Mohamed SNEIBA

Lettre à celui qui n’est plus président de l’UA

Le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz (Photo : google)
Le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz (Photo : google)

Monsieur le président,

Je suis content, très content, de voir que vous n’êtes plus, depuis hier, le « président de l’Union africaine ». Je sais que je vais choquer, et même provoquer des réactions de mépris, mais je parle sérieusement. Une année à la tête de l’UA a causé plus de dégâts à la Mauritanie qu’elle n’a apporté de « bienfaits » à la pauvre Afrique.

Monsieur le président

Vos « occupations africaines » vous ont fait oublier vos devoirs nationaux. J’espère que les mauritaniens vont retrouver, enfin, leur « président des pauvres ». La télévision de Mauritanie, qui s’est ingéniée à revenir, en long et en large, sur la dizaine de voyages que vous avez effectués, en 2014, voulait-elle rappeler aux mauritaniens que leur Rais s’était mis au service de toute l’Afrique et oublié qu’ici on souffre. La crise politique persiste. L’économie vole en lambeaux, malgré ce qu’en disent le FMI et la Banque mondiale. D’ailleurs comment justifier, qu’à la veille la tenue du XXIVème sommet de l’UA qui vous verra remettre votre mandat au sinistre Mugabe, vous ayez mis fin coup sur coup aux fonctions du gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie, de l’Inspecteur général d’Etat (IGE), du ministre des Finances et du directeur général de la Caisse des dépôts et de développement (CDD) ? Tout simplement parce qu’alors que vous vous occupiez des Africains, les principaux responsables mauritaniens « s’occupaient » de nos finances pensant le pouvoir en…vacance !

Monsieur le président,

Je crains fort que la mystification continue. Si vous avez vu l’empressement avec lequel la TVM a confié à ses meilleurs « journulistes » le soin d’immortaliser votre passage à la tête de l’UA par la réalisation d’un documentaire qu’elle nous resserre à longueur de journées et de nuits, vous comprendrez qu’on veut que le futile soit pris pour l’utile.

Monsieur le président, la Société nationale industrielle et minière (SNIM), celle qui vous a permis de réaliser la plupart de vos grands projets, se meurt. Je ne suis même pas sûr qu’elle puisse supporter le coup de la baisse vertigineuse des prix du fer sur les marchés mondiaux, conséquence des problèmes qui l’opposent aujourd’hui à ces travailleurs, pour qu’elle continue à assurer le financement des projets en cours.

Monsieur le président,

Le spectre d’une sécheresse, comme celle de 2008, se profile à l’horizon. Avoir créé pour la première fois un ministère de l’Elevage est certes une bonne initiative mais cela rend encore plus grande l’attente des milliers d’éleveurs qui ont opté, depuis la nuit des temps, pour un élevage extensif qui est aujourd’hui à combattre pour rationaliser « l’existant ».

Monsieur le président,

Le dialogue politique est vraiment nécessaire. Ceux qui vous disent le contraire protègent des intérêts particuliers. Car si l’on peut insinuer, qu’à chaque fois que l’opposition réclame le dialogue, elle cherche à marquer des points, il faut aussi reconnaître que la prédisposition à dialoguer de ceux qui n’ont pas le pouvoir fait peur à ceux qui le détiennent. J’ai souvent dit que la majorité n’a d’importance qu’en présence d’une opposition « récalcitrante ». C’est comme si la majorité dit « opposez-vous et nous on profite ».

Monsieur le président,

Vous entamez votre second mandat – le dernier – et vous devez avoir comme objectif de le finir en beauté. Les mauritaniens ne garderont de vous que cet instant. Avoir bien commencé pour mal finir est la chose vraiment à éviter. L’histoire politique de notre pays en est le témoin. De feu Moktar Ould Daddah à Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi en passant par Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya et Mohamed Khouna Ould Haidalla. Chacun de ces hommes d’Etat a été applaudi à son arrivée et critiqué à son départ. Pour ne pas subir le même sort, il vous faudra inverser la tendance : partir de votre propre gré et travailler, dès à présent, pour laisser aux mauritaniens une scène politique apaisée.


En Mauritanie l’opposition dit : «Touche pas à ma Constitution»

Le président de l'Ufp (opposition) avec le président Aziz
Le président président Aziz en compagnie de leaders de l’opposition (Photo : google)

Encore une fois, les Mauritaniens retiennent leur souffle. Le dialogue, encore le dialogue, toujours le dialogue.

Il a suffi que le président Mohamed Ould Abdel Aziz déclare, début janvier, à Chinguitt, à l’occasion de la cinquième édition du Festival des villes anciennes, que le pouvoir est prêt à dialoguer avec l’opposition, pour que le gouvernement et la majorité qui le soutiennent engagent, à nouveau, les (d)ébats politiques. Déclarations, tables rondes (rectangulaires, triangulaires, ou ovales) se suivent et se ressemblent. Puis, le Premier ministre, Yahya Ould Hademine, invite, officiellement, le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) représenté par son secrétaire permanent, l’ancien ministre des Affaires étrangères Mohamed Vall Ould Bellal, à prendre connaissance des propositions de dialogue du gouvernement. Et la particularité de cette proposition gouvernementale est que le pouvoir est prêt à faire toutes les concessions. Y compris une élection présidentielle anticipée, déclare le ministre chargé des Relations avec le Parlement et la société civile, Izidbih Ould Mohamed Mahmoud. Cette ouverture du gouvernement prend au dépourvu plus d’un. Comment reprendre tout un processus alors qu’on vient à peine de sortir d’élections générales (municipales, législatives, présidentielle) auxquelles ont pris part plusieurs partis, y compris de l’opposition, et, surtout, qui n’ont pas été remises en cause par la communauté internationale ?

Pour certains, il y a sans doute anguille sous roche. Comme en 2008 et en 2009, le pouvoir veut attirer l’opposition radicale dans un piège lui permettant d’achever sa mise à mort qui a commencé avec des élections législatives sans le Forum national pour la défense de la démocratie et l’unité (le FNDU).

Ceux qui voient les choses ainsi imaginent mal un président mauritanien qui, après avoir gagné haut la main la présidentielle de 2014, avec plus de 80 %, remet en jeu son second mandat à peine entamé. Sauf si, par la participation de l’opposition radicale, Ould Abdel Aziz veut montrer aux yeux du monde que, six ans après son arrivée au pouvoir, sa popularité reste intacte.

Pour d’autres, la raison est tout autre. Soumis à une forte pression due à des contreperformances économiques certaines et à une tension sociale de plus en plus forte, le pouvoir veut parvenir à un apaisement de la situation politique pour pouvoir faire face aux difficultés qui pointent à l’horizon. Surtout cette crise imprévisible avec l’Union européenne sur deux dossiers d’importance : le renouvellement de l’accord de pêche et la question des droits de l’homme revenue au-devant de la scène avec l’emprisonnement du militant antiesclavagiste Biram Dah Abeid et deux de ses compagnons.

Mais malgré toute cette effervescence politique, il se trouve toujours des Mauritaniens à douter de la tenue, avant terme, d’élections générales. Surtout que, dans les rangs de la majorité des voix s’élèvent pour dénoncer ce qu’elles considèrent comme une « faiblesse » du gouvernement devant l’opposition. C’est notamment le cas pour des députés qui n’auraient peut-être jamais pu accéder à l’hémicycle dans le cadre d’une élection fortement disputée, comme celles que la Mauritanie a vécues en 2007 et en 2009.

Mais tout cela reste du domaine du probable parce que l’opposition radicale, la principale concernée par cette démarche du pouvoir, reste sur ses gardes. Elle dit oui pour le dialogue, mais pas à n’importe quelles conditions. Son acceptation du principe repose sur quatre requêtes essentielles : formation d’un gouvernement d’union nationale à larges compétences, recomposition de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) et du Conseil constitutionnel, neutralité de l’administration, mais surtout qu’on ne touche pas à la Constitution. Un point essentiel qui barre la route à la volonté du pouvoir d’éliminer la limitation de l’âge à la présidentielle et donc de supprimer, du coup, comme le supposent fortement certains, celle des mandats.


Prise d’otage à la prison centrale de Nouakchott : les salafistes dictent leur loi

Prisonniers salafistes mauritaniens (Photo : google)
Prisonniers salafistes mauritaniens (Photo : google)

Des têtes vont tomber, c’est sûr, après ce qui vient de se passer à la prison centrale de Nouakchott. Une mutinerie de prisonniers salafistes qui s’est soldée par la prise en otage de deux éléments de la garde nationale ! Mais surtout la « honte » pour un pouvoir qui a plié aux exigences, quoique justes, de djihadistes entrés en rébellion pour exiger la sortie de prison de quatre des leurs qui ont purgé leur peine. Les Mauritaniens sont restés ébahis en apprenant la nouvelle. Une prise d’otages, non pas à la frontière malienne où l’armée de leur pays a massé le plus gros de ses troupes, pour, dit-on avec fierté, garantir la sécurité des biens et des personnes contre toute menace terroriste, mais à l’intérieur même de la prison centrale de Nouakchott. Un établissement gardé nuit et jour par des unités de la garde nationale et accolée à l’état-major de la gendarmerie nationale !

Certains se demandent comment les prisonniers ont-ils fait pour résister à la force publique ? Avec quelles armes, mais surtout, comment ils se sont procuré l’essence avec laquelle ils menaçaient de mettre le feu à la prison, si les forces de l’ordre venaient à donner l’assaut pour tenter de libérer les otages ? Pourquoi avaient-ils leurs téléphones qui leur ont permis de transmettre, en direct de la prison, les informations aux médias privés et de montrer les photos des deux gardes enfermés dans une cellule ? Une situation singulière qui est l’aboutissement d’accrochages qui ont fait quatorze blessées (8 gardes dont un officier du nom de Adhem Ould Ouma et 6 détenus islamistes, selon le site Alakhbar) tous soignés à l’hôpital militaire de Nouakchott.

Toutes ces questions restent sans réponses et doivent attendre la fin de l’enquête évoquée par le procureur de la République pour situer les responsabilités. Mais déjà, les forces de sécurité, qui n’ont pas fait preuve d’efficacité dans cette affaire, mettent en cause le ministre de la Justice, Sidi Ould Zeine, qui aurait laissé pourrir cette situation. C’est également la même chose que dit le bâtonnier de l’ordre national des avocats, Me Cheikh Ould Hindi qui, invité par une chaîne privée, expliquait que l’Etat ne fait que rétablir le droit. Le bâtonnier, qui a servi d’intermédiaire dans les négociations entre les salafistes et les autorités, a appelé ministère de la Justice au respect de la loi pour éviter que ce genre de crise ne se répète.

De retour d’Arabie saoudite où il a effectué une visite éclair pour présenter ses condoléances au nouveau roi Salman Ibn Abdel Aziz suite au décès de son frère le roi Abdallah, le président mauritanien n’a pas encore pris de mesures consécutives à ce que les médias locaux appellent désormais les évènements de la prison civile de Nouakchott. Mais ceux qui connaissent bien l’homme déclarent qu’il ne laissera pas les choses passer ainsi. Les ministres de la Justice et de l’Intérieur pourraient ainsi faire les frais d’un énième remaniement. Surtout qu’on comprendrait très mal comment la justice a envoyé au gnouf des militants des droits de l’homme, pour avoir dénoncé, pacifiquement, l’esclavage foncier, en les accusant de « rébellion non armée »; alors que dans cette histoire, des prisonniers salafistes s’insurgent, prennent en otage deux de leurs geôliers, négocient et obtiennent gain de cause.


Remaniement en Mauritanie : Scandales, parité et disparités

Fatma Vall Mint Soeyne'e,  ministre des Affaires étrangères (Crédit photo : AMI)
Fatma Vall Mint Soueyne’e, ministre des Affaires étrangères (Crédit photo : AMI)

Une fois encore, le président Aziz a pris de cours tout le monde. Alors qu’on marchait à Nouakchott contre Charlie Hebdo et qu’on devisait sur un possible dialogue entre la majorité et l’opposition, il décide tout d’un coup de « reconfigurer » l’équipe gouvernementale pourtant formée il y a à peine quatre mois. Y avait-il urgence à cela? On peut dire, sans risque de se tromper, oui et non.

La série de scandales ayant secoué le ministère des Finances et la Somelec (Société mauritanienne d’électricité) rendait hypothétique le maintien à son poste de l’argentier du pays Thiam Diombar. Certes, l’homme n’a très probablement rien à voir avec les milliards d’ouguiyas que l’Etat est obligé aujourd’hui de passer en pertes et non profits mais on peut croire qu’il ne tenait plus suffisamment fort la baraque. Et cela fait mal à un pouvoir qui, on le sait, a bâti une bonne partie de sa renommée sur la lutte contre la gabegie.

Le limogeage, coup sur coup, du gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie, de l’Inspecteur général d’Etat (IGE) ainsi que du Directeur général de la Caisse de Dépôt et de Développement (CDD) annonçait une bourrasque sur le gouvernement du Premier ministre Yahya Ould Hademine.

La première remarque qui s’impose est que Thiam Diombar, pourtant artisan de l’embellie économique de ces trois dernières années, avec le gouverneur de la BCM, Sid’Ahmed Ould Raiess, lui aussi débarqué, suite au dépôt de bilan de la Maurisbank, et le ministre des Affaires économiques, Sidi Ould Tah, maintenu, paye pour les erreurs des autres : l’ancien Trésorier général (aujourd’hui conseiller technique), qui assure la tutelle directe sur les trésoriers régionaux, les walis eux-mêmes et l’IGE. Il a peut être également été sacrifié sur l’autel de la guerre entre les puissants lobbies économiques qui ont su mobiliser contre lui, plusieurs semaines durant, tous les flibustiers de la presse. Thiam Diombar cède sa place à Moctar Ould Diay qui, jusqu’à sa nomination, était à la tête de la direction générale des Impôts, la « terreur » des hommes d’affaires et des entreprises. Ceux qui ne l’aimaient pas disaient même qu’il était l’arme du pouvoir pour casser les hommes d’affaires qui ne se pliaient pas à sa volonté en les frappant de lourds impôts synonymes de mise à mort certaine.

Plus de femmes au gouvernement

Coumba Bâ, ministre de la Jeunesse et des Sports (Photo: google)
Coumba Bâ, ministre de la Jeunesse et des Sports (Photo: google)

Elles sont maintenant sept au gouvernement : Affaires étrangères, Affaires sociales, Culture et artisanat, Elevage, Jeunesse et sports, Secrétariat général du Gouvernement et Mauritaniens de l’étranger. Certes, ce n’est pas encore la parité appliquée dans certains pays comme la France, mais c’est tout de même le double des postes que les pouvoirs précédents consacraient à la gent féminine. Les femmes accaparent aujourd’hui 25% du gouvernement avec le retour à un ministère de souveraineté, celui des Affaires étrangères dévolu à Mint Soueyne’e. D’aucuns pensent que cette « offrande » politique est faite pour apaiser un peu les esprits, au sein d’une communauté dont l’un des fils vient d’être condamné pour apostasie. Est-ce également la même logique qui a présidé à l’octroi d’un portefeuille de plus à la communauté haratine, après la condamnation à deux ans de prison ferme de Biram Ould Dah Ould Abeid et de Brahim Bilal Ramdane, respectivement président et vice-président de l’Initiative pour la Résurgence d’un mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA) ? On n’est pas loin de le penser.

Mais la sensation du changement passée, on se demande si le « contingent » féminin du gouvernement remanié d’Ould Hademine va tenir la route. Le sort de la pauvre ministre de la Jeunesse et des Sports, Houleymata Sao, sortie au bout de quatre mois, on ne sait pourquoi, plane comme une épée de Damoclès sur la tête des nouvelles élues. Elles savent quand elles sont entrées dans la cour des grands mais n’ont aucune idée du moment où elles seront éjectées de leurs moelleux fauteuils de ministres. Alors elles feront comme tout nouveau « ministré » : jouir pleinement du moment présent, car, dans la conjoncture politique actuelle, les changements sont imprévisibles.


Charlie Hebdo : le revers de la… caricature

Manifestation à Nouakchott contre les caricatures (Crédit photo : Saharamédias.net)
Manifestation à Nouakchott contre les caricatures (Crédit photo : Saharamédias.net)

A peine la France a-t-elle fini de pleurer ses morts que « l’union sacrée » contre le terrorisme commence à se fissurer. En France, d’abord, où la question divise, certains se demandant si la récupération politique qu’on a aussitôt faite de ce drame ne va pas – aussi – susciter une levée de boucliers chez les musulmans de France et dans les pays islamiques. Le risque ici n’a pas été mesuré à sa véritable portée. Certes, la France et tous les citoyens du monde épris de paix et de justice se devaient de condamner tout acte terroriste. Mais elle devait veiller également à ce que l’acte commis par trois égarés, de nationalité française, n’affecte pas négativement le comportement général vis-à-vis d’une religion.  Faut-il le rappeler, l’islam, dans son essence même, condamne l’atteinte à la vie humaine. Le Coran ne dit-il pas que celui qui a tué un homme c’est comme s’il a tué toute l’humanité ?

En voulant défendre la liberté d’expression, à tout prix, ne risque-t-on pas de provoquer une réaction en chaîne à travers le monde contre Charlie Hebdo, d’abord, mais aussi contre la France et tous les pays où ce journal a pu vendre son numéro reprenant les caricatures du Prophète. Une situation qu’on a vécue en ce vendredi dans plusieurs pays musulmans, comme le Pakistan et la Mauritanie.

Dans ce dernier pays, les milliers de marcheurs ont été stoppés, de justesse, par les forces de police devant l’ambassade de France à Nouakchott. Mais ils ont pris la direction de la présidence de la République où Mohamed Ould Abdel Aziz les a accueillis et n’a pas hésité, lui aussi, à saisir l’occasion au vol pour dire, à des manifestants surchauffés, qu’il ne marchera jamais pour soutenir un acte contre le Prophète de l’islam. Comme il l’avait fait, à son arrivée au pouvoir en 2008, en rompant les relations diplomatiques avec Israël, le président mauritanien a joué sur la fibre religieuse des Mauritaniens pour gagner des points, à un moment où le pays est secoué par une série de scandales économiques d’une grande ampleur.

Le risque ici pour lui est de vexer ses amis occidentaux, ceux-là mêmes qui ont avalisé son coup d’Etat contre Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, justement, parce qu’il mène une lutte sans merci contre le terrorisme. Ould Abdel Aziz a raison de signifier qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre l’islam et le terrorisme, mais il doit aussi comprendre que l’Occident ne choisit ses amis qu’en fonction de ses intérêts. Stratégiques et économiques s’entend.


Autour d’un thé : mandats écourtés…ou prolongés, selon la volonté du prince

Ould Raïess, gouverneur de la BCM dont le mandat vient d'être écourté
Ould Raïess, gouverneur de la BCM dont le mandat vient d’être écourté

Le mandat, c’est quoi ? Ça dépend, comme on dit. Mandat politique, mandat littéraire ou mandat économique ? Le mandat de Sembène Ousmane ou celui d’Ould Raïss¹ ? Ou, peut-être même, des mandats postaux, sonnants et trébuchants, que les anciens engagés militaires de la métropole, les fonctionnaires coloniaux ou les « ndaga francia² » envoient à leurs parents restés au village ? Tout ça, ce sont des mandats.

Ça peut même être un mandat d’arrêt ou un mandat de dépôt. Tout ça existe. Un mandat peut être d’argent, strapontin moelleux, livre, tout simplement, ou document pour la prison. Un mandat peut raccourcir. Sidi Ould Cheikh Abdallahi (ancien président), Kane Ousmane (ancien gouverneur de la BCM), Seyid Ould Ghaylani (ancien président de la Cour suprême), Sid’Ahmed Ould Raiss en savent quelque chose.

Un mandat peut s’allonger. Mohamed Ould Abdel Aziz, les maires, les députés élus en 2007 en savent quelque chose. Les sénateurs aussi. Un mandat peut manger. Un mandat peut envoyer en prison. Un mandat peut même dormir et attendre de se réveiller, on ne sait comment. Et puis, tant qu’il n’est pas fini, un mandat n’est jamais fini.

Il est dans la tête. Il dépend de la conjoncture. Des rapports du moment. Avec les groupes, les individus, les partenaires. On dit que l’argent avilit la religion. Les rapports avec sont très complexes. Bizarres même. L’argent, c’est pas facile à donner. Il n’y a que ceux qui n’en ont pas qui pensent comme ça. Pas facile à gagner, pas facile à donner.

C’est normal. Les bosseurs, les grands, ceux qui ont peiné pour en avoir, ceux-là, leurs os sont incassables. Ils connaissent l’argent. Cette histoire mauritanienne selon laquelle untel a vécu dans le bien et un autre, je suppose, dans le mal ne tient pas.

Ou qu’« el weyl » (littéralement : l’extrême pauvreté) ferait mieux de tuer celui qu’elle a pris plutôt que de le relâcher. Ça ne vaut que pour ceux qui prennent la peine de l’écouter. Paradoxalement, on peut être prodigue et avare à la fois.

Comment, dites-vous ? Fortement cupide, avec son propre argent, et extrêmement dépensier, avec celui des autres. Généreux par ci et avaricieux par là. Nos largesses ont même dépassé nos frontières. Exactement comme nos savoirs, nos sciences, nos connaissances.

Quel paradoxe ! Alors que nous prétendons avoir propagé l’islam et ses vertus jusqu’aux confins de je ne sais où, des centaines de milliers des citoyens ne savent pas jusqu’au moindre savoir, au point de prier encore avec « Je me suis levé avec Allah et assis avec Lui ». On pouvait ne pas aller loin, pour aider à soulager les souffrances ou soigner les maladies.

C’est à vol d’oiseau, la misère, la maladie et la désolation. Juste à quelques encablures de la Présidence, des ministères, du Commissariat des droits de l’homme et de l’action humanitaire. Le budget se mange chaque année. Complètement. Pas de restes. Pas de victuailles. Chaque ministère, chaque société, chaque établissement mange son plat. Rien ne tombe.

C’est impossible. Ils doivent être bien éduqués, ces convives-là. Pour la sauce, ils prennent le « mbourou lehtab » (pain cuit dans un four traditionnel), afin que rien ne tombe. Avec le « mbourou courah » (pain moderne), ça ne marcherait pas. Et l’on relave les ustensiles pour l’année 2015 ! Sans obligation de résultat. Sans redevabilité à quiconque. Sans compte- rendu. Pourtant, la liquidation de tous les budgets doit se justifier. Et pas que sur papier.

Ses impacts doivent se ressentir sur le terrain de l’éducation, de la santé, de la sécurité, des droits de l’homme, de la lutte contre les pratiques ou séquelles de l’esclavage, de l’accès aux services de base, l’aménagement urbain, l’assainissement. Sur la terre, dans les airs et au ciel.

Claquer un budget, c’est pas un exploit. L’argent est mangeable. Il est même délicieux. Surtout quand les yeux ne sont pas dans le derrière³. Et qu’on sache faire les « bonnes » choses au bon moment. Vivement le budget de 2015 ! A vos plats, pour le partage de plus de cinq cents milliards d’ouguiyas ! Bon appétit. Attention à l’indigestion. Attention à l’intoxication collective.

 

Sneiba El Kory  (Le Calame)

1. Gouverneur de la banque centrale de Mauritanie limogé la semaine dernière alors que son mandat venait d’être renouvelé il y a tout juste 3 mois !

2. Partis en France, dans une des langues locales

3. Traduction d’une expression hassaniya qui veut dire : « ne pas avoir froid aux yeux »

 


Je suis (contre) l’hypocrisie

Les dirigeants présents à la marche de Paris (Crédit photo: Lemonde.fr)
Les dirigeants présents à la marche de Paris (Crédit photo: Lemonde.fr)

Je suis contre l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo. Ça, je suis tenu de le dire haut et fort en tant qu’humain opposé à toutes les manifestations de l’extrémisme, qu’il soit religieux ou autre. Un acte terroriste qu’aucune confession ne peut justifier et dont les victimes appartiennent aux trois religions monothéistes (islam, christianisme, judaïsme). En ce sens, l’acte qui a ébranlé la France et le monde est plein d’enseignements : le terrorisme n’a pas de religion. Tout comme il n’a pas de couleur.

Ceci dit, je suis tout aussi contre l’hypocrisie de nos dirigeants. Car si la compassion des citoyens ordinaires de par le monde est juste et spontanée, celle des gouvernements est de circonstance. La décimation de la rédaction de Charlie Hebdo choque certes, mais que serait-il arrivé si ce drame était arrivé au Gondwana par exemple ? N’arrive-t-il pas d’ailleurs tous les jours au Nigeria, en Syrie, en Libye et en Irak, pour ne citer que ces cas extrêmes ? Au Nigeria, un attentat-suicide a fait 19 morts, il y a un jour. Qui en a entendu parler en Allemagne, en Israël ou même en France ? Que font les dirigeants du monde pour stopper ces actes terroristes quasi quotidiens ? Ou bien il s’agit « d’actes isolés » ? D’actes qui se passent sur une autre planète, dans l’univers des films de science-fiction !

C’est en pensant à ces choses que je réprouve haut et fort cette hypocrisie généralisée. Il n’y a pas deux mondes en un, mais une humanité qui doit faire face à tous les extrémismes. Ceux-ci ne naissent-ils pas d’ailleurs de l’indifférence des uns face aux souffrances des autres ? Cela ne dit-il rien à ces dirigeants du monde, de voir, en de telles circonstances, le président malien Ibrahima Boubacar Keita, venir manifester à Paris contre un acte terroriste qui a tué 17 innocents alors que ce sont des centaines de Maliens qui ont péri durant l’occupation du_Nord-Mali par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Aucun de ces dirigeants qui l’ont côtoyé aujourd’hui, à part son hôte parisien, François Hollande, et ses pairs africains ne se sont sentis concernés par ces crimes contre l’humanité. Pour vaincre le terrorisme, il faut plus que cette grande marche de solidarité avec la France, il faut accompagner ce pays dans la lutte qu’il mène contre Al-Qaïda au Mali. Il faut avoir la volonté, comme la France de pousser Israéliens et Palestiniens au dialogue pour comprendre que l’existence de deux Etats séparés vivant en paix est l’unique solution à la crise au Moyen-Orient. Il faut agir autrement en Syrie, en Irak, en Libye pour faire cesser les guerres civiles qui sont la source d’attentats comme celui perpétré contre Charlie Hebdo. Il faut voir quel remède doit être prescrit au Nigeria qui peut se transformer en cancer pour toute l’Afrique de l’Ouest et du centre. Il faut que cesse cette hypocrisie planétaire qui nous enfonce chaque jour dans des conflits sans raison.


Mauritanie : ministres et « ministrés »

Nani Ould Chrougha, ministre des pêches (Photo: Google)
Nani Ould Chrougha, ministre des pêches (Photo: Google)

J’ai vraiment apprécié l’intervention du député de Nouadhibou, Ghassem Ould Bellali, qui, bien que soutenant le président Mohamed Ould Abdel Aziz, ne s’embarrasse pas de scrupules pour dire tout haut ce que les autres élus du peuple pensent tout bas. Ce député donc, vient de démontrer par l’exemple, comme je l’écris moi souvent dans mes articles, qu’il y a ministres et « ministrés ». Des apparents et des cachés. Des ministres qui décident et d’autres qui exécutent.

En fait, c’est un subterfuge, une stratégie qui ne date pas d’aujourd’hui. Taya en a usé et abusé, le président Aziz l’a repiquée. Recette : on forme un gouvernement de 30 membres avec le savant dosage tribalo-régionaliste nécessaire pour contenter le plus de monde possible mais l’on se rend compte qu’on a deux ou trois amis indispensables. Alors c’est décidé, ils seront des ministres « cachés ». Il suffit de les nommer secrétaires généraux, chargés de missions ou conseillers. Et de faire comprendre au ministre « apparent » qu’il n’est qu’une devanture, un « ministré ». Un terme que j’affectionne pour souligner à mes lecteurs qu’un ministre mauritanien est très souvent nommé pour une raison autre que celle de ses compétences.

Devant, l’assemblée nationale donc, le député Ghassem Ould Bellali s’est attelé à démontrer à un ministre des pêches médusé qu’il n’est pas le maître à bord, que c’est en fait, son conseiller technique, le colonel à la retraite Cheikh Ould Baya qui tient la barre. Et quand on a voulu mettre en doute les paroles du député, il a su utiliser des arguments massue: « pourquoi alors n’est-il pas assis là derrière vous, à côté des autres conseillers ? Et Ould Bellali d’énumérer les nombreuses fonctions du puissant colonel « retraité », au propre comme au figuré : conseiller technique du… « ministré »… maire de Zouerate, la cité minière d’où part vers les marchés mondiaux le fer mauritanien, négociateur en chef avec l’Union Européenne, dans le domaine des accords qui la lie avec Nouakchott, président du conseil d’administration de la Mauritanienne de Sécurité Privé (MSP), président de l’Association des maires de Mauritanie et, pour boucler la boucle, il continue à avoir la haute main sur la surveillance maritime, en transformant la DSPCM (Délégation à la surveillance des pêches et au contrôle en mer) en Garde-côtes.

Le colonel à la retraite Cheikh Ould Baya, l'homme fort du ministère des pêches
Le colonel à la retraite Cheikh Ould Baya, l’homme fort du ministère des pêches

C’est pour vous dire que le feuilleton Cheikh Ould Baya, est loin d’être clos. Même si le pouvoir tarde à lui demander des comptes. Même si le président Mohamed Ould Abdel Aziz semble lui accorder encore, mais jusqu’à quand, sa confiance.

Ceux qui suivent de près ce que le pouvoir qualifie de lutte contre la gabegie ne peuvent qu’être sûrs d’une chose : cette histoire de milliards d’ouguiyas, bien ou mal acquis, par le puissant colonel à la retraite, lui porte préjudice. Toute la presse nationale en a parlé, des semaines durant. Et maintenant, un député déplace la question au niveau de l’Assemblée nationale.

Le député de Nouadhibou s’interroge à juste raison : Ould Baya n’a-t-il pas reconnu lui-même, emporté par l’euphorie de la campagne électorale des municipales et législatives de novembre 2013, qu’il avait « gagné » des milliards d’ouguiyas quand il était le patron de la Délégation à la surveillance maritime ? N’a-t-il pas dit, assène Ould Bellali, qu’il s’accaparait de 48% des amendes de pêche dont étaient frappés les bateaux contrevenants ? Un pactole qui se chiffrait à 3 ou 4 milliards d’UM comme également il l’avait reconnu lui-même. Tous les regards, toute l’attention, sont maintenant braqués sur ces milliards qui sont allés dans les poches de particulier alors qu’ils devaient, pour une grande partie, alimenter les caisses de l’Etat. Et comme quelqu’un l’a bien dit : pourquoi ces « privilèges » n’ont-ils pas été accordés à la douane et aux Impôts qui font entrer pourtant dans les caisses de l’Etat beaucoup plus d’argent ? Comment expliquer cette « générosité » avec le colonel Ould Baya et pas avec les autres fonctionnaires de l’Etat qui contribuent à la mobilisation des ressources nécessaires au fonctionnement du pays ?

Pour toutes ces raisons, les mauritaniens sont d’accord avec le député Ghassem quand il se demande pourquoi Cheikh Ould Baya ne restituerait pas l’argent au trésor public ?

Et le député, qui ne manque pas de courage politique, au moment où tout le monde est convaincu que Cheikh Ould Baya est protégé par son amitié supposée ou réelle, avec le président de la République, de demander au puissant colonel à la retraite de restituer l’argent indument gagné, « pour aider le secteur des pêches frappé par la morosité » à sortir de la crise.

Voici, pour ceux qui le désirent, une traduction, faite par mes soins, de l’intervention en arabe du député GHASSEM.

« Monsieur, le ministre des pêches, Nani Ould CHROUGHA, je te désigne par ton nom pour répondre à l’un de tes collègues qui nous disait, l’autre jour, qu’il faut éviter de nommer les gens. Pour lui dire que quelqu’un qui veut être épargné n’a qu’à rester chez lui et ne pas accepter de charge publique. Je veux dire également aux ministres qu’on ne donne pas de directives aux députés concernant ce qu’ils doivent dire ou non. C’est inverser les rôles. Donc, Monsieur le ministre, nous avons entendu ce que vous avez dit. Nous ne dirons pas que rien n’a été fait au niveau du ministère mais nous parlerons tout de même de la situation difficile qu’il traverse. On dit que nous avons les côtes les plus poissonneuses au monde, que le secteur génère 40000 emplois. Au Maroc c’est un million d’emplois et au Sénégal, pays auquel vous venez d’accorder de nouvelles licences, c’est 600000 emplois directs et indirects. Monsieur, le ministre, en 70, on mettait les thons et les sardines en conserve ici, c’étaient les étrangers qui le faisaient. Mais aujourd’hui, aucune boite n’est fermée en Mauritanie, donc pas d’emplois, et notre produit est vendu à l’état brut, comme l’a dit l’un des députés. Monsieur le ministre, les bateaux congélateurs s’écroulent et, comme vous le savez, leur problème c’est le renouvellement. Monsieur, le ministre où avez-vous vu une pêche artisanale sans financement ? Comment comprendre que le gouvernement consent à éponger les dettes des agriculteurs et même à les refinancer, et laisser les pêcheurs ?

(…) Tout cela est de la responsabilité de qui ? Je m’en vais vous le dire et, pardonnez-moi, je vais nommer : de celui qui est le véritable ministre des pêches depuis 2008, le colonel à la retraite Cheikh Ould Baya. Si ce n’était pas le cas, il allait être assis là, derrière le ministre, avec les autres conseillers. C’est lui le responsable des garde-côtes, c’est lui le maire de Zouerate et de Nouadhibou, c’est lui le chef de la société de sécurité. C’est lui qui a été chargé, depuis 2008, du secteur des pêches probablement sur la base d’informations qui ne sont pas celles dont nous disposons. Nous n’inventons rien, nous ne disons que la vérité alors qu’on nous attaque à travers des articles payés avec l’argent public. Et, ici, monsieur le président, je vais revenir à cette question de l’argent public. Mon collègue Kane Ousmane avait dit que si les 48% donnés à Ould Baya l’avaient été à la pêche artisanale ou à la formation, ils auraient servi à quelque chose. Et même si nous acceptons que ce montant lui a été attribué de manière légale, il l’utilise illégalement en achats de consciences. Il l’utilisait aussi pour menacer les ministres, les hauts fonctionnaires et même les députés. »

Interrompu par le président de l’Assemblée qui lui demande de rester dans le cadre de la politique des pêches, le député Ghassem Ould Bellali rétorque :

« Monsieur le président, vous allez vous aussi nous interdire de citer les noms. Monsieur le président, vous vous appelez Mohamed Ould Boillil, moi c’est Ghassem Ould Bellali.

(…) Finalement, monsieur le président, je lance cet appel au président de la République, en prenant à témoin le ministre (qui doit comprendre qu’on est en train de le décharger, pour l’histoire, d’une responsabilité qui n’est pas la sienne), et son staff, que tant que le secteur est géré par un individu plein de suffisance et n’écoutant personne, rien ne marchera. »

 


Mauritanie : Le Grand Cirque des Villes Anciennes

Arrivé du président Aziz à Atar, en route pour Chinguetti (Crédit photo: AMI)
Arrivé du président Aziz à Atar, en route pour Chinguetti (Crédit photo: AMI)

La cité historique de Chinguetti accueille cette année, du 04 au 10 janvier, la cinquième édition du Festival des Villes Anciennes qui concerne, outre cette ville, les autres cités historiques de Ouadane, Oualata et Tichit.

C’est le président Mohamed Ould Abdel Aziz qui avait « décrété » en 2010 que ces villes qui ont sérieusement pâti de la désaffection de la Mauritanie par les touristes occidentaux depuis 2007, suite aux attaques terroristes de Lemghaïty, Ghallaouy et Tourine, vont accueillir cette manifestation qui draine vers elles tous les décideurs politiques et économiques du pays. Car là où va le Rais, la Mauritanie va. Elle l’a fait avec Haidalla, Taya et Sidi¹ et elle estime avoir mille et une raisons de le faire avec Aziz. Lutte contre la gabegie, réforme agricole, santé, éducation et maintenant retour au terroir. Même forcé. Même pour quelques jours. Chinguetti, localité de moins de cinq mille habitants, perdue dans le désert de l’Adrar mauritanien, va devenir, le temps d’une visite présidentielle, la capitale du pays. « Ministrés », notables des autres wilayas, élus, gradés de l’armée, hommes d’affaires, artistes et intellectuels de premier, deuxième ou troisième degré, vont rivaliser d’adresse dans tout, sauf la culture censée pourtant être la raison d’être de ce festival qui a plutôt l’allure d’un Grand Cirque. Le président de la Fédération mauritanienne de tir à la cible, Mohamed Salem Ould Ely Vall, l’a bien dit, sur une chaîne locale, et à la veille du lancement de cette cinquième édition du festival des villes anciennes : « Les personnalités qui viennent resteront à peine deux jours, le temps de la visite du Raïs, et s’empresseront de rentrer à Nouakchott, sans attendre la fin des activités culturelles et artistiques ». A croire que leur seul objectif était d’être venus et…d’être vus.

Cité  historique de Chinguetti (Photo: google)
Cité historique de Chinguetti (Photo: Arnaud Bernard)

Pourtant, ce Grand Cirque rapporte beaucoup. Il est l’occasion rêvée pour beaucoup de « se sucrer ²» sur le dos du pauvre contribuable. L’Etant engage des montants énormes pour favoriser, le temps d’un festival, le développement local mais les prélèvements, à tous les niveaux de la chaîne des intervenants, diminuent considérablement le profit que les habitants de la localité visitée tirent de ce festival. Seules les réhabilitations de vieux bâtiments et l’argent (40 millions d’ouguiyas) versé aux familles qui reçoivent les hôtes, leur arrivent directement. Les préparatifs en amont, au niveau de Nouakchott, profitent plutôt à ces fonctionnaires véreux qui, sevrés par Ould Abdel Aziz et ne pouvant plus dilapider comme avant leurs budgets de fonctionnement, trouvent là l’occasion de se servir au lieu de servir. Ils auront seulement réussi, dix jours sur 360, à donner l’illusion à ces pauvres populations que l’Etat veille sur eux, que le développement est en marche, alors que, dans la réalité, c’est une manifestation folklorique qui ne rime à rien. On aura chanté et dansé nuit et jour pour transcender la réalité d’un vécu des plus durs. Mais le rêve prend toujours fin. En attendant le prochain festival.

1. Trois anciens présidents mauritaniens.

 2. Détourner


Affaires d’apostasie en Mauritanie : gains et pertes pour le pouvoir

Ould M'khaytir, condamné à mort en Mauritanie pout apostasie (Photo: google)
Ould M’khaytir, condamné à mort en Mauritanie pout apostasie (Photo: google)

Ould M’Khaytir a finalement été jugé, un an après son arrestation pour apostasie. Jugé et condamné à mort comme attendu également. Une condamnation à la peine capitale qui restera tout de même symbolique devant servir seulement à apaiser les esprits dans un pays qui se présente au monde comme une « République islamique ». Ould M’Khaytir ira grossir les rangs des dizaines d’autres Mauritaniens condamnés à mort, mais qui, en réalité, purgent une peine à perpète. En attendant une grâce présidentielle, un changement de régime, peut-être par putsch, comme cela a souvent été considéré en Mauritanie comme la voie « normale » ou par révision de leur procès.

En examinant les gains et pertes de ce procès où le pouvoir a joué à « qui perd gagne », on se rend compte que la condamnation à mort d’Ould M’Khaytir a fait gagner des points au président Mohamed Ould Abdel Aziz. Le célèbre prêcheur, Mohamed Ould Sidi Yahya, a sorti une nouvelle cassette dans laquelle il félicite le pouvoir mauritanien pour avoir appliqué la chari’a. Par la même occasion, il rend hommage à une justice « qui a fait preuve d’indépendance » ! Il s’est quand même repris pour atténuer ce jugement en disant « aleykoum bi adhawahir » (du moins à partir de ce qu’on voit). Les milliers d’adeptes du cheikh, généralement pas tendre avec le (s) pouvoir (s) en Mauritanie, vont sans doute se sentir redevables au président Ould Abdel Aziz d’avoir exaucé leurs vœux de voir Ould M’Khaytir condamné à mort. C’est donc une exploitation politique d’une affaire judiciaire qui vient à point nommée pour détourner les Mauritaniens des difficultés économiques qui commencent à pointer à l’horizon : retard dans l’exécution de grands projets, chute du prix du fer, non- reconduction de l’accord de pêche avec l’Union européenne mais surtout, une série de scandales qui portent sur le détournement de près de 6 milliards d’ouguiyas (15 millions d’euros) au ministère des Finances et à la Somelec (Société mauritanienne d’électricité). Ce n’est qu’un répit certes, mais une période de grâce qui permet au gouvernement actuel de voir venir. Surtout qu’il y a également l’autre procès, celui de Biram Ould Dah Ould Abeid, engagé presque en même temps que celui d’Ould M’Khaytir. Le président de l’Initiative pour la Résurgence d’un mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA) et ses compagnons encourent une peine beaucoup plus clémente (3 à 5 ans de prison ferme) mais la tension est tout aussi grande. Biram évoque la question très sensible de l’esclavage, et de façon générale, des droits de l’homme en Mauritanie. Un combat qui a permis à l’homme d’acquérir une renommée internationale (lauréat du Prix des droits de l’homme de l’ONU, en 2013) et de pouvoir compter sur une mobilisation internationale en cas de bras de fer avec le pouvoir. Déjà, l’Union européenne a rendu publique une résolution non contraignante demandant à Nouakchott de libérer les militants d’IRA. Nouakchott s’en est offusqué et le président Aziz a même lié cette prise de position de l’UE avec le « désaccord » de pêche qui pousse les navires de l’Union à quitter la ZEE mauritanienne et prive la Mauritanie de plus de 100 millions d’euros sur deux ans.

On comprend donc très bien pourquoi le pouvoir n’a pas voulu juger Biram sur « l’autre affaire », c’est-à-dire, l’incinération des livres du rite malékite et rapprocher son cas de celui d’Ould M’Khaytir. Cela lui aurait créé une situation inextricable à l’extérieur du pays avec un homme dont le réseau de relations va de la France aux Etats-Unis en passant par l’Italie, l’Allemagne et la Belgique. Rien à voir avec un Ould M’Khaytir, surgi du néant pour venir alimenter un débat (celui des inégalités sociales en Mauritanie) qui divise depuis la nuit des temps.

Car il ne faut pas croire que cette affaire est seulement d’essence religieuse. La chari’a, au nom de laquelle on condamne Ould M’Khaytir, n’est pas appliquée dans tous les cas. Allah recommande de ne pas tuer, de ne pas voler, de ne pas boire du vin, de s’éloigner de l’adultère et du mensonge. Et pourtant, le meurtre, le vol, le viol et la fornication alimentent les pages « faits divers » des journaux en Mauritanie. Pour certains de ces crimes, la chari’a exige la peine de mort, mais l’on feint de l’ignorer en appliquant plutôt la loi des hommes.


Autour d’un thé : Le passé, c’est le passé

Aziz lors de la signature de l'accord mettant fin à la crise politique, en 2008.
Aziz lors de la signature de l’accord mettant fin à la crise politique, en 2008.

« N’est jamais content celui qui se remémore », nous enseigne un adage populaire. Une invitation claire à ne jamais prendre le risque de revenir en arrière, comme on aime à dire en Mauritanie. Il faut regarder l’avenir en face. Aller en avant, quoi. Pas aller en arrière. A reculons, c’est, dit-on, la marche des gens de l’enfer.

Le passé, c’est le passé. Simple ou compliqué. Laissons le passé dormir tranquillement. Les choses du passé, c’est pas la peine de les défaire. Seul le présent vaut la peine d’être vécu. Commençons par le commencement. Le passé des présidents du monde. Les plus grands.

Les plus illustres. Entre l’Obama, étudiant noir timide et Obama puissant président des Etats-Unis, y a pas photo. Si l’on va plus loin dans le passé, on va remonter à la traite négrière et ce n’est pas bon. François Hollande des années quatre-vingt, anonyme, petit militant PS, fonctionnaire ordinaire. C’est pas comme maintenant, président d’une puissance mondiale, séducteur chevronné et homme politique de renom.

Le passé, c’est une chose. Le présent, c’en est une autre. Evidemment, évidemment que le temps passe, comme dit Maxime le Forestier. Ou Francis Cabrel ? En tout cas, si ce n’est l’un, c’est donc l’autre, comme dit Miché Kankan ou mon ami Gohou.

Certains présidents étaient, par le passé, des chaudronniers, des amuseurs publics, des joueurs de cauris, des danseurs de Sabar (danse wolof), de simples agents publics, des envoyés spéciaux, des empêcheurs de tourner en rond. Mais, aujourd’hui, ils sont présidents en bonne et indue forme.

Allah fasse que nos connaisseurs meurent ou oublient ! C’est pas seulement les anciens présidents qui ont un passé. Même les gens de l’opposition ont le leur. Pouvoir/Opposition puis pouvoir puis opposition puis COD puis FNDD puis CAP puis FNDU puis pouvoir puis rien puis quelque chose de peu clair puis dialogue puis élections puis boycott puis institution de l’opposition puis éclipse totale puis un pied ici et un pied là.

Les ministres aussi ont un passé. Pas maintenant. D’anciens peshmergas¹. D’anciens commissionnaires. Détenteurs de bourses de voitures. Vendeurs de terrains. Squatteurs chevronnés de places publiques. Patrons de bureaux de change. Intermédiaires. Facilitateurs. Mais ça, c’est le passé. Heureusement d’ailleurs anciens « gabegistes ». Vive la prescription. Vive la non-rétroactivité. Vive le passé. N’insultons pas le temps. Ne le provoquons surtout pas. Il est capable de tout dévoiler, le temps. Il n’est le sac de personne². Les personnes sont les gardiens des autres. Leurs bergers. Leurs chevriers.

Quelles relations, entre les droits de l’homme et le poisson ? Génial président. Birame et la convention de pêche entre l’Union Européenne et la Mauritanie. Pour bien négocier sa convention, l’Union Européenne vote une résolution contre la Mauritanie. Quel génie ! Quelle trouvaille ! Et les condamnations pleuvent. Souveraineté.

Ingérence. Indépendance. Autonomie. Quelle logique ! Union Européenne, Union Africaine, Nations Unies interviennent pour faire endosser un coup d’Etat, à travers des résolutions, des communiqués, des pressions et des interférences avérées, c’est bon, c’est pas une ingérence, c’est de bons offices, pour faire revenir la légalité et la constitutionnalité.

 Personne ne pipe mot. Ni le Parlement, ni aucune institution. L’Union Européenne demande la libération d’un militant de droits de l’homme. Indignation présidentielle. Condamnations spontanées de toutes les institutions. Appel au respect de la souveraineté nationale. Ingérence étrangère dans les affaires d’un pays indépendant.

Aberrante logique. Poisson. Birame. Dialogue. Convention. Paix sociale. Crise. Le président sait distinguer le bon grain de l’ivraie. Entre le bon moment et le mauvais moment.

Le bon militant des droits humains et le mauvais, au passé douteux et aux pratiques reprochables. Le bon chef de file de l’opposition et le mauvais. Le président sait faire et défaire. Sait promettre au bon moment. Puisque, juste après, tout sera du passé. Et le passé, vaut mieux ne pas trop en parler.

Sneiba El kory (Le Calame)

COD: Coordination de l’opposition démocratique

FNDD :Front national pour la démocratie et le développement

CAP: Coalition pour une Alternance Pacifique

FNDU ; Front national pour le développement et l’unité

1. Nom donné en Mauritanie aux « journalistes » non professionnels.

2. Se dit d’une personne qui ne sait pas garder un secret


Lettre à mon ami BBR : on emprisonne un homme mais pas ses idées

Brahim Bilal Ramdane, vice-président d'IRA en prison à Rosso (Photo: google)
Brahim Bilal Ramdane, vice-président d’IRA en prison à Rosso (Photo: Google)

Triste de te savoir en prison depuis plus d’un mois déjà. Pourquoi ? On m’a dit – ou plutôt j’ai lu dans notre « presse pressée » alors que je me trouvais à Tunis – que tu participais à une marche dénonçant l’esclavage foncier en Mauritanie. Rien que ça ? On t’a arrêté pour rien. Tu as fait pire, dans la défense de tes frères haratines, je pense, mais les autorités t’ont toujours laissé libre de tes mouvements. Et de ta parole qui impressionnait même ceux qui s’affichaient comme tes contradicteurs les plus farouches. C’est pourquoi je pense que ton arrestation et celle de Biram ont été planifiées de longue date. Pour servir d’autres desseins. Ton discours – qui est également celui d’IRA – a toujours été choquant. Oui, choquant, mais juste. Il disait une vérité que beaucoup ne voulaient pas entendre pour ne pas avoir à lui chercher la bonne solution. Une solution qui ne peut venir que de nous tous. Ça aussi tu le dis en filigrane dans ton discours, mais ceux qui ne veulent pas t’entendre (te comprendre), ne retiennent de ton Verbe que ce qui arrange leur propagande ségrégationniste.

Je sais que ta révolte contre le Système est largement justifiée. C’est une lutte contre l’injustice qui a fait qu’un bon professeur comme toi, expérimenté, parce que bien formé à la vieille ENS de Mme Bâ, est encore obligé de « manger la craie » alors que d’autres, qui avaient mille et un problème pour « tenir une classe », ont été catapultés inspecteurs, directeurs, conseillers et même, comble de l’ironie, « ministrés ». C’est le lot des perfectionnistes comme toi, maîtrisant trois langues (arabe, français, anglais) que d’être marginalisés quand ils ne sont pas fils d’une « grande tente ». Ou d’une « grande case », c’est selon.

Ce n’est pas la faute d’un pouvoir (celui-là ou un autre) mais du Système que tu dénonces depuis le temps d’El HOR, du FDUC et de l’UFD. Tu as toujours dénoncé avec conviction les tares sociales qui font que certains pensent qu’il y a Mauritaniens et mauritaniens. La prison dans laquelle tu croupis avec tes compagnons ne te forcera pas à renoncer à ces principes qui, souvent, mènent de la révolte à la révolution. Quand ils seront partagés par tous les opprimés du Système. Qu’ils soient blancs ou noirs. De l’est à l’ouest et du nord au sud. Quand les Mauritaniens retrouveront cette fraternité perdue qui les poussait, naguère, à défendre les causes justes.

El Hor : Mouvement de libération et d’émancipation des Haratines

FDUC : Front démocratique uni pour le changement

UFD : Union des forces démocratiques

IRA : Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste 


Autour d’un thé : Variations sur le rire

L'illusion et la réalité (Photo : google)
L’illusion et la réalité (Photo : google)

Les histoires à faire mourir de rire en Mauritanie ne manquent pas. C’est d’ailleurs tout ce qui ne manque pas. Le rire, chez nous, occupe une place spéciale dans le quotidien. Il fait rire. J’ai envie de rire. C’est à faire mourir de rire. C’est peut-être pourquoi tout est rire.

Rien n’est sérieux. Rien ne vaut la peine, surtout si ça ne fait pas rire. Au moins ça fait rire, entend-on dire souvent. Mes frères, quelque chose où il n’y a pas de rire ne vaut pas la peine. Il est mort de rire. Le groupe a éclaté de rire.

Les dernières se racontent à chaque coin de rue. On se les passe. On se les repasse. Certains sont devenus des spécialistes du faire rire. Quasiment tout le monde fait rire, en Mauritanie. C’est la règle. C’est la vertu. C’est la thérapie même.

Il paraît, selon les Mauritaniens, que le rire allonge la vie, soigne les maladies, règle les problèmes. Les émirs avaient leurs bouffons. Les marabouts, leurs clowns. Le peuple, ses baladins.

C’est la culture du rire. Elle est restée. C’est pourquoi, chez nous, rien n’est plus grand que cela. Tout est ordinaire. Seul le rire compte. Tout le monde fait rire en Mauritanie.

Il y a juste quelques jours, un parlementaire a fait rire tout le monde, en déclarant que nos médecins sont mieux formés que les médecins français, grâce à notre prestigieuse Faculté de médecine et à nos ô combien brillants professeurs. Selon lui, la raison en est toute simple : nos médecins testent sur les humains.

Leurs cobayes sont les citoyens. Alors que les autres expérimentent sur des poupées. A mourir de rire. Guinness des bêtises. Prix Nobel des bourdes. L’essentiel est que ça fasse rire. Les actes et les paroles qui font rire sont légion, dans l’histoire du pays.

Paroles célèbres, du style « A tel pays, telle armée », « Si tu manges ce riz avarié, je te libère¹ », « C’est toi qui m’as dit de faire un coup d’Etat² » ou encore « Le BASEP, c’est nous ». Ça fait rire, tout ça. L’année 2015 : Année de l’enseignement.

Pour cela, construction d’une trentaine d’établissements secondaires. Quelques bureaux pour l’inspecteur départemental d’El Mina. Des portes pour certaines écoles de Nouakchott.

A faire mourir de rire. Donc, l’année 2015, Année de l’enseignement. Eradication des séquelles de l’esclavage. Mille sermons. Il n’y aurait même pas eu la moitié. Les imams semblent rebelles. Il paraît qu’ils réclamaient des perdium ou perdia, comme curriculum, curricula.

Constructions de salles de classes. Diguettes de rétention. Mosquées. Mahadras. Mission de toute l’équipe de Tadamoun. Frais de mission obligent. Cérémonies officielles de réception des édifices, sur fond de folklore, entre esclaves tout joyeux et responsables en saharienne, comme accoutrement du président. Pour faire comme le chef, quoi.

C’est bon, c’est réglé, c’est rigolo. Enseignement, c’est ok, puisque l’année 2015 a été déclarée Année de l’enseignement. L’esclavage, c’est ok, puisque Tadamoun a construit des classes, des mosquées et des digues dans les adwabas.

 Le passif humanitaire, c’est ok, puisque le Président a prié à Kaédi. L’unité nationale, c’est ok, puisque nous sommes comme l’œil : son noir a besoin de son blanc, nous racontent certains plaisantins de la cour. La démocratie, c’est ok, puisque le Président a reçu le chef de file de l’opposition.

La santé, c’est ok, puisque nos médecins sont mieux formés que leurs homologues français. L’argent, c’est ok, puisqu’il y a de nouveaux billets. Les conditions des fonctionnaires, c’est ok, puisque les augmentations de salaire, c’est pour janvier prochain.

La diplomatie, c’est ok, puisque Mohamed Ould Abdel Aziz est président de l’Union africaine. La presse, c’est ok, puisque son fonds de soutien est sorti. Etat civil, ok, puisque tout le monde s’enrôle maintenant. Passeport en cinq à six jours : tarif normal de trente mille, plus frais de gardien et du planton (entre trois à quatre mille).

Passeport « dioni dioni³ », maximum vingt-quatre heures : Ce sur quoi deux se sont entendus : Parfois cent mille, parfois soixante mille. Ah, qu’est-ce qu’on rigole ! A mourir de rire. En ce bas monde, il n’y a que le rire.

Sneiba El Kory (Le Calame)

1. Le président Aziz l’avez dit à un ancien Premier ministre accusé, à tort ou à raison, dans une histoire dite du « riz avarié ».

2. Réplique du président Aziz à un célèbre opposant.

3. Tout de suite, en pulaar.


Autour d’un thé : Vous avez dit augmentation des salaires ? « qu’Allah fasse les vies devant » !

Liasses de billets ouguiyas (Photo : google)
Liasses de billets ouguiyas (Photo : google)

La Mauritanie serait classée, dit-on, à la 146ème place des pays les plus indélicats. Là où, si tu déposes un avis, on te le vole et où tout devient œil blanc, aussitôt qu’on le voit. Au pays de la lutte contre la gabegie, à la chasse des prévaricateurs, de la recherche des fourbes et des Juda, c’est le branle bas.

Surtout depuis maintenant deux semaines que des scandales éclatent quasiment de partout. La Somelec, avec la dilapidation de plus de quatre cents millions d’ouguiyas. Et ce n’est, semble-t-il, que la partie apparente d’un iceberg de plusieurs milliards.

Mais c’est ça, la technique du camouflage. Manger sans laisser de traces. S’effacer soigneusement la bouche. Et laisser « mourir » de pauvres mesquins, en attendant de bien « nettoyer les carreaux »¹ et de suivre, doucement, les petites informations qui viennent du côté de la forteresse.

Pas la peine de revenir sur cette fastidieuse histoire de gabegie, de détournement, de vol. Si la Chari’a n’était pas en panne, la Mauritanie ne serait pas certainement ce qu’elle est aujourd’hui. Pourquoi ? D’abord, peut être que ceux qui ont fait, refait et défait son histoire, durant ces toutes dernières années, se seraient retrouvés manchots des deux mains ; moins un pied, peut-être même.

Donc, civils ou militaires, ils allaient être reformés et reversés à la retraite. Impossibilité totale de bouger. Les autres, camouflés comme des jujubes dans des acacias, pour ne pas être reconnus.

Les autres, les anciens des anciens systèmes qui « blatèrent » injures, blasphèmes et méchancetés sur les prévaricateurs, nouvelle version, en « ruminant » tranquillement les restes de leurs butins.

Ceux-là seront inévitablement rattrapés par leur histoire. Les agresseurs d’un sénateur viennent d’écoper d’une peine de dix ans de prison ferme, assortie d’une amende de plusieurs centaines de milliers d’ouguiyettes.

Des prisonniers anonymes sont oubliés dans les tréfonds de certaines prisons, pour de petits larcins sans valeur : un téléphone « Nebeykouh » (2 à 3000 UM), un âne, un pneu, une jante ou une clé USB. Des fonctionnaires sont « tombés », pour avoir acheté quelques balais, quelques sceaux, quelques serviettes.

Sans justificatifs. Sans avis d’appel d’offres. Sans commissions de marché. Une véritable histoire des animaux malades de la peste. Les auteurs du crime d’esclavage, dans l’affaire Yarg et Saïd par exemple, n’ont écopé que de deux ans et d’une amende. Puis liberté provisoire, après trois à quatre mois de détention.

En haut ? Ça vient d’en-haut, entend-on souvent dire. Un en-haut très clément envers les forts. Un en-haut qui n’écoute pas les pauvres. Un en-haut sans logique, sans référentiel raisonnable, sans envers, sans un droit.

A les répéter, les choses deviennent fades. Mais que faire d’autre ? Laisser tomber ? De si haut ? D’en Haut ? C’est de là que nous venons. Il ne sert à rien de tourner en rond. Sortons de l’auberge. Avançons. Comme toujours, depuis six à sept ans. L’histoire commence par là.

Puisque l’histoire commence par là, les gros scandales, qui brassent des milliards, on en parle sans les voir. Comme le diamant rouge. Beaucoup de bruit pour rien. Nous entendons un bruit, sans apercevoir de farine.

Ah, si ! Il y aura, de la farine, d’ici quelques semaines, en janvier 2015 ! Le président de la Mauritanie, président en exercice de l’Union Africaine (ce que les organisateurs du dernier Sommet de la Francophonie ne semblent pas savoir), l’a annoncé, au cours de son discours, à l’occasion du cinquante-quatrième anniversaire de l’indépendance.

L’augmentation des salaires, ça, c’est une bonne poignée de farine ou de poudre aux yeux ! Les fonctionnaires seront saupoudrés, pour la énième fois. Allah fasse que cela ne les aveugle pas. Pas de pessimisme. Non, mais « qu’Allah fasse les vies devant »² ! Pour voir de combien elle sera, cette augmentation.

Vous savez, elles ont un nom, les augmentations : l’augmentation de Haïdalla, l’augmentation de Maouiya, l’augmentation d’Ely. Vivement l’augmentation d’Aziz. Allah fasse les vies devant ! Mais attention, « ne portez pas de dettes » sur cette augmentation : attendez de savoir. C’est un conseil d’ami.

Sneiba El Kory (Le Calame)

1. Tout voler.

2. Veut dire: qui vivra verra


Lettre ouverte au président Aziz : Pour ne pas compliquer « l’affaire Biram »

Biram Dah Abeid, président d'IRA (Photo: google)
Biram Dah Abeid, président d’IRA (Photo: google)

Monsieur le président,

Beaucoup ont déjà écrit dans ce qui est devenu aujourd’hui « l’affaire Biram » mais à des fins uniquement partisanes. Pour ou contre l’incarcération du président de l’Initiative pour la résurgence d’un mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA) et ses camarades. Certes, ce n’est pas la première fois que cet homme, qui dit défendre la cause des Haratines en Mauritanie et dénonce l’esclavage dont certains continuent encore à subir les affres, goûte aux incommodités de la prison, mais son arrestation d’il y a un mois risque d’avoir des conséquences très lourdes pour le pays.

Monsieur le président,

Si l’on s’achemine, véritablement, vers un procès l’on risque de faire à la Mauritanie une mauvaise publicité dont elle n’a pas besoin. Vos conseillers vous ont-ils dit, réellement, ce que cela fera comme tintamarres à l’extérieur, dans des contrées qui ignorent tout de la Mauritanie, et qui apprendront, par voie de presse, qu’un procès d’un autre âge a cours dans notre pays ?

Biram a toujours parlé de l’esclavage. Il a toujours dénoncé et même menacé mais votre pouvoir a toujours eu la sagesse d’inscrire ses écarts de langage dans le cadre de cette liberté d’expression qui vous est chère. C’était incontestablement l’un des points forts de votre politique : laisser les hommes politiques et les défenseurs des droits de l’homme dire ce qu’ils pensent mais ne pas faire ce qu’ils veulent.

Monsieur le président,

Il faut que cesse, une fois pour toutes, l’exploitation dans tous les sens de la question de l’esclavage. Il faut surtout que cesse cette implication intéressée des Haratines rangés du côté du pouvoir, qui n’interviennent dans ce genre de débat que pour des faire-valoir. A la radio, à la télévision, dans les sites et les journaux, ils se ridiculisent en niant une réalité que vous-mêmes avez reconnue en créant l’agence Tadamoun (Solidarité) et les tribunaux chargés de juger les cas d’esclavage, justement pour que cessent ces pratiques d’un autre âge et pour que leurs victimes retrouvent un semblant de dignité.

Monsieur le président,

Biram et son organisation ne constituent pas un danger, contrairement à ce que l’on essaie de vous faire croire. Tout simplement, parce que la majorité des Haratines, pour ne pas dire des mauritaniens tout court, ne partagent pas son approche. Les questions d’intérêt national ne peuvent être réglées que par les mauritaniens dans leur ensemble et l’on doit se réjouir de voir que la question de la lutte contre l’esclavage, ou de ses séquelles, pour ne pas ne pas verser dans une querelle de terminologies, est en train d’être assumée par tous.

Monsieur le président,

Maintenir Biram en prison, le condamner ou le tuer même ne constitue pas LA solution, comme certains essaient, vainement, à vous le faire croire. Vous risquez, tout au plus, de donner plus de poids à son combat sur le plan international. Et je ne sais si vos conseillers vous ont dit qu’il fait aujourd’hui la Une du Foreign Policy, aux USA, de l’Obs en France et de Jeune Afrique. Le meilleur moyen de le « contenir » est de le laisser libre de ses mouvements et de continuer à agir dans le sens de la « réparation » de préjudices subis par une communauté mais dont vous n’êtes nullement responsables. Toutes autres actions sont faites contre vous, dans l’unique objectif de travestir votre parcours, exactement comme cela a été le cas pour Taya, avec l’arrestation de Cheikh Deddew, le 25 avril 2005. Avec les conséquences que l’on sait.

Sneiba Mohamed

Journaliste free lance


Le discours de la Baule revisité par François II

François Hollande et ses pairs africains, Dakar 2014 (Photo : google)
François Hollande et ses pairs africains, Dakar 2014 (Photo : google)

La sommation faite le 29 novembre 2014 par François Hollande à ses pairs africains nous ramène un quart de siècle en arrière. Le 20 juin 1990, quand François Mitterrand avait poussé, dans son célèbre discours de la Baule, la quasi-totalité des autocrates africains de l’époque à s’essayer à la démocratie. Je dis bien « s’essayer », car 25 ans plus tard, l’Afrique donne encore l’impression de faire du surplace.

Certes, la plupart de ceux qui étaient là quand « François 1er » avait ordonné : « Démocratisez pour pouvoir continuer à bénéficier de l’assistance de la France » ne sont plus là, mais les systèmes, les « démogachis » qu’ils ont mis en place pour ne pas se soumettre à ce néocolonialisme sans détour n’ont pas consacré la chute du « mur africain » après celle deux ans plutôt du Mur de Berlin. La preuve est sans doute en cette difficulté pour les oppositions africaines de provoquer l’alternance de manière pacifique. A chaque fois, c’est l’armée ou la rue qui balaie un pouvoir qui avait un « habillage » démocratique que les pays occidentaux les plus regardants traitaient pourtant comme des régimes normaux. Ce fut le cas en Mauritanie (en 2005 et 2008), en Guinée (2008), à Madagascar (2009), en Tunisie (2011), au Mali (2012)et récemment au Burkina Faso.

Une telle situation, une telle résistance à aller à la vraie démocratie, me pousse à donner raison à François II, même si on peut considérer que la manière était un peu… gauche. « Ne manipulez pas vos Constitutions pour vous maintenir au pouvoir » n’est certes pas différent de « démocratisez sinon », mais c’est une différence de contextes. François Hollande est un président qui, chaque jour, perd un peu plus le contrôle politique de son pays, atteignant le plus bas taux de popularité selon les sondages. Pourrait-il alors se faire entendre dans une Afrique où le pouvoir rend fou? A tel point qu’après 42 ans de règne sans partage, Kadhafi avait pris les armes pour ne pas « dégager », finissant tout de même comme on sait, et que Blaise Compaoré, après 27 ans de pouvoir s’entête à faire fi de la preuve de défiance qu’un million de Burkinabè lui ont démontrée en sortant dans la rue.

En réalité, la France peut tout et ne peut rien. Elle peut cesser de s’adapter aux situations, bonnes ou mauvaises pour elle, pour faire comprendre à nos dirigeants que rester au pouvoir est une affaire de mérite. Que la stabilité de leurs systèmes est inhérente non pas à la perception de la France mais à la manière dont ils gouvernent. Elle ne peut rien contre la folie des hommes, la passion satanique du pouvoir qui habite chaque dirigeant africain une fois arrivé au sommet de l’Etat. Elle ne peut rien contre la corruption des élites de ces pays qui s’accommodent de tous pouvoirs et entretiennent les peuples dans leurs illusions de démocratie, de liberté, de justice et de développement.

 

 

 


Nouakchott : Une ville, trois gouvernorats

Nouakchott, capitale politique de la Mauritanie (Photo: google)
Nouakchott, capitale politique de la Mauritanie (Photo: google)

Héhéhé, Aziz, notre président, a encore frappé fort, très fort même. Nouakchott, notre chère « capitaal » (en hassaniya) sera désormais…trois Nouakchott ! Oui, oui, vous avez bien entendu. Trois Nouakchott, c’est-à-dire trois wilayas (gouvernorats).

Expliquant cette mesure « his-to-ri-que », le ministre de l’Intérieur, Mohamed Ould Ahmed Raare, indique que c’est pour rapprocher l’administration des populations. On veut bien, mais ce n’est pas la première déclaration d’intention de l’un de nos dirigeants. Mais nous qui avons l’habitude des défaillances de notre administration, depuis qu’on est livré à nous-mêmes (y’a bon colonisation), on se demande si ce qu’un wali n’a pas pu faire, trois vont devoir le défaire.

Pour bon nombre d’observateurs, pour les détracteurs de notre « Direction éclairée », une telle mesure prise à la veille de la commémoration du 54ème anniversaire de l’indépendance de la Mauritanie, n’a d’autre objectif que de faire entrer Ould Abdel Aziz encore plus dans l’histoire. A n’importe quel prix. Nouakchott, ville symbole de la naissance de la Mauritanie, reste attaché au nom du premier président de ce pays, Moctar Ould Daddah, qui l’a fait surgir du néant, entre l’océan et les dunes de sable, en 1957, alors qu’auparavant la capitale était Saint-Louis du Sénégal.  Que restera-t-il de ce symbole si l’on commence à lui coller des étiquettes comme « Nouakchott nord » (Tevragh-Zeina, Ksar, Sebkha), Nouakchott sud (Arafat, El Mina et Riad) ou Nouakchott est (Toujounine, Dar Naim, Teyarett), ou Nouakchott ouest, ou centre, ou « tout-droit » vers la pagaille et les conflits d’intérêts et de compétence ?

Trois gouverneurs pour une population de 800000 habitants. D’accord, mais il ne faut pas nous « vendre » ce découpage, à visée électoraliste visible à l’œil nu, comme une volonté de rapprocher l’administration des citoyens. Dakar, compte bien 3 millions d’habitants (autant que la population de la Mauritanie) mais n’a qu’un seul gouverneur. Bamako, deux millions d’habitants, Rabat, 1,5 millions d’habitants n’ont pas encoure découvert cette idée « lumineuse » made in Mauritanie. Et puis, si un président peut bien s’occuper des caprices de trois millions de mauritaniens, un wali est-il si incompétent pour ne pouvoir exécuter les ordres d’en-haut ? Car tout le monde le sait : Le Raïs est à la fois le président, le premier ministre, tous les ministres réunis, les walis, les hakems, chefs militaires et élus du peuple. Il ordonne et les autres exécutent. Un wali ou trois ou vingt, ce sera toujours kif-kif.


Education : Excellence oui, mais injustice aussi

Le président mauritanien visitant une classe du l'un des lycées d'Excellence (Photo: AMI)
Le président mauritanien visitant une classe du l’un des lycées d’Excellence (Photo: AMI)

C’est hier seulement que j’ai découvert vraiment ce que signifie une éducation « d’excellence » en Mauritanie. De la fenêtre du secrétaire particulier du ministre de l’Enseignement et de la recherche scientifique, j’observe les élèves du Lycée d’Excellence 1 de Nouakchott, le premier établissement créé par l’ancien ministre d’Etat chargé de l’Education, Ahmed Ould Bahiya, aujourd’hui directeur de cabinet du président de la République, pour inaugurer un enseignement de qualité en Mauritanie. L’idée était bonne dans son essence, vue la piètre qualité de l’enseignement public par rapport à celui des établissements privés, notamment ceux dispensant des programmes français, turc ou autres, mais à voir ces élèves dans la cour, on ne peut qu’éprouver un certain étonnement : où sont les « autres » ? Où est la diversité qui fait la fierté de la Mauritanie ? Les blouses blanches qui distinguent les élèves du lycée d’Excellence sont portées presque exclusivement par les enfants issus d’une seule communauté, ceux qu’on désigne abusivement de « Beydanes » (blancs), alors qu’une foule noire est formée par les élèves du lycée de Garçon 1, le plus ancien établissement d’enseignement secondaire de Nouakchott (ancien lycée national). En fait, une sorte de « ghettoïsation » de l’enseignement qui ne dit pas son nom. Et il ne pouvait pas en être autrement.

Les établissements « d’Excellence » ne forment pas, ils déforment. Certes, les élèves sont les meilleurs de Mauritanie parce qu’ils sont le fruit d’une sélection. Chaque année, le ministère organise un concours d’entrée dans ces écoles qui disposent, il est vrai, des meilleurs locaux, des meilleurs équipements et des meilleurs professeurs. Ces derniers ont une indemnité de 30000 ouguiyas (100 USD/mois) pour faire preuve de plus d’abnégation. Comme pour dire aux milliers d’autres profs qu’ils sont des vaut-rien, et qu’ils peuvent continuer à foutre la merde dans des établissements que ne fréquentent plus que la « racaille ».

Concernant la sélection qui recréé une école mauritanienne à deux vitesses, comme le faisait le système « filière arabe/filière bilingue), il faut dire que la nouvelle réforme y est bien pour quelque chose. Ceux qui refusaient un enseignement globalement en langue arabe n’ont finalement pas fleuré le piège de la réforme de 1999 qui fait qu’aujourd’hui toutes les matières en rapport avec la culture (philosophie, histoire-géographie, instruction civique, etc) ne sont plus enseignées en français. Pour les élèves négro-mauritaniens qui faisaient de la « résistance » à l’arabe, c’est un blocage certain quand il s’agit de se présenter au concours de « l’excellence ». De l’injustice, devrais-je dire plutôt. Et, à moyen ou long termes, d’une crise de l’éducation pire que celle de la baisse généralisée des niveaux.