bouba68

Boko Haram est vraiment haram

« Si nous ne détruisons pas Boko Haram rapidement, c’est Boko Haram qui nous détruira. »

Ainsi parlait il y a bientôt deux ans un diplomate nigérian, alors que, quelques heures après la libération de la famille Moulin-Fournier enlevée dans le nord du Cameroun, l’armée nigériane avait lancé une offensive contre un fief de Boko Haram (à Baga, sur les rives du lac Tchad). Plus d’un an après, Boko Haram donne toujours l’impression d’être bâti sur du roc. Il n’a pas été détruit, au contraire. Le mouvement terroriste est déterminé à enfoncer le dernier clou dans le cercueil du premier producteur de pétrole en Afrique, le Nigeria. Et à étendre son horizon guerrier aux voisins camerounais, tchadiens.

Le Tchad, qui a battu le rappel des pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, a décidé d’envoyer des hommes et du matériel pour aider le Cameroun qui, dans ces derniers jours, n’en finissait pas de crier à l’abandon. Le Nigeria ne sait plus où donner de la tête.

Des centaines de filles enlevées et disparues, des morts, des villes et villages vidés, des exactions, des crimes contre l’humanité. C’est peu dire que Boko Haram culmine dans l’horreur.

Adeptes d’une idéologie littéraliste appelée Salafisme, les « damnés » de Boko Haram sont aujourd’hui devenus une gangrène qui affecte tout le continent. On se souvient qu’au Mali des membres de l’organisation ont combattu l’armée malienne à Konna aux côtés des hordes barbares d’Aqmi, du Mujao et d’Ansar Dine, comme pour dire que personne n’est à l’abri.

Et si ce mouvement, dont la traduction en haoussa voudrait dire « l’éducation occidentale est un péché », continue jusqu’ici de tenir tête, c’est qu’il a en face des Etats faibles, et une communauté musulmane dont l’immense majorité, modérée, est silencieuse, regarde ou laisse faire. Il faut le dire. Si le fanatisme religieux est en train de défier la loi fédérale au Nigeria, s’il a mis l’Algérie à feu et à sang, s’il a déstructuré l’Afghanistan, c’est aussi parce que cette immense majorité, qui n’est pas armée, qui abhorre la violence, est effectivement silencieuse.

On pourrait aussi évoquer un deuxième facteur. Celui qui englobe l’ignorance, la régression et la sous-gouvernance, qui fait qu’aujourd’hui, on a des bigots et non des citoyens.

Ayant échoué dans son projet de califat, Boko Haram est devenu une hydre qu’il faut stopper. A cause d’une interprétation des textes coraniques au gré de leurs fantasmes, Mohamed Youssouf (fondateur du mouvement, décédé) et Aboubakar Shekau sont en train de transformer la vie de paisibles populations en enfer.

Boko Haram est aussi vraiment haram.

Bokar Sangaré


Kefa, l’inconnu (suite et fin)

C’est la preuve que nous ne faisons plus partie du pays, s’était emporté le chef du village. Ils foutent quoi là-bas tes supérieurs, sinon couiner dans leurs bureaux sous les caresses de quelque gamine. Pendant ce temps-là, nous, on peut crever, ils n’en ont rien à faire. Barre-toi, ou c’est nous qui allons te chasser de là !

 

Abdou n’avait pas attendu qu’ils mettent leur menace à exécution. Il s’était retiré le temps que les esprits se rassérènent. Il n’en voulait pas aux villageois, au contraire, il compatissait à leur souffrance. Mais il ne supportait pas qu’ils peinent à se rendre compte qu’ils étaient tous les victimes d’un système défaillant à tous les niveaux. En soi, neutraliser Kefa était une bien mince affaire.

Kefa n’était pas un malheur que Dieu aurait envoyé pour les punir. Non. Il n’était que l’enfant bâtard d’un système dont on avait abusé, d’une société pourrie, poussive, malodorante, qui avait mis l’homme à genoux par ses folies, ses fantasmes, son angélisme, son manque de conscience que l’autre existe, son égo démesuré… Kefa, c’était une machine créée par le système, créée par la société, par tous, sans le savoir. La machine avait disjoncté, et ça avait provoqué des malheurs. Maintenant, il fallait la stopper.

 

La situation avait dépassé la barrière du supportable et exigeait qu’on mette le holà. Pour toutes les femmes, la forêt où, enfants, elles avaient passé de bons moments à la quête de morceaux de bois, cette forêt leur était désormais interdite à cause d’un homme, un seul homme, à cause de Kefa qui ne valait même pas une brassée.

 

C’était un matin froid, tranquille. Comme à l’accoutumée, Kefa dormait encore, rechignait à se lever. Quand le muezzin avait appelé à la prière, il l’avait traité de fils de grognasse, et s’était dit :
– Prier ? Je n’ai rien à faire du Salam. D’ailleurs, pour un Noir, faire le Salam ou pas, c’est pareil. Il est maudit, le noir ! Il n’entrera pas au paradis.

 

Il dormait, dormait comme un bébé. Dans les touffes d’herbe, un groupe de chasseurs avançait, sur la pointe des pieds, afin de ne pas éveiller Kefa. Les chasseurs venaient lui régler son compte. Ils venaient à plusieurs, Kefa était dans le viseur de chacune de leurs armes. Ils étaient arrivés à la hauteur de la cachette de Kefa, mais lui ne se doutait de rien. Il prenait du plaisir à dormir son sommeil, comme un loir. Les chasseurs éloignèrent d’abord de lui les armes qu’il gardait toujours à portée de main. L’un d’entre eux lui donna alors une tape qui lui fit l’effet d’une tarte. Kefa tressauta, bondit hors de sa couchette, promena ses mains partout pour s’emparer d’une arme pour riposter. En vain.

Les chasseurs l’entourèrent, ne lui laissant nulle part où aller. C’était fini…

Il savait que le jour où il serait capturé, ce serait la fin atroce assurée. Un chasseur grimpa à un arbre, attacha une corde au bout de laquelle pendait une extrémité en forme de cercle. Kefa fut trainé sous l’arbre, soulevé pour que son cou atteigne la boucle de la corde.

Il fut pendu…

Boubacar Sangaré


Mali, l’étrange destin de Moussa Mara

Le soleil de Moussa Mara qui brillait chaque jour dans le ciel de la cité administrative, et dont le fleuve Djoliba réverbérait la lumière, vient de connaître un coucher. C’en est-il fait de lui ? Non. Il y a toujours cet axiome de base en politique qui dit qu’un homme politique ne meurt jamais.

 

 

 

Moussa Mara, photo:www.dw.de
Moussa Mara, photo:www.dw.de

Partira, partira pas ? Depuis plus de deux mois, c’était cette question du départ de Moussa Mara qui concentrait le principal des interrogations. Au final, comme son prédécesseur Oumar Tatam Ly, Moussa Mara n’a pas réussi à faire son trou dans la primature. Après 09 mois à la tête de l’exécutif, le jeune premier ministre de 39 ans, considéré par beaucoup à sa nomination comme un homme d’avenir, a rendu son tablier au président de la République Ibrahim Boubacar Keïta, le jeudi 08 janvier 2015. C’en est donc fait d’une mission qui n’aura pas été de tout repos pour Moussa Mara. Un passage à la cité administrative qui aura été bref. Agité aussi.

 

Chronique d’un départ annoncé

Arrivé à la tête du gouvernement le 5 avril 2014 suite à la démission de son prédécesseur Oumar Tatam Ly, Moussa Mara a reçu un accueil extrêmement mitigé sur la scène politique malienne. Président de la petite formation « Yéléma« , dont le score à la présidentielle avait été tout aussi mitigé, le jeune premier ministre de 39 ans a été perçu dès son arrivée comme un outsider par les barons du RPM, le parti du président IBK, lesquels, après le départ de l’ex premier ministre Tatam Ly, voulaient voir l’un des leurs prendre la tête du gouvernement. De nombreux proches d’IBK ont interprété son choix comme un désaveu, et lui en tiennent toujours rigueur.

 

Mais c’est en mai dernier que tout a véritablement basculé à cause de la visite de Moussa Mara à Kidal : on sait comment cela s’est (mal) terminé. Baroudeur, populiste, dur d’oreille, enclin à la bravitude, disait-on à son encontre. Ensuite, en juin, est venue la motion de censure introduite par l’opposition à l’Assemblée nationale pour abattre le gouvernement Mara. Dans les affaires de l’achat du jet présidentiel et du marché des matériels militaires et des équipements de l’armée, Mara a perdu un peu de son crédit auprès de beaucoup. Ils ont décelé dans ses multiples mises au point des mensonges fabriqués pour blanchir IBK. Même si ses partisans objectaient que les difficultés qu’il rencontre tiennent au fait qu’il est déterminé à assainir les finances publiques et à lutter contre la corruption. C’est lui qui, de fait, aurait confié les audits des affaires de l’achat du jet présidentiel et du marché des équipements de l’armée au Bureau du Vérificateur Général et à la Cour suprême.

Ces dernières semaines la rumeur enflait au sujet d’un prochain départ de Mara, forçant le principal concerné à démentir chaque fois. On le sait, quand la ville de Bamako se remplit de rumeur, cela n’est jamais anodin. Surtout qu’il existait aussi des indices qu’un remaniement ministériel se préparait.

Flou artistique

Nul ne sait aujourd’hui les griefs qui ont valu à Moussa Mara de « démissionner » ou « d’être limogé ». Ainsi, comme à la démission de Tatam Ly, il y autour de ce départ de Moussa Mara une sorte de flou artistique. Comme si cela ne valait pas la peine d’expliquer au peuple, qui a besoin de comprendre, qui a droit à la vérité. Comme si cela était normal de maintenir le peuple dans l’ignorance.
Il est clair que la cohabitation Moussa Mara-IBK révélera un jour tous ses secrets. Mais il faut qu’au-delà des rumeurs et des théories les plus capricieuses, ce départ brutal soit expliqué pour que cette ascension fulgurante de Mara comme ce coup de frein ne restent pas inexpliqués. Comment un expert-comptable, politique fin, pourfendeur de la corruption, dont le passage à la mairie de la commune 4 du district de Bamako est encore salué, a-t-il pu connaitre un sort aussi triste à la primature ? Qu’est ce qui s’est réellement passé ? Ou bien était-il simplement un exécutant des ordres du numéro un, IBK ? A ces questions, il est sûr que nous aurons des réponses dans les jours prochains.

Mara, ce Wangrin en politique

Moussa Mara, disons-le, n’est pas connu que parce qu’il est homme politique et expert-comptable. Non, on se rappelle son père, le lieutenant Joseph Mara, entré au gouvernement en 1970, sous le régime kaki de Moussa Traore, avec le portefeuille de la justice, avant d’être arrêté, huit ans plus tard, pour malversation.

Moussa Mara atterrît sur la planète politique en 2004, aux élections municipales. Il y présenta une liste indépendante qui fut invalidée par le tribunal administratif. En 2007, il présenta, à nouveau, une liste indépendante qui fut battue au second tour, après avoir obtenu 48,5% des voix. En 2009, pour les élections municipales, encore avec une liste indépendante, il arriva en tête en commune IV du district de Bamako. Il en fut de même en 2011.

Entretemps, en 2010, le jeune Moussa Mara crée Yelema, son parti politique, dont le nom signifie changement en langue bamanan. Jeune formation, Yelema entretient une rivalité féroce en commune IV, avec le RPM, Rassemblement Pour le Mali, le parti d’IBK. La montée en force de Moussa Mara s’explique : jeune politicien éveillé, sagace et perspicace, il est parvenu à s’imposer dans cette commune. Sa position affirmée de pourfendeur de la corruption semble l’avoir rendu incontournable pour l’avenir.

A quelques réserves près, s’il était un héros de roman avec lequel on pourrait comparer Moussa Mara, ce serait bien Wangrin. Ceux qui ont lu L’étrange destin de Wangrin, écrit par Amadou Hampaté Bâ, savent de qui je parle. Moussa Mara, comme ce héros, est un homme ambitieux, qui a butiné dans l’arène politique pendant 10 ans avant de connaître une ascension fulgurante, déjouant ainsi les pronostics de certains qui lui avaient réservé un tout autre sort.

Il avait pour mission de diriger le gouvernement d’un régime qui, depuis sept mois, tâtonnait, ne savait pas dans quelle direction conduire le pays, et, dont le premier ministre avait claqué la porte à cause d’une bataille d’influence orchestrée par des apparatchiks du RPM, comme l’a expliqué Tatam Ly lui-même, dans sa lettre de démission. Mara devait s’y attendre, ils n’allaient certainement pas lui laisser les coudées franches. Il le savait mieux que quiconque. Il a sûrement gardé en mémoire la phrase pleine de sagesse que son prédécesseur, Tatam Ly, avait lancée lors de la cérémonie d’adieu à la Primature :

«Tout ce qui a un début a une fin..».

Celle prononcée par le personnage Wangrin est plus imagée :

« Tout soleil connaîtra un coucher… »

Le soleil de Moussa Mara qui brillait chaque jour dans le ciel de la cité administrative, et dont le fleuve Djoliba réverbérait la lumière, vient de connaître un coucher.

C’en est-il fait de lui ? Non. Il y a toujours cet axiome de base en politique qui dit qu’un homme politique ne meurt jamais.

Boubacar Sangaré


Charlie Hebdo, «tous arrachés à leurs crayons» !

Dans la matinée du mercredi 7 janvier 2015, une fusillade a éclaté dans les locaux du journal Charlie Hebdo. Douze morts, une dizaine de blessés, c’est le bilan de l’attentat commis contre l’hebdomadaire satirique français. Les caricaturistes Charb, Wolinki, Tignous, Cabu, les piliers de cette gazette sarcastique, irrévérencieuse, libertaire, « ont été arrachés à leurs crayons », pour citer mon amie chroniqueuse Françoise Wasservogel, par des gens qui ne sont que des imbéciles. Aberration.

C’est un attentat à la liberté. Et, disait il y a quelques mois l’islamologue Mohamed Talbi, « tout ce qui tue la liberté tue l‘homme ». Déclarations de solidarité, condamnations, cris de colère ont envahi les réseaux sociaux, la presse, la blogosphère.

Bien sûr, cet attentat est à condamner avec rigueur. Et tous nos reproches, nos différends avec ce journal déposent les armes devant cette tragédie. On ne dira pas que Charlie Hebdo est un journal néoconservateur, réactionnaire et opportuniste. On ne dira pas que Charlie Hebdo est un « journal de merde ». Non, on ne dira pas que Charlie Hebdo est un journal « raciste ». Tout cela n’a plus d’importance, car ceux de Charlie que la kalachnikov, les lance- roquettes ont tués sont aussi des enfants du Bon Dieu ! Ce sont d’abord et avant tout des hommes dont rien, mais absolument rien, ne justifie le meurtre.

L’on rapporte que les assaillants s’en sont allés en criant « Allah Akbar » ou encore « le prophète est vengé ». Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce qui s’est déroulé à Charlie Hebdo se justifie d’autant moins que l’islam n’a jamais autorisé le meurtre, et donc les auteurs de cet attentat n’ont rien à voir avec les musulmans. Ce ne sont que des terroristes, et en tant que tels ils sont les ennemis de tous, surtout des musulmans dont l’immense majorité n’en finissent pas de dire la tête haute et le buste droit que l’islam est une religion qui prêche la tolérance, le respect de l’autre, l’amour, et non la haine.

A bas l’intégrisme !

Bokar Sangaré


Anfilila ou les mots pour dire la désillusion malienne

photo: https://www.facebook.com/pages/Anfilila/721033794637587?fref=ts
photo: https://www.facebook.com/pages/Anfilila/721033794637587?fref=ts

En septembre 2013, Ibrahim Boubacar Keïta, candidat du Rassemblement Pour le Mali (RPM), a remporté la présidentielle avec 77,62% de suffrages exprimés. Un raz de marée qui a vite étouffé les réserves qu’il suscitait chez beaucoup, surtout à l’étranger. Qu’on se le dise, IBK fait partie de cette génération de politiques post-indépendance qui devait ancrer le Mali dans la démocratie, mais qui, grande déception, à force de jouer la carte du consensus a conduit à une désarticulation du pays. Game Over. On ne dira pas qu’il n’y a nulle trace de convictions démocratiques dans l’itinéraire d’IBK. Mais à lui et à tous ceux de sa génération, il est impossible de ne pas dire Game Over.

Aujourd’hui, dans un monde post Snowden, IBK et son régime se heurtent au désir d’avoir voix au chapitre d’une jeunesse « facebookiste », « youtubiste » ou « twitter », pour reprendre l’opposant algérien Ali Benflis, qui sait ce qui se passe ailleurs. Après la presse, les réseaux sociaux sont aussi devenus une pépinière d’où émergent des voix, pour dire leur déception vis-à-vis de celui dont ils étaient beaucoup à penser qu’il allait « donner un coup de fouet au pays », pour demander « un gouvernement resserré qui aura un an pour redresser le pays voire le relancer », car « y’en a beaucoup le parler (sic)».

Est-ce trop demander à un quelqu’un qui n’a fait qu’un an au pouvoir ?

 

Un mois après le pacte de Varsovie, le 18 aout 1991 un putsch raté à Moscou avait débouché quelques mois plus tard sur une dissolution de l’URSS. Les putschistes ont échoué, mais Boris Eltsine est monté en puissance, et en a profité pour chasser Gorbatchev. On connait le bilan catastrophique de ce que le journaliste français Bernard Guetta a appelé le putsch des « huit imbéciles ». Depuis, les Russes ont dégoté un terme désabusé pour parler de la totale déliquescence de leur pays : Besperedel, qui veut dire « qui est absurde », « qui ne peut être compris (1)».

En Algérie, le 26 décembre 1991, le Front Islamique du Salut (FIS) a obtenu 188 sièges (47,4% des voix) au premier tour des premières législatives pluralistes. Le 11 janvier 1992, l’armée a poussé le président Chadli Benjedid à démissionner, et le scrutin a été annulé. Ce qui a plongé le pays dans une « décennie noire », aussi appelée « années du terrorisme » ou « guerre civile ». Les Algériens ont, eux aussi, trouvé de nouveaux mots pour parler de la totale désagrégation de leur pays. Selon le journaliste et essayiste algérien Akram Belkaïd, le plus employé est Koukra qui signifie « trop c’est trop ». Les jeunes n’en peuvent plus non plus du Hogra, c’est à dire de l’injustice. Le « Ulach smah ulach » (pas de pardon), la s’hifa (la vengeance), et le «tchippa » (le pot de vin) enrichissent aussi le vocabulaire du ras le bol algérien.

 

Au Mali, nous avons aussi nos Besperedel, nos « tchippa » ou « koukra ». Il n’est pas question pour nous de dire ici qu’on peut rapprocher la situation malienne de celles de l’URSS et de l’Algérie. De nouvelles expressions, de nouveaux mots sont maintenant fréquemment utilisés pour illustrer la déception générée par certains actes, certaines décisions du régime d’IBK. Il y a Anfilila, (nous nous sommes trompés) employé aujourd’hui par nombre de jeunes pour qui IBK n’est pas celui qu’ils croyaient. Sur le réseau social Facebook, bastion de la propagande et royaume de la pourriture, il existe une page portant ce nom avec une photo d’IBK en train de sourire en disant : « je vous ai bien eu ».

L’achat du jet présidentiel, on le sait, a fait beaucoup de bruit, à tel point que la Banque mondiale et le FMI ont eux aussi crié au scandale. Ensuite est arrivée l’affaire des surfacturations du marché des équipements et des matériels militaires de l’armée. Les mises au point du premier ministre Moussa Mara n’y ont rien fait. Au contraire, au fil de ses sorties, Moussa Mara a perdu de son crédit auprès de beaucoup dans l’opinion. Aujourd’hui, certains l’appellent même GaloonMara, pour dire qu’il est en train de fabriquer des mensonges pour faire passer IBK par une lessiveuse, le blanchir. Aussi, en mai 2014, après s’être rendu à Kidal, visite pour laquelle il a été violemment critiqué, il est devenu «le premier ministre qui fait le karato », c’est-à-dire le premier ministre qui aime le risque, un baroudeur au sens où l’entendent les militaires.

Le président IBK n’est pas, lui non plus, sorti indemne de toutes ces affaires. Beaucoup continuent de l’appeler « Zon bourama » (Bourama le voleur) « ana ka zon grin » (et sa bande de voleurs).

(1) Lire Akram Belkaid, Un regard calme sur l’Algérie, Seuil, 2005

Boubacar Sangaré


Mali: Wadossène 2014

A Wadossène, photo: koulouba.com
A Wadossène, photo: koulouba.com

Un terroriste qui s’évade de la plus grande prison du pays, fait la peau à un mirador dans sa fuite. Rattrapé et écroué une fois de plus, il est échangé, avec d’autres sinistres terro-bandits, contre un otage pour l’enlèvement duquel il avait joué un rôle, et non des moindres.

Ce n’est pas un roman russe. C’est juste l’évasion du sinistre Ag Wadossène « agrémentée » de sa libération en échange de celle de Serge Lazarevic, le dernier otage français au Sahel et dans le monde. L’année malienne 2014 s’est terminée ainsi. Dans le pays, ces évènements ont libéré la vanne de la colère, endeuillé des familles, amené des ministres à dire « des bobards » comme l’a dit notre confrère Dramane Aliou Koné.

Au Mali, tout cela est arrivé dans un contexte de scandales (achat du jet présidentiel, marché d’équipements et de matériels militaires surfacturés), de mensonges, de corruption et de pauvreté. Dans un pays où l’ennui n’est pas loin d’être un sport national. La colère, les indignations, les réactions d’incompréhension qui ont accueilli la libération de Ag Wadossène ne sont pas anodines. Cette libération a effectivement été vécue par nombre de Maliens comme une faiblesse de plus de l’Etat, dont ils savent les acteurs incapables de défendre les intérêts des populations.

Pour défendre une décision si contestée et impopulaire, les responsables maliens ont d’abord avancé l’argument de « la raison d’Etat ». Le ministre de la justice, Mohamed Ali Bathily, pour ne rien régler finalement, a expliqué que les terroristes ont été échangés contre l’otage pour sauver « l’honneur du Mali ». Un argument à dormir debout. Le président Keïta a mis un point final à toutes ces fuites en avant en disant que les terroristes qui ont été libérés seront traqués. Et voilà, il ne manquait plus que cela ! IBK a ajouté son grain de sel pour boucler la boucle de cette « élucubration » communicationnelle.

D’aucuns diront que c’est accorder trop d’importance à Ag Wadossène, un gars qui n’en vaut pas la peine. Soit. Il n’empêche qu’il a, lui seul, créé un concert d’indignations dans le pays. Il a levé le voile sur le vrai visage d’un pouvoir qui, depuis qu’il est en place, joue les apprentis sorciers, échafaude des plans qui s’avèrent défectueux quelque temps plus tard, et n’a jusqu’ici rien fait pour montrer qu’il a rompu avec les méthodes de gestion d’antan. Qui n’aurait pas parié qu’Ebola n’entrerait pas au Mali ? Comment est-il possible qu’il y ait eu fraudes et corruption jusque dans les hautes sphères du régime qui avait fait de la lutte contre l’enrichissement illicite son cheval de bataille ? Pourquoi échanger des terroristes contre celui dont on dit qu’il est un espion ? Pourquoi ?

Il ne fait aucun doute que l’évasion de Ag Wadossène, puis sa libération sont les évènements les plus marquants de l’année 2014 qui s’achève. Sa libération n’était pas pour « sauver l’honneur du Mali ». Qu’il soit traqué ou pas, cela ne change rien, ni au fait qu’il a été échangé contre celui qu’il avait lui-même enlevé en 2011, ni au fait qu’il ait tué l’adjudant Kola Sofara que sa famille pleure encore.

Boubacar Sangaré


Kefa, l’inconnu (deuxième partie)

Un jour, comme tant d’autres, les femmes rentraient du champ après une journée à rupiner. Les nuages s’effilochaient à l’horizon, le soleil surplombait les montagnes. Le vent s’était bloqué comme une horloge cassée. La journée avait été harassante, les femmes n’étaient visiblement pas en veine de reprendre les habituelles causeries qui les aidaient à supporter le long chemin à parcourir. Elles n’avaient guère la tête à ça. En procession, elles avançaient, silencieuses, les unes portant du fagot, les autres une hotte de karités.

Kefa s’était embusqué dans les hautes herbes, et guettait cette procession de femmes, dans la position d’un lion prêt à bondir sur sa proie. A mesure qu’elles s’approchaient de son coin de guet, Kefa triait sur le volet. Il repéra sa proie, la pesa du regard, la fixa. Elle avait une physionomie intéressante, une croupe charnue, des seins relevés. Elle sentait la jeunesse. Elle valait son pesant d’or. Il bondit hors des herbes, nanti d’une machette qu’il brandit aussitôt. La lame était luisante. Les femmes prirent peur. Ce fut la débandade. Sauve qui peut. Kefa ne perdit pas de vue sa proie. Cette proie à laquelle il tenait tant, celle qui allait lui faire jouir de la chance d’être un homme, un homme pareil aux autres… Un homme à qui on avait jusqu’ici refusé d’être un homme.

Elle n’avait pas bougé d’un pas cette femme-là. Elle tremblait de tout son corps, immobile, les larmes au bord des yeux, prêtes à cascader comme une chute d’eau, mais elle les contenait pour le moment. Les lèvres palpitantes, les yeux grands ouverts, comme un rat coincé, elle savait qu’elle tomber dans une souricière, pieds et mains liés, sans moyen de s’en tirer. Elle se savait foutue, telle une carpe déjà entre les dents d’un crocodile. Elle était là, figée, comme pétrifiée, résignée à subir le sort qui l’attendait.
Kefa avait joui d’elle. Il avait calmé ses désirs, ses envies et ses fantasmes accumulés, sans penser qu’il commettait là un crime, un crime pour lequel il méritait de… mourir.

Nombreuses étaient les femmes du village qui avaient subi les folies érotiques de Kefa, et pas mal, parmi elles, avaient ensuite été refusées par leur époux, malade de jalousie. Au fur et à mesure que sa sinistre réputation avait pris de l’ampleur, l’idée était venue à Kefa de s’armer davantage. Il avait de tout : machette, fusil, pistolet mitrailleur, gourdin… Comme s’il savait qu’il n’était pas à l’abri d’une attaque. Comme s’il était dans le secret de la pensée des villageois, qui de plus en plus révoltés, s’accusaient mutuellement de lâcheté, juraient par tous les saints qu’ils devaient faire la peau à ce malfrat. Révoltés, ils l’étaient les villageois, contre eux-mêmes parce qu’ils n’étaient que des lâches, poltrons, couards. Contre Kefa, contre le jour où il était venu au monde. Ils le maudissaient, maudissaient celle qui l’avait mis au monde, ils disaient qu’elle aurait dû accoucher d’une merde à la place de Kefa.

– Restez où vous êtes ! ordonna Kefa sur le ton d’un père à son fils. Pas un geste.

Guet-apens

Surprises et apeurées, les deux femmes qui suivaient la charrette ouvrirent grand les yeux, le cœur battant la chamade. Elles clignaient des paupières comme si elles avaient du mal à réaliser ce qui leur arrivait. Perdues, elles promenaient leurs regards de proie, espérant trouver une échappatoire. Aucun moyen de se tirer de là, elles étaient faites comme des rats. Elles demeuraient affligées, interdites.

– Décidément, vous n’avez aucune mémoire ! Si vous en aviez une, vos rires de salopes n’auraient pas dérangé mon sommeil. Ça se voit tout de suite qu’on ne vous a pas appris à fermer vos becs, à la boucler un peu. Cette langue, sur laquelle vous n’avez plus aucune autorité, je vais vous la faire avaler.

Elles frissonnèrent, de plus en plus conscientes que c’était là la mort du petit cheval. La catastrophe. La vieille, une habituée des lieux, anticipa, fila à Kefa le mouchoir contenant l’argent. Il sourit, les yeux dansant dans leurs orbites, il arracha le mouchoir avec aspérité, plus content qu’une femme complimentée par son mari. Il ne tenait plus en place, il allait et venait, sans accorder la moindre attention à ses captives qui commençaient à grimacer de colère, fulminaient sans desserrer les dents. Un instant, elles s’estimèrent chanceuses parce que

Kefa semblait oublier de sacrifier à sa coutume d’abuser de toutes les femmes qui, par malheur, échouaient dans son guet-apens. C’est peu dire qu’elles conchiaient Kefa, comme elles conchiaient Abdou, le gendarme qui fait le guet, lui aussi, à la sortie de la forêt, pour traquer les trabendistes. Abdou, le gendarme, savait mieux que quiconque que la forêt était devenue l’apanage de Kefa. Il avait toujours prétexté son manque d’armes pour tromper la colère qui grondait dans le village, où on exigeait qu’il se casse puisque, à cause de son incapacité, Kefa lui échappait. Il avait beau tenter de leur faire comprendre que, seul, il n’y pouvait rien, qu’il ne faisait que respecter la consigne de ses supérieurs, les villageois étaient devenus sourds à quelque plaidoirie. Tout ce qu’ils voulaient, c’était qu’il dégage…

A suivre…

Boubacar Sangaré


Au Mali d’IBK

Ibrahim Boubacar Keita, président du Mali Photo: maliactu.net
Ibrahim Boubacar Keita, président du Mali Photo: maliactu.net

Il y a quelques mois, Fanney Pigeaud, auteure de Au Cameroun de Paul Biya, était au cœur d’une polémique. Son livre dérangeait. Dans la presse camerounaise, dans la blogosphère, sur les réseaux sociaux, les critiques, bonnes comme mauvaises, pleuvaient sur cette ancienne correspondante de journaux français (AFP, Libération).

Pourtant, « qu’on le veuille ou non, Fanny Pigeaud dépeint une réalité que nous vivons tous les jours. Gabegie, trafic d’influence, corruption, le tout dans un contexte général de pauvreté à la limite du supportable. Le drame dans l’histoire de ce pays est que l’anormal est tellement passé dans les us locaux qu’il ne saute plus aux yeux », avait écrit sur son blog l’écrivain et blogueur camerounais Florian N’gimbis.

D’aucuns, surtout les simplistes, se demanderont quel est le rapport avec le Mali. Simplement parce que tout ce bruit autour d’un tel livre appelle un constat et non des moindres: du Cameroun au Mali via le Togo, dans toutes les républiques bananières, celui qui écrit sur la réalité, la dure réalité, est logé à la même enseigne que l’auteur d’un crime de lèse-majesté. Et s’il a un peu de chance, on va ressortir contre lui toute la poubelle de l’accusation de complot, d’avoir été stipendié…

Dans nos pays, où tous les symptômes de la décadence sont réunis comme au dernier siècle de l’empire romain ; où les dirigeants sont infectés par le virus de l’hubris et se rêvent Crésus, où la réalité et la pensée sont uniques, ceux qui ont les leviers du pouvoir « conchient » ceux qui osent sortir de leur « norme ». La « norme » unique. Elle est comme une voie à sens unique. Et dans cette uniformité ambiante, le peuple, ce bébé qui ne grandit jamais, finit par accepter, trouver les choses normales même dans leur anormalité. Un peuple méprisé, maintenu sciemment dans l’ignorance, à l’esprit sclérosé et gonflé comme un ballon à l’hélium de culte de la personnalité, de vénération, de considérations et croyances bidon. Il devient bigot, c’est tout. Passif spectateur, mais jamais acteur. Alors, il est complice. Complice de sa situation, de sa condition de peuple enfumé.

Au Mali, on en est à ce stade. Il faut le dire. Le désenchantement ambiant, auquel on assiste, est le signe qu’IBK a confirmé les pronostics faits par ses contempteurs. Au Mali d’IBK, les seuls faits d’arme du régime sont son assise clanique qu’on ne finit pas de dénoncer, ses ministres ou autres agents de l’Etat- voleurs de la société- qui fraudent, corrompent dans l’exécution d’un marché de matériels militaires et d’équipements de l’armée. Le Mali d’IBK est le pays où quatre sinistres terroristes sont échangés contre un otage français dont on dit qu’il était un espion. Et pour s’expliquer, le président choisit les antennes d’une radio étrangère, preuve du mépris qu’il a pour la presse nationale.

Le Mali d’IBK est celui où il y a toujours des zones d’ombres quant à l’achat du jet présidentiel. Un pays où un ministre se permet de mentir de manière effrontée sans se faire rappeler à l’ordre. Un pays dont la saleté qui défigure la capitale est la vitrine.

Boubacar Sangaré


Kefa, l’inconnu (première partie)

Les arbres s’étalent à perte de vue, les herbes sont épaisses et dépassent toute tête. Dans les branches, les oiseaux gazouillent, troublant le calme des lieux et le sommeil de Kefa. Kefa chasse de la main les moustiques, encore avides de sang, qui vrombissent autour de lui. Il inspire et expire bruyamment, se gratte sans arrêt le point du corps d’où un autre moustique vient de décoller. Il pense à s’arracher de la petite natte qui lui sert de couchette, mais n’en a pas envie. Il en est au stade où l’idée de se lever lui fournit le chapelet d’injures qu’il abattra sur le premier venu.

Se lever ? Mais, diable ! Pour quoi faire ? Sans enfant, sans femme. Il n’y a que lui Kefa. Lui, et lui seul. Alors, pourquoi bouder son plaisir ? Peut-être par respect pour les menteries de ces raconteurs de craques pour qui un homme, ça se lève avant le soleil, pas après ? Non ! Lui, Kefa n’en a rien à cirer. Lui, Kefa en a assez de ces craques de petit snock ! Les oiseaux peuvent gazouiller à se casser le bec, les feuilles bruire, le vent souffler jusqu’à fracasser les branches d’arbres, Kefa ne se lèvera pas. D’ailleurs, il ne doit rien à personne.

Ce qui l’a réveillé, c’est le claquement produit par les pneus d’une charrette tirée par deux ânes, braillant, pétant par intermittence, comme s’ils sentaient un danger proche. Deux femmes, une vieille et une belette suivaient la charrette. Peu soucieuses des ânes, elles  riaient aussi fort qu’un maboul joyeux, aussi fort que Kefa s’en trouvât énervé. Il y voyait une bravade de son autorité de brigand, de coupeur de route qui avait réussi l’exploit de faire reculer toute une colonne de gendarmes venue pour le mettre hors d’état de nuire. Comme elles n’avaient nul respect pour lui, lui Kefa, il allait leur apprendre à se faire discrètes, à savoir se conduire dans une forêt si pleine de dangers, où même les chasseurs les plus redoutables du village ne s’aventuraient que très rarement.

Kefa est un jeune homme, le cap de la trentaine à peine franchi. Il a de la prestance, les cheveux en broussaille, de gros yeux couleur sang dont la seule vue fait trembler de peur, une corpulence qui le fait passer pour une gourde, menton en galoche, les lèvres noires à force de tirer sur la pipe qu’il a en permanence au bec. Personne ne sait de quel village il vient. On le dit simplement originaire d’un des villages avoisinants.

On raconte que, là bas, on ne voulait plus de lui, qu’aucun père n’avait daigné lui accorder la main de sa fille. De quoi faire naître chez Kefa le sentiment d’être condamné à la réclusion, d’être un homme à part destiné à vivre dans un monde à part. Son nom avait couru les familles, les rues, les palabres. Partout, on le vomissait. Partout, à son passage, on l’épiait longuement ; les enfants fuyaient dès qu’il paraissait, le criblaient d’insultes, de marmonnements rogues. Certains allaient jusqu’à le bombarder de cailloux qui l’atteignaient à la tête. Couvert de sang, il passait son chemin comme si de rien n’était, les yeux injectés de colère.

Et l’arbre de la haine poussait dans son cœur. Chaque instant qui passait rajoutait une louche à l’immense océan qui le séparait du village et des villageois. Il prenait davantage conscience de sa condition d’homme rejeté de partout. Parfois, dans les moments de solitude, il riait, riait de cette vie sienne, faite de tristesse, aussi malheureuse que les premières nuits du veuvage. Une vie qui sonnait creux. Une vie où il n’y avait nulle trace d’amour, d’amitié… Il pouvait mourir Kefa, nul n’allait s’en émouvoir, d’autant plus qu’on le logeait à la même enseigne que les fous, les avortons, les perclus… Eux qui n’étaient pas considérés comme des hommes, eux n’avaient pas d’âme.

A suivre…

Boubacar Sangaré


Mali: Lazarevic et ce qu’état faible veut dire

Lazarevic de retour, photo: fr.news.yahoo.com
Lazarevic de retour, photo: fr.news.yahoo.com

Nul doute qu’à propos de la libération de Lazarevic– qui continue de faire du bruit, déclencher des indignations-, on ne nous a pas tout dit. On dira ce qu’on voudra, mais, il est impossible de ne pas dire que cette libération de quatre jihadistes est aussi le signe manifeste de faiblesse du gouvernement malien. Faiblesse qui tire sa source surtout de la crise, mais pas seulement de la crise. Faiblesse qui l’empêche de décider souverainement même dans les questions le concernant, apportant encore une fois la preuve que partout où presque en Afrique, dans les pays qui restent dans le pré carré de l’ancienne puissance coloniale, même un pouvoir démocratiquement élu n’est pas en capacité de défendre les se intérêts des citoyens.

La rébellion, le péril jihadiste au Nord, les pourparlers, une économie plombée, le spectre d’une grogne sociale, un gouvernement de plus en plus contesté…Ce sont là des difficultés qui font que le régime se sent incapable d’être ferme, y compris dans les questions d’intérêt national.

Et puis, il y a surtout que dans cette affaire des pourparlers, la solution n’est pas venue du Mali, mais des autres pays impliqués, parmi lesquels se trouve la France.

Les responsables maliens savaient bel et bien qu’ils allaient soulever la colère du peuple, mais cela ne les a pas empêchés de libérer quatre sinistres islamistes pour celui qu’on appelle au sein de l’opinion publique « un espion français ».

« Le fait du prince pèse plus lourd que le droit. Des terroristes libérés contre un espion. », s’indignait ainsi un jeune écrivain au cours d’une discussion. C’est-à-dire qu’il y a vraiment lieu de se demander pourquoi le gouvernement malien ne n’est pas aligné derrière le sentiment profond du peuple malien.

Boubacar Sangaré


Mali : que dire après la libération de Lazarevic ?

Ce mercredi 10 décembre 2014, alors que Serge Lazarevic, le dernier otage français au Sahel et dans le monde est attendu en France par le président François Hollande, le quotidien Le Républicain se fait l’écho de cette libération. On peut lire dans son éditorial : « Il  (l’ex-otage)a été donc échangé contre le tueur de son ami Verdon et d’un Malien qu’il a tué dans sa rocambolesque évasion de la prison de Bamako. Si rançon il y a eu, payer aux émirs d’Aqmi un bronzage à Saint-Tropez. La manne sera investie dans plus d’armes, plus de mines antipersonnelles. Pour tout dire dans l’idéologie meurtrière d’un intégrisme qui viole, vole et asservit des musulmans. La volonté de puissance ainsi mieux armée pourrait ainsi faire d’autres Ghislaine, Claude, Germaneau, Dwyer. Ou tuer encore plus de soldats maliens, nigériens, onusiens ou français ». Et l’éditorialiste Adam Thiam s’avance jusqu’à poser une question, gênante, mais qui vaut tout de même d’être posée : tant qu’à faire, pourquoi refuse-t-on de dialoguer avec les mouvements jihadistes d’un côté alors qu’on les renforce de l’autre? »

Comme nombre de Maliens, il faut se réjouir pour Serge Lazarevic, qui retrouve sa famille, libre. Surtout que les risques que cela débouche sur l’horreur et l’impensable étaient grands tant il est vrai que le Mali reste empêtré dans le jihadisme. Ce pays, disons-le tout de suite, est perdu dans un bazar. Les choses semblent embrouillées : Ebola, économie, perte totale de repères de la société… Mais cela est une autre histoire.

Aujourd’hui, après la mort de Verdon, l’assassinat dans le pire style mafieux de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, il est clair que la libération de Lazarevic apporte une sorte de bouffée d’oxygène.

Mais il se trouve qu’Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamiste) n’a pas libéré Lazarevic pour se faire connaître. Non, pas du tout! On en sait un peu des conditions de sa libération. Comme cela se fait souvent, il a été libéré en échange de deux prisonniers islamistes détenus au Mali. Même si pour le moment il est difficile d’affirmer qu’une rançon n’a pas été payée. Mais ce qui est bizarre en l’espèce, c’est que parmi les deux noms cités l’un d’entre eux au moins est un de ceux qui ont enlevé Serge Lazarevic et son compagnon d’infortune, Verdon ! Ce qui est grave, en plus du  fait de remettre des bandits dans la nature !  « Mais ça, c’est toujours comme ça, ceux qui sont libérés en échange sont toujours des bandits qui demandent des échanges. Les otages libérés par Boko Haram dernièrement au Cameroun ont été libérés en échange de gens du Boko Haram. En Amérique latine, pareil, ils demandent toujours la libération des leurs. Partout.`C‘est très compliqué! Mais là, dans ce cas précis, c’est surtout l’ ‘ironie’ de libérer les kidnappeurs eux-mêmes ! Hier, j’entendais qu’ils avaient été transférés à Kidal, il faut demander à IBK, Issoufou et F Hollande de s’expliquer. Je me demande ce que pense la famille de l’autre monsieur, Philippe, celui que leurs ravisseurs ont tué; ils doivent être heureux pour Serge, mais les gens libérés, si ce sont eux, sont tout de même ceux qui ont repassé leur père, frère, fils aux mains de ceux qui l’ont exécuté« , me disait ce matin une amie journaliste.

Oui, il ne fait aucun doute que c’est grave, très grave. Car c’est l’industrie du terrorisme qui gagnera encore et encore. Et beaucoup de pays ont payé chèrement le prix de la libération des jihadistes, comme l’Égypte. Le problème, c’est qu’une fois libérés, on ne peut surveiller leurs activités, à croire qu’ils vont renouer avec leurs mauvaises habitudes d’avant.

Cela étant dit, il y aussi l’autre question : que faire ? On laisse Lazarevic, on ne fait rien, on ne paye pas de rançon, on ne fait pas d’échanges? C’est là une question qui n’est pas facile à répondre. Et c’est là que la voix de ceux qui entonnent le chant du « c’est très, très grave! » cesse d’être audible. A moins qu’on ne soit partisan de la méthode musclée dans les libérations d’otages, comme savent le faire Israël (les Jeux olympiques de Munich), les États-Unis, l’Algérie ( In Amenas).

Boubacar Sangaré


Mali: Intagrist El Ansari, « aujourd’hui, tout le monde veut la paix (…), les acteurs armés doivent se mettre d’accord… »

Intagrist El Ansari est un journaliste malien, correspondant en Afrique du Nord-Ouest (Sahel-Sahara) pour des journaux internationaux. Réalisateur de magazines TV, il a aussi travaillé sur des films qui s’intéressent aux cultures sahariennes. Son dernier livre paru est  Echo saharien, l’inconsolable nostalgie  (1). Il livre ici son analyse sur les pourparlers d’Alger qui, un temps repris, ont été à nouveau suspendus, sur la profusion des groupes armés au Nord du pays. .. Et pour lui : on ne revient pas en arrière, tout le monde veut aujourd’hui la paix, il appartient aux acteurs – armés – de se mettre d’accord sur quelque chose pour arriver à bout de cette histoire, afin que les gens reprennent une vie normale.

 

 

Intagrist El Ansari, Journaliste et écrivain credit: Intagrist
Intagrist El Ansari, Journaliste et écrivain, Photo:  Intagrist

 

 

1- A Alger, les groupes rebelles de la coordination des mouvements politiques de l’Azawad ont revendiqué le Fédéralisme. N’est-ce pas là un retour à la case départ et un déni des signatures de l‘Accord préliminaire de Ouaga et de la feuille de route des pourparlers qui enterraient toute revendication fédéraliste, indépendantiste…?

 

Il est évident que la remise sur la table des négociations de la revendication d’un fédéralisme ou autonomie pour le nord, est un non sens, puisqu’ils (les groupes armés du Nord) avaient signé une feuille de route, en juillet dernier, devant témoins internationaux, les caractères « Unitaire », « Républicain » et « l’Intégrité territoriale » de l’Etat malien. Le caractère « Unitaire » signifie bien la forme d’administration et de gouvernement d’un pays « Uni » autour d’un pouvoir central et des institutions républicaines qui « dépendent » de celui-ci, ce qui est différent d’une Fédération fonctionnant avec des entités institutionnelles (ou étatiques) – « multiples », en opposition à la notion « d’Unité » -, et politiques plus ou moins « indépendantes » les unes des autres. En deuxième lieu, en reconnaissant la Constitution de la République du Mali – dans sa version actuelle – il n’est fait mention, nulle part dans la feuille de route, que cette reconnaissance, par les groupes armés, est sous réserve d’une révision constitutionnelle ultérieure, ce qui s’ajoute au non-sens du revirement ou du rebond d’une revendication autonomiste.

 

On peut penser qu’il faudra un peu plus de temps que prévu, à la médiation Algérienne pour parvenir à faire adopter le projet d’accord, remis aux belligérants, qui s’inscrit strictement dans le cadre de cette feuille de route.

 

En deuxième piste de réflexion, on pourrait s’interroger sur une possible tentative « d’esquive politique » par les groupes armés vis-à-vis d’une partie de leurs militants qui avaient tant misé sur « l’indépendance », accepté ensuite « le Fédéralisme », et/ou au moins une  » large autonomie » de « l’Azawad ». Revenir à la table des négociations avec cette revendication est tout juste, à mon sens, une manière, à long terme, pour les responsables des différents mouvements de se « dédouaner » vis-à-vis de leurs militants, en prétextant aux yeux de ceux-ci « que résistance avait été faite, jusqu’au bout ». En fin de compte, il ne serait pas surprenant que les différents groupes reviennent dans quelques semaines, avec l’accord signé, pour dire à leurs militants : « vous avez vu, nous avons tout fait, mais l’accord nous a été imposé ». Je crois que cette histoire de va-et-vient est simplement un jeu pour gagner du temps et affaiblir l’attente des quelques militants des groupes armés, car la question – ou le compromis – a été bien scellée à mon sens, dès la signature de la feuille de route en juillet dernier, et c’était clair pour tous, même pour les militants des groupes armés qui s’étaient alors indignés et qui avaient compris dès lors « qu’ils n’allaient plus rien attendre des différents groupes armés ».

 

2- Le Front Populaire de l’Azawad a déclaré sa démission de la coordination. Est-ce le signe que ces mouvements sont dans un jeu d’alliance qui ne résistera pas à la réalité qui prévaut dans les régions appelées « azawad », notamment cette insécurité à deux visages, celle des djihadistes et celle intercommunautaire ?

 

La profusion des groupes armés est avant tout le signe de conflits d’intérêt d’ordre clanique, ou tribal, qui se jouent localement et au sein des groupes armés initiaux. Ces derniers temps, il y a eu multiplication de groupes. Certains se revendiquent de « l’Azawad », d’autres sont des groupements d’autodéfense. En fait, c’est simplement que chacun ne veut pas rester en dehors, sous coupole, ou mal servi par un autre. Personne ne veut être exclu de ce qui se trame autour de la table, chacun veut bénéficier du lot d’avantages qui découleront de l’accord, des intégrations, « des projets locaux », de créations des communes et régions, etc.

 

C’est ce cadre qu’il faut analyser pour comprendre les scissions, les démissions, ou les naissances des groupes. En effet, quand vous regardez les enjeux locaux, vous vous apercevrez que, soit explicitement, soit de manière détournée, derrière chaque groupe (armé) se tient, en fait, une tribu, une fraction ou un clan d’une région. La fragmentation des groupes armés démontre d’ailleurs fondamentalement l’absence d’un projet politique cohérent, fiable et assez viable pour intégrer tout le monde, toutes tendances confondues, mêmes celles divergentes, à la base de « cette révolte ».

 

La question de l’urgence sécuritaire que vous évoquez subsiste, mais elle vient au second plan, au regard des intérêts et des recompositions qui traversent les différentes tribus Touarègues, particulièrement à Kidal, mais aussi à Gao, et dans une moindre mesure, à Tombouctou.

 

3 – Selon vous, aujourd’hui, que faire pour le Nord, surtout pour Kidal où tout semble bloqué?

 

Il est vrai que Kidal est le centre névralgique d’un problème, beaucoup plus vaste, qui concerne tout le Nord du Mali. Quand on a une problématique aussi complexe, qui resurgit régulièrement depuis les indépendances, elle ne doit en aucun cas être le projet d’un petit groupe, ou discutée avec une seule partie, armée ou pas d’ailleurs.

L’option, pour analyser, comprendre et trouver des solutions adaptées, c’est l’inclusion des différentes tendances des sociétés multiethniques maliennes. On avait préconisé jadis, prématurément, des solutions qui passaient forcément par l’implication des sociétés civiles, une implication beaucoup plus fortes des vieilles chefferies traditionnelles qui sont les garantes des bases sociales, historiques, culturelles, – ces vieilles chefferies dont on entend pas parler, parce qu’elles ne sont, en majorité, pas les bras armés des rebellions -, des différentes communautés maliennes, en général et Touarègues en particulier, car « c’est la question Touarègue qui ressurgit à chaque deux ou trois décennies ». Si le Mali « devait être une fédération », ou si « l’Azawad devenait un état indépendant », ou si « de nouvelles régions se créaient au Mali » etc., cela entrainerait des réformes importantes pour le pays, mais aussi bien sûr pour les populations. Il faudrait donc les consulter, pas en les faisant assister à des ateliers pour leur annoncer quelque chose décidée d’avance ! Non ! Il faudrait que les différents responsables, les chefs coutumiers, traditionnels, qui sont connus de tous, soient partie prenantes des décisions et solutions.

 

L’accord de Ouagadougou reconnaissait cette nécessité. Il était prévu des pourparlers inclusifs, c’est à dire qui allaient se situer bien au delà du tête à tête, habituel, groupés armés / gouvernement. Que s’est-t-il passé pour organiser Alger ? Chaque partie invita son groupe qu’il présenta alors comme « la société civile ». Cette « société civile » était en fait l’ossature soit de l’Etat soit des groupes armés. De ce fait, dans le processus en cours à Alger, on ne peut pas parler de présence de sociétés civiles indépendantes, même s’il y avait certainement ici ou là une association, un petit groupe, avec une démarche plus ou mois indépendante. Ce fut une erreur manifeste. La majeure partie des civils a volontairement été exclue des solutions proposées et discutées en leur nom. Ce n’était pas ce qui était prévu dans l’article 21 de l’accord de Ouagadougou de juin 2013. Ce n’était pas non plus, ce dont le pays avait besoin après une si longue déchirure sociale, politique, sécuritaire et institutionnelle.

 

Mais on ne revient pas en arrière ! Aujourd’hui, tout le monde veut la paix. Il appartient donc aux acteurs armés de se mettre d’accord pour arriver à bout de cette histoire, et qu’enfin les gens reprennent une vie normale.

 

(1) Écho saharien, l’inconsolable nostalgie, Éditions Langlois Cécile, 2014, Paris

 

Propos recueillis par Boubacar Sangaré (interview réalisée via Internet)


Je « rappe », donc je suis…(dernière partie)

Diam's, credit: lepoint.fr
Diam’s, credit: lepoint.fr

Dans le bistro, il y avait foule.

– Je suis de cet avis, dit Assanatou qui venait de rentrer, gagnée par la tristesse. Ceux qui sont aux affaires sont pareils à une drogue dure.
Elle avait le visage cent pour cent défait. C’était la nuit, le ciel était stellaire. La lune, majestueuse et resplendissante, dominait l’obscurité.

Dans le bistro le calme était profond. Gaspi et Assanatou s’installèrent à une table, au fond de la salle, comme pour observer une distance avec le vacarme qui s’élevait dans le cercle des artistes.

– Ta situation n’est pas plus enviable que celle de ces artistes. Je me trompe ? », demanda Gaspi.
Assanatou leva sur lui un regard troublé, avant d’oser avouer.

– Oui, t’as pas tort ! Mon combat, c’est d’abord dans ma famille où une fille qui veut faire du rap est logée à la même enseigne que quelqu’un qui commet un crime de lèse-majesté. Tout ce que je veux, c’est faire du rap. Je ne demande pas autre chose.

– Tu ne piges toujours rien ! Ici, les mentalités n’ont pas bougé d’un iota. A la télé, dans le discours des officiels, on vous vend, à vous les femmes, le rêve de l’émancipation. Vous êtes émancipées pendant le temps d’un discours, et après on vous cuit à l’étouffée.

– Quelle hypocrisie ! Tu sais quoi, ça me rend dingue de penser que toutes ces femmes, qui se veulent activistes de notre cause, sont celles-là mêmes qui acceptent de se faire battre par leur mari, d’être empêchées de travailler, de s’habiller comme bon leur semble. Ce ne sont que des avocates de second ordre.

– Tu n’y peux rien Assanatou ! Parce que c’est comme ça. C’est désolant à dire, mais c’est comme ça. Les femmes qui acceptent d’être battues encore sont aussi imbéciles que les hommes qui digèrent mal le fait que leur femme travaille.
Assanatou avait maintenant la tête en feu. Elle mordillait le bout de ses lèvres, fixait son verre plein à déborder de jus qu’elle portait par intermittence à sa bouche.

Puis, elle lança :

– En tout cas, moi je ne me laisserai pas faire. Que mon père vive ou meurt, je ferai du rap. La vie, ce n’est qu’une question de logique. Il suffit d’en avoir une, et d’y rester fidèle. Et ça va marcher. Je vais faire du rap et ça va marcher. Je sais qu’on dira que j’ai choisi d’être quelqu’un qui ne sera jamais rien, sinon une nase, une ratée. Mais je n’en ai rien à ficher. Qu’on ne compte pas sur moi pour grossir le rang de ces femmes esclaves. Je suis loin d’en être une, ou je n’ai pas bonne mine pour en être une. Je vais briser le carcan de ces considérations erronées. Je Rappe, donc je suis !

La décision de Assanatou était arrêtée. Chercher à la dissuader serait une perte de temps.


Je « rappe », donc je suis…( troisième partie)

 

 

 

Diam's, l'ex-rappeuse française photo: wwwmidilibre.fr
Diam’s, l’ex-rappeuse française photo: wwwmidilibre.fr

En proie à l’affliction, elle franchit la lourde de sa chambre semblable à un box, s’arrêta près du lit ; ses yeux, immobiles, fixaient un poster sur lequel on reconnaissait Tupac, la tête ceinte par un foulard, les bras croisés sur le ventre, la tête penchée vers la droite, le regard vif… Tupac habitait son rêve, la hantait.

– Non, mon père ne va pas me lourder pour ça. Il doit y avoir une autre raison pour qu’il s’acharne contre moi de la sorte », pensa t-elle.

Vite les ruisseaux de la colère qui grondait en elle avaient couru se jeter dans le fleuve de l’indifférence. Elle sortit du patio, et rallia ses amis qui étaient assis sous un manguier, à une distance pédestre de chez elle. A part Assanatou, tous étaient des garçons. Sous le manguier, c’était leur fief ; ils l’appelaient Jamaïque. A Jamaïque, ils avaient tous moins de vingt ans, mais déjà, leur nom donnait à certains, surtout les « les gardiens de la morale », matière à clabauder, à verser dans l’anathème. Dans les mosquées, les imams récitaient à leur encontre une fatwa destinée à les vouer aux gémonies, à les designer à la vindicte publique. Jamaïque, c’était le lieu de rendez-vous de garnements gâtés à l’excès, les uns aussi délurés que les autres, n’ayant aucun respect pour l’âge. Qui ne respectent rien, ni personne. Qui ne s’interdisent rien.
Djibril, un jour dans un accès de colère, avait dit que c’était « un antre de petits arsouilles », qui n’auraient pas dû naitre. A Jamaïque, tous fumaient, tous étaient accro au joint. Il y en avait aussi qui, lors des soirées dansantes, buvaient comme un trou, chiaient et pissaient dans leur froc, divaguaient, débitaient des insanités. Aussi faisaient-ils des insultes père et mère, des insultes qui dépassaient leur propre personne pour s’engouffrer dans le pagne de leur mère, dans le pantalon de leur père.

A peine avaient-ils aperçu Assanatou que l’un d’eux lança :

A faforo (sexe de mon père) tu foutais quoi encore à la maison ?

– Vraiment ! dit un autre en tapant sur les fesses de Assanatou. Moi, je commençais à en avoir après toi, hein. A babiè (sexe de ma mère) !

Une femme, qui rentrait du marché, se boucha les oreilles, précipita le pas pour ne pas avoir à entendre ces insultes. « Ah ! les enfants du soleil levant. Allah, Aie pitié d’eux car ils ne savent pas », avait-elle bredouillé en s’éloignant.

Pour les uns et les autres, Jamaïque soulignait la déconfiture de toute la Ville de Dougoucoro (l’ancien village). Jamaïque était une raclée assenée à tous les pères et à toutes mères. Mais pour l’imam, Jamaïque, c’étaient les enfants de ceux qui occupaient le premier rang de la prière dans la mosquée.

Les jeunes gens rivalisaient de puissance sexuelle, crachotaient des injures qui bouchaient les oreilles. Les jeunes filles, quant à elles, marchaient nues à crever les yeux. Les pères avaient perdu le gouvernail des familles. L’on vivait à qui mieux mieux. L’on fuyait les religieux, la mosquée n’accueillait comme prieurs que des vieux ayant tiré un trait sur la vie. Dougoucoro était à deux doigts du naufrage.
L’impatience dévorait Assanatou depuis que le rappeur Gaspi avait cherché à la rencontrer. Il l’avait invitée dans un bistro fréquenté du quartier. Enfin, il allait rencontrer quelqu’un avec lequel elle partageait l’amour pour le rap, le punchline. Écrivains, artistes, architectes, étudiants se donnaient rendez-vous dans ce bistro où ils venaient pour boire, discuter, se soulager et enfoncer dans le puits de l’oubli les déceptions accumulées. Ils exprimaient leur dégoût d’un pays dont les dirigeants s’acharnaient à les vouer à l’oubli, à la déconsidération. A les clochardiser.

« Dans les discours à télé, les artistes sont embaumés par des mots doux, flatteurs, pleins de respect. Cependant que dans la réalité, la machine étatique use de toutes ses bonnes forces pour les dérouter, les réduire au silence, les pousser dans le gouffre de la désolation, de la désillusion. Les tenants du pouvoir veulent acheter notre silence, nous l’espoir de tous, comme ils le font avec ces ordures de journaux ! », vitupéraient Amari, le jeune écrivain, surpris par le tonnerre d’applaudissements que ses propos déclenchèrent.

Dans le bistro, il y avait foule.

A suivre…

Boubacar Sangaré


Mali: le MNLA et la comédie des négociations

Moussa Ag Assarid, credit: maliweb.org
Moussa Ag Assarid, credit: maliweb.org

Une comédie écrite par la communauté internationale, mise en scène par l’Algérie et dans laquelle l’Etat malien et les groupuscules armés ont eu un rôle qu’ils ont d’ailleurs bien interprété, pour reprendre K. Selim, l’éditorialiste vedette du Quotidien d’Oran, qui disait la même chose à propos des négociations Israélo-palestiniennes. Voilà ce qu’on pourrait dire des négociations entre le Mali et les groupes rebelles armés, qui, un temps reprises, viennent d’être une nouvelle fois suspendues. Au régionalisme que le gouvernement malien a proposé et qui a d’ailleurs fait l’objet d’un massif rejet au sein de l’opposition politique, la coordination des groupes politico-armés de l’Azawad (MNLA, HCUA, MAA dissident), qui dans ses rangs compte « des activistes de l’indépendance de l’Azawad », oppose le Fédéralisme, conduisant ainsi à un blocage qui ne dit pas son nom, et qui est le signe manifeste que la machine de la médiation internationale dirigée par l’Algérie s’est grippée.

Ceux qui avaient espoir que de cette 3e phase des négociations de paix sortirait un préaccord qui permettra au Mali de surgir des cendres de la crise vont rester sur leur faim.

Il y a qu’au Nord du Mali, le temps n’est jamais un allié pour l’Etat malien qui y est remplacé pour le maintien de sécurité par les forces internationales, qui sont en train de payer le lourd tribut à cette guerre. Mais il y a surtout que la coordination des groupes politico-armés, le MNLA en tête, sont en train de jouer un jeu trouble. Les mouvements de cette coalition sont dans une démarche trouble.

On le sait, il y a presque deux mois, il était admis par tous ou presque que les signatures de l’accord préliminaire de Ouagadougou et de la feuille de route des pourparlers enterrent toute revendication « fédéraliste », « autonomiste », « indépendantiste ». Ce qui, alors, avait généré un sentiment de déception chez les militants indépendantistes.

« Après deux ans et demi de conflit, voilà donc le « gâchis », aux yeux de la majorité des Touaregs, au nom desquels la rébellion a été menée, comme l’affirmaient naguère les groupes armés du nord. La jeunesse touarègue, cette frange de la population connectée aux réseaux sociaux, parfois manipulée et instrumentalisée, à des fins de figuration sympathisante vis-à-vis des groupes armés, est désormais révoltée par la tournure que les négociations ont prise à Alger : au lendemain de la sortie de la feuille de route, ces jeunes se sont sentis « trahis », « vendus » « leurrés »… comme on a pu le lire sur leurs pages Facebook et autres Twitter.», avait écrit le journaliste Intagrist El Ansari. Mais, faut-il le rappeler, cela n’a pas empêché la soi-disant société civile de l’Azawad de parler de « Fédéralisme » à Alger lors des auditions.

 

Voilà pourquoi il y a matière à sourire de colère et d’incompréhension à voir les groupuscules rebelles armés parler encore de « Fédéralisme ». Tout cela appelle un constat. C’est-à-dire que la présence de Moussa Ag Assarid à Alger est tout sauf anodine, et illustre de manière voyante que le MNLA, surtout, joue un jeu trouble. Il n’y a pas très longtemps, cet énergumène n’était plus en odeur de sainteté auprès du mouvement à cause de ses prises de position qui, parfois, frôlent l’extravagance. Au point qu’il avait été remplacé dans son rôle de porte-parole à l’étranger du mouvement par son compère Moussa Ag Attaher. Par ailleurs, le fait que le MNLA n’ait pas décrété déviants les agissements récents de Moussa Ag Assarid n’est pas neutre. On a aujourd’hui la preuve que les agissements de Assarid n’étaient pas individuels, et qu’ils révèlent le fond de la pensée du mouvement. De fait, Moussa Ag Assarid a réussi à provoquer le buzz avec cette pseudo ambassade de l’Etat de l’Azawad aux Pays-Bas, qui a suscité une levée de boucliers, donnant ainsi de l’importance à quelque chose qui n’en avait aucune. Il n’y a eu aucune déclaration du MNLA pour prendre ses distances avec le comportement de Moussa. Et on dira ce qu’on voudra, mais Moussa Ag Assarid est l’initiateur de cette démarche maximaliste que les groupuscules rebelles ont adoptée.

La reprise des négociations est prévue pour janvier 2015. Cependant, on a déjà comme le sentiment que, malgré les étapes franchies, Alger, c’est du vent ! L’expression est un peu forte, mais c’est comme cela.

Boubacar Sangaré


Je « rappe », donc je suis…(deuxième partie)

« Si tu veux faire du rap, tu vas commencer par quitter ma maison (…) Ce que tu veux faire n’a pas sa place chez moi. »

Le nez aquilin, visage oblong, des yeux abattus qui rappelaient une jeunesse tout sauf mielleuse. Il marchait comme un tacot balançant sur une route attendant d’être bitumée.

Les pétards de sa moto lui valaient, chaque matin, les insultes, imprécations, lazzis, qui glissaient sur lui comme l’eau sur les plumages du canard. Avec une famille nombreuse de cinq enfants dont un seul garçon, il en avait gros sur la patate, et donc n’écoutait ces plaintes que d’une oreille absente. Le soir, à son retour, dans les rues, dans les familles avoisinantes, la même crise de colère éclatait quand sa moto pétaradait ; d’aucuns prenaient même le soin de se boucher les oreilles le temps qu’il passe. Malgré tout cela, Djibril ne leur en tenait pas rigueur, essayait de garder bonne contenance, et poussait la courtoisie jusqu’à leur rendre visite chaque matin, avant de partir pour le travail.

« Je suis qui pour ne pas pardonner les coups qu’on me rend. Même Mohammad (psl), notre prophète béni, n’était pas aimé de tous. Lui, il ne rendait jamais la pareille à ceux qui l’accablaient d’insultes, de médisances… », se disait-il comme pour se consoler.

Ce qui le rendait davantage malheureux, c’était que son fils unique, Sékou, avait fait son deuil de l’école pour sombrer dans le marais du banditisme. Les samedis soirs, moments d’affluence dans les rues, lui et ses conjurés se donnaient rendez-vous dans un bâtiment en chantier dans le quartier. Là-bas, ils se camaient au joint, sniffaient de la colle qu’ils se procuraient auprès de Joël, le fils d’un colonel de l’armée nationale. Puis, ils peaufinaient leur plan d’attaque, qu’ils mettaient à exécution à minuit sonnant, sur une route du quartier absente de la considération de la patrouille, qui, compte tenu du danger que couvait le calme et la profonde obscurité qui y régnait, en avait fait un sens interdit, qu’elle ne prendrait pour rien au monde. Cette route, c’était l’apanage de ces bandits. Sans pitié, sans foi ni loi, ils dépouillaient de leur argent les piétons que le malheur dirigeait vers eux. Ceux-ci avaient l’heur de s’en tirer sain et sauf. Quant aux motocyclistes, soit ils les assommaient d’un coup de gourdin, soit leur tiraient une balle à l’épaule, dans les jambes, s’emparaient de la moto et s’en allaient, laissant là la victime en train de gémir de douleur, de crier comme un putois.

Les brimades, les rossées et les roueries que Djibril faisait subir à Sékou avaient eu l’effet d’un pétard mouillé. Rien n’y avait fait. Les fouets, les larmes que sa mère laissait couler, venaient ricocher sur la carapace de malfrat sous laquelle il se protégeait. Puis, il y avait eu cette nuit, que Djibril vécut comme un cauchemar, où il surprit Sékou et sa sœur puinée, Nankouma, l’un en tenue d’Adam, l’autre en tenue d’Eve, en ébats. Entre eux, on pourrait à peine glisser un fil… Djibril n’en revenait pas de ce qu’il avait vu, se croyait devant un film plein de scènes d’amour torride. Depuis cette nuit, Sékou avait cessé d’exister pour lui.

Ce matin-là, Assanatou croisa Djibril au seuil du patio. En jeune fille bien éduquée, elle baissa la tête et dit avec douceur :

– Bonjour père !

Djibril ne répondit pas. Il se mit à inspecter Assanatou de la tête jusqu’aux orteils. Puis, il lança :

– Tu sais quoi, si tu veux faire du rap, tu vas commencer par quitter ma maison. Moi, Djibril, je sais qui je suis et d’où je viens. Ce que tu veux faire n’a pas sa place chez moi. Qui, sinon moi, accepte dans tout Dougoucoro (2) que sa fille porte une culotte comme un garçon et se comporte en une virago délurée. Chez moi, il n’y a pas de place pour un spécimen comme toi. A toi de choisir entre le rap et tes parents.
Assanatou resta muette comme une carpe. Des larmes chaudes coulèrent en cascade et altérèrent la douceur de son visage poupin.

Bien qu’elle n’eût pas la beauté d’une diablesse, Assanatou était tout de même une fille adorable. Elle était élancée, le visage bien rond, le nez rappelant celui de Djibril, les fesses si rondelettes qu’on aurait dit qu’elle les avait choisies elle-même. Ses seins, durs comme une mangue, couvrant une poitrine où tout homme aimerait poser son nez, semblaient dire bonjour au ciel. Elle allait sur ses vingt ans, Assanatou. C’était l’âge où un grand nombre de ses congénères aspiraient à se marier, à avoir des enfants… Mais Assanatou, elle, avait relégué ces considérations au second plan ; à leur place, elle avait nourri un rêve, un rêve à réaliser, celui d’être rappeur. A sa grande tristesse, son rêve ne rencontrait pas l’écho qu’elle avait escompté.

(2) Dougoucoro: en bamaman, l’ancien village, nom d’un quartier de Kalaban-coro, commune située au sud-est de la ville de Bamako (Mali)

A suivre…


Mali: quand un «éditocrate» fait passer IBK par une lessiveuse…

Lu, le  24 novembre 2014, dans l’éditorial du bihebdomadaire 22 Septembre, cette phrase surprenante :  « IBK au- dessus de tout soupçon », car : « IBK a la réputation d’être un homme honnête, sincère, jaloux de la chose publique. En un mot, un grand patriote. C’est pourquoi, il a été élu à plus de 77 % des suffrages exprimés. Premier ministre, président de l’Assemblée nationale, il n’a jamais été pris en défaut. Ce n’est pas aujourd’hui, chef de l’Etat, où l’honneur et la dignité constituent son essence, où la libération du pays le préoccupe plus que tout, qu’il va se livrer à des malversations financières »

Cela n’étonne personne ou presque ! On sait que la presse, au Mali, est devenue un hôtel où  loge un ballet d’opportunistes. Elle est aujourd’hui une pépinière de fripouilles et que sais-je encore qui sont prêtes à vendre leur âme au diable pour faire partie de la valetaille de ceux qui détiennent les leviers du pouvoir. Venant de Chahana, ces propos n’étonnent vraiment pas quand on sait que ce journaliste, depuis la fin de son aventure au quotidien L’Indépendant– et la création de sa propre gazette-, s’est rangé dans le camp de ces « nouveaux chiens de garde » dont parle Serge Halimi. Oui, lui aussi, il déforme la réalité, donne une image lisse du pays, afflige davantage ceux qui vivent dans l’affliction, sert les intérêts des nouveaux maîtres du pays. Lui aussi est un adepte du « journalisme de révérence ». La flagornerie ne fait pas partie intégrante du journalisme. Ce n’est pas du journalisme, mais du « foutage de gueule ».

Mais il ne s’arrête pas là. Comme s’il n’avait pas assez insulté notre intelligence, il poursuit sans hésitation : « Disons nous la vérité, sans passion : IBK est au-dessus de tout soupçon. En tout cas, jusqu’à preuve du contraire, il n’y a aucun élément dans les deux dossiers à même de le mouiller, ni même de l’éclabousser. Ceux qui pensent que Soumeylou Boubèye Maïga l’a chargé dans lesdits dossiers, en affirmant que le président de la République était au courant de chaque étape de la procédure de ces marchés, se trompent lourdement. Pour la simple raison que Boubèye n’a jamais reconnu les surfacturations et la mauvaise gestion qu’on lui reproche. »

index1

Et voilà, c’est la mort du petit cheval. On se rend compte que Chahana n’est pas loin d’intégrer le cercle de ceux qu’on appelle, sous d’autres cieux, les « éditocrates », « qui parlent de (presque) tout en racontant (vraiment) n’importe quoi » .On ne doit pas demander aux autres de se taire et continuer soi-même à aboyer. Non, cela ne se peut pas. Notre « éditocrate » ne veut pas qu’on incrimine Ibrahim Boubacar Keïta, mais use de tous ses talents de laveur pour faire passer IBK par une lessiveuse. Personne ne veut salir IBK, mais quand les choses ne sont pas ce qu’elles devraient être, ne se font pas dans les règles de l’art, c’est à lui qu’on demande des compte, seulement à lui et à personne d’autre. Concernant l’affaire de l’achat du jet présidentiel, l’opposition politique malienne n’a pas été la seule à crier au scandale. Même le FMI 5Fonds monétaire international) ! Mais ce qu’il faut surtout dire à Chahana, c’est que l’acquisition de l’avion, le marché des armements et équipements de l’armée, sont des affaires qui n’auraient pas dû exister.

Autre extrait : « Maintenant, il faut saluer IBK pour le courage politique et la transparence dont il a fait montre dans l’audit desdits dossiers. Il a, en effet, demandé aux contrôleurs de travailler en leur âme et en conscience. Il ne s’est immiscé à aucune étape de l’enquête. Il faut donc attendre qu’il y ait une suite logique au double plan judiciaire et politique. Et, c’est bien là qu’on attend IBK. »

De suite logique, il n’en aura pas. Pourquoi ? Parce que, ce que notre « éditocrate » ne dit pas, c’est que nous avons Un pouvoir dont la marque de fabrique est devenue le mensonge effronté, et dont on n’a du mal à comprendre comment il prend ses décisions. Un pouvoir qui, curieusement, semble ignorer que ce qu’il dit doit être aussi important que ce qu’il fait, et à qui il est temps de faire savoir que « la vie au Mali, ce n’est pas comme dans un clip de rap ! ». Au Mali, la confusion règne partout au point qu’on a le sentiment que le pouvoir vacille. Insécurité à deux visages (celle intercommunautaire et celle des narcotrafiquants) au nord du pays, fausses factures, achat du jet présidentiel, Ebola, annulation de la Miss ORTM pour des raisons de sécurité alors que des meetings ont lieu à Bamako (presque) chaque jour, pourparlers d’Alger, assassinats de deux Touareg près de Kidal. Le Mali, c’est un pays noyé…

Le journaliste qui défend le pouvoir en place ne vaut d’être journaliste ! Et surtout qu’on m’épargne le refrain « un journal ne peut jamais être indépendant, il y a toujours un homme politique ou le pouvoir en place derrière ! ». Je connais cette chanson. Il n’empêche qu’on peut souvent cracher dans la soupe et passer à la caisse tous les mois. A l’accusation d’acharnement, je plaide non coupable.

Boubacar Sangaré


Je « rappe », donc je suis…(Première partie)

Diam's, l'ex-rappeuse française photo: wwwmidilibre.fr
Diam’s, l’ex-rappeuse française photo: wwwmidilibre.fr

Assanatou était plongée dans la contemplation des vagues, qui clapotaient. Le visage un rien serré, la légère brise qui soufflait ce matin-là ballotait ses fins cheveux qui pendaient jusqu’à ses épaules, et qu’elle nouait souvent en queue de cheval, histoire d’aiguiser la beauté d’un visage après lequel on ne soupirait pas encore. Derrière elle, les feuillages laissaient entendre un bruissement apaisant, et pour couronner le tout, la fraîcheur qui se dégageait du fleuve s’étendant à perte de vue. Les hautes herbes, dans leur balancement, lui léchaient les bras et les jambes découverts, mais la rosée qu’elles avaient accumulée pendant la nuit s’évaporait devant l’implacable stratégie du rouleau compresseur employée par les premiers rayons du soleil.

Au diable vauvert, un héron prenait de l’altitude dans la position d’un avion prêt à prendre d’assaut les gros nuages qui s’accumulaient dans le ciel ; des pêcheurs s’occupaient à passer au peigne fin les filets qui avaient passé la nuit au fond de l’eau ; les oiseaux qui nichaient dans les feuillages s’en allaient à la conquête de leur ration. A l’horizon, le soleil qui s’extirpait des nuages présageait une journée sans chaleur. C’était le jour ; il était là …

Chaque matin, Assanatou se retirait au bord du fleuve, loin des bruits de moteur, des voix résonnant dans le transistor, le tohu-bohu, qui secouaient les paisibles instants qui précèdent le lever de rideau de ce théâtre qu’est le monde. Elle y venait à la pêche de l’inspiration. L’inspiration qu’il fallait pour accoucher de textes, pleins de sens, qui nourrissent l’esprit, et qui lui vaudraient d’être portée aux nues par le public.

Le rap, c’était le dada de Assanatou. Elle avait affirmé sa prédilection pour cet art qui, chose inacceptable et catastrophique pour elle, n’avait pas bonne presse auprès d’un grand nombre de gens ; ceux-ci avaient été vite révulsés par le comportement qu’affichaient certains jeunes rappeurs, lesquels, en l’espace d’un single, versaient dans les excès : ils se défonçaient à la marijuana, étaient toujours stones, et alors, commençaient pour eux une vie sur les nuages. Ainsi, nourris et abreuvés des clips et sons de rappeurs américains, français, se rêvant Tupac, ils déambulaient dans les rues et ruelles, la main cramponnée à la couille, débitaient des rimes avec des gestes bizarres, cherchaient à impressionner avec leur flow. Le pantalon tombant jusqu’en bas des fesses, de façon à laisser découvert le slip de bain porté en dessous. Les vieillards voyaient dans cette attitude une incapacité à supporter leur pantalon. « C’est se condamner à mourir de faim que de s’attendre à être pris en charge par une personne qui n’arrive pas à supporter ce qui lui sert à se couvrir les fesses », disaient-ils, en proie à la désolation et à l’incompréhension. Incompréhension devant les agissements d’une génération qui ne leur inspirait que pitié dans sa volonté de mettre le feu à tout ce qui faisait d’elle un homme, avec ses propres structures sociales, ses codes, ses propres réalités. Cette génération qui s’était tellement ouverte à l’Autre qu’elle ne voulait plus seulement faire comme lui ; elle voulait être l’Autre.

Il était 8h. Assanatou revenait du fleuve. C’était à cette heure aussi que son père, Djibril, se rendait au travail. Il tenait une boutique d’alimentation au bord du goudron, non loin du marché. Chaque soir, devant la boutique, la mère de Assanatou dressait une table où elle vendait de l’Atiéké (1), des galettes… Dans ce petit commerce, elle dégageait assez de bénéfices pour aider son époux à supporter les charges du foyer qui commençaient à peser lourdes sur ses épaules vieillissantes, frêles. Et Djibril se faisait vieux. C’était un homme ventripotent, avec une taille de guêpe, le centre dégarni de sa tête indiquait une chauveté

A suivre…

Boubacar Sangaré