René Nkowa

Les pépites de Mondoblog : les blogueurs au chevet de l’humanité

Bonjour à tous,

La quinzaine qui se termine est marquée par l’afflux de migrants, qui a fait et continue à faire la une des journaux, des magazines d’information et des sites Internet à travers le monde. Les Mondoblogueurs n’ont pas été insensibles à cette actualité. Nombre d’entre eux ont joint leur plume à la voix d’une grande partie des citoyens du monde pour crier leur indignation face à cette manifestation de la misère humaine, décidant ainsi d’interpeller les consciences afin qu’elles réagissent.

Le monde s’est soudain ému de la catastrophe humanitaire qui se déroule depuis de nombreuses années déjà en mer Méditerranée grâce à une image: celle du petit Aylan Kurdi, trois ans, dont le corps a été retrouvé sans vie et que la mer avait rejeté sur une plage turque. Sur le sol du monde, un enfant est le titre du court poème que cette image a inspiré chez un Mondoblogueur. Cette image, Jean-Robert Chauvin a évité de l’utiliser dans sa revue du monde, en expliquant pourquoi. A la place, il a choisi de montrer des images de refugiés Syriens en Jordanie, bien vivants. Djarma Attidjani a établi les responsabilités de cette tragédie et pour lui, tout le monde ou presque est fautif: les pays arabes qui passent leur temps à critiquer l’Occident mais qui ne font rien pour sauver leurs propres populations qui prennent la mer par bateaux entiers; les pays européens qui disent ne pas vouloir « accueillir toute la misère du monde » mais dont la participation aux conflits qui ont généré ces crises migratoires n’est un secret pour personne.

S’inspirant sûrement de cette actualité, David Kamdem a vêtu le temps d’un poème les oripeaux d’un immigré clandestin en quête d’humanité.

Cette image a finalement décidé quelques pays européens à ouvrir leurs frontières qu’elles tenaient résolument fermées aux migrants. Jeff Ikapi a eu l’idée d’illustrer l’une des conséquences de cette ouverture des frontières en montrant un passeur content des affaires qu’il ferait grâce à cette décision. De son côté, Serge Katembera souligne une certaine hypocrisie des Brésiliens qui s’émeuvent devant ces images d’embarcations bondées en Méditerranée alors que leur propre pays a ses problèmes migratoires qu’il n’arrive pas à régler.

Les réfugiés n’ont pas été le seul cheval de bataille des blogueurs. Ils se sont beaucoup inquiétés pour l’environnement. Dans un article fleuve, Dieretou a montré l’envers du décor (dont les principales victimes sont les populations riveraines) de l’exploitation de la bauxite à Kamsar, en Guinée-Conakry. Naly, à travers des images chocs, montre les dégâts de la pollution  – engendrée en grande partie par le capitalisme – et se sert d’un proverbe indien pour avertir du péril qui menace la planète : « quand l’homme aura coupé le dernier arbre, pollué la dernière rivière, tué le dernier animal et pêché le dernier poisson, il s’apercevra que l’argent n’est pas comestible ». L’Ivoirien Magloire Zoro s’inquiète de l’annonce faite par l’Organisation des Nations Unies déplorant le manque de financements pour l’organisation de la COP21, la conférence internationale sur les changements climatiques qui doit avoir lieu en cette fin d’année.

Il a aussi été question d’éloignement, avec Mariam Sorelle qui évoque un départ rempli de larmes; de nostalgie à l’exemple de Pierre qui se rappelle avec un certain amusement des situations que la cherté de la vie en Suisse peut provoquer, ou d’Emmanuelle Gunaratne qui se remémore les différentes nuances de saveurs qu’a pris le café au fil des ans; de désillusion amoureuse, comme celle par laquelle est passé Steaves, qui ne veut plus entendre parler d’amour.

Malgré ce marasme, le soleil a quand même réussi à faire passer deux de ses rayons à travers la grisaille. Le premier est cette séquence de drague un peu alambiquée mêlant à la fois la musique, l’inconfort d’un long voyage et le blog, racontée par le blogueur Togolais Guillaume Djondo. Le deuxième rayon de soleil est le blog faisant l’objet du focus cette semaine…

 

Focus sur…

Berlinographe

 

Le Berlinographe

La personnalité de l’auteur de ce blog, quand on le découvre, est très troublante. On se retrouve dans une certaine confusion. Le Berlinographe… Jule… Mais qui s’exprime au féminin. Une confusion de genres. Des textes si réels, qui décrivent des épisodes de vie totalement plausibles. Mais au détour d’une phrase, on ne sait plus. L’irréel. Une confusion de réalités. Tout au long de ses articles, l’auteure (après certes de longues tergiversations, on finit par deviner les traits féminins de la personne derrière les textes) nous entraîne dans un quotidien absolument romanesque et profondément romantique, fait de Berlin et d’ailleurs ; fait de doutes, de joies. Un quotidien jadis sombre, devenu clair-obscur. Ces lettres qui défilent dans sa vie. Des lettres, ces initiales qui chacune ont suscité de la félicité et provoqué du chagrin. Ces initiales qui l’ont mise quelques fois dans un avion, pour des destinations pleines de promesses, mais souvent décevantes. Ces lettres qu’elle aime d’un amour infini, qu’elle peut aligner indéfiniment, à force de tapotements sur un clavier, sur des pages et des pages. Jule, à travers des paragraphes longs et interminables, nous balade à travers son insaisissable réalité, largement saupoudrée de sensualité et d’une extrême sensibilité. Je vous invite découvrir ou à redécouvrir ce blog rempli d’humanité et dans lequel tout est vrai, mais où il faut se garder de tout prendre au pied de la lettre.

 


A bientôt !


Les pépites de Mondoblog : manières de voir le changement

Manifestation contre le changement climatique à Dhaka, au Bengladesh. Les participants ont défilé portant des masques de dirigeants du G8. (Flickr CC/Caroline Gluck/Oxfam)

Bonjour à tous,

Bienvenue dans cette deuxième mouture des Pépites de Mondoblog. Pendant les deux dernières semaines, le thème le plus récurrent sur la plateforme a été le changement. Un changement pour lequel certains ont milité et pour lequel certains autres blogueurs ont émis des réserves plus ou moins importantes. Un changement intervenant à tous les niveaux, dans tous les domaines, même les plus insolites. Petit tour d’horizon.

Visiblement réfractaire au changement et aux évolutions technologiques, Benjamin Yobouet a produit un article anxiogène dans lequel il explique la peur que les progrès de la technologie suscitent en lui. Il prend l’exemple des robots qui font presque tout (tri des CV, réponse aux courriels) et qui finiront, selon lui, par voler l’emploi des personnes de chair et de sang. Fotso Fonkam, lui, emboîte le pas en taclant les émojis qui, à son avis, mettent en danger l’alphabet, déjà ébranlé à suffisance par le langage SMS. L’autre changement, bien plus préoccupant, est climatique. Il touche tous les pays du monde et ceux du Sud sont en première ligne. L’île malgache est rudement touchée. Alain Bashizi détaille les phénomènes que l’instabilité du climat fait observer sur l’île.

La crise ivoirienne, qui s’est étalée sur toute la première décennie des années 2000, a entraîné des changements profonds et laissé de graves  séquelles dans la société de ce pays. La conséquence la plus vivace étant le phénomène des « microbes », ces adolescents qui sèment la terreur à Abidjan, organisent des razzias, des expéditions punitives, des agressions à l’arme blanche, et qui ont de larges pans de la ville sous leur contrôle. MC Agnini explique comment les microbes réussissent à faire planer une menace sur le pays des éléphants.

Mais à Abidjan, il y a des choses qui ne changent pas. Comme cette perpétuelle ambiance de fête qui démarre une fois la nuit tombée. La Camerounaise Salma Amadore y a effectué une virée avec deux autres Mondoblogeurs, Gaius Kowene et Moussa Bamba. Elle y a d’ailleurs fait la connaissance d’un piment particulièrement violent. Toujours dans le domaine de l’immuable et toujours en Côte d’Ivoire, Koné Seydou observe ces étranges transhumances politiques, à l’approche des élections présidentielles. Période pendant laquelle les politiciens excellent dans les changements de camp, les ententes de circonstance et les retournements de discours. Les discours qui, selon Barack, ne changent pas au Gabon. Il se lance alors dans le décryptage d’une saga de promesses enfumeuses dont le dernier élément en date est la promesse du président de céder au peuple gabonais l’héritage acquis de son père. Promesse qui, très probablement, comme toutes les autres, n’engagera que les crédules qui y croiront.

Comme cette promesse de se limiter à deux mandants, que beaucoup de présidents africains font, tout en étant conscients que ce n’est que de la poudre aux yeux. Le blogueur Saka du Congo a brillamment revisité le Notre Père pour le transformer en supplique anti-troisième mandat. Valéry Moïse s’est quant à lui lancé dans une saillie contre les responsables au pouvoir à Haïti, avec trois phrases assassines. Il dit tout de go que  « le prochain président d’Haïti succédera au néant. Pas parce que rien n’a été fait, mais parce que tout a été englouti. Du prestige des hautes fonctions jusqu’à l’espoir des plus humbles ».

La perception que chacun a du monde évolue et change avec le temps et les expériences. Certaines vérités toutes faites auparavant finissent par être remises en cause. Comme ces superstitions qu’Atman Bouba, du Bénin, prenait pour vraies. L’infidélité change aussi. Le rival n’est plus seulement le voisin ou le collègue de bureau de ton conjoint. L’infidélité peut dorénavant être internationale. Comme ce cocufiage élégamment raconté par Alimou Sow, qui a impliqué trois pays et dont l’élément central était le réseau social Facebook.

Ahlem B. nous entraîne dans cet après-midi pleine d’émotions qu’elle a passé avec quatre vieillards à Casablanca. Ces anciens poilus lui ont relaté leur jeunesse intrépide, jalonnée de planques et d’arrestations, regrettant malgré tout l’état dans lequel ils laissaient leur pays. Manon  Heugel ressuscite les fantômes de Tempelhof, en nous faisant voyager dans le temps, pour faire découvrir les changements que ce vieil aéroport a connus à travers le temps.

Parmi les blogueurs qui ne changent pas, je citerai Jean Robert Chauvin qui nous gratifie encore d’une excellente revue du monde. Revue dans laquelle il retourne la notion d’économie réelle dans tous les sens et dans laquelle il est question de l’origine du clitoris. L’autre blogueur qui ne bouge pas d’un iota, c’est Eteh Komlan Adzimahe, dit Le Salaud Lumineux, qui, lorsqu’il commence à parler de musique et de flashmob, nous donne, comme d’habitude, un texte échevelé. Il faut vraiment s’accrocher pour le suivre.

 

Focus sur…

Blog Kalakarrika

Kalakarrika (qui est une contraction des termes basques « Kalaka » [discuter] et « Karrika » [Rue]). Un blog dont l’auteur, Yanik, se sert pour partager avec le monde ses découvertes culturelles. Sur ce « triptyque noté AAA – Aquitaine, Art, Afrique », il est question de cinéma, de street art, de bande dessinée, de littérature, d’art contemporain, d’art classique, de danse, de photographie, de musique. Cet espace est un authentique bouillon de cultures et aucune tendance, de quelque provenance qu’elle soit, n’échappe à l’œil du blogueur. Depuis le mois de février 2015, Yanik a lancé une série qui vaut largement le détour. Une série qu’il a nommée « Vidi, Legi, Amavi » (j’ai vu, j’ai lu, j’ai aimé) et grâce à laquelle il expose une fois par semaine ses coups de cœur. Kalakarrika est un appel au voyage, à la découverte de trésors artistiques simples, la plupart du temps très peu connus, mais d’une inestimable beauté.

A bientôt !

 


Les pépites de Mondoblog: une nouvelle infolettre avec le meilleur de la communauté

Bonjour à tous,

Ceux qui parmi vous sont des inconditionnels de Mondoblog et particulièrement du blog From Douala With Love, connaissent nécessairement «Les pépites de Mondoblog». Les «pépites» ont pour but de ressortir la quintessence des blogs et des blogueurs de la plateforme pour l’année concernée. D’habitude annuelle, une petite révolution sera apportée à l’exercice. J’ai en effet le grand plaisir de vous annoncer que ce résumé du meilleur (et parfois du pire) de Mondoblog sera désormais délivré une fois par quinzaine et mis à votre disposition sous la forme d’une lettre. 

Cette première lettre, en l’occurrence, abordera la subtilité. Une subtilité parfois complètement désarmante avec laquelle les blogueurs de la plateforme expriment leurs états d’âme.  Cette subtilité avec laquelle Rima Moubayed, la blogueuse libanaise, opère des changements de perspective sans cesse répétitifs dans ce texte qui confronte brutalement la paix et le trouble, la liberté et la prison, l’espoir et les angoisses. A la fin de cette lecture, il est difficile d’avoir un avis tranché tant les sentiments exprimés sont aux antipodes les uns des autres.

Une subtilité et une complexité manifestes dans ce billet du blog Cunisie où, lorsqu’on l’aborde (et pendant les premiers paragraphes), on ne sait pas où il va nous mener. Des morceaux de texte rédigés en majuscules, comportant des chiffres et des digressions incompréhensibles se succèdent. Mais on comprend assez vite l’incompréhension de l’auteure devant le spectacle offert par la télévision, qui lui apprend qu’une blonde s’appelant Cassandra est Algérienne et qu’une rousse aux cheveux lisses est Tunisienne.

Quand les blogueurs parlent de séduction

Une subtilité qui s’arrête là, pourtant. Parce que l’Ivoirienne Babeth ne s’embarrasse pas de vaines circonvolutions quand elle raconte les deux moments quelque peu gênants de drague qu’elle a vécus lors d’un récent séjour à Dakar. L’un de ses courtisans étant allé jusqu’à lui faire sentir sa virilité de manière tout à fait éhontée ! Une subtilité que les commerçantes de Lomé au Togo semblent avoir mis au placard dans leur quête de clientèle. Roger Mawulolo explique en effet que les vendeuses n’hésitent plus à utiliser un langage très peu équivoque et lourd de sous-entendus afin de ferrer les acheteurs. Il en est arrivé à les catégoriser: il y a les séductrices, les tacticiennes et les spirituelles.

Au chapitre de la séduction, Ivo Dicarlo ne fait pas non plus dans la subtilité en dévoilant des subterfuges pour tromper sa femme sans se faire prendre. Dans un exercice qui, du premier abord, peut paraître révoltant, il donne des astuces qui seraient, à bien y réfléchir, terriblement efficaces. L’une d’elle est d’une froide justesse: il conseille aux hommes de pratiquer l’infidélité avec une femme elle-même en couple. Dans cette situation, elle serait moins encline à raconter ses escarmouches extra-conjugales à la première oreille de passage.

 

Les présidents africains «se trompent bien souvent de combat»

Au chapitre politique, Widlore Mérancourt a refusé d’être subtil en assénant un tacle appuyé à ceux qu’il appelle les «révolutionnaires iPhone dernière génération», hyper connectés mais complètement déconnectés de la réalité, qui croient à tort que la démocratie se limite à invectiver des responsables publics derrière leurs écrans, alors qu’eux mêmes ne valent pas mieux que ceux qu’ils pointent du doigt. Mohammed Sneiba remarque qu’en Mauritanie, l’opposition politique ne constitue plus un contre-pouvoir. Il prend l’exemple d’un parti politique, le FNDU, qui à la longue ne serait devenu qu’un club où on vient pour passer son temps et parler de la météo. Une opposition souvent désorganisée en Afrique, qui se retrouve en face de présidents qui se trompent bien souvent de combat. Ainsi, selon Sékou Chérif Diallo, le président Alpha Condé de la Guinée a beaucoup mieux à faire que de chercher des « déstabilisateurs » de son pouvoir chez l’État Islamique ou chez Boko Haram, qui ne représentent pas, du moins pour l’heure, de réelles menaces pour son pays.

 

Patriotisme, racisme et tribalisme

Andriamialy se demande à quoi servent les Jeux des îles de l’océan Indien. Selon lui, à pas grand chose, vu que le racisme est courant dans cette région du monde et que Madagascar, le pays principal de ces jeux, s’en fout royalement. Il s’est, en outre, offusqué de l’incident dont une de ses compatriotes a été victime lors de ces jeux. Carole, de l’Ile Maurice, raconte en effet qu’une athlète malgache s’est vue arracher le drapeau de son pays qu’elle tenait lors de la remise des médailles.

Un racisme non subtil au Brésil, où Serge raconte l’histoire d’une émission d’un humour particulièrement putride, où les Noirs – et particulièrement les Haïtiens – sont mis à l’index et sont victimes de moqueries. Le tribalisme, cette autre forme de racisme, est évoquée par Ecclésiaste Djeudji qui passe au vitriol ce mal que les Camerounais refusent de reconnaître et qui malheureusement fait bien partie de leur quotidien.

Je terminerai sur une note bien plus positive. Il s’agit de découvrir Mexico, l’une des plus belles villes du monde. Rocio Ávila, à travers des photos, nous promène dans cette cité à l’architecture tantôt traditionnelle, tantôt avant-gardiste et audacieuse. Une belle promenade en somme.

 

 

FOCUS SUR..

Blog de Lucrèce

Voici un blog que j’aime particulièrement et que je vous invite à consulter. Il s’agit de Lucrèce Online, tenu par Lucrèce Gandigbe, une Béninoise férue de nouvelles technologies et qui avoue elle-même qu’elle peut difficilement vivre sans internet. Au fil de ses publications, elle propose une analyse intéressante des innovations technologiques et n’oublie pas de donner des conseils avisés aux utilisateurs de ces outils. Elle n’en oublie pas pour autant d’être une fille victime, comme toutes les autres, de tribulations aussi diverses que variées. Quand elle n’aborde pas des sujets techniques, Lucrèce parle des autres aspects de la vie avec une certaine… Subtilité.

A bientôt !

 

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Femme africaine, qui es-tu ?

 

Tu as pendant longtemps été représentée comme une mère nourricière

Tout juste capable de gaver et de faire grandir l’avenir d’un continent perdu

Le monde t’a longtemps vue comme cette personne désarmée et éplorée

Témoin impuissant du ballet des charognards autour de ton enfant squelettique et agonisant

Le monde t’a longtemps contemplée comme cette personne inculte

Qui se contente de parcourir des kilomètres à pied pour trouver de l’eau pour sa famille

 

Tu as à la fois beaucoup changé, mais aussi pas tant que ça, Femme africaine

Aujourd’hui tu es différente de l’image qu’on a voulu donner de toi

 

Tu es engagée dans les combats, tu montes en première ligne, tu revendiques

Tu dis as dit non à l’apartheid, en utilisant plusieurs stratagèmes qui ont porté leurs fruits

Tu t’es servi de l’art pour dénoncer ce régime qui terrorisait et tuait des innocents

Tu as pris le microphone, tu as parcouru le monde pour chanter la déshumanisation d’une race

Tu t’es engagée à attaquer frontalement le spectre ennemi

Tu es descendue dans Soweto, tu as harangué les jeunes, tu les as incités à prendre leurs responsabilités

Tu as été l’une des figures marquantes de la lutte contre cette barbarie

Tu as soutenu ton mari, ton frère ou ton fils qui avait eu la chance de ne pas être tué

Mais qui croupissait dans un cachot la nuit et qui devenait un forçat dans un bagne une fois le jour levé

 

Tu es cette personne qui continue de battre le pavé pour dire ta façon de penser

Tu as renversé un régime dictatorial au Burkina Faso à l’aide d’une simple spatule

Tu as bravé la violence et les viols pour aller sur la place Tahrir exiger le départ d’un despote

Tu es celle qui a tenu cette pancarte sur laquelle était écrit « dégage » lors d’une manifestation à Tunis

Tu n’as ménagé aucun effort pour défendre tes droits, pour avoir voix au chapitre

Aujourd’hui, tu présides aux destinées du Liberia, de la République centrafricaine, de l’Ile Maurice

Tu es la directrice de la Commission africaine, tu diriges la mission de maintien de la paix en Côte d’Ivoire, tu es la procureure générale de la Cour pénale internationale

Tes sœurs et toi occupez désormais 63 % des sièges à l’Assemblée nationale du Rwanda, 44 % de ceux des Seychelles, 43 % des sièges de l’Assemblée nationale sénégalaise

Tu es la Reine de l’acier en Afrique du Sud, tu es le prix Nobel qui parlait aux arbres au Kenya, tu es celle qui a réussi à se hisser au rang de directrice générale de la Banque mondiale

Tu navigues de réussite en réussite, tu es devenue le porte-flambeau du continent

 

Mais, Femme africaine, ta situation reste toujours aussi précaire

Tu es celle qui souffre le plus des conflits, tu es violée, tes enfants assassinés, tes champs détruits

Tu demeures encore celle qui, dans beaucoup de contrées, est vendue au plus offrant, ou livrée en holocauste pour sauvegarder des intérêts innommables

Tu es celle qui est donnée en mariage alors que ta puberté n’est pas encore à l’ordre du jour

Tu es celle qui est encore excisée à tour de bras, qui est muselée par la société, qui doit se soumettre face à la brutalité de son mari

Tu es celle qui subit toutes sortes de brimades au travail, qui est sous-payée, à qui sont dévolues les tâches les plus ingrates, les plus sales, les plus abjectes

 

Malgré cela tu restes forte, car c’est sur toi que ta famille repose

Si tu ne courbais pas l’échine tous les jours, ton continent n’aurait plus que ses yeux pour pleurer

 

Mais quelques fois tu es trop forte, plus forte qu’il ne le faudrait

Car si ta fille est vendue à son futur époux, c’est très souvent avec ton assentiment

C’est toi l’exciseuse, c’est toi la tête pensante du chef de guerre

C’est toi qui repasses les seins de ta fille, c’est toi qui es complice de ton conjoint spécialisé dans le tripatouillage constitutionnel

Tu t’es professionnalisé dans les attentats-suicide, tu es l’exécutante lors des crimes rituels

C’est toi le chef de gang, c’est toi qui abandonnes tes nouveau-nés dans des poubelles

 

Femme africaine, tu es devenue multiforme, polyvalente et tu t’adaptes à toutes les situations

Tu es ambigüe, car tu réclames une place, une voix, de la considération

Mais en même temps tu crains presque de te voir octroyer tout ce que tu mérites

Tu es celle sur qui l’équilibre et l’avenir de l’Afrique reposent

Alors tu as la responsabilité de ne jamais faillir de ne jamais baisser les bras

Tu as l’honneur d’être celle vers qui les regards des générations actuelles se tournent

 

Par René Jackson

Ce billet est une participation au projet collaboratif « Renaissance du 31 juillet » qui s’est donné pour objectif de marquer d’une pierre blanche la célébration de la journée internationale de la Femme africaine, célébrée le 31 juillet de chaque année. Retrouvez l’intégralité du projet ici: www.journeefemmeafricaine.com


Ces possibles à Yaoundé impossibles à Douala

Depuis quelques semaines, je vis à Yaoundé. Pas de façon définitive, pour ceux qui s’en inquièteraient. Une telle perspective, rien que de l’imaginer, me fait à moi-même horreur. J’y suis de façon très temporaire, ce d’autant plus que c’est une ville qui m’a toujours déconcerté et quelques fois, on a peine à croire que Yaoundé et Douala sont logés dans le même pays. Tant les habitudes, les attitudes et les comportements peuvent être différents d’une ville à l’autre. C’est tout aussi profitable d’être ici, car ça me permet de changer un peu d’air et surtout de mesurer l’ampleur de l’attachement que j’ai pour cette ville où j’ai, jusqu’à il y a quelques semaines, toujours vécu.

Parcourir la ville de Yaoundé de long en large et de travers m’a permis de la découvrir encore plus profondément, de dénicher des phénomènes qui m’ont pour la plupart beaucoup amusé. Et quelques fois, j’ai vécu des situations qui seraient inimaginables, voire impossibles à Douala.

Comme être obligé de prendre le taxi quand on veut se déplacer rapidement. La ville de Yaoundé est un sanctuaire de restrictions. Et beaucoup d’entre elles frappent les malheureux conducteurs de mototaxis. Dans beaucoup d’endroits de la ville, leur circulation est interdite et leur activité cantonnée aux zones périphériques. Du coup, les taximen font la loi et quelques fois, leur attitude au volant n’est pas différente de celle de ceux qu’on considère comme étant les délinquants routiers par excellence : les moto-taximen. On se retrouve à Yaoundé obligé de prendre des taxis qui pour la plupart sont douloureusement minuscules. Une vraie torture pour ceux qui comme moi sont joliment rondouillets. A Douala, on peut sortir tous les jours pendant un mois sans jamais mettre les pieds dans un taxi. Les mototaxis sont là, symboles de liberté et de rapidité.

Mais s’il faut mettre quelque chose au crédit de la ville de Yaoundé, c’est qu’elle est beaucoup plus belle que Douala. Et puis il y a un spectacle dont je ne me lasse pas depuis que je suis ici : les sommets des collines cachées par la brume du matin. C’est si joli et totalement inenvisageable à Douala. Qui est une ville désespérément plate, sans aucun rebondi ou arrondi enjôleur. Rien ! Nada ! Les seules aspérités qu’on remarque à Douala sont d’une part ces pylônes de télécommunication dont le pullulement a fini par enlaidir la ville et d’autre part le Mont Cameroun, si éloigné (de plus de 100 kilomètres) qu’il ne compte pas. En outre, lorsqu’on gravit l’une des collines qui cerclent Yaoundé, on a une fascinante vue plongeante sur la ville. Le seul moyen d’avoir ce genre de vue sur Douala, c’est d’être assis au hublot, du bon côté de l’avion, quand il atterrit.

L’autre aspect remarquable à Yaoundé est qu’on peut marcher tranquillement sur un trottoir. Ce qui à Douala s’apparente à une véritable gageure. Car c’est une activité qui là-bas correspond la plupart du temps à éviter les trous, les étals à même le sol, les voitures stationnées là, les motos qui te foncent dessus, les vendeurs à la criée, les comptoirs de marchandises, etc. Et ça, c’est pour les endroits où il existe effectivement des trottoirs. Car la plupart du temps, il n’y en pas du tout. Marcher normalement sur un trottoir à Douala n’est possible que dans des îlots bien précis. Alors qu’à Yaoundé c’est visiblement plutôt l’inverse.

Il y a quelque temps, des connaissances ont été invitées à un mariage en plein air dans un terrain de golf, sur les hauteurs du Mont Fébé. Une perspective impossible à Douala tout simplement parce que la ville ne compte aucun terrain de golf digne de ce nom. Et même si d’aventure il en existait un, ce serait d’une profonde inconscience de se risquer à y organiser quoi que ce soit en plein air pendant le mois de juin. Celui justement où les pluies se font un malin plaisir de contrecarrer même les plans les plus élaborés. De juin à octobre à Douala, la pluie n’est clairement pas une option. Elle se paye même souvent le luxe de tomber sans arrêt pendant plusieurs jours, question de provoquer le plus d’emmerdements possible. A Yaoundé, il est possible en plein mois de juillet de ne voir tomber aucune goutte pendant trois ou quatre jours.

Mais ce n’est pas pour autant qu’il y fait froid. Même pendant les pluies, il repose perpétuellement sur la ville de Douala une chaleur écrasante. Depuis que je suis à Yaoundé, je parcours chaque aube à pied les deux kilomètres qui me séparent de mon lieu de travail sous une bise légère et très fraîche. Le résultat en est que malgré l’effort, aucune goutte de sueur ne vient gâcher mon humeur du matin. A Douala, même sous la douche, tu transpires. Commets l’erreur de porter une veste et dans ta propre sueur tu macèreras pendant toute la journée. D’aucuns disent que c’est cette chaleur qui nous rend si fous, qui déglingue notre cerveau et qui nous fait agir comme des personnes démentes. C’est cette chaleur qui serait la réelle responsable du désordre caractérisé que connaît cette ville. Et c’est enfin cette chaleur qui nous pousserait à boire autant de bière.

A cet effet, j’ai remarqué une curiosité. Dans le quartier où je vis, il n’y a plus aucun bar ouvert après vingt heures. A Douala, à cette heure-là, même la plus insignifiante des échoppes n’en est qu’au début de sa soirée. Les buveurs ne libèrent les bars qu’à vingt-trois heures ou minuit. Ce n’est qu’à cette heure que les voisins peuvent trouver un peu de répit, avant que les hostilités (c’est-à-dire la musique à tue-tympan) ne reprennent aux premières lueurs du jour.

Il existe aussi à Yaoundé cette déférence et ce respect quasiment inconnus à Douala. Il me semble par exemple impossible d’envisager que les Doualaeens, réputés comme étant des rebelles par nature et des opposants par dénomination, puissent subir placidement que la ville soit régulièrement coupée en deux, et ce pendant plusieurs heures. Fut-il pour le passage du président de la République. Ceci me rappelle d’ailleurs ma première « rencontre » avec notre président, il y a quelques jours, dans une rue de Yaoundé.

J’avais débouché sur l’axe – bouclé depuis plusieurs heures – par lequel il devait passer pour aller accueillir son homologue français qui arrivait en visite. J’ai été d’abord choqué par le silence qui régnait sur cette rue d’habitude très fréquentée. Les gens étaient debout, alignés des deux côtés de la chaussée, silencieux. Des bidasses armés jusqu’aux dents tenaient en respect d’un œil dur et inquisiteur tous ceux qui étaient là. Moi je voulais rentrer chez moi. Je me suis donc mis à marcher sur le trottoir. La minute d’après, une première voiture de police est sortie de nulle part, toutes sirènes beuglantes et à une vitesse folle. Suivie peu après par un cortège encore plus bruyant et tout aussi pressé, au milieu duquel je n’ai eu aucune peine à deviner la limousine présidentielle. Tout en continuant de marcher, j’ai jeté un coup d’œil à ce convoi quelque peu singulier. Tout à coup, une policière me fait signe de m’écarter par des grands gestes. Peu après j’arrive à sa hauteur. « Monsieur, quand on vous fait signe de quitter le trottoir, faites-le ! Vous n’avez pas vu que le président passait ? N’avez-vous pas remarqué que vous étiez le seul à marcher ? » J’aurais pu lui demander s’il était prohibé de marcher en une telle circonstance, mais je me suis tu.

Mutisme visiblement salvateur, puisque lorsque je racontai cet épisode à un ami, sa réaction a été cinglante. J’avais clairement risqué ma vie avec cette attitude irresponsable. Et de terminer : « Vous qui venez de Douala, vous êtes souvent portés à croire que vous pouvez faire tout ce que vous voulez. Mais tu es à Yaoundé et ici ça ne se passe pas comme ça ».

Par René Jackson


Ambiance Shaba

Tout finit par arriver. Après avoir toujours regardé les prestations – en dents de scie – de l’équipe nationale du Cameroun à la télévision, j’ai finalement eu l’opportunité de me déplacer pour une enceinte afin de les voir évoluer sous mes yeux. C’est ainsi que le 14 juin dernier, je me suis retrouvé au stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé pour assister à mon premier match des Lions Indomptables. Et le spectacle fut à la hauteur de mes attentes parce que j’avais choisi pour ce moment historique de regarder cette rencontre Cameroun – Mauritanie depuis le mythique « Shaba ». Avec tout ce que ça implique comme ambiance et désagréments.

Pour fixer le décor, une précision s’impose. Le terme shaba dans le langage urbain au Cameroun désigne un chef-lieu de tumulte, de turpitudes, généralement fréquenté par des âmes têtues, récalcitrantes, réfractaires au système d’ordre et de valeur en vigueur. Le shaba désigne en même temps cet endroit le plus animé et le plus joyeux de l’assistance. Le shaba c’est le bien et le mal à la fois. Le shaba c’est le ying et le yang. Ainsi, chaque salle de classe de chaque collège a son shaba. Chaque amphithéâtre aussi. En faculté de droit, nous avions utilisé un magnifique jeu de mots pour désigner membres des séants du shaba en adéquation avec notre statut de juristes en herbe: les juges du fond. Parce que le shaba est toujours localisé au fond de la classe, de l’autobus, de l’amphi…

Le Shaba du stade Ahmadou Ahidjo occupe les deux étages supérieurs de la tribune orientée ouest. A l’opposé de la tribune officielle. Les conditions y sont rustiques. Les gradins ne sont pas couverts et ceux qui s’y installent sont soumis aux éventuels changements d’humeur du climat. Il n’y a pas non plus de sièges. Les places sont délimitées et les numéros inscrits à la peinture à même le béton. L’absence de sièges n’est cependant pas une mauvaise nouvelle compte tenu de l’ambiance qui peut très vite y devenir délétère. Ces sièges étant alors susceptibles de devenir des projectiles à la force de nuisance beaucoup plus importante que les sachets pleins d’eau que j’ai vus voler pendant ce match.

Une heure avant le début de la rencontre, je m’installai dans le chef d’œuvre de vétusté qu’est ce stade, après avoir franchi une barrière où était agglutinée une grappe de policiers, puis traversé un terrain broussailleux large d’une cinquantaine de mètres afin d’atteindre les escaliers qui devaient me faire parvenir aux gradins. En face de moi de là où j’étais assis, à droite, les projecteurs étaient tombés à quelques mètres de la base du pylône au sommet duquel ils auraient normalement dû se trouver. Les projecteurs du pylône situé à gauche étaient bien à leur place, mais leur orientation prouvait qu’il y a bien longtemps qu’ils avaient cessé d’éclairer la pelouse et même le stade. Les infrastructures autour du terrain avaient un air peu ragoûtant. La piste d’athlétisme étant parsemée de grosses tâches brunes. Vus de l’endroit où je me trouvais, les bancs de touche semblaient réduits à leur plus simple expression. Ils avaient l’air particulièrement inconfortables. En plus, les joueurs et les techniciens n’auraient pas été épargnés en cas d’averse.

L’aire de jeu par contre était dans une condition irréprochable. Bien tondue et uniforme, bien loin du terrain piégeux qui rendait complètement aléatoires les trajectoires des balles il y a encore quelques années. Un diamant dans un écrin poisseux.

Le Shaba, lui était déjà chaud. Les drapeaux étaient déployés et les groupes de danse s’agitaient au rythme des tam-tams. Une population hétéroclite était présente en ces lieux, mais avec une prépondérance d’individus à l’air pas du tout rassurant. Beaucoup de jeunes flânaient avec le torse nu, dévoilant des cicatrices, stigmates d’un passé tumultueux et signes qu’ils ne rechigneraient pas à provoquer ou à participer à la baston s’ils en avaient l’occasion. Mais je n’étais pas trop inquiet. J’avais choisi le match contre la Mauritanie, qui n’est pas un foudre de guerre. L’affiche n’allait pas attirer les foules. En plus le Cameroun marcherait sur son adversaire du jour. Sauf que la rencontre ne s’est pas déroulée telle qu’on l’aurait prévue.

Pendant les soixante premières minutes de jeu, les spectateurs du Shaba ne se sont contentés que de quolibets à l’endroit des acteurs – Camerounais – sur la pelouse, de réinterprétations sexuellement explicites d’airs à la mode et de gausseries l’endroit des spectateurs assis de l’autre côté du terrain. Ceux-là avaient beau avoir payé leur billet jusqu’à vingt fois plus cher que la somme ridicule que nous avions déboursée, ils se feraient proprement griller par le soleil de l’après-midi. Mais au fur et à mesure que la fin du match approchait et que les Lions Indomptables peinaient à trouver le chemin des buts Mauritaniens, la tension montait.

Des projectiles se sont mis à fuser, principalement des sachets en plastique remplis d’eau. L’un d’entre eux, provenant du haut de la tribune explosa sur un jeune homme assis quelques mètres devant moi. Il se retrouva détrempé. Et un adolescent de réagir: « tu portes les chemises blanches cintrées pour venir au Shaba? Tu croyais que tu allais à un mariage? Ashouka*! Quand nous on s’habille en guenilles vous croyez que c’est parce que nous sommes des nanga boko*, n’est-ce pas? La prochaine fois que tu veux venir au match en chemise cintrée, va t’asseoir là-bas » dit-il en pointant du doigt la tribune officielle. Son commentaire provoqua une hilarité générale.

Les projectiles eux par contre n’ont pas cessé de s’abattre sur nous. Certains, excédés, ont commencé à les retourner aux envoyeurs. La situation aurait pu virer à la bataille rangée si quelqu’un n’avait pas entonné un « Eto’o! Eto’o! Eto’o! » bigrement salvateur, de suite repris par tout le monde. On se rappelait à notre bon souvenir ce joueur que nous étions pourtant bien contents de voir partir de l’équipe nationale il y a encore un an. Puis ce fut au tour de l’entraîneur d’avoir l’honneur des chants perfides, après avoir été copieusement conspué. Les joueurs n’ont pas été en reste. Chaque fois que l’un d’eux touchait au ballon, un tombereau de sifflets s’abattait sur lui, alors que des applaudissements nourris accompagnaient chaque bonne action mauritanienne.

A la quatre-vingt cinquième minute, certains supporters exaspérés ont commencé à quitter les gradins, désespérés par cette équipe plusieurs fois championne d’Afrique qui n’arrivait pas à mettre un but à une sélection inexistante sur la mappemonde du football.

Et au moment où on ne s’y attendait plus, un attaquant Camerounais a profité d’un heureux concours de circonstances pour marquer un but totalement chanceux. Le Shaba a explosé de joie. Ouf! Enfin! Il était plus que temps. Mais le malheureux buteur a eu la mauvaise idée de venir devant notre tribune qui avait passé le match à l’injurier pour nous demander de nous taire. Mal lui en a pris car d’autres sachets d’eau ont décollé, cette fois vers sa direction. Accompagnés par d’autres insultes et huées.

Sur ces entrefaites, l’arbitre a mis un terme à la rencontre. La majorité des occupants de notre tribune a vite fait de vider les lieux, parfois au pas de course. Il ne fallait pas s’éterniser là, de peur d’être la victime des détrousseurs qui profitent toujours de ces grands rassemblements de personnes pour effectuer leurs basses besognes. Nous avons vite fait de quitter le Shaba et ensuite le stade.

Ashouka: bien fait pour toi

Nanga Boko: enfant de la rue

Par René Jackson


Le jour où j’ai assisté à une bagarre générale

Toutes les villes du monde ont leurs quartiers difficiles. Ce type de quartier où tout peut partir en sucette à n’importe quel moment. Ces quartiers où toutes les situations, même les plus anodines, peuvent dégénérer et prendre des proportions ahurissantes. La ville de Douala n’est pas en reste, car elle aussi recèle quelques poches de tension. Dont l’une d’elles est la zone qui se trouve tout autour du commissariat du 8e arrondissement et qui comprend les quartiers Madagascar, Tergal, Nylon et Bilongué. De vraies petites poudrières.

Pour preuve, c’est très exactement à Madagascar qu’a été allumée la première mèche de ce qui allait devenir les émeutes de la faim en 2008, qui ont embrasé Douala et qui se sont propagées aux autres villes du Cameroun. À la suite d’un banal meeting d’un parti de l’opposition, les échauffourées avaient débuté. La flicaille a riposté à coup de gaz lacrymogènes, de jets d’eau et de tirs à balles réelles. Il s’ensuivit quatre jours de violences, de pillages et des morts.

C’est au quartier Madagascar justement qu’auparavant j’ai été à cette fête d’anniversaire qui avait, tout comme le meeting politique, totalement dégénéré. Une fête à laquelle je ne devais même pas être. J’avais fait toute une gymnastique pour y être invité. A l’époque, jeune, fringant et bouillant, toutes les bringues étaient bonnes à prendre. Je ne compte plus les fêtes auxquelles je me suis incrusté. Et quand il n’y avait aucune soirée à l’horizon, ce n’était pas grave. On en organisait une. J’aimais tellement la fête que j’ai gagné le surnom de « Monsieur Soirée ». Douce époque d’insouciance et de cuites. Cette fête-là, il fallait d’autant plus que j’y sois, car la jeune fille qui se refusait obstinément à moi à l’époque en serait.

La réputation du quartier où se déroulait la soirée, je la connaissais bien évidemment. Alors, en sortant de chez moi j’ai laissé le téléphone cellulaire. En outre, j’ai pris soin d’enfiler le plus élimé de mes pantalons en jeans, de porter ce t-shirt qui normalement aurait eu sa place dans une poubelle. Idem pour les chaussures. Dans les poches j’avais le montant exact pour le taxi aller et retour en plus de ma carte d’identité. Les pertes devaient être minimales si je me faisais taxer, ce qui était une éventualité pas du tout saugrenue à envisager. Pour finir, j’ai emporté la clef de chez moi. Pour le cas où je me retrouverais obligé de rentrer en plein milieu de la nuit.

Dès l’entrée, le ton était donné. Deux videurs étaient postés. Le premier, grand, musclé, le visage buriné et un rictus méchant. Rien que de très habituel pour un malabar supposé mettre de l’ordre. Le second par contre était particulier. En plus de son allure de catcheur, il portait une cagoule. Il arborait tout autour de son bras et de ses reins une lourde chaîne. Quand je suis passé devant lui, j’ai senti son regard glaçant sur moi. Ça avait à la fois un côté rassurant et un côté effrayant. Rassurant parce que nous étions protégés. Flippant parce qu’il y avait de quoi s’interroger sur la menace qui planait pour que de tels individus soient embauchés.

La fête battait son plein, dans une cour aménagée et dans laquelle les invités étaient installés. L’organisateur avait mis les petits plats dans les grands : une bonne centaine de convives, de la nourriture et de la picole à gogo. Les gourmands et les disciples de Bacchus ne seraient pas déçus. Il était deux heures du matin. Nous venions de terminer de manger et la piste de danse allait bientôt être chauffée quand nous avons remarqué qu’il y avait des bisbilles à l’entrée. Des éclats de voix si violents que même la musique que crachaient les haut-parleurs ne parvenait plus à cacher.

Le jeune homme qui tenait le micro a bien tenté de ne pas nous inquiéter en mettant en avant le fait que les vigiles étaient parés à toutes les éventualités et que même dans le cas hautement improbable où ils se trouveraient dépassés, le commissariat du huitième se trouvait à moins de cinq cents mètres de là. Mal lui en a pris, car au moment même où il achevait son propos, l’impensable se produisit.

Sous nos yeux stupéfaits, une horde de jeunes gens a envahi la cour dans laquelle nous nous trouvions. Cognant sur tout ce qui se trouvait à portée de leurs poings. D’autres jeunes ont décidé de riposter et ça a donné la plus immense foire à castagnes à laquelle il m’a été donné d’assister. Très vite, les poings n’ont plus suffi. Les tables, les chaises et même les couverts ont servi aux uns à taper sur les autres. Et quand tous ces ustensiles étaient devenus inutilisables, quelqu’un a découvert le congélateur dans lequel étaient encore stockées des dizaines de bouteilles de bière.

Ce fut le moment le plus surréaliste de tous. Les bagarreurs s’en sont servis comme des projectiles qu’ils lançaient sur les protagonistes de l’autre de bord, lesquels répondaient en jetant aussi les bouteilles vides qui traînaient autour d’eux.

Et moi, pendant ce temps? Étant trop loin de la sortie pour m’enfuir comme ceux qui avaient pu le faire, j’ai déniché dans un coin obscur de la cour, les WC. J’ai vite fait de courir m’y réfugier. Une dizaine d’invités avait eu la même idée. Nous nous y sommes agglutinés, complètement terrorisés. Les demoiselles cachées avec nous poussaient des hurlements chaque fois que quelque chose se cassait. Ce qui a totalement affolé les cafards qui menaient d’habitude une vie tranquille dans ces latrines obscures. Ils se sont mis à voleter et à atterrir sur nous. Ce qui n’a fait qu’aggraver l’hystérie des demoiselles. Quelques- unes se sont enfuies. De deux maux il faut choisir le moindre, dit-on. Pour moi, la sensation désagréable de ces bestioles trottinant sur mon dos et mes jambes était une douce caresse, en comparaison d’une bouteille pleine de bière s’écrasant sur ma tête ou d’une planche fracassant mon tibia.

Après une trentaine de minutes de pugilat, tout est redevenu calme. Quelqu’un, débouchant dont on ne savait d’où, est venu nous demander de sortir rapidement des latrines et de nous en aller. Les assaillants s’étaient éloigné mais avaient promis de revenir bien vite. Il n’aurait alors pas été dans notre intérêt qu’on soit encore là à leur retour. Le spectacle était désolant. Tout était cassé, détruit. Nos pieds se posaient sur un mélange de tessons de bouteilles, de débris de bois et de chaises en plastique, de restes de nourriture et d’assiettes émiettées.

Avec un ami qui à l’époque était un camarade, nous avons parcouru à pied, à trois heures du matin, les presque trois kilomètres qui séparaient le lieu de la fête et le carrefour Ndokoti. Complètement à la merci des détrousseurs. Je suis rentré directement à la maison. Une chance, j’avais pris ma clef. Je n’ai pas eu à me soucier de la fille qui entre autres m’avait fait y aller, car elle avait eu du nez et n’était pas venue.

Quelques jours après cette bagarre générale, j’ai appris que la fureur des jeunes de ce quartier avait été provoquée par le fait qu’ils n’avaient pas été conviés à cette soirée et qu’il était impensable d’organiser une fête dans leur quartier sans les y inviter.

Par René Jackson

En mémoire de Marie-Rose N qui n’était pas venue à cette fête et qui a quitté notre monde quelques mois après.


Les vrais dangers de l’université

L’an dernier, j’assistais une élève de la classe de terminale dans la constitution de son dossier pour un concours d’entrée dans une grande école de l’Université de Douala. J’ai dû pour cela rencontrer sa mère. Elle avait un avis tranché sur « notre Université là » et son fonctionnement, notamment sur les pratiques ésotérico-mystiques qui y seraient courantes. J’ai bien tenté de la rassurer en lui disant qu’en dix ans de fréquentation de cet environnement, je n’avais jamais été approché par quiconque, que ce soit un enseignant ou un étudiant, afin de faire partie d’une quelconque loge. Mais elle n’a pas du tout été convaincue.

L’Université de Douala est une institution qui compte environ cinquante mille étudiants inscrits. Une véritable petite ville. Et bien évidemment, dans une société aussi diversifiée, on trouve de tout. Les sectes, on en entend beaucoup parler, mais c’est une expérience que je n’ai pas personnellement vécue, donc je ne suis pas légitime pour en parler. Mais les vrais maux de notre (nos) université (s) sont bien réels et autrement plus palpables que toutes ces choses métaphysiques.

Des enseignants particulièrement distants…

Tout étudiant de faculté sait combien il est difficile d’entrer en contact avec un enseignant. Ils dressent généralement un vrai mur de Jéricho tout autour d’eux et deviennent de ce fait quasiment inaccessibles. Il m’est arrivé d’attendre un enseignant pendant des jours à la direction de ma faculté et que lorsque je le rencontre enfin, qu’il m’envoie bouler en moins d’une minute sans même m’écouter. Ceci se vérifie particulièrement pour les assistants qui dispensent les travaux dirigés. Ils sont en DESS ou en DEA pour la plupart et sont bien plus désagréables que les enseignants titulaires. Certains d’entre eux étant franchement détestés des étudiants tant ils suintent de condescendance, de suffisance et de méchanceté. De vrais terroristes. On avait du mal à croire que le fait de se retrouver devant nous leur faisait oublier les difficultés auxquelles faisaient face les étudiants qu’ils étaient encore. Les travaux dirigés étaient un vrai traumatisme pour beaucoup. Par contre, quand on avait la chance d’être tenus par des enseignants titulaires, ils se montraient bien plus attentifs et compréhensifs que leurs subalternes, malgré l’importance de leur grade (de docteur et parfois de professeur).

… et tout-puissants

Dans les premiers moments de ma vie d’étudiant, je sortais de chez moi à cinq heures trente du matin. Trente minutes plus tard, j’étais dans le gymnase réaffecté en amphithéâtre dans lequel je suivais mes cours. Il pouvait contenir à vue de nez mille cinq cents étudiants. Et nous étions près de deux mille cinq cents inscrits pour la classe. Quand tu arrivais à six heures quinze, tu n’avais déjà plus de place. Pour un cours qui était prévu pour débuter à huit heures. Et parfois, l’enseignant ne se donnait pas la peine de se présenter. Je ne compte plus ces nuits écourtées pour rien. L’absentéisme des enseignants est un vrai fléau. Quelquefois, on tournait en rond dans le campus pendant toute une journée, pour attendre des enseignants qui ne viendraient pas. Une fois, nous avons fait la remarque à un enseignant qui nous a répondu : « Ce n’est pas sur le fait de dispenser ou pas ces enseignements que je suis jugé. Ca dépend uniquement de mon bon vouloir de venir ici ou pas ».

Une administration lourde

Deux mois après mon entrée à l’université, la première liste des étudiants est publiée. Et surprise, la première lettre de mon patronyme a tout simplement été oubliée. En ont suivi de douloureux mois, six au total, pour que la situation soit régularisée. J’ai rédigé je ne sais plus combien de requêtes, fait d’interminables heures de sitting pour attendre les responsables qu’il fallait rencontrer (enseignants et administratifs), car mes notes étaient attribuées à Nkowa sans « N » qui n’était pas du tout moi. Avant de terminer ma première année, j’étais déjà essoufflé. Les noms ou les notes qui n’apparaissent pas sont monnaie courante et bien malchanceux est celui ou celle sur qui ce genre de tuile tombe. Obtenir un certificat de scolarité est un chemin de croix. Beaucoup ont loupé des stages ou des emplois à cause de ce bout de papier qui ne sortait pas après moult requêtes. Idem avec les relevés de notes et attestations de réussite. Pour les diplômes, n’en parlons pas. Ils ne sont tout bonnement plus délivrés.

Un profond déficit en infrastructures

Quelque temps après mon entrée à l’université, le pays a connu une vague de manifestations estudiantines. Des manifestations qui ont touché toutes les universités publiques, notamment l’Université de Douala et celle de Buéa (dans la région du Sud-ouest) où des étudiants avaient même été tués par les forces de l’ordre. Parmi les réclamations, figurait en bonne place « les conditions d’études descentes ». Il faut dire qu’à ce moment par exemple dans notre université, il n’y avait tout simplement pas de toilettes. Les gens se soulageaient dans les fourrés environnant les amphithéâtres et salles de cours. Il n’y avait pas d’adduction en eau. Les coupures d’électricité étaient fréquentes. Depuis, certaines choses ont évolué dans le bon sens. Mais beaucoup reste à faire. J’étais encore il y a peu dans la bibliothèque de l’Université de Douala. Les murs du rez-de-chaussée du bâtiment sont chargés d’étagères désespérément vides. Les toiles d’araignées ont pris la place laissée vacante par les livres. Quand je fréquentais encore la faculté de droit, les babillards étaient réduits à leur simple expression. Les résultats étaient collés sur des murs soumis aux intempéries. Si la pluie n’avait pas rendu totalement illisibles ces papiers, le vent les avait emportés. Ou alors ce sont des individus mal intentionnés qui les déchiraient. Si tu n’avais pas vu ta note, bonne chance pour les obtenir auprès de l’administration.

L’abus d’autorité

Il y a encore quelques semaines, je discutais avec une amie qui se retrouvait face à un dilemme. Elle n’avait pas obtenu de note de contrôle continu dans une unité de valeur. Elle a contacté son enseignant à cet effet, lequel a soumis l’attribution d’une note à un (ou plusieurs)  passage (s) dans son lit. Elle a menacé de se plaindre à l’administration et il lui a ri au nez, l’encourageant même à effectuer cette démarche. Question qu’elle-même constate qu’il ne pourrait rien lui arriver. Elle était aux abois. Ne sachant pas vraiment quoi faire : accepter en se déshonorant au passage et obtenir cette note ou alors refuser et reprendre la classe l’année prochaine. Des mésaventures similaires sont habituelles. Ces enseignants qui demandent à des étudiants des faveurs matérielles et sexuelles avant de les rétablir dans leurs droits. Certains autres agissent en amont. Ils proposent à la fille (ou de plus en plus au garçon) de devenir son partenaire sexuel en promettant à cette dernière qu’il s’assurera personnellement qu’elle obtienne de bonnes notes. On a appelé ça les NST (Notes sexuellement transmissibles).

Le tribalisme

Situation : tu te retrouves dans un bureau avec un autre camarade de classe. Vous êtes convoqués. L’autre d’emblée se met à parler en dialecte à celui dans le bureau de qui vous êtes. Lequel répond. Ils devisent ainsi pendant quelques minutes et toi tu te sens de trop. Ton camarade ressort avec le sourire aux lèvres. Toi tu commences une phrase en français. Tu te fais vertement rabrouer. Dans une autre situation, tu entres dans un bureau et les deux agents parlent leur patois. Tu dis bonjour et personne ne te répond. Ils ne se comportent même pas comme si quelqu’un était entré. Même une mouche aurait eu plus d’attention que toi.

La précarité

C’est l’un des maux principaux des étudiants de l’université. Il est de notoriété publique au Cameroun que les universités d’Etat, particulièrement celle de Douala, sont celles dans lesquelles échouent ceux qui ne disposent pas d’assez de moyens financiers. Les étudiants issus d’environnements plus nantis vont faire leurs études dans des universités privées ou à l’étranger. La conséquence en est multiple : il y a ceux qui mettent partiellement ou totalement leurs études de côté pour se lancer dans des jobs alimentaires (ce fut particulièrement mon cas) ; il y a ceux qui entament des relations prétendument amicales ou amoureuses avec leurs camarades un peu plus aisés dans le seul but de profiter du contenu de leur frigidaire ; il y a ceux qui se retrouvent dans des relations avec des personnes qui ont parfois l’âge de leurs grands-parents, tout simplement pour pouvoir avoir le droit de poursuive leurs études. Les étudiants sont ainsi la cible privilégiée de toutes sortes de rapaces qui profitent aisément de cette précarité et laissent derrière eux des grossesses indésirées et des maladies sexuellement transmissibles.

En définitive, la vie de l’étudiant dans nos universités est un parcours d’obstacles et relève parfois de la mission impossible. Beaucoup abandonnent avant d’avoir obtenu le moindre diplôme. Les conditions sont extrêmement difficiles et en sortir avec un diplôme relève du tour de force. Il faut un moral à toute épreuve, une obstination sans relâche et une forte capacité de résilience pour ne pas être broyé par cette machine froide et sans états d’âme. Il le faut pour en sortir avec quelque chose.

Pendant toutes ces années, j’ai bien entendu rencontré des responsables extrêmement bienveillants et à l’écoute, mais ils relevaient beaucoup plus de l’exception. Des exceptions confirmant une règle des plus problématiques. Et souvent dramatique.

Par René Jackson


Ces personnages de nos voyages en bus

Malgré tous tes efforts, te voilà rattrapé par tes responsabilités. Cette fois, tu ne peux pas y couper : tu dois voyager, c’est obligé. La perspective de te retrouver dans un autocar, sur l’un de nos axes lourds te terrifie. Parce qu’ils sont extrêmement accidentogènes. Parce que les voyages se passent presque toujours dans l’inconfort à cause des surcharges. Parce que les compagnies de transport interurbain sont sans pitié pour les passagers. La vie est un combat. Et il l’est encore plus quand il faut prendre la route. Tu sais tout ça, mais sur ce coup-ci, tu n’as pas le choix.

À la gare routière, tu as acheté ton ticket. On t’a assuré que vous partiriez à neuf heures trente, sans faute. Et comme tu t’y attendais, à dix heures trente, tu n’as pas bougé. Tu as rué dans les brancards et tu t’es retrouvé dans un car bringuebalant. Un rafiot antédiluvien. Tellement vieux et usé que tu te demandes comment il réussit encore à rouler. Mais par miracle, il avance. Déjà que tu avais toutes les craintes, il fallait qu’il y en ait une nouvelle : que le tacot décide de rendre l’âme quelque part en rase campagne, loin de tout. Tu as définitivement perdu le peu de tranquillité qui te restait.

Tu ne voyages pas seul. Pendant quelques heures, tu partageras le même destin avec quelques dizaines de personnes tout aussi mal à l’aise que toi, mais qui n’y peuvent rien, car c’est comme ça. On va faire comment? Et comme à chaque fois que tu voyages, tu te retrouves toujours avec ces personnages, les immanquables de tout voyage en autobus.

Le vendeur de médocs

Lui, il débarque toujours quand le moment du départ est imminent. Vous êtes tous dans le car et vous attendez que le conducteur veuille bien démarrer enfin. Il vend des liquides dans des fioles, des poudres dans des sachets ou des écorces. La particularité de ses produits est qu’ils soignent toutes les maladies. Prenons la poudre par exemple. Elle guérit à la fois le mal de dos, les saignements de gencives, la fatigue musculaire, la carie dentaire, les boutons de barbe. En la mélangeant avec le produit liquide, votre femme n’ira plus jamais voir ailleurs. Votre objet habituellement flasque et sans entrain retrouvera la vigueur de ses vingt ans. L’argument de vente est le test. « Goûtez, vous verrez la puissance du produit ». Il vous bassine les oreilles pendant quinze ou trente minutes, réussit à refourguer quelques fioles, deux ou trois sachets et s’en va.

La « téléphoneuse »

Durant le trajet, il y aura toujours une dame qui abusera d’appels téléphoniques. « Allô ? Oui… Je suis dans le bus, je vais au village. J’ai une inhumation là-bas… Que quoi ? Non! Je dois cotiser pour notre tontine du quartier cinquante mille… Tu as compris ? Bon, maintenant, chez les femmes capables, je dois bouffer cinq millions ce mois… Voilà, tu prends ça et tu me le gardes. Tu sais que j’ai mon 4×4 qui arrive dans le bateau non, je vais sortir ça du port avec l’argent-là… » Elle parle, parle, met tout le monde mal à l’aise dans le car. Elle parle de ses millions, de ses enfants qui sont en Occident. Et de sa nièce idiote qui a conçu de ce voyou fumeur de chanvre qui hante le quartier tel un esprit mauvais. A ce moment, tu maudis les opérateurs de téléphonie mobile qui sont si fiers de dire que leur couverture réseau est ininterrompue tout le long du trajet.

Le troubadour

La dame a finalement raccroché son téléphone. Tout est calme dans le bus. Le chauffeur a mis une musique qui te fait un peu oublier les conditions précaires dans lesquelles vous vous trouvez. Tout se passe bien depuis dix minutes. Puis patatras, cette chanson a débuté. Et un jeune homme a entrepris de chanter, mais alors à tue-tête! Au début, tu souris parce que tu es bien content de voir son entrain. Mais après l’avoir entendu reprendre toutes les chansons, poussant même la virtuosité jusqu’à reproduire les sons des instruments, tu en as ras-le-bol.

L’acheteuse compulsive

Au départ, elle s’est battue pour être assise près d’une fenêtre. Coup de force qu’elle a réussi après avoir harcelé le préposé au chargement. Et depuis le départ, elle achète consciencieusement tout ce qu’elle peut. L’habitacle est vite rempli de choux, de salades, d’ananas. Les oranges roulent ça et là, les pamplemousses ont du mal à se tenir correctement. Idem pour les ignames. Le car est devenu un petit verger. Comme toi, les autres passagers grommellent. Ça doit être une manie chez elle. Parce qu’avant le départ, c’était bien elle qui négociait avec un fermier le prix de cette chèvre qui bêle à en fendre l’âme sur le toit du car depuis une heure.

La froussarde

S’il ne tenait qu’à elle, on devrait lui remettre le volant. Et elle ne dépasserait pas les 20 km/h. Elle profère des menaces à l’encontre du chauffeur au moindre freinage ou coup de volant brusque. A chaque dépassement, elle pousse un « hum » hautement réprobateur. A force d’insister dans sa quasi-hystérie, elle finit par te faire flipper, tant elle a mis la pression sur le conducteur. Ce d’autant plus qu’elle a réussi à fédérer autour d’elle d’autres poltronnes qui ne font rien d’autre que de déconcentrer le pauvre monsieur qui essaie autant que faire se peut son travail. On peut néanmoins la comprendre. Depuis le début du voyage, votre parcours est jonché de carcasses d’automobiles accidentées. Lesquelles sont souvent proches de ces panneaux de signalisation lugubres qui indiquent le nombre de personnes qui ont perdu la vie à ces endroits.

Le glouton

C’est le personnage le plus surprenant. Ça fait des heures qu’il ne fait qu’engloutir des quantités mirobolantes de nourriture. Tout y passe : biscuits, bananes mûres, arachides bouillies puis grillées, plantain frit. A l’arrêt déjeuner, il se ramène avec de la viande braisée et des ignames grillées. Dans ton malheur, il est assis près de toi. Et tu récoltes sur tes vêtements une palanquée de peaux et de détritus de ses repas. Il a beau s’excuser encore et encore, mais tu n’as qu’une seule envie. Celle de lui arracher le bâton de manioc qu’il tente d’avaler et de l’assommer avec. Heureusement, il demande à descendre. Tu n’auras pas à le subir tout le long du voyage.

Le dormeur

Un homme prend la place laissée vacante par le larron précédent. Ni une, ni deux, il se met à piquer du nez. Il n’est pas assis là depuis cinq minutes qu’il dort déjà profondément. Ta stupéfaction laisse vite la place à la colère car l’air de rien, il est venu poser sa tête sur ton épaule. Tu as beau gesticuler, amplifier les mouvements du car, donner des coups d’épaule, rien n’y fait. Même les cahots qui secouent violemment le bus ne parviennent pas à le réveiller. De guerre lasse, tu le laisses choir sur ton épaule. C’est quand même bizarre. Ce n’est pas possible de dormir à ce point dans ces conditions. Tu repenses à ces histoires de gens entrés sur leurs jambes dans des autocars et ressortis les pieds devant. Il est peut-être mort, le type. Au moment où tu jettes un coup d’œil apeuré sur lui, il part dans un long ronflement. Les autres passagers vous regardent. Tu hausses l’autre épaule, celle qui ne soutient pas la tête du dormeur.

On pourrait citer des personnages pareils par dizaines. Comme le dragueur impénitent, l’incontinent ou l’amuseur public. Ces rencontres qui généralement n’ont rien de déterminant, mais qu’on oublie difficilement malgré tout.

Par René Jackson


ENEO*, merci pour ces moments

Pour qui a un tant soit peu vécu sous nos latitudes, les coupures récurrentes d’électricité ne sont pas qu’une vue de l’esprit. Au Cameroun, ces suspensions dans la fourniture d’énergie de la part de la société nationale d’électricité sont si fréquentes que nous lui avons trouvé un nom: les jeux de lumière. Parce qu’un coup c’est là et puis hop, ce n’est plus là. Le coup d’après, ô bonheur, c’est revenu. On n’a pas encore fini de jubiler que ce n’est plus là. L’expression être branché sur courant alternatif n’a jamais autant tenu son sens. Les anciens propriétaires de cette société appelaient ces coupures des « délestages ». Les nouveaux ont choisi un terme plus courtois : la modulation. Mais les résultats sont les mêmes: des CDI (coupures à durée indéterminée) distribuées en veux-tu, en voilà.

Chacun de nous a son petit chapelet de mésaventures provoquées par ENEO. Des plus graves au plus légères. J’ai moi-même vécu quelques situations difficiles causées par des coupures intempestives d’électricité.

La fête gâchée

Nous sommes au début des années deux mille. Je suis invité à soirée d’anniversaire d’une cousine. Ses parents ont mis les petits plats dans les grands. Il faut dire que ce n’est pas qu’un anniversaire, l’événement sert juste de prétexte pour célébrer un certain nombre d’autres petites choses. Déjà, l’invitation augure de ce que sera cette fête, car ses artifices lui font plutôt avoir l’air d’un faire-part de mariage que d’un carton d’invitation pour le goûter d’anniversaire d’une préadolescente.

Vingt heures. Je suis déjà sur place. La fête est prévue pour durer jusqu’au petit matin. On a battu le rappel familial. Même les cousins et les tantes les plus insoupçonnés sont là.

Vingt heures dix: coupure d’électricité. Une voix :  » Ça a commencé « .

Vingt heures trente :  » Ne vous inquiétez pas, c’est souvent comme ça dans ce quartier. Mais ça (les coupures, ndlr) ne dure pas souvent « .

Vingt et une heures quarante-cinq :  » De toutes les façons, ça ne servirait à rien de paniquer. Les mets sont encore sur le feu. Le temps que ça cuise, il y aura le courant « .

Vingt-trois heures :  » Hum, cette petite peut être poisseuse hein! « 

Vingt-trois heures trente: décidant de ne pas nous laisser abattre par la situation, nous avons pris les choses en main. Électricité ou pas, il y aurait de l’ambiance à cette soirée. Nous avons commencé à chanter. À la place de la chaîne musicale. Mais nous ne sommes pas allés bien loin, puisqu’à…

… Minuit, le repas a été servi. Après être repu, chacun a cherché un coin où s’allonger dans l’immense salle louée pour l’occasion. En espérant que l’électricité revienne. Espoirs qui furent vains. Les seuls que la situation enchanta furent les moustiques qui profitèrent de l’obscurité et de notre immobilité forcée pour faire bombance.

La queue brisée

Les étudiants ont toujours eu la fâcheuse manie de s’acquitter de leurs frais de scolarité en même temps. C’est-à-dire à quelques petites encablures de la date à laquelle leur paiement devient exigible. Après la cacophonie au guichet de la banque, il fallait sacrifier à l’étape de la validation du quitus de paiement. Et comme à l’accoutumée, nous étions ce jour-là des centaines alignés dans le hall de la direction de notre faculté. Attendant tous d’être reçus par Monsieur O., qui devait tamponner un cachet sur nos reçus de paiement et y apposer sa signature.

Après trois heures de queue, j’étais enfin à deux coreligionnaires de son bureau. Le calvaire prendrait bientôt fin, pour ainsi dire. Et malheur, l’électricité a choisi ce moment-là pour se faire la belle! Monsieur O. sortit alors de son bureau et ferma la porte derrière lui. À clef.

« Lui : il n’y a pas de courant. Je ne travaille pas.

– Un courageux : mais monsieur, votre cachet et votre signature sont appliqués par votre main. Laquelle aux dernières nouvelles ne fonctionne pas au courant électrique…

– Lui, énervé : ah bon! Puisque vous le prenez ainsi, je ne reçois plus personne aujourd’hui. Rentrez chez vous! »

Il était midi. L’électricité est revenue à treize heures. Monsieur O. est rejoint son bureau à quatorze heures, juste pour prendre son sac et s’en aller. Il ne reçut plus aucun étudiant ce jour-là.

Le coiffé contrit

J’attendais mon tour. Le coiffeur s’activait frénétiquement sur la tonsure d’un jeune homme. Sa tondeuse électrique ronronnait énergiquement chaque fois qu’elle s’enfonçait dans la chevelure fournie. L’hémisphère gauche du cuir chevelu était déjà bien dégarni quand le courant choisit de nous quitter. Le coiffeur et le coiffé ont dit « merde » en quinconce. Et moi, j’ai dit « chance ». Intérieurement. À cinq minutes près, ça me tombait dessus. L’électricité ne fut rétablie que quatre heures après. Le coiffeur me raconta quelques temps plus tard que le malheureux jeune homme avait attendu, puis avait profité de la pénombre de la nuit tombante pour s’éclipser.

*             *             *

Des mésaventures similaires, on peut en citer à profusion, tant les coupures d’électricité sont courantes. Elles le sont tellement que ça paraît étrange quand il n’y en a pas pendant un certain temps. L’une des conséquences directes étant qu’une forme de nomadisme s’est établie petit à petit. Les habitants des zones de la ville les plus touchées par les coupures trimballent constamment avec eux divers chargeurs (de téléphone, de lampes de secours, etc.) afin de pouvoir les recharger quand ils se retrouveront à un endroit pourvu d’électricité. Les coupures obligent beaucoup d’autres à déserter leur lit pris d’assaut par les moustiques. Pas de courant, donc pas de ventilateur pour éloigner ces bestioles, ni pour atténuer la chaleur parfois étouffante de nos nuits.

Les familles déplorent quotidiennement les pannes d’appareils, endommagés par ces suspensions et retours abrupts d’énergie. La résignation (ou l’ignorance de leurs droits) les pousse à remplacer elles-mêmes leurs équipements, alors qu’elles pourraient bien attaquer en justice la compagnie d’électricité afin d’obtenir un dédommagement pour les nombreux préjudices.

Quelques fois, des drames se produisent. On ne compte plus le nombre de personnes qui ont passé l’arme à gauche dans nos hôpitaux alors qu’elles étaient sur le billard ou pendant qu’elles étaient en soins intensifs, à cause d’une coupure subite d’électricité.

Le comble, comme toujours dans ces situations, est que nous sommes dans un pays qui ne manque pourtant pas de ressources. Le Cameroun figure par exemple dans le top trois des pays africains disposant du plus grand potentiel hydroélectrique. Un potentiel manifestement sous-exploité.

Par René Jackson

*ENEO désigne la société nationale de production et de distribution d’électricité du Cameroun.


Mondoblog en 2014 : les pépites

Une belle année vient de se refermer sur Mondoblog. Une année pendant laquelle la communauté s’est une nouvelle fois agrandie de quelque 150 nouveaux blogueurs. Une année pendant laquelle une partie de la communauté s’est retrouvée pour une formation dans le cadre idyllique et à la charmante désuétude de Grand-Bassam (dont Ahlem B. nous raconte si joliment les folles histoires), la cité balnéaire à une heure de route d’Abidjan. Philippe Couve, qui avec Cédric Kalondji est l’initiateur de Mondoblog, assistait pour la première fois à une formation. En 2014, la plateforme n’a certes pas accompli la passe de trois au concours des meilleurs blogs de la Deutsche Welle, mais ça a été beaucoup mieux : Florian Ngimbis, mondoblogueur émérite, fait désormais partie du jury de ce prestigieux concours. Ce fut aussi l’année de la Coupe du monde de football au Brésil. Les Mondoblogueurs ont participé à cette fête en s’associant avec les Observateurs de France24 pour partager sur MondObs leurs analyses et commentaires de cet événement.

Commençons d’ailleurs avec cette Coupe du monde, en évoquant cette soirée hors du commun pendant laquelle le Brésil s’est fait démolir par l’implacable équipe allemande. Jule de Berlin raconte d’une manière très amusante cette rencontre vécue avec trois minutes de retard. Ailleurs dans le monde, le football attise de folles passions. Comme au Chili, où Fabien Leboucq a assisté au bouillant « Superclasico » local opposant Colo-Colo à l’Universidad de Chile.

Notre monde n’a pas toujours été gai l’an dernier. L’Afrique a durement été touchée par l’épidémie d’Ebola, qui a mis à genoux certains pays. Mais Marek Lloyd explique que malgré le catastrophisme et la cacophonie qui ont prévalu pendant le pic de l’épidémie, la maladie pouvait néanmoins être évitée en adoptant des gestes simples. Ebola a aussi réussi à bousculer le plus grand événement sportif du Continent. La Coupe d’Afrique des Nations de football 2015 a été déplacée en Guinée équatoriale. Le Maroc qui devait l’accueillir s’est retiré par crainte de contamination. La suite a été cette Une aux relents racistes d’un journal marocain. Une une sous le prisme de laquelle Cheick Nnaliou de Mauritanie a procédé à l’analyse du racisme en Afrique du Nord. L’auteur d’Abidjan Times a fait le triste décompte des jeunes Noirs abattus par des policiers aux Etats-Unis ces dernières années. Chups, une Franco-Indo-Malgache se demande bien à quoi peut renvoyer la phrase « rentre chez toi » dans un monde de plus en plus métissé. Nicxon Digacin explique toute la différence qu’il y a entre un patient ordinaire dans une salle d’attente et un autre que le directeur de l’hôpital connaît personnellement à Haïti. Aymar Toula quant à lui fait le constat amer de la persistance du phénomène des enfants esclaves dans les rues de Dakar. Rose Roassim de Ndjamena demeure incrédule face aux discours des dirigeants de son pays qui disent vouloir développer les TIC quand le problème préalable de fourniture d’électricité n’est pas résolu.

La talentueuse Guinéenne Dieretou Dina se met dans la peau d’une femme battue par son conjoint, qui finit par en avoir ras-le-bol et le quitte. Par ce texte, elle condamne les violences faites aux femmes. Djifa, la Togolaise citoyenne du monde, raconte elle le long parcours semé d’embûches que représente l’obtention de la carte verte des USA et les désillusions auxquelles font face la plupart des immigrants dans ce pays.

De nombreux mondoblogueurs ne vivent pas dans leur pays d’origine ou sont en voyage. Ils en profitent alors pour partager les expériences qu’ils vivent lors de leurs pérégrinations en terres étrangères. Ainsi, Anne-Laure récemment installée à Dakar a été choquée par l’extrême dénuement dans lequel vivait Coumba, sa femme de ménage, qui l’avait invitée à visiter sa demeure. En mission humanitaire en République démocratique du Congo, la Belge Céline y découvre que l’accueil qui lui est réservé dépend si celui qu’elle a en face d’elle est un autochtone ou un étranger. Arnoult Bazire explique qu’en Inde, les autorités sont face à une situation cornélienne, car elles ne savent plus quoi faire de cette population en constant accroissement. Il leur faut même faire un choix entre les femmes, les enfants et les pandas. En voyage au Ceylan (Sri Lanka), Emmanuelle Gunaratne a reçu une vraie leçon de vie. Elle y a fait la rencontre d’un chauffeur de taxi qui offrait gratuitement à partir de 20 heures aux malades la course vers l’hôpital de la petite ville dans laquelle il vivait.

Ceux qui sont restés chez eux n’ont pas moins d’histoires intéressantes à raconter. La Libanaise Rima Moubayed dans un texte très poétique demande à Tripoli, sa ville, de se rappeler de son glorieux passé et de sortir de cette torpeur dans laquelle elle semble se plaire. Sylvain J. raconte dans de petits textes sa ville Marseille. Abdoudramane Koné explore Abidjan, où les « gbès sont mieux que Dra » et nous ressort le lexique amoureux de la Côte d’Ivoire. Carole Ricco a profité des dernières élections législatives à l’Île Maurice pour présenter les charmes de Curepipe, une ville aux antipodes des décors de carte postale dont on affuble souvent son pays. Un toubib de Dakar a pris le temps de raconter les perles de ses étudiants en médecine. Wonk, avec un plaisir quelque peu perfide, relate comment il a réussi à faire capoter les stratagèmes pourtant bien élaborés d’une mendiante dans le RER parisien. A travers les volutes formées par la fumée d’une cigarette, Cunisie a découvert que les gynécologues de certains hommes tunisiens servaient des causes très très basses. Em-A nous fait découvrir un bien curieux bar à Ndjamena, la capitale du Tchad, dans lequel on ne sert pas d’alcool. Mieux, il sert de centre de cure de désintoxication.

Eteh Komla Adzimahe, Le Salaud Lumineux, dans un texte très échevelé raconte une soirée beer-to-beer à laquelle il a assisté à Lomé. Dans son billet, il pose tour à tour des questionnements sur la diaspora togolaise, sur les relations hommes-femmes et sur le rôle de Dieu.

Le Petit Ecolier s’essaye dans une analyse sociopolitique de son pays le Cameroun. Il se pose des questions sur cette « paix » tant saluée par les gouvernants alors qu’elle ne repose sur rien de vraiment solide. De son côté, Saka du Congo se sert de la fable du Corbeau et du Renard pour fustiger tous les rapaces de son pays qui passent le plus clair de leur temps à tresser les lauriers du président de la République. Amadeus, sur son blog EcoTunisie essaie de nous faire comprendre la crise de la dette par la parabole à la fois amusante et édifiante des ânes. Yanik a quant à lui trouvé un digne successeur au très regretté Nelson Mandela en la personne de José Mujica, l’actuel président de l’Uruguay. Awa Seydou félicite Malala Yousafzai, la courageuse adolescente pakistanaise qui a été lauréate à seulement 17 ans du prix Nobel de la Paix l’an dernier.

Je ne saurais terminer sans évoquer le blog du caricaturiste Jeff Ikapi, résidant au Gabon. Il croque l’actualité avec talent et agrémente chacune de ses illustrations d’un court texte qui permet à chaque fois de bien les situer. Un autre blog qui vaut le détour est celui d’Orange Man, qui dans ses articles raconte ce que c’est d’être une jeune femme homosexuelle dans un pays d’Afrique noire où ce penchant amoureux est extrêmement mal vu.

C’est tout pour cette (déjà) cinquième mouture de mes Pépites sur Mondoblog. J’ai cette fois voulu mettre en avant des blogs et des blogueurs qui n’ont jamais figuré dans les précédentes Pépites. Les autres blogueurs sont malgré tout toujours actifs et vous pouvez les retrouver sur Mondoblog.

A (re)lire : les Pépites de Mondoblog en 2013, en 2012, en 2011 et en 2010.

Par René Jackson

Image : Marine Fargetton (son blog ici).



Liberté d’expression, respect et responsabilité

Des événements extrêmement graves se sont déroulés en France entre le mercredi 7 et le vendredi 9 janvier 2015. Une attaque d’une violence et d’une portée sans précédent, qui a suscité une condamnation quasi-unanime et des manifestations un peu partout dans le monde. Le journal satirique Charlie Hebdo a bel et bien été victime d’un attentat terroriste et non pas d’un simple règlement de comptes. Le déroulement des évènements (assassinats, fusillades avec les policiers, exécution en pleine rue, prise d’otages) avait clairement pour but d’instaurer la psychose, la terreur.

Ces attaques ont été vite cataloguées comme étant des atteintes à la liberté d’expression. Ce qui n’est pas totalement faux, puisque c’est un organe de presse qui a été pris pour cible, puisque ce sont des journalistes qui étaient clairement visés et froidement exécutés. La société telle que nous l’avons toujours conçue a pris un véritable coup ces derniers jours et les récents événements nous poussent fatalement à nous poser des questions.

La liberté d’expression, qu’on peut de façon simpliste définir comme étant le droit dont dispose (ou doit disposer) chacun de nous, lui permettant d’énoncer ses idées sans craindre d’être attaqué de quelle que manière que ce soit (sauf par les idées, bien sûr) pour les avoir exprimées. C’est un fondement cardinal et tout le monde doit être en mesure de pouvoir jouir de ce droit.

Et en tant que blogueur par exemple, je suis la manifestation même de la liberté d’expression. Car j’ai la possibilité dans cet espace d’expression de raconter tout ce que je veux. Et en optant pour cette ligne éditoriale, qui est celle d’analyser principalement ce qui se passe dans nos sociétés tout en bifurquant de temps à autres vers la politique et le sport, sujets hautement polémiques s’il en est, je sais pertinemment que je me ferai certes des amis qui partageront mon point de vue, mais tout aussi des ennemis. Tout en me sentant libre de donner mon opinion ici, en parlant de mon pays et de celui des autres, je sais aussi que certaines de mes théories pourraient être mal prises par certaines personnes et que je suis susceptible d’être interpellé pour répondre de mes opinions. Pour le moment, ce n’est encore arrivé à aucun blogueur ici. Nous ne sommes pas en première ligne et les gouvernants n’ont pas encore pris la réelle mesure de notre force de frappe.

Le blog donc représente un formidable moyen d’expression. Il permet à presque tout un chacun de montrer qu’il a voix au chapitre. Il le permet tout autant que les diverses plateformes de socialisation virtuelle que nous connaissons.

Peut-on parler de tout ? Peut-on rire de tout ?

Le principe de liberté d’expression acquis, il se pose la question de la façon dont on la manie. Surtout quand on sait que notre liberté s’arrête où commence celle des autres.

Le monde actuel est rempli de ce qu’on pourrait appeler des amuseurs publics et c’est un peu la course à qui sortira la blague la plus acerbe, la vanne la plus rigolote. Si au passage, on froisse certaines susceptibilités, ce n’est pas bien grave. Mais pourtant ça l’est! J’ai entendu parler de Charlie Hebdo pour la première fois en 2011 après l’incendie dont leurs bureaux ont été victimes. Des malfaiteurs y avaient mis le feu pour protester contre la décision de la rédaction de désigner le prophète Mahomet comme rédacteur en chef d’un numéro faisant suite à la victoire électorale du parti islamiste Ennada en Tunisie.

Depuis, Charlie Hebdo a publié des quantités d’illustrations plus provocatrices les unes que les autres. Franchissant allègrement la ligne rouge, s’attaquant à tout le monde. J’estime à titre personnel qu’on peut parler de tout, mais il faut prendre gardeà ne pas manquer de respect à une communauté, à ses croyances, à ses habitudes. Qui sont aussi pour elle des moyens de s’exprimer. Je ne pense pas qu’il faille aller jusqu’à caricaturer un Jésus sodomisant Dieu, le premier lui-même étant sodomisé par une représentation du Saint-esprit, pour s’exprimer. Je ne crois pas qu’il s’avère nécessaire de représenter Mahomet à genoux et à quatre pattes, tout nu, l’anus caché par une étoile, pour se faire comprendre.

J’avoue que ces caricatures m’auraient fait rire en d’autres circonstances, mais il n’en demeure pas moins qu’elles sont de véritables insultes pour les gens qui ont ces croyances. Nous vivons à une époque où tout semble désacralisé. Il existe cependant des choses qui restent importantes pour certaines personnes (l’intimité, la vie privée, les idées, les croyances) et que nous nous devons malgré tout respecter, sous peine d’assister à des attentats aussi graves.

L’idée ici n’est absolument pas de décharger les intégristes qui ont perpétré ces actes de leurs responsabilités. Ce sont des lâches qui manifestement ont lu le Coran qu’ils prétendent défendre à l’envers. Ces extrémistes musulmans, comme ceux des autres bords, ont mis de côté tous les préceptes basiques d’humanité pour commettre ces horribles méfaits.

Maintenant, faut-il absolument se censurer ? Que non ! Les principes démocratiques qui régissent les pays avancés et que nous aspirons à voir émerger sous nos latitudes vont nécessairement de pair avec le besoin d’édification des masses, afin qu’elles soient au fait de ce qui se passe afin de prendre leurs décisions en connaissance d’objet et de cause. Il appartient dont aux hommes de médias, aux leaders d’opinion de tout mettre en œuvre pour que la vérité se sache, quitte à déranger certains conforts, quitte à provoquer des animosités. Il appartient à chacun de nous, qui essayons de passer des messages, de le faire. Absolument.

Il est toutefois important de le faire en respectant la liberté que les autres ont d’avoir leurs croyances, aussi sottes et arriérées ou contestables qu’elles nous semblent être. De respecter leur mode de vie, leurs us, leur culture, leurs coutumes. De respecter la latitude que les autres ont d’avoir un mode de vie différent.

On ne fait pas preuve de tolérance en étant irrespectueux envers ce qui fait la spécificité de l’autre, de ce qui le différencie d’une norme que nous seuls nous sommes fixés.

Tweet-itele-libertédexpression

Par René Jackson


A Elles

vendeuse oranges douala
Une vendeuse d’oranges – Photo: René Jackson Nkowa

Pour la énième fois, la super mairie de Douala mène une campagne de déguerpissement des emprises de la voie publique occupées par des commerçants. Pour le bien-être de tous, il est important de respecter l’espace public. Un piéton ne doit pas se retrouver en train de se disputer la chaussée avec les automobiles parce que les trottoirs ont été trustés par les petits (et parfois les gros) commerces. Mais il n’en demeure pas moins que ces déguerpissements sont terribles pour les personnes concernées et pour leur famille.

Il y a quelques jours, j’ai fortuitement assisté à l’un de ces évènements. Les engins avaient sévi de façon totalement inopinée. Le résultat avait été des dizaines de comptoirs détruits et autant de personnes en détresse. L’une d’entre elles m’a profondément marqué. Une femme d’une quarantaine d’années. Elle avait pleuré. Avait supplié. Elle avait des enfants. Il fallait qu’ils aillent à l’école. Elle n’avait aucune autre source de revenus. Il fallait qu’on lui laisse au moins le temps de ramasser ses fruits. L’agent municipal ne l’avait pas entendu de cette oreille. Tous ses produits étaient passés sous les roues de la pelleteuse qui mettait son comptoir en pièces. Elle s’était alors évanouie et avait dû être transportée à l’hôpital. Pendant que ses pamplemousses, ses ananas et ses pastèques se transformaient en salade de fruits ; et que son comptoir devenait un tas de bois.

Je repasse souvent à cet endroit. C’est bien plus agréable ce trottoir dégagé. C’est comme cela que les choses devraient normalement être. Mais j’ai toujours une pensée pour cette femme. Pour ces femmes. Je pense à elles.

A elle qui m’aborde quand je suis assis dans un snack-bar. Elle qui me propose des œufs à la coque, qu’elle vend avec du pain. Ses œufs sont rangés bien en ordre dans un seau en plastique transparent, en dessous du piment, de la mayonnaise et de la sardine. Le pain est entassé dans un sac. Pendant que je lui passe ma commande, je l’observe. Elle fait clairement plus vieille qu’elle ne l’est en réalité. Elle se couvre la tête avec une casquette portant le logo de l’un de nos opérateurs de téléphonie mobile. Mais ce couvre-chef ne suffit pas à lui tout seul à parer au soleil brûlant qui nous abrutit dans cette ville. Ce soleil a vraisemblablement été sans pitié avec elle. Elle a terminé de garnir mon pain. Elle farfouille dans son sac et tout d’un coup semble très embêtée. Et regarde à gauche et à droite. « Je n’ai plus d’emballages. Est-ce que tu peux attendre que j’aille en chercher ? – La mère, laisse. Tu n’as pas besoin d’emballer, je vais le manger maintenant – merci mon fils, tu me sauves. Ces emballages en plastique sont devenus rares et si chers… » Je la regarde s’éloigner. Elle propose ses œufs à un homme assis non loin de moi. Il ne daigne même pas la regarder.

A elle qui me vendit des plantains et des prunes cuits à la braise il y a quelques mois. Elle est d’humeur maussade. Elle passe visiblement une mauvaise journée. Pour ne rien arranger, il pleut. Elle ne répond pas à mon bonjour. Elle est bien occupée : elle doit veiller à la cuisson des plantains mûrs qui sont sur son four à charbon de bois et doit s’assurer que les prunes ne carbonisent pas. Elle doit tenir ce qui fait office de parapluie au-dessus de sa tête. Il ne la protège pas vraiment de l’averse. Je jette un coup d’œil à ma gauche. A quelques mètres, je vois la charrette d’un vendeur de parapluies. Pourquoi elle n’en achète pas un neuf au lieu de se torturer avec cette antiquité qu’elle cherche à maintenir coûte que coûte en équilibre ? A côté d’elle un bambin braille. Il doit avoir environ deux ans. Elle me semble trop vieille pour avoir un enfant de cet âge. C’est peut-être son petit-fils, issu de l’une des innombrables relations sans amour que cette ville abrite. Lui au moins il a eu de la chance. Il a fini sur un trottoir, sous la pluie, auprès de sa grand-mère. Ça aurait pu être pire. Il aurait pu se retrouver dans une poubelle, à la merci des chiens errants.

A elle qui passe sa journée à trottiner sur nos grands axes routiers. Elle qu’on retrouve aux postes de péage, aux points de contrôle routier. Elle qui propose aux voyageurs des victuailles diverses, partant des bâtons de manioc aux mandarines en passant par les noix de coco, les mintumbas, les oranges, les frites de plantain, les brochettes de viande et j’en passe. Elle qui ne se décourage pas, malgré qu’elle avale à longueur de journée les gaz d’échappement des véhicules derrière lesquels elle court pour vendre une dernière mangue, derrière lesquels elle court pour récupérer son argent. Elle ne fatigue jamais de poursuivre un autobus qui roule afin de satisfaire le désir d’un passager, au risque de passer sous ses roues. Souvent, nous l’accusons d’être malhonnête. A tort. Personne ne s’est pourtant jamais plaint de ses produits.

A elle que j’ai été surpris de découvrir tard un soir. A l’époque, j’avais un travail qui m’obligeait à rentrer chez moi quand beaucoup avaient déjà fait un tour de sommeil. Je m’étais retrouvé dans une station-service. Elle était jeune. Très jeune. Elle était une adolescente. A la manière dont elle était vêtue, elle devait être originaire de l’une des parties musulmanes du pays. Elle était assise près d’une cuvette en inox dans laquelle se trouvait une casserole, des cuillers, des fourchettes et des assiettes. Deux ou trois fois, elle a ouvert la marmite. J’ai deviné une sauce dans laquelle semblaient se dissimuler des morceaux de viande. Elle rigolait aux plaisanteries vaseuses que lançaient les hommes qui étaient là. Certaines de ces blagues étaient vraiment déplacées, surtout à l’endroit d’une personne de son âge. Mais sa réaction montrait qu’elle les prenait plutôt bien. Une preuve s’il en était qu’elle devait déjà avoir du métier. Elle devait bien être utile à ces gens qui travaillent dans la nuit, en leur permettant de se restaurer vite fait et à moindre frais. Mais qu’est-ce qui obligeait cette enfant à se retrouver assise près d’une pompe à essence à une heure pareille, à subir les assauts lubriques des taximen et des conducteurs de moto-taxis ?

Je pense à elles. Toutes. Qui sont là, tout le temps. Que nous ne voyons plus, mais qui nous sont plus importantes que nous, ne l’imaginons. Elles sont les actrices estompées de nos quotidiens. Elles dont on peut sans difficulté aucune croquer dans nos esprits les couleuvres qu’elles avalent. Elles se font éclabousser par les voitures pendant la saison des pluies. Elles sont maculées de poussière pendant la saison sèche. A force de subir toutes sortes d’intempéries, leur peau s’est fripée, noircie. Elles prennent de l’âge bien plus vite que les autres.

Elles sont le pilier sur lequel repose leur famille. Elles n’ont pas le droit de flancher, elles n’ont pas le droit d’abandonner. Leur mari est malade, au chômage, peut-être parti chercher herbe plus verte ailleurs. Ou alors il a jeté les armes face au aléas de la vie et vit aux crochets de la société, à ses crochets. Leurs frères et sœurs ont été à l’école, ont obtenu leurs diplômes. Ils n’ont pas trouvé de travail et du haut de ces papiers somme toute inutiles, ils refusent de s’abaisser à des tâches ingrates. Elle est obligée de se mouiller pour subvenir aux besoins de cette fratrie orgueilleuse qui ne la soutient pas et qui, souvent, l’insulte, la traite de demeurée.

Je pense à elles qui sont pour la plupart sans défense, mais qui sont armées d’un courage et d’une détermination sans pareil. Qui ont ce sourire et cette gentillesse à toute épreuve. Qui t’appellent « mon fils » ou « ma fille » quand tu les approches. Que tu es fier d’appeler respectueusement « maman », alors que vous ne vous connaissez ni d’Adam, ni d’Eve.

A elles toutes.

Par René Jackson

Bonnes fêtes de fin d’année à toutes et à tous et meilleurs vœux pour l’année 2015.


Camerounaises vs porno

Femme nue
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Je dois dire deux choses d’emblée. La première est que j’ai eu du mal à rédiger ce billet. En fait je me suis retenu de l’écrire pendant plusieurs semaines. Je ne savais pas trop comment aborder le sujet. Je ne crois d’ailleurs pas avoir jusqu’ici trouvé la bonne approche. Mais je n’ai pas pu y résister. Secundo, je tiens à signaler dès maintenant aux personnes bien pensantes (les patriotes protecteurs parangons de l’image du Pays, les féministes réactionnaires de tout poil et les extrémistes) avec qui j’ai souvent eu maille à partir sur cet espace qu’elles ne vont pas du tout aimer ce qui va suivre.

Pour ceux et celles qui n’ont toujours pas compris, je vais parler des relations un peu alambiquées que les jeunes Camerounaises entretiennent avec la pornographie. Si après cette phrase vous êtes encore là, c’est à vos risques et périls.

Comment considérions-nous les femmes lorsque nous étions plus jeunes ? Comme des modèles de vertu. On nous a instillé dans l’esprit que c’étaient des choses toutes fragiles dont nous serions responsables plus tard. Quand nous les épouserions. Quand nous les procréerions. Et quand nous nous en servirions comme second bureau. Les hommes en devenir que nous étions serions leur héros. Mais nous devrions aussi les mener à la baguette. Parce que la femme est tout, sauf docile. Et elle a la langue qui tue, disait-on, la virilité. On devait montrer qui est le chef. En Bantous que nous sommes, nous ne devrons ployer dans une face à une dame sous aucun prétexte.

Nous avions donc, entre autres missions, celle de « protéger le modèle de vertu et de probité que représentent les femmes » de tout ce qui pouvait corrompre leur esprit. Comme de la sexualité. Parce qu’en tant qu’hommes, nous sommes par définition des pervers. Du coup, avant de parler de certaines choses, on devait s’assurer qu’il n’y ait aucun hominidé de genre féminin dans les parages.

Mais ça c’était avant.

Parce qu’aujourd’hui, ce sont ces êtres fragiles qui vous entraînent sur les chemins glissants (sans mauvais jeu de mots) du stupre. Exemple : il y a environ deux ans, j’avais réussi, à force d’usure, à trainer une jeune Camerounaise dans un restaurant de Douala. Une panthère en puissance, mais ça je ne l’ai appris que plus tard et ce à mes dépens. Pendant que nous étions en train de manger, elle dit :

« Jack, est-ce que tu sais qu’à côté il y a un sans caleçon ? » (Entendez par là un bar de strip-tease).

Moi, me préparant assez hypocritement à monter sur mes grands chevaux de pourfendeur de la débauche, prêt à pointer un doigt accusateur sur ces endroits qui pervertissent notre société (et ce malgré mes nombreux forfaits), la demoiselle m’a couché au tapis avec un : « je suis déjà partie là-bas avec des amies. C’était bien, j’avais beaucoup aimé. J’étais en classe de première. Après, je suis allée au sans caleçon qui est à… » Et là, elle m’a sorti une liste longue comme un bras de bars de strip-tease qu’elle avait déjà visité. Elle a fini avec : « si tu veux on peut y aller après ».

La ligne de démarcation entre ce qui est réservé aux hommes et ce qui est du giron des femmes s’estompe lentement, mais sûrement. Beaucoup d’hommes sont inquiets, car ils sont perdus par cet état de fait. Il y a encore quelques années, le fait de se réunir tout autour d’une revue interdite au moins de dix-huit ans était le passe-temps des hommes. Mais j’ai vécu il y a quelques semaines la scène qui m’a inspiré ce billet : une huitaine de jeunes femmes avaient les yeux rivés sur l’écran d’une tablette numérique, gloussant comme des poules prêtes à pondre. Elles étaient fascinées. Curieux, j’ai jeté un œil par-dessus leurs épaules. Les images ne prêtaient à aucune équivoque. J’ai été presqu’enseveli sous un tombereau d’insultes quand j’ai émis ma petite observation.

« Cessez de croire que vous êtes les seuls à avoir le droit de regarder ça. Nous aussi on peut ».

C’est ce que j’appellerai l’égalité entre les sexes. Nivellement vers le bas ? Ou bien nivellement vers le haut ? Ce n’est pas à moi d’en juger.

Et WhatsApp fut.

Ce logiciel pour téléphones intelligents est très en vogue chez les jeunes. Il y a un peu plus d’un an, à force de sollicitations, je me suis inscrit sur ce réseau. Et tout de suite, j’ai reçu des invitations pour faire partie des groupes de discussion. Trois fois sur quatre, c’étaient dans des groupes créés par des filles. Et là, ça parlait de tout. De vraiment tout. Et surtout de choses que la bienséance m’interdit de retranscrire ici. Et nul besoin de dire que les filles de ces groupes de discussion participaient activement et se révélaient particulièrement inspirées. Et parfois même, elles accompagnaient leurs arguments textuels par d’autres arguments, bien plus parlants, en images et en sons. Je parie que de petits malins ont conservé beaucoup de choses. Et qu’on assistera dans un proche avenir à des suicides de jeunes Camerounaises liées à WhatsApp. Si ce n’est déjà le cas.

Fatigué d’avoir mon champ de vision tout le temps pollué par des échanges salaces entre de jeunes gens que je ne connaissais ni d’Adam, ni d’Eve pour la plupart, j’ai quitté ces groupes. Mais mal m’en a pris car ce qui devait se produire se produisit.

L’affaire de l’année.

En juin dernier et pendant deux à trois mois, Yaoundé a eu des airs d’Hollywood. Un scandale sexuel dans lequel notre star nationale fut l’un des principaux protagonistes. Les sites web et autres réseaux sociaux n’en ont eu que des bribes. Pour avoir la substance même de toute cette affaire, il fallait être introduit dans les bons groupes sur WhatsApp. De haute lutte, j’ai enfin pu réintégrer l’un d’entre eux et là j’ai été ébahi ! Les dames n’ont plus rien à nous envier dans ce domaine, mes chers messieurs !

L’un des constats que je tire de toutes mes pérégrinations sur internet ces dernières années est que la langue de la Camerounaise s’est déliée. Elle n’a plus froid aux yeux (ni nulle autre part d’ailleurs) et ose dire tout haut ce qu’elle veut et ce dans un langage extrêmement fleuri. L’épicurisme est devenu son affaire. Et toi le jeune homme qui refuse de parler de ces choses car plein de respect pour ta personne ou pour la leur, tu passes pour un largué, un has-been tout à fait inintéressant. Toutefois certains ont observé que le sexe est devenu un moyen comme un autre d’affirmation de soi pour les jeunes Camerounaises. Et elles n’hésitent plus à l’agrémenter de quelques artifices, disons-le, pornographiques.

Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Une amie me disait ceci il y a dix ans, avant l’explosion que nous connaissons d’Internet et des réseaux sociaux : « quand j’entre dans la chambre d’un gars pour la première fois, je la fouille dès que j’en ai l’occasion. Si je ne tombe pas sur des revues du genre que tu peux très bien imaginer, je comprends que le mec a un problème et je me casse vite fait».

A l’époque, mon esprit encore naïf avait pensé qu’elle évoquait des revues de nihilisme ou d’odontostomatologie. Mais avec les années, j’ai finalement compris qu’il s’agissait de tout autre chose.

Par René Jackson


Ces dames qui donnent la leçon à tout un pays

L’équipe nationale féminine du Cameroun (les Lionnes indomptables) s’est brillamment qualifiée ce mercredi dans la soirée du 22 octobre pour la finale de la Coupe d’Afrique des Nations, en venant à bout d’une non moins valeureuse équipe de Côte d’Ivoire sur un score serré de deux buts à un. Les prouesses de ces jeunes femmes sont en  train de donner une véritable leçon à tout un tas de monde au Cameroun. Malheureusement, comme toujours, tout se passe comme si rien ne se passait. Il y a clairement des personnes et des institutions qui devraient avoir honte quand ces filles démontrent autant de volonté et d’abnégation malgré les conditions dans lesquelles elles travaillent pour obtenir de si bons résultats.

Le ministère des Sports : qui, lorsqu’il s’agit de l’équipe nationale de football messieurs, ne se gêne as pour venir mettre le souk partout. C’est ce ministère qui gère les primes des joueurs, qui désigne l’entraîneur. Encore dernièrement, le ministre des Sports himself signait un arrêté pour choisir à la place du coach le capitaine de l’équipe nationale de football, messieurs ! Le credo de ce cher ministère est habituellement : il n’y a pas de sport mineur au Cameroun. La belle blague ! Sauf qu’en dehors des Lions indomptables A, il (ce ministère) est aussi agité qu’un macchabée quand il est question des autres sélections nationales de foot (il y en a une bonne huitaine). Le ministère devient tout bonnement catatonique quand il s’agit des autres sports.

La fédération camerounaise de football : l’électrocardiogramme de cette association s’affole quand s’approche la Coupe du monde (et je le précise encore) messieurs. Je parle de cette compétition lors de laquelle notre sélection a été magnifique et exemplaire en juin dernier. Ce club quasi ésotérique n’est rien de moins que la plus grosse mafia de ce pays (tout comme la FIFA est la plus grosse mafia au niveau global). On ne sait jamais ce qui s’y passe. On ne comprend jamais comment ce machin fonctionne. Il y a quelques semaines, on apprenait qu’un fax de la FIFA envoyé en avril dernier avait tout simplement été dissimulé par l’un des responsables qui avait peur, si son contenu était dévoilé, de ne pas participer à la grosse pantalonnade de la Coupe du monde qui devait avoir lieu quelques semaines après. Les Lionnes sont en finale. Et pendant la demi-finale contre les Ivoiriennes, le compte sur Twitter de la FECAFOOT est resté étrangement muet.

Les Lions indomptables de football A : on vous a bien vus quand vous faisiez les starlettes effarouchées en juin dernier. Le monde entier a été témoin du chantage grossier auquel vous nous avez soumis. Vous nous avez démontré qu’on est dans un pays où les manifestations publiques sont interdites de fait et qu’on pouvait malgré tout faire grève, en se calfeutrant dans le confort douillet de l’un des plus grands hôtels de la capitale. « Pas d’argent, pas de Coupe du monde » aviez-vous dit. Oui, je m’adresse à vous les vingt-trois mecs qui avez été le symbole de la gabegie qui pilote ce pays. Vous réclamiez soixante millions de francs chacun et rubis sur l’ongle dans un pays où des écoliers manquent de tables-bancs. Vous les avez eus. Vous êtes allés au Brésil. Vous vous êtes lamentablement vautrés. Et vous nous avez fait un doigt d’honneur. Merci. La prime d’un seul d’entre vous suffit largement à payer celles de toutes les joueuses de cette équipe nationale féminine qui se retrouve en finale d’une CAN sans avoir rien perçu. Même pas un kopek ! Ces demoiselles vous ont prouvé à vous, tous autant que vous êtes, que représenter dignement son pays n’est absolument pas proportionnel à l’importance des sommes qu’on a dans son compte bancaire.

La CRTV Télé : l’office national de télévision du Cameroun diffusera sans doute la finale de la CAN féminine samedi contre le Nigeria. Et ses commentateurs ne se priveront pas de cet habituel aplaventrisme totalement hors de propos, qui est leur trait de caractère premier, qui se manifestera par cette phrase : « Merci au président Paul Biya qui a permis que cette rencontre soit diffusée en direct à la TV et blablabla… » Messieurs et mesdames, vous n’avez pas à aller cirer les pompes au président de la République parce que ce que vous faites, ce n’est pas pour ses beaux yeux, mais par devoir vis-à-vis de l’ensemble des Camerounais. Mercredi soir, on s’attendait à regarder la demi-finale de la CAN féminine, on a plutôt eu droit aux discours d’un ministre.

Orange : c’est bizarre, on ne vous entend pas, vous les autoproclamés « supporter numéro un du football camerounais ». Vous qui envoyez vos marketistes jouer les consultants sportifs sur les plateaux de télévision nationale à la place des vrais techniciens du football qui pourtant ne sont pas une denrée rare chez nous. Vous qui prenez en hold-up les yeux des téléspectateurs que nous sommes chaque fois que les Lions indomptables (A et messieurs) foulent un terrain de foot quelque part dans le monde. L’avant-match, la mi-temps et l’après-match sont inondés par vos annonces et par votre présence qui n’aide en rien à comprendre l’évènement. Vous qui entassez de l’orange et du noir dans des proportions totalement ahurissantes sur le plateau de la télé, en reléguant le vert-rouge-jaune au rang de simple élément du décor. Les Lionnes participent à la CAN et c’est un non-évènement pour vous. Vous avez l’habitude de m’abrutir de SMS quand les messieurs jouent. Et quand ce sont les dames, votre silence est interstellaire.

Les Lionnes de remporteront peut-être pas la finale samedi. Elles seront opposées à des Nigérianes qui prennent un vicieux plaisir à leur filer de véritables raclées chaque fois qu’elles se croisent. Ces Lionnes produisent néanmoins régulièrement des résultats plus qu’honorables, mais personne ne les prend jamais au sérieux. Leur combat est le même que celui des basketteurs, des handballeurs, des cyclistes, des athlètes, des boxeurs ; de tous ces sportifs qui méritent amplement la reconnaissance de leur pays mais qui sont tout le temps en train de tirer le diable par la queue.

Elles sont qualifiées pour la prochaine Coupe du monde féminine qui aura lieu l’an prochain au Canada. La Namibie n’est pas une destination glamour, mais le Canada l’est. Et à ce moment-là, on verra sortir du bois ces loups qui sont silencieux aujourd’hui, qui iront les encombrer inutilement pendant le Mondial et qui retourneront se tapir dans l’ombre une fois que ce sera terminé.

En attendant la prochaine occasion.

Par René Jackson


Dis-moi ce que tu bois, je te dirai avec qui tu couches

diverses liqueurs

Il est parfois de ces informations que lorsque tu les apprends, tu tombes d’abord de ta chaise. Une chance pour moi hier soir, j’étais couché dans mon lit quand je l’ai appris. Quand j’ai appris que dans mon pays, un homme pouvait se retrouver au gnouf tout simplement pour avoir bu du Bailey’s (une boisson composée de whisky irlandais et de diverses crèmes). Parce que le Bailey’s est une « boisson de femmes ». Et qu’un homme qui boit des  boissons de femmes  ne peut qu’être gay. Et en tant que tel, il mérite la prison. J’en ai encore mal aux amygdales tant j’ai pouffé de rire.

2011. Nous sommes à une fête estudiantine. La soirée bat son plein ! A un moment donné, l’un de mes camarades me dit qu’il a apporté un petit quelque chose pour nous requinquer, mais une chose qui a tant de valeur qu’il nous a entraînés dans une chambre à l’écart des autres fêtards. Il voulait qu’un tout petit comité puisse profiter de ce qu’il avait apporté. Et de son sac à dos, il a sorti une bouteille trapue, une bouteille de Bailey’s. Il a déversé son contenu, un liquide manifestement crémeux, dans des verres. Il m’en a tendu un, mais je n’étais pas très enthousiaste à l’idée d’en boire. Ce truc me rappelait trop cette autre très célèbre liqueur fortement anisée qui m’avait fait vivre des moments compliqués auparavant.

J’avais tout de même porté le verre à mes lèvres. Le liquide avait glissé sur ma langue. Bon sang ! Je n’avais pas bu quelque chose d’aussi bon depuis… Bah, depuis belle lurette ! J’ai vite fait de vider mon verre et de commencer de longues minutes de négociation auprès de mon ami afin d’obtenir quelques centilitres supplémentaires de ce précieux breuvage.

Et hier, j’apprends que ce soir-là (et toutes les autres fois où j’ai bu du Bailey’s), j’étais tout simplement un délinquant qui risquait de se retrouver devant un juge, non parce que le produit était frelaté, mais tout simplement parce que « la boisson choisie est jugée trop féminine et que seule une femme aurait pu la commander ». Ca ce sont les termes mêmes du juge qui envoie mon concitoyen en prison.

Maintenant que je repense à cette fameuse soirée, les regards que je pensais de ravissement que mes compères et moi qui découvrions cette autre sublime œuvre de Bacchus avions échangé n’étaient en fait que des regards lascifs et concupiscents. Nous étions une bande de gays en chaleur. Et les étudiantes que nous passions nos journées à reluquer, à courtiser, qu’étaient-ce ? Rien que des moyens de fuir ce que nous étions réellement : des homosexuels refoulés.

Rien que de l’imaginer, je retiens avec grand-peine un fou rire.

Maintenant que je réfléchis, je commence à me poser des questions sur mon orientation sexuelle. Parce qu’en fin de compte, mes boissons préférées ne sont pas ce qu’on appellerait des boissons d’homme. Je pense notamment à cette boisson sortie de l’esprit magnifique d’un russe, faite de vodka et d’autres petites choses savoureuses. Cette même chose que, lorsque je commets l’erreur d’en boire auprès d’un hominidé mâle, il me demande presque toujours : « tu bois les choses des femmes, toi ? »

Bêtises !

S’il fallait définir l’orientation sexuelle d’une personne par ce qu’elle boit, toutes les femmes qui consomment de la Guinness, cette bière amère et alcoolisée à souhait, croupiraient toutes dans nos geôles. Car il est connu ici que la Guinness est une boisson pas d’hommes, mais de militaires. La virilité dans sa manifestation pure. Et se basant sur le même critère, on pourrait même définir quelle est la place que tient la femme buveuse de cette boisson virilisante dans son couple lesbien : celle qui porte la culotte, l’homme du couple.

S’il fallait définir l’orientation sexuelle d’une personne par ce qu’elle boit, tous les adultes qui boivent du Top Grenadine (soda ayant la saveur de grenades) devraient tous se retrouver incarcérés. Parce qu’on sait tous que le Top Grenadine est la boisson des enfants, qui aiment surtout la façon dont leur langue se colore quand ils en boivent. Tu bois ça, donc tu aimes les enfants. Pas comme un père aimerait son fils ou sa fille, mais comme un homme aimerait une prostituée. Espèce de pédophile !

S’il fallait définir l’orientation sexuelle d’une personne uniquement par ce qu’on la voit faire, tous les garçons qui portent des pantalons ultra-moulants, qui ont des dreadlocks, qui n’ont pas une démarche assurée, qui mettent la main sur la bouche quand ils rient, qui comptent plus de filles que de garçons dans leurs amitiés, qui travaillent dans un salon de coiffure pour femmes, qui hurlent quand ils sont piqués par une abeille sont des gays. Et de la même manière, une femme qui porte une cravate, qui garde ses cheveux coupés courts, qui a les épaules hautes quand elle marche, qui rit à gorge déployée, qui traîne tout le temps avec les garçons, qui travaille dans des garages de mécanique et qui ne devient pas hystérique quand elle voit une araignée est une lesbienne.

Je ris.

Cette histoire de lutte contre l’homosexualité au Cameroun, par la façon dont elle est menée, nous fera assister aux cocasseries les plus inimaginables. Il y a quelques temps, on apprenait que de nombreux jeunes Camerounais, tous plus hétérosexuels les uns que les autres, se présentaient à la porte des pays occidentaux en arguant que notre pays ne voulait plus d’eux et de leur penchant pour les personnes de même sexe.

L’article 347 bis du Code pénal camerounais est explicite : les relations sexuelles avec une autre personne du même sexe sont punies. Où est-ce qu’on a vu ce jeune homme avoir une relation sexuelle avec un garçon quand il portait son verre de Bailey’s à ses lèvres ? Ou alors ce liquide était la réincarnation d’un mâle à qui il faisait une fellation ? Ces deux autres jeunes qui ont été condamnés pour la même raison en 2011 étaient-ils en train de boire un philtre avant d’aller dans quelque alcôve atteindre le septième ciel en passant par des orifices interdits ?

Hum !

Mais pourquoi suis-je surpris ? Nous vivons dans un pays où un simple « au voleur » lancé à ton encontre dans la rue te condamne à une mort dans les plus brefs délais. Nous vivons dans un pays où tu peux te retrouver derrière des barreaux pendant plusieurs années et sans aucun jugement juste parce que tu as osé blesser l’affect de la personne qu’il ne fallait pas. Nous vivons dans un pays où un rival, parce que vous courtisez la même fille, peut aller faire de toi un homosexuel auprès de la police.

Je suis un homosexuel, il faut qu’on se le dise. Parce que je suis un indéboulonnable fan de Bailey’s (qui est un breuvage exquis). Et que de surcroît, je ne bois pas ces bières pleines de houblon quand je sors avec des amis, mais que je me cantonne à la Smirnoff (dont je tolère beaucoup plus l’alcoolisation). Oui, je suis un pédophile patenté parce que de temps à autre, je bois du Top Grenadine (qui a ce savoureux pétillement sur la langue). Et enfin, je suis homosexuel parce que j’envoie souvent à mon meilleur ami des SMS avec simplement un « je t’aime ». Les nombreux moments difficiles pendant lesquels il m’a soutenu et la belle amitié qu’on entretient depuis de nombreuses années ne lui font absolument pas mériter ce « je t’aime » que je lui dis.

Il y a des gens qui devraient de toute urgence mettre de l’amour dans leur vie. Parce que si tel était le cas, ils s’occuperaient moins de ce qui se passe dans le verre des autres.

René Jackson


Douala, cet endroit où l’amour se cache

Alimou Sow Amour

Le gouvernement camerounais semble avoir mis un contrat sur la tête des jeunes garçons de Douala. Car il est des décisions qu’il prend dont on se demande ce qu’on a fait pour les mériter. L’époque où il ne fallait pas se creuser la tête pour combler une jeune amoureuse est désormais révolue. Pourquoi ? Parce que la ville de Douala a perdu son équivalent de la Promenade des Anglais de Nice ou de Central Park pour New York. Ces endroits pas trop recherchés où on peut avoir des rendez-vous amoureux rêvés. Le seul endroit en dehors des églises et des mairies les jours de mariage où les amoureux s’affichaient. Douala a perdu la Base Elf.

La Base Elf, cette bande de terre aménagée pour la promenade et la villégiature, le presque seul endroit de la ville où on pouvait longer à peu de frais le fleuve Wouri et où on pouvait ressentir le vent provenant de l’océan Atlantique tout proche. La Base Elf n’existe plus. Au moment où je rédige ces lignes, une usine de ciment est en train d’être construite sur le site même. Décidément, à tous les coups, quand on met face à face l’amour, la romance, la sensualité et l’argent, ce dernier l’emporte toujours. Pour quelques milliards on a dénaturé le lieu par excellence de l’AMOUR ! Une véritable catastrophe !

La Base Elf, c’était toute une histoire. Un véritable révélateur de sentiments, un catalyseur à sensations. Les plus timides avaient une parade toute trouvée. Quand une jolie se retrouvait à cet endroit avec toi, nul besoin de déclamer des vers sous sa jalousie. Elle avait tout compris. Et pour toi le garçon, le fait de te retrouver à la Base Elf avec la jolie courtisée était un « oui » plus qu’explicite à la demande que tu n’avais jusqu’à lors pas osé formuler.

Et pour les couples assumés, la Base Elf était le lieu où on ravivait l’amour, ou le lieu où on se retrouvait pour expier ses fautes. C’était selon. Un couple digne de ce nom devait absolument sacrifier au détour par la Base Elf. Ce n’était pas à proprement parler un lieu qui faisait courir parce qu’il fallait être vus, mais parce qu’on pouvait s’adonner à des démonstrations d’affection sans avoir peur de choquer. Puisqu’à peu près tout le monde le faisait.

Mais tout ça, c’est fini. Retour à nos vieilles habitudes, retour à des pratiques plus normales.

« Les gens qui voient de travers pensent que les bancs verts qu’on voit sur les trottoirs
Sont faits pour les impotents et les ventripotents
Mais c’est une absurdité car à la vérité ils sont là c’est notoire
Pour accueillir quelques temps les amours débutants

Les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics, bancs publics, bancs publics
En s’foutant pas mal du r’gard oblique des passants honnêtes
Les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics, bancs publics, bancs publics
En s’disant des ‘je t’aime’ pathétiques, ont des petites gueules bien sympathiques »

L’analyse de ces deux strophes célèbres de Georges Brassens va me permettre de faire comprendre la dure réalité à laquelle l’amour fait face à Douala.

Les gens qui voient de travers pensent que les bancs verts qu’on voit sur les trottoirs : il y a des bancs sur les trottoirs à Douala ? D’ailleurs, y a-t-il même des trottoirs ? La plupart des rues de cette ville sont faites de chaussées. Et ce qui tient lieu de trottoir est cette mince bande latérale sur laquelle motos et voitures ne veulent pas rouler.

Sont faits pour les impotents et les ventripotents : en réalité, il y a quelques bancs à Douala, mais nulle personne qui se meut difficilement ou qui a une bedaine exacerbée ne s’assoit dessus. Ces bancs, quand ils existent, sont le bureau des vendeurs ambulants.

Mais c’est une absurdité car à la vérité ils sont là c’est notoire pour accueillir quelques temps les amours débutants : il faudra chercher longtemps pour voir des amoureux assis sur ces bancs. Soit ils sont pris d’assaut par les vendeurs ambulants, soit ils sont trop exposés au soleil ou à la pluie et personne ne veut s’asseoir dessus, ou alors ils sont situés à des endroits où on risque de tomber nez à nez avec quelque détrousseur si on veut s’y câliner une fois la nuit tombée.

Les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics, bancs publics, bancs publics : non, n’y pensez même pas !

En s’foutant pas mal du r’gard oblique des passants honnêtes : le regard des passants honnêtes qui vous surprendront en train de vous bécoter sur un banc ou à quelque endroit que ce soit n’aura rien d’oblique. Il sera direct, lourd, réprobateur, menaçant et accompagné de grognements.

Les amoureux qui s’bécotent sur… On vous a dit de ne même pas y penser ! Les saligauds ! Avec la maladie* qu’il y a dehors ils osent imiter les choses qu’ils voient les Blancs faire ? Les Blancs, d’abord, ils sont propres. Vous-là, on ne sait même pas si vous connaissez ce qu’on appelle un dentifrice.

En s’disant des je t’aime pathétiques : on a entendu quoi ? Tu l’aimes ? Les enfants d’aujourd’hui vont nous montrer même ce qu’il ne faut pas voir ! Avez-vous déjà entendu vos parents se dire qu’ils s’aimaient? D’où vous vient-il… (et là, on se rue sur ces amoureux irrespectueux à bras raccourcis).

Ont des p’tites gueules bien sympathiques : après ce qui leur arrive, leur gueule reste peut-être toujours petite, mais elle est beaucoup moins sympathique. Et le tout se termine par un « allez faire votre malchance-là dans vos chambres » sec. Et si c’est dans votre quartier que la scène a lieu, vous ne cesserez d’être indexés que lorsque vous aurez déménagé.

Voilà à une ou deux exagérations près le sort des bécoteurs à Douala. Mais on ne va pas s’arrêter là.

Cela procède bien entendu de nos coutumes. Et personne n’est épargné. Même pas les personnes mariées. Une connaissance très proche me confiait : « Quand ma belle-mère est chez nous, il n’y a plus de ‘Chéri’, ni de ‘Bébé’, ni de ‘Pupuce’ encore moins de ‘Doudou’. Quand elle est là, je me tiens à une distance respectable de mon mari. Ces petites choses qu’on fait pour renforcer notre complicité comme manger dans la même assiette sont proscrites. Un jour elle m’a surpris en train de le faire, elle m’a demandé pourquoi je m’échinais tant à affamer son fils ».

Dans la rue, même combat. Je suis allé quelque part où il était possible de savoir d’un coup d’œil qui était en couple ou pas. Les amoureux ne se cachaient pas. Marcher dans cette rue piétonne était un vrai bonheur. De l’amour. Rien que de l’amour. A Douala, quand tu vois un homme et une femme marcher côte à côte, il est difficile de savoir quelle est la nature des liens qui les unissent. On ne se prend pratiquement jamais la main. On ne se fait pas bisou sur la bouche. Même quand on rencontre des connaissances, on présente Adèle ou Julien. On ne se retrouve pas en train de dire : c’est mon (ma) petit(e) ami(e). Mais tout cela n’est que pudibonderie de façade.

Vous me demanderez : mais Jack, où alors peut-on débusquer des amoureux dans le feu de l’action à Douala, puisque la Base Elf n’est plus ?

D’abord dans leur chambre, mais c’est un classique. Mais quand ils veulent de l’évasion à pas de frais, c’est-à-dire se donner mutuellement des frissons sans rien débourser, il faut aller dans les terrains vagues. Il y en d’ailleurs un à une centaine de mètres de chez moi. Terrain de foot le jour, lieu de turpitudes une fois la nuit tombée. Il y a un muret et un parapet sur lequel les couples s’alignent, éloignés de quelques mètres les uns des autres. Un matin à deux heures, je rentrais éméché d’une fête et je traversai ce terrain. Les couples n’étaient plus sur les parapets, mais allongés sur les touffes de pelouse parsemées çà et là. Je n’ai pas cherché à savoir ce que ces silhouettes faisaient allongées là, à la merci des serpents, des cancrelats et des mygales. Je suis passé en sifflotant.

Il y a aussi les devantures des établissements scolaires. Ce sont des endroits où on peut aussi débusquer des couples en mal de sensations fortes. Un soir en passant devant le collège où j’ai fait toutes mes études secondaires, j’ai vu pour la première fois deux homosexuels, des garçons, s’embrasser. Que dis-je ? Se dévorer littéralement la gueule. Je suis passé en sifflotant.

Les voitures. Je dis ça parce qu’un jour, j’ai vu une auto stationnée à un endroit improbable. En m’approchant, je me suis rendu compte qu’elle oscillait sur ses essieux. Et qu’elle émettait des grognements explicites. Je n’ai pas cherché à savoir quelle mécanique permettait à cette voiture de bouger sur place et d’émettre des sons humains. Je suis passé en sifflotant.

Ce sont les seuls endroits où j’ai fait l’expérience de ce type de rencontre. Mais comme je l’ai déjà expliqué ici, l’esprit de mes compatriotes est inventif sur ces sujets et il y a sans aucun doute des choses qui se passent à mon insu.

Par René Jackson et Georges Brassens

*LA maladie : désigne généralement le sida qui on le rappelle, ne se transmet pas par la salive.

PS : Je remercie l’auteure de Cunisie – Sexe et Tabous en Tunisie qui sans le savoir, m’a inspiré ce billet.
Et merci aussi à mon ami Alimou Sow de m’avoir permis d’utiliser ce cliché d’un amour qui (je l’espère) n’est pas caché.