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Mali, tout le monde veut partir

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Jeudi 10 septembre. C’est l’heure, il faut partir. Partir, malgré une sœur qui a du mal à contenir ses larmes à l’idée qu’elle va, pour la première fois, passer plusieurs mois sans me voir. Malgré ses regards, tristes et angoissés, d’enfants qui me fixent pendant un moment comme pour me designer coupable. Coupable de les abandonner. Coupable de partir. J’en viens à me demander si je ne fuyais pas plutôt, parce que lassé de ce pays qui commence à sentir la gangrène, qui a l’air d’un grand corps malade. Mais mon optimisme n’est pourtant pas entamé. Je reste convaincu que ce pays changera, que beaucoup de choses ont changé ailleurs, dans d’autres pays, et qu’il n’y a aucune raison, mais vraiment aucune, qu’elles ne changent pas ici. Tout de même, je pars.

Je ne pars pas pour partir, autant le dire tout de suite, mais pour me changer les idées, explorer d’autres horizons, affronter d’autres réalités. Ici, rester, se battre pour ce qu’on aime, veut, c’est vouloir survivre. C’est vouloir vivre au jour le jour. Ici, on ne vit pas, on survit. Ici, pour reprendre John Jerry Rawlings, on travaille « affamé en se demandant quand et d’où viendra le prochain repas. »

Le sommeil est difficile, parce que les soucis sont lourds à porter. Le drame, c’est qu’il n’y a personne à qui se confier. Partout, ou presque, c’est toujours la même rengaine : ça ne va pas. Ou, autrement dit, ça ne va que pour cette « infime minorité de gloutons. » Partout, c’est la débrouille. La mal vie. La mal bouffe. La misère. Et, au final, la maladie qui vous ronge. Et la mort finit par vous « manger ». C’est comme si on vivait pour rien, comme si on ne signifiait rien, comme si on n’était rien. Rien, pas même des notes de bas de page.

Dans le vol AF 3873 qui nous amène à Paris, je réfléchissais comme jamais je n’avais réfléchis. Pour la première fois, je partais loin, très loin, des miens. J’ai peur pour moi et pour eux aussi. Il y a aussi la peur de l’inconnu. Mais je me console en disant que je finirais par m’habituer, m’intégrer. Dans l’avion, me viennent en mémoire les réactions des amis, parents, collègues…reçues quand je leur ai annoncé mon départ.

« Hormis les vacances, il ne faut plus revenir dans ce pays cruel et infernal. », m’écrit un camarade étudiant, ignorant que je pars pour quelques temps seulement. J’ai été désolé en lisant son message et une vérité, quoi qu’oppressante, est apparue : ici, tout le monde, les jeunes surtout, veut partir. Ils voient dans le départ l’espoir d’une vie meilleure, réussie et pleine de bonheur. Ils voient dans le départ une sorte de délivrance, comme celle que ressent une femme en couches. Partir.

Pour eux, rester, c’est choisir d’être quelqu’un qui ne serait jamais rien. Ils te conseillent de faire tout pour ne pas revenir. « Tu vois toi-même le pays, disent-ils. Tu sais déjà ce qui se passe. Le mort ne sait pas ce qui l’attend dans la tombe, mais il sait ce qu’il a quitté. » Tout le monde veut fuir, comme si en restant, on était voué à l’échec, à l’oubli, à la misère.

J’essaye de trouver une explication. Me vient alors à l’esprit le souvenir d’un débat auquel j’ai participé à la radio Studio Tamani à Bamako. Parmi les sujets que nous devions commenter-nous étions trois journalistes-, il y avait le drame de l’immigration. Le journaliste m’a posé la question :

« Est-ce que le pays fait assez pour retenir les jeunes ? »

Je ne dirai pas que c’est une question à la con, mais je crois que la réponse ne se cherche pas. J’ai répondu que, dans un pays où les élites de la haute administration ne pensent qu’à s’enrichir illicitement, il faut s’attendre à ce que les jeunes partent. Pourquoi vont-ils rester ? Pas d’emploi pour eux, horizon bouché, rêve de vie meilleure brisé.

Boubacar Sangaré


Mali, le pays où tout est frelaté

BocaryTreta, ministre malien de l'Agriculture et du Développement rural
BocaryTreta, ministre malien de l’Agriculture et du Développement rural

Les engrais frelatés, c’est l’affaire qui défraie la chronique et mobilise l’attention de tous ou presque au Mali. Ce débat sémantique autour du qualificatif « frelaté » n’en vaut pas la peine, n’en déplaise au ministre du Développement rural et de l’Agriculture, Bocary Treta, qui préfère évoquer des « engrais hors norme » ou « de mauvaise qualité ». Là n’est pas le débat !

Les intrants agricoles en question sont de mauvaise qualité. Ils sont frelatés, corrompus, dénaturés. C’est ce qui est incontestable !

Le ministre Bocary Treta n’est pas sérieux ! Il se moque du peuple quand il prétend qu’il s’agit d’une manipulation, d’un complot activé par une main invisible qui lui en voudrait à lui, qui voudrait provoquer sa chute ! Les députés l’ont déjà interpellé deux fois sur cette seule et même affaire. Il n’a pas donné le moindre début de réponse à leurs questions. N’a-t-il rien à dire ?

Pourtant, l’affaire est simple. Octobre 2014, Bakary Togola, président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali (APCAM), officieusement conseiller technique de Bocary Treta, a donné à 36 sociétés, dont 29 ne pratiquent pas d’activité agricole, les marchés d’engrais de la campagne agricole 2015-2016. Après analyses, le laboratoire Sol-Eau-Plantes du Centre régional de recherche agronomique de Sotuba (à Bamako), pour ne citer que celui-ci, a conclu que les intrants distribués par certaines sociétés sont de mauvaise qualité. Les engrais avaient bien sûr déjà commencé à être utilisés par les paysans.

Ce qui choque et fâche, c’est que le même Bakary Togola a demandé aux mêmes fournisseurs de reprendre et de remplacer leurs produits dénaturés, mais il a aussi ordonné au Trésor public de leur payer des milliards. Il y a un problème, pardi !

On sait que ce n’est pas aujourd’hui, en 2015, qu’il y a des engrais… comment dire ?…frelatés ou, si vous préférez, monsieur le ministre, hors norme.

Cette affaire a permis de lever bien des masques. On sait maintenant que Bakary Togola, le président de l’APCAM, un paysan qui était devenu le chouchou de l’ex-président ATT et des Américains qui voyaient en lui un self-made-man, n’est pas celui qu’on croyait. « Ce qui est sûr, c’est qu’après avoir fait la pluie et le beau temps sous le soleil du PDES (parti d’ATT), il n’a pas hésité à atterrir avec armes et bagages au RPM (parti au pouvoir) en se disant qu’après tout, tous les chemins mènent à Rome… de l’enrichissement illicite. » écrit Abdoul Madjid Thiam, éditorialiste aux Echos.

Avec cette affaire, il y a vraiment lieu de penser que l’impunité continue à avoir de beaux jours devant elle. Ceux qui pillent les deniers publics ne sont toujours pas inquiétés. Ils dorment aussi tranquillement qu’un bébé le soir, tout ça parce que, I.B.K est plus un chef d’orchestre que d’Etat.
Interpellé sur la question, notre paysan modèle, le self-made-man, a dit qu’il n’y a pas que les engrais qui sont frelatés au Mali, mais qu’il y aussi de l’huile frelatée, de la pomme de terre frelatée…

Autant dire que le Mali est devenu le pays où tout est frelaté. Président frelaté, gouvernement frelaté, ministres frelatés, médecins frelatés, fonctionnaires frelatés, étudiants frelatés, et… journalistes frelatés. Le Mali est un pays… frelaté.

Boubacar Sangaré


Littérature : à la redécouverte de Yambo Ouologuem…

photo: Vent d'ailleurs
photo: Vent d’ailleurs

 

Passé inaperçu à sa publication en 1969, refusé par Le Seuil, Les Mille et une bibles du sexe de Yambo Ouologuem vient d’être réédité aux Editions Vents d’ailleurs. Un texte audacieux qui méritait d’être mis au goût du jour.

Après la réédition en 2003 aux Editions Le Serpents à plumes du livre Le Devoir de violence, vient de paraître <em>Les Mille et une bibles du sexe chez Vent d’ailleurs, dans la collection pulsations dirigée par Jean-Pierre Orban. Publié en 1969 sous le pseudonyme d’Utto Rudolf aux Editions Dauphin, ce livre marque la volonté de Yambo Ouologuem d’écrire dans un genre typiquement européen : « La littérature érotique avec tous les codes du genre ». Malgré son écriture remarquable, ce texte est passé inaperçu à l’époque. Il fut d’ailleurs refusé par les Editions du Seuil.

Pour Sami Tchak, préfacier avec Jean-Pierre Orban de cette édition, Les mille et une bibles du sexe est un roman érotique, construit comme des confessions de couples qui racontent leurs expériences sexuelles et érotiques. « Il s’agit d’une comédie aussi érotique que sociale, un portrait sans retenue d’une société plongée dans la quête de son plaisir. »

A travers ce livre, Yambo cherche à aller au-delà des frontières, à sortir de cette peau ou de cette identité d’écrivain africain. Une audace qui vient s’ajouter à celle d’avoir été « coupable » d’un livre aussi iconoclaste que Le Devoir de violence. Une audace qu’il a aussi payée puisqu’après avoir reçu le prix Renaudot, le premier pour un Africain, une accusation de plagiat a été portée contre lui et a ruiné une carrière littéraire aussi prometteuse.

A la question de savoir ce que vaut aujourd’hui Yambo Ouloguem, Sami Tchak, (lauréat du prix Yambo Ouologuem, à la rentrée littéraire 2015 du Mali, actuel prix Baba Ahmed) répond : « Yambo Ouologuem, de mon point de vue, est un grand auteur dont la lecture des textes nous permet de nous poser beaucoup de questions en même temps qu’elle nous offre un éclairage toujours actuel sur notre monde ».

Cette réédition d’un autre livre de Yambo Ouloguem est, aux yeux de beaucoup, une façon de lui rendre hommage ou justice. Lui qui vit encore à Sevaré, et a été « Prix Renaudot quand les Noirs étaient plus accompagnés vers les bouches d’égout que les marches de podium », pour reprendre Adam Thiam.

Boubacar Sangaré


Mali, vox populi, populi stupidus ?

photo: malijet.com
photo: malijet.com

Nous sommes nombreux à saluer la marche qui a fait sortir dans les rues de Bamako plus de cinq mille Maliens pour dire leur attachement à la paix, à l’unité du Mali. Une marche qui intervient quelques jours après la signature –unilatérale- de l’accord de paix, le 15 mai dernier, entre le gouvernement malien et les groupes armés favorables au Mali. Alors que, l’autre partie belligérante, la CMA, n’a pas voulu apposer sa signature au bas du document.

Les Maliens dans les rues pour se prononcer, il y a vraiment quelque chose de réconfortant dans cela. Cela est beau, salutaire, d’autant plus qu’il a longtemps été fait à ce peuple le reproche d’être simpliste, couché. En effet, depuis l’occupation des régions de Gao et Tombouctou par les islamistes, la rue bamakoise est restée le plus souvent vide, malgré les actes de violence, les exactions dont étaient victimes les populations sous occupation. Pendant longtemps, ce fut un peuple démissionnaire, qui hurle sa colère contre la mauvaise gouvernance, la corruption, dans son salon et dans son « grin » (groupe de discussion informel), mais n’ose pas descendre dans la rue. C’est d’ailleurs ce qui explique l’absence d’une société civile forte. Cette marche d’hier est à n’en pas douter le signe que ce peuple veut enfin se réveiller de la torpeur dans laquelle il a plongé et dans laquelle il n’a rien gagné sinon pauvreté, corruption, injustices, inégalités et népotisme…

Cette marche, à laquelle ont pris les Maliens de toutes catégories socioprofessionnelles, de toutes appartenances politiques, a été organisée pour soutenir l’Accord de paix signé le 15 mai à Bamako. Mais tous marchaient-ils pour la paix et l’unité ? C’est là une question d’importance, car à lire les banderoles – « L’administration à Kidal comme partout au Mali », « Il n’y a pas de questions touaregue, mais le racisme de certains Touaregs », « On veut une Minusma juste et impartiale », « Non à la main invisible de la France », « oui au GATIA, non à la MINUSMA »,– , il y a quelque chose à mettre en exergue : les gens qui marchaient ne marchaient pas tous pour les mêmes raisons.

«Les uns marchent pour la paix, les autres pour soutenir IBK, les suivants pour l’accord, et d’autres encore contre la MINUSMA et la France, etc. », m’a confié une consœur, qui se demande ce que deviendrait le Nord si ces forces internationales quittaient le Mali du jour au lendemain, auquel cas, pour elle, « les bandits divers ne feraient qu’une bouchée du septentrion, et ce ne serait ni la Plateforme ni les Fama qui pourraient les arrêter.»

Editorialiste au journal Le Républicain, Adam Thiam écrit que « la marche visait aussi la France et l’Onu que nombre de nos compatriotes accusent d’être du côté des fauteurs de paix, allant parfois jusqu’à l’appel au meurtre. »

Gallophobie, « seconde mort de Damien Boiteux »

C’est un fait, une marche se fait aussi souvent avec des voyous et des imbéciles qui ont l’outrecuidance de commettre des actes dont ils ne mesurent pas la gravité. Comme c’est le cas de ceux qui ont mis le feu au drapeau français au cours de cette marche. Un comportement inadmissible qui vient rappeler que la foule est dangereuse, donnant ainsi du poids à ce que Alcium disait au VIIIe siècle à Charlemagne : «Et ces gens qui continuent à dire que la voix du peuple est la voix de Dieu ne devraient pas être écoutés, car la nature turbulente de la foule est toujours très proche de la folie ». Autrement dit, « vox populi, populi stupidus». Il faut le dire, brûler le drapeau d’un pays est tout sauf rien.

A Bamako, au cours de la marche du 26 mai, le drapeau français a été brûlé. Et cela, trois ans après le lancement par  la France de l’opération Serval pour éviter au Mali de passer sous le contrôle des faussaires de la foi que sont Aqmi, Mujao et Ansar Dine. Les terroristes ont été délogés, et quelques mois après, des centaines de Maliennes et Maliens avaient accueilli, remercié, vénéré François Hollande, aux cris de Vive la France ! Pour en arriver là, écrit Adam Thiam (qui pense que cet acte symbolise la seconde mort de Damien Boiteux), « il fallut, merveilleuses pages de solidarité humaine écrite dans le sang, le sacrifice de Boiteux et de sept autres de ses camarades dont le dernier est tombé en 2014. Il fallut que des soldats héroïques du Tchad ratissent Tegargar. Il fallut que des soldats de la paix acceptent le risque de mourir pour la liberté du Mali. Le dernier soldat de la paix est tombé lundi soir, à Bamako, loin de Kidal, Tombouctou ou Gao, ces théâtres ensanglantés d’une tragédie qui paraît interminable.»

Et enfin, il faut convenir que les Maliens ont pris le pli de crier plus sur les autres que sur eux-mêmes. Et depuis quelque temps, il y a chez le peuple malien comme un sentiment anti-français, qui va crescendo. On se souvient qu’il y a bientôt un an, des organisations de la société civile appelaient à un boycott des produits français.

Boubacar Sangaré


Mali : Iss Bill, faire du rap pour qu’on le… réécoute

Iss Bill, Jeune rappeur malien, Photo: RHHM
Iss Bill, Jeune rappeur malien, Photo: RHHM

« X, Y ont tous merdé, qu’est-ce que Y fait à la C.P.I. quand X traîne en R.C.I./Justice, deux poids deux mesures, comme toujours/Est-ce qu’on aura des Lumumba s’il existe encore des Mobutu/Crimes impunis et ils nous parlent de droit/Même les gosses du primaire savent qui a tué Sankara…»

Ces paroles ne sont pas d’un militant du Front populaire ivoirien (FPI). Non, elles sont d’Iss Bill, jeune rappeur malien qui, dans « Rebelle », morceau tiré d’une mixtape intitulée « Les aventures d’IBK », dit de lui-même : « Je suis ingouvernable, fuck ton président/J’ai plus de gars sûrs que François Hollande n’a de partisans/J’suis opposant, mais pas Mariko/Je n’veux pas entrer dans l’histoire en trichant comme Haya Sanogo ».

Paroles travaillées, rap conscient, engagement dans le texte, ce rappeur de 20 ans dénonce dans cet album ces dirigeants pour qui le peuple n’est que « vanité », les crimes contre l’humanité, l’Union africaine, « ces millions par mois pour des putschistes ». Et surtout la guerre en Afrique, singulièrement celle au Mali, qu’il évoque dans les morceaux « Maliba for ever » et « Combien d’fois on va les dénoncer », où il appelle les Maliens à l’union, à « libérer la paix et à enterrer la hache de guerre », évoque les nombreuses morts, les déplacés. « Quand les cœurs ne s’unissent pas, c’est Sheïtan (Satan) qui regale/ Faut pas graver dans l’histoire ce que la vertu condamne/ Ne me parles de charia quand tu pues la haine/ Tu me feras rire comme Oussama Ben Laden.», crie-t-il contre les hordes barbares d’Aqmi, du Mujao et d’Ansar Dine, qu’il appelle les « imposteurs » qui « ont remplacé la notion de Jihad par fusillade. »

Iss Bill, de son vrai nom Issouf Koné, est venu au Mali de la Côte d’Ivoire en 2012 pour entrer à l’université. Mais, le diplôme du bac en poche, la musique prenant trop d’ascendant, les difficultés financières s’en mêlant, il a fait son deuil des études pour se lancer dans le rap. Au lycée, à Abidjan, l’album « Dans ma bulle » de la rappeuse française d’origine chypriote, Diam’s, qu’il considère comme un grand talent du rap français, l’a beaucoup marqué. Outre qu’il écoutait Oxmo Puchino, IAM, Medine, Kerry James, Tata pound… Enfant, il était turbulent, passe le plus clair de son temps à traîner devant les boîtes de nuit, les maquis, ce qui lui vaudra le surnom de Billy the kid, célèbre hors-la-loi du XIXe siècle. De là « Bill » de son nom d’emprunt « Iss Bill ». Pourquoi avoir abandonné les études pour le rap ? Il répond, un peu hésitant, que « les diplômes, c’est de la façade. Il y a des rappeurs, comme Diam’s, qui n’ont pas de diplômes, mais qui écrivent bien. C’est pas forcément une affaire de diplôme, ça n’a rien à voir. Le rap, c’est une affaire de talent.»

« Y a rappeur et rappeur »

Au Mali, dans ces dernières années, le microcosme du rap a poussé comme un champignon. Le rap est devenu un art un peu prisé, plus qu’il y a une décennie, où celui qui choisissait de faire du rap était logé à la même enseigne que quelqu’un qui a commis un crime de lèse-majesté. Aujourd’hui, admet Iss Bill, « le rap a beaucoup évolué, il y a beaucoup de jeunes qui font des choses impressionnantes, qui ont du talent.» Mais, relativise-t-il, « c’est vrai qu’il y a des dérapages, comme les clashes insupportables qui n’en finissent pas. Et il y a rappeur et rappeur : il y a ceux qui le font parce que les autres le font, et ceux qui le font avec du cœur; ces derniers sont très peu.»

Pour lui, le « clash salit l’image du rap » et il propose à sa place de faire l’egotrip (Un texte est dit egotrip s’il a pour but de flatter son propre ego, de se vanter. Sa forme est souvent plus travaillée que son fond car un texte egotrip est rarement à prendre au premier degré. Ces textes sont souvent constitués de punchlines). « J’peux pas répondre à vos clashs de merde/J’ai trop de choses à dire, et puis c’est pas ça qui nourrit ma fille/Je me bats qu’avec les hommes je vous l’ai dit, et comme j’en vois/Aucun dans l’game », dit-il dans « Rebelle »

C’est un fait, au Mali, les adolescents sont les plus friands du rap, contrairement à aux adultes qui sont pour la plupart d’avis qu’il est inutile et ne vaut pas une heure de peine. « Quand il n’y a que des enfants qui s’y intéressent, c’est que c’est pas intéressant. Mais si c’est des médecins, avocats, écrivains, directeurs, policiers, ça veut dire que ce qu’on fait est bien, comme Mylmo par exemple, que tout le monde aime… », dit Iss Bill avant d’ajouter qu’il écoutait « tout récemment une interview d’Akhaneton de IAM qui disait qu’aujourd’hui des directeurs de sociétés, des types qui ont réussi, viennent lui dire qu’ils l’écoutaient quand ils étaient encore petits. Cela veut dire que ce qu’il faisait est intéressant. »

Sa devise, il la tient de Medi, le rappeur français d’origine algérienne qui a déclaré : « Je fais du rap pas pour qu’on l’écoute, mais pour qu’on le réécoute. » Et quiconque l’écoute se rendra vite compte que Iss Bill est fidèle à cette définition originelle du rap, c’est-à-dire « un coup de gueule », « une expression de la rage », « une voix de ceux qui n’en ont pas ». Ne voulant pas faire de l’art « la recherche exclusive du beau », il veut à travers le rap éveiller les consciences. Avec lui, il va sans dire qu’on est loin de ce rap de niveau bac à sable, que nous servaient il y a quelques mois les clashes dégoulinants d’insanités de jeunes rappeurs maliens. On sait qu’il s’agissait plus de règlements de compte que de prise bec artistique. Que ceux qui pensent que « Les aventures d’IBK » parlent d’Ibrahim Boubacar Keïta se détrompent : il s’agit de Iss Beat Killer (IBK), donc Iss Bill lui-même.

Le jeune rappeur se rebelle : « Et, qu’est ce que ma langue ferait dans ma poche ? C’est pas un objet/…/Trop d’leaders assassinés, trop d’leaders en prison/Pour l’emporter j’suis né, liberté de pression/De circulation comme les électrons/Je vote, j’me trompe, donc fuck les élections». Avec son groupe Bamada City Crew (Groupe d’artistes de rue réunissant rappeurs, graffeurs, DJs, breakdancers… tout ce qui touche à la culture Hip Hop), ils sont en train de préparer un album. En solo, son album, dont « Les aventures d’IBK » est le prélude, sera bientôt mis sur le marché : « Si l’album sort, j’fais un disque d’or ou j’arrête le rap/…/Africa Voice, plus qu’un album contre le système, une rébellion». En attendant l’album « Africa Voice », savourons la mixtape « Les aventures d’IBK ».

Boubacar Sangaré

Boubacar Sangaré


Littérature : quand la poésie crie et explose

 

C’est un recueil qui vient enrichir la poésie malienne, genre dans lequel la production se révèle encore bien maigre, tant il est difficile et privé des faveurs du public. Préfacé par Alassane Souleymane, Nation en sommeil (suivi de Nouvelles du Mali) est le nouveau livre d’Aboubacar Maïga, journaliste à l’ORTM et enseignant d’université.

C’est d’abord un livre intime où, avec des vers qui cascadent comme une chute d’eau, le poète célèbre le Mali, ses monuments, le palais de Koulouba, Bamako. Il rend hommage aux artistes, aux Aigles, chante son amour pour ses parents, ses petites sœurs.

Cependant, rapidement, la poésie explose et le poète, faisant un précepte de cette phrase d’Abdellatif Laâbi « plonger le bistouri partout où l’homme a mal », s’insurge contre la souffrance, exprime son insatisfaction, refuse la facilité et l’ordre établi. Nation en sommeil, poème éponyme du livre peint sans concession les tares qui ont permis les dérives actuelles du pays : corruption, népotisme, spéculation foncière. Les crises, l’éducation, l’immigration, la cherté de la vie, les maladies, le basculement des normes sociales n’échappent pas à la lucidité douloureuse du poète. « Des empires, tu devins pays des carriéristes salariés sans vocation/Si nous ne sommes pas en train de prier, sommes en train de jeûner/Sinon dans l’embouteillage simulant de vaquer à nos occupation/Le reste du temps au grin, aux mariages, aux baptêmes ou au dîner/On ne trouve jamais un employé à son poste au moment où il faut/Même la secrétaire vient quand il lui chante après levée du drapeau/Quatre heures dans la circulation, deux heures et demie au bureau », crie-t-il.

Dans Rien, il y a une bonne dose de désespoir et de morbidité. Ce poème comporte des aphorismes pessimistes, résonne de questions existentielles qui renvoient au texte De l’inconvénient d’être né du grand pessimiste roumain, Emile Cioran : « A peine né, on prie déjà pour ce qu’on n’a pas encore commis/Et c’est juste là le gouffre d’où découlent tous nos tourments !/Croire juste pour croire, nos temples remplis sans vraie foi/A nous un monde à la fois petit et vaste, simple et compliqué/Avec une vie si courte et comblée d’inattendus!/Mais pourquoi nous devons être et un jour ne plus être ?/ Pourquoi même naître ?/ pourquoi venir porter ces galères et ces haines ? » (Rien, P.24)

Les questions existentielles posées par Aboubacar Maïga renvoient aussi à la perception que nous avons du temps. Perception selon laquelle la vie est linéaire : un parcours, on vient au monde et on meurt au final. On va d’une extrémité à une autre. Il est clair que personne ne peut fournir des réponses à ses questions. Il a les réponses au fond de lui-même. Ou peut-être les ignore-t-il lui aussi. Et bienheureux les ignorants. Dans son texte, Emile Cioran aussi fait prendre conscience à l’homme de sa finitude et est près d’évoquer l’absurdité de cette vie qui « ne vaut pas la peine d’être vécue » : « Si, autrefois, devant un mort, je me demandais : « A quoi cela lui a-t-il servi de naître ? », la même question, maintenant, je me la pose devant n’importe quel vivant ». (De l’inconvénient d’être né, P.10)

Et c’est évidemment à ce texte que Sami Tchak, le Togolais, dans La Fête des masques, fait un clin d’œil lorsqu’il fait dire à Alberta ses propos teintés de pessimisme : « Parfois, je pense que ça ne vaut pas la peine de naître. Mais, bon, quand on est déjà né, on doit faire avec. » (P.21)

Ce recueil est apporte plus-value à la littérature universelle, celle des Voltaire, Shakespeare, Camoes, Goethe, Cervantès, Dostoïevski, en ces sens qu’il en aborde quelques thèmes (universels) tels que l’amour, la mort, la liberté. La parole y est éclatée avec une surcharge d’images, une absence de contrainte syllabique, et un déploiement des mots d’après une rythmique spontanée. On sait que depuis 1980, l’engagement dans la poésie africaine n’est plus une obligation, et la création, selon Jules Monnerot ( principal artisan de L’Etudiant Noir) devient « un procès solitaire où l’unique contrainte pourrait être la fidélité du poète à son inspiration personnelle. » Dans le recueil, le poète réussit à faire de la poésie un enregistrement du malaise social, en ce sens qu’il ne manque pas de toucher à la récente crise que le pays a traversée.

Boubacar Sangaré 


CAF, jusqu’où ira Issa Hayatou ?

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Le mardi 7 avril 2015, au Caire, le texte concernant la modification de la limite d’âge pour l’accession au Comité exécutif de la Confédération Africaine de Football (C.A.F) est passé comme la lettre à la poste, en marge de la 37e assemblée générale ordinaire de l’institution. Les délégations des 54 pays membres l’ont adopté.

Pour beaucoup de spécialistes du ballon rond, africains s’entend, il y a baleine sous le gravier quant à l’adoption de ce texte, comprendre qu’il n’est rien de moins qu’une manœuvre de plus qui ne dit pas son nom pour permettre à Hayatou, le président de la CAF, de postuler pour un 8e mandat en 2017. A 68 ans, Hayatou serait en effet out en 2017, le règlement de la CAF interdisant à une personne de plus de 70 ans de se porter candidat pour devenir membre du comité exécutif. Mais pour Hayatou lui-même, ce texte va dans le sens de « l’abrogation de ces textes dans les statuts de la FIFA » comme il a été décidé le 8 juin 2014 à Sao Paulo au Brésil dans la cadre d’une assemblée générale. Donc plus de limite d’âge pour les candidats à une élection et Comité exécutif de la FIFA et à celui de la CAF.

Ainsi, comme en 2012 après l’adoption de l’amendement d’après lequel « tout candidat aux élections à la présidence de la confédération africaine de football, outre les compétences nécessaires, devra être ou avoir été membre du comité Exécutif de la CAF » proposé par le président de la fédération algérienne de football Mohamed Raouraou, les débats suscités par ce nouveau texte enflent. A l’époque, on s’en souvient, cet amendement posait problème pour certains qui y voyaient une tendance à restreindre les libertés de choix des dirigeants, et outre cela, à installer la CAF dans une espèce de vase clos ; tandis que d’autres, personnalisant le débat, s’étaient avancés jusqu’à dire que cette loi ne serait que l’arbre qui cache la forêt d’une volonté  du lion indomptable, Issa Hayatou, d’empêcher la candidature de Jacques Anouma, l’ancien président de la fédération ivoirienne de football, qui s’était déclaré candidat pour les élections de mars 2013 au Maroc.

Aujourd’hui, comme en 2012, il est impossible de ne pas dire qu’Hayatou, à la tête de la CAF depuis 1988, après Mohamed Abdelhalim, marche encore une fois dans le même sillage troublant, au point qu’on est bien en peine de donner des définitions à son attitude. Parce que s’il y a une évidence dont beaucoup d’amoureux du ballon rond se sont rendus compte, c’est que la démocratie, la transparence, la liberté et que sais-je-encore, ces valeurs sûres, ne font pas partie des hits parades de la CAF. Parce que aussi là où Hayatou est indéfendable, c’est qu’il est marqué par cette absence de la culture de savoir passer la main, et est comme porté par la propension à vouloir maintenir l’institution dans la fixité, l’immobilité et l’uniformité. Jusqu’où ira-t-il ? Nul ne le sait. Mais une chose est sûre : si Hayatou ne laisse pas la place, c’est la place qui le laissera !

Boubacar Sangaré


Mali, faire le changement avec celles et ceux qui n’y croient pas

Comment faire le changement dans un pays où corruption, concussion, gabegie, clientélisme qui ont permis les dérives actuelles ayant conduit le pays à la faillite, gagnent en ampleur ? Dans un pays où les actes, agissement des dirigeants ôtent toute envie au peuple de croire au changement. Voici un papier publié en juillet 2013, dans l’hebdomadaire Le Pays. Il contient des réflexions que je souhaite repartager.

Peut-on faire le changement avec des personnes qui s’y refusent délibérément, n’y croient pas et répètent à l’envi à qui veut l’entendre que ce pays ne va jamais changer ? C’est là une question d’importance qui mérite qu’on y réfléchisse. Il n’est pas besoin de dire que les récents évènements qui ont secoué le Mali poussent à aborder cette question, d’autant que ce pays a été mis à genoux du fait de la mauvaise gouvernance de ses propres fils dont il est inutile de rappeler le degré d’inconscience. Aussi cette question cadre avec cette période de campagne électorale qui prélude à l’élection présidentielle demandée à cor et à cri par nombre de puissances, les Etats-Unis et la France en tête.

Cela amène à faire un petit rappel, toujours utile, qui consiste à dire qu’après la révolution du 26 mars 1991 qui a balayé le régime monolithique de Moussa Traoré, les « démocrates » qui sont venus au pouvoir ont été pires que ceux qu’ils ont supplantés. Et c’est à partir de cette période qu’ont été jetées les bases de la domination d’une minorité riche sur une majorité pauvre comme des mouches. C’est pourquoi ceux qui sont nés dans l’aurore de cette démocratie n’ont connu que corruption, favoritisme, népotisme et piston. Des phénomènes qui ne vont pas avec la démocratie, mais grand paradoxe, que la démocratie elle-même contribue à créer. Le résultat se passe de commentaires : les systèmes éducatif, culturel et sportif se sont désagrégés, une armée lamentable croulant sous le poids d’une corruption de grande échelle… Un pays ankylosé. Il est difficile de ne pas intégrer cette partie dans une réflexion sur le Mali.

Les Maliens attendent le changement voilà bientôt plus de vingt ans, le fleuve de l’espoir dont ils étaient remplis a tari. Le changement n’est pas venu. La raison est simple à saisir. Le peuple malien ne sait pas ce qu’il veut, c’est tout. Certains discours maintes fois entendus font suffoquer d’indignation. De fait, le Malien est l’une des rares personnes sur cette terre à se promettre le pire des lendemains. Une véritable schizophrénie dont je suis bien en peine de déterminer les causes réelles. « J’ai été dimanche dernier à un meeting du PDES. J’y ai été parce qu’ils nous ont payé de l’essence. Et puis, toi tu ferais mieux de changer de discours, parce que ce pays ne va jamais changer. Moi, je cherche juste où donner de la tête, le reste ne me regarde pas. Même après les élections, ce sont les mêmes voleurs qui viendront au pouvoir », ces propos sont d’un étudiant qui dit à qui veut le croire, et cela avec une complaisance insupportable, qu’il ne redoublera jamais tant que l’administration de la faculté reste un caravansérail d’opportunistes de tous poils, de corrompus notoires et d’idiots contemporains. A celles et ceux qui veulent me faire observer qu’« une hirondelle ne fait pas le printemps », je leur précise que ce n’était pas la première fois que j’entende pareil discours. Des amis journalistes, administrateurs civils, hommes politiques me l’ont déjà servi. A dire vrai, cette schizophrénie peut trouver son explication dans la déception provoquée par, encore une fois, vingt ans de mauvaise pratique de la démocratie et de mauvaise gouvernance.

Et c’est là que le rôle des élites maliennes devient important. C’est à elles qu’il appartient aujourd’hui de sommer ces Maliens de se réveiller, de leur dire qu’il n’est pas trop tard pour le Mali, que beaucoup de choses ont évolué ailleurs, dans d’autres pays, et que cela ne reste pas impossible au Mali et aux Maliens. Il ne s’agit pas de se répandre en invectives contre eux dans les conférences, ouvrages et articles, mais de leur dire qu’ils ont tout avantage à aimer ce pays, à apporter leurs pierres à sa refonte. C’est uniquement cela qui peut vaincre le mal-être malien.

(1) Le véritable changement passe nécessairement par un changement de génération – Le pays

PDES  : Parti pour le développement économique et la solidarité.

Boubacar Sangaré


Pour Anselme Sinandaré, David Kpelly crie

 

Le 15 avril 2013, le jeune collégien de 12 ans, Anselme Sindaré, a été abattu par balle par un gendarme à Dapaong, au nord du Togo, au cours d’une manifestation d’enseignants qui réclamaient une augmentation de salaire. Le 18 avril, c’est-à-dire 3 jours plus tard, le premier ministre togolais Arthème Ahoomey-Zunu, répondant aux questions de Christophe Boisbouvier dans « Afrique matin », avait promis que toute la lumière sera faite sur cet assassinat odieux. En réalité, au Togo, la mort d’un enfant de la plèbe, du Togo d’en bas, n’a aucune valeur aux yeux du pouvoir. C’est juste un fait divers qui ne mérite pas une ligne dans la rubrique des chiens écrasés.

Anselme Sindaré est mort, il y a 3 ans, sous les balles d’un gendarme qui n’a jusqu’ici pas été inquiété. Il est mort, mais son âme ne peut pas reposer. Pour qu’il dorme enfin en paix, David Kpelly a pris la plume pour dénoncer les actuels maitres du Togo qui semblent avoir bonne conscience, pour les tirer de leur quiétude devant tous les crimes restés impunis : des centaines de Togolais tués par balle en 2005, Tavio Amorin assassiné il y a 20 ans, Atsoutsè Agbobli tué il y a cinq ans, Etienne Yakannou incarcéré dans l’affaire des incendies et mort…

Pour que dorme Anselme est un recueil de lettres ouvertes publiées chaque mois sur Internet, adressées au premier ministre Arthème Ahoomey-Zunu, pour lui rappeler sa promesse de mener l’enquête sur la mort du petit Anselme. Douze lettres en guise d’uppercuts assenés au premier ministre. Tout a commencé par une lettre publiée sur Internet par un étudiant togolais vivant en Guinée. Il y apostrophe les internautes togolais, en particulier David Kpelly, dont il ne comprenait pas le silence devant l’agitation de la vie sociopolitique togolaise. Il confiait sa déception de voir David Kpelly ne s’intéresser qu’à la situation malienne. Gêné, il l’était Kpelly. Lui qui ne se considérait que comme « un citoyen révolté, chassé de son pays par le chômage, et vivant dans des conditions difficiles au Mali. », et qui n’écrivait que pour se « soulager », « crier » ses « frustrations » et ses « attentes ». « J’ai, avant tout, envie de parler pour moi. », tonne-t-il dans la préface. C’est ainsi qu’il a décidé d’écrire des lettres au premier ministre afin de lui rappeler sa promesse.

Kpelly sait que devant la mort non élucidée de tous les martyrs togolais, celle du jeune Anselme n’est qu’une goutte d’eau dans la mer. Mais pour sa mère, cet enfant est tout. « Il compte pour sa mère plus que vous ne comptez pour la vôtre. Ces femmes, ces ménagères livrées à leur dure réalité quotidienne ne placent leurs espoirs que dans leurs enfants. Elles voient en eux la réalisation de tous les rêves qu’elles n’ont pas pu réaliser elles-mêmes. Ce n’est donc pas un enfant que vous avez tué, c’est le rêve d’une femme, l’avenir d’une famille, que vous avez fracassé. Ce petit Anselme était tout pour sa mère. Elle y voyait tout son avenir, comment devenu grand, cet enfant fera vivre le paradis à la vieille femme qu’elle sera devenue. », écrit-il.

L’auteur, dans ce livre qu’il considère comme « le lamento d’un simple citoyen qui crie avec une famille éplorée, réclamant justice pour un frère innocent, un énième frère innocent, tué trop gratuitement, trop atrocement, sur la Terre de ses aïeux, la Terre de nos aïeux » réussit l’exploit d’écrire joliment. Son style est imagé, sobre et simple, certainement pour rendre le texte accessible au public qui en sera sensiblement touché. Une écriture à la Sami Tchak. Un humour dans l’art duquel il est près de passer maître. Le tout mâtiné de proverbes dont l’utilisation pour nous autres Africains atteste du savoir-parler et de la sagesse du locuteur.

Le régime togolais en prend pour son grade. Kpelly l’accuse d’empêcher les Togolais de vivre dans « la joie, cette joie de vivre qu’on a quand on est chez soi, mais ne la trouvent pas. », d’acheter lors des élections « des vois, de corrompre les délégués des opposants, de payer des délinquants pour perturber les rencontres des opposants, de distribuer des gadgets aux électeurs à la veille des élections… pour qu’on vote pour vous. » Ce régime qui, malgré les efforts faits sur le plan des infrastructures, continue d’être boudé par le peuple qui a souffert et continue de souffrir. Il est scandalisé par les naufrages à Lampedusa en 2015 et pousse le cynisme jusqu’à comparer le Togo à cette île, car pour lui, « Le drame de ces hommes sans espoir, ayant vécu dans la misère, les larmes, les humiliations… et qui sont morts dans la plus grande atrocité, les yeux rivés sur une pâle lueur d’espoir, est aussi celui de la majorité du peuple que vous dirigez, le peuple togolais ». 

L’affaire Anselme Sindaré est pour Kpelly une TRAGEDIE. Une tragédie parce qu’il s’agit d’un enfant exécuté en plein jour dont l’assassin court toujours. Une tragédie pour une mère, une famille, un village, une région et tout un peuple qui réclame justice.

Pour que dorme Anselme, Lettres ouvertes à SEM Arthème Ahoomey-Zunu, premier ministre togolais, sur la mort d’Anselme Sinandaré, David Kpelly, Editions Awoudy, 2015

Extrait : « Je pourrai vous raconter ces loques de vie, qu’on rencontre dans tous les coins et recoins du Togo, qui, lassés d’espérer, ne pensent qu’à deux choses, quitter le Togo ou mourir. Je pourrai vous raconter les larmes de la femme d’Etienne Yakanou, cet opposant que vous avez récemment tué en prison, quand à la rentrée prochaine elle aura des difficultés pour inscrire seule ses enfants à l’école. Je pourrai vous raconter la tragédie de l’un de mes meilleurs amis de lycée, Apenyo A., un jeune homme si travailleur, si ambitieux, mais qui, désespéré après ses inexplicables échecs à l’université, s’était reconverti en conducteur de taxi-moto et enseignant vacataire d’école privée, avant de mourir l’année passée d’une maladie qu’il n’avait pas eu les moyens de guérir. Et la démence de cette femme quinquagénaire qu’on m’a montrée dans une banlieue de Tsévié en 2012, qui erre, comme une folle, chaque jour, prononçant le nom de son fils tué à Lomé pendant les violences postélectorales en 2005. Je pourrai, je pourrai… oui, je pourrai vous raconter l’histoire d’un jeune collégien de 12 ans, Anselme Sinandaré, sorti en bonne santé de chez lui un matin, et qu’on a rapporté à sa mère, mort, lourd, tué par balle… »

Boubacar Sangaré


Mali, de la révolution à la régression ?

Des Maliens dans la rue le 26 mars 1991. Crédit: maliweb
Des Maliens dans la rue le 26 mars 1991. Crédit: maliweb

Il y a 24 ans, le 26 mars 1991, les Maliens alors pris dans l’étau d’une dictature militaire du Général-président, Moussa Traoré, se sont retrouvés à la croisée des chemins. Il était impossible d’être neutre. Il fallait choisir sa destination. Au bout de quatre jours de carnage, d’état d’urgence et de couvre-feu, le colonel Amadou Toumani Touré opérait un coup d’Etat militaire qui balayait un pouvoir aux abois, qui s’était lui-même installé après un coup d’Etat militaire en novembre 1968. Les élèves, les étudiants, l’association malienne des droits de l’Homme (AMDH), l’ADEMA, et d’autres pionniers allumaient la mèche d’un soulèvement populaire qui allait ramener le Mali à la démocratie. Ils n’en pouvaient plus du pillage concerté de l’Etat. Ils exigeaient le retour des militaires dans les casernes, l’organisation d’élections libres restituant les commandes du pays aux civils engagés dans la voie d’un multipartisme démocratique.

Ce fut l’occasion de remettre le Mali en selle, de tourner la page de la corruption, concussion. Ce fut ce que d’aucuns n’ont pas hésité à appeler « le printemps malien ». Tout était à faire ou à refaire. A l’époque, les défis étaient énormes : défi urbain, aménagement du territoire, fanatisme religieux, tentation totalitaire du pouvoir, question institutionnelle. Ce sont là des problématiques qu’il fallait régler pour ancrer le Mali dans la démocratie, le conduire au développement, à la stabilité.

Mais, les différents dirigeants que les élections ont porté au pouvoir ont donné des leçons que les Maliens ont bien tirées. L’une des leçons bien assimilées par le Malien est que la politique est devenue une source de richesse personnelle. Aux idéaux de la révolution a succédé un mouvement de régression. Un statu quo politique.

A la question de savoir ce que fut réellement le 26 mars 1991 pour le peuple malien, Maître Mamadou Ismaël Konaté, avocat de renommée internationale m’a répondu qu’ «il s’agit sans doute d’une révolution plus que d’une régression. L’aspiration profonde du peuple du Mali était l’ouverture démocratique, incompatible avec le régime politique de l’époque, basé sur l’unicité et le centralisme démocratique. Ce régime de parti unique était d’ailleurs conforme à ce qui existait dans la plupart des pays d’Afrique, caractérisé par l’absence de grande compétition, peu favorable au suffrage universel ».

Mais l’avocat a émis, comme beaucoup d’analystes politiques, des réserves quant à l’emploi du mot « révolution », qui, selon lui, paraît énorme, à partir du moment où le changement tant espéré en matière d’éducation, d’amélioration de la santé, de bien-être, de construction de l’Etat, et de la consolidation des institutions et de la démocratie n’a pas eu lieu.

Faut-il en déduire que la démocratie a été un échec ? Impossible d’être aussi affirmatif.

Le 22 mars 2012, une fois de plus, c’est bien un régime légal, constitutionnel qui a été renversé par un coup d’Etat militaire. Résultat : un pays disloqué, embrasé, faute de cohésion sociale. L’idée de nation, de patrie est devenue « cosmétique » devant celles de race, d’ethnie, de religion et d’origine, laissant place ainsi à un autre défi, celui de la réconciliation nationale qui incombe à chaque Malien.

De fait, la rébellion armée du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) démarrée au premier trimestre 2012, a ouvert les portes à l’occupation des trois régions du Nord du Mali, Tombouctou, Gao et Kidal, par les soldats de cette idéologie littéraliste (le terrorisme) que sont Al-Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), le Mouvement pour l’Unicité et le Djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), et ANSAR Dine.

Cette rébellion n’était pas un phénomène nouveau : depuis l’indépendance, le pays en a connu quatre. Ce qui l’a été en revanche, fut l’occupation du septentrion par les terro-bandits du MUJAO, d’AQAMI et d’ANSAR DINE. Ils ont semé la terreur dans les villes, commis des atrocités, des exactions à l’encontre des populations. Le fanatisme religieux, qui a ruiné l’Afghanistan, embrasé l’Algérie, muselé l’Iran et qui fait que la Charia islamique défie depuis un certain temps la loi fédérale au Nigéria, s’était installé et s’appliquait dans la partie Nord du Mali, ébranlant tout le pays, dont la population, à majorité musulmane, pratique un Islam tolérant et modéré. Au Nord, des mausolées ont été détruits, des couples accusés à tort ou à raison d’adultère ont été fouettés, ceux qui ont été accusés de vol ont eu la main coupée, des viols de personne, des crimes de guerre ont été commis…Tout cela au nom d’une Charia Islamique interprétée au gré de fantasmes.

Le traumatisme et les dommages corporels subis par les populations ont été immenses. De surcroît, la rébellion a réveillé les vieux démons de la division. La notion de régionalisme et de nation a été remplacée par celle d’appartenance à la tribu, signe incontestable que l’Etat est devenu petit et faible.

Aujourd’hui, les Maliens sont engagés sur le chemin de la réconciliation et de la paix. Tout le monde veut la paix, et la réconciliation.

Pourquoi les Maliens doivent-ils se réconcilier ? Parce que le vivre-ensemble s’est évaporé. Sinon pourquoi les Maliens n’en finissent-ils pas de s’affronter à Zarho, à Bamba, à Kidal…? N’est-ce pas parce qu’ils ne se pensent plus en Maliens mais seulement en membres de la communauté des Arabes, de la tribu des Ifoghas, des Imghads, des Peuls, des Sonrhaïs etc… ? Ne sont-ils plus Maliens avant tout ?

24 ans après ce prétendu « printemps malien », la déliquescence de l’Etat malien amène à dire que la révolution a débouché sur un mouvement de régression. « Une société n’est jamais immobile, elle est en mouvement. Mais le cadre dans lequel elle évolue influe sur la direction de ce mouvement. Cela peut être un mouvement vers l’avant où la créativité et la solidarité des femmes et des hommes s’expriment sur la base d’un patrimoine historique commun. Cela peut également – et les exemples ne manquent pas – être un mouvement régressif où l’idée nationale s’étiole au profit du «localisme» sans envergure de la tribu, du arch, du douar voire du quartier.(1) », écrit K. Selim, l’éditorialiste vedette du Quotidien d’Oran. Cette formulation peut s’appliquer à la société malienne. Elle n’est pas immobile, en effet. Elle est en mouvement, mais en mouvement régressif.

  • GHARDAÏA, POURQUOI ?, Par K. Selim, Le Quotidien d’Oran

Boubacar Sangaré

 


Les indignés de la Fac…(troisième partie)

Faculté des Sciences Juridiques et Politiques/ photo: maliactu.net
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques/ photo: maliactu.net

Des jours avaient passé. Des nuits aussi. Aïcha n’avait pas su tenir sa langue, et s’était ouverte à sa voisine de table, Assa.

– Tu sais, Assa, dit Scotty, je pense qu’il est grand temps pour nous de cesser de nous lamenter. Si on ne fait rien, toutes les étudiantes, je dis bien toutes, seront des grognasses comme Aïcha. Nettoyer cette Faculté, c’est bien une affaire que nous devons prendre en main.

– Oui, mais… En quoi faisant ?

Scotty se pinça le bout des lèvres, impassible. Il fixa le sol. Puis, il dit :

– J’ai une idée que tu vas peut-être trouver folle. Mais cela fait des mois et des mois que je réfléchis à la création d’un journal dans cette Faculté.

En entendant le mot Journal, Assa ne put cacher sa surprise. Elle sourcilla.

– Mais tu sais mieux que quiconque que cela demande des moyens immenses !

– Non, pas seulement des moyens. D’ailleurs, dans la vie, rien n’est jamais seulement une question de moyens. Ne dit-on pas souvent que « quand on n’a pas les moyens, il faut avoir les idées. » Tu peux me croire, ça va marcher comme dans un rêve. Comme je te l’ai toujours dit, les plus belles initiatives ont été nourries sur les bancs de l’université. Oui, l’université ! C’est là qu’une poignée d’étudiants et d’intellectuels isolés, ont créé la Négritude, le journal L’Etudiant Noir. Pour résister aux clichés, aux injustices auxquels l’Histoire a soumis leur race.

– Mais ce n’est plus la même situation !

– Nom de Dieu ! Comment oses-tu dire que ce n’est pas la même situation ? Au contraire c’est la même situation qui s’est prolongée. Le néocolonialisme, jour après jour, étend son horizon impérial, avec la démocratie française, le libéralisme anglais, le mode de vie américain… Cherche à lire Stanislas Adotevi. On résiste aux difficultés selon notre temps, selon les moyens de notre temps. N’oublie pas que nous sommes à l’université. Ici, nous n’avons nullement besoin de sortir un pistolet pour nous faire entendre ; Il nous suffit d’user de la violence intellectuelle, d’être créatif. Avec ce journal, nous allons dénoncer, informer, éduquer. Appeler nos camarades à la résistance.

Scotty, il croyait autant à la presse qu’un enfant à la parole de son père. Il allait continuer sa plaidoirie si les idées dubitatives de Assa n’avaient pas déposé les armes au pied de ses démonstrations inébranlables.

Si l’homme ne vivait pas qu’une seule vie. Si, dans le ventre de sa mère, il pouvait découvrir que le monde n’était qu’un foyer de dangers où il rit, mange, dort avec ses ennemis. S’il pouvait ne pas naître. Si l’homme n’était pas un ennemi pour l’homme. Si le bien pouvait exister sans le mal. Si tous les hommes pouvaient être riches. Si tout le monde ne disait que la vérité, rien que la vérité. Si tous les hommes étaient à la fois noirs, blancs ou jaunes. La vie ne mériterait pas d’être vécue. L’homme ne serait pas un redoutable résistant, qui crée dans le mur des souffrances une porte par où pénètre le calmant.

Scotty continua :

– Assa, tu sais pourquoi j’aime Sartre ? C’est parce qu’il fait prendre conscience à l’homme le sens de la responsabilité. Il lui apprend à résister à la fatalité. J’aime à répéter cette phrase : « L’homme est responsable de lui-même et des autres. » Ou encore celle qui dit : «Faire et en faisant se faire, et n’être que ce qu’on fait. »

– Moi, je ne crois pas en Sartre… Je crois seulement en moi. Se gaver des idées de Sartre ça sent la naphtaline, répondit Assa, moqueuse.

Scotty ne répondit pas à cette provocation. Il avait la tête ailleurs.

– Je vais écrire au professeur de droit des affaires, dit-il.

Cette phrase tomba comme une sentence péremptoire. Il sortit son téléphone de sa poche et commença à pianoter sur les touches : « Monsieur, le week-end dernier, tu as invité Aïcha chez toi. Vous avez fait l’amour. Tu as un petit pénis, et tu ne l’as pas satisfaite. »

A la Faculté de droit, le feu du soir grignotait la paille de la vitalité avec laquelle les étudiants étaient montés dans le train de la journée. La nuit tombante chassait cette marée humaine chahuteuse. La nuit. C’était la nuit. Une nuit de quiétude. Les rues cherchaient tapageurs.

Allongé sur le dos, dans son lit, Scotty fouillait dans son esprit le nom à donner à son journal, et les moyens pour l’animer. Il savait sur le bout des doigts que « la fin justifie toujours les moyens ». « Je crois qu’il est arrivé le temps de ne plus compter sur ma bourse pour festoyer. Plus de sortie en boite de nuit, plus de thé. Finies toutes ces saloperies ! Il n’y a que les livres et les éditoriaux qui vaillent maintenant. La bourse, elle sera injectée dans la défense de la Cause. Notre Cause à nous. La Cause de notre Résistance. Je dois m’imposer ce sacrifice. C’est nécessaire. Ça me grandira plus que cela ne me rabaissera. Nous dansons sur une corde raide. C’est pourquoi il nous faut résister pour rétablir la méritocratie. », se disait-il.

Il était recru de fatigue. La lune slalomait dans un firmament constellé. Les enfants, l’esprit vierge de soucis et de reproches, étaient dans les bras de Morphée. Seuls demeuraient éveillés ces pères et mères surpris. Ils étaient surpris. Ils n’avaient personne à qui confier leur surprise d’avoir découvert que c’était la vie qui faisait les bons et les méchants. Les menteurs et les « diseurs de vérité ». Le mensonge, la méchanceté, pour eux, n’étaient pas des défauts ; ils étaient plutôt des couvertures que l’homme se crée pour résister aux aléas de la vie.

Les yeux de Scotty se fermèrent aussitôt, et ne s’ouvrirent qu’avec les dards d’un soleil des moins agressifs qui perçaient les grilles de la fenêtre de sa chambre. C’était parti pour une nouvelle journée de résistance. Chaque jour est une vie. Chaque vie est une résistance. Comme à l’accoutumée, les amis de Scotty l’attendaient près de la marche qui menait à l’amphithéâtre. Parmi eux, Prince, une corpulence de bidasse, teint d’ébène, irrémédiable rastaquouère, chouchouté par les filles. Il avait bon pied bon œil. Il partageait avec Scotty l’amour pour l’écriture. Il ne suivait que trop Scotty, ainsi qu’un chien fidèle. A grandes enjambées, Scotty se dirigea vers eux. A quelques pas, il lança :

– Hé, la cause a besoin de vous tous. Le premier numéro du journal se vendra…comme des petits pains. Je l’espère bien. Le nom que j’ai trouvé est «Le Flambeau». Le journal «Le Flambeau». C’est parti, mon kiki !

– Ouais ! fit Prince. Que celui qui ne veut pas le lire se torche le cul avec, ou aille se faire foutre !

– Camarades, dit Scotty, nous autres étudiants sommes dépassés par la situation que nous vivons. Pour qu’elle ne nous déroute pas, nous allons appeler nos camarades à la résistance, à la prise de conscience. Avec ce journal, il n’y a pas à douter que nous allons réussir. La presse a un grand pouvoir. Nous avons tous appris que c’est à travers la BBC que De Gaulle depuis Londres a appelé son peuple à résister à l’occupation allemande, et mérita le nom de l’homme du 18 juin. Aujourd’hui, nous, nous allons résister pour chasser de notre Faculté ces occupants indésirables que sont les professeurs corrompus, les étudiants nullards. La lutte commence, la victoire est certaine.

A suivre.

Boubacar Sangaré


Les indignés de la fac…(deuxième partie)

Faculté des Sciences Juridiques et Politiques/ photo: maliactu.net
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques/ photo: maliactu.net

Ce jour là, l’affrontement avait été sanglant. A la vue des policiers armés de pied en cap, certains étudiants, pris de panique, entendant leur cœur battre, étaient à deux doigts de parachuter un Sénégalais. Les policiers, comme s’ils s’attendaient à une résistance des étudiants, avaient foncé. Des coups de matraques, de crosses pleuvaient comme vache qui pisse sur la tête des étudiants qui, aussi téméraires qu’un lion affamé, avaient attaqué de front, armés de machettes, de cailloux, de tessons, de lames. Des hurlements de douleur montaient comme du mercure dans le thermomètre. Un étudiant voulant jouer le Rambo, avait refusé de détaler : rossé, piétiné, la tête cabossée, il rampait dans le sang. Il râlait…râlait. Il vomissait…vomissait le sang. Des policiers avaient la tempe ou le bras fendillé par des coups de tessons ou de lames.

 

Dans l’ivresse de la colère, des étudiants, ne voulant rien épargner ni personne, avaient mis le feu à certains amphithéâtres, alors que d’autres ciblaient avec des cailloux les policiers qui avaient perdu leurs casques. Des cris. Des blessures. De la douleur. Des deux côtés, on était loin de baisser pavillon, on s’obstinait à rester sur l’offensive : pas question de caler.

Scotty se rappelait, comme une formule sacramentaire, ces journées d’affrontement qui avaient défrayé la chronique. Ce que venait de lui dire Assa avait provoqué en lui le même choc qu’un coup de poing assené au ventre d’un obèse. Il l’avait respecté, ce prof de droit des affaires. Il le revoyait, avec sa figure en permanence serrée, sa voix hautaine et son look de gentleman.

– Cela annonce la pourriture de la Fac, dit-il en hochant la tête. Quand les profs eux-mêmes commencent à flasher sur les étudiantes, il n’y a plus rien à dire.

– Oui, je ne sais qu’en dire, dit Assa glacée par les propos de Scotty.

– Déjà nous avons là tous les ingrédients d’une télénovela, poursuivit-il. La cote d’alerte a été atteinte, et il y a de quoi intéresser Hollywood. Bientôt, cette Fac sera notre honte. Bientôt, elle sera le symbole de notre déconfiture morale. Ce con de prof pense qu’il nous abuse, or nous, on dort là où il se cache.

 

Rongé par la machine infernale du vieillissement, le professeur de droit des affaires, cheveux chenus, était un homme élancé, au port droit. La bouche fendue, les oreilles décollées, des yeux en forme de bille, séparés par un nez écrasé. Seule l’hyène pouvait lui envier sa beauté. Pourtant, à la Fac, elles étaient rares, bien rares les étudiantes qui n’avaient pas mordu à l’hameçon de sa fougue amoureuse. Certaines l’aimaient d’amour, d’autres au contraire d’intérêts. Ces dernières étaient les plus nombreuses. Elles voyaient en lui le raccourci le plus sûr pour grimper l’échelle universitaire. Pour ce faire, elles n’écartaient aucun moyen, passaient dans son lit comme on passe chez le coiffeur, l’arrosaient d’argent, lui soufflaient à l’oreille des mots doux et enivrants, le berçaient. Dans la griserie de la jouissance, il avait cassé le mur de la morale pour s’offrir le luxe de mener une vie déréglée. Il s’était jeté dans la débauche. Il se baignait dans la rivière de la corruption. Il s’habillait des vêtements de la corruption. Il paissait dans la prairie de la corruption. Il buvait dans la jarre de la corruption. Il regardait darder ses rayons…le soleil de la corruption. A toutes celles qui, après avoir passé leur temps à faire l’école buissonnière, voulaient passer sans coup férir… il les rencardait dans un hôtel huppé de la ville où ils se retrouvaient, pour manger, boire et…coïter.

 

Un jour, après les cours, moment où la fatigue résorbe les bavardages des étudiants, Aïcha était venue le voir. Dans l’amphi, le calme était plat, les mouches vrombissaient. Le vent qui s’engouffrait à travers la baie précipitait les étudiants dans la somnolence. Seuls quelques rires et cris fusaient. Aïcha, la belle Aïcha. C’était une fille gentillette, délicieuse. Elle portait un jean qui redressait sa croupe galbée. Les uns et les autres savaient que le prof de droit des affaires la désirait, sans le lui avouer. Aïcha grimpa, le pas leste, les degrés de la chaire que le professeur occupait encore. Quand il leva la tête et vit Aïcha venir, il rangea ses affaires avec la promptitude d’une secrétaire, la saisit par la hanche à la grande stupéfaction de tous, l’entraina hors de la salle.

Dehors, le jour commençait à décliner. Les bouquinistes qui inondaient l’entrée de la Faculté avaient renversé leurs étals et s’en étaient allés sans demander leur reste. Les restaus-U, les resto-bistro avaient fermé plus tôt que d’habitude. Tous, en ce moment de galère commune, connaissaient une période de vaches maigres côté vente, à la différence de ces professeurs et de l’administration de la Faculté, qui faisaient leur gras, en débauchant, en acceptant d’être corrompus. Dans ce pays, il n’y avait que le cimetière où la corruption n’existait pas. Elle était partout. Partout. Dans les familles. Les rues. Dans l’eau qu’on puisait du puits. Même dans le sang ! Tous étaient des corrompus, des corrupteurs. Tous. Du plus vieux au dernier né.

 

La voiture vint s’immobiliser dans un garage où le silence était pesant. Le moteur s’éteignit d’un coup. Le professeur, par mesure d’élégance, invita Aïcha à descendre. Elle mit pied à terre, en proie à l’angoisse. Angoisse de se trouver seule avec un homme que toutes considéraient comme un étalon au lit. Mais derrière le miroir de son angoisse se dessinait l’espoir d’une grosse note. L’espoir d’un passage assuré dans la classe supérieure. Il l’invita à le suivre. Elle obéît. Lorsqu’ils entrèrent dans la chambre, il tourna la clef. C’était une pièce spacieuse, le sol couvert de tapis. La fenêtre donnait sur la cour. A peine avait-il déposé son sac qu’il s’était mis nu. Il demanda à Aïcha d’ôter ses vêtements à son tour, et de s’allonger dans le lit. Elle s’exécuta. Ce soir là, ils firent l’amour…

A suivre…

Boubacar Sangaré


Mali, les étudiants sont-ils nés pour faire la queue ?

Des Etudiants au mali, Photo: maliweb
Des Etudiants au Mali, Photo: Maliweb

Personne ou presque ne trouvera à redire sur le fait qu’au Mali, faire la queue est un exercice auquel il est difficile d’échapper et semble devenir une composante naturelle de la société. Dans les universités, la chaîne, c’est une véritable école de patience où il faut toujours attendre son tour, en supportant parfois un soleil de plomb, pour être servi. Personne ne s’en offusque, car la pratique est courante.

Il y a quelques mois, dans une agence d’Energie du Mali (SA) où s’effectue le paiement de la facture, un jeune homme a failli en venir aux mains avec un monsieur. Ce dernier, la cinquantaine bien tassée, à la grande colère de tous, a voulu avoir accès au guichet sans une pincée d’égard pour tout ce monde qui était dans la ‘’chaîne’’. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu d’être vivement chapitré par le jeune homme, en dépit de la présence d’affiches du genre « Priorité aux personnes âgées. Priorité aux personnes handicapées. » Est-ce à dire que Energie du Mali (SA) n’est pas en capacité de multiplier ses agences dans la capitale et dans les autres communes pour dispenser les clients de ce parcours du combattant. Elle pourrait ainsi éviter les malentendus, les bagarres… La réponse est simple : la société en est capable, mais ayant un goût farouche pour le sadisme comme c’est le cas dans le gros des administrations publiques, elle préfère voir les clients réduits au rang de pauvres types qui ne font que se résigner à la fameuse formule « quand on n’a pas ce qu’on aime, on prend ce qu’on a ».

Venons-en maintenant au cas des étudiants dans nos universités, qui est le propos de ce billet. Il faut d’emblée relever que comme dans une agence d’Energie du Mali, l’étudiant dans nos universités est obligé de perdre une bonne partie de sa vie en faisant la queue pour s’inscrire, pour retirer sa carte… bref, tout est prétexte à la formation d’une file indienne. Il suffirait pour s’en convaincre de se rendre, en ce début de rentrée, dans une faculté où la devanture de l’administration est noire d’étudiants venus, qui pour s’inscrire, qui pour retirer sa carte d’étudiant ou bancaire. La conséquence est que cela permet aux opportunistes de tous poils- cauchemars des étudiants- se réclamant de l’AEEM (Association des élèves et étudiants du Mali) à tort ou à raison et, au mépris de tout sens de la morale, de se livrer à une immense corruption en monnayant l’accès au guichet. L’étudiant étant ennemi de l’étudiant. Il y a injustice, pardi ! Et l’on est en droit de se demander s’ils ne sont pas de mèche avec le personnel des administrations, tant il est vrai que ce dernier aussi a pris la mauvaise habitude de traiter l’étudiant par-dessus la jambe.

Il fut effectivement un temps où à la faculté d’histoire et de géographie et à l’université des sciences juridiques et politiques (pour ne citer que ces deux établissements), l’administration faisait en sorte que les étudiants puissent s’inscrire dans un confort qui est désormais loin. La méthode consistait à dresser, par ordre alphabétique, la liste des étudiants devant s’inscrire tel ou tel jour, ce qui évitait aussi à l’administration de travailler dans un désordre indescriptible. Aujourd’hui, il est étonnant de constater que cette méthode n’est plus en honneur dans ces mêmes établissements.

Alors, l’étudiant malien ou bien le Malien est-il né pour faire la queue ?

Qu’est-ce que ces manières de faire souffrir l’autre avant de le servir ?

De plus, l’étrange dans l’affaire c’est que le phénomène ne révolte personne au nombre de cet essaim d’usagers de l’administration publique. Il est vrai que faire la queue n’est en rien aussi mauvais que cela; ce qui l’est pourtant, c’est le déficit de gêne dont fait montre l’administration vis-à-vis du phénomène étant donné qu’elle possède la solution à y apporter. La déduction à laquelle nous parvenons est que, à tous les niveaux de la société malienne, la chaîne de considération, de respect, de confiance qui liait l’administration aux administrés, s’est brisée en laissant la place à un sentiment de haine, de rivalité voire de rancœur… Une administration sadique et des usagers rancuniers!

Voilà une situation qui, si elle n’est pas traitée, promet de se dégrader.

Boubacar Sangaré


Les indignés de la fac (première partie)

 

Faculté des Sciences Juridiques et Politiques/ photo: maliactu.net
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques/ photo: maliactu.net

 

 

Il n’était que 9 heures. Les étudiants étaient là, les uns occupés à bavarder, les autres à feuilleter brochures et livres. Certains, les visages émaciés, le cœur lourd, cogitaient : tête baissée, le menton logé dans la paume des deux mains. Ils avaient peur aussi. Peur d’affronter cette réalité qui voulait que, désormais, la valeur des diplômes s’arrêtât au seuil du marché de l’emploi.

 

Scotty avait 23 ans, mais son visage rond – avec son sourire de dragueur incomparable – et son nez retroussé lui donnaient l’âge d’un petit collégien. C’était un jeune homme malingre. Il savait, Scotty, qu’il était à la croisée des chemins : il songeait à se marier, à écrire son premier roman- depuis le lycée, il nourrissait le rêve de devenir romancier. Les ambitions, il en avait à mourir. Scotty voulait aller de l’avant. Il haïssait foncièrement une masse de ses camarades qui avaient pissé sur la gueule de l’honnêteté. Scotty passait son temps à se dire dans le secret de sa conscience que leurs professeurs, qui n’étaient en rien des modèles, ne méritaient pas d’occuper une chaire à l’université.

 

Le soleil avait assez avancé dans le ciel pommelé. Un vent léger soufflait et s’occupait d’emporter la jonchée qui dévorait les dalles. Un bus venait de déverser dans la cour de la Faculté de droit une grappe d’étudiants venant, qui de la capitale, qui de la province. Un tohu-bohu s’était installé. Le pas preste, chemise au vent, sourire aux lèvres, Scotty répondait aux mains que lui tendaient ses amis. Ensemble, ils montèrent la marche qui mène à une grande salle aux baies ouvertes. Dans cette salle, une estrade où trône la chaire du professeur surplombant les bancs, d’où les étudiants suivent les cours. Les murs sont couverts de graffitis vides d’importance. Les ampoules accrochées au plafond inondent la salle de lumière, des baffles suspendues à chaque angle pour porter la voix.

 

Scotty jeta un coup d’œil sur sa montre. 14 heures. C’est à ce moment là, qu’Assa se glissa dans la salle, la démarche chaloupée, la crinière ballante. C’était une belette pulpeuse. Même les professeurs faisaient arme de tout pour l’avoir : ils mouraient tous d’envie d’elle. Mais, Assa, elle, se couchait et se réveillait avec le nom de Scotty sur les lèvres. Scotty, ce jeune étudiant au teint clair, n’ayant que la peau sur les os, pauvre comme une souris d’église, lui tournait la tête.

 

Scotty sourit. Assa aussi. Il remarqua qu’elle avait l’air un peu grave. Il lui demanda :
– Pourquoi tu fais cette drôle de tête ? Tu as un parent qui a passé?
– Non, c’est que j’ai entendu une histoire qui me trotte dans la tête. Elle me tarabuste…
– Raconte. C’est grave ? demanda Scotty, inquiet.
– Mention « strictement confidentiel » ! fit Assa, pressée de se décharger. Ma voisine de table m’a racontée son aventure d’hier soir avec le prof de droit des affaires, le vieux à la bouche édentée, au visage ridé. Elle m’a dit qu’ils ont couché, qu’il a un petit pénis et qu’il ne l’a pas comblée. Qu’il lui a aussi garanti la moyenne en droit des affaires.
Scotty avait écouté Assa attentivement jusqu’à la fin. Il avait ensuite soupiré profondément. Il pensa tout de suite que cette histoire n’était pas isolée. Qu’elles étaient légion les étudiantes qui, avec l’assurance d’une coquette, acceptaient d’écarter les jambes pour recevoir la verge de ces professeurs aussi imbéciles qu’un bouc en rut.
– Ça, c’est vraiment la limite ! Les étudiants sont devenus des oiseaux qui ne savent plus sur quelle branche se poser, dit-il. Hier, l’année dernière tout près, la Faculté avait été le foyer de violences dont nous avions, nous-mêmes, allumé la mèche. On se remet à peine de ça, et voilà, qu’aujourd’hui, d’autres sales comportements pointent le bout de leur nez.

 

L’année dernière fut celle de toutes les folies. La Faculté s’était embrasée à cause d’un conflit dans le giron de la puissante et fameuse Association des Elèves et Etudiants. Ça avait dégénéré, certains avaient sorti des machettes, des pistolets… Comme des gamins de la rue voulant à tout prix en découdre, ils s’étaient affrontés. Les étudiants s’étaient percés les uns les autres de coups de machettes, insultés les uns les autres, tirés les uns sur les autres, transformant la Faculté en pétaudière. Aucune autorité ne pouvait y mettre le pied. Le chemin qui y menait avait été défendu tant le climat s’était abimé. Loin des regards, abandonnés à eux-mêmes, ces abrutis, ces inconscients avaient « descendu une couronne d’enfer » les uns sur la tête des autres. Tout ça pour être à la tête de l’association. Tout ça pour ça. Ça seulement !

Comme la situation devenait intenable, comme le gouvernement se faisait gronder pour son indifférence, alors, un jour, au petit matin, à l’heure même où les gladiateurs s’apprêtaient à reprendre, une troupe de policiers avait été parachutée. Ils avaient pour mission d’amener ces énergumènes à rabattre leur queue entre leurs cuisses. Tous s’accordaient à penser qu’il fallait réprimer ce débordement qui avait porté un coup d’épée à l’image de la Faculté. De celui qui y étudiait, on disait qu’il avait choisi d’être quelqu’un qui ne serait jamais rien. Rien. Même pas le cul d’une poule ! Quand les forces de l’ordre étaient entrées dans la danse, ceux qui se battaient sans merci n’avaient pas ressenti l’ombre d’une hésitation. Ils jetèrent aux oubliettes leurs dissensions pour faire front face à un ennemi commun.

A suivre…

Boubacar Sangaré


Mariage, ces interdits qui ont la vie dure…

photo: maliactu.net
Photo : maliactu.net

« Mes parents ont dit que c’est un forgeron et qu’il y a un interdit de mariage entre Peuls et forgerons. Sinon, pour le mariage, tout était au point, toutes les formalités avaient été remplies… Je n’ai pas besoin de te dire qu’on s’aimait à en mourir. Toi-même, tu nous surprenais dans la rue, marchant main dans la main. C’est au moment même de sceller notre union que ma famille, peule toucouleur, a viré de bord parce que Boua, mon petit ami, était de la caste des forgerons. J’ai eu du mal à m’en remettre, je n’en croyais ni mes oreilles ni mes yeux. C’était comme si tout autour de moi s’écroulait. Lui, il était aussi peiné. Ces croyances n’ont pas de sens pour moi ; elles appartiennent à une autre époque. J’étais comme larguée. Je refusais d’admettre ce qui m’arrivait. J’étais en pétard et me disais qu’avec le temps je parviendrais à convaincre ma famille. Mais j’ai fini par jeter le manche après la cognée. »

Cette jeune fille malienne s’appelle Fatou Dia, 23 ans. Il y a peu, sa famille, peule toucouleur, réunie en conseil, s’est opposée à son mariage avec un forgeron. Cette décision a porté un coup fatal à l’immense espoir des tourtereaux dont l’amour brillait de mille feux. Ce verdict a brisé leur rêve de fonder un foyer et de mener leur vie à leur convenance. Encore sous le choc aujourd’hui, Fatou Dia ajoute que même sa mère a du mal à s’en remettre, car comme toutes les mères « elle sait combien il est devenu difficile de trouver un mariage. »

Fatou peine à avaler la pilule, car elle trouve « minable » l’argumentaire de sa famille qui « puise sa force dans une légende aussi malheureuse que passée de mode ». Cette diplômée en secrétariat d’administration à lInstitut universitaire de gestion (I.U.G) de Bamako vit dans la douleur, rien qu’à l’entendre parler.

Comme toute société, la société africaine en général, et malienne en particulier, regorge de traditions qui se sont épanouies et perpétuées à travers les siècles. Ces traditions sont des croyances et coutumes ancestrales populaires, transmises de génération en génération, par les parents et les griots, grâce aux contes, devinettes, fables, épopées, mythes, légendes. Dans la société malienne, les interdits de mariage entre certaines ethnies perdurent comme l’une des plus frappantes et pesantes manifestations du traditionalisme conservateur. Vouloir transgresser l’interdiction d’union entre les groupes culturels bozo et dogon, peul et forgeron ou bambara et griot… peut engendrer une malédiction, ou des conséquences occultes.

Cette interdiction est profondément enracinée dans l’histoire socioculturelle du Mali. Celle qui empêche peuls et forgerons de se marier reposerait sur un pacte originel entre Bouytôring (ancêtre des Peuls) et Nounfayiri (ancêtre des forgerons). Ce mythe, très répandu chez les Peuls, est rapporté par le poète et ethnologue peul, Amadou Hampaté Bâ, dans son ouvrage ‘’Njeddo Dewal, Mère de la calamité’’

« Bouytôring, ancêtre des Peuls, était travailleur du fer. Ayant découvert les mines appartenant aux génies (djinn) du Roi Salomon, il allait chaque jour y dérober du fer. Un jour, pourchassé par les génies, il fut surpris et dut se sauver. Dans sa fuite, il arriva auprès d’une très grande termitière qui était située dans un parc à bovins. Comme elle comportait une grande cavité, il s’y cacha.

Ce parc était celui d’un berger nommé Nounfayiri (l’ancêtre des forgerons). Le soir, lorsque le berger revint du pâturage avec ses bêtes, il trouva Bouytôring caché dans la termitière. Ce dernier lui avoua son crime et lui dit que les génies le cherchaient pour le tuer. Alors, pour le protéger, Nounfayiri fit coucher ses animaux tout autour de la termitière. Et quand les génies arrivèrent, il leur dit : ‘’Ceci est mon domaine. Je n’ai rien à voir avec le fer’’. Les génies furent ainsi éconduits et Bouytôring sauvé…

Quelques jours passèrent ainsi. Bouytôring avait appris à garder les troupeaux et à traire les vaches. Il savait parler aux animaux. Ceux-ci s’attachèrent à lui. De son côté, Nounfayiri avait pris plaisir à travailler le fer. Un jour, Nounfayiri dit : ‘’ Voilà ce que nous allons faire. Toi tu vas devenir ce que j’étais, et moi je vais devenir ce que tu étais. L’alliance sera scellée entre nous. Tu ne me feras jamais de mal et tu me protégeras; moi aussi je ne te ferai jamais de mal et te protégerai. Et nous transmettrons cette alliance à nos descendants’’. Nounfayiri ajouta :’’Nous mêlerons notre amour, mais nous ne mêlerons jamais notre sang (1)».

Cette légende témoigne d’une alliance très ancienne entre les groupes. Elle sert de socle aux relations sociales maliennes. Cette tradition, connue sous l’appellation sanankouya ou cousinage à plaisanterie, assure la paix interethnique entre Peuls et forgerons, Bozos et Dogons, entre autres. De fait, le cousinage à plaisanterie est un lien de sang ou un pacte de confiance, datant des temps anciens, que les communautés actuelles ne peuvent violer. Grâce au sanankouya, aucun conflit ne peut exister entre les communautés et aucune d’entre elles ne peut refuser la médiation ou les conseils de l’autre.

L’interdit de mariage entre Bozos et Dogons tire, lui aussi, sa source d’une autre belle légende :

« Deux frères pêchent au bord du fleuve. Mais bientôt le poisson se fait rare. Le frère aîné doit partir chasser au loin. Il marche. Puis court. Fort loin et fort longtemps. Mais il doit revenir bredouille après plusieurs jours. De retour au campement au bord du fleuve, il découvre son petit frère à demi évanoui, à moitié mort de faim. Que faire pour le sauver ? Après avoir mûrement réfléchi, le frère aîné s’éloigne un peu, découpe bravement un morceau de sa propre cuisse qu’il revient donner à manger à son cadet qui croit profiter des produits de la chasse. Une fois le jeune frère rétabli, ils entreprennent de traverser le fleuve pour s’établir dans une contrée plus favorable, plus giboyeuse et plus poissonneuse, pour fonder un nouveau campement et deux nouvelles familles. Mais en traversant le fleuve, la plaie de la cuisse du frère aîné se rouvre et se met à saigner abondamment. Le cadet demande ce qui a bien pu se passer, mais le grand frère ne répond pas. Le jeune répète sa question : mais que t’est-il donc arrivé ? Toujours pas de réponse. À la troisième question, l’aîné finit par raconter toute l’histoire et lui avoue que c’est grâce à sa propre chair qu’il a pu le sauver. Les voici tous deux bouleversés et pleins d’amour fraternel l’un pour l’autre.

Bientôt, voyant leurs familles s’agrandir, les enfants croître et les unions devenir de plus en plus nombreuses, le plus jeune frère décide alors son aîné à sceller une promesse réciproque. Pour prévenir et éviter les discordes qui ne manqueraient pas de survenir dans le futur, ils se promettent mutuellement que jamais, au grand jamais, un descendant de l’une des deux familles n’épousera un descendant de l’autre frère. Ainsi leurs familles resteront cousines, sans embrouille et sans discorde, perpétuant le souvenir du don de la vie et de l’amour entre les deux frères.»

Voilà pourquoi, traditionnellement, le mariage entre Bozos et Dogons est interdit. Amadou Hampaté Bâ précise, qu’à l’origine, « les interdits de mariage n’avaient en général rien à voir avec des notions de supériorité ou d’infériorité de caste ou de race. Il s’agit soit de respecter des alliances traditionnelles, comme c’est le cas entre Peuls et forgerons, soit de ne pas mélanger des ‘’forces’’ qui ne doivent pas l’être. »

Barrières ethniques, nouvelles mentalités

Ce phénomène, pour ne pas dire cette pesanteur sociale, conserve son importance dans la société malienne, dite de « l’oralité », et semble parfois déclencher un conflit de générations supplémentaire, aujourd’hui. Pour certains parents, conservateurs irrémédiables, ces pratiques ne doivent pas perdre de leur sens, car elles « font partie de notre héritage culturel. » Des idylles tournent court, des mariages sont empêchés. Quand les unions sont tout de même célébrées, elles se cassent plus tard à cause du mauvais œil et des méchantes langues. Pour la jeune génération, celle qui s’abreuve de séries TV produites au Mexique, en Italie et au Brésil, cet héritage socioculturel est rétrograde. Ces tabous doivent perdre de leur cuir.

Souley Diakité est peul. Enseignant dans le secondaire, il est allé à l’encontre de sa famille en épousant S. Ballo, une forgeronne.

« Je l’ai fait pour marquer les esprits. Au début, ça n’a pas été facile de faire adhérer les parents. Même aujourd’hui, notre union est mal vue. Certains de mes parents ne m’ont toujours pas pardonné d’avoir violé un interdit en épousant une forgeronne. Jusqu’ici, il n’y a eu aucune conséquence occulte. Nous avons eu des enfants, nous sommes heureux » confie-t-il, tout sourire. Il se laisse aller à dire qu’il s’agit là d’une barrière ethnique qui n’a aucune raison d’être maintenue. Il est convaincu que les traditions, quelles qu’elles soient, ne doivent pas rester figées, inchangées : elles doivent progresser. Il estime que même si quelques rares unions entre Peuls et forgerons, hier impossibles, sont scellées aujourd’hui, on ne peut pas encore parler de progrès. « Le non-respect de ces interdits par un iconoclaste comme moi n’est rien, ajoute t-il. Il faut mener le combat, l’étendre au niveau national, faire plus de sensibilisation, et pourquoi pas créer une association pour cela. Sinon, dans peu de temps, il sera impossible de compter les malheureux… »

« En Jésus, pas de distinction… »

Bien que ces interdits soient encore observés sans susciter de réel débat, il apparaît nécessaire de souligner qu’ils ne sont pas de mise dans les religions révélées. Paul Poudiougou, éditeur et représentant des éditions L’Harmattan au Mali,  explique que « Chez les chrétiens, en Jésus, il n’y a pas de distinction. Pas d’Arabes, pas de Noirs, pas de Blancs… Les barrières raciales disparaissent. Les chrétiens brisent les tabous. Le reste, Dieu s’en chargerait… Je connais en particulier un couple bozo-dogon. Ils sont chrétiens. Malgré les interdits de mariage qui existent entre eux, ils se sont mariés. Ils ont eu des difficultés à l’échelle sociale, surtout avec les parents, et avaient du mal à avoir un enfant. Mais maintenant, ils en ont un. Or, dans les deux familles on disait que s’ils se mariaient, la foudre tomberait, ou qu’il y aurait un blocage sexuellement. En tant que chrétien, les barrières sont paralysantes… »

L’imam Sidi Diarra considère que ces interdits méritent d’être respectés, même s’il concède que « nulle part dans le Coran et les hadiths, il n’est fait cas d’interdit de mariage entre race, ethnie, caste… L’essentiel en islam est que vous soyez musulman, et après, vous pouvez vous marier. Pas question de Peul, forgeron, Bozo… »

La démocratie et l’avenir de ces interdits

Ces croyances ancestrales mènent la vie dure aux plus jeunes. Les analyses sociologiques sur le phénomène concluent qu’il est « un des principes protecteurs du pacte. Tout comme le cousinage à plaisanterie est un puissant moyen de préservation de la paix. »

A l’heure de la mondialisation et de la rencontre des civilisations, on peut s’interroger sur l’avenir de ces interdits de mariage. Ont-ils réellement leur place dans la démocratie ? L’éditeur Paul Poudiougou estime que ce n’est pas le rôle de la démocratie de lever ces interdits. « Il ne faut pas confondre les règles de la démocratie et les convictions sociales. La démocratie ne parle pas des mœurs ; elle régule la relation entre les communautés. Et le travail de la démocratie ne concerne que l’aspect extérieur de cette relation, mais ne touche pas à l’intimité, c’est-à-dire l’intérieur. Il faut donc faire la part des choses. »

Interdiction de mariage entre Peuls et forgerons, entre Bozos et Dogons, noble Bambara et griot (2)…voilà un phénomène social qui n’en demeure pas moins étonnant dans une société réputée riche pour son multiculturalisme. Et pire, aucun débat n’est mené au niveau national sur cette pratique « essentielle » pour les uns, « rétrograde » pour les autres. Quoique quelques iconoclastes soient déterminés à bousculer ces tabous d’une autre époque, il est impossible de ne pas s’interroger sur leur avenir. Comment vaincre la peur, l’hésitation, ou encore le refus des ethnies peul, forgeron, bozo, dogon… de s’ouvrir les unes aux autres ? Cette question reste entière, loin d’être réglée, et continue de mettre aux prises ceux qui sont pour et ceux qui sont contre le maintien de cette pratique historique dans une société où l’on s’accorde à dire que les mentalités n’ont pas subi de changement profond, où il est de tradition de se glorifier en permanence du passé. Comment parier sur son abandon lorsque certains parents, musulmans ou chrétiens, c’est selon, continuent à y croire comme un enfant à la parole de son père ?

Boubacar SANGARE


MALI, deux ans après, quelle justice pour les journalistes ?

Agression de Saouti Haïdara, Directeur du journal L'Indépendant, Photo: maliactu
Agression de Saouti Haïdara, Directeur du journal L’Indépendant, Photo: maliactu

« J’ai reçu un message de mon rédacteur en chef, pour me dire que la ligne éditoriale était de ne pas fustiger la France et le gouvernement de transition ! »Agressés, interpellés, arrêtés, mis sur écoute…Quelle justice pour les journalistes ?

« C’est ça le paradoxe ! On s’acharne contre les Sanogo, les Yamoussa, les Touré de la Sécurité d’État, les Siméon Keïta et d’autres, pour avoir commis de graves exactions, mais on traine les pieds quand il s’agit d’agressions contre des journalistes. »

De sa voix rauque, s’accoudant de temps à autre à son bureau, Birama Fall ne prend pas de gants quand il s’agit de parler des agressions, interpellations et arrestations qu’il a subies, avec nombre de ses confrères, il y a deux ans, dans les moments où ceux qu’on appelait ironiquement à l’étranger « les militaires de salon de Kati », Sanogo et sa bande, faisaient la pluie et le beau temps. Directeur de publication du bihebdomadaire Le Prétoire, récemment élu président de l’Association des Éditeurs de Presse privée (ASSEP), Birama Fall avait été interpellé par la Sécurité d’État en mai 2012. On lui reprochait des échanges téléphoniques avec un ancien ministre à propos de la publication d’un article qui révélait l’existence d’un charnier à Diago…

« Au lendemain de l’enterrement de ces militaires, les populations de Diago se sont plaintes auprès de leur député, l’ancien ministre Lanseni Balla Keïta. Il m’a appelé lui-même pour me dire qu’il allait me donner un scoop ; j’étais curieux de savoir de quoi il s’agissait. Comme il ne m’appelait pas, je l’ai relancé. Il m’a dit de venir à l’Assemblée nationale ; là-bas, il m’a remis une enveloppe en me disant qu’il avait déjà tout traité. A ma question, il a répondu : « Un charnier ! ».

J’ai ouvert l’enveloppe ; avec des détails très, très précis, les récriminations des populations, et les activités louches menées à Diago et dans ses environs.

De retour au journal, j’ai dit à mon rédacteur en chef qu’on ne pouvait pas traiter le sujet, le contexte ne le permettait pas. Je lui ai demandé de scanner et de détruire l’original. Il avait à peine terminé de scanner le document, que trois agents de la Sécurité d’État débarquèrent pour m’emmener, sous prétexte que je détenais des informations capitales sur le Mali.

Je ne comprenais pas. On venait de faire un papier sur la composition du premier gouvernement de Cheikh Modibo Diarra. J’ai pensé que c’était ça la cause. J’ai fini par me rendre compte qu’il s’agissait de l’affaire de Diago. », explique Birama Fall.

Le nom de Birama Fall a ainsi été ajouuté à une liste déjà longue de journalistes arrêtés, interpellés, agressés…

Le temps du « racisme anti-journalistes »

Juillet 2012. Une centaine de journalistes, de professionnels de médias publics et privés, des personnalités politiques et associations de la société civile sont descendus dans la rue pour exprimer leur refus de la terreur qui s’abattait sur le microcosme de la presse malienne. En seulement trois mois, le bilan faisait état de cinq interpellations de journalistes, dont deux avaient été violemment agressés.

À l’époque, la presse avait écrit que le gouvernement était dans l’obligation de faire la lumière sur cette situation, pour ne pas permettre au « Si tu portes plainte, on va te tuer et il n’y aura aucune suite ! » et au « Si tu lèves la tête, je te tue ! C’est vous qui semez la pagaille dans ce pays ! » d’imposer la loi de la terreur.

En effet, Abdrahamane Keïta, alors rédacteur en chef de L’Aurore, et Saouti Haïdara, directeur de publication du quotidien L’Indépendant, ont été enlevés puis violemment agressés.

Birama Fall explique : « Quant à Abdrahamane Keïta, le rédacteur en chef de L’Aurore, on lui reprochait ni plus ni moins ses accointances avec Dioncounda. Les militaires ne voulaient pas voir Dioncounda à la tête du gouvernement de Transition. Ils voulaient coûte que coûte mettre fin à son mandat. C’est un secret de polichinelle : Abdraham est l’ami de Dioncounda, et il écrivait des articles au vitriol contre Cheikh Modibo Diarra, contre Sanogo, contre tout ce qui se passait alors… Ils ont profité de ça pour lui tendre un piège devant le bureau du vérificateur général. C’est là-bas qu’ils l’ont enlevé pour l’emmener dans la zone aéroportuaire. Ils l’ont dépossédé d’un million cinq cent mille francs CFA, de son portable. Ils l’ont sérieusement bastonné. Après, la plainte a été dûment déposée, mais il n’y a jamais eu de suite.

Ce fut ensuite le tour de Saouti. Deux fois… D’abord, une interpellation. Ensuite, quand il a balancé un papier sur les bérets rouges. On a même dit qu’il avait reçu de l’argent à Dakar avec ATT et Semega, pour déstabiliser les jeunes militaires.
Saouti, ils ne l’ont laissé que pour mort. Il a été tellement battu qu’il a eu la clavicule cassée, et diverses autres blessures assez graves. »

Une arrestation de trop…

Alors que la situation devenait de plus en plus dangereuse pour les journalistes, le 6 mars 2013, l’interpellation de Boukary Daou, directeur de publication du Républicain, a sans doute été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Il a été arrêté pour avoir avalisé la publication d’une lettre ouverte adressée au président de transition, Dioncounda Traoré, rédigée par un militaire en mission sur le front (dans le nord du Mali). Le militaire dénonçait le salaire et les autres royalties offerts au capitaine Amadou Haya Sanogo, qui venait d’être bombardé président du Comité militaire pour le Suivi et la Réforme des Forces armées du Mali.

Boukary Daou a été interpellé par la Sécurité d’État, sans que l’on sache ce qu’on lui reprochait concrètement, d’autant moins que le ministère de l’Intérieur se refusait à tout commentaire. Même s’il n’était point besoin de réfléchir à l’infini sur les raisons d’une telle atteinte à la liberté de la presse, dans un pays qui, depuis le coup d’État du 22 mars 2012, était entre les mains de militaires et personnalités politiques évoluant dans un univers où le « racisme anti-journaliste » est la norme.

Une mise en garde sérieuse avait été adressée aux responsables d’organes de presse et aux professionnels de la communication, après que l’État d’urgence avait été décrété, le samedi 12 janvier 2013, sur toute l’étendue du territoire. Dans un communiqué de presse du ministère de la Communication, on pouvait lire :

« (…) les décrets instituant cette mesure stipule en son article 14 les dispositions suivantes: conférer aux autorités judiciaires compétentes ainsi qu’au ministre de l’Intérieur, aux gouverneurs et aux préfets le pouvoir d’ordonner en tout lieu des perquisitions de jour et de nuit; habiliter l’autorité administrative compétente à prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques ou télévisées, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales (…) »

« Le dimanche 13 janvier, j’ai reçu un message de mon rédacteur en chef pour me dire que la ligne éditoriale était de ne pas fustiger la France et le gouvernement de transition. J’ai tout de suite été saisi par un violent mal de tête, au point que j’avais décidé de tourner le dos à la presse, la laisser entre les mains de ces ‘militaires de salon’ et de ces caciques carriéristes occupés à sauver leur peau. », confie un confrère qui a requis l’anonymat et pour qui l’interpellation de Boukary Daou n’était, pour ne pas dire autre chose, que l’arbre qui cache la forêt d’une volonté d’indiquer « à nos confrères si valeureux et si combatifs qu’ils étaient tous désormais sous une sorte d’épée de Damoclès qui ne disait pas son nom. Mais, ce qui était rassurant, c’était d’entendre cette presse dire qu’elle ne se laisserait pas marcher sur les pieds. »
La conséquence a été qu’à partir du mardi 12 mars 2013 a commencé une journée sans presse : les kiosques étaient vides, les rotatives n’avaient pas tourné, et les micros étaient restés éteints. Le mouvement devait perdurer tant que Boukary Daou n’aurait pas été libéré !

Qui était derrière ces menaces ?

Selon Birama Fall, c’était la junte militaire de Kati et la Sécurité d’État qui avaient ordonné ces agressions, avec l’enthousiaste complicité de certains hommes politiques.

« J’étais à Bruxelles avec Dioncounda. Dioncounda leur a fait croire -je suis témoin- que la presse malienne travaillait en amateur, que les journalistes n’étaient que des assoiffés d’argent, et que Boukary Daou méritait son sort.
Cela a été dit devant moi !

Quand j’ai parlé de Diago, il n’y a pas une autorité qui n’a pas tenté de nier les faits en disant qu’il n’y avait pas de charnier. Malheureusement un an après, le temps m’a donné raison.

C’est dire qu’il y a eu une collusion entre les militaires et les civils en son temps, rien que pour brimer la presse malienne, pour nous empêcher de faire notre travail.

Mais, ce que Birama Fall déplore le plus, c’est que, « depuis cette période où les gens de presse ont été agressés, et jusqu’à aujourd’hui, aucune société civile, aucune association de défense des Droits de l’Homme au Mali n’a levé le petit doigt pour combattre cette impunité. »

Impunité

Le mot est lâché. Outre Birama Fall, Saouti Haïdara, Boukary Daou, Abdrahamane Keïta, on peut ajouter à liste Chahana Takiou et Dramane Aliou Koné (actuel président de la Maison de la Presse).

La plupart de ces journalistes, après leur arrestation, agression, interpellation, ont introduit des plaintes devant la justice. Ces plaintes, sont restées en suspend ; et Birama Fall ajoute que nul ne sait où l’on en est dans le traitement de ces dossiers. Au ministère de la Justice, la réponse du préposé a été : « Je ne pourrais me prononcer sur ce sujet… ».

La seule certitude est que ces plaintes n’ont jamais eu de suite. À Birama Fall, qui a parlé de « d’omerta », Me Moctar Mariko, président de l’Association malienne pour la Défense des Droits de l’Homme (AMDH) répond : « À la suite du coup d’État, il y a eu une loi d’amnistie qui couvre une période bien déterminée. Toutes les victimes qui ne sont pas concernées par cette période ont le droit de porter plainte.
Moi, je n’ai pas connaissance d’une plainte de journaliste ici, parce que, généralement, quand les gens déposent une plainte, ils nous font une ampliation. Ce qui nous permet de la suivre. À part le cas de Boukary, je n’ai pas connaissance d’autres plaintes.
C’est-à-dire que ces plaintes ne nous ont pas été adressées de façon formelle. On n’a pas eu d’ampliation des plaintes déposées devant les tribunaux.
Mais c’est vrai : on peut aussi s’autosaisir de certaines affaires… »
Alors, pourquoi l’AMDH ne s’en est-elle pas « autosaisie » ?

« Vous savez, aujourd’hui, les conditions sont favorables à l’exercice de notre métier, poursuit Me Mariko. Il y a deux ans, je veux dire pendant les mois qui ont suivi le coup d’État, les conditions n’étaient pas réunies pour les organisations de défense des droits humains (…) C’est vrai qu’en dépit des conditions, les organisations de défense des droits humains doivent pouvoir travailler, mais parfois il faut être réaliste… Parce qu’on ne doit pas travailler pour se mettre en danger, mais pour alléger les souffrances, assister les victimes. »

Agressés, arrêtés, interpellés, mis sur écoute… « Saouti a été gravement blessé. Il a fallu qu’on l’évacue vers le Sénégal pour le soigner. Boukary s’en est tiré, mais avec des séquelles. J’ai été le premier journaliste à le voir quand il est sorti des locaux de la sécurité d’État. Il m’avait appelé ; j’ai constaté son état. Même là, on l’a menacé pour l’empêcher de parler. », explique Birama Fall, comme pour dénoncer le fait que ces victimes n’ont pas bénéficié de prise en charge médicale et psycho-sociale.

« Toutes les exactions, toutes les violations graves des droits humains doivent être punies de la même manière.
Il n’y a pas de criminel de premier degré ou de criminel de second degré. Les militaires sont en train de payer aujourd’hui parce qu’ils font l’objet de poursuites. Que les civils qui les ont encouragés et appuyés répondent aussi de leurs actes. Sinon, c’est de la non-assistance à personne en danger. Leur complicité n’est pas active. Mais elle n’est pas passive non plus, car ils ont mené des campagnes de dénigrement à travers la sous-région, à travers le monde pour dire que si les journalistes étaient agressés, ils n’avaient qu’à s’en prendre qu’à eux-mêmes.
Le président l’a dit, le premier ministre avec plein pouvoir l’a dit, le ministre de la Justice en son temps l’a dit, tous l’ont dit !, s’insurge

Birama Fall, tout en reprochant par ailleurs à la presse de ne pas se mieux défendre elle-même: « Aucune association de journalistes n’a porté plainte contre ces agressions ; et pourtant elles avaient les moyens de se constituer partie civile ou de porter plainte avec constitution de partie civile dans laquelle il y aurait eu des juges d’instruction. Ni la Maison de la presse, ni l’ASSEP, ni l’URTEL (Union des Radios et Télévisions libres), personne n’a bougé. »

Une question demeure : la parole journalistique est-elle libre, aujourd’hui ?

Birama Fall est on ne peut plus précis : « Très, très libre. Mais la liberté dépend de ce qu’on veut en faire. Quand tu lies ta liberté au gain, tu ne mérites pas de l’avoir. Non, tu ne la mérites pas ! »

Le constat qui n’échappe à personne est que la justice malienne est immobile sur ces affaires. Les agressions ont eu lieu, des plaintes ont été introduites, il n’y a pas eu de suite. Et le manque de suite, le néant actuel exhale un parfum d’abandon des choses. C’est là que gît l’inquiétude de beaucoup de journalistes qui vont jusqu’à dire « que toutes ces arrestations de militaires, c’est pour plaire à la communauté internationale. »

B. SANGARE


Mali : Gao, les leçons d’une manifestation

Les jours qui suivent une catastrophe sont toujours douloureux. Les uns, affligés, essayent de constater les dégâts, de pleurer les morts et prier pour le rétablissement des blessés, tandis que les autres, surtout ceux qui ont quelque chose à se reprocher et sont comme sur le gril, se lancent dans une tentative d’éclaircissements, de mises au point destinée à arrondir les angles, et laissant croire qu’ils jouent cartes sur table. A ceux-ci viennent s’ajouter les opportunistes, qui, longtemps à l’affût tels des chats, se donnent en spectacle à travers des déclarations où ils n’arrêtent pas de faire jouer les sentiments, la grandiloquence. Il ne fait aucun doute que tout cela se fait dans la douleur.

Les jours qui ont suivi la manifestation anti-Minusma de Gao n’ont pas fait exception. Dans le camp des manifestants, où on halète encore de colère et d’indignation, on ne va certainement pas manquer de dire que c’en est fait de ceux qui sont morts et se dire que c’est s’illusionner que d’attendre quelque chose des enquêtes à ouvrir pour situer les responsabilités. Les manifestants peuvent aussi se consoler en pensant au retrait du document dénoncé, une grande victoire qui leur permet aussi de savoir désormais ce que pèse un peuple quand il est debout : beaucoup. Et le trait le plus marquant de cette manifestation du mardi 27 janvier 2015  pour protester contre la signature d’un accord de mise en place d’une zone démilitarisée autour de Tabankort est que son moteur reste, encore une fois, la jeunesse.

On le sait, ce n’est pas la première fois qu’une marche se déroule à Gao. Il y a plus d’un an, plus précisément le 10 octobre 2013, les jeunes sont descendus dans la rue à Gao pour dénoncer la vie chère, les coupures d’électricité, et pour exprimer leurs soucis de la sécurité physique et alimentaire. C’était après que le Mujao eut revendiqué des tirs d’obus dans la ville de Gao.

La journaliste Françoise Wasservogel, dans un entretien (1)  a estimé : «Les populations s’interrogent sérieusement sur le comportement de beaucoup de policiers et militaires maliens qui, au lieu de veiller sur elles, continuent à les racketter pour tout et n’importe quoi, comme autrefois. Les gens sont fatigués, se sentent méprisés, humiliés, et se demandent pourquoi les autorités ne rétablissent pas l’état de droit, puisque chacun sait que c’est cette quête à l’enrichissement personnel qui a ouvert les portes aux différents groupes armés. Les populations qui sont restées chez elles tout le long de l’occupation savent ce qu’elles ont vécu, qui a fait quoi, et quelle est l’attitude des différentes forces armées en poste dans leurs régions. Ces populations, principalement, les « jeunes de Gao » ont marché à plusieurs reprises, face aux coupeurs de mains d’abord, et malgré l’état d’urgence, ensuite (…) ils sont sortis principalement pour demander qu’on assure leur sécurité et que l’Etat assume ses responsabilités. Ils ne comprennent pas comment certains membres du Mujao peuvent circuler en ville sans être inquiétés ».

La marche du mardi 27 janvier montre que l’occupation des islamistes et ses horreurs ont donné à la population de Gao, qui a témoigné d’une énorme capacité d’adaptation dans les conditions éprouvantes, assez de courage pour descendre dans la rue quand cela devient nécessaire. Pour rompre avec cette obéissance, comparable à celle d’un cadavre à celui qui fait sa toilette mortuaire, qui caractérise le peuple malien tout entier. Un peuple comparable à un troupeau docile, qui somnole dans sa misère. Cet exemple, qui nous vient de Gao est peut-être le signe que ce peuple veut enfin se réveiller de la torpeur dans laquelle il a plongé il y a de cela des temps considérables, et dans laquelle il n’a rien gagné sinon pauvreté, corruption, injustices, inégalités, favoritisme, népotisme…

Aujourd’hui, le niveau de sécurité atteint dans la région n’est pas élevé. Il va sans dire que la situation s’enlise et la région de Gao, comme les deux autres du Nord, se trouve prise dans l’étau d’une insécurité à deux visages, à savoir celles des terroristes et des affrontements entre les groupes armés. Et la Minusma, dont la mission est d’assurer la sécurité des populations civiles, se retrouve elle aussi dans une position tout sauf confortable. En effet, depuis plusieurs semaines, la localité de Tabankort était devenue le théâtre d’affrontements entre des mouvements armés – progouvernementaux versus rebelles -, ce qui a amené même la Minusma a rétorqué à certaines attaques. C’est ainsi que la mission onusienne a décidé de la signature d’un accord de mise en place d’une zone démilitarisée autour de Tabankort. Le document a fuité, et la Minusma s’est dépêchée de le décréter non officiel. Voilà ce qui a amené les populations de Gao à descendre dans la rue pour dire que la mission onusienne est en train de faire le jeu des groupuscules rebelles armés. Plus important encore, c’est que les autorités maliennes n’étaient pas au courant. La manifestation a dégénéré, quatre personnes sont mortes et 18 ont été blessées.

Les soldats de la Minusma n’ont pas hésité à tirer sur les manifestants. Il faut le dire, en faisant usage de leurs armes, de gaz lacrymogènes, les soldats de la Minusma ont eu une réaction qui, pour être direct, n’est pas très « réglo ». D’autant plus qu’ils avaient en face des manifestants qui n’étaient pas armés. Résultat, la confiance entre la mission et les populations se disloque comme un ciment devenu friable. La mission est de plus en plus contestée, d’aucuns vont jusqu’à la ravaler au rang d’ennemi du peuple malien.
(1) Françoise Wasservogel, journaliste : « Les Maliens sont déçus, ils espéraient que l’élection allait être un coup de baguette magique’’, le 17 octobre 2013, le blog « L’Etudiant malien »

Boubacar Sangaré


CAN2015_ Les Aigles, à déception moins un

photo: malijet
photo: malijet

Deux matchs, deux points, deux buts marqués. Ainsi peut-on résumer les deux premières sorties des Aigles du Mali dans cette Coupe d’Afrique des Nations 2015.

 

La CAN capte l’attention de tout le continent, alors que dans le nord du Nigéria, Boko Haram continue de semer la dévastation. La CAN 2015 est un rendez-vous à ne pas manquer, même si, comme à chaque édition, elle n’échappe pas aux critiques les plus acerbes. Certains ne manquent pas de dénoncer la baisse régulière du niveau. Des jeux tristes, dépourvus d’imagination, des buts marqués au compte-gouttes. Même un joueur de la trempe de Yaya Touré, le meilleur joueur africain, ne parvient pas à combler les attentes sur le terrain. A tout cela viennent s’ajouter, entre autres, les difficultés techniques d’ordre médiatique. Pourquoi les téléspectateurs ont-ils souvent du mal à voir, ou avoir un ralenti quand il y a but ? Nos chaines de télévision en Afrique sont-elles si peu performantes ?

 

Venons-en aux Aigles du Mali ! L’enthousiasme soulevé par le match à égalité joué contre le Cameroun a fait oublier un temps les vrais problèmes. Les problèmes d’ordre structurel de cette équipe dont beaucoup n’attendent pas grand-chose, jusqu’à preuve du contraire. Ils ont été rejoints au score en toute fin de rencontre. Face à l’autre bête noire, la Côte d’Ivoire, nous avons eu droit au même douloureux scénario.
Il ne faut pas avoir honte de dire que rares étaient ceux qui s’attendaient à voir les Aigles tenir tête aux Ivoiriens et aux Camerounais.

Disons-le, une équipe qui se fait rejoindre au score deux fois en deux matchs ne peut pas ne pas avoir de problèmes. Des problèmes, il y en a, bien sûr. Il suffit de poser ces quelques questions : pourquoi amener Soumaïla Diakité, qui s’est blessé, comme seul gardien de but ayant de l’expérience, quand on est dans un groupe aussi élevé ? Pourquoi continuer de jouer avec un seul joueur à la récupération, quand on subit face à une équipe comme celle de la Côte d’Ivoire ? Pourquoi, face aux Eléphants, les Aigles n’ont-ils pas employé la même rigueur, la même agressivité dans le marquage que face au Cameroun ? Nos confrères qui couvrent l’actualité sportive peuvent ne pas être du même avis. Soit. C’est leur droit le plus absolu.

 

On l’a toujours dit, et le redire ne fera de mal à personne : le jeu à la malienne est souvent soporifique. Il est nonchalant, routinier et avance avec peine. Tous ceux qui suivent un match des Aigles ne laissent-ils pas toujours une marge au pire ? Même quand les Aigles mènent, ils se disent, ou savent d’avance, que ce n’est pas terminé, qu’ils vont se faire rejoindre tôt ou tard. Tout cela est suffisant pour dire, à haute et intelligible voix, que le football malien a encore une fois besoin de travail, de sacrifices et de remise en cause. Le Mali a, plus que jamais, besoin d’une équipe bien soudée, avec des joueurs régulièrement sélectionnés. Il est grand temps de rompre avec les mauvaises habitudes. A chaque match, à chaque édition de la CAN, nous avons une nouvelle équipe, ça suffit ! A la coupe du monde de 2014, au Brésil, le jeu de l’équipe d’Allemagne a démontré l’utilité d’avoir des joueurs qui jouent ensemble depuis très longtemps.

 

Rien n’est encore perdu pour les Aigles dans cette CAN 2015. Tout va se jouer en dernière journée dans ce groupe très serré. L’équipe malienne a, comme les trois autres, son avenir au bout des crampons. Si les Aigles veulent atteindre les quarts, voire les demi-finales, phases où ils disent habituellement au revoir à la compétition, ils doivent jouer, mouiller le maillot, pour gagner et ne pas faire durer le suspense, encore une fois. Il faut y croire et se dire que rien n’est impossible. Ils nous doivent bien cela !

Sinon, leurs deux premières sorties sont à déception moins un : ils peuvent mieux faire.

 

Boubacar Sangaré