatrice, en somme, cette incartade n’est rien de moins qu’un signe avant-coureur de plus de la fin imminente du monde.

Encore une fois, chacun voit midi à sa porte. Chacun a donné son avis et ses conseils, à charge pour les deux jeunes filles d’en tirer des conclusions.

La seconde histoire concerne un couple. C’est l’épouse qui raconte. Son époux a engrossé sa bonne, laquelle se trouve même gravement malade. Elle tente de justifier l’acte de son époux par le fait que, elle, en tant que femme médecin, voyage beaucoup, souvent pour un long temps ; ce qui aurait poussé son époux à « se rabattre » sur la femme de ménage.

En réaction, une auditrice a appelé pour dire qu’elle a aussi vécu la même situation, et a conseillé à la femme de ne pas en faire un problème, de soigner la femme de ménage et de la renvoyer plus tard. Un avis qui a recueilli l’adhésion de nombre de personnes.
On devine sans mal que des cas pareils sont légion à Bamako et au-delà dans beaucoup de capitales africaines. Des histoires qui soudent sur place rien qu’à les entendre ! Et on ne peut se défendre de dire que c’est à désespérer d’un monde qui semble avoir renoué à jamais avec les crises d’ordre économique, politique, géopolitique, voire social. Un monde où les valeurs morales et humaines sont de plus en plus balayées d’un revers de manche.

« Voix de cœur », on l’aura compris, est à ces auditeurs et auditrices ce qu’est à d’autres une consultation de psychologue. Ils exposent leur problème, reçoivent par la suite une nuée d’avis et de conseils dont ils feront une synthèse pour pouvoir se tirer d’affaire.

Boubacar Sangaré


Littérature : Mariama Bâ, un autre passant…considérable

Mariama Bâ. Photo: African Suuces
Mariama Bâ. Photo: African Suuces

Peut-on aujourd’hui égrener le nom des grandes plumes de la littérature africaine contemporaine sans considérer Mariama Bâ, qui, avec son premier roman « Une si longue lettre », s’est manifestée comme une icône aussi bien en littérature qu’en militantisme ? Difficile de répondre autrement que par la négative, tant il reste évident que cet écrivain immense n’a pas manqué de laisser des traces dans les cœurs et dans les esprits.

Dans le deuxième numéro de La Revue Littéraire du Monde Noir, publié en mai-juin-juillet 2012, en hommage à Léon Gontran Damas, Boniface Mongo Mboussa écrivait en titre : «…Léon Gontran Damas, le passant considérable ». Dans une allocution prononcée à l’hôtel de ville de Fort-de-France en 1978, rapporte t-il, Césaire disait à propos de Damas :

« De Rimbaud, Mallarmé disait :’’passant considérable’’. De Léon Gontran Damas, je dirais un peu la même chose. .. »

 

Qu’on me permette de dire moi aussi la même chose de Mariama Bâ, car elle est présentée comme la première romancière africaine ayant parlé de la place faite aux femmes dans la société africaine. Et cela, à une époque où une femme qui écrivait valait son pesant d’or. A travers elle, on comprend que partout en Afrique, y compris au Sénégal mais pas seulement au Sénégal, la vie de la femme n’avait vraiment pas de sel : polygamie, ingratitude des hommes, exploitation des femmes…

 

Le 17 août 1981-il y a donc 32 ans de cela- Marima Bâ s’en est allée, atteinte d’un mal pernicieux (un cancer) qui ne devait pas l’épargner, en laissant derrière elle deux romans majeurs qui continuent de tenir en haleine étudiants, chercheurs et toute personne férue de littérature africaine. Ceux qui ont salué « Une si longue lettre » ont dû être à la peine le 17 août 1981, jour où elle est partie. Car Mariama Bâ, disons-le sans hésitation, n’écrivait pas pour bavarder mais pour dire ce qui épanouit et nourrit, intellectuellement, s’entend.

 

Son premier roman « Une si longue lettre », qui a reçu le prix Noma en 1980 et a été traduit en plusieurs langues, reflète avant tout les réalités d’une génération, la sienne. Dans ce roman, elle livre un témoignage sur le comportement masculin, le rôle de la famille, la prise de la religion islamique sur la vie du couple… C’est la place même de la femme dans la société sénégalaise en particulier, et africaine en général, qui est mise en exergue. Et lorsque Mariama Bâ s’engage dans la voie de la lutte pour les droits des femmes, par l’artifice de mouvements féministes, elle ne fait que joindre la parole à l’acte.

« Pour elle, se battre pour le droit des femmes n’était pas un combat contre l’homme, mais avec l’homme dans un esprit de complémentarité. C’était une femme de consensus, de compromis, elle était aussi bien dans son rôle de femme, de mère que de femme active/moderne. », disait sa fille, Aminata Diop, il y a deux ans de cela à APS.

 

C’est une vieille vérité, les idées ont la vie dure, c’est pourquoi on parle encore de Platon, Socrate, Marx, Engels, Benjamin Franklin, plus que du but de Messi ou de Ronaldo du dimanche dernier. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’on parle encore de cette enseignante, fille de ministre. Enseignante, elle était, un métier très prenant aussi quand on y accorde de l’importance. Son second roman « Un chant écarlate », publié en 1981 à titre posthume, n’a pas démenti les talents littéraires qui ont éclaté aux yeux des lecteurs au fil des pages dans le premier roman. C’est un livre fort. En guise de préface intitulée « In Memoriam », l’éditeur, Les Nouvelles Editions Africaines, écrit à propos du livre :

« On retrouve dans ‘’Un chant écarlate’’, la Croisée mobilisée contre les injustices sociales, ajoutant ici un plaidoyer pour des valeurs d’identité dont les aspects négatifs, cependant, ne lui échappaient pas.
« C’est sans doute l’histoire d’un amour, mais, au-delà, investigué avec une sensibilité qui n’enlève rien à l’intelligence, un aspect de la tragédie de l’aventure humaine, où l’amour ne triomphe pas toujours des préjugés et incompréhensions qui font partie de l’héritage culturel que chacun de nous porte comme une richesse ou un fardeau. »

Mais, qu’on se le dise, c’est un roman dont on parle peu et qui reste inconnu à beaucoup de personnes dans la jeune génération. Le modeste étudiant que je suis a payé les deux livres au hasard d’une course en ville, chez un ami libraire, et a été peiné après avoir fermé « Un Chant écarlate »

Ousmane Guèye est un élève studieux. Son père, Djibril Guèye, a fait des études coraniques et a été au nombre des tirailleurs recrutés massivement pour la guerre. Déçu par l’indifférence que lui témoignait Ouleymatou, une camarde de classe qui lui dit quelque chose, Ousmane renonce à aimer. Mais arrive Mireille de La Vallée, la fille d’un diplomate français des services de la primature, avec laquelle il réussit au baccalauréat. Ousmane s’énamoure de Mireille. Après qu’il eut repoussé la bourse que lui ont proposée les services du ministère de l’Education nationale et de la Culture, il entre à la Faculté des lettres et des sciences où Mireille a aussi décidé de poursuivre ses études. Mireille et Ousmane vivaient leur amour tranquillement jusqu’au jour où la photo d’Ousmane qui s’est égarée a été récupérée par Jean de La Vallée qui n’a pas tardé à manifester son hostilité vis-à-vis de cette relation qu’il juge contre nature. Et Mireille défie son père, se dresse contre « des vérités inculquées » :

« A moi le Nègre sauvage, au sourire ‘’banania’’. A moi le Nègre idiot hermétique au savoir. A moi, le Nègre aux yeux ronds dans un visage de cire. Tu te crois supérieur parce que tu es blanc. Mais gratte ta peau. Tu verras le même sang rouge gicler, signe de ta ressemblance avec tous les hommes de la terre. Ton cœur n’est pas à droite. Il est à gauche, papa, comme le cœur de tout humain… »(p.44)

Jean de la Vallée rapatrie sa fille vers la France pour l’éloigner de Ousmane. De Paris, Mireille envoie une lettre dans laquelle elle demande l’avis de Ousmane sur la finalité de leur relation. Ousmane se retrouve alors dans une situation cornélienne :

« D’un côté, mon cœur épris d’une Blanche…de l’autre, ‘’ma société’’ »
A voir cette lutte de Mireille pour épouser Ousmane, à voir Ousmane entretenir une amante avec laquelle il aura même un enfant, à voir Mireille rongée par le sentiment d’être trahie, se débattant « dans la toile d’araignée de l’angoisse », « étranglée dans des tunnels de peurs et d’humiliation », il y a vraiment de quoi être peiné. Et surtout la tragédie sur laquelle tout cela débouche : Mireille tue son enfant Gorgui et tente de faire la peau à Ousmane aussi. Quel renversement de situation ! Mireille a rompu avec sa famille et n’est pas parvenue à s’intégrer dans un nouvel environnement. Mais Djibril Guèye, le père de Ousmane, dit tout : « Quand on abandonne son tertre, tout tertre où l’on se hisse croule ».
Boubacar Sangaré


Voyage à un bout du monde… (Carnet de route)

A N'Gouma (photo; Boubacar)

A N’Gouma (photo; Boubacar)

Bamako. Samedi 17 août. La cohue qui s’installe dans les locaux de la compagnie de voyage Africa Tours annonce des débordements. Des passagers à destination de Mopti, dont je fais partie, ont les nerfs en boule : le départ, fixé à 15 heures, est retardé. A 16 heures, le car n’est toujours pas là. Pourtant, c’est une compagnie réputée sérieuse, ponctuelle. Les passagers sont entrés en colère et ont le sentiment d’avoir pris des vessies pour des lanternes. Quelques minutes avant 17 heures, nous avons levé le camp; le car nous a avalés à Bamako pour nous déverser dans la gueule malmenée par la pluie et le froid d’une gare de Mopti quasi déserte.

 

Il est 4 heures du matin. Dimanche. Une ambiance de cimetière. Des étals garnis d’œufs, de boites de lait en poudre ou concentré, se dressent avec les soins de jeunes hommes qui vendent omelettes, café crème, café noir. Assis sur le même banc que moi, un homme, à l’allure peule, fait ses ablutions. Nous étions dans le même car. Les passagers sont assis par petits groupes.

 

Quelque part, dans la ville de Mopti, la voix d’un muezzin monte comme du mercure dans le thermomètre, déchire le calme qui règne. Dans les basses-cours, les coqs s’escriment à donner davantage dans les cocoricos. C’est l’heure où d’autres passagers déboulent et se hâtent vers je ne sais quelle urgence. Je suis là, comme tout le monde, à attendre que le jour vienne pour continuer mon chemin, mettre le cap vers ma destination finale. Un jeune homme, le cap de la vingtaine à peine passé, assis près de son pousse-pousse, guette comme un chat des bagages à transporter. Un autre s’adresse aux passagers pour leur proposer son service. Les moustiques sont là. Et le froid aussi. Oui, je suis à Mopti, en même temps que ces souris qui traversent la route à toute vitesse, foncent vers les cars garés, dans l’indifférence de tous. Une folle, pieds nus, ne portant qu’un seul pagne, pourchasse à grand renfort d’insultes un galopin qui, à le voir détaler, est loin d’être innocent.

 

Je vide rapidement un verre de café noir et me transporte au bord du fleuve. Là, un alignement de pinasses, les unes sur le départ, les autres en train de décharger. C’est le réveil. Les têtes sont lourdes et les regards que je croise me suffisent pour savoir que la nuit n’a pas été « passée en paix ». Je salue, demande s’il y a une pinasse pour mon village. Négatif. Le soleil se lève sur Mopti. Bols remplis de café qu’on boit à grandes lampées, avec un morceau de pain croqué à belles dents. Des moutons bêlent. Des calebasses entassées dans un sac en mailles. Je reçois tous azimuts des invitations à manger, véritable démonstration de la générosité malienne. J’essaye de suivre l’info. R.F.I : quelque part sur le continent, en Centrafrique, l’ex-chef des rebelles de la coalition Séleka, Michel Diotodia, doit prêter serment, dans un pays qui ne s’est pas encore relevé du coup d’Etat qui a chassé du pouvoir François Bozizé. L’insécurité y est reine, les armes continuent de parler. En Egypte, Les Frères musulmans et l’armée continuent de parler le langage de la violence.

A Mopti, au bord du fleuve (photo; Boubacar)

A Mopti, au bord du fleuve (photo; Boubacar)

Je renonce à la pinasse. A présent, je cherche une voiture à destination de Gounambougou, une bourgade localisée à 200 et quelques kilomètres de Mopti, où mon oncle viendra me récupérer. La voiture n’a pas encore démarré. Un ami de Tiècoura, le chauffeur, parle des élections. C’est un nabot, un indécrottable fumeur. Il n’a pas voté.

« Si Soumaila Cissé avait gagné, il y aurait eu des affrontements. Mais Dieu donne le pouvoir à qui il veut. I.B.K a gagné, c’est bien. C’est la volonté de Dieu. », a dit en peul, un vieillard qui aurait voté Soumaila Cissé au premier tour, et reporté son vote sur I.B.K au second tour.

 

Il est vrai qu’à Bamako, au fort du processus électoral, les rumeurs attribuaient aux électeurs des deux camps une volonté d’en découdre. Le pire, le sang avait été promis. Mais la suite des évènements a donné tort à bien des Cassandres. Les esprits ont fini par se calmer. En tous les cas, un affrontement entre Maliens n’allait rien arranger, ni personne, mais plutôt, conduirait le pays tout droit à un cataclysme. Ce qui serait de trop pour un pays déjà bien secoué.

 

Ahmadou Touré est à Mopti depuis bientôt 2 ans. Il est tailleur.

« A Mopti, il ne fait pas bon vivre. Sauf si tu as de l’argent. La vie est chère, et en plus, il n’y a pas de travail. Tout le monde se retrouve sous le dénominateur commun: la pauvreté. », m’a-t-il confié avant d’ajouter qu’il « aurait aimé voir Soumaila Cissé à la tête du pays. »

C’est là un souhait qui n’est pas anodin, car Ahmadou est de la commune de Banekani où Soumaila Cissé aurait passé une partie de son enfance.
La région de Mopti a aussi subi les conséquences de la guerre contre les terro-djihadistes. Surtout le jour où la ville de Konna a été le théâtre d’un affrontement entre les terro-djihadistes et l’armée malienne aidée par l’intervention des soldats de l’armée bleu blanc rouge. L’opération Serval venait d’être lancée.

« Au marché, le kilo de la viande fait 2500fcfa. On n’a l’électricité que de 18h à 06h du matin. Il y a coupure pendant toute la journée. Dernièrement, on parlait de tout cela sur les antennes de la Radio Bani, dans « C’est pas normal », une émission qui bénéficie d’une grande audience, ils dénonçaient aussi bien le comportement des populations que celui des autorités. », a-t-il expliqué.

Ahmadou a vécu les premières heures de l’irruption des islamistes dans la région de Tombouctou, ce qui l’a même poussé sur le chemin de la migration. Il se souvient :

« C’était un jour de foire, à Tonka (Cercle de Nianfunké, Tombouctou). Les islamistes ont surpris tout le monde. Au marché, ce fut un désordre indescriptible. Chacun cherchait où donner de la tête. A cet instant, il était impossible de trouver quelque chose à acheter, même pas de l’eau. Ils étaient là, les islamistes. Parmi eux, il y avait des jeunes ayant le même âge que moi, arborant une kalachnikov, distribuant des ordres à exécuter. Lorsque j’ai pu regagner mon village (Banekani), ma mère m’a ordonné de partir, de quitter la région. Pour nos parents, c’en était fini du Nord du pays. Ils encourageaient les jeunes à partir, à les abandonner entre les mains de ces faussaires de foi. Nous étions beaucoup à quitter le village, le même jour, pour des destinations inconnues. »

C’est la nuit. Après la ville de Konna, notre chauffeur a estimé qu’il était difficile de rouler de nuit, pas de route dans une zone dangereuse. Nous avons donc passé la nuit à Bourbé. Ahmadou me racontait tout cela dans un état mi-figue mi-raisin: ni triste ni content. Il se laissait aller à la confidence. La nuit avançait. Autour du thé, on parlait du Nord, du Mali, des élections, de tout et de rien.

Lundi. Bourbé. Réveil difficile, surtout qu’il fait froid. Les passagers se sont réveillés les uns après les autres. Il est l’heure de partir. De continuer notre chemin. Quelques kilomètres après Bourbé, la voiture quitte la route goudronnée pour traverser la forêt. En cette période de saison pluvieuse, le sol est impraticable. Les rivières abondent, débordent parfois. La voiture se bloque souvent dans les étendues de sable et les flaques d’eau. Oui, c’est à cela que ressemble cette partie du Nord du pays : des immensités dont les arbres (les épines, pour la plupart), les herbes, les dunes de sables, les tertres et les eaux s’en disputent le contrôle. C’est comme cela, après plus de 50 ans d’indépendance et plus de 20 ans de démocratie. Mais, pour autant, ni les peulhs (dont je fais partie), ni les sonrhaïs, qui sont majoritaires dans cette partie du pays, n’ont jamais pensé à prendre les armes pour suivre le chemin du marigot séparatiste, raciste et « gangstériste ». Ils savent mieux que personne « qu’il n’y a rien au Nord », qu’ils sont laissés pour compte. Ils le savent, le disent, mais n’en ont jamais fait un problème. Cela ne veut pas dire malgré tout qu’ils somnolent dans leur misère.

A N’Gouma. Un autre bourg. Il est 9 heures. Je n’ai pu faire mystère de ma surprise à la vue des constructions en ciment, des jeunes sur des motos Djakarta ou Sanili. Des cars garés, des charrettes et des ateliers de couture.

Ankora. Je suis enfin arrivé à destination. Un soleil de plomb. Les arbres sont rares, le sable brûlant. A dos de chameau, d’âne, des villageois se dirigent vers Gounambougou. D’autres s’adonnent à des travaux d’irrigation.

C’est le soir. Le soleil s’apprête à disparaitre derrière les montagnes. Le couchant embrase l’horizon. Le calme des lieux est troublé par le gazouillement des oiseaux. Au bord du fleuve, je surprends un de mes grands-pères, Samba, en train d’invoquer Dieu qui, seul, a le pouvoir de « donner la pluie ».

« Pour vous, les Bamakois, nous, les Nordiste, nous sommes paresseux, nous n’aimons pas travailler. Alors que ce n’est pas ça ! C’est parce qu’il pleut moins ici. Tu vois, la terre est sèche et, tout récemment encore, nous vivions sous la coupe réglée des islamistes », m’a-t-il dit.

Ankora, à la tombée de la nuit (photo; Boubacar)

Ankora, à la tombée de la nuit (photo; Boubacar)

Dans ce village, comme dans beaucoup d’autres du Nord du pays, le problème de développement est un dossier qui n’a toujours pas reçu les réponses adéquates. Mais il y a un autre problème, qui est une condition absolue du développement : l’éducation. En effet, dans nombre de ces villages, les mentalités n’ont pas encore changé, l’hostilité vis-à-vis de l’école française n’a toujours pas désarmé. Il y a une décennie, j’étais petit à l’époque, mon père m’a raconté comment sa famille l’a empêché d’étudier. La méthode, qui est toujours de mise, aujourd’hui, est simple : Un bœuf et une somme faramineuse donnés au commandant, qui représente l’autorité de l’Etat. Un bœuf et de l’argent pour éviter à son enfant d’aller à l’école française. Même à la rentrée scolaire prochaine, dans les villages, où les chefs coutumiers auront été informés du nombre d’enfants en âge d’aller à l’école, et la liste de leurs noms, les directeurs et les commandants se verront proposer bœufs, chèvres, moutons et argent. Il arrive même que les parents cotisent pour y faire face. On préfère laisser l’enfant suivre le bétail dans la forêt que de le voir sur les bancs. Et c’est pire pour les fillettes.

Cela fait trois jours qu’il n’a pas plu. Le soleil brûle avec une telle ardeur que les paysans s’en retournent à la maison à midi sonnant. Le village de Ankora relève de la commune de Banekani (cercle de Niafounké, région de Tombouctou).

« Nous payons les impôts régulièrement. Mais toi-même, tu as vu, il n’y a ni école, ni dispensaire, encore moins une route. Pour que nos enfants étudient, il faut qu’ils aillent à Saké (un autre village, majoritairement peul), ce qui n’est pas évident. Il n’y a rien ici. Ce ne sont que des immensités laissées à elles mêmes. Aucun risque d’embouteillage… », s’est désolé mon oncle, Hamiri Bokar, chef du village de Ankora.

 

Le village de Wo est à quelques kilomètres de Ankora. J’y ai suivi ma grand-mère paternelle, venue à Ankora pour le décès d’un cousin. Sur le chemin, j’ai rencontré une femme bozo, une autre ethnie du Mali.

 

« Modibo Keïta partait en voyage à Kouakrou. Dans notre village, nous l’avons accueilli avec des tam-tams, des danses et des chants. A l’époque, j’avais les seins pointus. Modibo nous a ordonné de tout arrêter pour bien l’écouter. Il a promis qu’à son retour, il ferait égorger toutes les vieilles personnes chenues, et que même un bébé ayant les cheveux blancs ne serait pas épargné. Un homme l’a défié et lui a dit qu’il sait qu’il va partir mais ne sait pas s’il va retourner. Modibo a dit ça en françai,s et en bamanan. Le silence régnait sur la foule. Et Modibo n’est pas retourné, car il a été arrêté et déchu du pouvoir. Quand on a appris la nouvelle, on a dansé, chanté. Nous criions : A bas Modibo ! Vive Moussa ! Raconte ça où tu veux et n’oublie pas d’ajouter que c’est moi, la vieille femme bozo, qui te l’ait dit. », m’a-t-elle raconté sur un ton on ne peut plus grave.

Le problème est que c’est là une histoire qui relève plus de l’anecdote que de la vérité. Ce n’était pas la première fois que j’en entendais parler. Mais elle est d’une authenticité douteuse.

Après  plusieurs heures de marche sur les entendues de sable, je suis arrivé à Wo, en compagnie de ma grand-mère et de ma cousine Nènè.
Nous sommes vendredi. Un grand vent de sable se lève et débouche sur une pluie qui n’a pas duré. Une amie de ma grand-mère m’a demandé s’il pleuvait à Bamako. J’ai répondu par l’affirmative.

« Cela fait longtemps qu’il n’a pas plu. Les récoltes vont mal. Il n’y a même plus de nourriture, les enfants se promènent de famille en famille pour trouver de quoi se mettre sous la dent. », a-t-elle dit.

Un jeune du village, venu me saluer, me tint un tout autre discours :

« Il pleut moins parce que le sang a trop coulé au Nord. Surtout avec la guerre… »

Boubacar Sangaré, De retour de Niafounké (Tombouctou)


Mali : De Dioncounda Traoré à I.B.K, quelle leçon tirer ?

IBK, le nouveau président. Photo: Maliweb
IBK, le nouveau président. Photo: Maliweb

Ça y est, après l’investiture du nouveau président Ibrahim Boubacar Keïta, les commandes du pouvoir ont changé de main au Mali. Sa victoire au second tour du scrutin présidentiel, avec7 7,61% des voix, lui assure d’être le locataire du logement de Koulouba. En effet, dès que le chemin des élections a été débarrassé des potentiels obstacles, les Maliens ont réaffirmé au monde leur volonté d’enjamber l’incommodité dans laquelle les a plongés deux principaux évènements dramatiques que sont le coup d’État du 22 mars et la rébellion armée targui, sur lesquels se sont greffés d’autres plongeant ainsi le Mali dans une impasse.

Le Mali revient de loin, très loin. Coup d’État militaire, démission du président Touré, Contrecoup d’Etat, massacre d’Aguel Hoc, accord cadre, agression du président Dioncounda Traoré, Démission forcée du premier ministre Cheikh Modibo Diarra, arrestations d’hommes politiques, violences et menaces de mort contre les journalistes, guerre contre les terro-djihadistes d’AQMI, du MUJAO et d’ANSARDINE, négociations à Ouagadougou…, et pour finir les élections.
Il y a une année de cela, c’était un pays où on avait perdu la tramontane. Il y a seulement quelques mois, rien n’était encore réglé. Le temps était au pessimisme. Le meilleur comme le pire restait possible au Mali et au Maliens. Certains avaient cessé d’espérer. On craignait. On promettait le pire, le sang. La vie n’était vraiment pas de sel. Un pays à majorité pauvre, où on vit avec moins de 2 dollars par jour, frappé par une crise sécuritaire et institutionnelle. Nombre de partenaires avaient aussi fermé les vannes de leurs aides financières.

La crise s’est jeté sur l’économie comme la pauvreté sur le monde. Le PIB a connu un recul de 1,2%, moins fort que prévu. Les secteurs secondaire (20% de chute de son activité), tertiaire (-10% pour le commerce, –10% pour les services financiers, de même que pour que pour les services marchands, des activités comme l’hôtellerie et le transport aérien ont connu des baisses de 30%) étaient aussi loin d’être tirés d’affaire.

On comprend aisément que tous les Maliens ont payé le prix de la stabilité que l’on connait actuellement. Ils ont souffert et ont accepté de souffrir. Ils se sont dit que beaucoup de choses ont évolué ailleurs, dans d’autres pays, et que cela ne reste pas impossible au Mali et aux Maliens. Les évènements cités au début de ce texte sont désormais derrière. Mais ils s’imposeront en permanence à l’attention des Maliens et sonneront comme des avertissements, car, après tout, ils sont le résultat d’une somme d’erreurs et d’incompétences commises à un moment donné dans la vie de ce pays.

Les Maliens ont appris. Sur eux-mêmes et sur leur pays. Ils ne savaient rien de rien. Ils ont toujours été les spectateurs de la vie politique de leur pays. C’est pourquoi, lors des élections, ils ont prouvé qu’ils veulent se dégager de ce rôle peu honorable.

Boubacar Sangaré


Journal d’un futur rebelle

« Tant que le futur rebelle ne se rebelle pas contre la mort, tant qu’il se lève de manière censée contre ce qui le dérange et ce qui l’oppresse, sans imposer ses idées rebelles, ce futur rebelle a de beaux jours devant lui et surtout du boulot. Parce que refuser ce que tout le monde accepte peut parfois être fatigant.
J’ai aimé ce journal, jour après jour, où se mêlent les élections, la jeunesse malienne, le ramadan et surtout tes émotions.» – Limoune (blogueuse, Tunisie)

« Bravo, encore une fois.
Un vrai journal!
J’y retrouve le fil des pensées des « jeunes Maliens » quand ils se laissent aller à la confidence, à force de déception à trouver un emploi. » – Françoise Wasservogel (Journaliste)

 

Modibo Keita, photo: afribone.com

Modibo Keita, photo: afribone.com

Mercredi — Le soleil qui s’extirpe des nuages présage une journée sans chaleur. Ces derniers temps, il m’est toujours difficile de m’arracher de mon lit, tant pis si les rayons que darde le soleil levant commencent à pénétrer dans ma chambre par un coin de la fenêtre. La perspective de se lever sans avoir rien à faire constitue pour moi un doping dans le sommeil. Surtout en ce mois de Ramadan, où les visages, les esprits, l’habillement, sont « ramadanesques ». Aller à la rédaction aussi ne me tente pas. Rien à y faire, à part dormir la tête sur le bureau, regarder un film ou kiffer quelques musiques de rappeurs, souvent en mal de célébrité, qui barètent à qui veut l’entendre que le pays s’est englué dans un désastre.

Cela fait deux jours que le pays attend les résultats de la présidentielle qu’il vient de tenir le dimanche dernier. Tout le monde, les étrangers compris, s’accorde à dire que l’élection a réussi. Les Maliens, en proie à l’engouement, au désespoir et à l’envie du changement, sont sortis massivement pour voter. On voulait voter. On voulait voter… le changement. Le taux de participation qui a été annoncé est un record : 53,5 %. Mais les craintes demeurent. On pense avec pessimisme aux promesses de campagne, à ce principe qui consiste, chez nous, à gouverner dans son propre intérêt et non celui du peuple, à faire en sorte de primer la force sur le droit, la justice sur l’injustice. Quand est-ce que la vérité aura raison du mensonge dans ce pays? Moi, j’ai 22 ans. Le pessimisme respire dans mes propos, dans mon regard. Pour moi, aujourd’hui et demain, ce sera du kif !

Jeudi — Nulle part où aller. Je regarde à travers les grilles de ma fenêtre ouverte la pluie tomber. Une pluie matinale, qui doit avoir déjà mouillé plus d’un. Il fait un temps à ne pas mettre le nez dehors. Un temps de chien. N’eût été le Ramadan, des amis auraient pensé à venir chez moi pour poser le thé, engager des discussions byzantines, parler de cette nana sympathique rencontrée quelque part en ville. Jeunesse malienne, qu’es- tu devenue ? Un paquet d’incompétents, de médiocres et d’inconscients patentés.

Dans ce pays, la jeunesse a été sacrifiée sur l’autel des intérêts personnels. Elle n’a rien à voir avec cette jeunesse du temps de Modibo Keïta, le premier président. Entendons-nous bien, je ne vais pas me mettre à dire de Modibo ce que tout le monde sait de lui : un homme intègre, attaché aux valeurs culturelles de son pays, toujours prêt à défendre ses convictions, politiques, s’entend, et patriote. Oui, entre le Mali des années 60 et celui d’aujourd’hui, il y a bien un fossé. Beaucoup de générations ont passé. Mais ce qui est saisissant dans les écrits sur cette période, c’est que le Mali était un peuple uni pour une cause commune : l’édification d’une société socialiste qui, malheureusement, s’est soldée par un échec. Mais c’était un peuple uni avant tout. Témoin le sabordage du Parti Progressiste Soudanais (P.P.S) de Fily Dabo Sissoko, qui était avec l’Union Soudanaise-RDA, les partis qui se partageaient l’électorat.

« Lors des dernières élections législatives de 1959, l’Union Soudanaise détenait la majorité des voix avec environ 75% tandis que le Parti Progressiste se contentait de 25% environ. En fait, les deux formations politiques différaient sensiblement sur leur attitude à l’égard de la puissance coloniale ; si l’Union Soudanaise n’a jamais fait mystère de sa volonté de lutter contre la colonisation, le Parti progressiste Soudanais paraissait plus « compréhensif » à l’égard de l’autorité coloniale que sa modération rassurait », écrit Moussa Konaté dans son essai « Mali, ils ont assassiné l’espoir ».

Bien entendu, il faut considérer l’effacement du P.S.P comme une bourde de la part de son leader, Fily Dabo Sissoko, qui avait été nommé conseiller technique au Ministère de l’Education, et c’est ainsi que les militants ont rejoint les rangs de l’Union Soudanaise-RDA, devenue de fait le parti unique.

Ne réécrivons pas l’histoire et revenons à la jeunesse, car c’est elle qui m’intéresse. La jeunesse de cette époque, fortement nourrie de la doctrine marxiste-léniniste, conformément à l’orientation socialiste du régime de Modibo, savait ce qu’elle voulait, n’était pas aussi déconnectée des réalités culturelles voire politiques que cette jeunesse du Mali du 21e siècle qui ne jure que par la connexion WIFI, surfe sur Internet et s’abreuve de clips des rappeurs américains, français, qui le saturent d’images et de paroles ne le concernant pas.

En lisant qu’en 60, par respect à l’égard des traditions maliennes, la mini-jupe était interdite dans les rues de Bamako, un fou rire s’est emparé de moi ; et après la déposition du régime de Modibo, elle avait envahi les rues avant d’être encore interdite par le Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN), dirigé par Moussa Traore. C’est à croire que si Dieu devrait offrir à Modibo de vivre une seconde vie, parmi nous, il refuserait. Il refuserait de croiser le regard de cette jeune fille, étudiante, qui marche les fesses tout boudinées dans le pantalon, esquisse une démarche lascive, se maquille à pleurer, alors qu’elle n’a rien dans la caboche. Il refuserait de regarder ces jeune hommes qui, ne supportant pas leur pantalon, les laissent descendre jusqu’en bas des fesses, portent des boucles d’oreilles, insultent père et mère et bravent l’enseignant qu’ils considèrent comme un pauvre type. C’est une jeunesse qui n’a plus de repères, n’a aucun respect pour l’âge, pour les parents, et pour qui le modèle à suivre est l’Autre, l’Occident, le babtou. Et pour lui plaire, il est prêt à vendre père et mère, à mettre le feu à ses propres valeurs morales et culturelles.

Moussa Traoré (photo credit: Maliweb)

Moussa Traoré (photo credit: Maliweb)

Je suis vraiment zaraf. Contre moi. Contre tout le monde. Je n’ai toujours pas changé d’avis, le monde pour moi n’est qu’un mensonge qui se fait vérité. Balzac n’avait pas tout à fait tort lorsqu’il disait, dans Le père Goriot, que le monde est « une réunion de dupes et de fripons ».

Pourquoi ceux qui sont riches à mort sont les mêmes qui volent, dilapident les fonds publics ? Pourquoi le monde connait actuellement un règne des potentats représentés par des puissances mondiales, qui prennent leur désir pour des réalités propres à tous ?

Mais, tout ce qui est debout finira par tomber. Tout ce qui est grand deviendra un jour petit. Tout comme toute vie est un jour appelée à ne plus vivre. Et Wangrin dit tout : « Tout soleil connaitra un coucher… »

Je jette un coup d’œil à ma table et me rends compte que la liste des livres à lire est longue : Négritude et Négrologues de Stanislas Adotevi, La vie et demi de Soni Labou Tansi, Tribaliques de Henri Lopes, Le viol de l’imaginaire de Aminata Dramane Traoré

Vendredi — Jour de prières. Le seul jour où les mosquées se remplissent dans un pays à majorité musulmane. Paradoxe. On est musulman, mais dans le même temps, un habitué du bar qui jouxte le restaurant du quartier, un irrécupérable coureur de jupons. Malgré les prêches, on n’est pas encore sérieux avec les cinq prières du jour. Ici, être musulman, c’est croire en Dieu, distribuer des salamalecs à son passage. Mais, il est clair que personne n’a attendu les méchants barbus d’AQMI, du MUJAO ou d’ANSARDINE pour prier, faire le Ramadan.

Les attentions sont fixées sur la politique. Les résultats du premier tour de la présidentielle sont attendus aujourd’hui. Hier, alors que tout le monde les attendait, le Ministère de l’Administration territoriale a posé un lapin. Dans ces derniers jours, à Bamako, la tension avait commencé à monter. Surtout dans les moments qui ont suivi la proclamation des résultats partiels. Proclamation au cours de laquelle le ministre, Mousssa Sinko Coulibaly, s’est aventuré sur le terrain des commentaires en pariant sur l’improbabilité d’un second tour, et du même coup a ajouté de l’eau au moulin du camp des « soumistes », qui a réclamé sa démission en l’accusant d’avoir fait « un hold-up électoral », d’avoir dit des propos qui ne sont pas « proches de la vérité »

Aujourd’hui, les esprits sont relativement calmes. Les résultats ont donné Ibrahim Boubacar Keïta, 63 ans, vainqueur avec 39,24% des voix. On se rappelle qu’il avait été donné favori dans les sondages. Soumaïla Cissé vient en deuxième position avec 19,44% des voix, suivi de Dramane Dembélé de l’Allliance pour la démocratie au Mali-PASJ, la plus grande formation politique du pays, qui a engrangé 9,59%. On peut donc dire qu’il n’y a pas eu de surprises dans ce premier tour. Voici quelques enseignements à tirer à propos de ce scrutin : Avec un taux de participation de 51,54%, les maliens ont été au rendez-vous de ce rendez-vous électoral du 28 juillet dernier. C’est bien plus que les scrutins précédents et ce que les observateurs, internationaux en tête, craignaient et ont démenti les cassandres qui avaient promis le sang à la proclamation des résultats. Bien sur, c’est mal connaitre les Maliens, qui, repartis entre diverses ethnies parlant plusieurs langues, vivent dans la cohésion sans les clashs si récurrents en d’autres points d’Afrique.

Mercredi 15 Août

Il était 21 heures. J’ai reçu d’un camarade étudiant le message qui suit : « je viens d’apprendre une nouvelle triste : le décès du professeur M. Danthioko » « Que la terre lui soit légère ! », a été ma réponse. M. Danthioko a été notre professeur de Grammaire en Première année Lettres modernes. De lui, je ne puis dire beaucoup de choses à part que c’était un homme qui avait le sérieux chevillé au corps, se refusait de souffrir des mesquineries et autres saloperies dont les étudiants savent si bien se rendre coupables. De taille moyenne et droit dans son maintien, il avait un ventre proéminent qu’il aimait à mignoter. En français, il s’y connaissait et ne se privait pas, lui aussi, de nous faire des remontrances destinées à pointer notre misère intellectuelle, ne faisait pas mystère de sa crainte quant à notre avenir dans un monde pris en otage par les guerres d’idées, où le vrai coudoie le feint. De tous nos profs, il était l’un de ceux qui éveillaient notre fascination, et parvenait sans grand mal à nous faire assimiler les cours. Nous ne le détestions pas. Pour tout dire, c’était un homme qui avait forcé notre respect, notre admiration voire notre attention surtout pendant ses heures de cours. Ah, la mort ! Cette mort rotative. Si elle ne tape pas à ta porte, c’est à celle d’une autre personne qu’elle tape, entre sans être invitée. Que cette mort se garde d’oublier qu’elle mourra un jour.
Mais, en attendant, elle frappe. Elle frappe tous les jours. Et aujourd’hui encore, elle vient de frapper. Fort. D’ailleurs, personne ne l’aime, pas plus qu’on aime en parler.


Mali_ Enseignement supérieur : Le symbole d’une inconscience nationale

Photo credit: maliweb
Photo credit: maliweb

C’est un article fort intéressant qui mérite de notre part plus que des commentaires. Publié par la journaliste Sabine Cessou sur Rue89, il fait le tour, avec à l’appui des témoignages obtenus sûrement en faisant des pieds et des mains, des maux qui ont mis le système éducatif malien dans l’entonnoir d’une dégradation graduelle : corruption, piston, étudiants fictifs, salaires bas (pour les enseignants) et, pour clouer le bec à quiconque, les « Notes Sexuellement Transmissibles (N.S.T) ». Que conclue la journaliste ? Elle estime que la corruption à l’université n’est que la partie visible de l’iceberg quant à « ce mal généralisé qui a en partie conduit à la dislocation de l’armée et place le Mali à la sixième, en partant du bas, dans l’index des Nations Unies sur le développement humain. »

Disons tout de suite que Sabine Cessou n’a pas du tout fait d’une mouche un éléphant. Les faits dénoncés sont là, bien connus de tous, même si on peut regretter que les solutions manquent toujours à l’appel. Et l’Étudiant malien et journaliste que je suis, ayant consacré beaucoup de chroniques à ce sujet qui n’intéresse que fort peu l’opinion publique nationale, est en droit de rire comme un bossu tant il est évident que ces phénomènes seront difficilement exclus de notre société. C’est indéniable, l’éducation est l’un des dossiers béton que le nouveau président, Ibrahim Boubacar Keïta, aura à affronter. Mais il ne faut pas se le cacher : I.B.K va passer tout son mandat à redresser les torts provoqués par plus de 20 ans de mal gouvernance et de mauvaise pratique de la démocratie.

« L’école est le reflet de la société. L’argent est devenu roi et un système de corruption permet aux fils à papa d’acheter les notes ».

Ce seul constat de Tiebilé Dramé, président du Parti pour la Renaissance Nationale (parena), permet de saisir la profondeur du puits de la défaillance dans lequel a plongé l’école malienne. Mais pourquoi un professeur (pas n’importe qui hein !) accepte de monnayer la note ? Réponse toute simple : au nom du souci d’arrondir la fin de mois (370 euros contre 1300 euros au Sénégal voisin). Leurs grèves récurrentes n’y a rien changé.

Il y aussi un autre témoignage d’importance grande. C’est celui de Bandioukou Gakou, Spécialiste de l’islam et ex-administrateur de la faculté de droit. « Après les examens, il y a les réclamations. Là, c’est la foire aux diplômes. Une maîtrise en droit s’achète pour 400.000 francs CFA. Les enseignants reçoivent les étudiants un par un et c’est l’occasion d’améliorer les notes par tous les moyens », y compris par des « parties de jambes en l’air », autrement dit les « Notes Sexuellement Transmissibles (NST). » Voilà, c’est vraiment le point qui rend muet, incapable de piper mot.

photo: lechallenger.com

Bandiougou Gakouphoto: lechallenger.com

Tout de même, on peut aussi poser une autre question : pourquoi ces sales pratiques ne gênent plus dans ce pays ? L’explication est simple. On est dans un État faible, où les valeurs morales et sociétales les plus fondamentales ne sont pas observées, et qui connait une démission à tous les niveaux : politique, culturel, social… A dire vrai, quand la corruption, le piston, le favoritisme deviennent la norme et que personne ne s’en détourne, c’est que la société est irrémédiablement gangrenée, et alors, le passé noble et les valeurs traditionnelles ne représentent que des repères auxquels on fait allusion hypocritement dans les conversations quotidiennes. Pour faire court, nous sommes tous responsables de ces comportements amoraux. Car, par exemple à propos des « Notes Sexuellement Transmissibles », il y a bien sûr celle qui accepte d’écarter les jambes et celui qui assouvit son désir. Mais il y a aussi ceux et celles qui regardent faire, or il est clair que « le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les laissent faire »
Si « l’école est le reflet de la société », la planète de l’enseignement supérieur malien n’est rien de moins que le symbole d’une inconscience nationale !

Boubacar Sangaré