René Nkowa

Le malheur des uns fait le bonheur des autres

Passer des larmes aux rires
Passer des larmes aux rires

Il n’est pas bon de rire du malheur des gens. Il n’en demeure pas moins qu’il est des situations dans lesquelles on ne peut s’empêcher de rire, même quand malheur il y a. Parce que l’être humain, surtout quand il est camerounais, trouve toujours le moyen de rendre risibles même les situations les plus difficiles. Je ne vais par exemple pas revenir ici sur les traits d’esprit dont mes concitoyens ont su faire preuve suite au crash de l’avion de Kenya Airways à quelques kilomètres de l’aéroport de Douala en mai 2007. Et puis, pourquoi pas ? Le Boeing 737 s’était écrasé en pleine nuit dans le petit village de Mbanga Pongo, situé en périphérie de la ville. Depuis, dans le jargon populaire à Douala, Kenya Airways est désormais Mbanga Pongo Airlines. Ce sinistre (qui n’avait pourtant laissé aucun survivant parmi la centaine de personnes qui occupait l’avion – un bref rapport d’enquête ici pour ceux que ça intéresse) a même inspiré des chansons paillardes. C’est dire.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Le bonheur de toute une catégorie de personnes dont le business tourne autour de la mort. Il me revient à l’esprit ce sketch d’un humoriste célèbre au Cameroun. En discussion avec son fils étudiant la psychologie en Occident, il lui demande : « La psychologie c’est quoi ? Est-ce que ça donne de l’argent ? » Et il continue : « Je t’ai demandé de faire pharmacie. Comme ça quand tu reviendras ici, j’ouvrirai ma boutique de pompes funèbres à côté de ton officine. Si ta clientèle te dépasse, tu me l’envoies. Elle ne peut pas me dépasser ». Ce qu’il faut comprendre, c’est que si les malades succombent malgré l’administration de médications, lui le vendeur de cercueils et de gerbes de fleurs trouvera à coup sûr une solution pour eux.

Mais en dehors des professionnels de la mort (les propriétaires de morgues, les chauffeurs de corbillard, les gens des pompes funèbres, les fossoyeurs et j’en passe), il y a des personnes opportunistes qui savent tirer parti de la situation pour se départir de situations difficiles.

J’en parle parce que depuis quelques jours dans mon quartier, une affaire fait grand bruit. Et fait aussi beaucoup rire. Tout a commencé par le décès d’une dame. La défunte avait une particularité : elle était endettée jusqu’au cou.

Vous savez, en Afrique, il existe un système financier qui agit en parallèle du système bancaire. Il est souvent (la plupart du temps même) informel, fonctionnant sur la simple confiance mutuelle des membres du groupe qui le composent. Il s’agit ici des tontines. Et pour beaucoup, les tontines sont plus fiables que ces banques qui peuvent fermer du jour au lendemain. En sus, elles sont plus flexibles. La défunte était donc endettée, parce qu’elle avait emprunté de l’argent dans presque toutes les associations de femmes dans lesquelles elle était membre. Le total s’élevant à plusieurs millions de nos chers francs.

C’est peu de dire que désormais ce n’était plus son problème. Et que n’étant plus de notre monde, l’apurement de toutes ses dettes incombait dorénavant à sa famille. Alors, les représentantes de ces diverses associations se sont tour à tour rendues au domicile de la défunte pour rendre compte à sa famille de ses états financiers.

Probablement embêté et ne voulant pas se retrouver en train de rembourser des dettes que quelqu’un d’autre avait contractées, le fils de la défunte a mis au point un subterfuge. Un soir, il a convoqué toutes les associations qui réclamaient de l’argent. Et il a pris la parole :

« Vous, toutes autant que vous êtes, avez précipité la mort de notre mère.  D’abord vous lui avez lancé la maladie – un cancer – qui l’a rongée (oui, chez nous, les maladies se lanceraient comme des frisbees. Du genre si tu m’énerves, pour te punir, je te lance une maladie, ndlr). Et comme la maladie tardait à en finir avec elle, vous êtes venues l’achever vous-mêmes (le dernier repas de la défunte avait été cuisiné par une femme membre de l’une de ces associations, ndlr).

Maintenant, je vous le dis, j’ai le pouvoir de vous rendre toutes folles à lier. Démentes. Et si ça ne suffit pas, je peux vous faire mourir dans les plus brefs délais, comme vous avez fait mourir notre mère. J’ai pris une partie de ses cheveux que j’ai soumis à des sortilèges. Je vais fermer les yeux. Je vais compter jusqu’à cinq. Quand je vais les rouvrir, celles qui seront encore dans cette maison verront leurs jours comptés. Et celle parmi vous qui remettra les pieds dans cette demeure trépassera dans d’atroces souffrances. »

Sur ce il ferma les yeux.

Et se mit à compter.

Il n’était pas arrivé à trois que la pièce s’était vidée des deux douzaines de femmes qui s’y trouvaient.

Jamais on ne vit autant de femmes  détaler ! Et surtout, jamais on ne les vit partir à une telle vitesse ! Jamais on ne vit les kabas (sorte de robes amples, très prisées au Cameroun) s’envoler aussi haut ! Nous qui étions à environ cinq cents mètres du théâtre des opérations n’en avons pas cru nos yeux quand nous avons vu débouler cette meute de femmes (pour la plupart âgées de plus de quarante ans) qui avait littéralement pris leurs jambes à leur cou.

Une meute qui s’est finalement arrêtée à notre hauteur.

Elles regardaient derrière elles comme si elles avaient vu le diable en personne. Et comme pour se rassurer qu’il ne les avait pas poursuivies. Elles avaient perdu qui des sandales, qui un foulard, qui un porte-monnaie. Et elles n’osaient surtout pas revenir sur leurs pas. Une moto déboula de l’endroit d’où elles provenaient. Ce qui créa une autre panique. « C’est lui, il vient nous chercher ! Il vient nous chercher ! » Tout en criant, elles se réfugiaient dans les boutiques, les buissons et les maisons alentour.

Panique inutile, puisqu’il s’agissait en fait de l’un des moto-taximen qui habitent le quartier. Qui passa son chemin.

Au moment où je rédige ces lignes, la dépouille mortuaire se trouve dans le village natal de la dame pour l’inhumation. Nul besoin de dire qu’aucune de ces femmes (qui avaient pourtant prévu d’assister aux obsèques) ne s’y est rendue.

Depuis, nous n’avons pas cessé de rire. Ceci d’autant plus que chaque jour arrive avec ses détails cocasses. Comme celui raconté par une dame : « Vous savez,  le domicile de notre regrettée sœur se trouve en bas d’une colline. Et pour en sortir, il y a un escalier abrupt à emprunter. Ces derniers jours, quand nous allions lui rendre visite, sans l’aide de jeunes gens qui nous tenaient par la main, on gravissait difficilement cet escalier. Mais le jour de la débandade générale, on a escaladé cet escalier en avalant les marches quatre à la fois. Personne n’a demandé à quiconque de l’aider».

En bref, voilà comment une dette de plusieurs millions a été effacée.

Parfois, il suffit seulement de menacer les gens de les atteindre mystiquement pour qu’ils obéissent au doigt et à l’œil. Et aussi au pas de course. Il ne fait pourtant aucun doute que les propos du fils de la défunte faisaient partie d’un canular savamment élaboré.

René Jackson


Petits moments de corruption

Source image: worldbank.org
Source image: worldbank.org

Ces dernières années, les rapports successifs de Transparency International (l’une de ces institutions dont on ne sait quel est le problème avec notre pays, dixit nos gouvernants) placent le Cameroun dans le peloton de tête des pays les plus corrompus de la planète. Tranparency International base ses enquêtes sur « l’indice de perception » de la corruption. Critère que j’ai toujours considéré comme de l’enfumage. La « perception » ne peut être une base objective en statistiques. Donc, j’avais toujours considéré ce critère comme étant la corruption même. Ce jusqu’à aujourd’hui. Parce que je me suis mis à réfléchir à propos de ce phénomène. Je me suis promis de ne jamais entrer dans ce système. Et le simple fait de prendre cette décision est un signe que j’y suis trempé jusqu’au cou. En en réalité, comme tout Camerounais vivant au Cameroun, je suis un corrupteur en puissance. J’ai repassé en revue toutes les fois où je me suis frotté à l’administration camerounaise. Et flûte, je me rends compte que je ne suis pas meilleur que les autres !

Année 2007 : je me rends dans un commissariat de police. Je ne dirai pas lequel. Je ne me permettrai pas de dire que c’est celui qui jouxte l’hôtel de ville de Douala. Problème de carte d’identité. Quand j’y arrive, je me fais aborder par un jeune homme qui me demande ce que je veux. Je lui dis. Il m’indique alors du doigt une dame de forte corpulence à l’intérieur du commissariat. Je vais vers elle. Elle fait le signe OK au jeune homme. Et moi je paie sept mille francs. Pour une pièce qui, selon certaines indiscrétions, ne valait pas plus de trois mille francs. A mon insu, j’avais corrompu, puisque quinze minutes après être arrivé, je repartais avec mon récépissé. D’habitude, il faut plusieurs heures.

Année 2012 : il me fallait un permis de conduire. Je me suis inscrit dans une autoécole. Après trois mois de formation, je passe avec brio l’examen écrit. Le lendemain de la publication de ces résultats, le directeur de mon autoécole nous convoque. « J’ai une information à vous communiquer. Le jury de l’examen pratique embête. Il vous faut venir déposer dix mille francs ici. Cet argent, on va le remettre aux examinateurs. Je ne vous oblige pas à le faire. Mais sachez que si vous ne le faites pas, c’est à vos risques et périls. Et si vous échouez à l’examen pratique, il faudra verser dix mille francs pour reconduire votre dossier d’examen et attendre encore au moins un mois avant de repasser l’examen ». J’ai vite fait mon calcul. Conclusion : quel que soit le choix qu’on ferait, il fallait verser cet argent. On choisirait juste quand on allait le faire.

Année 2009 : je passe quelques semaines à Yaoundé. J’étais en mode touriste. J’avais parcouru la ville et j’avais pris en photo tout ce que j’étais capable de filmer. Le problème, c’est que j’ignorais à quel point cette ville était remplie de gens paranoïaques. Les forces de l’ordre s’y comportent comme si la ville abritait à la fois Barack Obama et le pape! Yaoundé est une belle ville. Qu’il ne faut absolument pas prendre en photo. Je me rappelle des bisbilles que j’ai eues avec les vigiles du palais des sports pour la malheureuse photo de ce bâtiment que j’avais prise. Ils avaient menacé d’aller me dénoncer auprès des Chinois (qui ont construit et qui gèrent l’infrastructure).

Une fin d’après-midi, je suis en voiture, assis à côté du conducteur. Je me faisais un selfie quand le policier qui régissait la circulation au lieu-dit Carrefour Mvan, l’un des endroits les plus embouteillés de la ville, m’aperçut. Il abandonna son travail et demanda au conducteur de se garer sur le côté et m’extirpa du véhicule. « Monsieur, vous vous permettez de filmer un agent des forces de l’ordre dans l’exercice de ses fonctions ? » J’ai failli lui répondre que ces mêmes agents ne voyaient pourtant pas d’objection à aller squatter les débits de boisson pendant l’exercice de leurs fonctions, mais je me suis retenu. Je lui ai juste dit : « Chef, ce n’est pas vous que je filmais ». Il me rétorque « suivez-moi au poste ».

Une fois au poste, il se rend bien compte qu’il n’y a pas de photo de lui dans l’appareil, mais il parcourt les autres et voit toutes les photos que j’avais prises. « Jeune homme, vous voyez ? Vous ne savez pas qu’il est interdit de filmer les bâtiments publics ? Ahan ! Même l’immeuble de la BEAC ? Monsieur, vous êtes suspect ! Inspecteur  » je ne sais plus qui « , venez voir.

L’inspecteur  » je ne sais plus qui  » : Mon petit, c’est grave hein !

Moi : Mais chef, j’ai photographié ce que tout le monde peut voir en passant dans la rue ! Je ne suis pas allé filmer la salle des coffres de la BEAC (Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale) ! »

Ne voulant pas tourner inutilement autour du pot, l’agent de police me dit qu’il faut que je fasse quelque chose, sinon il sera obligé d’en référer à son chef. J’ai pensé à une amitié qui risquait de voler en éclats si je ne ramenais pas cet appareil à son propriétaire. J’ai sorti mille francs de ma poche.

Année 2013, commissariat à l’émi-immigration de Douala : j’arrive pour prendre des renseignements afin de me faire établir un passeport. J’y trouve un policier en compagnie d’un jeune homme. Il lui explique comment remplir le formulaire de demande de passeport. En même temps il répond aux diverses questions que l’homme lui pose. Je soumets aussi mes interrogations à l’agent qui répond sans sourciller. L’homme, ayant terminé, dit merci et s’en va. La minute qui suit, l’agent me dit : « Mon fils, tu vois comment les gens sont ? Il est venu là, j’ai répondu à toutes ses questions, je l’ai aidé à remplir son formulaire et il part sans rien me donner ». J’ai saisi le message. Quand il eut fini avec moi, je lui glissai cinq cents francs.

Plus je réfléchis, plus je me rends compte que j’ai donné beaucoup – trop – d’argent pour des services pour lesquels j’avais pourtant déjà payé mon dû en divers timbres. Il y a encore quelques semaines, je devais faire certifier une photocopie d’acte de naissance. J’appose un timbre communal et un timbre fiscal dessus. Ça c’est la loi qui l’oblige. Je vais au centre d’état civil où on doit le signer. L’agent prend mon dossier et me demande cinq cents francs de « frais de signature », je fais mine de protester, il me répond, pince-sans-rire, que si ça ne me convient pas, je peux toujours le signer moi-même ce papier.

La corruption ressemble en définitive à une chape sous laquelle tout le monde doit passer. Même les esprits les plus déterminés ne peuvent pas y couper. Et pourtant, ce n’est pas une fatalité. Cette propension à donner (certains proposent même de donner alors qu’on ne leur a rien demandé) est le plus souvent le fruit d’une paresse caractérisée doublée d’une certaine ignorance.

Je me souviens de cette scène dont j’ai été témoin dans un autre commissariat de police en 2009 ou 2010. Un vieux monsieur particulièrement teigneux était venu se faire établir sa carte d’identité. Il lui avait été demandé cinq mille francs. Pourtant, une note destinée aux usagers affichée sur l’un des murs de la salle d’identification fixait à mille huit cents francs les frais d’établissement de la carte d’identité. Le vieux monsieur a crié au scandale et hurlé au vol. Il a réussi à attirer l’attention des personnes nombreuses qui se faisaient racketter. Finalement, pour éviter l’esclandre, on lui a rapidement fait son récépissé. Et il a tenu à payer les mille huit cents francs, bien que finalement le service lui fût gracieusement offert.

En fin de compte, je crois que je le comprends, ce concept de « perception ».

 

Par René Jackson


Viens, je t’emmène à Douala… La vraie !

Image: René Jackson Nkowa
Image: René Jackson Nkowa

Twitter, comme tous les autres écosystèmes, a sa part de cons. Mais aussi sa part de génies. Comme cette personne que je suis et qui a écrit il y a quelques jours : « les Occidentaux se plaignent du communautarisme des Africains chez eux. Que disent-ils de leur comportement lorsqu’ils sont en Afrique ? » A Douala, on sait qu’il y a des toubabs parce qu’il ne peut en être autrement. Puisqu’il est des quartiers où on n’en voit quasiment jamais. Et pourtant ! Il y a des Blancs à Douala. Beaucoup même. Je m’en suis rendu compte il y a quelques semaines quand j’ai fait une brève incursion dans le quartier Bonapriso.

Bonapriso… J’y suis entré et j’ai eu l’impression d’être sorti de la ville de Douala. Un quartier austère. Silencieux. Trop silencieux. Paradoxe troublant, il y a des routes bitumées, sur lesquelles personne ne roule. Ailleurs, c’est souvent l’inverse. Des maisons sont cachées derrière des murs de béton surmontés de fil barbelé, du même acabit que celui qui encercle l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad. Et devant ces murs sont postés des vigiles qui arborent tout le temps un regard mauvais.

Les Blancs, parlons-en. Je suis arrivé à Bonapriso en fin d’après-midi. J’étais accompagné par une apprentie conductrice. Un statut qui l’obligeait à  rouler au pas. Du coup j’ai eu largement le temps d’observer tous ces toubabs qui faisaient leur footing. Force était de constater qu’il y en avait partout. Bien plus que je ne l’aurais imaginé.

Je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir une certaine tristesse pour eux. Ils diront qu’ils ont vécu à Douala, alors qu’ils habitent dans cette espèce de camp retranché, de ghetto, que leur jeunesse fait l’école à Dominique Savio à Bonandjo, quartier dans lequel eux-mêmes ont leur bureau pour la plupart. Et se permettre tout juste d’aller à Akwa pour faire les supermarchés. Déprimant. Tu vis dans la ville la plus joyeuse du monde (si, si) et tu te comportes comme si tu étais dans un pays de terroristes ? Viens, je t’emmène à Douala. La vraie ville de Douala.

On va prendre un taxi, tiens ! Laisse ta voiture dans ton garage. Oui, ils sont jaunes, nos taxis, comme à New York. Et non, il n’y a pas qu’une seule place de libre. Monte, pousse-toi, colle-toi au chauffeur, tu dois me faire de la place à côté de toi. On appelle ça « bâcher ».

On va d’abord faire une escale au marché. J’ai dit « marché », pas supermarché. Donc chauffeur, emmène-nous au marché Sandaga. Il faut que tu saches où tes domestiques achètent tous ces beaux légumes que tu aimes tant. J’espère que tu n’as pas pris ton iPhone avec toi. Quoi ? Tu l’as ? Vous les Blancs avec vos iPhones ! Quand j’étais chez vous, tout le monde en avait un ! Et ici c’est pareil ? Donne-le, je vais le planquer. Il ne faut pas que grâce à toi, l’iPhone soit autre chose qu’un concept, qu’une vue de l’esprit pour les pickpockets qui pullulent au Rond-point Quatrième.

On est arrivé ! Tu vois les belles salades et les tomates juteuses. Bah, il va falloir être un bon funambule pour les atteindre. Oh, désolé ! Tu as marché dans la boue et te voilà totalement maculé. Mais voilà la tomate. Sens-la ! C’est du cent pour cent bio ! Elle vient de Foumbot. Rien que de la terre retournée, de l’eau de pluie et des fèces de cochon ! Non, ne mords pas dedans! Même moi je ne le ferais pas, malgré qu’on dise que la saleté ne tue pas l’Homme noir.

Tu vois, faire le marché ici est tout un art ! Tu dois composer avec la chaleur, l’humidité, les bruits, la saleté, les odeurs, les pickpockets et les pousseurs qui font « tchence ». Imagine : tu marches sur une voie ferrée et tu entends un train klaxonner. Quelle est ta réaction ? Alors, quand tu es au marché, tu dois réagir de la même manière quand tu entends « tchence » ! Allez, on s’en va.

Non, les motos, je ne t’en parlerai pas. Tu peux voir toi-même que ces gens ont fait de nos routes une vraie jungle. Alors, je ne dirai rien. Ou alors une chose : ces motos toutes ridicules peuvent déménager tout le mobilier d’une maison. Elles ont poussé de nombreux propriétaires de camions déménageurs à changer de métier.

Moto-taxi, laisse-nous à Ange-Raphaël ! Mon pote, on va à l’Université. Tu vois cet amphi ? En réalité, c’est un ancien gymnase réaffecté. Toi tu vois des gens assis les uns sur les autres, toi tu vois une jeunesse perdue, qui insulte ses camarades. Qui balance des quolibets à son enseignant quand il veut s’en mêler. Moi je vois l’endroit où j’ai passé les plus belles années de ma vie. Il fallait être ici à six heures du matin pour être sûr d’avoir une place pour un cours qui débutait à huit ou neuf heures, quand le chargé de cours se donnait la peine de se déplacer. C’était dur, mais si délicieux ! Je ne t’ai pas dit la meilleure. Quand je faisais la classe de sixième au lycée, nous étions cent-trois élèves dans notre classe. Ça te forme des battants. Je sais que trois de nos sixièmes font un lycée chez vous. Dans mon lycée, il y en avait six comme ça, des sixièmes.

La prochaine étape, c’est chez moi. Bassa, tu connais ? Bah non, évidemment. Et Ndog-Bong ? Non ? Bonamoussadi alors ? Denver ? Non, tu me fais marcher ! Là où j’habite est aux antipodes de tout ça. PK10, nous y voilà ! Ne fais pas de grands yeux. Je sais, ça fait longtemps qu’on a quitté la route bitumée. Et oui je suis bel et bien cerné de bars et je ne te raconte même pas l’ambiance une fois la nuit tombée. J’ai personnellement tout fait pour qu’ils baissent la musique, ils m’ont ri au nez. L’un des barmen m’a dit d’aller me plaindre chez Paul Biya si je n’étais pas content. Paul Biya tu connais ? C’est bien, on évolue. Tu connais la crevette en chef !

Celle-ci c’est ma braiseuse de poisson favorite. Il n’y a pas d’eau courante chez elle. Son domicile a plus l’air d’un dépotoir que d’une maison. Tous ici, nous le savons, mais on s’en fout. La chaleur tue les microbes. Et nous sommes prêts à risquer nos vies. Sa carpe est tellement bonne que ce serait un crime de ne pas la savourer. Et quand tu auras fini de manger, suce-toi les doigts pour les nettoyer. L’eau qu’elle va te présenter pour que tu te rinces les mains est au moins aussi polluée que le Gange. Mais moi je vais m’y rincer les doigts. La saleté ne tue pas l’Homme noir, je t’ai dit ! En ce qui concerne le Blanc que tu es… Dans le doute, il vaut mieux s’abstenir.

Tu sais, c’est quand même triste votre vie. Tu habites à Bonapriso, à dix minutes de l’aéroport. Il est vrai que c’est pratique parce que le jour où ça chauffe, vous avez un avion pas loin pour vous emporter. Vous n’êtes pas le seul quartier à dix minutes de l’aéroport international de Douala ? Qu’est ce que tu me racontes ? Tu veux te comparer à celui qui habite à New Bell ? Je n’ai pas dit que les dix minutes étaient à vol d’oiseau, mais bel et bien dix minutes de route ! Nuance. Grosse nuance.

New Bell, parlons-en. C’est un endroit spécial dans notre belle cité. A New Bell, avant de fermer la porte de ta maison, assure-toi que tous tes voisins sont rentrés chez eux. Dans le cas contraire, tu risques de faire dormir quelqu’un à la belle étoile. Il n’est pas de ta maisonnée, mais ton salon est le seul chemin qui mène chez lui.

Là, nous sommes à Bépanda. Tu as peur ? On est deux, t’inquiète. Ce qui m’effraie c’est le nombre de personnes nues qu’on peut y rencontrer. La nudité ici est une identité de vie. Tu vois cet enfant qui court tout nu dans la rue, les fesses à l’air et la quéquette balançant de gauche à droite au rythme de sa course ? Regarde! Mais pas trop, quand même, tu risques d’attiser la curiosité des gens. Déjà que tu es blanc et qu’on te voit arriver à des kilomètres n’en rajoute pas. Mais regarde discrètement cet homme, le torse nu, la serviette nouée à la hanche, le ventre bedonnant. Il brosse ses chicots en pleine rue, postillonnant même sur les passants qu’il salue.

Tu sembles dégoûté depuis que je t’ai sorti de chez toi, ce petit cocon de confort. Très cher, il fallait que tu connaisses la ville qui accepte de t’héberger. Rio est identifiable par la statue du Christ rédempteur et par les favelas. New York par Manhattan et Harlem. Je me devais de te montrer que le reste de ma ville n’a rien à voir avec cet îlot dans lequel tu te complais. Viens voir Douala avec moi. La vraie. Tout le monde y est invité, même toi. N’aie donc pas peur de venir à nous. On va te transmettre notre farouche joie de vivre.

Allez, rentre chez toi ! Je te montre le reste une autre fois.

Zut ! J’ai failli oublier de te rendre ton iPhone…

Par René Jackson


Camerounais, quel âge as-tu (réellement) ?

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Kumba. Petite ville d’environ cent cinquante mille âmes située à dans la région du sud-ouest du Cameroun, à un peu plus de trois heures de route de Douala. Une petite ville devenue emblématique quand on traite des questions relatives à l’état civil des Camerounais. Pendant les années 1990 et le début des années 2000, cette ville était célèbre pour la célérité avec laquelle elle délivrait divers documents (actes de naissance, permis de conduire, carte nationale d’identité, etc). Une célérité qui s’appliquait autant sur les documents sincères que sur ceux falsifiés. Ce qui a attisé la convoitise des faussaires de tout poil qui se sont précipités sur l’aubaine, truquant à qui mieux mieux pour qui le souhaitait tous types de documents, à condition d’y mettre le prix.

De ce fait, le terme « Kumba » est entré dans le langage familier des Camerounais. Terme utilisé pour mettre en doute l’authenticité des déclarations d’aucuns. Surtout en ce qui concerne l’âge. Même si les trafiquants de fausses pièces sévissent un peu partout dans le pays.

– Quel âge as-tu ?

– Vingt ans.

– Hum ! Vingt ans normaux ou vingt ans Kumba ? (ou en d’autres termes : as-tu vraiment vingt ans ou alors tu t’es fait enlever quelques années à ton âge réel pour en arriver là ? Parce que sérieusement, on te donnerait trente ans).

Il y a quelques jours, le Portugais José Mourinho, l’entraîneur un peu fantasque et surtout très malin qui officie actuellement dans le club de football londonien Chelsea FC, a rhabillé pour le restant de l’hiver l’un de ses joueurs. Un joueur qui n’est pas n’importe qui, puisqu’il ne s’agissait de rien de moins que Samuel Eto’o Fils, le capitaine actuel de l’équipe nationale du Cameroun. Ne se contentant pas de douter de ses qualités de buteur, il a publiquement remis en question l’âge de l’attaquant camerounais : « Samuel Eto’o ? Il a 32 ans… Peut-être, peut-être 35. Je ne sais pas ».

Il a déclenché cette polémique quelques semaines seulement après une autre, concernant aussi un Camerounais : l’affaire Joseph-Marie Minala. Autant le doute est permis sur le cas d’Eto’o, autant celui de Minala souffre de peu d’ambigüité. Le monsieur revendiquait dix-sept ans sur le papier. L’adage qui dit que plus c’est gros, plus ça passe n’a pas marché pour lui et il n’a suffi que d’un seul match de première division en Italie pour que le pot aux roses soit découvert. Car il est difficile de trouver des jeunes gens de dix-sept ans bâtis comme des boxeurs professionnels. Ce Minala a surtout été trahi par son faciès trop marqué. Il aurait depuis avoué être âgé de quarante-deux ans en réalité. Il aurait quand même réussi l’exploit de faire disparaître jusqu’à vingt-cinq années de sa vie !

Autre Camerounais, autre polémique. Il s’agit de celle soulevée en 2009 autour du joueur connu publiquement sous le nom d’Apoula Edel. Une affaire obscure. La seule certitude le concernant : il était né au Cameroun. Quand ? Les dates divergeaient selon les sources. Même son nom était contesté, car pour celui qui avait lancé l’affaire, il s’appellerait en fait Ambroise Béyaména. La trajectoire l’ayant mené d’un obscur club de Kumba (comme par hasard !) au Paris Saint-Germain était elle-même sujette à caution. Tout était bizarre dans son histoire, puisque quand l’histoire a surgi, il était arménien. Et comptait redevenir camerounais afin de participer à la Coupe du Monde de football 2010 !

Des affaires semblables, il y en existe  à ne plus savoir qu’en faire. Que dire de ces jeunes alignés pour une compétition internationale et qui curieusement étaient presque tous nés dans le même mois de la même année ? Ou de ces cas récurrents de joueurs exclus des équipes nationales pour falsification de leur acte de naissance?

Pour illustrer cela, il existe ici une boutade très célèbre. Une fois, un joueur participant au tournoi de jeunes de Montaigu en France aurait marqué un but d’une frappe violente des quarante mètres. A la fin du match, on l’aurait interrogé sur ses impressions. Le joueur (censé avoir moins de seize ans) en aurait alors profité pour passer le bonjour à sa femme et à ses enfants qu’il aurait laissés au pays.

Véridique ou pas, cette histoire explicite une chose : pour le Camerounais ordinaire, tous les joueurs de football camerounais, sans exception, ont fait un tour à Kumba.  Pour beaucoup, l’âge réel de Samuel Eto’o varie entre trente-neuf et quarante-cinq ans. Sans blague.

Pour moi en tout cas, ce n’est pas une fable. L’un de mes meilleurs amis, un jeune homme avec qui j’ai grandi, fait mes petites classes, avec qui j’ai sensiblement le même âge (désolé mon pote, je sais que tu t’es reconnu) a des pièces qui aujourd’hui lui donnent sept ans de moins.

A cette allure, on devrait mettre en place un système de datation au carbone 14 pour déterminer le vrai âge des footballeurs camerounais. Parce qu’un paléontologue lui-même s’y perdrait.

Quid des autres compatriotes ?

Ce n’est  pas un phénomène qui se limite aux seuls joueurs de football. Selon certaines observations, on serait même tenté de dire que la falsification des âges est un vrai sport national. On s’y adonne pour plusieurs raisons.

Certains parents estiment qu’il faut « donner plus de chance de réussite » à leur rejeton. Résultat, l’acte de naissance n’est établi que deux ou trois ans après la naissance de l’enfant. Les parents manœuvrent soit en fabriquant une fausse déclaration de naissance (que normalement doit fournir le médecin ayant procédé à l’accouchement), soit en fabriquant une totalement conforme, exception faite de la date de naissance, contre quelques billets de banque.

Ceux des parents n’ayant pas anticipé sur les aléas de la vie se retrouvent (bien souvent malgré eux) obligés de retrancher quelques années de vie à leur enfant clairement en situation d’échec scolaire. Le bambin étant rattrapé par la limite d’âge fixée par certains de nos établissements scolaires. Il y a par contre des parents qui se font une joie de procéder à cette amputation, notamment ceux qui ont des ambitions footballistiques pour leur progéniture.

Pour les plus âgés, les raisons sont tout aussi diverses, l’une des principales étant la barrière de la limite d’âge fixée pour la quasi-totalité des concours administratifs, pour les concours de la police, de la gendarmerie, pour le recrutement dans l’armée et j’en passe.

Les séniors ne sont pas en reste. Tous n’étant pas dans le sérail (et donc, ne disposant  de pratiquement aucun appui pour s’accrocher à leur poste à l’instar de ceux qui s’accrochent au pouvoir), ils contournent le problème en se fabriquant un autre acte de naissance. Il ne fait pas bon être un retraité au Cameroun. Entre la jeunesse qui n’est plus qu’un lointain souvenir, la perte de considération sociale dont on risque de souffrir et l’Etat qui distribue les pensions de retraite selon son bon vouloir, il faut repousser l’échéance. C’est ainsi qu’on verra un fonctionnaire souffler sur le même nombre de bougies  plusieurs années de suite. Un vrai sport national, on l’a dit.

La question qui me vient souvent à l’esprit, surtout concernant les fonctionnaires, est celle ce savoir comment ils réussissent à faire gober leur subterfuge à tout leur petit monde, connaissant le volume de paperasse qu’ils ont dû remplir tout au long de leur carrière, sans compter les divers contrôles et évaluations qu’ils sont censés avoir subi au fil des ans. Et les diplômes qu’ils sont supposés avoir obtenus.

Dans tous cas, il y en a un qui ne s’embarrasse pas de telles fioritures. Il est un véritable exemple. Il ne fait pas plus vieux que son âge. Au contraire, on lui enlèverait bien vingt ans qu’on ne s’en rendrait même pas compte. Car combien de Camerounais, à 81 ans bien sentis, paraissent si jeunes, si frais ? Combien peuvent encore se tenir sur leurs deux jambes, passer en revue les troupes, assister à un défilé long de trois heures sans piquer du nez ? Pas beaucoup à mon avis.

Si, si, je parle bien là du premier des Camerounais. Du roi Lion himself ! Kumba ? Il ne connaît pas. Même pour une visite officielle, il n’y a pas mis les pieds.

Par René Jackson.


Mondoblog en 2013: les pépites

Les premières minutes de la formation #MondoblogDakar, AUF Dakar
Les premières minutes de la formation #MondoblogDakar, AUF Dakar

L’une de mes citations préférées me vient du film Forrest Gump. Elle dit « la vie est comme une boîte de chocolats. On ne sait jamais ce qu’on va trouver dedans». Cette phrase qui semble paradoxale (car, que pourrait-on trouver d’autre dans une boîte de chocolats si ce n’est du chocolat) colle pourtant à ce qu’a vécu Mondoblog ces douze derniers mois: une année 2013 qui débutait bien mal, car la plateforme ressentait encore les contre-coups d’un travail de maintenance plus difficile que prévu (Mohamed Sneiba en parle si bien). Des moments sombres qui annonçait pourtant des lendemains meilleurs : la formation à Dakar qui a été un succès, un deuxième lauréat consécutif du prix de meilleur blogueur francophone de la Deutsche Welle, Mondoblog représenté au cinquième forum des Nations Unies sur l’Alliance des Civilisations, aux septièmes Jeux de la Francophonie, etc. L’année 2013 a aussi été celle d’un autre grand moment : celui de l’accueil de près de deux cents nouveaux blogueurs.

C’est avec un plaisir immense que je me suis plié une fois de plus à cette tradition des « pépites », qui me fait voyager parmi les blogs et d’en ressortir ce qui a – de mon point de vue – été le meilleur. Mais j’avoue tout de même que l’exercice est de plus en plus difficile à cause du nombre croissant, mais aussi de la qualité des publications. Ce qui fait que malheureusement, tout le monde ne peut pas monter dans le bus. Qu’à cela ne tienne, j’ai procédé comme les propriétaires de nos taxi-brousse : trouver des places aux endroits incongrus pour en faire entrer le plus possible.

S’il y a un mondoblogueur qui mérite une médaille c’est sans aucun doute Serge Katembera, le congolais vivant au Brésil. Il est impressionnant par le rythme de ses publications sur son blog, et aussi il n’a pas son pareil pour déposer des commentaires à la suite des billets des autres. Non content de cela, il participe à toutes les discussions que nous pouvons avoir. D’ailleurs, il est à la recherche d’un emploi et il n’a pas hésité à faire le détail de ses compétences.

Qu’y a-t-il chez les mondoblogueurs du cru 2013 ? Du lourd. Du très lourd même.

Commençons par ceux qui n’ont pas résisté à l’envie d’exprimer au monde la joie qu’ils avaientde rejoindre la plus grande communauté de blogueurs francophones ! Habesha, la Niak de Dakar a littéralement sauté de joie, quand Eli s’est senti comme un « footballeur en plein mercato fraîchement recruté ».

Edmond Nanoukon du Bénin, pose une question pertinente : en Afrique, que nous facture-t-on ? L’énergie électrique ou l’obscurité ? Kelly Adehiha du Togo lui a tout simplement décidé de ne pas acheter des lunettes d’observation d’éclipse solaire – pour rappel, une éclipse solaire a traversé le continent africain au début du mois de novembre 2013. Il entreprend alors de raconter la cacophonie qui avait émaillé une autre éclipse solaire, celle de 2006. Occasion pendant laquelle beaucoup s’étaient comporté comme s’il s’agissait de la fin du monde. Bled Mickey évoque les dangers qu’il y a à bloguer en Algérie, en se référant au cas d’un autre blogueur, Malik Liberter, incarcéré. La liberté de ceux qui font l’information a été vraiment mise à mal l’an dernier, avec comme point d’orgue l’assassinat des journalistes Claude Verlon et de Ghislaine Dupont. Un blogueur abidjanais s’est ahuri du fait que certains en Côte d’Ivoire s’en réjouissaient.

Djegbenou nous plonge dans l’univers de la politique au Bénin en décryptant le mouvement du mercredi rouge, quand le sénégalais Ba Samba Samake s’essaye dans une postface débridée du livre Ker Saint-Joseph, Rue 61×52 Gueule Tapée. Dania de Yaoundé s’engage dans une critique de la décision du Magazine Times de désigner le Pape François comme étant l’homme de l’année 2013. Aux USA, Apelike relate l’aventure ubuesque d’un jeune new-yorkais Noir arrêté pour avoir acheté une ceinture de luxe.

L’évènement majeur de l’année qui vient de s’écouler fut sans aucun doute la disparition de l’icône de la lutte anti-apartheid Nelson Mandela. Les mondoblogueurs ont produit quantité de billets d’hommage, parmi lesquels celui de AbuKM de Côte d’Ivoire qui a fait une liste des cinq meilleurs sites pour rendre un hommage à l’illustre disparu. Ou cet autre de Gregory Jacquet, le couteau suisse du Costa Rica qui dit sans ambages : vous m’avez inspiré, Monsieur Mandela.

La plateforme a su se diversifier avec le temps : elle n’est plus seulement le repère de journalistes ou de chroniqueurs sociaux et politiques, mais aussi des férus de technique. C’est le cas d’Aaron Amono, un jeune congolais ingénieur au Brésil, qui nous fait entrer dans le monde du génie civil. En outre, on voit émerger des blogs dont la principale préoccupation est la sauvegarde de l’environnement comme Reverdissons l’Afrique de Faso Kibare, Plume d’agriculteur de Nankpan Sourou et Vert Togo de Richard Komlan Folly.

En plus de ceux-ci, parmi les nouveaux blogs, il y en a qui laissent les images parler. Comme celui de Marthe Le More, consacré à la photo. Dans son billet Les dieux du stead, elle nous parle son expérience de la steadycam. A côté de Marthe, on a des artistes d’un autre genre : les caricaturistes. Notamment Maloji  et Marine Fargetton.

Dans un billet, un blogueur guinéen raconte l’épidémie de vols dans les mosquées et explique que personne n’est à l’abri. Pour illustrer cela, il a ressorti l’histoire du vol du téléphone portable du président de la république alors qu’il priait dans une mosquée. Edwige Molou, une ivoirienne qui poursuit ses études au Sénégal fustige le goût prononcé des jeunes pour une vie effrénée et se demande si elle est une ado normale en vivant en marge de toute cette agitation. Mamadou Yaya Balde de Dakar nous fait entrer dans les secrets de fabrication du café touba, une boisson au cœur des habitudes alimentaires des sénégalais.

Les anciens de Mondoblog, eux, ont continué à faire le boulot. Il y a eu un long moment de frénésie. Autour du Liebster Blog Awards. Importé chez nous par le truculent David Kpelly, beaucoup de mondoblogueurs se sont prêté au jeu, ce qui a permis d’en savoir un peu plus les uns sur les autres, après la rencontre de Dakar. Rencontre qui avait d’ailleurs failli se terminer de bien mauvaise façon pour Wilney Taris, dont les tristes péripéties à l’aéroport de Dakar ont été relatées par Mylène Colmar.

Axelle Kaulanjan-Diamant, elle, est repartie de Dakar toute heureuse. Tellement marquée par l’expérience #MondoblogDakar qu’elle a rédigé un plaidoyer pour que la prochaine session de formation Mondoblog se déroule en Guadeloupe.

Nous avons eu du rire avec Aphtal Cissé de Cacaveli qui a eu la mauvaise idée d’essayer d’impressionner une jeune femme avec une auto qui ne lui appartenait pas. Nous avons eu de la romance avec Manon Heugel qui nous a fait comprendre que la queue que nous faisons souvent peut être un vrai moment de vie et le lieu de la rencontre de l’amour, même s’il est malheureusement impossible. Nous avons eu de l’étonnement avec  Boukary Konaté qui a donné la parole à Yu Hong Wei, candidate aux législatives au Mali. Nous avons eu du dépaysement  avec Stéphane Huet qui nous a entrainés avec lui dans sa découverte du Népal.

Nous avons aussi eu de l’injustice, que dis-je, de la discrimination et du racisme. Berliniquais, a ressorti des placards le chemin de croix qu’avait été pour lui la recherche d’un appartement à Paris. Limoune raconte l’histoire de ce jeune camerounais victime de racisme en Tunisie. Un racisme qui tient en une phrase : « Si tu ne comprends pas l’arabe, rentre dans ton pays ».

Parlant du Cameroun, deux blogueuses en ont dépeint un tableau sulfureux. Pour Tjat, c’est un pays dans lequel le m’as-tu-vu s’exprime jusque dans les cérémonies mortuaires. Quand pour Danielle Ibohn, il y a cours une véritable révolution de la bière.

Les mondoblogueurs savent aussi se mettre ensemble dans divers projets. Dont les billets collectifs. Il y en a eu une bonne poignée lors de l’année écoulée, mais je n’en retiendrai que deux : celui mené par Nathy K au sujet de la Journée Internationale des droits de la femme et celui piloté par Billy James Raymond. Billet dans lequel plusieurs paires de mains caribéennes ont raconté comment se déroule la fête de Nöel dans les différents pays de cette partie du monde.

Tiptop blogs :

Une fois n’est pas coutume. Mais j’ai estimé que pour cette année, je me devais de donner une mention particulière à certaines œuvres. Parce qu’elles le méritent. Oui, on peut avoir déjà fait plus de trois ans ici, comme c’est le cas pour moi, et prendre encore de véritables leçons de la part d’un « novice ». Ici, il ne s’agit pas d’un seul, mais de quatre :

Marcelle : c’est le blog d’Isabelle Kichenin, journaliste, qui parle de l’actualité culturelle de l’ile de la Réunion, dans tous ses états.

L’isle au rostres: d’Arthur Floret qui écrit depuis l’ile Christmas, qu’il décrit lui-même comme étant l’un « des points les plus éloignés de l’océan Indien ». Dans des textes courts et efficaces, il raconte la vie quotidienne dans cet endroit exotique.

Humeurs Nègres : le seul fait qu’une dame ose dire au monde son âge lui octroierait d’office une place dans n’importe quel tiptop. Sauf que ce n’est pas tout. C’est un vrai talent quand il s’agit de mettre des mots près des autres. Ce talent, il est ivoirien. Et il s’appelle Babeth.

Toilettes intimes : mon grand coup de cœur. Partir de la réalité souvent morne, l’arranger et l’embellir par les mots, pour qu’elle nous paraisse moins morte. C’est le récit d’une âme torturée. Torturée par un amour virtuel. Je n’ai pas pu en identifier l’auteur, ni sa nationalité. Mystères qui rajoutent du piquant à l’intrigue.

Je ne saurais terminer ce billet sans faire un clin d’œil à Cyriaque Gbogou – le grand frère – qui nous accompagne depuis un an et un autre à Jean-Robert Chauvin, l’auteur de ABCDetc, qui  est vraisemblablement le doyen sur Mondoblog. C’est notre caution, car comme on dit en Afrique, ce sont les anciens qui détiennent la sagesse !

Sayonara !

Par René Jackson

Nota 1: ces Pépites m’ont valu de parcourir 239 blogs et de lire 362 billets. Vous comprendrez que je ne pouvais malheureusement pas mentionner tout le monde ou tous les articles. Cela n’enlève pourtant rien à la qualité du travail des « oubliés ». Dans les commentaires, vous pouvez toujours mentionner ceux qui, à votre avis, méritent leur place dans ce billet !

Nota 2: Beaucoup de blogueurs n’ont pas renseigné la section « à propos » de leur blog par leur nom ou par un pseudonyme. Difficulté supplémentaire. Et pardon à tous ceux dont j’ai écorché le nom. J’ai fait au mieux.


Non, ne me tue pas. Tue ta femme!

A Douala, ce n'est pas aussi simple
A Douala, ce n’est pas aussi simple

Il est de ces moments où tu te dis que le monde évolue un peu trop vite. Comme ce jour où je m’étais retrouvé à partager la même chambre que deux garçonnets. Le matin, j’avais été sorti du sommeil par leur conversation. Laquelle ma foi était bien curieuse. Ils n’avaient même pas encore sept ans et ils parlaient d’une fillette qui devait avoir le même âge qu’eux. « Elle croit que je ne vois pas ce qu’elle fait ? Elle veut devenir ma petite copine. Elle n’est même pas si jolie. Même quand on sera grand, je ne pourrai pas accepter de faire l’amour avec elle ». Mes oreilles saignaient ! Dans cette situation, la réaction première serait celle de les rabrouer vertement, en leur demandant d’aller d’abord apprendre à compter jusqu’à trente avant de parler de choses pareilles ! Moi, j’ai préféré continuer à faire le dormeur. Et mes oreilles n’ont pas cessé de saigner.

Faire l’amour… Ce sont bien des termes de cette génération. Pas de la nôtre. Et les modèles des petits d’aujourd’hui ne sont pas ceux que nous avions. La providence a voulu que notre croissance soit concomitante avec la période de grâce de Petit-Pays. Vous connaissez Petit-Pays ? Quoi ? Vous ne connaissez pas l’Avocat défenseur des femmes ? Le Neveu de Jésus-Christ ? Le Turbo d’Afrique? A titre de comparaison, les USA ont Michael Jackson, la France a Claude Francois, la Suède,  Abba, le Congo, Koffi Olomidé.  Et le Cameroun a Petit-Pays. C’est-à-dire le musicien le plus génial de notre époque. Petit-Pays est le mec qui a inventé le makossa-love, c’est celui qui a fait la pochette d’album la plus célèbre de l’histoire de la musique camerounaise, puisque sur la photo, il était tout nu. Le seul effort qu’il avait consenti à faire était de couvrir ses  parties intimes de ses mains.

Petit-Pays c’est aussi et surtout celui qui a fait l’éducation sexuelle de deux générations de Camerounais, pendant que la tendance était au tabou. Et rien que pour cela, il a sa place au Panthéon camerounais. Si d’aventure il y en a un.

Dans toute son intelligence, le jeune homme avait compris qu’il serait difficile pour l’homo-crevetus de dire tout de go : faire l’amour, faire la cour, baiser, rouler une pelle. Il s’est donc échiné pendant vingt longues années à enrichir un champ lexical qui permettait de parler de la « chose » sans donner l’impression de le faire. Depuis, ô tristesse, Petit-Pays a abandonné ses ouailles libidineuses, puisqu’il s’est plongé dans la religion. Chapeau quand même, l’artiste !

« Alain Njockè, toi tu veux toujours me tuer. Partout où tu es, tu veux toujours me tuer. Non, ne me tue pas, tue ta femme ». Dit comme ça, on se demanderait : « Wow ! Pourquoi celui-là parle de meurtres ? Il est fou ou quoi ? Et comment peut-il demander à quelqu’un de tuer sa propre femme ? » On peut se le dire, mais il faut écouter la suite : « On ne tue pas les hommes, on ne tue que les femmes dans ces choses-là ».

Aujourd’hui encore, même dans la ville de Douala qui est supposée être arrosée par l’érotisme qui provient des médias, il est difficile de parler ouvertement des affaires du sexe. En utilisant les mots qui désignent nommément chaque chose. La pudeur existe. D’un autre côté, on ne peut se passer d’en parler. Alors, on escamote le français. Qui heureusement est une langue dont la richesse permet la variabilité de sa géométrie. On a réussi à donner une autre couleur à des mots tout à fait innocents. Parlez de manger le plantain près d’une jeune Doualaenne et elle vous jettera des regards furibonds.

Avant de procéder à l’abattage du gibier, il faut d’abord l’encercler. En d’autres termes, avant d’emmener la belle dans son lit, il faut d’abord la courtiser.

Et pour courtiser, on drague bien entendu. Mais ce n’est pas très exactement comme ça qu’on dira. D’abord, il faut désigner la fille. Au lieu de dire « fille », on dira plutôt nga, ngo, wé. Quand on la cible (c’est-à-dire quand elle suscite l’intérêt) elle deviendra un dossier, ou un goût. Quand nous disons : je suis « en train de traiter un dossier », ça peut bien sûr être un dossier de livraison de semi-conducteurs ou ça peut tout simplement signifier qu’on est en train de courtiser une femme. A Douala, quand on drague, on est aussi au pointage. On attaque. On lance les grains.

Quand elle a accepté les avances, on dit qu’elle a picoré les graines ou qu’elle est tombée. Et quand le gars est un tantinet frimeur, il déclare qu’elle est tombée sans glisser. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’elle n’a pu opposer aucune résistance face à son charme renversant.  La demoiselle accepte alors d’entrer en relation avec lui. Elle devient ainsi sa nga, son wé, sa femme, sa petite, sa titulaire (la préférée pour ceux qui ont plusieurs petites amies), mais en aucun cas sa petite amie. « Petite amie » est une expression qu’on ne connaît pas chez nous.

Dans le cas où la belle a opposé un non sans ambages, elle nous a soit zappé, soit tété (donné un coup de tête), soit barré, soit encore ndem. Il ne reste plus alors qu’à aller lancer les grains ailleurs…

Petit à petit, pendant des mois, des semaines, ou encore en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, la petite a accepté de se donner toute entière, corps compris. On ne peut s’empêcher d’aller le raconter aux amis. Donc, on a bien entendu tué (encore merci, Petit-Pays), on a piqué, on a tanné, on est grimpé, on a fom, on a coupé, on a lavé le ndolè, on a abattu le gibier, on a conclu le dossier, on a achevé l’animal, on a cassé le kwetou… Une expression qui m’avait bien fait rire, c’était brûler le maïs. Je l’avais trouvée totalement hors de propos. Et puisque de temps à autre, il faut se mettre au diapason du monde, la dernière en date, c’est zlataner. « Ouais, j’ai zlatané la nga là !»

Mais auparavant, on l’a mop. C’est-à-dire qu’on lui a roulé une pelle.

Bien entendu, les indélicats qui racontent leurs parties carrées doivent faire saisir à leur auditoire l’importance de leur exploit. La performance dans les sports litiques se mesure à force de coups, ou de buts. Plus on en met, plus on est endurant. Le coup (ou le but) désigne ce qu’on pourrait appeler dans un langage un peu plus accessible l’épanchement de liquide séminal. Et quand cet épanchement survient, on dit qu’on a jouah. Non, non il ne faut surtout pas dire « joui » !

Si par chance (ou par malheur, c’est selon) il s’agit de la première fois, on dira que le garçon est devenu un homme. Et que la fille a été décapsulée. Comme une vulgaire bouteille de bière.

Et quand qu’on fait crac-boum-hue, il faut varier les plaisirs. Les spécialistes de l’amour le préconisent même. Il faut rompre la monotonie. Même sous la couette. Autant toutes ces petites menteuses jureront la main sur le cœur que jamais elles ne fumeront le calumet de la paix parce que ce serait trop dégoûtant, autant les machos de façade se garderont bien de dire qu’en contrepartie, ils ont fait le bisou sur la tomate ou qu’ils ont utilisé un cure-dents. Ne me demandez pas pour enlever quoi entre les dents. Celui ou celle qui n’a pas compris, tant pis pou lui/elle.

Mais alors, que deviennent ceux qui sont loin de toutes ces turpitudes. On fera des commentaires pleins de compassion et de condescendance à leur égard. Les pauvres, la jachère va les tuer, personne pour débroussailler le champ. Pour les dames, on y va un peu plus fort, parce qu’il faut d’urgence enlever les toiles d’araignées qui depuis auraient investi le lieu.

Je m’arrête là.  Sinon je risque de m’attirer les foudres des gars qui vont me prendre pour un traître, parce que je dévoile leurs codes d’attaque. Je ne veux être l’Edward Snowden de personne, si ce n’est déjà le cas !

Mais je vais quand même rendre public un dernier secret. Si vous vous étonnez du fait qu’un homme se mette à courtiser plusieurs filles en même temps, ou alors qu’il pointe une cible qui semble inatteignable, il justifiera alors ses actes en disant qu’on ne sait pas quel est l’oiseau que le caillou va atteindre.

J’en ai terminé. Les gars, ne me tuez pas, je vous en prie. Vos copines sont déjà là pour ça.

Par René Jackson


Ziad Maalouf, tout simplement !

Ziad Maalouf à Papeete, janvier 2011 - Photo: Simon Decreuze
Ziad Maalouf à Papeete, janvier 2011 – Photo: Simon Decreuze

La première fois que j’ai entendu Ziad Maalouf à la radio en sachant que nos chemins allaient se croiser, ce fut ce jour de janvier 2011. Ce n’était pas dans son émission l’Atelier des Médias, mais dans un reportage qu’il faisait depuis Papeete à Tahiti. Je me souviens, ma  première réaction fut celle d’aller regarder ma mappemonde. Et je découvrais alors presqu’ébahi qu’il se trouvait alors en plein milieu de l’océan Pacifique, à des dizaines de milliers de kilomètres de Paris ! Ensuite il y a eu ce dimanche 17 avril 2011, où je le rencontrai en vrai, dans le hall d’un hôtel de Yaoundé, au Cameroun.

Au premier abord, je ressentis une certaine surprise. Parce qu’il n’était pas tel que je me l’imaginais. Il se trouve que lui aussi a été surpris, quand il me rencontra la première fois. Avant ça, il y avait eu ma sélection pour Mondoblog et quelques discussions téléphoniques. Nous avons passé une semaine de « formation » à Yaoundé, entre une connexion Internet en dilettante et des soirées agitées – soirées auxquelles il ne participa jamais. Ce billet, j’aurais d’ailleurs dû le rédiger à l’époque. Il était mon binôme lors de l’exercice du portrait. Il en avait fait un de moi et je lui devais la pareille. Mais je manquais de matière. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et il est grand temps que je solde cette dette vieille de deux ans et demi déjà.

Et de la matière, il y en a, parce que la providence a voulu que nos chemins se rencontrent une nouvelle fois à Dakar au Sénégal et qu’ensuite, je marche dans ses pas – ou plutôt essaye de suivre son rythme – pendant une semaine à Paris. Et c’est peu dire que j’ai eu le temps de l’observer à loisir.

De lui, deux choses m’ont marqué lorsque nous étions à Yaoundé. La première était son calme et son apparente distance par rapport à ce que nous faisions, qui était en réalité trompeurs. Ziad ne fut jamais présent quand on faisait nos quatre cents coups, mais nous avons à maintes reprises été surpris par la précision des informations qu’il pouvait avoir sur nos faits et gestes qu’on pensait pourtant avoir bien dissimulés. Deuxièmement, lors de nos repas, il participait très peu aux conversations, mais ses interventions étaient toujours d’un à-propos presque déroutant.

Ensuite, il m’a bien fait rire à Dakar. D’abord son abondante chevelure que nous avions toujours connue avait entre temps disparue après un détour chez un coiffeur en Asie. Et un pan de sa personnalité était incontestablement partie avec cette tignasse frisée. Il semblait bien plus jeune sans. Ensuite il y a ce petit sac qu’il emmenait partout. Un sac très pratique, certes. Mais qui avait ceci de particulier qu’il était non seulement simplissime, mais qu’il avait une façon assez rigolote de le porter, un peu comme les vieilles mégères acariâtres portent leur fourre-tout qui leur sert de sac à main. « J’en ai plusieurs comme ça » a-t-il tenu à me préciser.

... et son coiffeur asiatique.
… avec son coiffeur qui venait juste de lui couper les cheveux

Mais ce n’est que lorsque je l’ai rejoint dans son environnement que j’ai vraiment saisi les  nombreuses facettes de sa personnalité.

Par la force des choses, je suis devenu un fidèle auditeur de son magazine hebdomadaire qui est diffusée tous les week-ends sur Radio France Internationale. Et pour celui qui écoute les programmes de cette radio, on imagine la quantité de travail qu’il faut pour avoir des rendus d’une telle qualité. Mais ceci est juste notre imagination. Ziad pilote une émission qui parle de nouveaux médias liés à Internet. On peut croire que cela va de soi puisque tout le monde semble s’y intéresser et qu’il n’a qu’à claquer des doigts pour que les sujets viennent à lui. Que non ! Cela procède d’un travail impressionnant ! Une fois, il m’est apparu fatigué, mais surtout un peu harassé par le fait qu’il ne savait pas du tout de quoi il parlerait dans sa prochaine émission. Et ceci quelques heures seulement après avoir bouclé celle qui serait diffusée le lendemain ! Et dans une conversation qu’il a eue avec l’un de ses collègues, il disait « il est vrai que c’est une émission qui parle des médias et qu’il y a de la ressource, mais je ne me vois pas encore en train de faire ça dans dix ans ».

Quand il ne prépare pas son émission, il est devant un pupitre. Enfin, façon de parler. Depuis un an, il est enseignant en journalisme à Sciences Po à Paris. Et ce qui tient lieu de pupitre pour lui est un ordinateur connecté à un large écran accroché à un mur. Il m’a invité à l’un de ses cours et à cette occasion, j’ai découvert qu’il avait un autre arc dans son carquois puisqu’il dispensait ses leçons dans un anglais quasi-parfait !

Ne chômant presque jamais, il est toujours en train de faire quelque chose. Avec lui, j’ai vraiment compris ce que signifie être une « bête de travail ». Il faut vraiment l’être pour en plus de tout ce qui précède gérer une communauté qui a dépassé les dix mille membres depuis belle lurette ; pour organiser la formation de blogueurs (Mondoblog et LibyaBlog). Par ailleurs, il m’a à maintes reprises souhaité une bonne nuit pour se retrouver en train de faire des allées et venues dans le couloir parfois pendant plus d’une heure de temps. Avec sous les bras un poste de radio ridiculement minuscule. Quand il n’est pas sur son iPhone ou sur son ordinateur, il est en train de lire.

Parlant de ses lectures, j’ai trouvé dans un lieu incongru des livres. Je lui ai demandé s’ils étaient tous à lui. Il m’a répondu oui. Les avait-il déjà lus ? Tous, l’un après l’autre, m’a-t-il répondu. Il est parti en souriant quand il a vu mon air étonné. Il y avait de quoi être surpris. Dans cette seule pièce, j’en ai compté plus de deux cents ! Et il n’y en avait pas seulement là ! Il a tout de même tenu à revenir sur ses propos, car tous ces livres, il ne les a peut-être pas tous lus. Il se considère même comme étant un lecteur plutôt moyen. En parcourant sa bibliothèque, j’ai d’ailleurs pu me rendre compte de l’ampleur du pedigree dont il a hérité. Il y avait des Maalouf à ne plus savoir qu’en faire !

Travailleur, mais d’une très grande gentillesse aussi. J’en veux pour preuve la quantité de bonbons Haribo dont il m’a nourri. Et le nombre d’attentions qu’il a eu pour tous ceux qu’il rencontrait. Il n’y a qu’à entendre sa voix qui est d’une grande douceur.

Mais cette douceur et cette gentillesse ne signifient pas qu’il manque de fermeté et de rigueur. Il en faut pour mener autant de choses de front.

On peut aisément penser qu’un homme pareil, quoique très jeune, puisse être blasé. Car pour avoir parcouru notre monde de long en large, pour avoir vu autant de pays, autant de cultures différentes et finalement rencontré autant de personnes, rien ne pourrait plus le surprendre, l’émerveiller. En réalité, il est encore possible que quelque chose en ce bas monde puisse faire pétiller ses yeux. Il n’en fallut pas beaucoup pour que je m’en rende compte. Il a suffi qu’on aille à quelques mètres seulement de l’endroit où il travaille. Au sein de la ruche qu’est la rédaction d’une grande chaîne de télévision internationale. « L’idéal serait de travailler dans une atmosphère pareille ! ». Je ne saurais ne pas évoquer l’admiration qui transparaissait de sa voix quand il évoquait Jean-Baptiste Placca, qui est pourtant l’un de ses collègues.

Côtoyer un personnage pareil pousse à s’interroger sur l’importance qu’on peut se donner à soi-même. Ziad est sans aucun doute sûr de sa force, mais il n’en fait pas des tonnes pour autant. Pour le peu que j’ai pu voir, il mène une vie très simple. Il n’y a pas de choses superflues ou inutilement ostentatoires qui encombrent son quotidien. De façon personnelle, le connaître et l’observer m’ont mis du plomb dans la tête et servi une véritable leçon d’humilité. Je pousserai même un peu plus en disant que je me suis presque trouvé un modèle.

Un modèle qui en tout état de cause, ne sera pas évident à suivre. Mais on ne perd jamais rien à essayer.

Par René Jackson


From France With Love

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Théâtre du Rond-Point, Paris – Photo: René Jackson Nkowa

Moi je ris. Je beaucoup même depuis quelques semaines. Ce qui me fait autant rire ce sont les nouveaux surnoms dont j’ai hérité. Le premier m’a été affublé par quelqu’un qui se reconnaîtra très bien. Puisque pour lui, je suis désormais Le Président. Un président au moins aussi vide des poches maintenant qu’auparavant. Chassez le naturel, il revient en avion, m’a-t-il répondu. J’ai sacrifié aux libations de houblons qu’obligent le statut de mbenguétaire, si lourd à porter. Je n’ai plus rien, ils m’ont ruiné. Pour ceux qui n’ont pas bu la bière, j’ai au moins des souvenirs. Finalement, c’est cela le plus précieux. Et des grands moments, j’en ai vécus. Mais pas forcément ceux auxquels je m’attendais.

 

Bisbilles avec la meilleure cuisine du monde

Je peux comprendre ceux qui font certains classements : celui des plus riches, celui des plus pauvres, celui des plus corrompus, etc. Mais quant à ce qui concerne les goûts culinaires, ceux qui font les classements doivent sûrement se tromper quelque part. Tout le monde est presque d’accord sur le fait que la France a la meilleure gastronomie au monde. Soit. Mais personnellement, je n’en garde pas que de bons souvenirs. Dîner de gala : on m’a servi une entrée, un dessert et ce qui s’intercale entre les deux. Je n’y ai rien compris. Mais puisque je m’étais mis en mode omnivore, j’ai consciencieusement avalé tout ce qu’on me présentait.

Heureusement, j’ai vécu quelques rapatriements culinaires. Comme ce soir où je suis tombé sur ce plat de riz à la sauce d’arachides en plein Nice. Ou cet après-midi parisien où je me suis gavé de ndolè avec des bâtons de manioc. La meilleure cuisine du monde est camerounaise. Elle est abondamment épicée, noyée sous des lipides, mais elle est la meilleure. Je l’ai déjà démontré ici. Et après avoir été soumis à l’épreuve des faits, je le réaffirme.

La cuisine libanaise n’est pas mal non plus. Mais ça c’est un autre débat.

 

Gap culturel

Tout se passe ce fameux soir où j’ai été invité au théâtre ! Oui oui, au théâtre ! Un grand n’est pas un petit. J’ai été émerveillé (et c’est peu de le dire) par l’histoire de ce patron tombé amoureux d’une inconnue qu’il côtoyait tous les jours, puisque c’était sa nouvelle employée. « Alors, René, ça te plaît ? » Moi : « Oui, ça me plaît beaucoup ». Sauf que je n’étais pas loin d’être le seul qui trouvait ça bien. Pourquoi ? Parce qu’à un moment donné, un long ricanement manifestement moqueur s’est fait entendre du fond de la salle. Et que dans les commentaires par la suite, les avis étaient loin d’être élogieux.

A la suite il y a eu un dîner. Les présentations ont été faites. « Tu connais Cécile de France ? C’est elle, là. C’est une grande célébrité ici en France » Moi : « Aaah ! » « Et cette dame en face, c’est une vedette du théâtre, elle est depuis très longtemps dans le milieu. Elle est aussi très connue ». A chaque pays, ses stars. La France a Cécile de France, le Cameroun a Coco Argentée.

Ce dîner fut le seul moment de tout mon séjour chez les gaulois pendant lequel je me suis senti différent. Il faut dire que, sur les neuf personnes qui entouraient la table, j’étais le seul Noir. Noir et même pas français ! J’ai longtemps ri intérieurement quand je me suis rendu compte de la situation. Surtout que la serveuse, tout aussi Noire que moi ne cessait de me lancer des regards curieux.

La conversation avait depuis longtemps dérivé sur des sujets très éloignés de mes préoccupations quotidiennes. Mais je ne m’en étais pas formalisé. J’avais d’autres problèmes. J’avais en face de moi un beau morceau de bœuf rôti qui avait besoin de tout mon amour. La cuisine de France n’est pas si mauvaise, en fin de compte.

Conversation censurée

Il fallait trouver une place de parking proche de la boîte de nuit où nous devions aller mettre le feu à quelques euros. Heureusement, nous en avons trouvée une. Quand nous sommes descendus de l’auto, on a failli être cueillis par des objets qui tombaient d’un balcon. C’était une femme qui les lançait. On était prêts à s’en offusquer, mais un homme qui passait par là en a fait une affaire personnelle.

« Mais qu’est-ce qui te prend de jeter des trucs comme ça ?

–  Est-ce que ça t’a touché ? Alors de quoi tu te mêles ?

– T’es qui pour me parler comme ça sale c*** ? Tu balances des trucs de ton balcon et tu trouves ça normal ? Bor*** !

– Hé ! Ho ! M’insulte pas enc*** de fils de p*** !

– Ferme ta gue*** ! Tu la ramènes parce que tu es là haut ? Descends un peu ici qu’on s’explique, pouf***** ! Sale p***, suceuse de b***! »

On les a laissés là. Le langage des français sait être fleuri quand il veut. Mais je me suis tout de même posé une question : pourquoi censure-t-on dans les médias – français – des termes qui sont rentrés dans les mœurs, puisqu’on les utilise tous les jours ? Mais mer** !

RATP, je t’aime. Moi non plus

La RATP c’est le réseau parisien des transports publics. C’est cette société qui gère les bus, le métro, le RER et j’en passe. Pour moi, le plus compliqué, c’est quand il fallait prendre le métro. Comme ce jour où j’avais rendez-vous au sud-ouest de la ville. J’en ai pris un qui m’a amené à l’opposé, c’est-à-dire à l’est. J’ai dû retraverser la ville en bus d’abord, pour finir le trajet en taxi. Ce jour-là j’ai détesté Paris.

Curieusement, le lendemain matin, je me fais aborder par une femme qui tenait un micro et son collègue caméraman. Ils faisaient une enquête sur la satisfaction des clients de la… RATP. J’ai accepté de bon gré de me soumettre à leurs questions. Et je n’en ai dit que des gentillesses. Oui, j’étais un client heureux, le service est plus qu’acceptable, les indications sont claires et précises. Oui, le passe Navigo est l’invention du siècle. Oui, l’application pour smartphones et tablettes est géniale. Seul bémol, il faut penser à offrir un café à chaque passager. Quand ce fut fini, j’ai apposé ma signature sur un papier qui leur donnait le droit d’utiliser mon image et ils sont repartis guillerets.

Hep, taxi !

En France, taxi rime avec traumatisme ! Et l’objet du tourment est le compteur que le chauffeur enclenche quand il démarre. Il est muni d’un afficheur qui te montre en temps réel les fortunes que tu perds à chaque tour de roue. Le dernier que j’ai emprunté m’a coûté en trente minutes de parcours – embouteillages compris –  l’équivalent de huit voyages en aller et retour en autobus entre Douala et Yaoundé. Une véritable saignée. J’en ai presque eu les larmes aux yeux.

Anglais escamoté

Le Cameroun est un pays bilingue. Et j’ai toujours considéré que ma pratique du bilinguisme était la meilleure, puisque par habitude, quand je me retrouve avec un anglophone, je lui parle en français, lui en anglais. Et on se comprend. Mais je me suis rendu compte des limites de ma théorie quand je me suis retrouvé dans cette classe de SciencesPo, face à des étudiants à qui il fallait s’adresser en anglais. Shakespeare a dû se retourner dans sa tombe. Mais comme on dit souvent, mouillé c’est mouillé. Il n’y a pas de mouillé sec. J’ai pris un réel plaisir à réveiller la partie anglophone de ma personnalité pour ce qui fut tout de même le plus grand moment de tout mon séjour en France.

Par René Jackson


Les Camerounais n’ont pas pitié de leurs frères… Ni d’eux-mêmes d’ailleurs

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Autocar de transport interurbain à Douala – Photo : René Jackson Nkowa

J’en tremble encore de colère. Si tout s’était passé comme prévu, je serais en ce moment même en train de me faire cajoler par ma chère grand-mère. Je serais en train de me salir les pieds dans la terre rouge de mon village. Je serais à Bandjoun, à pas loin de trois cents kilomètres de Douala. Non, le fait est qu’hier, je suis sorti de chez moi avant l’aube et que je ne suis jamais parti de mon village. La faute à une clique d’individus non seulement aussi malhonnêtes les uns que les autres, mais faisant preuve également d’une insensibilité face à la peine d’autrui qui m’a profondément indigné. Le tout à l’aune de l’argent. Ces moments où je me dis que le capitalisme est plus féroce ici qu’ailleurs.

Les évènements se passent entre 7 h 15 et 15 h 15 de la journée de mercredi dernier, pendant laquelle j’étais sensé rallier mon village d’origine, pas loin de Bafoussam (la troisième ville du Cameroun), après environ cinq heures de route. En partant aussi tôt, j’avais misé sur une arrivée à seize heures. Bien mal m’en a pris.

7 h 15 : j’arrive au quartier Bépanda, au lieu-dit Tonnerre, l’un des nombreux parcs d’autocars qui desservent cette destination. Je me fais aborder par l’un des chargeurs (c’est comme ça qu’on les appelle) qui a pour travail de trouver des passagers pour un car. Il me demande où je vais. Je lui donne une réponse. Il me fait monter dans un autocar. Je paie le voyage à un agent qui me remet un ticket. Je lui demande à quel moment on partira, il me répond : « A neuf heures au plus tard, on démarre  ».

 9 h 20 : je plie un doigt, le car n’a pas bougé d’un centimètre. Je suis dans le véhicule avec une dizaine d’autres passagers. Je commence à m’inquiéter, parce que j’avais prévu de respecter la tradition qui chez nous veut qu’on ne parcoure jamais autant de kilomètres pour aller chez quelqu’un et de franchir le seuil de sa demeure les mains vides. Par souci de commodité, j’ai prévu de ne faire des courses qu’à mon arrivée. Et dans mon village, il n’y a plus âme qui vive une fois la nuit tombée.

Le temps passe. Je remarque le comportement dépassant tout entendement qu’ils ont envers les passagers qui arrivent. Situation : il y a en fait plusieurs cars qui vont au même endroit et c’est à qui remplira en premier le sien. Donc, quand un client se pointe, les chargeurs se ruent sur le malheureux. Ils le tirent, lui crient dans l’oreille, se saisissent de son sac. Parfois même, je vois plusieurs chargeurs concurrents se disputer violemment un sac. Les protestations du passager n’ont aucun effet sur eux. Et quand il choisit un car, l’un des protagonistes vient carrément se placer devant la portière, lui barrant le passage. Estimant qu’on lui a volé son client. Tout ça est d’une violence inimaginable. Imperceptiblement, un autre doigt s’est plié.

10 h 30 : je commence à être passablement irrité. Depuis une heure de temps, je suis assis dans l’autocar à une place qu’on m’a assignée. J’en avais choisi une autre bien plus confortable, mais j’en avais été délogé, car cette place était « déjà réservée ». Par une personne qui ne venait pas. Et qui n’avait pas payé plus que moi. J’interpelle l’un de nos tortionnaires. Je lui demande pourquoi nous qui sommes présents, on doit s’asseoir inconfortablement, alors que les places les mieux loties sont dévolues à des absents ? Lui : « C’est la place d’un doyen là ». Moi : « Doyen ou pas, je ne vais pas souffrir alors que le bon monsieur prend ses aises je ne sais où ». Petit début de chamailleries. Je plie un doigt supplémentaire en allant me rassoir à ma place.

11 h 10 : je tombe presque à la renverse quand je vois un petit morveux arriver. On lui déroule presque le tapis rouge. « Grand, voilà la place qu’on t’a réservée. Elle te convient ? » Là, je sens ma colère qui monte. Je repars à la rencontre de l’imbécile de tout à l’heure. « Tu voulais t’asseoir là-bas ? Il fallait me le dire ». Oui, mais le problème c’est qu’il m’avait dit trois heures auparavant que la personne qui était assise là était partie se soulager à côté.

Pendant que je m’agite comme ça, les autres passagers qui attendent avec moi restent impassibles comme des moutons qu’on a mis devant une touffe d’herbe.

12 h, je suis tellement remonté que je suis prêt à mener une révolte. Les autres sortent un peu de leur léthargie et invectivent timidement les agents de la société de voyages. Eux, sentant que la tension commence à monter, disparaissent tout simplement. Personne ne les voit plus nulle part. Là, j’en ai ras-le-bol !

12 h 45 : un jeune homme monte et fait démarrer le car. On demande à tout le monde de reprendre sa place parce que c’est le départ. Le brigand effectue un demi-tour, puis s’arrête dix mètres plus loin, descend et s’en va !

Il est déjà 13 h, je fais mon calcul : le car est à dix places d’être plein. Si on part, le chauffeur s’arrêtera tous les huit kilomètres pour prendre des passagers. Il a tout intérêt parce que dans cette situation, cet argent va dans ses poches et non dans celles de sa société. Des arrêts qui allongeront d’au moins une heure la durée du voyage. Maintenant, pour mes courses à l’arrivée, c’est définitivement râpé. Cet autocar n’arrivera pas avant la nuit. Et en plus, le prix à payer pour partir de l’endroit où le car me déposera à la maison de ma grand-mère sera cinq fois plus cher à cause de la nuit. Mais plus grave : encore fallait-il trouver ce transport, dans un coin où tout le monde se planque chez lui à dix-neuf heures. Il était hors de question pour moi de risquer de marcher pendant une heure trente dans l’obscurité la plus complète et le froid, sans compter les détrousseurs de tout poil que je risquais de croiser. Non, je ne voyageais plus ! Désolé mémé, mais je ne viendrai pas aujourd’hui. Et pour la peine, le quatrième doigt s’est plié.

13 h 30 : je descends du car, décidé à me faire rembourser. Je vais voir l’agent qui m’avait remis le ticket. Et là, se produit l’évènement le plus choquant : il me répond sans ambages qu’il ne me connaît pas ! Je vais vers son collègue. Lui aussi est frappé d’une amnésie soudaine, car lui non plus ne me connait plus. Le cinquième doigt s’est plié. Et de surcroît, il menace de m’en coller une si je continue à ne pas lui donner un respect que je lui dois sous le prétexte qu’il aurait des enfants plus âgés que moi ! Je lui  réponds les yeux dans les yeux que je ne devais aucun respect à un voleur.

Sur ces mots, ce fut l’altercation. Presque tuée dans l’œuf par ses collègues. Ils avaient sûrement craint pour sa vie. Il était si famélique qu’il n’aurait sûrement pas survécu si je l’avais touché. Il avait envoyé un coup de poing qui n’avait pas atteint sa cible et j’avais déjà armé une gifle qui allait causer des dégâts. Ce que je voulais c’était mon argent. Ils m’ont juré que je n’en verrai pas la couleur, que j’irais le retrouver où j’avais enterré le respect qu’on doit aux aînés. Je me suis renseigné sur le poste de police le plus proche.

Mais avant de m’y rendre, je n’ai pas épargné les l’ensemble des passagers qui avaient assisté, amorphes, à tout ça. Amer, j’y suis allé de mon laïus : « Vous vous plaignez dans vos maisons, le pays va mal n’est-cepas ? Ce n’est qu’un début. De petits idiots qui sont incapables de recopier le nom qu’ils voient sur votre carte d’identité sur votre titre de transport vous traitent comme des animaux, vous marchent dessus pendant des heures et vous ne réagissez pas ? Bande de mollusques ! Et avec ça vous voulez que votre pays change ? Laissez-moi rire ! Emergence en 2035, c’est ça ? Avec une promptitude à réclamer votre droit digne d’un escargot, on n’est pas sortis de la demeure. Le pays ne va pas suffisamment mal ! Le pire est encore à venir ! On n’a pas fini de vous prendre pour des paillassons ! »

Et là j’entends sortir du car : « Petit frère, monte on part. On va faire comment ? C’est le pays non ? » Quoi ? Encore ce on va faire comment ?

Au commissariat, j’explique. « On ne peut rien faire pour toi ». Pourtant je leur présentais le ticket du voyage que je n’effectuais pas !

15 h 15 : je suis de retour chez moi. Prêt à faire quelque chose que je déteste, mais décidé à donner une petite leçon à cet agglomérat d’imbéciles. J’ai des relations haut placées dans la police et je me prépare à mettre en branle tout ça. Malheureusement, j’apprends le décès d’un oncle. Ce qui me rappelle que tout ça n’est finalement que des choses vaniteuses. Et par conséquent inutiles.

Quelqu’un avait dit qu’un peuple n’a que les dirigeants qu’il mérite. Cet épisode est symptomatique d’une société dans laquelle presque personne n’ose lever le nez. Ceux qui le font sont désespérément seuls. On les laisse se perdre dans leur délire. Et face à des gens aussi réactifs et énervés qu’une algue, ceux qui tiennent les rênes de notre Royaume font ce qu’ils veulent, sans risque de se faire embêter. La chèvre broute là où elle est attachée, pas vrai ?

L’humanisme a foutu le camp chez nous. Le respect ou la considération pour autrui sont désormais des chimères. Brutaliser les clients, garder ostensiblement le silence sur leur situation, les abandonner pendant des heures dans un autocar chauffé comme un four par notre soleil après les avoir délestés de leur argent. Qu’on ne leur remettra plus, qu’ils aillent se faire f**tre !

On a beau aimer son pays, mais il y a des jours où on se dit que c’est presque sans issue !

Par René Jackson


Quand des mythes s’effondrent…

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Taxi parisien conduit par une dame – Photo: René Jackson Nkowa

Quelqu’un, je ne sais plus qui, avait dit que les voyages forment la jeunesse. Chez nous, on dit plus simplement qu’il faut marcher pour voir les choses. Oui, il faut marcher pour voir les choses. Et souvent quand on marche, on voit des choses, certes, mais parfois des mythes qu’on prenait pour des vérités toutes faites s’effondrent comme un château de cartes. C’est peu dire que j’ai une autre perception de certaines choses après les presque trois semaines que je viens de passer en dehors de mon Triangle national natal pour faire quelques petites expériences en Hexagone. Tout est histoire de géométrie et de perception du monde. Ce qui est sûr, c’est que je suis beaucoup moins bête maintenant qu’auparavant.

Le premier mythe qui est tombé est celui-ci : pour moi, en dehors des démonstrations, des meetings aériens et des défilés de fête nationale, il était impossible d’avoir en même temps dans son champ de vision plusieurs avions dans les airs. Mais en France, j’ai parfois vu, en regardant dans le ciel, cinq avions. Il n’était pas difficile de les repérer, parce que la plupart laissaient derrière eux de longues volutes blanches. J’ai fait mes recherches. Les météorologues appellent ça des traînées de condensation (ou contrails). Donc, ce que j’avais jusqu’alors toujours bêtement pris pour des navettes spatiales traversant le ciel de Douala n’était en fait que de vulgaires avions volant à très haute altitude. Deuxième mythe qui s’effondrait. Du coup, j’ai beaucoup moins compris le slogan d’Air France « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre ». Parce que le ciel français est une vraie autoroute et qu’il est difficile de rester zen quand on croise d’autres avions de si près.

Non, les Blancs ne sont pas tous des géants. La télévision nous trompe méchamment ! J’en ai la preuve. J’ai procédé à une mesure en prenant en compte un référentiel universel : ma propre taille. Moi qui à Douala fais partie de la classe des petits, à Nice j’avais l’impression d’être Gulliver cher les lilliputiens ! Bon, là j’exagère un peu. Mais enfin je jubilais ! D’un autre côté, c’était bizarre quand même… Une précision tout de même à ce sujet : ce qui est vrai à Nice ne l’est pas forcément à Paris. Je n’ai d’ailleurs pas compris pourquoi.

Autre chose : la France est un pays où l’obésité serait endémique. Oui, mais en dehors de la petite dizaine de personnes jouissant d’un embonpoint frôlant la morbidité que j’ai rencontrées, j’ai vu des personnes plutôt menues, minces même pour la majorité. Ce autant à Nice qu’à Paris. Ou peut-être, je ne suis pas allé là où il fallait pour en voir…

Je ne dis pas qu’il n’y a pas de racisme en France. Mais ce que je dis c’est qu’on en a peut-être une perception exagérée vue d’ici. Il est vrai que j’ai remarqué des regards curieux. Mais j’ai aussi eu quelques discussions plus que courtoises avec ce qui est souvent considéré dans une société comme étant la frange la moins progressiste : les très vieilles dames. Et puis j’ai trouvé les Français très courtois. Contrairement à ce qu’en disent beaucoup de touristes qui passent par la France. Mais ceci n’est bien entendu qu’un avis bien personnel.

Et puis, contrairement à ce qu’on peut imaginer, il n’y a pas des flics partout, à chaque coin de rue. Ou des voitures qui fendent tout le temps la circulation à toute allure, sirènes hurlantes. Ceci est toujours bon à prendre, surtout pour nos sportifs fuyards et sans-papiers. Autre bonne nouvelle pour eux : en trois semaines, je ne me suis jamais fait contrôler par la police. Vous pouvez vous balader en paix. Mais en priant tout de même, pour ne pas tomber sur un contrôle inopiné ou au faciès.

Pour stigmatiser nos jeunes – filles surtout – qui s’habillent de façon soi-disant indécente, le discours est le même : « Vous vous habillez comme les Blancs que vous voyez dans les clips vidéos et les films là, mais sachez que dans la vraie vie, ils ne se fagotent pas comme ça ! » Balivernes ! Accrochez un soleil dans le ciel, faites disparaître les nuages, marchez dans la rue et vous aurez l’impression d’être dans un clip de Snoop Doggy Dogg, les contorsions et les poses lascives en moins ! Les Françaises m’ont retourné comme un crêpe. Désormais, je serai l’ardent défenseur de la jupe pas plus basse que le quart supérieur de la cuisse. Je serai le pourfendeur de cette quasi-vérité qui chez nous fait de la femme sexy et aguichante un danger public. Je sais que je me fourvoie compte tenu de certains de mes précédents propos ici même, mais ne dit-on pas que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis ?

Je me suis copieusement rincé les yeux. Vive les femmes presque dénudées !

Vive les femmes, ce d’autant plus qu’elles peuvent servir à autre chose qu’à être des mères et des tams-tams. Oui, elles peuvent conduire des bus, des taxis, des camions, des autobus et même des tractopelles. J’en connais qui ici ne monteraient pas dans un engin piloté par une dame. Je ne peux pas conduire un autobus ou un tractopelle, donc je respecte la prouesse. Alors, je n’ai jamais hésité, respectueux d’une maxime qui m’était chère : faire le maximum de trucs que je ne pourrai pas faire chez moi. Donc j’ai toujours préféré, dans la mesure du possible, emprunter un taxi ou un bus conduit par une femme. Ou peut-être c’est notre cher machisme bantou qui reprenait le dessus : une vraie femme est celle qui est au service d’un homme.

Dans tous les cas, suivant cette même logique qui était celle de profiter de tout ce que je pouvais quand j’en avais encore la possibilité, je me suis copieusement gavé de fromage, camembert et assimilés – ces choses qui ne font pas partie de notre ration alimentaire en temps normal.

Donc, il n’y a pas de travail qui reste la propriété des hommes. L’inverse est aussi vrai. Puisque j’ai croisé des prostitués. Notez l’absence de l’ « e » muet. Transsexuels certes, mais mâles dans une autre vie. On vit dans un monde sans frontières, autant mieux l’assumer. Complètement.

Une dernière découverte que j’ai faite : la Syrie est capable de produire autre chose que des dictatures sanguinaires. Elle est capable de fabriquer autre chose que des rebelles jusqu’au-boutistes, de perpétrer des massacres aux gaz chimiques, des bombardements et j’en passe. La Syrie n’est pas capable que de ça ! La Syrie a d’autres facultés que je ne soupçonnais pas. Une en particulier. Ça je l’ai découvert de façon totalement fortuite un soir, sur le toit d’un immeuble, lors d’une pause cigarette. Et moi qui me félicitais de n’avoir rien trouvé qui aurait pu me pousser à prendre la décision de devenir un clandestin, je suis presque tombé de haut. Un appel au reniement de ses origines fait de chair et d’os !

Je sais ce que vous allez dire : Panda, tu aimes trop les femmes ! Il faut bien aimer quelque chose dans la vie. Et c’est mieux d’aimer les belles femmes que d’être amateur de coups foireux en tous genres. Et puis j’ai une nationalité dont il faut urgemment soigner la réputation. En tant que Camerounais, c’est un devoir pour moi d’aimer les jolies femmes. Le contraire serait un acte de trahison envers la patrie !

Par René Jackson


A Paris, on ne voit pas la Tour Eiffel de partout

Paris - Par René Jackson
Paris – Par René Jackson

 

Il y a Paris qu’on connaît, ce Paris qui hante nos imaginaires

Paris qu’on admire, Paris dont on rêve, qui nourrit nos fantasmes

On la croque dans nos têtes, aidés par les calques qu’on peut en voir partout et en tout temps

Paris, ville des amoureux, avec ses ponts alourdis par des cadenas

Ces amoureux qu’il n’est pas difficile de débusquer se bécotant sur les parapets

Ville d’histoire, avec sa cathédrale de nombreuses fois centenaire

Cité d’espoir, qui est à la pointe de la modernité

Fleuron de notre ère, Paris est l’un des centres du monde

Il y a Paris qu’on connaît, qui est représenté par une certaine étrangeté

Pour d’aucuns c’est une obscénité, cette érection à peine voilée

Encore plus offensante qu’elle est source d’une certaine fierté

Un peu comme ce manant guilleret qui irait présenter sa virilité déployée dans un couvent

Cette fierté est justifiée pour certains, il fallait vraiment y penser de faire

Une chose qui irait tutoyer les cimes, gratter l’envie et la jalousie d’autrui

Éperdument séduits, ils l’ont surnommée la Grande Dame de Fer

Une Dame pour l’amour de qui beaucoup ploient, imperceptiblement, mais sûrement

A Paris, on voit la Tour Eiffel de partout

C’est ce que les films nous apprennent, les romans et la propagande aussi

Mais la réalité est qu’il y a cet autre Paris

Ce Paris d’une violence pas physique, mais d’une brutalité non moins heurtante

A Paris, on ne voit pas la Tour Eiffel de partout

Il y a ce niveau, ces niveaux en dessous du rez-de-chaussée

Cet endroit où le Parisien devient une sorte de taupe

Il se déplace d’un point à un autre en empruntant des galeries souterraines

Comment peut-on traverser la plus belle ville du monde par en dessous

Avec pour seul panorama ces tunnels obscurs

C’est peut-être pratique, mais si laid, si rébarbatif

La preuve, dans le métro, personne ne rit, ni ne sourit

Tout le monde a la mine tranquille de celui qu’on va inhumer

Ce qui n’est pas vraiment hors de contexte vu qu’on se trouve sous terre

Il y a ce Paris à l’extérieur de cette boucle fermée qu’on appelle le périphérique

Ce Paris qui se vide de ses travailleurs dès que l’aube se pointe

Quand il veut bien le faire d’ailleurs, vu l’heure à laquelle le soleil se donne la peine

Il est bien le seul qui fait la grasse matinée

Il y a ce Paris qui doit emprunter le train chaque matin

Qui doit traverser le périphérique – par en dessous

Ce Paris qui doit travailler avec acharnement pour vivre et garder sa gloire

Qui doit plier l’échine pour garder son bout de Tour Eiffel

Cette présence rassurante, on ne la voit pas, mais elle n’est guère loin

Et parfois la nuit sous le froid, on peut apercevoir la lueur de son phare tournoyant

Qui passe avec la cadence précise d’un métronome

Il y a ce Paris qui est assis à même le trottoir

Qui a son balluchon tout près, qui a son tout tout près

Qui n’a plus peur de rien, la peur étant engendrée par ce qu’on risque de perdre

Ce Paris ne peut pas voir la Tour Eiffel, il ne peut même pas bouger

Il est perclus d’engelures les soirs d’hiver et boursoufflé de coups de chaleur les midis d’été

Il tient sa gamelle, qui est la seule source de sa pitance

Quêtant de la compassion du Parisien qui n’a plus le temps d’éprouver ça

Le Parisien est cet homme toujours pressé

Qui court derrière un bus alors que le prochain arrive dans la minute qui suit

Qui marche en alignant des foulées certes petites, mais extrêmement rapides

La Parisienne est cette personne multitâche

Comme ce téléphone intelligent qu’elle tapote tout en trottinant, en discutant, en mangeant

Juste en les regardant vivre, le Parisien et sa compagne sont désespérément épuisants

On peut avoir l’impression qu’ils manquent de fantaisie, de joie de vivre

Si souvent pressés qu’on a l’impression qu’ils ne voient pas toute la beauté qui les entoure

Qu’ils n’ont pas conscience de l’admiration qu’on voue à tout ce qu’ils ont la chance

De vivre et de côtoyer chaque jour

Mais encore faudrait-il qu’ils aient le choix

Ils doivent se hâter tout le temps s’ils veulent faire perdurer ce rêve

Ce rêve qui est vital tant pour eux que pour le reste de l’humanité

Se hâter de trouver un travail, d’y faire ses preuves, de participer à l’effort collectif

Se hâter au point de passer tout près de la Grande Dame de Fer sans y jeter un œil

A Paris, on ne voit pas la Tour Eiffel de partout

Parfois même en passant juste en dessous

 

Par René Jackson


Entretien avec Clément Duhaime, l’Administrateur de l’OIF

Clément Duhaime au Colloque International sur les partenariats innovants - 27 octobre 2001 / Image OIF
Clément Duhaime au Colloque international sur les Partenariats innovants – 27 octobre 2001 / Image OIF

Tout le monde – ou presque – connaît Abdou Diouf, l’ancien président de la République du Sénégal et actuellement secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie. Il est la partie immergée de l’immense iceberg qu’est cette Organisation. Mais il en est un qui est chargé de faire fonctionner l’énorme machine que l’OIF doit représenter. C’est le travail dévolu à Clément Duhaime, qui occupe le poste d’administrateur de l’OIF. En quoi consiste, réellement le travail d’administrateur de l’OIF ? C’est en gros s’occuper des affaires administratives, financières et des ressources humaines de l’Organisation.

Nous avons eu l’honneur de rencontrer celui qui aujourd’hui est le numéro 2 de l’OIF dans un luxueux hôtel de Nice, situé en bord de mer. Quand je suis arrivé – très en retard par rapport à l’heure fixée – il était en pleine interview avec les journalistes d’une chaîne de télévision. Heureusement, me suis-je dit. Ça aurait été une profonde déception de manquer un rendez-vous avec un personnage d’une telle importance.

Contrairement à Sinatou qui avait axé son questionnaire sur un angle politique, moi je me suis focalisé sur l’aspect purement technique de sa fonction. Puisqu’en tant qu’administrateur, il a une fonction managériale. Ce à quoi je suis beaucoup plus sensible que les joutes politiques.

Et dès le début, j’y suis allé à brûle-pourpoint car la première question que je lui ai posée était celle de savoir quel type de patron il est. Il a commencé à répondre par un grand éclat de rire. Puis, il a dit que c’était à ses collaborateurs qu’il fallait poser la question. Mais il essaie de s’inspirer de son patron M. Diouf qui agit toujours dans une grande simplicité. Pour lui, il veut que la réussite de ses collaborateurs ne lui soit pas attribuée, mais à toute une équipe. Le plus difficile pour lui est de gérer le personnel, de garder leur motivation intacte. Mais quant à ma question de savoir quel type de patron il était, il a suggéré en riant d’organiser un référendum au sein de l’OIF pour le savoir. Mais il estime que si le président Diouf l’a choisi pour un mandat supplémentaire, c’est peut-être parce qu’il apporte satisfaction à son poste. Madame Virginie Aubin (qui est notre coordinatrice pendant ces Jeux) confirme qu’il est en effet un excellent patron.

Je lui ai ensuite demandé quelles étaient ses tâches quotidiennes en tant qu’administrateur de l’OIF. Tout d’abord il a tenu à préciser qu’il avait été choisi par l’actuel président pour ce poste et qu’il lui a délégué un certain nombre d’attributions. Notamment administratives et financières, la gestion des ressources humaines, le budget de coopération et sa mise en œuvre. Le président se réserve tout ce qui est politique (prévention des conflits, gestion des crises, plaidoyer international). En tant qu’administrateur, il s’assure que tout soit mobilisé pour que ces missions soient atteintes.

Le corps de métier le plus représenté à l’OIF est celui des responsables de programmes (attachés de programmes, spécialistes de programmes) parce que c’est eux qui en relation avec les États membres mettent en œuvre les programmes d’action de l’OIF.

La principale difficulté d’un administrateur  de l’OIF dans l’organisation d’une manifestation comme les Jeux de la Francophonie est selon lui de laisser le pays et la ville qui s’est battue pour accueillir les jeux de les organiser comme ils l’entendent. Mais il faut aussi accompagner suffisamment le comité d’organisation pour que tout se déroule bien.

Pendant l’entretien, il a aussi été question de la place que l’Organisation accorde à la jeunesse en général et à celle africaine en particulier. A la fin, il a aussi donné des conseils aux jeunes qui souhaitent intégrer l’Organisation internationale de la Francophonie.

Qu’ai-je pensé de l’homme? Il occupe un poste qui oblige à être distingué. J’en veux pour preuve la cravate Hermès qu’il portait. Mais il transparaissait de lui une certaine simplicité parce que je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer ses chaussures dont la coupe était sans prétention. Il y a aussi ce regard franc et direct, d’un bleu limpide. Et il est aussi d’un rire facile, qui vire souvent aux éclats. Il n’y a pas mieux pour désinhiber un interlocuteur a priori intimidé par l’individu et tout ce qui l’entoure.

Clément Duhaime et
Clément Duhaime et Mahaman Lawal Sériba aux deux extrêmes

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Pour écouter la totalité de l’entretien, cliquer ici (Soundcloud)

L’entretien a eu lieu en présence de ma collègue sur Mondoblog Sinatou Saka (qui a fait la première partie de l’interview, axée sur la politique de l’Organisation – à retrouver ici) de Mme Virginie Aubin-Dubille (chargée des relations médias de l’OIF) et de M. Mahaman Lawal Sériba, le directeur des Jeux de la Francophonie.

Pour en savoir plus sur Clément Duhaime (PDF)

 

Par René Jackson


A l’école de la Francophonie

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A l’Acropolis de Nice, tout près de la salle de presse qui est mon point d’ancrage pendant ces Jeux de la Francophonie, il y a une grande salle d’exposition, qui abrite les œuvres plastiques particulières. Car elles ont toutes été faites par des enfants des écoles primaires de Nice et de ses environs. Il leur a été demandé de reproduire sur un toile d’un mètre carré l’idée qu’ils se font de chacun des pays représentés à ces Jeux. Et force est de constater que malgré leur âge, ces enfants ne manquent pas d’espièglerie et de justesse d’appréciation (Monaco par exemple est si bien représenté). Je vous présente ici un petit choix des œuvres présentées.

Note: J’ai moi-même pris les photos, mais je vous autorise à en faire usage. Cliquer sur les images pour les agrandir.

LIBERTE - EGALITE - FRATERNITEAux frontons de nos paysEcole Jeanne de France, Nice
LIBERTÉ – ÉGALITÉ – FRATERNITÉ
Aux frontons de nos pays
École Jeanne de France, Nice

 

ROUMANIEEcole Rothschild 1, Nice
ROUMANIE
École Rothschild 1, Nice

 

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HÉMISPHÈRE NORD
École de la Condamine – CM, Drap

 

CANADAÉcole maternelle Dubouchage, Nice
CANADA
École maternelle Dubouchage, Nice

 

CAMEROUNEcole maternelle Rothschild 1, Nice
CAMEROUN
Ecole maternelle Rothschild 1, Nice

 

REPUBLIQUE DEMOCRATIUE DU CONGOEcole Rothschild 2 CE, Nice
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
École Rothschild 2 CE, Nice

 

SEYCHELLESÉcole Rothschild 1 - CM, Nice
SEYCHELLES
École Rothschild 1 – CM, Nice

 

BELGIQUEEcole Rothschild 2 - CM, Nice
BELGIQUE
École Rothschild 2 – CM, Nice

 

LIBANEcole Rothschild 1 - Nice
LIBAN
École Rothschild 1 – Nice

 

MONACOEcole Rothschild 1 - CE, Nice
MONACO
École Rothschild 1 – CE, Nice

 

GABONÉcole maternelle Dubouchage, Nice
GABON
École maternelle Dubouchage, Nice

 

BÉNINÉcole Jules Romain CE, Falicon
BÉNIN
École Jules Romain CE, Falicon

 

Ecole Rothschild 2 - CE, Nice
SÉNÉGAL
École Rothschild 2 – CE, Nice

 

SUISSEÉcole maternelle St Charles; Nice
SUISSE
École maternelle St Charles, Nice

 

EGYPTEEcole élémentaire St Roch 2, Nice
ÉGYPTE
École élémentaire St Roch 2, Nice

 

ARMENIEEcole Rothschild 2 - CM, Nice
ARMÉNIE
École Rothschild 2 – CM, Nice

 

FRANCEÉcole élémentaire Beaulieu
FRANCE
École élémentaire Beaulieu

 

On termine avec quelques mots d’enfants, qui touchent l’âme quand ils ne poussent pas s’interroger.

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« Avoir de l’imagination, c’est avoir des idées »

 

Par René Jackson


Les moments marquants de la cérémonie d’ouverture des Jeux de la Francophonie

La scène
La scène

Depuis vendredi 06 septembre, je suis à Nice car l’Organisation Internationale de la Francophonie m’a convié à couvrir toutes les activités relatives aux VIIèmes Jeux de la Francophonie qui ont lieu dans cette charmante ville du sud de la France, située sur la côte méditerranéenne. Hier samedi, nous avons assisté à la cérémonie d’ouverture de ces Jeux, haute en couleurs, en images et en sons. De cette cérémonie, quelques éléments phares sont à retenir.

La place Masséna: la place principale de Nice, qui l’instant d’une soirée est devenue le centre névralgique de l’espace francophone. La place Masséna qui d’habitude est un endroit de vie, une promenade, une galerie marchande, un endroit tranquille s’est soudain électrisée. Elle a accueilli les milliers de personnes qui sont venues remplir les gradins, les personnalités qui ont honoré la cérémonie de leur présence et l’immense podium sur lequel ont eu lieu les diverses activités de cette soirée.

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La Place Masséna

Les sifflets d’une partie du public à l’encontre de François Hollande: et ce dès qu’il a pointé son nez à la Place Masséna et au moment où il est monté sur la scène pour son discours. Le tout bon camerounais que je suis n’a pas compris. Bien qu’étant au fait des records de désamour dont il jouit de la part de ses concitoyens, j’avoue avoir été un peu… Embêté. Le pauvre n’a rien demandé. Il est à la tête d’un pays compliqué à diriger. Toute l’Afrique (francophone du moins) est pendue à ses lèvres. Et en tant que président de la Gaule, à la fois on le réclame et on ne le veut pas. Mais bon, d’un autre côté, peut-être que je me suis déjà trop habitué à voir un président perpétuellement porté aux nues. Mais comment ne pas y être habitué?

François Hollande pendant son discours
François Hollande pendant son discours

Manu Dibango. Ce monsieur a beau être à quelques semaines de boucler son quatre-vingtième printemps, il est toujours d’une précision diabolique une fois l’embouchure de son saxophone posée sur ses lèvres. Il a fait une reprise de son titre « Soir au village ». Une performance épique. Il était presque vingt et une heures, la nuit enveloppait la Côte d’Azur et dans l’air s’élevait son refrain « Et la nuit s’étend sur le village… » Un accord parfait!

Manu Dibango
Manu Dibango

Grand Corps Malade. Une voix. Une langue, le français. Et cette capacité à donner cette texture si particulière à ces mots que nous utilisons pourtant des dizaines de fois chaque jour. Je ne me souviens plus du refrain du titre du slam qu’il nous a servi, mais c’était quelque chose comme « quand tu rêves en français, quand tu dragues en français… »

Kery James: il sera éternellement reconnu comme étant celui qui a presque plombé l’ambiance de cette cérémonie. Il a offert une œuvre aux mots profonds. Peut-être un peu trop compte tenu de la circonstance (voir la vidéo). D’un autre côté, fallait s’y attendre parce qu’il a fait du Kery James. Quelqu’un qui conteste. François Hollande n’était pas déjà assez mal comme ça avec tous ses déboires. Il l’a carrément enfoncé de deux pieds supplémentaires sous terre.

Kery James pendant sa prestation polémique
Kery James pendant sa prestation polémique

La Team Côte d’ivoire. Athlètes, artistes et président confondus. Quand les athlètes ivoiriens sont apparus pendant le défilé des délégations, une grande clameur s’est élevée dans la foule. Le spectacle a été clos par le groupe Musical Magic System qui a réussi à faire se lever toute la foule. Performance que seule l’exécution de l’hymne des Jeux de la Francophonie et de la Marseillaise a réussi à réaliser. La boucle a été bouclée quand le président Alassane Dramane Ouattara est monté sur la scène pour accompagner les dernières notes de la chanson. Il faut préciser que les prochains Jeux de la Francophonie auront lieu à Abidjan en Côte d’Ivoire.

La cérémonie se termine en apothéose avec 1er Gaou
La cérémonie se termine en apothéose avec Premier Gaou

Les feux d’artifice: le spectacle pyrotechnique qui a agrémenté de part et d’autre la fête était juste génial. Les feux d’artifice ont émerveillé les yeux pendant des moments qui auraient pu être des périodes de latence. Et après la cérémonie, les feux ont encore illuminé la nuit niçoise pendant quinze longues minutes.

C’était bien. Très belle cérémonie d’ouverture. Après ça, nous avons été conviés à un dîner de gala (ah oui oui!). Autre grand moment. Il y a une expression chez nous qui est : « surprendre son organisme ». Et pour être surpris, mon organisme l’a été. Au menu il y avait par exemple une rosace de noix de Saint Jacques déposée sur sa tartelette provençale et crème ciboulette. Bien loin donc de mes agapes camerounaises habituelles. Mais ça, c’est une autre histoire.

Par René Jackson


Les camerounaises sont belles

belles camerounaises

Deux jeunes femmes m’inspirent ce billet. La première est mince. Un mètre soixante quinze à peu près. Sourire charmeur. Charmante et maniérée. Elle a une démarche de déesse, suit des études supérieures. Elle parle le français plus qu’une française. Tellement belle qu’elle a été élue il y a quelques semaines Miss Cameroun. Un vrai bijou en somme. La seconde est comme la malchance qui accompagne toujours un diamant. C’est une personne aux particularités physiques qui sortent un peu du commun. Elle doit mesurer un mètre soixante-cinq. C’est un beau bébé de plus de cent cinquante kilos. Sa peau est d’un noir sale, sa peau exsude perpétuellement une sueur grasse. Pour couronner le tout, c’est une vendeuse de poisson braisé. Donc en plus de spécificités morphologiques dignes d’un char d’assaut, elle trimballe partout des relents de cale de bateau de pêche. Deux personnes qui n’ont à première vue rien en commun ? Pourtant elles se partagent une chose : ce sont des belles femmes.

Etrange, direz-vous ? Ma vendeuse de poisson braisé n’a aucune chance d’attirer le regard, sauf celui des curieux qui s’interrogeraient sur cette citrouille sur pattes. Alors, dans ce cas, comment expliquer qu’elle soit autant courtisée ? Moi je refuse de penser que ce sont des gens frustrés et en manque de sensations sexuelles qui la chacalent. Ce ne sont pas les femmes aux proportions normales qui manquent dans les alentours. Mais non, les hommes la coursent. Perpétuellement.

Dans notre société, des deux, c’est mademoiselle Miss Cameroun qui devrait se faire du souci. Elle est agréable pour les yeux. Mais pour ce qui est du reste, il vaut mieux d’abord tester la marchandise. Parce que les belles-mères camerounaises sont extrêmement regardantes sur leur bru. Et pour elles, il y a une catégorie de filles que j’appellerai les « est-ce que tu vas la supporter ? »

Parmi elles, viennent en premier les filles adeptes de piercings, de tatouages et de ce genre de fantaisies. Les deuxièmes ce sont les filles des autres tribus. Les troisièmes sont les filles qui poussent trop sur la coquetterie, qui portent les extensions capillaires chères, ont une peau diaphane qui indique une utilisation massive de laits et autres lotions, toujours en fards et clignotants. « Est-ce que tu vas la supporter ? Je te donne encore l’argent de poche et sur quoi comptes-tu lui acheter ses produits ? » Les quatrièmes dans cet ordre ce sont les filles minces.

Par définition, une miss est une personne qui a réduit sa masse corporelle à sa plus simple expression. Si elle entre dans les canaux de beauté occidentaux, très peu pour nous. Au quartier, elle ne sera pas celle sur qui nous jetterons notre dévolu en premier. Ces grandes choses squelettiques font même peur. Dans vos étreintes tu as l’impression d’avoir affaire à un fagot d’os. Rien pour adoucir le choc des corps. Miss Cameroun, je n’ai rien contre toi. Tu es une camerounaise, donc tu es belle. Sur le marché, tu suscites à coup sûr la convoitise de quelqu’un.

Il y a quelques semaines, j’essayais de tromper mon oisiveté avec un ami tout aussi inoccupé. Sur notre fameux banc du quartier (si, si, il est toujours là, le fameux banc). Et nous reluquions sans ménagement tout ce qui passait par là. A un moment il m’a dit : « Jack, je vais te faire un aveu : il n’y a pas moyen que je sois un homme fidèle. C’est impossible ! Il y a trop de belles femmes au Cameroun ».

Et il avait raison ! Les camerounaises sont trop belles ! Pourquoi être condamné à en choisir une seule, quand elles sont toutes si irrésistibles ? C’est injuste ! La femme camerounaise est faite pour le plaisir des yeux mais aussi d’autre chose.

On a parlé de la fille mince, qui a besoin d’un homme. Qui va lui redonner ces arguments qui lui font défaut : des amortisseurs. On a aussi parlé de celle bien en chair, qui te tient bien au chaud pendant les nuits froides, et qui a un physique bâti pour porter tes enfants et surtout pour s’en occuper si tu vires à l’ivrognerie. Si tu n’y es pas déjà trempé.

Autant il existe chez nous deux petites catégories d’hommes (ceux qui ont du pognon et ceux qui n’en ont pas) autant les femmes sont dispatchées en plusieurs catégories. On en citera seulement les principales. Qui tournent autour des tendances chromatiques.

On a d’abord les filles noires. Dans un pays de Noirs, on trouve encore le moyen d’appeler quelqu’un d’autre « noir ». Pour bien montrer le noir en question, on dira qu’il est noir comme un sénégalais (désolé, frères et sœurs de la Téranga. On se sent toujours mieux quand on se dit qu’il y a plus con que soi. Donc dans notre cas, plus noir). En fait, la fille noire est celle qui a la peau d’ébène. D’un noir obscur, luisant. Notre vrai teint. On la courtise parce qu’elle est la femme noire authentique, une espèce de plus en plus rare. La faute à ces trucs décapants.

Ensuite, il y a les brunes. Autre paradoxe. En français, le « brun » désigne ce qui est sombre ou qui tend vers cela. Au Cameroun, une femme brune est une femme qui a un teint plutôt clair (à gauche sur la photo). Et Aimé Césaire ne cesse de se retourner dans sa tombe quand on dit d’une femme qui a le teint très clair qu’elle est « très brune ». Désolé Aimé, tu es mort et puis chez nous, on a l’habitude de dire que le français est élastique, et que chacun le tire de son côté. Les femmes dites brunes sont celles qui ont la côte actuellement.

Après les brunes, on a les teint chocolat  (à droite sur la photo). A mi-chemin entre le 100% pur cacao et le chocolat blanc. Elle n’est pas claire, mais pas d’ébène non plus. La douceur garantie. Je pourrais aussi citer les albinos et les wadjasses (terme qui désigne les femmes musulmanes, en majorité originaires du nord du pays). Ces dernières sont toujours drapées de plusieurs couches de tissus, mais souvent, d’un coup de rein, l’air de rien, on devine des courbes appétissantes. Leur charme vient de la curiosité qu’elles suscitent. Les choses cachées sont les plus convoitées.

Les métisses. Les filles d’ici et d’ailleurs comme aurait dit l’autre. Dans d’autres cultures, on se sait pas ou situer les métis, parce que les Blancs les appelle Noirs et les Noirs les appellent Blancs. Pauvre Barack Obama. Mais nous ici à Douala, on sait exactement où est-ce qu’on situera la fille métisse : sur un parallélépipède rectangle de deux mètres sur un mètre quatre-vingts, plein de duvet et cerné de quatre murs. Pour des matchs à guichets fermés. Et après on se promènera au bras de notre trophée. Il n’y a rien de plus jouissif que de se montrer avec une métisse. Pas surprenant qu’elles soient jalousées par les camerounaises des castes précitées.

La ville de Douala est un interminable chemin de croix pour ces malheureux qui ont fait vœu de fidélité.

La camerounaise est coquette. Elle a une capacité d’assimilation des tendances de mode d’une rapidité et d’une efficacité rare. Pour couronner le tout, elle a tout ce qu’il faut là où il faut. La camerounaise a toujours une poitrine dont l’opulence mettra en valeur le décolleté le plus acrobatique. La camerounaise a toujours les hanches qui permettront à son moulant d’en épouser les chutes vertigineuses. La camerounaise aura toujours un arrière-train qui nous fera remercier ad vitam aeternam celui qui a eu l’ingénieuse idée de créer le pantalon slim et son compère qui a inventé le string.

Laquelle moi je préfère ? Aucune et toutes à la fois. Je suis un polyglotte de l’amour. Je parle toutes les langues possibles. Pourquoi faire la fine bouche ou être sélectif quand on vit dans une telle opulence ? Hum, moi je n’ai pas le moule hein ! Je ne fabrique pas l’autre. D’ailleurs, je suis un cœur à prendre. Intéressée ? Envoie ton CV à l’adresse en haut à droite.

Ce n’est pas là que je voulais en venir, il faut que je le précise. Mais puisqu’on en parle…

Par René Jackson

Merci à l’admin de Les Camerounaises Sont Les Plus Belles de m’avoir permis d’utiliser l’image illustrant ce billet. Vous aurez remarqué les couleurs des bracelets de la fille et surtout leur ordre.



J’ai écouté Random Access Memories de Daft punk et…

Random Access Memories / Daft Punk
Random Access Memories / Daft Punk

Les plus ardents défenseurs de la démocratie disent que le peuple a toujours raison. Et que le peuple est souverain. Il n’en est pas forcément de même quand il s’agit de culture. Tout un chacun a ses goûts et ce qui plaît au premier ne passe pas forcément chez le deuxième. Ce qui fait que très souvent, je ne me fie pas à l’admiration béate dont font souvent preuve les foules vis-à-vis des artistes, quels qu’ils soient. Il en existe malgré tout qui font presque l’unanimité, comme Picasso, Steven Spielberg ou Pelé. Mais aussi, la béatitude manifeste du public vis-à-vis d’une œuvre se justifie parfois. Et dans ce cas, il est judicieux suivre le mouvement général. Ca réserve des surprises, comme celles que m’a réservées le dernier album de Daft Punk, Random Access Memories.

Je n’ai jamais fait de vraie chronique musicale sur ce blog. Il est vrai, j’ai parlé de DJ Arafat ; de Duc-Z et de son Je Ne Donne Pas Le Lait ; de Daniel Baka’a (le créateur du Pinguiss) ; de Psy et de son Gangnam Style. Mais je le faisais de façon décalée. J’en parlais pour parler d’autre chose. Pardon pour les redondances. Avant d’en arriver à Daft Punk, il est bon de savoir d’où je viens, musicalement parlant.

Mon goût pour la musique me vient de mon père. Grand amateur de musique, mon enfance a été bercée par les œuvres de ses années de jeunesse à lui. Des années soixante et soixante-dix. Il a fait de rares incursions dans les quatre-vingts et quatre-vingt dix.

Doté d’une grande ouverture d’esprit, il a pu acquérir une extraordinaire culture musicale. Dont j’ai en quelque sorte involontairement hérité. Il faut dire que de prime abord, j’étais réfractaire à ses préférences musicales. Comme tout enfant, je préférais de loin les airs à la mode, de mon époque. Le compact disc faisait son apparition et il en était encore à nettoyer chaque sillon de ses vinyles. Les vernis à ongles maternels se retrouvaient tous en train de coller les bandes coupées des cassettes audio paternels. Un jour je lui ai demandé pourquoi est-ce qu’il n’achetait pas de la musique plus contemporaine. Il me donna une réponse dont je saisis toute la véracité aujourd’hui : ce type de musique, on l’oublie très vite. En effet, qui se souvient encore de Asereje de Las Ketchup?

C’est peut-être pour cette raison que Michael Jackson ne fit jamais partie de sa bibliothèque musicale. Mais alors, pourquoi ce deuxième prénom qu’il m’a pourtant donné ? La grande interrogation.

Autre trait caractéristique, il écoutait très peu de musique camerounaise. Le seul artiste de notre pays qui trouvait grâce à ses yeux était André Marie Tala. Il avait tous ses disques. Peut-être parce que dans leur jeunesse, ils avaient fait les quatre-cents coups ensemble. Très tôt, j’ai été programmé pour être un amateur de musique étrangère. Otis Redding n’avait plus aucun secret pour moi. Ainsi que Fletwood Mac. Je me suis vu imposer de longues journées de Boney M. The Temptations me berçaient, j’ai fini par connaître les paroles de toutes les chansons de Abba. Ils étaient tous là : de Wilson Pickett à Fred Mercury en passant par Donna Summer, Smokey Robinson, Mary Mc Kee, The Eagles, Luther Vandross, Bob Dylan, Juice Newton, George Benson et j’en passe.

Pour varier, j’avais droit à Coupé-Cloué, à Ladysmith Black Mambazo, à Femi Anikulapo Kuti, à Prince Nico Mbarga, Lucky Dube, Mbilia Bel, Yvonne Chaka-Chaka, Emeneya, Pascal Vallot, Francky Vincent,  Johnny Halliday, Joe Dassin, Mort Shuman, Julien Clerc, Georges Brassens

Ainsi j’ai été formaté. Préférant l’album au single, car l’album permet de mieux cerner l’artiste. Dans ma musicothèque personnelle, il y a de tout. J’ai bien sûr des airs de mon temps. C’est aussi très éclectique car on peut y trouver de la musique religieuse, indoue, inuit, du folklore inca, du gothique. Par contre, pour parfaire l’héritage, je laisse très peu passer la musique camerounaise. L’une des rares qui conserve mon affection est le bikutsi, car à mon avis c’est elle qui garde une certaine authenticité. Malgré les propos grivois que ceux qui chantent ce rythme profèrent à longueur de chansons.

Je reste encore très ancré dans les années soixante. Mais je ne suis pas de l’avis de ceux qui pensent que les reprises dénaturent le travail des pionniers. Elles dépoussièrent certaines œuvres. Moi par exemple, c’est grâce à une reprise magnifique du titre At Last par Céline Dion que j’ai découvert la fabuleuse Etta James. Et tout le monde se rappelle de I Will Always Love You de Withney Houston.

Jusqu’à la semaine dernière l’album qui occupait le haut de ma playlist, et ce depuis plus d’un an, était Nevermind de Nirvana. Qui date du début des années quatre-vingt dix.

Jusqu’à ce que je tombe sur ce prodige de Random Access Memories ! Un album à la fois surprenant et génial !

Surprenant. Pour ceux qui ne connaissent pas Daft Punk, c’est eux qui ont lancé une mode dans laquelle les artistes de tous bords se sont plongés. Quel que soit leur genre musical : l’électronique à outrance. Tout se fait dans une chambre, sur un simple ordinateur. Et eux qui n’étaient sûrement pas des voix si prodigieuses, ont fait usage massivement de l’auto-tune, cette technique qui permet de modifier les voix, de les rendre presque robotiques. Aujourd’hui, la musique populaire n’est faite que de ça. Pour prendre un exemple typiquement africain, je parlerai du coupé-décalé ivoirien et de tous ses dérivés. La musique faite par des « DJ » qui en fait sont plus des superposeurs de sons synthétisés que des musiciens. Se démarquant de cette veine, dans son dernier opus, Daft Punk a décidé de remettre au goût du jour 2 choses : les vrais instruments et le style des sixties. A certains moments quand j’écoute ce disque, j’ai du mal à réaliser que c’est le boulot d’un duo qui avait fait de l’électronique sa marque de fabrique.

Génial. Les critiques ont été dithyrambiques ! Et il faut avouer que ce n’est pas du tout volé. Parfois, quand j’écoute un album il y a quelques titres que je saute volontiers. Mais Random Access Memories, ce sont treize titres, une heure et quatorze minutes de pure évanescence musicale. Bien sûr, il reste la touche du duo,  de l’électronique, des voix modifiées. Mais cela n’occupe plus la place prépondérante. On entend aussi des sons naturels. Des vraies voix, la délicatesse d’une guitare acoustique, le hurlement d’une guitare électrique, le grondement profond d’une vraie basse, la clarté des cymbales et d’une caisse claire. Des choses qu’aucun synthétiseur n’a jamais réussi à reproduire.

J’ai écouté Random Access Memories de Daft Punk et j’ai fait plus qu’aimer ! Je le recommande !

Pour la #MondoblogTeam, voici mon #Top10 de mes titres dans l’ordre de préférence (c’est un raccourci odieux, j’en suis conscient) :

1. Touch, en collaboration avec Paul Williams (piste N°7) : cette chanson me rappelle beaucoup Bohemian Rhapsody de Queen.

2. Giorgio By Moroder (piste N°3) : qui débute par les mots d’un homme qui raconte ses rêves de musicien, qui partent d’une petite ville d’Allemagne, passent par des nuits à dormir dans la voiture et se terminent par la découverte de la puissance du clic.

3. Fragments Of Time, en collaboration avec Todd Edwards (piste N°11): cette chanson a un jeu de batterie, de cymbales et un rythme qui donne envie de vivre dans les années soixante-dix.

4. Within (piste N°4) : La chanson langoureuse de l’album. Le piano du début est juste magnifique.

5. Give Life Back To Music (piste N°1) : d’entrée de jeu, on comprend que cette fois on n’aura pas du tout ce à quoi on se serait attendu de la part de Daft Punk.

6. Get Lucky, en collaboration avec Pharrell Williams (piste N°8) : un dangereux air retro. Efficace !

7. Motherboard (piste N°10) : ici, on a laissé les instruments s’exprimer.

8. Doin’ It Right, en collaboration avec Panda Bear (piste N°12) : C’est le titre qui a le style le plus actuel. Très proche de notre Rythm & Blues contemporain. Et puis, il y a le Panda…

9. Instant Crush, en collaboration avec Julian Casablancas (piste N°5) : encore un bond d’une douce violence dans le passé…

10. Beyond (piste N°9) : au début, il y a cet orchestre symphonique qui te promet… Soudain, changement de rythme, sans transition. On passe à une cadence très jazzy, qui fait dodeliner de la tête.

Par René Jackson


Cameroun / Enfants d’intérêt économique

Père retranché dans la grue

Le Cameroun est loin d’être un pays béni pour l’enfance. Pour le vérifier, c’est tout simple : il faut aller dans la rue. Qu’est ce qu’on y verra ? Il faut au préalable planter le décor : Douala. Mois d’août (donc maintenant). Pluie battante, qui peut tomber pendant plusieurs jours sans s’arrêter (comme maintenant). Vous verrez, à la merci des intempéries et des chauffards qui pullulent sur nos routes, des enfants souvent âgés de seulement six ou sept ans battre le macadam. Un plateau rempli d’arachides, ou d’aubergines, ou de cigarettes, ou encore d’épis de maïs cuit à l’étuvée. Qu’il faut vendre. Ils folâtrent ça et là dans la ville sans parapluie, ni même de vêtements qui pourraient leur permettre de rester au chaud. On dit qu’ils se « débrouillent », parce qu’il faut préparer la rentrée scolaire. Comme si c’était à eux de le faire.

C’est le sort réservé à ceux qui ont échappé à la poubelle ou aux fosses sceptiques. Parce qu’à Douala et plus généralement au Cameroun, les endroits où on retrouve le plus les nouveau-nés après les maternités, ce sont les poubelles et les fosses sceptiques. Où des mères criminelles jettent leur progéniture à peine venue au monde comme un vulgaire déchet. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on en entende parler de ces sordides faits divers. Beaucoup sont retrouvés déjà morts, leur carcasse déchiquetée par les chiens errants ou envahie d’asticots.

On dit en Afrique que l’enfant est une richesse. Ce n’est pas qu’un dicton, ou une phrase qu’on sort tout bêtement pour expliquer nos records en taux de natalité. L’enfant est une richesse est une expression qu’il faut prendre au premier degré. A l’époque de nos parents, l’enfant était d’abord et avant tout une main d’œuvre. La meilleure qui soit puisqu’elle était obéissante – ou docile – et non-rémunérée. L’école n’était pas une obligation et pour les scolarisables, c’était l’époque où l’Etat s’occupait de tout. Les parents s’arrangeaient juste à ce qu’ils aient de quoi manger et le minimum pour se vêtir.

Aujourd’hui, il y a ceux qui envoient leurs enfants se balader un peu partout avec un plateau sur la tête, il y a ceux des libanais qui harcèlent les passants dans tous les carrefours de la ville dans le but d’obtenir une pièce. Ils font partie de la catégorie de ceux qui ramènent de l’argent frais. Il y a les autres, plus chanceux, qui sont scolarisés et bien entretenus, mais sur lesquels les parents fondent les espoirs futurs les plus ambitieux. L’école est un investissement qui sera rentabilisé quand les parents seront dans leurs vieux jours.

Dans les sociétés encore très traditionnelles comme la nôtre, l’enfant joue un rôle de premier plan. Il est le ciment de la famille. Pour beaucoup, il est impensable qu’un couple ne fasse pas d’enfant. Qu’un jeune homme traîne avec une fille pendant six mois et on commence à l’assaillir de questions sur ce bébé qui tarde à venir. La femme en est la première victime car une femme ne peut-être une femme que si elle fait des enfants. Sinon, elle n’est qu’un humain d’apparence qui sera l’objet de tous les quolibets. Donc, l’enfant avant même sa naissance est déjà au service d’intérêts qui dépassent sa pauvre petite personne.

Il y a l’époque des hommes-prisonniers, victimes de véritables guets-apens, méticuleusement fomentés par une femme qu’ils avaient commis l’erreur de traîner dans leur lit un soir. Il pensait être en train de se payer du bon temps pendant quelques heures, alors que sans le savoir, un piège invisible se refermait sur lui.

Mis devant le fait accompli d’une grossesse qui ne faisait pas partie de ses plans, il a le choix entre deux éventualités.

Primo, il peut faire celui qui ne se sent pas du tout responsable de la situation. Et là soit il fond dans la nature, soit on assiste à une scène comme celle que j’ai vécu chez mon voisin il y a quelques années.

Sa fille avait conçu d’un jeune homme du quartier. Le voisin a convoqué le petit malotru qui refusait de se manifester. Il est venu. Il a écouté le père raconter sa vie. Puis il a pris la parole. Et ses mots ont été durs. Il a commencé par préciser l’entente de départ qu’il y avait entre la fille et lui : pas d’enfant. Puisqu’elle était enceinte, c’était à elle seule de s’interroger sur ce qu’elle ferait. Parce que lui il n’avait rien à y voir. Et il a pris l’assistance à témoin : si la fille ou un autre membre de sa famille osait encore se pointer devant sa porte, il ne répondrait plus de ses actes. Sur ces mots, il est rentré chez lui. Laissant tout le monde pantois.

Deuxio, le coupable se sent responsable et accepte de prendre la future mère chez lui. Pour s’occuper d’elle et du bébé, avec la perspective d’éventuelles épousailles. C’est ce qu’on appelle chez nous goûter le mariage, ce que d’autres nommeront concubinage. Ou alors, ayant greffé dans sa tête que ce ne sera jamais rien de plus qu’une aventure d’un soir, mais ayant tout de même envie d’assumer son devoir parental, il reconnaît l’enfant.

Et cette dernière hypothèse est celle sur laquelle de nombreuses femmes (et leur famille) ont bâti toute leur stratégie.

Il y a quelques mois, sur un réseau social, un ami a lancé un cri du cœur : il avait fait un enfant avec une fille. Il s’en occupait car il donnait une ration hebdomadaire à la mère du petit. Mais chaque fois qu’il allait chez la fille pour avoir l’enfant, même pour un petit week-end, il essuyait le refus catégorique de sa « belle-famille ». Quelqu’un lui demanda combien il donnait comme argent. Il a sorti une somme vraiment conséquente. La même personne lui a demandé de couper les vivres et de ne plus réclamer l’enfant. Il avait bien évidemment émis des réserves, car la famille de la fille étant pauvre, l’enfant risquait d’en pâtir. Mais il avait suivi le conseil. Deux mois après, il pavoisait. Il avait reçu un coup de fil à son lieu de service. On lui annonçait qu’à son retour le soir, il trouverait son fils chez son voisin avec toutes ses affaires.

Il y a des femmes à Douala, qui font des enfants apparemment de façon incontrôlée. Elles en ont cinq ou six, qui n’ont en commun que l’utérus duquel ils ont été expulsés. La plupart du temps, cela procède d’un plan. Les enfants sont un fonds de commerce, un objet de chantage. Six ou sept enfants sont autant de sources de revenus. Chacun des pères « paie » la mère pour qu’elle s’occupe de son rejeton. Le marmot qui a le malheur d’avoir le géniteur qui a fui ou qui est radin est le vilain petit canard de la portée. La mère elle n’a plus aucune raison de chercher un travail car elle vit tous frais payés et peut continuer sa vie de petite vertu. Si l’un des papas, consciencieux, voit la situation précaire dans laquelle son enfant est élevé et craint pour son avenir, il se verra opposer une fin de non recevoir de la mère et de sa famille, dont les intérêts sont aussi en jeu. Il ne faut pas plaindre certains grands-parents parce que vous les voyez assaillis par des dizaines de bambins. Chaque tête représente une petite fortune qui tombe à la fin de chaque mois.

On a assisté au début de l’année au spectacle de ce père désespéré qui s’est retranché au sommet d’une grue à Nantes en France, parce que la justice lui avait refusé le droit de garde sur son fils (photo). Beaucoup de pères camerounais vivent la même situation. La différence chez nous étant que la justice n’est pas souvent concernée. Les enfants sont proprement pris en otage par leur mère et la famille de celle-ci, pour rien d’autre que des enjeux pécuniaires.

L’intérêt même de l’enfant est une préoccupation secondaire. La conséquence étant ces bambins qui se retrouvent à vendre des arachides sous la pluie, à s’agripper au moindre passant pour une pièce, qui vont et viennent sans but, qu’on enlève, qu’on viole, qu’on assassine, qu’on mutile. Et pour ceux qui réussissent à passer entre les gouttes, ils deviennent ces fameux nanga-bokos qui hantent certaines rues de la ville. Lesquels pour gagner leur pitance, agressent à tout va.

 

Par René Jackson