Mohamed SNEIBA

Pour la mémoire d’Ahmed que doit faire le rais ?

Ahmed Ould Abdel Aziz, fils du président mauritanien, décédé dans un accident
Ahmed Ould Abdel Aziz, fils du président mauritanien, décédé dans un accident

Cette fête de Maouloud est un mélange de joie et de tristesse et pas seulement à la Présidence. Le drame qui a bouleversé toute la Mauritanie est encore présent dans les esprits. Je sais que le statut de « fils du président » a joué en pareille circonstances mais il est loin d’avoir été déterminant dans l’émoi populaire que le pays a connu. Ce sont les circonstances du drame (mission humanitaire) confortées par des images le montrant au milieu de familles pauvres de cette « Mauritanie profonde » qui n’intéresse la classe politique qu’en période électorale, qui ont ému tout le monde. On se dit, finalement, que le fils du Président était sur la bonne voie, que son action n’avait aucun relent de propagande comme l’insinuait une opposition en mal d’arguments.

L’action humanitaire de la fondation « Rahma » s’exécutait-elle plutôt dans le cadre d’une stratégie parallèle visant à redonner espoir aux populations puisque celle du « Président des pauvres » a été dévoyée par des exécutants malhonnêtes et revenus, très tôt, à leurs vieilles habitudes ?

Car il faut bien reconnaître que la voie suivie par l’APD et les ressources engrangées ces dernières années grâce à la bonne tenue des secteurs de production (fer, or, cuivre, poisson) n’est pas vraiment celle annoncée par le « président des pauvres » à sa prise du pouvoir en août 2008. C’est un fait et je crois que, malgré les progrès réalisés dans certains domaines, et l’assurance d’un pouvoir entretenant une « guerre des mots » avec son opposition, le président Aziz en est bien conscient. Cette aliénation de « l’esprit » du 03 août 2005 et, dans une moindre mesure, de la « Rectification » du 06 août 2008, trouve son explication dans la résurgence quasi totale de tout le « personnel technique » de Taya. On peut même dire que ceux qui constituaient les « seconds couteaux » au temps de l’homme du 12/12 se sont très vite mis à l’école de l’opportunisme pour s’opposer, avec force, au retour des anciens barons. C’était en fait le choix entre la médiocrité ambiante, en 2005, et les anciens « budgétivores ». Le choix entre la peste et le choléra.

« Un seul être  vous manque, et tout est dépeuplé »

Certes, l’être cher évoqué par Lamartine dans son célèbre poème Le Lac n’a rien à  voir avec celui que le président Aziz et les pauvres de Mauritanie viennent de perdre mais il s’agit, dans un cas comme dans l’autre,  d’une douloureuse séparation. Ahmed était présenté par ceux qui prétendaient connaître la nature des rapports qu’il entretenait avec son père,  comme le confident et le conseiller du rais. Il aurait pu, si le sort n’en avait pas décidé autrement, porter son père vers un changement d’attitude envers la politique suivie jusqu’à présent mais, plus important encore, envers l’action à mener sur le plan économique et social pour retrouver le projet – perdu – de « président des pauvres ». Et je crois que la fondation « Rahma » devrait être l’instrument de cette nouvelle orientation quand tout a été faussé par le gouvernement et des hommes d’affaires véreux.

Aziz se doit maintenant de poursuivre l’œuvre inachevée mais bien porteuse de son fils Ahmed. Ce sera difficile parce que son statut de président ne lui permet pas de se donner les libertés que le défunt avait mais il peut faire en sorte que l’Etat-providence recouvre toute sa plénitude, quand la lutte contre la gabegie devient une action sérieuse menée par des hommes de confiance et vraiment engagés.

La redistribution de la richesse nationale passe par là et, pour la mémoire d’Ahmed, cela devrait valoir tous les sacrifices pour un président dont la force réside dans la détermination que lui reconnaissent ses adversaires politiques les plus acharnés.

Sneiba Mohamed


Félicitez-moi, j’ai perdu ma fonction

J’ai toujours cherché à comprendre pourquoi, en Mauritanie, les gens (ceux qui vous connaissent ou pas) viennent vous féliciter quand vous êtes nommés à un grand poste et reviennent vous présenter leurs condoléances, pardon, leur réconfort, quand vous êtes « renvoyé au garage » à l’issue du Conseil des  ministres du jeudi ou par décret présidentiel.  Aujourd’hui j’ai enfin la réponse.

Moi
Moi

La perte de ma petite fonction  au ministère de l’Education (apprise seulement quand j’ai vu mon salaire du mois de décembre sans ma modeste indemnité) est passée inaperçue. Un non événement. Même quand j’en ai parlé à mes collègues de bureau. Je n’étais quand même pas l’un de ces grands messieurs qui gèrent des budgets conséquents,  capables, en toutes circonstances, de « couper et de recoller ». On téléphone pour situer leurs maisons, dès l’annonce de la nomination et l’on accourt pour les féliciter.  On téléphone quand les circonstances (un voyage par exemple) ne nous permettent pas de présenter nos félicitations de vive voix. C’est nécessaire, que dis-je, c’est vital pour l’avenir des relations avec cette personnalité qui vient de naître.

La chute du haut personnage est moins cérémoniale. On ne s’empresse pas de rendre visite au responsable congédié. Celui qui vient d’être nommé à sa place peut considérer cela comme un geste d’animosité. C’est pourquoi, « on s’habille de l’ombre » pour aller voir le cadre limogé qui sort, à partir de cet instant, de nos calculs de gain et de perte. Il redevient anonyme. Jusqu’au jour où il sera réhabilité.


FNDU : d’opposants à opposés

Je vous l’avais dit, le dialogue n’était pas fait pour vivre. Il avait pour unique objectif de perturber les calculs d’une opposition qui avait décidé de jouer les prolongations. Face à la crise économique, réelle celle-là quoique dira notre ministre « Lsanou Khriv » (à la parole mielleuse, c’est le nom que j’ai décidé de donner, pour de bon, à l’actuel ministre des Finances), l’opposition mauritanienne mise sur le temps. C’était clair dans son attitude attentiste (pas de meetings ou de marches depuis plus d’un an) et dans sa stratégie de dialoguer avec le pouvoir (en posant des exigences qu’il ne saurait accepter.

Aziz a bien compris cette attitude de « ni paix ni guerre » et a décidé, en homme d’action, de faire bouger les lignes. Sur tous les fronts.

Sa stratégie était parfaite: quand lui dit oui pour le dialogue, sa majorité obéissante fait tout pour faire capoter les discussions.  C’est la démarche classique du « un pas en avant, deux pas en arrière » que le président de l’Union pour la République (UPR), Sidi Mohamed Ould Maham , pratique à merveille. Elle dispose d’une variante typiquement « azizienne » : mettre en avant le ministre Conseiller à la Présidence, Moulay Ould Mohamed Laghdaf,  le remplacer par le Premier ministre, Yahya Ould Hademine, lors de « journées préparatoires » d’un dialogue qui n’aura finalement pas lieu et, à la surprise générale, remettre en selle Ould Mohamed Laghdaf qui prend soin, tout de suite, de contacter par téléphone le nouveau président du FNDU (Forum national pour la démocratie et l’unité). Ce dernier, croyant le dialogue relancé, entame les discussions entre ses membres (partis politiques, syndicats, personnalités indépendantes) et finit par rompre les rangs: la « majorité » de l’opposition (7 partis sur 10) accepte le principe d’une rencontre avec le ministre secrétaire général de la Présidence. Les autres conduits par le Rassemblement des forces démocratiques (Rfd) d’Ahmed Ould Daddah, opposant devant l’Eternel, rechignent. Aziz a réussi son coup: ses opposants sont devenus des opposés. Et la vie continue.


Mauritanie: Monsieur le ministre « Lsanou khriv »

Moctar Diay, ministre des Finances
Moctar Diay, ministre des Finances

Un ministre qui transforme le désert en verdure et une crise économique en prospérité a la langue mielleuse (« Lsanou khriv »).

C’est le cas de notre ministre des Finances, le sieur Moctar Ould Diay qui vient de défendre devant nos braves « dépités » la loi de Finances 2016. Malgré la crise économique, la chute des cours du fer, de l’or et du poisson (les trois mamelles de l’économie mauritanienne), le ministre nous annonce une croissance de plus de 5% en 2016. Sans dire « inchallah » ! Donc, peut-être bien, peut-être pas.

Ould Diay qui a été décoré le 28 novembre dernier par le président de la République, semble pourtant sûr de son fait : le pays continuera à se développer parce que le gouvernement a adopté les bonnes mesures : l’investissement dans les infrastructures et l’énergie fera accourir les investisseurs ! Une logique de « samsar » (courtier) qui oublie l’essentiel : un pays qui tire la bonne part de ses ressources du fisc (210 milliards d’ouguiyas en 2015, environ 50% du budget de l’Etat) prend le risque (pas le bon) de faire fuir ces investisseurs. Il oublie aussi que, malgré les 8 points grignotés lors du dernier Doing Business, la position de la Mauritanie (168eme) reste peu avantageuse. Il oublie les tracasseries de la mine d’or de Tasiast avec la SEC (bourse américaine) avec de forts soupçons de corruption. Il oublie que la Société nationale industrielle et minière (SNIM), la vache à lait du gouvernement durant les trois dernières années, ne peut plus fournir à l’Etat le quart de son budget. Parce qu’elle fait face, elle-même, à des difficultés structurelles qui l’ont obligée à procéder à une « défilialisation » à l’allure de débandade.

Je sais qu’Ould Diay a acquis de l’expérience à la Direction générale des Impôts où il a réussi à élargir l’assiette fiscale faisant passer les contribuables de quelques centaines à des milliers. Un bon point pour ce ministre grand orateur devant l’Éternel et surtout très engagé. Les mauvaises langues diront « embarqué ». Et qui aura le réveil dur comme tout « ministré » débarqué !

Le problème d’Ould Diay se trouve être cette récession économique qui ne dit pas son nom. Les sociétés « pondeuses » (SNIM, Tasiast, MCM) ne peuvent supporter une augmentation d’impôts sur le chiffre d’affaires et de la TVA, même si ce ne sont pas elles qui payent cette dernière mais plutôt le consommateur. Ce dernier n’a aujourd’hui qu’un seul mot dans la bouche : le manque d’argent. Il fait ainsi passer l’utile (manger, boire, se soigner) avant le futile. Et même parfois ce qui est nécessaire sans relever de l’urgence, comme le logement. Le BTP se meurt parce que les particuliers n’ont pas le moyen de poursuivre des chantiers en souffrance. Un commerçant du 6eme Arrondissement chez lequel je récupère chaque fin de mois une pige venant du Maroc me montre ses marchandises devenues encombrantes : « regarde, personne ne vient acheter, et c’est comme ça depuis plusieurs mois. Qu’est-ce qui se passe dans votre pays, monsieur le journaliste ?

A cette question, je réponds invariablement : « Et pourtant, ils disent (le ministre des Finances, le ministre des Affaires économiques) que les caisses sont pleines. Crise ou pas crise, le niveau des réserves en devises du pays reste stable. Comme si le gouvernement et les hommes d’affaires ne faisaient face à aucune difficulté. Le ministre des Finances fait même montre d’assurance : le budget de l’Etat s’équilibre cette année en recettes et en dépenses à 451 milliards d’ouguiyas (environ 1,5 milliard d’USD). Avec une augmentation de près de 11 milliards d’UM (2%) par rapport à 2015 s’extasie notre brave ministre des Finances, comme s’il venait de gagner le Nobel d’économie. Alors que pour nous qui avons pris la mesure des manipulations du gouvernement, nous savons que c’est de la poudre aux yeux.

Pour ceux qui ne le savent pas, 11 milliards de nos ouguiyas, c’est seulement 36 millions de dollars US; une petite fortune à l’échelle d’un individu mais insignifiant s’agissant d’un État. Je vous l’ai dit, c’est un coup de propagande, comme cette annonce du ministre des Finances proclamant qu’aucun projet en cours ne sera arrêté en 2016 ! J’ajoute moi : incha Allah !


« COP du monde » : Rien ne se perd, rien ne se gagne, tout se transforme

Les chefs d'Etat et de gouvernement à la COP21 (crédit photo: google)
Les chefs d’Etat et de gouvernement à la COP21 (crédit photo: google)

Une coupe du monde à 195 pays et sur un seul stade, le Bourget, ne connaitra pas de dénouement. Je veux dire, pas de vainqueur ni de vaincu. La COP21, qui est la « coupe » du monde sur le climat, cela me rappelle la fameuse phrase de Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se gagne, se crée, tout se transforme ».

 

Au 11 décembre 2015, le monde restera le monde. Les participants à la COP21 rentreront dans leurs pays respectifs avec l’illusion d’avoir travaillé, deux semaines durant, pour sauver la planète Terre d’une menace écologique qui, elle, est certaine. Ils oublient, le temps d’une conférence, que cela fait près de quarante ans que la première sonnette d’alarme a été déclenchée sans que les grandes puissances qui gèrent le monde en fonction de leurs intérêts prennent la mesure des risques. Les décisions prises sont plus théoriques que pratiques. Revisitons ce long processus de négociations sur le site : www.cop21.gouv.fr :

« Un Programme de recherche climatologique mondial lancé, sous la responsabilité de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et du Conseil international des unions scientifiques (CIUS), en 1979.

En 1988, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est créé par l’OMM et le PNUE pour procéder, à intervalles réguliers, à une évaluation de l’état des connaissances sur les changements climatiques. Son premier rapport en 1990 reconnaît la responsabilité humaine dans le dérèglement climatique. Il sert de base à l’élaboration de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

Le sommet de la Terre à Rio de Janeiro (Brésil) en 1992 est une étape cruciale dans les négociations climatiques internationale avec la signature de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Elle reconnaît officiellement l’existence du dérèglement climatique et la responsabilité humaine dans ce phénomène. Son objectif est de stabiliser les concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre à un niveau qui empêche toute perturbation humaine dangereuse du système climatique. La Convention-cadre, entrée en vigueur le 21 mars 1994, a été ratifiée par 195 pays, appelés « parties », plus l’Union européenne.

L’adoption du protocole de Kyoto en 1997 fixe pour la première fois aux pays développés des engagements chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Entré en vigueur en 2005, le protocole devait couvrir la période 2008-2012.

Une vision à plus long terme s’est ensuite imposée avec le plan de Bali en 2007 qui a établi un calendrier de négociations pour parvenir à un nouvel accord devant prendre le relais du protocole de Kyoto dont l’échéance a été fixée à 2012. La conclusion d’un accord devait se réaliser au plus tard en décembre 2009.

Si Copenhague (Danemark) n’a pas permis l’adoption d’un nouvel accord, la COP15/CMP5 a validé l’objectif commun visant à contenir le réchauffement climatique en-deçà de 2°C. Les pays développés se sont également engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 en faveur des pays en développement à faire face au dérèglement climatique. Cancun (Mexique) en 2010 a permis la concrétisation de l’objectif des 2°C par la création d’institutions dédiées sur des points clés comme le Fonds vert pour le climat.

La volonté d’agir collectivement s’est traduite par la création, en 2011, de la plate-forme de Durban pour une action renforcée (ADP), qui a pour mandat de rassembler autour de la table tous les pays, développés et en développement, afin de travailler à un «protocole, à un instrument juridique ou à un résultat ayant force de loi » applicable à toutes les parties à la Convention climat de l’ONU. Cet accord devra être adopté en 2015 et mis en œuvre à partir de 2020.

Afin de pallier le vide juridique, la conférence de Doha (Qatar) en 2012 a entériné l’engagement de plusieurs pays industrialisés dans une seconde période d’engagement du protocole de Kyoto (2013/2020) et a mis fin au mandat de Bali.

Les conférences de Varsovie (Pologne) en 2013 et de Lima (Pérou) en 2014 ont permis de franchir des étapes indispensables pour préparer la COP21 de Paris en 2015. Ainsi, tous les États ont été invités à communiquer leur contribution (INDC) en matière de réduction de gaz à effet de serre en amont de la COP21. »

 

La finale à Paris ?

 

isParis ne devrait pas connaitre le dénouement de cette longue « COP du monde ». Elle portera seulement le numéro 21 pour dire qu’en 2015, les matchs entre les vrais décideurs (les USA, la Chine et l’Europe) se sont déroulés sur les terrains français. Il sera utopique, répétons-le, de penser qu’un nouvel accord universel sur le climat, applicable à tous, sera trouvé par les délégués des 195 pays-parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Parce que la décision ne dépend tout simplement pas d’eux. Comme au niveau du Conseil de sécurité, le véto existe de facto, en matière de climat, pour que la Chine ou les USA, remettent tout en cause. La recherche de compromis, à partir des négociations précédentes (du 8 au 13 février à Genève 2014), à la COP20 de Lima (Pérou), du 1er au 14 décembre 2014, et lors de la dernière session qui a eu lieu du 19 au 23 octobre 2014 à Bonn (Allemagne), siège de la CCNUCC, n’assure pas le succès de la COP21.

Car le climat est aussi et surtout une affaire d’argent. Les pays développés se sont engagés, à Copenhague en 2009 et à Cancun en 2010, à mobiliser conjointement 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 pour aider les pays en développement à faire face au dérèglement climatique. Ces pays n’oublient pas, pour autant, que réduire les émissions de gaz à effets de serre (GES) c’est prendre un risque de récession économique dans un « climat » de rude concurrence entre les USA, la Chine et l’Europe. On ne se soucie guère du dicton qui dit « personne ne se sauvera seul » qui est vu plutôt comme une sorte d’assurance, voire de cynisme, pour éviter une apocalypse d’ampleur planétaire. Car, en plus du volet financier, l’autre temps fort a été la publication du rapport de synthèse de la CCNUCC sur les contributions nationales le 30 octobre. La CCNUCC a étudié l’impact de 146 contributions nationales. En l’état, la trajectoire mondiale des émissions de GES dessinée par les contributions publiées nous situeraient en 2030 sur une trajectoire menant à environ 3°C à la fin du siècle, comprise entre 2,7 et 3,5°C. Le scénario du pire, avec un réchauffement proche des 4,5 voire 6°C, qui correspond aux trajectoires actuelles d’émissions et jusqu’ici considéré par les scientifiques comme le plus probable, s’éloigne. Grâce à ces contributions, l’objectif des 2°C d’ici 2100 peut être atteint, à condition d’accélérer la dynamique. Un des enjeux de l’accord de Paris sera de mettre en place un mécanisme de révision périodique, idéalement tous les cinq ans, pour relever l’ambition de chacun et d’améliorer progressivement la trajectoire collective.

 


28 novembre 2015, le président « aadi »

Ce que le président Mohamed Ould Abdel Aziz (havawahou Allah¹, comme disent nos frères Marocains de leur roi) a dit, le 28 novembre, au cours de la conférence de presse depuis Nouadhibou est « aadi ». Je dirais même « aadi hatta » (normal, très normal même). Comment voulez-vous qu’un homme qui est au pouvoir depuis 2005 (eh oui), qui est seulement à la deuxième année de son second mandat et qui voudrait, disent les calomniateurs de la « mouarada² », s’essayer à un troisième mandat, comme les braves N’Kurunziza, Kagame et Nguesso, remette en cause ses acquis économiques, démocratiques et sociaux ?

Ce 28 novembre, Aziz était bien en phase avec lui-même. Pour lui, « tout est bien dans le meilleur des mondes possibles » ! Malgré la crise qui n’épargne ni les petits Etats ni les grands, vraiment grands, comme les Etats-Unis,  la Chine ou la Russie. Oui, oui, l’année qui s’écoule et celle qui s’annonce ne sont pas comme notre « âge d’or » (2013-2014), quand la Société nationale industrielle et minière (SNIM) vendait son fer à 170 dollars la tonne, reversant à l’Etat des montants énormes dépensés dans des projets qu’une « mouarada » grincheuse qualifie de « populistes ». Mais on a su trouver la parade avec notre vaillant ministre des Finances Moctar Ould Diay : presser comme un citron, « surpresser » même, des sociétés qui ne savent plus à quels saints se vouer. Ould Diay, ancien directeur général des impôts, propulsé ministre des Finances, veut pallier, par tous les moyens, aux manques de ressources. Il oublie cependant de dire au président de la République, qui l’a décoré ce 28 novembre 2015, que nos maîtres capitalistes disent « trop d’impôts tue l’impôt ». Le patronat, pas content de supporter une partie de la charge d’un gouvernement fainéant, commence à rouspéter. Aura-t-il le courage, la témérité, de dire à Aziz : « si on coule, tu coules », comme lui avait dit, un certain août 2008, au président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, voulant le « décharger » de son poste stratégique de chef d’état-major particulier » et de commandant de la Garde présidentielle, « si tu m’enlèves, je t’enlève ». Ce qu’il a fait pour devenir président à la place du président. Mais ceci est une autre histoire, morte et enterrée, mais qui pue toujours. Revenons à ce que le président « aadi » a dit ce 28 novembre 2015.

Il a dit parmi ce qu’il a dit qu’il n’est au courant de rien s’agissant de la mine d’or de Tasiast empêtrée depuis quelques mois dans une enquête de la SEC américaine. Cela la concerne, a-t-il dit. Après tout, la gestion de la mine d’or lui revient et si elle accepte de louer des camions « à 7 fois leur prix », ce n’est pas nous. Sur ce détail, aucun journaliste présent n’a demandé au rais d’où il tient cette information, lui qui a pourtant dit, selon l’AMI (Agence officielle) «qu’il n’a pas eu à rencontrer un fonctionnaire de Taziast ou un de ses responsables, mais qu’il les a toujours mis en garde contre le trafic d’influence et demandé d’éviter de subir des pressions de qui que ce soit ». Au téléphone, ou par ministre du Pétrole, de l’énergie et des mines interposé ? Bizarre non ? Gens de Tasiast, débrouillez-vous avec les Américains ! L’Etat mauritanien voue lâche en attendant les conclusions de l’enquête.

Concernant les libertés publiques, Aziz a pris tout le monde au dépourvu. Citons encore l’AMI pour ne pas déformer les propos du rais : « depuis 2005, une rupture a été opérée avec la dictature et l’étouffement des libertés ». C’est donc dans une « autre Mauritanie » que le colonel à la retraite Omar Ould Beibakar a été arrêté, le jour de l’indépendance, pour s’être exprimé sur les ondes de RFI à propos des évènements d’Inal. Sur le même sujet, une conférence qu’il devait organiser avec le parti AJD/MR n’a pas été autorisée par le ministère de l’Intérieur. Rappelons aussi que Biram Ould Dah Ould Abeid et Brahim Ould Bilal Ramdane, respectivement président et vice-président de l’Initiative pour la Résurgence d’un mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA) croupissent en prison depuis plus d’un an. Leur tort : avoir organisé une marche contre l’esclavage foncier. Alors ?

Sur un sujet qui intéresse plus que tout autre les Mauritaniens, à savoir si Aziz quittera le pouvoir, fin 2019, à l’issue de son second mandat, le président donne cette réponse évasive : il attendra l’approche de cette date pour répondre. « Aadi ». Il ne faut pas donner raison à l’opposition à 3 ans d’une échéance dont certains de ses leaders seraient certainement exclus à cause de leur âge avancé.

1. Que Dieu le préserve.

2. Opposition.


Les trois mandats… comme « les trois normaux »

En Mauritanie, tout reste lié à cette histoire de troisième mandat pour le président Aziz, même si ce dernier et la majorité qui la réélu en juillet 2014 répètent à qui veut les entendre que le sujet n’a jamais été évoqué.

Mais cette histoire de troisième mandat ressemble pour moi à celle du thé, inconcevable dans notre société sans les « trois normaux », les trois verres qu’on sert aux convives. Imaginez un peu le scandale provoqué par une séance de thé qui se termine sans le « troisième »! Dans toutes les régions de Mauritanie, chez toutes les tribus ou communautés, un thé ne se conçoit pas sans les trois verres. D’ailleurs s’il est bien fait, les convives peuvent réclamer un quatrième.

Notre président a déjà savouré son premier verre (son premier mandat) en tant que « président des pauvres ». Un titre qu’il a brandi comme slogan de campagne en 2009, mais qui a fini par se retourner contre lui: des riches appauvris sont venus grandir la masse des pauvres plus pauvres que jamais.

Aziz a entamé son deuxième mandat (le deuxième verre) en 2014 par la « lutte contre la gabegie ». Vaste programme qui a fait des ravages tant dans les rangs de l’opposition que de la majorité. Un thé au goût amer quoi, présenté par les adversaires du rais comme une autre facette d’un populisme de mauvais aloi.

J’imagine mal le président Aziz ne pas finir son thé par un troisième mandat, pardon, un troisième verre. Il lui faut cependant raviver la braise de son fourneau qui commence déjà à se transformer en cendre.


Autour d’un thé : une histoire de place

Moctar Diay, ministre des Finances
Moctar Diay, ministre des Finances

Y a un oiseau de chez Nou’zautres qui a voulu imiter la marche d’un autre oiseau de chez Nou’zautres. Vous savez quoi ? Non seulement, il n’y est pas arrivé, mais il n’a pas non plus réussi à redevenir lui-même et recouvrer sa propre marche.

C’est que ce n’est pas une simple histoire de marche ou de marché. C’est beaucoup plus que ça. C’est une histoire de place. Imaginez un peu, avec moi, si chacun était resté à sa place. Certainement qu’on n’aurait pas eu besoin, aujourd’hui, de faire le moindre dialogue, pas plus inclusif qu’exclusif.

Vous ne voyez pas où je veux en venir ? « Garawoul » (c’est pas grave), comme disent les Wolofs. On répète. La répétition a des vertus pédagogiques. Et comme l’école commence, ce n’est pas grave de faire un peu de pédagogie. Suivez-moi bien. Personne n’est à sa place aujourd’hui, en Mauritanie.

Sauf exceptionnellement. Et que dit-on de l’exception ? Comme quoi charité bien ordonnée commence par soi-même. Certes, la première que le purificateur (et non le fou) purifie est sa propre tête. Moi, je ne suis pas à ma place.

Ce n’est pas au Calame¹, ma place. Elle est dans les classes, à côté des maîtres. Pas au marché ni devant les sièges des banques primaires, à vendre et acheter. Mais ensemble, amis, lisons ensemble dans les classes, pour enseigner. Sans discours officiel d’ouverture.

Sans grand tapage médiatique, pour annoncer une ouverture qui se serait passée dans les meilleures conditions possible, comme toujours depuis au moins trente ans que ça se passe ainsi. L’emplacement est important. Aussi bien pour les hommes que pour les choses. Les anciens blocs-manivelles² n’étaient pas bien placés.

C’est dire qu’ils n’étaient pas à leur place. Exactement comme les défuntes écoles 1 et 2 de la capitale, respectivement école Justice et école Marché.

Qui a déjà vu une école entre magasins, vendeurs de fatayas, cure-dents et autres serrures, portes d’aluminium, banques, bureaux de change, représentations de grandes marques internationales de TV et électroménager ? Ce n’est pas la place d’une école. Dites la vérité. Chacun à sa place.

Chaque chose à sa place. Vous pensez que si, par exemple – au hasard, hein ! – les militaires, les premiers, ceux des années 1978, étaient restés à leur place : dans les casernes, les escadrons et autres commissariats… Certainement que nous n’en serions pas là aujourd’hui. « Où ça, là ? », me diront certains.

Là, là, à Nouakchott, en Mauritanie. Et ainsi de suite. Si les Cavaliers du changement étaient restés à leur place : militaires retraités ou officiers de service ; si les gens du 3 août 2005 et ceux du 6 août 2008, qui ne sont qu’une seule et même communauté dont une partie fait partie de l’autre partie, étaient restés à leur place ; il n’y aurait pas eu d’amalgame.

Les chercheurs cherchent. Les docteurs soignent. Les professeurs enseignent. Les politiques mélangent. Les techniciens fabriquent et réparent. Les civils en ville.

Les militaires dans les casernes. Les écoles restent des écoles. Les journalistes, journalistes. Les ambassadeurs, ambassadeurs. Les vieux, des vieux. Les femmes, des femmes. Et les jeunes, des jeunes. Sans haut ni bas ni conseil intermédiaire. Juste à la place que leur confèrent leur âge et leur vivacité.

Pas des jeunes aux têtes bourrées de préoccupations de vieux. Ah, cette histoire de place ! Regardez bien autour de vous. Ici chez nous, quasiment personne n’est à sa place.

Or qu’Allah bénisse celui qui a connu sa « place » et s’est assis en deçà ! C’est tout le contraire, ici. Si haut perché sans rien comprendre. Y a pas que vendre, acheter, négocier, beloter, rebeloter, se positionner, se placer, jaser…

Que diriez-vous de rangées de grosses boutiques, juste devant le bataillon de la sécurité présidentielle ? De boutiques juste collées au mur de la présidence ? Exactement comme derrière l’école de police ou le Stade olympique. C’est une bonne place.

Juste à quelques encablures et de la Banque centrale et du ministère des Finances. Entre argent, politique et commerce, le courant passe habituellement bien en Mauritanie. Salut.

Sneiba El Kory (Le Calame)

 

1.Quotidien mauritanien.

2.Bâtiments datant de l’indépendance, vendus à des privés.

 


Mauritanie : la campagne contre mon ami Yarba a des relents de racisme

Capture d'écran du site de l'AMI (Photo Google)
Capture d’écran du site de l’AMI (Photo Google)

Je ne pouvais pas parler de cette histoire vieille de cinq ans, mais je ne peux pas me taire quand il s’agit de s’engager, comme le voulait Camus de défendre « la liberté et la vérité ».

Et il s’agit bien de cela dans le cas de mon « ancien ami », Yarba Ould Sghair, directeur général de l’Agence mauritanienne d’information (AMI), victime ces derniers jours d’une véritable cabale.

Je commence par ce qui aurait dû, en bon Mauritanien, m’empêcher de prendre la défense de cet « ancien ami » de l’ENS de Nouakchott et du lycée de Boghé.

A sa nomination à la tête de l’AMI, il y a cinq ans, j’étais correcteur au journal Horizons (officiel), avec une pige conséquente à l’époque (80.000 UM) pour un travail d’à peine deux heures, et 40000 UM pour le carburant. Je ne vous cache pas qu’à l’arrivée de cet ami et « cousin », dans le jargon communautaire mauritanien, j’ai vu tout de suite (en pensée) ma pige passer du simple au double. C’est le prix de « l’amitié » à la mauritanienne. J’en connais même qui vous accorde un salaire alors que vous ne venez au siège de la société qu’à la fin du mois!

Quand vers 22 heures, le nouveau directeur téléphone à la rédaction pour voir la Une du journal, je m’empresse de la lui apporter. C’était l’occasion de le féliciter et discuter avec un ami perdu de vue depuis un certain temps. Il me reçut très convenablement (en vieil ami) et me demanda ce que je faisais à Horizons. Après m’avoir écouté, il me signifia que les 40 000 UM de carburant ne pouvaient être maintenus « parce qu’il y a des chefs de services et de division qui ne les ont pas ». Premier acte de redressement pris à l’encontre d’un ami et qui signifie que l’homme était venu pour appliquer, à la lettre, les instructions présidentielles de lutte contre la gabegie. Je considérais sa décision d’injuste et d’inamicale, car le travail que j’accomplissais, pour qui connaît la presse, était sans prix. Ce fut ma dernière nuit de correcteur à l’AMI de l’ami Yarba.

Cet acte fondateur et ma profonde connaissance de l’homme me poussent à considérer la présente campagne menée contre lui dans certains médias arabophones comme une cabale destinée à libérer ce poste stratégique de directeur général de l’AMI pour un autre. C’est d’autant plus vrai que la dénonciation dont parlent ces médias serait venue du directeur général adjoint (qui a vu passer 3 autres DG avant Yarba) et qui commence à s’impatienter. Une sorte de « pousse-toi que-je-me-place ».

Peut-être aussi que Yarba Ould Sghair gêne au niveau du parti au pouvoir, l’Union pour la République où il est l’un des rares intellectuels haratines « engagés » et non embarqués. Je le connais de longue date et je ne partage pas avec lui certaines idées sur la « cohabitation » (« lui est plutôt partisan de l’assimilation »), mais je sais qu’il assume (et s’assume) ses choix politiques contrairement à beaucoup d’autres qui sont « majoritants » le jour et opposants la nuit. Et puis pourquoi ne pas évoquer le cas de Radio Mauritanie où il y a fête (des soi-disant émissions-débat) 360 jours sur 360 jours ? Pourquoi ce sont des journaux et sites arabes qui mènent la campagne contre Yarba ? Il y a, de ce point de vue anguille sous roche.

 

 


Burkina : la dernière tentative de coup de force en Afrique ?

Le général Gilbert Diendéré (Photo : google)
Le général Gilbert Diendéré (Photo : google)

Les derniers événements du Burkina sont pleins d’enseignements. Je les vois comme la fin d’une époque, d’une pratique infamante qui a beaucoup terni l’image de l’Afrique : les coups d’Etat.

Je ne dis pas qu’un général, un capitaine ou un simple sergent ne peut se réveiller un beau jour et dire « pourquoi pas moi », mais je crois, sincèrement, que la leçon burkinabè servira à quelque chose. Le peuple a dit son mot. La démocratie est en marche. Il ne s’agit plus de prendre le pouvoir, en profitant d’un manque de vigilance du peuple (et de l’armée régulière, dans le cas de la Mauritanie, en 2008, et du Burkina en 2015) mais de le garder. Le peuple souverain décide seul et l’armée républicaine est la garante de ce choix. Le général Diendéré vient de l’apprendre à ses dépens. Le coup d’Etat du général Aziz, présenté en 2008 comme une « Rectification », devait connaître le même sort, si l’opposition avait eu du souffle et si ses chefs n’avaient pas mis en avant leurs ambitions personnelles : dépasser la crise (sacrifier le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi), aller aux élections et faire tout pour être président à la place du président ! Les adversaires politiques du général mauritanien avaient seulement oublié une chose : on ne mène pas deux putschs en l’espace de deux ans (3 août 2005-6 août 2008) pour céder le pouvoir à un civil qui n’a pas gagné ses galons en politique à force de persévérance. L’histoire retiendra cependant une chose : là où les Mauritaniens ont échoué en 2008, les Burkinabè l’ont réalisé en 2015.

Je ne partage pas l’avis de ceux qui disent que les deux situations étaient différentes. Un coup d’Etat reste un coup d’Etat, le reste relève du détail : la personnalité de son instigateur, le rapport de force entre le pouvoir et l’opposition, l’attitude de l’armée régulière, la mobilisation populaire pour ou contre le changement. En Mauritanie, la transition avait été manipulée pour avoir les résultats que l’on sait. La conséquence était attendue : une lutte pour le pouvoir entre les partisans d’un général qui avait toutes les cartes entre les mains et ceux d’un président « démocratiquement élu » certes mais qui avait commis le péché originel d’être l’instrument, le cheval de Troie par lequel Aziz s’est introduit pour légitimer sa « Rectification » et, ensuite, la légaliser. Le compagnonnage entre Sidioca et Aziz était, en fait, le meilleur argument des partisans de ce dernier pour parler de « trahison » des principes et de la nécessité d’un retour à un agenda établi par les putschistes du 3 août 2005.

Au Burkina, le général Diendéré avait les événements contre lui. Remettre en cause un processus démocratique presque arrivé à terme a provoqué une sorte d’électrochoc. Diendéré n’avait pas de motivations suffisantes pour jouer et être sûr de ne pas perdre. Le patron du régiment de la sécurité présidentielle (RSP), l’équivalent en Mauritanie du Basep (bataillon pour la sécurité présidentielle) avait tout simplement agi bêtement. Il voulait le pouvoir sans raison, il a provoqué une réaction en chaîne qu’on peut qualifier aujourd’hui, sans risque de se tromper, de prescription populaire contre les coups d’Etat en Afrique.


Remaniement en Mauritanie : les femmes changent de place

Le président Aziz entouré par Mint Soueine'e (MAEC) et Mint Mbareck Fall, Sec d'Etat chargé des mauritaniens de l'étranger
Le président Aziz entouré par Mint Soueine’e (MAEC) et Mint Mbareck Fall, Sec d’Etat chargé des Mauritaniens de l’étranger

Ce réaménagement ministériel est comme les précédents : il tombe quand on ne l’attend pas. Quand on ne l’attend plus. Je l’ai dit une fois : Aziz n’aime pas faire les choses sous le diktat de la rue. Ou de sa réplique « institutionnelle » : la presse privée. Les deux parlaient, il y a plusieurs mois, d’un remaniement « imminent » ; on a attendu, attendu et puis paf ! « Par décret en date de ce jour, et sur proposition du Premier ministre (qui, on le sait, ne propose rien dans une République « gondwanaise »), sont nommés aux postes indiqués suivants (voir la liste).

Autre énorme surprise : comme dans tout remaniement, les Mauritaniens attendant les « venants » (pas de France), mais voilà le nouveau gouvernement consacre le retour d’un « revenant » et pas n’importe qui : Hamady Ould Meimou, ancien commissaire aux droits de l’homme, à la lutte contre la pauvreté et à l’insertion (ouf) au bon vieux temps de Taya, le mal-aimé par les temps qui courent. L’homme de Kobenni, localité entrée dans l’histoire par le bourrage des urnes à l’élection présidentielle de 1992, débarque au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération (MAEC). Bon, il faut reconnaître qu’il n’était pas trop loin, étant ambassadeur de la Mauritanie en Ethiopie, patrie de l’Union africaine, et a eu l’immense privilège d’avoir accompagné la présidence africaine de Mohamed Ould Abdel Aziz. Consécration donc pour un diplomate dont les talents ont été éprouvés – et approuvés – par le rais quand il était encore le « président de l’Afrique », comme Kadhafi affectionnait son titre de « Roi des rois traditionnels d’Afrique ».

Ould Meimou donc, remplace au Maec Mint Soueine’e. Qui remplace au ministère de l’Elevage le Dr Fatimetou Mint Habib. Qui remplace au ministère des Affaires sociales, de l’Enfance et de la Famille Lemina Mint Momma : Qui remplace au ministère de l’Agriculture Brahim Ould M’bareck Ould Mohamed El Moctar. Qui remplace au ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement Mohamed Ould Khouna. Qui remplace au ministère de l’Equipement et des Transports  Isselkou Ould Ahmed Izidbih nommé président de l’Autorité nationale de régulation.

Le président Aziz a encore fait preuve de galanterie ; aucune femme « ne prend la porte » mais elle change seulement de place. Mint Soueine’e qui s’asseyait juste à côté du ministre secrétaire général de la Présidence, et narguait, de l’estrade présidentielle, les autres « ministrées », sera désormais placée quelques fauteuils plus loin. Elle perd en grade, c’est une évidence mais elle doit être contente de rester alors que les dernières « prévisions météorologiques » d’une certaine presse la donnaient partante. Ces mêmes prévisions se sont également trompées sur deux ministres : celui de l’Education nationale et son collègue de la Santé que plusieurs journaux et sites avaient sortis du gouvernement bien avant ce remaniement. Les « indices » de la tournée présidentielle à l’intérieur du pays étaient sans doute probants, mais je l’ai dit, Aziz n’aime pas faire ce que les autres disent. Moralité : si vous voulez qu’un ministre parte, ne dites pas du mal de lui et vice versa.

 « Errahma » et dialogue

Mais pourquoi maintenant ? Il est impossible de considérer que le président Aziz a opéré ce changement uniquement pour surprendre l’opinion publique nationale et ne pas donner raison aux « prévisions » – scoops de nos médias. Il y a forcément autre chose de plus profond. Comme détourner l’attention d’une opinion publique qui commence à prendre goût aux « ébats » politiques en cours sur la fondation « Errahma » du fils du rais, sur ses financements et ses vrais objectifs. L’opposition dit dans ce qu’elle dit que c’est l’argent public dont on cherche à recycler une petite partie pour cacher l’immense autre qui a été investie dans l’achat de maisons au Maroc, en France et aux Émirats ainsi que dans le montage de sociétés-écrans. Il est vrai que l’opposition n’a pas de preuves, mais l’opinion commence à douter , surtout que les communicateurs de la fondation « Rahma » se défendent mal: la fondation vit grâce aux fonds collectés par son jeune président à l’étranger pendant qu’il était encore étudiant !

Le remaniement pose une autre question : pourquoi l’Intérieur et l’extérieur (Affaires étrangères) considérés pourtant comme les domaines où le gouvernement a réalisé des exploits (sécurité et bonnes relations avec tous les pays du monde). Pourquoi les ministres de la Santé et de l’Education donnés partants, à tous les coups, par les médias, ont-ils été épargnés ? On attendra le prochain remaniement pour tenter de comprendre.

 


Je prendrai la place de Sidaty et j’attendrai la prochaine balle

Le tireur et la victime après la réconciliation à coup de millions d'UM.
Le tireur et la victime après la réconciliation à coup de millions d’UM.

« Je prendrai la place de Sidaty et j’attendrai la prochaine balle ». Cette phrase entendue hier dans un taxi m’a donné froid au dos. Plus que les débats houleux sur les réseaux sociaux, après l’incident de Chinguitti Market, elle donne l’ampleur d’une dérive sociétale où les rapports entre riches et pauvres sont désormais régis par la loi du compromis.

Rappel des faits : vendredi 7 août 2015, une altercation entre Ely Ould Jeireb, cousin du président Mohamed Ould Abdel Aziz, du côté de sa mère, et Sidaty Ould Matallaa, un employé de l’épicerie Chinguitty Market, tourne au drame. Parce que l’employé a osé demander au client de faire peser d’abord les fruits achetés, le client retourne vers sa voiture, revient avec un fusil de chasse et tire. Sidaty est blessé au bras droit et doit être soigné d’urgence dans un hôpital de la place. Ely se rend à la police et avoue son forfait. Jusque-là, rien d’anormal. Mais très vite, les réseaux sociaux s’emparent de ce fait divers qui devient « la guerre de la mandarine ». Il s’agit tout de même du cousin du président et ce genre d’incident n’est pas une première en Mauritanie.

Il y a un mois, Bazra Ould Mohamed Khouna Ould Haidalla, fils d’un ancien président mauritanien, avait tiré en l’air pour effrayer des éléments du GGRS (Groupement général de la sécurité des routes), coupables d’avoir mis sa voiture en fourrière. Conduit devant le juge, il se voit condamné à deux ans de prison ferme.

Les opposants au pouvoir en place s’emparent de cette affaire pour dénoncer une justice… injuste : il y a deux ans, Bedr, fils aîné du président Aziz, avait blessé par balle une fille devenue, depuis, handicapée à vie. L’affaire avait été réglée à l’amiable : Raja avait été soignée au Maroc et son père a empoché, selon la presse, un chèque de 35 millions d’UM (environ 100 000 euros).

C’est cette justice parallèle, mettant à l’œuvre tribus et personnalités influentes, qui vient également de sauver le cousin du président de la prison. Sa famille aurait versé à l’employé de Chinguitty Market la somme de 12 millions d’UM (35 000 euros) pour son bras endommagé par un fusil de chasse. De quoi ouvrir son propre commerce et laisser un travail pour lequel il était sans doute payé moins de 50 000 UM/mois (135 euros).

Je crains maintenant que les pauvres ne se mettent à la chasse des riches. Oui, si à chaque fois qu’il y a un incident de ce genre, la tribu s’en mêle pour contourner la justice, il faut croire que les brouilles avec les  fils à papa (et pas seulement avec les proches du président) vont devenir un business florissant. On guettera leurs voitures pour se jeter devant, on attendra leur venue dans un commerce pour les provoquer, dans l’espoir de prendre une balle non mortelle afin de pouvoir profiter de la compensation financière. Le jeune homme dans le taxi exprime ce que je considère comme une probabilité très forte.


Mauritanie : l’opposition oups

Ahmed Ould Daddah, président du RFD (opposition)
Ahmed Ould Daddah, président du RFD (opposition)

Aujourd’hui c’est le 3 août 2015, une date passée inaperçue en Mauritanie pour la plupart des citoyens.  Pris à la gorge par les difficultés de la vie et pataugeant dans la boue à Nouakchott où les rues ne supportent pas une pluie de 20 mm, les Mauritaniens ont d’autres chats à fouetter.

Dix ans déjà qu’Aziz est au pouvoir ! Oui, oui, ce n’est pas une méprise. J’ai toujours dit que le tombeur de Taya, en 2005, était, depuis cette date, le vrai maître du pays. ELy (le comité militaire pour la justice et la démocratie) et Sidi (le président qui rassure), n’étaient que des parenthèses. Dix-neuf et quinze mois. Deux étapes qui étaient nécessaires pour qu’Aziz assure sa prise. Car il ne s’agissait pas pour lui de venir, de voir et de quitter. L’homme du « changement constructif » a sans doute envisagé de rester aussi longtemps que le président qu’il venait de destituer. Cela est d’autant plus vraisemblable qu’il vient d’accomplir, mine de rien, la moitié du parcours (Taya a régné sur la Mauritanie de 1984 à 2005) et envisagerait, selon plusieurs observateurs, de prolonger son pouvoir par un troisième mandat, voire plus.

Ce topo, qui plairait actuellement à la majorité présidentielle, notamment à l’Union pour la République (UPR), laisse de marbre une opposition qui a perdu tous ses repères. Je n’exagère pas en parlant ainsi. L’échec du dialogue (qui n’a d’ailleurs jamais commencé), la multiplication des crises qui secouent le pays et les errements d’un gouvernement navigant à vue depuis la chute des cours des matières premières exportées par la Mauritanie (fer, or, poisson, cuivre) sont des « opportunités » que l’opposition n’a pas pu – ou su – saisir pour marquer son territoire. Elle fait exactement comme le pouvoir à ses débuts: réagir au lieu d’agir. Sans disposer des mêmes armes que lui.

L’opposition ne constitue plus un contre-pouvoir.

Actuellement, l’opposition perd du terrain parce qu’elle laisse l’initiative au pouvoir. Même sur le terrain des droits de l’homme où l’Initiative pour la Résurgence d’un mouvement abolitionniste (IRA) a ouvert une brèche, l’opposition refuse de s’engouffrer. Elle fait comme si elle voulait que les jeunes (touchés de plein fouet par le chômage), les descendants d’esclaves (IRA) et les M’almin (forgerons) ainsi que les mouvements négro-mauritaniens appelant à un partage équitable du pouvoir, ébranlent les assises du régime et lui ouvrent les portes du palais. La politique du moindre effort, en fait. Comme si, paradoxalement, l’union ne fait plus la force. Le Forum national pour l’unité et la démocratie (FNDU) ne se présente pas aujourd’hui comme un « front » de l’opposition mais un club (ou salon) où l’on vient passer le temps… et discuter de la météo, comme l’écrit fort justement L’Authentique qui titre, dans sa livraison d’aujourd’hui : IRA dans la rue, l’opposition discute de la météo !

Ce n’est pas là un appel à l’insurrection populaire, mais la description de la triste réalité d’un pays où l’opposition ne constitue plus un contre-pouvoir. Même le retour sur scène de Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Alliance populaire progressiste (APP), qui tire, à nouveau, à boulets rouges sur le pouvoir, n’augure pas d’un changement des rapports de force de nature à pousser Ould Abdel Aziz à revoir sa gestion du pouvoir. Lui qui a vu de près comment Taya a amorcé lentement, mais sûrement sa descente aux enfers, doit savoir que même en l’absence d’une opposition crédible, le fauteuil de président reste soumis à toutes sortes d’aléas. La crise économique insoutenable qui préparé le coup d’Etat du 3 août 2005 est déjà là mais, entre-temps, l’ancien commandant du Bataillon pour la sécurité présidentielle (BASEP) a fait le vide autour de lui. Ce qui fait que son entourage civil (conseillers, hommes d’affaires, proches, etc.) reste à la fois son atout et son pire ennemi. Pas une opposition qui est oups.


Mauritanie : boudez le dialogue, on agira à la Nkurunziza

Le président Aziz (crédit photo: Tawary.com)
Le président Aziz (crédit photo: Tawary.com)

J’ai lu à la loupe le discours prononcé par Me Sidi Mohamed Ould Maham, président de l’Union pour la République (UPR) devant des centaines de cadres et de militants de la formation au pouvoir en Mauritanie, à l’occasion de l’ultime « iftar » (rupture du jeûne) dans une moughataa de la périphérie de Nouakchott.

Comme il sait si bien le faire, Ould Maham a encore démonté l’opposition. Ou plutôt les oppositions. Car cette fois, celle qu’on appelle communément « l’opposition dialoguiste » ou « modérée » (la Coalition pour l’unité et l’alternance démocratique) n’a pas été épargnée. Elle a été rangée dans le même sac des « vêtements usagés » que le FNDU (Front national pour la démocratie et l’unité) par un Ould Maham très en verve, mâcha Allah, malgré une fin de ramadan harassante et préoccupante, même pour les « pauvres » de l’UPR.

Pour Ould Maham donc, c’est l’opposition qui refuse le dialogue, car elle craint de se faire « massacrer ». Ce n’est pas là une nouveauté. C’est un refrain qu’on entend depuis 2009. Aller une énième fois aux élections. Un autre refrain.

Ould Maham a peut-être raison. L’opposition d’aujourd’hui n’est plus celle de 2006. Ou de 2009. Ou, pour remonter le temps, de 2003, 2001, 1997 ou 1992. Des dates qui correspondent à autant d’élections ou l’opposition a toujours joué et perdu contre un pouvoir qui a tous les atouts en main. Comme aujourd’hui.

La principale force du président Aziz est d’avoir toujours misé sur le temps. Il sait que l’ennemi numéro un de toute opposition est l’usure. La force d’un Messaoud Ould Boulkheir, d’un Ahmed Ould Daddah ou d’un Mohamed Ould Maouloud était en 2007 ou en 2009. Comme en 92 face à Maawiya. A l’époque, ce trio de choc symbolisait,réellement, le changement. Quand l’opposition était encore l’opposition. Une question de principe non de positionnement dicté par des considérations bassement matérielles.

Aziz qui a cotoyé Taya deux décennies durant sait très bien que l’élite intellectuelle de ce pays est au service de celui qui gouverne. Et qui a le soutien de l’armée. Le peuple lui n’est qu’un instrument entre les mains de cette élite qui le vend (ou le loue) au plus offrant.

C’est pourquoi l’opposition se trompe encore, une nouvelle fois, en misant sur un changement des mentalités qui s’opérera par « sauts » réguliers, mais pas de manière brusque. Fort de cette constante, le pouvoir a le temps qu’il faut pour peaufiner sa stratégie et se maintenir au-delà de 2019. L’appel à la tenue d’élections pour le renouvellement des deux tiers du Sénat n’est qu’un premier pas sur cette voie.

Le seul risque pour lui est de voir la crise économique, réelle celle-là, accentuer les difficultés financières qui font que l’Etat ne vit (survit) qu’en accentuant la pression fiscale sur les principaux opérateurs économiques nationaux du secteur des banques, de l’import-export, de la distribution alimentaire et du transport. Le ralentissement de la marche des affaires et le manque criant de liquidités (manque d’argent, dit le Mauritanien lambda) est le pire ennemi pour le troisième mandat d’Aziz. S’il arrive à trouver la solution à ce problème et aux difficultés économiques qui commencent à surgir de toutes parts, le rais peut se permettre de refuser un dialogue dont la finalité n’est pas de trouver un consensus national sur les questions qui fâchent, mais de permettre à l’opposition de revenir dans le jeu. A moindre frais.

 


La Mauritanie à l’heure du dialogue de cour

Représentants du pouvoir et de l'opposition en discussion (Photo : AMI)
Représentants du pouvoir et de l’opposition en discussion (Photo : AMI)

J’ai toujours dit que le dialogue politique n’aura pas lieu. Pour une raison simple: personne n’en veut vraiment ! Il y a de la « résistance » partout.

Au sein de la majorité – de l’Union pour la République, pour être juste – tout le monde ne veut pas d’un dialogue susceptible d’aboutir à une solution de la crise. Car si l’opposition ne s’oppose pas avec force, ne tire pas à boulets rouges sur le président et le gouvernement, la majorité irait au chômage. C’est connu, la cote des défenseurs zélés du pouvoir ne monte que quand il y a une opposition « en activité ». Comme le volcan. Alors le président apprécie qu’un député, un ministre ou un ancien responsable « au garage » prenne sa défense pour répondre à une opposition qui, perdant du terrain, déplace la confrontation vers la « guerre des mots ». C’est d’ailleurs ce que l’on constate avec la multiplication des questions orales au Parlement. Sur la vente des abords du Stade olympique de Nouakchott et de l’Ecole nationale de police, après celle des anciens Blocs A. L’opposition pense qu’il s’agit de « donations » à des proches du rais, le ministre des Finances parle de 7 milliards d’ouguiyas (23 millions d’euros) versés dans les comptes du Trésor public. Sur la sécurité avec une vision différente. L’opposition parle de l’insécurité galopante dans les grandes villes, notamment à Nouakchott, alors que la majorité brandit comme un trophée les succès incontestables de l’armée mauritanienne contre les groupes terroristes au Nord-Mali et sur la frontière avec l’Algérie. En fait, le vrai dialogue est là. C’est ce genre de réparties qui donne d’ailleurs un sens à la politique en Mauritanie : dire ce que l’on ne pense pas et faire le contraire de ce qu’on dit. Ou ne rien faire du tout.

C’est pourquoi quand tout le monde dit être prêt pour le dialogue, moi je vous dis que tout le monde joue. Le temps est cependant essentiel dans les calculs des uns et des autres. On veut voir l’adversaire s’essouffler et commettre des fautes qui ne pardonnent pas. L’opposition a commis l’erreur de trop en boycottant les dernières élections; la majorité pourrait être victime de son trop d’assurance. Le peuple peut dire « oui » quand il pense « non ». Maaouiya en sait quelque chose. Jusqu’à sa chute, il pensait que le PRDS, le parti-Etat de l’époque, était derrière lui. Alors qu’il était avec le pouvoir qu’il incarnait. L’UPR n’est pas différent et le président Aziz, en homme du sérail, le sait très bien. Il regarde avec amusement le cinéma qu’on joue devant lui depuis 2008, sans trop lui accorder d’importance. Il tire ainsi sa force de son pragmatisme. Il fait avec, comme on dit, mais agit quand il le faut. Au bon moment. Il en sera ainsi du dialogue, quand il jugera que la situation extérieure l’exige. Car, sur le plan intérieur, il continue à maîtriser la situation en l’absence d’une opposition digne de ce nom.


Esclavage en Mauritanie : Une question (de) complexe

Hratin, vers 1936 (Photo d'archives)
Hratin, vers 1936 (Photo d’archives)

Jamais une question n’a été aussi polémique, aussi équivoque et aussi mitigée que celle de l’esclavage en Mauritanie. C’est une histoire de complexes qui s’enchevêtrent au point qu’en parler suscite souvent un tapage assourdissant qui la confine dans un océan de considérations aussi subjectives les unes que les autres.

A ce jour, le traitement de la question n’a jamais, que je sache, englobé tous ses aspects et se limite essentiellement à la réduire à une histoire de traitements dégradants qu’auraient subi une importante communauté nationale d’anciens esclaves redevenus Harratines et dont les corollaires (pauvreté, ignorance, exclusion, marginalisation, stigmatisation et autres) maintiennent beaucoup d’entre eux dans une situation d’existence particulièrement difficile.

Or, il est évident que malgré l’importance de l’aspect économique, la réhabilitation psychologique et morale reste un substitut important dans la refondation générale de la personnalité de l’ancien esclave dont le principal problème est l’inexistence dans sa communauté d’un modèle auquel il pourrait le cas échéant s’identifier. L’affaire est dans la tête.

La déconstruction des clichés et des perceptions aussi bien chez l’ancien esclave que chez son maître est une opération nécessaire sans laquelle la liberté recherchée ne serait que de façade. La liberté physique, dans le sens de la séparation avec le maître et l’indépendance économique, ne suffisent pas. La preuve. Combien d’esclaves roulent aujourd’hui en V8 et habitent les villas les plus cossues des grandes villes du pays.

Combien occupent ou ont occupé les plus hautes responsabilités nationales? Combien enseignent dans les plus illustres universités nationales et mêmes internationales? Sont-ils véritablement libres ? Libérés, voudrai-je dire, de leurs complexes et de leur perception d’eux-mêmes et de leurs cousins ? Seule la lutte libère. L’opulence permet de se cacher dans la société.

De faire comme l’ancien maître. Mais elle ne permet pas de faire taire le bruit infernal qui fulmine dans la tête. C’est pour cette raison que certains anciens esclaves sont soit dans le déni de l’esclavage soit dans une tentative désespérée de s’éloigner au maximum de tout ce qui leur rappelle leur ancien statut. Pour cela, c’est inéluctable, c’est toujours la volonté de s’identifier aux maîtres en essayant de paraître exactement comme eux…en tout.

A tous ces complexes grégaires et ataviques, à cette inconscience préjudiciable, à cette démission grave de ce qu’on peut appeler pompeusement l’élite Harratine, l’Etat est dans une confusion totale. D’une question sociale qui devrait interpeller toute la nation, la problématique de l’esclavage qui soit dit en passant a constitué un véritable handicap économique pour le pays a été politisée à outrance. Par tout le monde. Fond de commerce. Programme politique. Thème de surenchère. Galvaudage. Manipulation internationale.

Bref, de fil en aiguille la problématique n’a servi que d’un terrain de discorde sur l’aire duquel les « politicards » de tout acabit échafaudent leurs discours selon les circonstances. Jamais depuis les indépendances à nos jours, l’Etat mauritanien n’a jamais reconnu l’existence de l’esclavage. Pourtant, un arsenal juridique impressionnant est mis en place pour le combattre. La Constitution de 1959 le fustige. L’ordonnance de 1981 l’abolit. La loi de 2007 en voie d’être améliorée le criminalise. Les amendements constitutionnels issus du dialogue de novembre 2011 l’élève au grade de crime contre l’humanité. Une feuille de route déclinée en 29 points devrait permettre de l’éradiquer définitivement. Des programmes et des institutions ont été mis en place pour le combattre.

Commissariat des droits de l’homme. Programme pour l’Eradication des Séquelles de l’Esclavage. Agence Tadamoun avec ses treize milliards et poussière. Puis le dernier né : Le Centre National de Documentation et de Recherches sur les Droits de l’Homme. Théoriquement. Ça va. Même si chaque fois qu’il a l’occasion, le président Mohamed Ould Abdel Aziz nie l’existence de l’esclavage et traite ceux qui en parlent de gens de mauvaise foi qui cherchent à nuire au pays.

Sur le terrain, les choses sont totalement différentes. D’abord, les milliards (vers la trentaine) de toutes les institutions chargées de combattre le phénomène ne profitent pas beaucoup ou même pas à ceux qu’ils sont censés être destinés (esclaves des villes et des campements et anciens esclaves des villes et des adwabas). Quasiment tout l’argent va dans les frais de mission, location de luxueuses maisons pour abriter les sièges de ces institutions, achat de voitures et de gros bureaux, organisations de rencontres inutiles pour permettre à des Harratines du pouvoir de proférer des insanités et des contrevérités, organisation de caravanes afin que des « fabrications » gagnent de l’argent à raison de deux cents cinquante mille par wilaya contre la profération de mensonges et de calomnies à l’encontre des véritables défenseurs des droits humains.

Sur le plan légal, les tribunaux font preuve d’une réticence notoire dans l’application des lois. Les magistrats se complaisent ou à requalifier les faits avérés d’esclavage en travail de mineur ou non rémunéré quand la victime est majeure. Et quand la situation d’esclavage est impossible à dissimuler, les magistrats n’éprouvent aucune gêne à mettre le criminel en contrôle judiciaire ou de le faire bénéficier d’une liberté provisoire ou conditionnelle.

Ce n’est pas un hasard si depuis son adoption il y a huit ans, la loi criminalisant l’esclavage n’a été appliquée qu’une seule fois dans l’affaire Yarg et Saïd dont le maître Ahmedou Ould Hassine n’a écopé que de deux ans avant d’être libéré quelques mois après. Et que des centaines de dossiers sont pendants depuis plusieurs années devant les juridictions nationales. Administrativement et sécuritairement, seules quelques rares autorités sentent la responsabilité de traiter valablement les cas d’esclavage qui leur sont signalés. Finalement, l’esclavage est devenu un complexe pour tout le monde : Pour les anciens esclaves, pour les anciens maîtres et pour l’Etat. Une véritable affaire de complexes. Visiblement.

 

Sneiba El Kory (Le Calame)


La Mauritanie va comme elle peut

Le président Aziz à Boutilimit (Photo AMI)
Le président Aziz à Boutilimit (Photo AMI)

La Mauritanie va comme elle peut. Les chameaux de la visite de 1985 que le putschiste de l’époque, Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya, fit à Néma ressemblent, étrangement, aux chameaux que les gens de Cheggar ont mobilisés pour la visite que le rectificateur Mohamed Ould Abdel Aziz vient d’achever au Brakna.

Trente ans plus tard, on en est encore aux visitations. De quoi allons-nous parler ? Tout autour, c’est rien que de la visitation. Visitation ici. Visitation là-bas. Visitation encore. La mort parmi les dix est une sinécure. Pas de hors sujet. Faisons donc comme tout le monde.

Allons là où va le pays. Et le pays va là où va son président. C’est toute la présidence, avec ses ministres-secrétaires, ses conseillers, ses chargés de mission, sous les hangars de fortune de Bouratt, sous les arbres de Wothie ou quelque part entre deux hameaux, vers Dar El Khadra ou Waboundé. C’est tout le monde.

C’est le Messie. La Mauritanie tourne et retourne au gré des visitations. Tantôt, elle est à l’Est. Tantôt, elle est au Nord. Ou au Sud, vers le Trarza. C’est toute la Mauritanie. C’est, en tout cas, quatre-vingt-dix virgule quatre-vingt-dix pour cent de la Mauritanie.

Reste plus que les huit pour cent et poussière de Birame (1). Et là, ils ont été à Aleg. Pour y accomplir leurs coutumières turpitudes. Ils ont même failli fâcher le Président. C’était de justesse. Allez, « volez d’ici (2)! ». Vous savez, la Mauritanie est dans un cycle.

Au tout début, vers la fin des années cinquante, c’est-à-dire, juste après que les colons français soient partis de chez nous, c’était encore la tribu des Oulad (3) ceci ou des Oulad cela. C’était encore les grosses cases. Comme ça. Les campements. Ah oui, impossible, quand même, d’un coup de baguette magique de tout défaire ! Comme cela. Sans préalables.

Exactement comme ce que réclame maintenant l’opposition. Une certaine opposition. Les premiers gouvernements nationaux, c’était quoi ? Y avait pas n’importe qui, dé ! Nous sortions encore à peine la tête de l’eau ; ou du sable, plus exactement. Puis, hop, les années soixante-dix ! Tentative de tout mélanger. Malaxage sociétal. Tribus, classes, émirs et autres, tous dans le même sac !

C’est tout le monde avec tout le monde. C’est la révolution. C’est la contestation contre les préjugés, les pesanteurs et les anachronismes. Tout le monde danse. Tout le monde chante. Tout le monde conteste. Dix-huit ans de tout. De hauts. De bas. D’atermoiements. Mais pas de tribus.

Les lycéens des années quatre-vingt n’en connaissaient pas. Les habitants des Médina 3, des Médina R et des îlots de Nouakchott n’en connaissaient pas. Ni de couleurs, ni de tribus, ni de régions. Ould Taya ne connaissait pas sa tribu. Pour lui, les tribus constituaient le pire ennemi, avant de devenir le meilleur allié, pour régenter, réguler et sévir.

La grande tente militaire. La plus grande tribu. Les dosages ethnico-socio-régionaux. Plus rien ne marche sans ça. Adieu les parchemins ! C’est le fils de quelle tente ? De quelle case ? C’est quelle région là-bas ? Plus équilibriste que le Président, tu meurs.

Ça pèse. Ça sous-pèse. C’est les ministres des tant. C’est les membres du bureau national des tant. C’est la banque des tant. C’est les assurances des tant. C’est les hommes d’affaires… C’est les généraux….c’est la radio… c’est la télé…

Comme au temps où les bêtes étaient marquées au fer rouge, pour ne pas les perdre. Il faut poser le feu de la tribu sur ses biens, pour ne pas les confondre avec les biens des autres tribus. Marquer au feu les cadres de chaque tribu. Comme ça, ses cousins le reconnaîtront d’office. Pas la peine alors de demander de qui il est : sa marque est claire.

Apposer le feu sur le front. Un Oulad ceci reconnaîtra facilement son parent. Un non-Oulad cela reconnaîtra son cousin. Exactement, comme nous enseignaient nos maîtres d’école, à mettre les unités sous les unités, les dizaines sous les dizaines et les centaines sous les centaines…

Pour ne pas se tromper. A voir les visitations comme elles se passent aujourd’hui, il est clair que le cycle a repris. En-deçà des indépendances. Nous en sommes presqu’aux années 20. Du temps de la « Seïba » et de la loi de…

Salut.

Sneiba El Kory (Le Calame)

1.Militant anti-esclavagiste condamné à 2 ans de prison ferme. Il avait obtenu 8% des voix lors de la présidentielle de 2014.

2. Traduction littérale de l’expression hassaniya « thirou min hown » (qui signifie « dégagez ».

3. Fils de. Expression précédent les noms des tribus guerrières en Mauritanie.


FIFA : après avoir évité le carton rouge, Blatter sort sur « blessure »

Sepp Blatter, président démissionnaire de la Fifa (Photo: google)
Sepp Blatter, président démissionnaire de la Fifa (Photo: google)

L’annonce de la démission surprise de Sepp Blatter, m’oblige à reconsidérer un papier que je voulais publier sous le titre : Blatter « l’Africain ». En voici l’entame :

« Je réagis sur le tard à la réélection, pour un cinquième mandat, de Blatter « l’Africain ». Je n’ai rien contre l’homme qui préside aux destinées de la FIFA depuis 1998 mais je trouve que le « montage » que lui et son compère Issa Hayatou, à la tête de la CAF depuis des lustres, ont mis en place pour finir leurs jours en capos de la planète foot, n’est différent en rien aux subterfuges politiques de nos dictateurs africains. Pierre Nkurinziza, notre Aziz national, Kabila et autres chefs de villages, ne réclament qu’un troisième mandat en s’engouffrant dans les brèches de Constitutions très souvent mal ficelées, Blatter et Hayatou courent derrière une présidence à vie !

Je m’étonne que ce pourrissement du monde du sport soit passé par les grandes puissances en pertes et profits. Pourtant, il n’a rien de différent de ces crimes économiques, de ces bouleversements politiques fustigés jour et nuit. La preuve qu’il y a corruption à grande échelle ne doit pas être cherchée trop loin. Le vote des pays africains et asiatiques pour Blatter, l’homme qui dit n’être impliqué ni de loin ni de près à la série de scandales qui ont éclaboussé la FIFA, est une preuve en lui-même. Ces régions ont toujours refusé la démocratie et elles doivent avoir des raisons suffisantes pour tenir tête aux puissances qui régulent le monde. Et quelles raisons « suffisantes » que celles d’être grassement rémunérés. Une place ou deux de plus, lors d’une Coupe du monde, la construction de stades ou l’organisation de sessions de formation sont certes des acquis, mais il est difficile de penser que cela suffit pour que les présidents des fédérations des pays soutenant Blatter consentent à lui accorder un cinquième mandat pour « rien ».

Et puis voilà, la démission, après la nouvelle révélation de haute probabilité de corruption, concernant l’organisation de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud, ne fait qu’enfoncer encore plus Blatter. Sa démission est un aveu et, disons-le clairement, une porte ouverte vers une possible inculpation de l’homme. Le scandale au sein de la FIFA et ses conséquences désastreuses pour le monde du foot ne fait que commencer.