Snobisme, quand tu nous tiens
Le camerounais est un incorrigible vantard. Si le snobisme devait avoir une nationalité, elle serait sans aucun doute camerounaise. Nous vivons dans un pays où, si tu n’as pas un peu, comme on dit ici, tu es mort et enterré. Non pas parce que la misère aura eu raison de toi, mais à cause des regards hautains dont les gens ayant un peu t’auront chargé et dont le poids t’aura littéralement enterré vivant. Le camerounais est snob. Et c’est même très peu de le dire. Comme d’habitude, je vais m’entendre dire que je fais des exagérations et des généralisations. Mais dans un royaume où tout individu qui a une once de pouvoir en abuse, se montrer est devenu un véritable sport national. Qu’est ce qui me faire le dire ? Tout simplement parce que c’est la vérité. Pour ceux qui en doutent, voilà quelques explications.
Commençons par un tour dans nos aéroports. Au hasard, on prendra celui de Douala. Il y a quelques années, les autorités avaient interdit l’accès des aérogares aux personnes qui ne voyageaient pas. Pourquoi ? Simplement parce que ces endroits étaient bondés, occupés qu’ils étaient par ceux qui venaient accompagner les voyageurs. A qui profitait le crime ? Tant aux voyageurs qu’aux accompagnants. Celui qui voyage doit montrer à tout le monde qu’il prend l’avion. Ah, l’avion, ce moyen de transport suprême ! Monter dans un avion n’est pas donné à tout le monde. Il faut que le maximum de personnes sache qu’on va entrer dans le ventre de l’oiseau. On ameute donc famille, amis. Ceux-ci ne se feront pas prier pour converger vers l’aéroport. Vous ne pouvez pas imaginer les sourires satisfaits que font ceux qui te disent : « gars hier, j’étais à l’aéroport. Je suis allé accompagner un pote qui partait ». Question de te faire comprendre que lui aussi s’est retrouvé à deux cents mètres à tout casser d’un aéroplane. Victime j’ai été. Je me suis fait remonter les bretelles par un ami qui était mécontent du fait que je sois « parti » sans lui dire. Il m’aurait accompagné à l’aéroport, il a dit. Je lui ai demandé à quoi il allait me servir là-bas. Notre relation en a pris un coup.
Descendons d’un cran. Tout le monde ne peut pas prendre l’avion. Mais effectuer un voyage entre Douala et Yaoundé (ou dans le sens inverse) est plus dans les cordes du camerounais moyen. Pour cela, il faut se rendre dans une agence de voyage afin d’emprunter un autobus. Souvent le spectacle en vaut largement le détour. Le week-end dernier, je devais aller à Yaoundé. Période de vacances, tout le monde voyage. Le bus que je devais emprunter n’était probablement pas encore parti de Yaoundé au moment où j’ai acheté le ticket. Ça m’a laissé de longues heures d’observation. Dans nos stations de bus, on a souvent l’impression que tout le monde va à une même grande fête. Les femmes et les filles arborent les plus belles toilettes. Certaines sont tellement maquillées, on croirait qu’elles vont à une élection de miss. J’ai eu mal aux pieds à la place de ces jeunes femmes qui portaient ces chaussures hyper compensées qui sont revenues à la mode. Les garçons ne sont pas en reste. La plupart avaient plus l’air du chanteur DJ Arafat que de camerounais normaux. Et dire qu’on est tous là pour risquer nos vies sur l’un des axes routiers les plus dangereux du continent. Quitte à mourir, autant le faire en beauté hein ? Ce qui est sûr, c’est qu’avec mon vieux pull à capuche délavé et mon pantalon en jeans totalement élimé, j’étais comme un cheveu dans la soupe.
Le problème c’est qu’il pleuvait et qu’il faisait froid. Et je ne parviens toujours pas à comprendre à l’autel de quoi les filles aux épaules dénudées s’exposaient ainsi à une pneumonie.
La voiture. Signe extérieur de richesse. Nous sommes indigents. Ce qui dans d’autres pays est un moyen, la voiture est une fin chez nous. Tu as réussi ? Oui. Mais où est la voiture qui le prouve ? Beaucoup chez nous on changé morphologiquement depuis qu’ils ont acquis cet objet de luxe. Non pas à cause du fait qu’il accroît notre sédentarisme en annulant nos dix ou quinze minutes de sport quotidien qu’imposent la recherche d’un taxi. Non. A force de gonfler*, ils ont fini par changer physiquement. Pourquoi ne gonfleraient-ils pas d’ailleurs? Ils roulent en voiture quand la majorité va à pieds. Celui qui a une voiture est tout puissant. S’il y a une réunion, on l’attend toujours. Il est celui qui a le privilège d’être bloqué dans un embouteillage. Pour les autres, c’est un luxe impossible parce qu’un embouteillage n’a jamais ralenti un moto-taxi qu’on aurait pu emprunter ou alors le piéton. Celui qui a la voiture est celui qui aura facilement les petites, car selon une expression consacrée ici « les femmes aiment l’odeur du carburant ». Quand tu gares une voiture dans la cour du père de ta fiancée, il n’y a aucun risque de repartir sans elle. Parce qu’autant toi le propriétaire de l’auto tu te gargarises des exploits qui t’ont permis d’acquérir ce bijou (qui au demeurant est un vieux tacot importé de Belgique), ta compagne ne se privera pas de dire à ses amies envieuses que son fiancé a la voiture.
On dit qu’au pays des aveugles, les borgnes sont rois. Les choses qui sont toutes naturelles dans beaucoup de contrées relèvent chez nous de l’extraordinaire. Les sénégalais du Sénégal riraient à s’enrouler dans la poussière s’ils entraient dans un restaurant sénégalais à Douala. Ils se demanderaient si c’est le même riz qu’ils mangent tous les soirs à Thiès avec les mains et en crachant la morve dans la sable à côté. Les gens qui mangent dans nos petits restaus sénégalais se comportent comme s’ils étaient au restau de l’hôtel Hilton de Yaoundé. Quelqu’un qui mange un hamburger à Douala passe pour un extra-terrestre. Et il se comporte comme tel. Ne parlons même pas de la pizza !
Les camerounais ont très vite adopté Facebook. Les raisons sont désormais évidentes. Dans la compétition de celui qui sera le plus vu, ce réseau social est un outil de premier plan. Il y a une petite chose que j’ai remarquée pendant mes quelques années de présence sur Facebook. Des personnes jadis totalement transparentes sont devenues de véritables vedettes sur le réseau. Quand le gars était ici à Douala, il pouvait publier sur son mur qu’il allait s’immoler en pleine rue, ou annoncer qu’il renverserait le régime en place, personne n’aurait réagi. Ses publications restaient désespérément seules, sans le moindre j’aime ou commentaire. Et puis, un jour de décembre il a écrit : « -3 degrés Celsius ». Nulle part au pays, le thermomètre descend en dessous de quinze degrés. Nulle part en Afrique d’ailleurs. Les calculs sont vite faits. Le gars ne peut être que parti ! Soixante-dix commentaires et deux fois plus de j’aime. Qu’il poste une photo de sa trombine avec le logo d’un McDonalds en arrière-plan et il récoltera les avis les plus dithyrambiques.
Il n’y a pas de McDo au pays. Si on parvient donc à se retrouver à quelques mètres d’un McDo, quelque part on a réussi. Et une réussite n’a de valeur pour nous que si elle se sait.
Par René Jackson
*Gonfler: crâner, faire l’important