Le malheur des uns fait le bonheur des autres
Il n’est pas bon de rire du malheur des gens. Il n’en demeure pas moins qu’il est des situations dans lesquelles on ne peut s’empêcher de rire, même quand malheur il y a. Parce que l’être humain, surtout quand il est camerounais, trouve toujours le moyen de rendre risibles même les situations les plus difficiles. Je ne vais par exemple pas revenir ici sur les traits d’esprit dont mes concitoyens ont su faire preuve suite au crash de l’avion de Kenya Airways à quelques kilomètres de l’aéroport de Douala en mai 2007. Et puis, pourquoi pas ? Le Boeing 737 s’était écrasé en pleine nuit dans le petit village de Mbanga Pongo, situé en périphérie de la ville. Depuis, dans le jargon populaire à Douala, Kenya Airways est désormais Mbanga Pongo Airlines. Ce sinistre (qui n’avait pourtant laissé aucun survivant parmi la centaine de personnes qui occupait l’avion – un bref rapport d’enquête ici pour ceux que ça intéresse) a même inspiré des chansons paillardes. C’est dire.
Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Le bonheur de toute une catégorie de personnes dont le business tourne autour de la mort. Il me revient à l’esprit ce sketch d’un humoriste célèbre au Cameroun. En discussion avec son fils étudiant la psychologie en Occident, il lui demande : « La psychologie c’est quoi ? Est-ce que ça donne de l’argent ? » Et il continue : « Je t’ai demandé de faire pharmacie. Comme ça quand tu reviendras ici, j’ouvrirai ma boutique de pompes funèbres à côté de ton officine. Si ta clientèle te dépasse, tu me l’envoies. Elle ne peut pas me dépasser ». Ce qu’il faut comprendre, c’est que si les malades succombent malgré l’administration de médications, lui le vendeur de cercueils et de gerbes de fleurs trouvera à coup sûr une solution pour eux.
Mais en dehors des professionnels de la mort (les propriétaires de morgues, les chauffeurs de corbillard, les gens des pompes funèbres, les fossoyeurs et j’en passe), il y a des personnes opportunistes qui savent tirer parti de la situation pour se départir de situations difficiles.
J’en parle parce que depuis quelques jours dans mon quartier, une affaire fait grand bruit. Et fait aussi beaucoup rire. Tout a commencé par le décès d’une dame. La défunte avait une particularité : elle était endettée jusqu’au cou.
Vous savez, en Afrique, il existe un système financier qui agit en parallèle du système bancaire. Il est souvent (la plupart du temps même) informel, fonctionnant sur la simple confiance mutuelle des membres du groupe qui le composent. Il s’agit ici des tontines. Et pour beaucoup, les tontines sont plus fiables que ces banques qui peuvent fermer du jour au lendemain. En sus, elles sont plus flexibles. La défunte était donc endettée, parce qu’elle avait emprunté de l’argent dans presque toutes les associations de femmes dans lesquelles elle était membre. Le total s’élevant à plusieurs millions de nos chers francs.
C’est peu de dire que désormais ce n’était plus son problème. Et que n’étant plus de notre monde, l’apurement de toutes ses dettes incombait dorénavant à sa famille. Alors, les représentantes de ces diverses associations se sont tour à tour rendues au domicile de la défunte pour rendre compte à sa famille de ses états financiers.
Probablement embêté et ne voulant pas se retrouver en train de rembourser des dettes que quelqu’un d’autre avait contractées, le fils de la défunte a mis au point un subterfuge. Un soir, il a convoqué toutes les associations qui réclamaient de l’argent. Et il a pris la parole :
« Vous, toutes autant que vous êtes, avez précipité la mort de notre mère. D’abord vous lui avez lancé la maladie – un cancer – qui l’a rongée (oui, chez nous, les maladies se lanceraient comme des frisbees. Du genre si tu m’énerves, pour te punir, je te lance une maladie, ndlr). Et comme la maladie tardait à en finir avec elle, vous êtes venues l’achever vous-mêmes (le dernier repas de la défunte avait été cuisiné par une femme membre de l’une de ces associations, ndlr).
Maintenant, je vous le dis, j’ai le pouvoir de vous rendre toutes folles à lier. Démentes. Et si ça ne suffit pas, je peux vous faire mourir dans les plus brefs délais, comme vous avez fait mourir notre mère. J’ai pris une partie de ses cheveux que j’ai soumis à des sortilèges. Je vais fermer les yeux. Je vais compter jusqu’à cinq. Quand je vais les rouvrir, celles qui seront encore dans cette maison verront leurs jours comptés. Et celle parmi vous qui remettra les pieds dans cette demeure trépassera dans d’atroces souffrances. »
Sur ce il ferma les yeux.
Et se mit à compter.
Il n’était pas arrivé à trois que la pièce s’était vidée des deux douzaines de femmes qui s’y trouvaient.
Jamais on ne vit autant de femmes détaler ! Et surtout, jamais on ne les vit partir à une telle vitesse ! Jamais on ne vit les kabas (sorte de robes amples, très prisées au Cameroun) s’envoler aussi haut ! Nous qui étions à environ cinq cents mètres du théâtre des opérations n’en avons pas cru nos yeux quand nous avons vu débouler cette meute de femmes (pour la plupart âgées de plus de quarante ans) qui avait littéralement pris leurs jambes à leur cou.
Une meute qui s’est finalement arrêtée à notre hauteur.
Elles regardaient derrière elles comme si elles avaient vu le diable en personne. Et comme pour se rassurer qu’il ne les avait pas poursuivies. Elles avaient perdu qui des sandales, qui un foulard, qui un porte-monnaie. Et elles n’osaient surtout pas revenir sur leurs pas. Une moto déboula de l’endroit d’où elles provenaient. Ce qui créa une autre panique. « C’est lui, il vient nous chercher ! Il vient nous chercher ! » Tout en criant, elles se réfugiaient dans les boutiques, les buissons et les maisons alentour.
Panique inutile, puisqu’il s’agissait en fait de l’un des moto-taximen qui habitent le quartier. Qui passa son chemin.
Au moment où je rédige ces lignes, la dépouille mortuaire se trouve dans le village natal de la dame pour l’inhumation. Nul besoin de dire qu’aucune de ces femmes (qui avaient pourtant prévu d’assister aux obsèques) ne s’y est rendue.
Depuis, nous n’avons pas cessé de rire. Ceci d’autant plus que chaque jour arrive avec ses détails cocasses. Comme celui raconté par une dame : « Vous savez, le domicile de notre regrettée sœur se trouve en bas d’une colline. Et pour en sortir, il y a un escalier abrupt à emprunter. Ces derniers jours, quand nous allions lui rendre visite, sans l’aide de jeunes gens qui nous tenaient par la main, on gravissait difficilement cet escalier. Mais le jour de la débandade générale, on a escaladé cet escalier en avalant les marches quatre à la fois. Personne n’a demandé à quiconque de l’aider».
En bref, voilà comment une dette de plusieurs millions a été effacée.
Parfois, il suffit seulement de menacer les gens de les atteindre mystiquement pour qu’ils obéissent au doigt et à l’œil. Et aussi au pas de course. Il ne fait pourtant aucun doute que les propos du fils de la défunte faisaient partie d’un canular savamment élaboré.
René Jackson