Mamadou Alimou SOW

Les filles de Conakry et Facebook : virtuellement-vôtre

« T’as un compte Facebook ? T’as vu mes nouvelles photos sur Facebook ? Je t’ai vue l’autre jour en ligne sur Facebook. Dans les lycées, collèges, universités, les places publiques, un peu partout, les jeunes filles de Conakry se balancent Facebook à tout va ». Facebook à gauche, Facebook à droite. C’est le buzz. Le plus souvent, on s’adresse moins à l’interlocutrice directe qu’à l’entourage.  Eh oui, ici comme ailleurs, le phénomène de ce réseau social a bel et bien fait son entrée. Et, sur le coup, les filles semblent avoir coiffé les garçons au poteau ; contre toute attente. Mais le plus souvent c’est pour frimer, pour amuser la galerie !

A Conakry, par les temps qui courent, pour être «IN » et ne pas passer pour une ringarde, un « Balla », il faut avoir un compte sur Facebook. Ou faire semblant d’en avoir. Chez les jeunes filles de la tranche d’âge 15-25 ans, accomplir ce rituel est obligatoire pour entrer dans le cercle. C’est le ticket pour participer aux conversations à la récré ou au resto. Avec à la clé, la maîtrise du jargon : chatter, commenter, partager, être online, etc. Dans les cercles plus fermés, le nombre d’amis sur le réseau est un signe de célébrité. On s’inscrit pour « retrouver des amis, chatter,  partager, surtout des photos ». Et parfois pour chercher des mecs en surfant sur leurs albums en ligne. Même si pour cela, personne ne le reconnaît. Peut-être à cause d’un préjugé qui taxe les gos de mater à longueur de journée des tofs des faces de boucs sur fesses-bouc pour dénicher un Prince ou…un Don Juan.

Ce sont les guinéens de la diaspora qui ont  contribué à populariser le phénomène Facebook à Conakry. Une sœur, un cousin ou une copine qui a réussi à s’expatrier, garde le contact avec les amis restés au « pays » par le biais des réseaux sociaux, et Facebook en particulier. Les nouvelles photos prises sur Le Champs de Mars au pied de la Tour Eiffel, devant la Basilique de Rome ou encore devant un quelconque monument de New York, se retrouvent  immédiatement sur le réseau des réseaux. Seulement voilà : pour avoir accès à Internet à Conakry, il faut être courageux ou fortuné, voire les deux. Le manque de courant électrique et une connexion des plus ringardes font que Internet reste presque…virtuel.

Les rares cybercafés qui existent sont souvent bondés ou boudés (selon qu’il y a connexion ou pas) avec des tarifs exorbitants. Leur espérance de vie dépasse rarement les 12 mois. Du coup, des notions  comme  « wi-fi », « fibre optique », « Blog » restent l’apanage d’une poignée d’initiés. Qu’à cela ne tienne, pour les filles de Conakry, Facebook est et reste un phénomène à la mode, Internet ou pas. S’il y a connexion, elles s’inscrivent et chattent ; s’il n’y en a pas, elles en parlent, elles font comme si c’était vrai. Ça s’appelle faire du Facebook sans Facebook. En toute virtualité !

Alimou


CampusFrance ou le calvaire de l’étudiant guinéen !

Samedi 29 janvier 2011, esplanade du Centre Culturel Franco-guinéen à Conakry. Il est 12 heures. A l’entrée, une vingtaine de jeunes filles, la mine défaite et le regard perdu, s’abritent du cuisant soleil sous une bâche de fortune. Plus loin, devant une petite porte, sont agglutinés de jeunes gens, une chemise sous le bras. Certains sont là depuis 4 heures du matin. D’autres ont carrément passé la nuit devant la grille de l’entrée pour être les premiers sur la liste.  Ils veulent tous déposer leur dossier et passer un entretien, avant la deadline fixé au 31 janvier.

Soudain, la tension monte. La porte s’ouvre et la minuscule salle où se déroulent les entretiens est envahie. Ceux-ci sont immédiatement interrompus et tout le monde est sommé de vider les lieux. Le temps de savourer l’agréable micro-climat qui règne à l’intérieur, les étudiants, la mort dans l’âme, sont obligés de sortir.  Banal épisode d’une longue série de tracasseries que rencontrent les étudiants guinéens désireux de poursuivre leurs études supérieures en France.

En effet, entre décembre et fin juin de chaque année, le Centre Culturel Franco-guinéen devient la Mecque des élèves et étudiants. Il abrite l’Espace CampusFrance, étape obligatoire du circuit dans la recherche d’un visa étudiant pour la France. Mais, en amont, il y a une procédure dématérialisée consistant à s’inscrire sur un site (www.guinee.campusfrance.org) et y loger une foule d’informations personnelles, allant du cursus suivi, en passant par le CV, une photo numérique et moult motivations du postulant. Le site est réputé pour sa lenteur et sa complexité. De nombreux postulants se font aider par des habitués  qui s’y sont maintes fois cassé les dents auparavant. Certains monnayent leur service, créant ainsi un petit marché saisonnier.

Se pose ensuite le problème de la constitution d’un dossier papier qu’il faut acheminer aux différentes écoles choisies par le candidat, moyennant un montant non remboursable de 70 €. Dans la foulée, le postulant passe un entretien pour, dit-on, « préciser ses motivations ». Selon que l’on s’est inscrit suivant la démarche dite DAP (Demande d’Amission Préalable), ou Hors-DAP, le candidat est soumis à un calendrier. C’est justement la modification inattendue de ce calendrier par les responsables de CampusFrance qui pousse les « DAPistes » à vouloir déposer leur dossier, coûte que coûte. Bonjour la pagaille, le trafic d’influence, les passe-droits et… l’humiliation.

Enfin, l’Ambassade. Etape ultime du processus en cas de sélection du postulant par une Université.  Il faut constituer un autre dossier avec 50 € non remboursables, et une caution de 7000 € pour la première année d’études ! Pour obtenir cette somme de 7 000 €, on utilise tous les stratagèmes : oncles, tantes, cousins et cousines, etc., tous ceux qui sont susceptibles de donner un coup de main sont sollicités.  Certains parents vont jusqu’à liquider l’unique parcelle de la famille.

Qu’il pleuve ou qu’il vente, chaque année ce sont ainsi des milliers de jeunes guinéens qui effectuent ce parcours du combattant dans la quête d’un visa étudiant pour  la France, devenue un eldorado. Au passage, ils encaissent le mépris du personnel de CampusFrance qui parfois pète les plombs sous la pression. Au bout du compte, nombreux sont ceux qui déchantent, soit à cause du refus de l’Ambassade pour l’octroi du visa, ou tout simplement à cause de la non obtention d’une admission. D’autres, les plus « chanceux » et infiniment moins nombreux, voient leur rêve se briser sur les flancs des dures réalités de l’eldorado, une fois surplace. Et l’année suivante, le cycle recommence !

Alimou Sow


Les « délices » d’un mariage forcé !

Je t'aime, moi non plus

Messieurs, je m’en vais vous le dire d’emblée : quand une femme ne vous aime pas, mieux vaut s’en méfier. Ne la forcez surtout pas à accepter votre relation de mauvais gré. Et le mot « relation » se décline ici dans toutes ses connotations. Sinon, cela pourrait faire mal, très mal ! Si vous doutez de ces propos, ce que vous ignorez l’histoire de Mamadouba Sylla ou alors vous êtes tout simplement suicidaire.

Mamadouba Sylla est aujourd’hui à l’hôpital. Très heureusement pou lui. La vie de cet homme de 48 ans a basculé dans la nuit du jeudi 20 janvier 2011 dans la petite localité de Tanéné, préfecture de  Dubréka. Cette nuit là son destin a viré de bord quand il a ouvert sa braguette pour Mabinty Camara, son épouse.

Ce jeudi donc, après une longue journée de labeur, Mamadouba prend sa toilette et dine copieusement. Après s’être mis dans la tenue d’Adam, il rejoint ensuite sa femme au lit. Avec des mains expertes fouillant dans l’obscurité, Mabinty parvient très vite à obtenir un Mamadouba tendu comme un arc. C’est au moment fatidique d’ouvrir les deux battants pour entrer au septième ciel, que Mamadouba a subitement perdu conscience. Sa femme venait de lui administrer un profond coup de lame de rasoir à la racine de la verge ! Le pauvre, saignant comme un bœuf égorgé, a été immédiatement transporté à l’hôpital. Sa vie ne serait plus en danger, même si son « marteau piqueur » ne tenait qu’à un mince lambeau de chair.

En fait, le malheur de Mamadouba Sylla vient de sa qualité exceptionnelle de « bon mari » et de son…entêtement. Oui, le malheureux s’est entêté à garder Mabinty dans son foyer. Mabinty Camara, actuellement à la gendarmerie, est fille d’un imam. Très tôt rebelle, elle devient vite une dévergondée. Toute sa vie de jeune fille est jalonnée de scandales et de fugues. Au grand désespoir de son imam de père. Un jour, ce dernier l’appela et lui dit : « Ma fille, puisque tu refuses tous les hommes que je te propose en mariage, envoie-moi celui que tu aimes, l’homme de ta vie ». Mabinty ignora royalement cet appel de sagesse et continua son train de vie. Alors son père décida de lui imposer notre Mamadouba Sylla, fils d’un de ses amis. Le mariage fut scellé, au grand dam de Mabinty.

Rapidement, le couple se caractérise par des querelles intempestives ponctuées des fugues de la jeune femme. Entre temps, elle contracte une grossesse d’un autre homme. Mamadouba, dans sa docilité légendaire, s’y résout et décide de garder femme et enfant. Neuf mois de grossesse, un accouchement normal : une petite fille. Celle-ci devait avoir un an six mois le jeudi 20 janvier dernier. Jour où Mamadouba, estimant avoir été suffisamment patient, sollicite les « faveurs » de son épouse. Il n’ignorait pourtant pas que Mabinty ne l’a jamais porté dans son cœur, car elle venait à peine de rentrer d’une autre virée de dix jours ! Alors mal lui en a pris ! Vous connaissez la suite.

Pourtant, comparé à un certain « Abass Bangoura » de Labé, notre Mamadou Sylla s’en est tiré indemne ! Cynique de ma part ? Nous en reparlerons, si vous le voulez bien.

Alimou Sow


Mendicité ne fait plus recette à Conakry!

Mendiants

Il est 13 heures  dans la Haute Banlieue de Conakry. Sous un soleil cuisant, Mamadou Kaba, 29ans, est assis à même le sol au bord de la route, une casquette vissée sur la tête en guise de protection. Victime d’une  paralysie des membres inférieurs – séquelles d’une poliomyélite – dès l’âge de quatre ans, il est aujourd’hui obligé de faire la manche pour survivre. En encaissant un petit billet de 1000GNF, Mamadou Kaba se lance dans une longue récitation de Rabbanas (bénédictions) pour remercier le « bienfaiteur ». « Ça va ? Comment ça se passe pour vous depuis ce matin? », lui dis-je. « Ah mon frère, j’ai juste de quoi me payer le petit déjeuner », répond-il, en brandissant un petit sac poussiéreux, la poche béante.

A quelques mètres de lui, Houlémata, une vieille mendiante adossée à un poteau électrique – elle ne court aucun risque d’électrocution – tente de s’abriter du soleil à l’aide d’un parapluie loqueteux. Telle une statue, elle reste figée, un bras filiforme tendu à tout hasard. Le vrombissement des véhicules et les conversations des passants, boudeurs, couvrent presque entièrement les « Fi Sabii Lillahi » de la vieille Houlémata.

Ce que les guinéens, les Conakrykas plus particulièrement, sont devenus plus avares que tous les Harpagons de la terre ! En cause ? La politique et son cortège de malheurs. En effet, la dernière et rocambolesque élection présidentielle qu’a connue le pays a réussi à creuser un grand fossé entre les communautés. En s’identifiant aux deux candidats finalistes, leurs militants ont poussé le repli identitaire au-delà de l’impensable. Résultats : dans la rue, aux marchés, dans les transports, on se regarde en chiens de faïence.  Et  les premiers à trinquer sont les…mendiants. Désormais, on donne à son « parent », ou bien on s’abstient purement et simplement de faire œuvre de bienfaisance !

De quoi rendre Mamadou Kaba nostalgique. Il se souvient : « il y a un an, je pouvais gagner 100 000, voire 200 000GNF en une journée.  Après les élections, je trouve juste mon transport et le prix d’un plat de riz, soit 15 000 francs, du matin au soir ». L’occasion faisant le…polyglotte, les mendiants se sont mis à l’école des dialectes. Soussou, Poular, Malinké, chacun tente d’apprendre les rudiments de ces trois principales langues pour s’attirer la sympathie et la pitié de « l’autre » et éviter ainsi de se faire renvoyer comme un malpropre. Des situations tragi-comiques ne manquent guère, tel ce mendiant, sans doute à la « maternelle du Poular », qui tente de prouver qu’il est « Peulh de Dabola » dans un charabia à faire pouffer de rire : « MinPilloDabola ! ».

Situation bien paradoxale dans un pays à 100% croyant (5% chrétiens et 95% musulmans) où la misère pousse à la mendicité. Déjà en temps normal, la minorité très riche de Conakry, s’était depuis longtemps assise sur des valeurs comme : la morale, la solidarité, l’altruisme, la générosité et la sociabilité. Avec le pourrissement actuel de la situation, c’est « chacun pour soi ». Les voies de la politique sont bien insondables !  En chœur avec Blondy, je chante : « Politique Magnin ».

Alimou Sow


La journée la plus longue de ma vie !

Alimou Sow

Ce récit, honnêtement je ne voulais pas le raconter, le rendre public. Vous connaissez ces histoires qui vous arrivent et que vous préférez garder pour vous-même, tellement elles sont invraisemblables ?  Donc,  ce récit « épique », je tenais à le garder pour moi-même. Mais, après ma saga avec le taxi qui s’était soldée par l’écrasement de quatre de mes doigts, je me suis rendu compte que les lecteurs de ce blog se délectent, manifestement de mes histoires de malheur, vu le succès du billet que j’y avais consacré. Alors voici une autre histoire. Ou plutôt une série de petites histoires qui se sont déroulées en une journée. Comme dans « 24 H chrono ». La journée la plus longue et la plus harassante de ma vie ! Longue, comme une journée sans pain…

Cela s’est passé le lundi 20 décembre dernier – voyez que ça date déjà –, veille de l’investiture du Président Alpha Condé et de…mon anniversaire. Je m’étais décidé ce jour là d’aller acheter une paire de chaussures au marché de Madina. Oh, ce n’était nullement en prélude à l’investiture, encore moins à mon anniversaire que je ne fête jamais d’ailleurs. Je voulais juste de nouvelles shoes. Voilà tout. Pour cela, il me fallait du liquide. Mon maigre compte est domicilié dans une banque dont l’agence la plus proche se trouve à Matoto, à 3 km de chez moi. Encore une fois, aux cris du coq je me lève. Oui, à Conakry, il convient d’être toujours matinal. Même si, pour moi, cela n’est souvent pas porte-bonheur…

A mon arrivée dans l’agence bancaire, l’écran d’affichage clignotait sur le N° 35 ! Et c’est à contrecœur que je tire le  ticket 198 ! C’est parti pour une interminable attente. J’ai, bien sûr, essayé d’appliquer la technique du sourire pour un ticket « lève-tôt ». En vain.  Au bout de cinq minutes, les ligaments de mes mâchoires ont commencé à me faire mal, à force de gratifier des sourires  bêtement à n’importe qui.  Après une heure d’attente, qui correspond à 9h TU, les vers de mon ventre me rappellent que je leur prive du petit-déj. Je fonce dehors et tombe sur une vendeuse de « Foutti ». J’avale un plat de 3000 FG à la six-quatre-deux, avec le concours de deux sachets de Coyahyé (eau minérale). Je tends à la vendeuse d’eau, vilaine comme une guenon, un billet de mille francs un peu usé. S’en suit une prise de bec entre nous, lorsqu’elle me rétorque qu’elle ne prend pas ce « vieux » billet. Un autre client s’interpose et règle l’affaire à l’amiable. Trop tard, elle m’a déjà filé la poisse pour le reste de la journée.

De retour dans la banque, une vielle m’avait déjà soufflé la chaise. Je fais la sentinelle jusqu’à 13 heures, heure à laquelle je suis enfin servi. Ouf ! Je vous épargne les péripéties pour trouver un taxi pour continuer à  Madina où je finis par atterrir aux environs de 15 heures. Direction, les vitrines de chaussures. Après quelques tours, je déniche une paire qui me va, sauf pour la couleur que je voulais blanche. Un Bana-Bana s’engage dare-dare à me trouver la couleur désirée dans les autres vitrines. Dix ou 15 minutes plus tard, il revient bredouille ; mais, à forces d’arguments, il réussit à me convaincre d’acheter la paire bleue. Sacrés Bana-Bana !

Avant de sortir du marché, j’ai eu envie de  passer un coup de fil. J’avais plus de crédit. Je me rappelle que je détiens ma puce de connexion Mobile Cellcom. Je l’insère dans le téléphone et appelle. Après le coup de fil, je fourre le cellulaire dans la poche avant du petit sac que je portais. Il était presque 16 heures. Fallait se hâter pour la bataille du retour. Je finis par m’embarquer avec un détour obligé vers Bambéto. C’est justement au niveau de Bambéto que je remarque pour la première fois que la poche de mon petit sac est ouverte. Pas de téléphone ! Un pick-pocket de Madina l’avait déjà dérobé avec ma puce de connexion Internet. En un instant je réalise ce qui m’arrivait : plus de Facebook, plus de billet à publier sur le blog, plus de chat,… Non ! Impossible. Il faut vite couper le N° avant que le maraudeur n’utilise les quelques 800 mille francs qui s’y trouvaient. Je désirais avant tout récupérer la carte SIM. Il faut donc immédiatement me rendre à Kaloum au siège de Cellcom, avant 18 heures. Demain est décrété férié, à cause de l’investiture. Mais, le reçu d’achat se trouve à la maison, à Sangoyah. J’étais presque perdu. Comme un…, je réussis à slalomer jusqu’à la maison. Dans la panique, je rate le reçu une bonne huitaine de fois. Après l’avoir enfin trouvé, je choppe Moubutu, le conducteur de taxi-moto. C’est plus rapide avec les embouteillages. Avant de bouger, je joins un ami qui travaille à Cellcom et lui explique furtivement mon problème. « Si tu réussis à arriver avant 18 heures, je trouverai une solution pour toi. Sinon, il faudra attendre après-demain », m’explique-t-il. Je saute derrière Moubutu, après avoir négocié le prix du déplacement à mon désavantage. Trente minutes plus tard, nous voici devant le siège, avant 18 heures. Rideaux tirés ! J’appelle mon ami qui sort et me lance : « désolé, le service qui s’occupe de l’activation est rentré un peu plus tôt. Il faut revenir après-demain ». La mort dans l’âme, je lui adresse un « merci » mal articulé.

Trente mille francs pour rien ! Il faut regagner la maison. A la sortie de Kaloum, au niveau du Palais du Peuple, la moto crève de la roue arrière. On consacre une bonne vingtaine de minutes pour trouver un vulcanisateur. Celui-ci démonte le pneu, colle la chambre à air et remonte le tout, sûr de son job. En gonflant, on s’aperçoit qu’il y a une fuite. Il remet ça et monte le pneu à nouveau. Cette fois, c’est bon. On bouge. Il régnait sur l’Autoroute Fidèl Castro un embouteillage monstre. A cause de l’arrivée des hôtes de marque pour l’investiture, plusieurs voies étaient fermées aux véhicules non officiels. Moubutu, plus amateur que pro, échappe miraculeusement à plusieurs accidents. Au niveau de Dabondy, le pneu se dégonfle à nouveau. Il est presque 20 heures. Pas de vulcanisateur en vue. Il faut pousser. Il s’y colle. J’étais déjà hors de moi, n’ayant dans le ventre que le Foutti matinal et les deux Coyahyé.

Dans le tohu-bohu, on se perd de vue. Personne n’a le contact de l’autre. Pour moi ça ne servirait d’ailleurs à rien, n’ayant  plus de téléphone. Après l’avoir vainement cherché, je m’emploie à trouver un moyen pour rentrer. Ce n’est qu’au niveau de l’Aéroport que je trouve un taxi pour Sangoyah. Arrivé vers 22 heures, je file tout droit chez la femme de Mobutu pour lui remettre le frais de déplacement et profite pour appeler son mari. Il poussait encore sa moto du Coté de Yimbayah !

Après une toilette sommaire, je tente d’avaler un plat d’Attiéké insipide. Une fois au lit, je veux rappeler – à l’aide d’un SMS sur un téléphone emprunté –  à une connaissance intime que demain c’est mon anniversaire. Avec la fatigue, je me trompe de numéro. Le SMS atterrit sur le téléphone d’une autre fille, méchante comme une sorcière. Elle me gratifie d’une menace terrifiante à laquelle je ne réponds. Avec cette journée marathon, j’avais déjà suffisamment ma dose.

Cette erreur de SMS a été d’ailleurs le début d’une autre sale histoire pour moi, que je ne vous raconterai pas, contre tout l’or du monde.

Sacrée fin d’année pour moi ! Vivement 2011.


Conakry, à chacun son « 31 »

Embouteillages monstres, pétards, feux d’artifice, valse des vestes et des robes, les fêtards de Conakry, comme à l’accoutumée, ont célébré le 31 décembre 2010 dans l’effervescence. Ni la crise économique aigue qui frappe le pays, encore moins les prêches répétées et enflammées des imams n’ont dissuadé les fêtards.

Pourtant, ces deux derniers vendredis, les imams, dans leur sermon, ont désespérément rappelé que la Guinée est un pays à « 95% musulman » et que « 24 et 31 sont des fêtes chrétiennes ». Ils ont évoqué le supplice de Diahannama, Houtama, et Hawia qu’Allah réserve aux réfractaires. Les jeunes, puisqu’il s’agit d’eux, ont, dans leurs caftans de circonstance, sagement écouté ces terribles mises en garde divines. Le 31 décembre, ils ont passé outre et ont troqué leurs caftans contre des tenues ultra exotiques.

On a rivalisé d’élégance pour séduire son ou sa partenaire et se faire valoir. Costume-cravate et souliers pour les garçons, robe et talons pour les filles. Du côté de Kaloum et de  certains quartiers huppés de la capitale, on pouvait apercevoir des play-boys tirés à quatre épingles, « faroter » avec de charmantes ladies. Dans la haute banlieue, c’était plutôt un assortiment d’accoutrements et des couples dépenaillés. Des costumes anté-diluviens masquaient très mal des cravates démesurément longues, décrochées à la grille du marché central de Madina. Quant aux demoiselles, certaines ont voulu s’habiller « classe » avec des robes couleur arc-en-ciel  (rien à avoir avec l’autre) qui entravaient dangereusement leur démarche. Celles qui ont opté pour le «  New Look » arboraient des bodys, style DVD (Dos et Ventre Dehors). Leur corps, moulé dans un pantalon de la taille d’un intestin grêle, faisait ressortir leurs « avantages » à vous faire perdre le réseau ! Tenue idéale pour faire « Sautoka le mur » quand les parents s’assoupissent.

La rue, les bars, les restos et les discothèques étaient archicombles.  En couple ou singleton chacun a tenu à marquer de son empreinte l’année 2010 qui s’en est allé ; comme pour défier le sermon des imams. A cause de la galère, beaucoup ont cotisé pour organiser des soirées à domicile. Raccourci original pour sortir avec sa go. Certains mecs, pauvres comme des rats d’église, ont tout simplement éteint leur téléphone  sous l’avalanche des appels, évitant ainsi de perdre la face devant leur meuf.

En tout cas, qu’on soit de Kaloum ou de la haute banlieue, véhiculé (e) ou pas, cocu (e) ou couplé (e), on aura célébré le 31 décembre 2010, chacun à sa manière. L’alcool a même coulé à flots, obligeant plusieurs à rendre visite au garagiste ou, pire, au chirurgien.


Superstition, quand tu nous tiens !

cauris, cornes et kolas

« Il y a des choses auxquelles il faut croire. L’Afrique a ses valeurs », me répétait inlassablement mon collège et ami. Il tenait vaille que vaille à me prouver la puissance et la promptitude du charlatan. Je résistais, m’agrippant à mon esprit cartésien et de rejet total du fétichisme. Et puis, j’avais vainement tenté de convaincre cet ami que cela faisait déjà plus d’un mois que l’on m’a volé cet enregistreur numérique. Rien n’y fit. Il gagna ce premier duel. Alors nous allâmes « exposer le problème » au féticheur.C’était en début d’année dans un célèbre quartier de Labé, au crépuscule. Le soleil disparaissait lentement derrière la montagne de Sérima, lorsque nous arrivâmes chez le charlatan. Un type d’une cinquantaine d’années de teint noir et de taille courte, vêtu d’un pantalon tissu et d’une chemise bleu-ciel à la propreté douteuse. Son image contrastait de façon saisissante avec l’idée que je me faisais de ces personnages chez eux. Aucun signe particulier.

Après des brefs salamalecs, il nous introduisit dans sa maison encore en chantier. Un petit salon crasseux au milieu duquel étaient disposés trois  fauteuils qui entouraient une natte faite à la main. A l’angle gauche, près de la porte d’entrée, était négligemment jetée une paire de souliers éculés aux lacets défaits. C’était tout comme décor. Mon ami, se raclant la gorge, expliqua brièvement le mobile de notre visite : « ce jeune homme est un collègue. Tout récemment, il s’est fait voler un outil important pour son travail. Un enregistreur numérique. Je l’accompagne donc chez vous afin que vous l’aidiez à le retrouver. Moi, je vous fais déjà confiance depuis que j’ai retrouvé mon téléphone grâce à vous ». A l’évocation de cette dernière phrase, je pus remarquer le visage du charlatan s’illuminer. Sans ajouter mot, il se leva et disparut dans une pièce. Il réapparut aussitôt avec un petit sac noir et s’installa en tailleur au milieu de la natte.  Il vida le continu. Une panoplie d’objets : des cauris, des fils de différentes couleurs, un citron, une petite roche, un miroir, une aiguille et deux cornes. A cet instant, mon regard et celui du féticheur se croisèrent. Il me demanda mon nom que je déclinai sans formalités. Il garda les cauris et réintroduisit tout le reste dans le petit sac. Je compris que le premier geste avait pour but d’impressionner.

D’une main il ramassa les cauris, les tritura un bon moment en récitant des incantations bizarres avant de les jeter. Il observait attentivement la position de chaque cauri et répéta cette opération trois fois. Il ressortit les fils, associa plusieurs couleurs et se lança dans une interminable récitation cabalistique en faisant des nœuds sur lesquels il crachait abondamment et régulièrement. Puis, il réintroduisit le tout dans le sac et déclara à notre intention : « vous retrouverez l’objet volé. Ce sont deux personnes qui l’ont volé et non pas une seule. Mais il faut enlever des sacrifices ». Il me décréta trois noix de cola de couleurs blanche, rouge et violet à offrir à un vieux, et un œuf à déposer à un carrefour. Il enroula les fils en une boule qu’il me demanda de loger sous mon oreiller pendant une semaine. Je répugnai de toucher à ceux-ci, vu le sort qu’il venait de les faire subir. Néanmoins,  j’acceptai de mauvais gré et on demanda la route, après avoir discrètement glissé entre ses mains 15 000 GNF.

Sur le chemin de retour, je voulus balancer les fils mais je me ravisai, craignant de contrarier mon ami, au cas où il s’en apercevait.  Et Subitement,  j’eus cette idée : pourquoi ne pas mettre le féticheur et mon ami à l’épreuve ? Je décidai donc de dormir avec les fils et d’exécuter toutes les autres instructions. Après cinq jours d’hésitation, les fils dehors sous une pierre,  mon scepticisme prit le dessus. Je jetai la boule de fils dans un tas d’ordures et oubliai l’histoire des colas et de l’œuf…

Ceci explique-t-il cela ? En tout cas, après presque un an, je n’ai toujours pas des nouvelles de mon enregistreur numérique. Et je suis devenu plus cartésien que jamais. Pendant ce temps, je continue à enjamber chaque matin dans les carrefours des œufs frais, des colas, des papiers et tissus blancs, et de la cendre !

Superstition, quand tu nous tiens !

Alimou Sow


Enième lettre de (dé)motivation…

En attendant de vous en convaincre, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.

Depuis presque trois ans, c’est la énième formule de conclusion que je trace au bas d’une lettre de motivation. Comme dans les précédentes lettres, j’ai pris le soin d’écrire avec application sur du papier blanc format A4, en respectant les marges au millimètre près.

C’est ainsi que nous l’enseignait, avec des grands gestes, M. Sanoh, avare en notes, dans son cours de Techniques de l’Expression.

Pourtant, ni la façon élégante de plier la lettre avant de l’insérer dans l’enveloppe, ni l’inspiration aux nombreux modèles de lettres, tirés à grands frais sur Internet, n’ont changé ma situation : je suis encore et toujours au chômage. J’ai beau éplucher chaque numéro du LYNX en commençant par les annonces, auxquelles je réponds régulièrement, la réponse à mes lettres de motivation reste invariable:  le silence.

CV et lettre de motivation sont toujours traités avec le même soin. Et  Chaque acte de candidature pour un poste à pourvoir est une source de tension. Mon téléphone affiche un numéro inconnu après à un dépôt de dossier, je me précipite dans un coin relativement calme, pensant que c’est le futur employeur. C’est souvent une erreur d’un autre diplômé sans emploi voulant joindre une nouvelle cible, ou bien un bip d’un parent de Kansagui en lutte avec le réseau perdu !

A notre sortie de l’Université de Labé en février 2008, beaucoup d’amis me lançaient : « toi, tu n’auras pas de problème d’emploi avec ta mention Très-Bien ». Je répondais avec philosophie, en disant que ce n’est pas toujours évident.

Le  philosophe qui m’habitait à l’époque a aujourd’hui sacrément raison. Le plus amusant c’est quand, une semaine après le dépôt des dossiers, celle que vous avez aidé à écrire sa lettre vous appelle pour demander : « on t’a appelé ? Moi, on vient de me dire de me présenter demain pour le test ». Avant, j’avoue que ça me révoltait en repensant au cours de  M. Sanoh. Mais maintenant ça m’amuse, ayant compris la connotation du mot « test » dans cette phrase.

Après cette longue expérience d’écriture de lettres de motivation avec le plus grand raffinement, j’ai compris, enfin, que je faisais fausse route. En Guinée, espérer trouver de l’emploi en comptant uniquement sur son diplôme, quelle que soit la mention, est une entreprise hasardeuse. Un simple coup de fil d’un oncle à M. le Directeur, vaut mille lettres et CV au style recherché ! Cela est d’autant plus vrai que même décrocher un stage d’un mois dans une banque, c’est la croix et la bannière.

D’aucuns pensent d’ailleurs que toutes les exigences sur le profil des candidats dans les avis de recrutement sont purement farfelues ; surtout pour ce qui concerne les années d’expérience. En tout cas, bien de postulants ont eu la désagréable surprise de retrouver leur fameuse lettre de motivation en guise d’emballage en achetant des cacahuètes chez la vendeuse du coin.

Je voudrais tellement revoir mon professeur de Techniques de l’Expression pour lui suggérer d’actualiser son cours !

Alimou Sow


Vivre à Conakry : mode d’emploi (suite)

Banlieue de Conakry

« Conakry, c’est technique »

vous a-t-on dit. Après le précédent billet où j’ai abordé le problème du transport urbain, voyons comment, à Conakry, se comporter dans les lieux publics. Sans complaisance.

Au marché

Le plus grand marché de Conakry est incontestablement celui de Madina. Ici, clients, magasiniers, boutiquiers, vendeuses ambulantes à la criée et les impétueux Bana-Bana se côtoient quotidiennement dans une ambiance surchauffée. Du côté de Avaria, les vendeuses de chinoiseries, querelleuses à souhait, sont réputées avoir une langue de vipère. Demander combien coûte un article sans l’acheter peut vous valoir un méchant regard ou, pire, un nom d’oiseau. Tant pis, vous n’êtes pas le seul client. 

Mais les plus redoutables d’entre tous sont les Bana-Bana (débrouillards). Ils sont capables de vous revendre votre propre femme, à force d’arguments. Pourtant, ils ne possèdent aucune marchandise. Intermédiaires de commerce indélicats, ils pactisent avec les boutiquiers pour écouler leurs articles en quadruplant  les prix. Avant d’aller à Madina, tâchez de vous habiller modestement, d’abord pour la chaleur et les bousculades, ensuite parce qu’ils fixent souvent le prix sur la tête du client ! Prenez toujours le soin de diviser par quatre le prix proposé et de rester tenace. Cela ne vous garantit pas pour autant de ne pas être floué, à moins d’avoir une machine spéciale pour décoder leur langage crypté.

Dans les banques et cybercafés

Comme dans presque tous les services, c’est la queue. Pourtant comme dit l’adage, rien ne sert de courir, il faut partir à point.  Vous avez beau être matinal, le plus souvent vous n’êtes pas servi le premier. Injuste ? Ce que vous ne connaissez pas la combine.

Dans certaines agences bancaires, des tickets numérotés sont proposés. Vous tirez un, puis vous attendez patiemment l’appel de votre numéro. Mais si d’aventure quelqu’un venu après vous est appelé à la caisse avant votre numéro, ne vous offusquez pas. Une de ses « connaissances » arrivée plus tôt a tiré plus d’un ticket. Un secret : si vous entrez et trouvez du monde, décochez un large sourire à un homme posté dans un coin. Avec un peu de chance et d’amabilité, il vous refilera un ticket « lève tôt » ! A votre sortie refilez lui un billet de banque pour que l’opération se répète la prochaine fois.

Dans les cybers bondés de Kaloum, des « gentlemen » tirés à quatre épingle se faisant passer pour des affairés peuvent vous proposer de leur laisser « juste 5 minutes » pour consulter leur mail, contre le ticket de 5 000 FG qu’ils tiennent en main. Si vous acceptez, il est utile de vérifier la validité du ticket. Souvent, c’est un « chèque sans provision ».

Dans la rue

Dans les rues populeuses de Conakry, les anecdotes et surprises ne manquent guère. Des langues fourchues affirment qu’il ne faut pas serrer la main de n’importe qui. Des hommes et femmes d’âge respectable, correctement habillés, sont passés maîtres dans l’art de l’imposture. Ils vous abordent, sacoche en main, avec des arguments du genre : « j’étais à un séminaire, au retour j’ai perdu tout mon argent. Aidez moi à rentrer à la maison, je vous prie ». Pris de pitié, vous êtes parfois gêné de lui donner un petit montant, vu son allure.

On me l’a fait une fois. Un mois plus tard, au même endroit, le même type m’a abordé. Quand il a commencé à sortir son « séminaire », je l’ai envoyé paître ! Mais plus grave, on raconte souvent qu’après avoir donné quelque chose à un inconnu, celui-ci a réussi par un tour de magie d’envouter son bienfaiteur et de lui dépouiller tout son argent. Méfiance donc.

Méfiance aussi, lorsque que vous apercevez une grosse femme sortir péniblement d’un kiosque en bordure de route tenant une bassine d’eau. Vous risquez de prendre une douche à l’eau de vaisselle si vous ne vous écartez pas. La route se confond parfois au caniveau!

L’humanisme serait-il ailleurs,  dans la maison de Dieu ?

Les lieux de culte

Le moins que l’on puisse dire, ce que Conakry regorge de mosquées. A l’entrée de chacune, c’est marqué sur le mur ou sur une simple feuille de papier «Eteignez votre téléphone, sous peine d’une amende de 5 000FG ». Cependant, rares sont les prières qui s’achèvent sans qu’on entende le dernier de Akon ou de Takana dans la mosquée ! Personne n’a jamais payé d’amende. On se contente de blâmer. Cela se comprend, puisque éteindre les fameux téléphones « deux-puces », même dans la cour de la mosquée, revient à ameuter tout l’alentour ! En fait, beaucoup ne savent pas comment s’y prendre pour les mettre sous silencieux. Sacrés téléphones !

A côté de l’inscription concernant les téléphones on pourrait ajouter « prenez soin de vos chaussures », car il est fréquent de sortir de la mosquée et de chercher vainement vos mocassins achetés à prix d’or à Madina !  Le mieux c’est de les mettre dans un sac plastique et de prier à côté.

Dans les églises, on ne vole pas des chaussures. Puisque personne ne se déchausse. Par contre, à l’entrée, des frères bien « zango » demandent souvent une assistance financière pour un autre frère hospitalisé depuis belle lurette. Mon œil ! Pendant la messe, ayez une attention soutenue sur vos poches. Sinon un ange, emportera haut dans le ciel la dépense de madame et vos prières ! Alléluia.

Dans ce billet, comme dans le précédent, ce sont les aspects négatifs du quotidien des Conakrykas qui sont abordés. Il faut dire que ces faits se retrouvent un peu partout en Afrique, voire dans le monde. Aussi, il va sans dire que Conakry ne se résume pas à cette peinture caricaturale et qu’elle recèle bien de merveilles que j’éplucherai ici, sans doute !

Alimou Sow


Vivre à Conakry : mode d’emploi (1 les transports))

36 km de tôles ondulées étalées sur  une presqu’île divisée en cinq Communes pour environ trois millions d’âmes. C’est Conakry, capitale de la République de Guinée. A l’ombre des manguiers, autour d’un thé, si vous tendez l’oreille vous entendrez les jeunes diplômés sans emploi dire « Conakry, c’est technique ». Et comment !

En effet, pour vivre ici à défaut d’être « technicien », il est important de connaître un certain nombre de codes. Dans ce premier billet, pour ne pas être trop ennuyeux, je vais aborder le transport urbain. Il y a trois modes principalement : les fameux taxis jaunes, les éternels « Magbana » et les imprévisibles bus ou « Gouvernement de large Consensus », pour les initiés.

Les taxis jaunes sont omniprésents dans la ville. Le nombre de passagers est limité à cinq (5) avec port obligatoire de la ceinture pour le conducteur. Mais ce dernier passe outre et embarque six personnes dont deux en « place escroc ». Pour la ceinture de sécurité, c’est à la vue d’un agent de police qu’il se sangle d’une espèce de corde qui n’est souvent attachée nulle part. C’est pour éviter la contravention avec la police ou la fessée, avec les gendarmes !

Pourtant, c’es le « luxe » avec ces taxis. Ils sont réputés être rapides, puisque leurs conducteurs s’en foutent du code de la route. Pour les emprunter aux heures de pointe, il faut être à la fois athlète pour les rattraper, bagarreur pour monter et…menteur pour bouger ! Pas la peine de demander au « taximaître » où il s’arrête si vous prenez la route « Le Prince » ou « l’Autoroute », les deux principales artères de Conakry. Parce que vous avez peu de chance qu’il vous réponde, et s’il répond, c’est généralement pour mentir ! En fait, la ville est divisée officiellement en « tronçons » de 1000 FG. Souvent, les « taximaîtres » utilisent une combine consistant à dire qu’ils se limitent au milieu ou à la fin d’un « tronçon », pour pouvoir embarquer d’autres personnes et gagner doublement. Si vous partez de Sangoyah pour « En Ville » (Kaloum)  et que le chauffeur vous dit qu’il s’arrête à l’Aéroport, n’hésitez pas à monter. Dans 90% des cas il continuera En Ville !

Pour les cars Hiace, appelés « Magbana », n’y songez pas si vous tenez à votre toilette ou êtes cardiaque. Ce sont des véritables épaves roulantes. Les gens s’y entassent comme des sardines, sur des bancs de fortune dans une  chaleur torride. Le nombre de places est fonction de la taille des fesses des passagers. Amortisseurs, ventilateur, climatiseur, rétroviseurs, sont des termes étranges ici. Par contre, les arrêts sont désignés par des mots poétiques tels que : « Contener », « Caléfour », « Manguébounyi », « Cirage », « Célibataire »…Si vous avez l’audace de monter, écoutez attentivement l’apprenti et apprenez bien à crier « Ä Göröma » pour signaler que vous descendez. L’apprenti reste le seul contact avec le monde extérieur. Le transport est moins cher, mais vous serez tout courbaturé et sentant le poisson à l’arrivée !

Quant aux bus « Kouyaté » encore appelés « Gouvernement de large consensus » en référence à l’ancien PM Lansana Kouyaté qui les avait fait venir en 2007 quand il dirigeait le Gouvernement de large consensus,  il faut être matinal pour y trouver une place assise. Les grèves multiples du personnel font qu’ils sont aussi imprévisibles que la météo. Les élèves et étudiants payent une modique somme, les militaires sont exemptés. Du coup, y a souvent des palabres entre contrôleurs et des quinquagénaires se réclamant élèves, carte à la main. Pour les militaires, s’ils montent armés, mieux vaut leur céder la place assise que vous occupez avant qu’ils ne l’exigent !

Si tout ce qui précède vous rebute et que vous choisissez de circuler dans votre voiture personnelle, prenez garde. Vous avez beau avoir tous les documents nécessaires, les policiers vous diront : « c’est pas papiers que nous  mangeons » ! Ayez donc quelques billets de banque en poche,  ça résout plus facilement les éventuels pépins. La nuit, devant un barrage tenu par les militaires, méfiez-vous de parler dans un français « académique » ; ils ont horreur. Si vous doutez, demandez aux étudiants guinéens. En cas  de souci, employez fréquemment l’expression «  pardon chef » ou trouvez un grade supérieur pour votre vis-à-vis, sauf celui de « Général ». Cela apparaîtrait comme une foutaise évidente. N’oubliez surtout pas les fameux billets de banque. Mais avec les militaires, le compte commence à partir de 10 000FG.

Les auto-stops ne sont plus pratiqués ici depuis que les bandits s’y sont mêlés. Pas la peine d’essayer, si on ne vous connait pas c’est peine perdue. Et si par miracle on s’arrête, cela peut être suspect. Les jeunes femmes à la tenue légère n’ont en tout cas aucune chance avec les personnes âgées. Plein de vieux se sont retrouvés dans l’embarras ces dernières années en prenant une « go » qui, à la descente, crie au secours pour « non payement de la passe » !

Conakry, c’est vraiment technique. Pour en savoir davantage rendez-vous au prochain article où nous verrons comment se comporter dans les lieux publics : marché, banque, cyber, la rue et…les lieux de culte.

Alimou Sow


Conakry : bloguer sous état d’urgence

A travers la fenêtre de ma chambre, un rayon du soleil naissant danse fébrilement dans le lit. Au loin, un coq ose chanter pour la deuxième fois. Il est 6 heures du matin à Conakry. Je me lève enfin, la tête lourde d’insomnie, les yeux comme injectés de piment et les oreilles résonnant encore du bruit des armes. Nous venons de passer la première nuit de l’état d’urgence !

Les militaires, dont le pouvoir est désormais accru, ont copieusement arrosé les quartiers des rafales de mitraillettes, toute la nuit durant. La tension politico-ethnique a atteint son paroxysme, la psychose s’est installée ! Les femmes, la peur au ventre, ont les traits tirés malgré leur tête bien tressée en prélude à la tabaski avortée de mardi. Les enfants terrorisés par le bruit des armes ont les yeux hagards. Les rideaux des commerces sont tirés depuis plus d’une semaine, la circulation routière quasi-inexistante. (suite…)


Tabaski sous haute tension en Guinée!

En ce mardi, 16 novembre 2010, jour de la fête de Tabaski en Guinée, l’ambiance est, on ne peut plus électrique! Beaucoup de musulmans ont tout bonnement boudé les aires de prières, obligeant les imams à prêcher dans le désert! Pire, le rituel sacrifice du mouton n’a pas été observé dans bien de concessions!

En cause, la proclamation des résultats du second tour de l’élection présidentielle du 07 novembre 2010. La tension, perceptible à quelques heures de la publication de ces résultats par la CENI, est montée d’un cran ce mardi, décrété jour de fête par les autorités religieuses! Les rues de Conakry, habituellement bondées de fêtards, sont quasiment vides! Le froufrou traditionnel des basins « BAMAKO » rutilants a été remplacé par le crépitement des kalachnikov dans les quartiers de la haute Banlieue. Les forces de l’ordre ont généreusement distribué des gaz lacrymogènes et des coups de feu dans les quartiers de Hamdallaye, Bambéto, Koza, surnommés Bagdad! Du coup, les rares femmes qui avaient pris la peine de « faire leur tête », se sont contentées de l’admirer dans un miroir à la maison.

A l’image de Conakry, beaucoup d’autres villes à l’intérieur du pays ont boudé la fête. Des militants des deux partis politiques en lice au second tour se livrent à des affrontements. Cette tension politico-sociale, doublée d’une profonde crise économique, ont donné un goût amer à la Tabaski. Aucun achat, aucun préparatif. Les enfants, obligés de rester à la maison n’ont pas eu droit au traditionnel « Salimafö ». Les seuls qui restent heureux de cette chienlit sont les nombreux moutons qui ont échappé cette fois à l’hécatombe! Qui a dit que le malheur des uns fait le bonheur des autres?

Alimou Sow


Wéé, tè faa !!

Nous sommes quelque part dans un quartier de la grosse banlieue de Conakry. Il est 19 heures. Les bruits de la journée s’estompent peu à peu, remplacés par le bourdonnement des moustiques. Puis, instantanément une ampoule électrique dont l’interrupteur était sciemment placé sur « ON » s’allume. Et vous entendez cette assourdissante clameur qui fuse dans le quartier : « Wéé, tè faa ! ». Les enfants sautent et dansent en tapant des mains. Les visages des adultes s’illuminent, comme les ampoules. Le retour du courant électrique dans les foyers de Conakry déclenche toujours des scènes de joie. Cette rengaine de « Wéé, tè faa ! » (Wéé, le courant est de retour, en langue Soussou) est devenue un automatisme. Et elle se transmet de génération en génération.

Le courant est fourni un jour sur deux dans le meilleur des cas et chacun attend son TOUR avec impatience. Ici le mot « délestage » n’est pas si important! Le courant vient, puis il s’en va à intervalles très irréguliers. C’est à tout à fait normal. Le plus souvent en « venant » ou en « s’en allant », il prive tout une famille d’une ampoule, d’un téléviseur ou, plus grave, grille le transformateur du quartier. C’est mon cas actuellement à Sangoyah-Marché. Pourtant, cela n’empêche pas le retour du courant d’être bruyamment salué la prochaine fois !

Toutes les pannes sont supportées et gérées par les familles. Dans la concession, vous vous débrouillez tout seul, sur la ligne extérieure pour un câble volé ou un transfo grillé, on cotise. Après, il faut aller chercher les agents de EDG (Electricité de Guinée) et payer les frais de réparation. D’ailleurs c’est l’une des rares occasions qu’on peut les voir ; si ce n’est lors du dépôt de la facture quand vous êtes abonné. Ne vous fâchez surtout pas en voyant le courant chez votre voisin alors que vous n’en avez pas. Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Vous, vous n’avez « qu’une seule ligne ». Donc le courant n’est pas obligé d’emprunter votre câble commun pour arriver chez lui.

Pour mon cas spécifique, les enfants de notre maison commencent à être jaloux des « Wéé, tè faa ! » de nos voisins immédiats. Mais moi, je prends tout cela avec philosophie et ne cesse de leur rappeler que l’an passé ils avaient crié pendant six (6) mois consécutifs « Wéé, tè faa ! » au grand dam de leurs amis dont le transfo avait explosé. Certains, par dépit, disent comprendre en me rappelant toutefois que cela fait un mois que ça dure. J’acquiesce en pensant dans mon for intérieur que c’est un minimum acceptable en pareil cas.

Alimou Sow


Résultats de la présidentielle en Guinée: les nerfs à fleur de peau!

Du temps de Capitaine Moussa Dadis Camara, les guinéens avaient connu les « Dadis Show »; ces interminables joutes verbales que le capitaine se plaisait à tenir à la télévision nationale. Depuis le mardi, 9 novembre dernier, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a initié ce qu’on pourrait appeler les « Résultats Show ».

En effet, après la tenue du second tour de la présidentielle guinéenne le 7 novembre passé, la CENI a pris l’habitude de distiller les résultats au compte-goutte. Dès 20 heures, les salons de ceux qui ont la chance d’avoir le courant électrique et une télé sont littéralement envahis. Les moins chanceux se ruent sur les postes radio. Avec une extrême nervosité, stylo et carnet en main,  les plus courageux notent soigneusement chaque chiffre qui tombe. Dès après la proclamation, les calculettes entrent dans la danse. Chacun veut savoir les voix d’avance ou de retard de son candidat. Des cris de joie ou des chuchotements de dépit fusent à chaque fois, selon qu’on a gagné ou perdu dans une circonscription électorale. D’autres, surtout les personnes âgées et les femmes, ne supportent tout simplement pas ce spectacle. Ils préfèrent se faire raconter les résultats.

Il faut dire que cette élection, jugée la plus libre depuis l’indépendance du pays en 1958, suscite des passions à la limite du fanatisme. La peur de perdre de chaque camp se mesure à l’envie de remporter la victoire. Et personne, ou presque, n’y échappe. Tout le monde est devenu partisan. Du coup, l’angoisse, l’anxiété et la peur lors des campagnes, se sont accentuées avec la diffusion des résultats au compte-goutte. D’ici dimanche 14 novembre à midi, délai de rigueur pour la proclamation des résultats provisoires, beaucoup d’autres nerfs risquent de lâcher. Un véritable supplice. Pourvu qu’on en reste là!

Alimou Sow


Les petits cireurs de chaussures de Conakry

Il est 14 heures à Conakry. La chaleur devient accablante. C’est l’heure que choisit Abdoul Diallo pour prendre une sieste et reprendre son souffle. Il est sur pied depuis 6 heures du matin. Il profite pour manger un petit morceau de pain en guise de déjeuner. La caisse en bois qu’il porte habituellement en bandoulière et qui contient ses outils de cireur de chaussures, lui sert de tabouret pour la circonstance.A seulement 14 ans, Abdoul est cireur de chaussures à Conakry depuis deux ans. Venu de la bourgade de Kakoni, dans la préfecture de Gaoual, il sillonne quotidiennement les quartiers de Kaloum à la recherche des clients. Son travail consiste à laver, cirer ou recoudre des chaussures. Il lui arrive de gagner 15 000 ou 20 000 francs guinéens par jour. Après avoir soutiré sa dépense journalière, il thésaurise le reste avec un seul rêve en tête : devenir « tablier » un jour. Pour dormir, ce jeune cireur passe la nuit dans le hall d’un département ministériel contre « un petit cadeau hebdomadaire » au gardien des lieux.

Comme Abdoul, ce sont des dizaines de jeunes Peulhs dont l’âge varie entre 9 et 17 ans, qui sont devenus cireurs de chaussures à Conakry. A la question de savoir d’où venez-vous, ils répondent invariablement « le Foutah » avec les préfectures de Gaoual, Télimélé et Mamou comme épicentres. Venus du village et déscolarisés, ils vivent de privation pour économiser et arrivent à envoyer régulièrement des petits présents aux parents. Souvent, ces cireurs s’équipent dès le début une tirelire qu’ils alimentent au jour le jour, pendant des années. En cassant cette tirelire, ils parviennent à remplir une table en articles divers, puis peu à peu se construisent une boutique pour, à la fin, la chance aidant, devenir importateurs ! De célèbres opérateurs économiques actuels comme Mamadou Aliou Barry, dit « Super Bobo », sont passés par là.

Aujourd’hui, le rêve du petit Abdoul, à l’instar de ses pairs, est de devenir un « Super Bobo » pour « envoyer ma mère à la Mecque et lui construire une villa », comme il le dit, entre deux bouchées de pain.

Alimou Sow