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Berlin, Eurohorreur 2012

Depuis la dernière Coupe du Monde de foot, je n’avais pas vu Berlin dans un tel état. Adieu, douce cité extravagante, avant-gardiste, libre et anarchiste! « Wilkommen » l’horreur des écrans plats et des enceintes qui crachotent des beuglements de joie à chaque but. Berlin, capitale de la hype? Pas en ce moment. A moins que le ballon noir et blanc ne soit un accessoire tendance 2012?

Voilà une semaine environ que je souffre corps et âme.

En terrasse de ma pizzeria préférée, où servent des punks assagis : un écran blanc et un projo qui balance la coupe d’Europe 2012.

Dans ce bar sympathique de Neukölln, où nous écoutions autrefois (dans un temps qui me semble déjà lointain, comme si j’avais soudain soixante-cinq ans) du jazz en hochant nos têtes pleines de considérations snobs sur la dernière pièce (nulle) jouée à la Volksbühne : un écran géant qui hurle à chaque fois que la balle bondit.

Impossible d’y échapper : la coupe d’Europe a littéralement envahi Berlin avec ses couleurs hideuses, insultantes pour tout esthète qui se respecte (noire-rouge-jaune, la combinaison artistiquement perdante). Au café du coin, la respectable serveuse de soixante ans porte une casquette ornée de deux mini-drapeaux aux couleurs de l’Allemagne. Les voitures pavoisent également, faisant ressembler les parkings à l’arène des jeux Olympiques de 1936.

Le balcon de mon voisin est à un manifeste nationaliste à lui seul.  Même ses nains de jardin sont enveloppés d’un drapeau teuton. Un matin, nous vîmes ce flic retraité et désoeuvré s’adresser à la propriétaire du balcon qui jouxte le sien. Armé d’un mégaphone, en marcel noir et les joues couvertes de maquillage pro-équipe d’Allemagne, il l’apostropha :

Madame Benz, pourquoi n’avez-vous pas de décorations pour l’Euro 2012 sur votre balcon?

Madame Benz se sentit minable d’avoir été montrée du doigt en pleine place publique. Elle couvrit dès le lendemain sa petite terrasse de loupiottes et de drapeaux de plastique. Bienveillant, le voisin lui offrit même une guirlande de fanions allemands. Depuis, la banderole s’étend sur les deux balcons, émouvante déclaration d’amour sportif.

Que Madame Benz et mon voisin flicard aient des poussées nationalistes, passe encore. Mais que mes propres amis, qui sont ma chair et mon sang pour l’exilée sans famille que je suis sur ces terres allemandes, se passionnent pour les pérégrinations d’une balle de cuir poussée par une bande de types mal coiffés, non!

Les garçons accros au foot, j’ai toujours connu ça. Souvenirs mémorablement ennuyeux de mon premier amour, vulgairement avachi en cercle avec sa bande devant un carton Pizza Hut exhalant des relents de graisse hydrogénée, sursautant régulièrement quand la balle frôlait la cage…

Souvenir pénible de l’homme de ma vie (mon père) trouvant soudain le foot sympathique, lui qui n’avait jamais aimé que les échanges de balles gracieux de Roland-Garros, juste parce que mon frère se ramenait avec des bières à siroter entre « père et fils »…

Mais tout cela prend à Berlin des proportions monstrueuses : ici, les filles se mettent à croire que le foot, c’est hype. C’est du dernier chic de pousser des cris rauques à intervalle régulier, de boire d’infâmes breuvages à bulles et de se tenir par les épaules, bien carrées, comme des rugbymen.

Ma copine italienne qui disait détester le foot s’est prise d’amitié amoureuse pour un joueur à tête de grenouille dénommé Özil. Ma copine grecque, une passionaria hyper politisée, est scotchée devant un terrain vert avec un rond blanc au milieu, même quand son pays est en train de virer ultra-nationaliste aux législatives. Et même ma copine bosniaque qui est une cérébrale forcenée peste parce que son pays n’a pas d’équipe et qu’elle est obligée de faire semblant d’être pour les Croates. 

Alors ce soir, devant une Eurohorreur de plus, tandis que j’étais en train de faire la conversation seule à une brochettes d’amis aux yeux épinglés à un écran situé dans mon dos, j’ai pris mes cliques et mes claques. Je me demande même s’ils s’en sont aperçus.

Je me suis dit que j’allais cracher mon désespoir sur mon blog, même si à l’heure qu’il est, vous aussi, chers lecteurs, vous frémissez en attendant le match France-Angleterre de ce soir et que vous avez déjà deserté cette page anti-ballon.

Je vous pardonne ! Sur mon vélo, en rentrant à une heure pour une fois raisonnable, je me suis aperçue que Berlin m’appartenait : 90% de la ville était devant un écran et moi, seule sur mon fidèle destrier, je pédalais comme un cygne glisse sur l’onde, majestueusement ignorée et finalement… tranquille…

…un peu trop tranquille?


Vol au-dessus du souvenir

A force de parler de Berlin la sexy et de Berlin l’underground, on en oublierait presque que la capitale allemande fut le théâtre de tragédies historiques et personnelles. C’est sur un vol entre Paris et Berlin que j’ai rencontré Monique, qui revenait dans sa ville natale après plus de soixante-dix ans d’exil en France.

Elle s’installe près de moi, voluptueuse vieille dame aux cheveux blancs et courts sentant l’eau de Cologne. La nuit d’avant, embarquée dans une fête parisienne par mon ami Auguste, je n’avais pu dormir que deux pauvres petites heures. Je n’étais donc pas prête à céder ma tranquillité aérienne et je me calais dans mon coussin de voyage appuyé contre le hublot.

Elle feuilletait les revues Air France, prenant un peu trop de place sur l’accoudoir, en commentant les looks de pétasse friquée qui s’étalaient sur les pages mode. Imaginez-moi regrettant d’avoir oublié mes boules Quiès en soute, le front plissé et râleur, envahie dans mon demi-sommeil par les images de la nuit dernière – en vrac, une jeune beauté à lunettes me déballant ses angoisses psy dignes de Woody Allen, un French lover en baskets de toile vert pomme empilant les blagues de drague et mon cher Auguste remplissant mon verre de vodka avec un sourire diabolique.

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Vol au-dessus du souvenir

C’est sur un vol entre Paris et Berlin que j’ai rencontré Monique, qui revenait dans sa ville natale après plus de soixante-dix ans d’exil en France.


Le miniguide du week-end parfait à Berlin

Le projet écolo-social Prinzessinengarten à Berlin-Kreuzberg.

Depuis que j’ai ouvert ce blog, je reçois des mails déchaînés de mes lecteurs qui, tous, veulent venir traîner leurs savates dans la capitale allemande. Bonne idée, les amis! Mais gaffe au circuit touristique qui vous mènera par le bout du nez et en calèche de la Tour de Télévision à la Porte de Brandebourg! Pire encore, gaffe au ravageur safari nocturne qui réduirait vos velléités culturelles à néant!  Cadeau du mois de mai : LE MINIGUIDE DU WEEK-END PARFAIT A BERLIN by Manon from chez Génération Berlin.

Halte là! Je vous vois! Armé de votre super appareil photo compact, accoudé à un stand de Currywurst recommandé par un guide écrit par des auteurs qui n’ont pas mis les pieds à Berlin depuis 2007! Commandant un brezel desséché et une bière au goût d’urine! Lâchez ce vilain torchon et apprenez une bonne chose: Berlin est en constante évolution. Un bar qui était génial hier est un flop le lendemain. Et presque tous les noms que vous connaissez (Berghain, Tresor, Fernsehturm) sont aussi cliché qu’une boule de neige renfermant la Porte de Brandebourg.

Réglons le plus embêtant d’abord : il vous faut un toit pour la nuit. Choisissez un hôtel en comparant bien les prix sur un site comme celui-ci, dans un quartier qui a du charme : Kreuzberg ou Neukölln (évitez Mitte et Prenzlauer Berg si vous êtes un peu rock n’roll).

Une fois les bagages lâchés, louez un vélo et remontez l’adorable cours d’eau appelé Landwehrkanal, en direction du centre. Arrêtez vous au niveau de la Grimmstrasse pour manger une glace maison en regardant les cygnes onduler sur l’eau .

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Saucisses électorales

Loin de la fièvre hexagonale, le vote des Français à Berlin se déroule dans la douceur des journées printanières et se clôt par des grillades de saucisses sur les toits et dans les jardins publics. 


Saucisses électorales

Détournement de l’affiche de campagne de Nicolas Sarkozy « La France forte »

Loin de la fièvre hexagonale, le vote des Français à Berlin se déroule dans la douceur des journées printanières et se clôt par des grillades de saucisses sur les toits et dans les jardins publics.  La queue interminable devant les urnes à l’Ambassade de France le prouve : le sentiment d’appartenir envers et contre tout à ce pays que nous avons volontairement quitté est plus fort que jamais.

Le coeur battant, la pince à merguez en suspens, les Français de Berlin regardent les résultats des élections sur les terrasses de leurs apparts trois fois plus grand qu’à Paris. En buvant leur bière à un euro dans leurs fringues vintage à trente balles l’ensemble, ils se sentent tout aussi nerveux que lorsqu’ils habitaient à Paris ou à Dijon, dans des cages à lapin qui leur coûtaient les trois quarts de leur salaire, et qu’ils venaient de voter pour le candidat qui leur promettait un avenir économique meilleur.

Pourtant, nous autres Français de Berlin avons fait le choix de quitter la France. En cette fin d’avril presque estivale, les expats, les étudiants et les artistes français en exil pourraient se contenter de jouir de leurs balcons fleuris et de leur incroyable quantité de temps libre pour aller ramer sur un lac ou draguer la Prussienne. Mais non : l’angoisse nous étreint tous.

Le jour du premier tour, on cramait des Bratwursts chez un ami américain. Ce fils de cowboy nous regardait, amusé, mourir de honte devant le score de Marine Le Pen.  Nos amis allemands paraissaient effarés. Est-ce que le Front National est nazi? En bons Français, il nous fallut aussitôt exprimer notre désaccord avec le vote de ces 17,9% de nos compatriotes et déboucher quelques bouteilles de rosé pour oublier. Les discussions allaient bon train, les pronostics et les nouvelles de dernière minute aussi.

Perdue au fond de mon verre de riesling, je me sentais un peu en retrait. L’impression sinistre d’avoir déjà assisté plusieurs fois à cette discussion, à ces élections, comme si l’on n’avait fait que changer les protagonistes de cette mise en scène, me donnait presque envie de changer de passeport.

Pourtant, l’herbe politique n’est pas vraiment plus verte ici – hormis tout de même le fait que les Germains, eux, n’ont pas peur de voter pour une femme. Les acquis sociaux français ont beaucoup à apprendre au misérable système de sécurité sociale allemand. En cela, par exemple, voter depuis Berlin peut être vu comme un acte citoyen à échelle européenne.

Mais c’est bien cela qui manque encore : l’européanité. Français, nous votons avec passion depuis notre exil, mais nous nous intéressons très peu aux affaires politiques allemandes. Pourquoi? L’éducation politique européenne ne se fait pas, alors que les plus gros dossiers se jouent par-dessus les têtes de nos dirigeants et que Bruxelles semble complètement déconnectée des citoyens.

Les saucisses grillent et les Français tremblent pour leur pays. Un sentiment justifié, mais qui me laisse un goût amer. Le triste sort d’Eva Joly, perpétuellement ramenée à ses origines norvégiennes pendant la campagne présidentielle, le montre : les Français ne se sentent pas européens. Quand déciderons-nous de nous départir de nos oripeaux nationalistes pour nous préoccuper d’une politique à la hauteur d’une économie mondialisée depuis longtemps?


A la recherche du colocataire parfait

Dans une ville où les appartements ont plutôt quatre pièces qu’une, où les salaires sont bas et où la jeunesse se termine vers… cinquante ans, la colocation est un mode de vie complètement normal.


A la recherche du colocataire parfait

(Flat Share, photo de Tim MacPherson)


Dans une ville où les appartements ont plutôt quatre pièces qu’une, où les salaires sont bas et où la jeunesse se termine vers… cinquante ans, la colocation est un mode de vie complètement normal. Mais le colocataire de rêve ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Petit passage en revue des candidat(e)s à la vie commune.

J’ai un grand et bel appart, comme presque tout le monde à Berlin. La vie en mode clapier à lapin est épargnée au Berlinois grâce à la taille gigantesque de la ville. Les surfaces des appartements sont rarement inférieures à soixante mètres carrés, un rêve pour tout Parisien, tout New Yorkais ou tout Tokyoïte en exil dans la capitale allemande.

Or, il se trouve que, seule de nouveau dans ce palais d’un coin populaire de Neukölln, dans le sud de la ville, je me morfonds un peuLire la suite…


Bourru, l’ours berlinois

Le Berlinois ressemble au symbole de sa ville, l’ours : il est fichtrement bourru. L’étranger s’étonne souvent qu’on ne le laisse pas sortir du bus avant d’y entrer, qu’on lui laisse la porte en pleine face dans les grands magasins, qu’on lui jette presque son café à la tête et qu’on le renseigne avec la mauvaise grâce d’un douanier du temps du rideau de fer. Il paraît que ce tempérament acariâtre cache un grand cœur. Comme si l’amabilité n’était qu’un symptôme d’hypocrisie. Petit coup de gueule d’une immigrée Française qui en a marre… de voir les Berlinois faire la gueule.

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Icheu libeu diche!

(Ayez la classe. Dites-lui « je t’aime » sans accent)

Un des symptômes les plus honteux que développent les Français à Berlin est celui-ci : une formelle incapacité à parler l’allemand au bout de quatre ans de « squat » dans la ville la plus cool d’Europe. Si vous en êtes, ne quittez pas cette page, on va vous soigner. Si vous n’en êtes pas, je vous félicite et vous conseille de rester un peu pour vous moquer gentiment des précités.

« Euh, iche meuchte, euh, Kartoffel, euh, nein euh ein Courriwourst mit Seife bitte ». (Euh, une patate, non euh « un » saucisse au savon s’il vous plaît).

Telle est la première phrase que votre humble servante a balbutiée lors de son arrivée en Allemagne, au fameux stand de chez Konnopke, le meilleur vendeur de saucisses au curry de la ville, déclenchant l’hilarité des vendeuses. Les charmantes me montrèrent la savonnette et me demandèrent, rigolardes, si c’était bien ce que je voulais sur ma saucisse. Devant ma confusion, elles rectifièrent:

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Bourru, l’ours berlinois

Le Berlinois ressemble au symbole de sa ville, l’ours : il est bourru. Petit coup de gueule d’une immigrée Française qui en a marre… de voir les Berlinois faire la gueule.



Athènes, rock and fly away

Mariela, 25 ans, rockeuse athénienne.

Génération Berlin a rencontré la génération Athènes. Là où l’on fait la fête à tout péter, pour oublier que les salaires ont été divisés par deux en quelques mois. Là d’où les jeunes fuient à l’étranger, la mort dans l’âme, les poches trouées. Mariela et Antonis sont beaux, jeunes, talentueux et ils n’ont pas l’intention de se laisser abattre. Avant de quitter la Grèce pour tenter leur chance avec leur groupe de rock à Londres, ils m’ont guidée à travers les nuits mouvementées de la capitale hellène.

Athènes, Nouvel An 2012. Sur la place Syntagma, devant le Parlement, plus beaucoup de traces des émeutes qui ont embrasé la ville il y a quelques mois. Les evzones, fameux gardes-automates en jupette plissée, jouent à la relève en bons petits soldats devant des grappes de touristes enchantés. Les Grecs dévalent la rue Ermou, temple moderne du shopping, malgré la crise, malgré les salaires toujours plus bas.

Mariela (25 ans) est mon amie. Je l’ai rencontrée à Berlin en janvier 2011. A l’époque, la belle rockeuse pensait s’installer dans la capitale allemande, avant d’opter finalement pour Londres où elle se rendra avec Antonis (30 ans), son pianiste, en mars prochain. Devant ma perplexité face à ces hordes de consommateurs en dépit de la crise, Mariela m’explique que rien ne pourra faire obstacle à la traditionnelle générosité de ses compatriotes.

Car en Grèce, c’est pour le passage à la nouvelle année que l’on s’offre des cadeaux. Et rien n’empêchera les Hellènes de gâter leurs parents, leurs nièces, leurs femmes de ménage, non, rien… pas même l’Allemagne et ses exigences d’austérité européenne. En témoignent les malls gorgés de consommateurs hystériques et les longues files d’attente pour l’emballage des centaines de parfums, ours en peluches, palettes de maquillage et autres délicatesses pour le palais : nougats, amandes et pistaches recouvertes de sucre cristallisé et délicieux kourabiedes, les biscuits traditionnels de Noël.

Angela Merkel aimerait que nous vivions à la protestante, comme les Allemands, ironise Ourania, une amie journaliste athénienne d’une cinquantaine d’années. Que nous n’ayons plus de plaisir, que nous comptions tout ce que nous dépensons. Mais nous, les Grecs, nous ne voulons pas de cette avarice. On ne vit qu’une fois, souligne-t-elle en levant son verre de vin blanc, pour porter un toast à la beauté éphémère de l’existence.

Mariela et Antonis incarnent à eux seuls la magnifique hospitalité grecque. Pas un soir sans qu’ils ne me fassent découvrir une nouvelle adresse. Ici, les groupes de rock jouent désormais gratuitement pour leur public, raconte Mariela. Ils se rémunèrent sur les boissons vendues pendant le concert. Une méthode pas si bête, puisque les bars rock ne désemplissent pas et la qualité de la musique n’en pâtit pas le moins du monde.

Au fabuleux Six dogs, dans le centre, le groupe Puta Volcano surprend avec un son diablement grunge, mais surtout grâce à la présence électrisante de Luna, sa chanteuse aux cheveux roses, véritable bête de scène. Surprise : le groupe distribuait gratuitement son album, pressé sur CD avec une qualité d’enregistrement excellente, pendant le concert.

Au bar, il m’est impossible de payer une consommation. Mariela et Antonis enchaînent les tournées et se battent pour tendre des billets de banque au serveur. Hospitalité grecque, me disent-ils en riant. Même si Antonis a des dettes phénoménales à la banque. Même si Mariela économise patiemment depuis des mois pour réunir de quoi payer leur voyage à Londres.

Par un jour de ciel bleu, malgré la gueule de bois, nous décidons une excursion au Cap Sounion, où perche le magnifique temple de Poséidon, édifié au Ve siècle avant J.C. Pour la première fois depuis dix jours, un voile de tristesse recouvre les beaux yeux de Mariela. Au volant de sa voiture, elle m’explique sans pathos que son père a vu son salaire divisé par deux.

Lorsqu’il s’est rendu à la banque, on lui annoncé que 1500 euros venaient d’être déposés sur son compte. S’enquérant de l’autre moitié de son salaire, on lui fit savoir que c’était tout ce qu’il y aurait à présent. 1500 euros pour un ingénieur diplômé, bientôt à la retraite, ayant un prêt à rembourser et une famille à nourrir, dans un pays où les loyers sont presque aussi chers qu’en France?

Les deux jeunes rockeurs ont décidé de sacrifier leurs économies pour le voyage à Londres afin d’aider le père de Mariela. On travaillera plus, disent-ils. Mariela n’est pas seulement une chanteuse douée à la voix rauque et sensuelle. La demoiselle est bardée de diplômes. Traductrice grec-anglais, restauratrice-archéologue, et actrice, ayant appris son métier à la très prestigieuse École Nationale d’Art dramatique. Ici, tu n’as pas le choix, m’explique-t-elle. Tu as intérêt à savoir faire un maximum de choses pour pouvoir trouver du travail.

En rentrant de notre excursion, le soleil est toujours haut. Mariela s’emporte contre sa cousine avocate, dont le travail officieux consiste à dissimuler les revenus véritables de ses clients et dont le seul but est de « s’offrir un énorme diamant ». Antonis et Mariela sont un peu tristes. Ils ont peur de ce qui les attend à Londres. Ils sont prêts à travailler très dur, mais Antonis craint une possible xénophobie anglaise à l’égard des immigrés économiques Grecs. Là-bas, ils ne connaissent personne. Leur seul espoir, c’est de pouvoir faire publier leur musique chez ce label qui les a remarqués courant 2011.

Allez, la Grèce. Allez, Antonis, Mariela. Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre. Heureux les solidaires, car ils ne crèveront pas tout seuls. Allez l’Allemagne. Arrête de serrer la ceinture européenne, tu ne l’emporteras pas dans ta tombe.

A écouter:

Mariela & Band – You Are

Et une très belle défense de la Grèce dans Le Monde, ici.


Athènes, rock and fly away

Génération Berlin a rencontré la génération Athènes. Là où l’on fait la fête à tout péter, pour oublier que les salaires ont été divisés par deux en quelques mois.


Veiel ou l’autre cinéma allemand

L’affiche du film « Wer wenn nicht wir » du cinéaste allemand Andres Veiel

Ennuyeux, lent, lourd, le cinéma allemand? Aux yeux de beaucoup Français, en tout cas. Si les cinéphiles se souviennent de Wenders avec des trémolos dans la voix (« il était tellement meilleur dans les années 80 ! ») ou de Fassbinder, le grand public ne connaît que le succès mérité de « La vie des autres ». Et l’Ecole dite Berlinoise, avec ses œuvres intellos, sèches et sombres n’a pas arrangé la réputation des films d’Outre-Rhin. Encore un peu méconnus du grand public gaulois, les excellents films documentaires d’Andres Veiel sont pourtant la preuve que le cinéma allemand est bien vivant. Rencontre avec le maestro à la FilmArche, l’école autogérée de cinéma de Berlin.

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Berlin à poil

Noeud pap’ taxidermique, source ici chez mes copines de Semi-Domesticated

La fourrure et la hype berlinoise ne font pas bon ménage. Les fashionistas de la capitale allemande boycottent les bordures de capuches en coyote et les manchons de vison. J’ai justement le malheur de posséder un manteau en fausse fourrure qui me protège merveilleusement du froid et qui me vaut bien des mésaventures…

Il y a trois ans, quand je me suis installée à Berlin, j’ai eu un coup de cœur pour cette fausse fourrure de seconde main, qui attendait une nouvelle propriétaire depuis les années grises de la RDA sur un cintre poussiéreux, dans une brocante de Prenzlauer Berg. Ma fourrure bidon fait trois fois ma taille, elle hésite entre le gris et le blanc, je peux caler cinq couches de laine dessous et, avantage non négligeable par -5 degrés celsius, elle rend cool et sexy n’importe quelle tenue hivernale, même chaussée de Moon Boots.

En 2009, cette fausse fourrure ne m’attirait que des commentaires bienveillants, ainsi que des regards masculins empreints d’amabilité. En 2010, sans que je comprenne comment, la tendance s’est renversée. Dans le métro, je recevais des coups d’œil obliques, observais des hochements de tête négatifs. Un type me lança un jour: pauvre bête! tu n’as pas honte? ce qui me fit violemment monter la moutarde au nez.

Et toi, tes pompes, c’est pas de la vache peut-être?

Oui, mais ce n’est pas pareil, parce qu’on la mange aussi.

Eh bien moi, je bouffe du vison, rétorquai-je sottement, au lieu de lui répliquer que ma fourrure était fausse.

En passant devant le nouveau café végétarien de Neukölln, la serveuse me suivit d’un regard haineux derrière son comptoir à gâteaux sans œufs ni traces de coquilles de noix et je remarquai sur la porte un panneau écrit à la main: « Ici, les vêtements en fourrure ne sont PAS les bienvenus ». Bon ça va, j’ai compris. La haine du poil est partout, même s’il est synthétique.

Cette année, quand les frimas ont débarqué, je ne savais que faire devant ma bien aimée fausse fourrure. Te sortirais-je, ne te sortirais-je point? marmonnais-je perplexe. Dois-je céder au racisme anti-poil? Évidemment, je n’en fis rien. Il n’est pas encore né, le Berlinois donneur de leçons qui m’empêchera de me revêtir de ma peau d’hiver. Et puis flûte, un peu de provoc ne nuit jamais. Allons montrer ce que nous avons dans le bide à ces fachos du politiquement correct, murmurai-je à mon cher manteau avant de le glisser, réconfortant comme une peluche géante, sur mes épaules frigorifiées.

Deux amies suédoises, stylistes super branchouilles de Berlin, venaient juste de poster sur leur mur facebook: « NO FUR FASHION! » Ah, les garces! J’en fis fi, sortis la tête haute et décidai même, pour m’amuser, d’aller bouffer des crêpes vegan chez ma copine Diana au Sing Blackbird. Ce que ce serait marrant de voir les tronches déconfites de ses clients macrobiotiques élevés au grain devant mon insolente pelisse!

Je dus d’abord braver l’épreuve du métro, un moment toujours difficile pour une femme vêtue d’une peau de bête à Berlin. Je m’assis exprès près d’une jeune fille sur l’épaule de laquelle pendait un sac « FESTIVAL DU CINEMA ECOLOGIQUE D’ALLEMAGNE ». Sans tarder, la pintade me lança un regard à la fois indigné et épouvanté. Je sentais glisser sur mes poils synthétiques ses yeux qui lançaient des éclairs d’affolement. Si elle avait pu tirer la sonnette d’alarme pour arrêter le train et me faire descendre de force par les contrôleurs, elle l’aurait fait, sans aucun doute. Ma pelisse et moi, on se marrait d’un rire chaud et par en-dessous, comme un ours en hibernation qui rêve d’une bonne blague à faire au printemps.

Arrivée au Sing Blackbird, je me suis régalée des cris d’orfraie que poussait mon amie Diana, avant qu’elle ne s’aperçoive que mon manteau était issu d’un castor imaginaire et me serre dans ses bras, de soulagement. Devant mes délicieuses crêpes, je comptais les remarques désobligeantes murmurées sur la nature de mon manteau par des hipsters anglo-scandinaves à lunettes vintage et mèche faussement bordélique. Leurs petits pantalons moulants, leurs robes genre décalées, leurs chaussures compensées beige, rachetées à une grand-mère sur un marché aux puces un lendemain de nuit de défonce en club, me donnaient un peu envie de leur faire manger leur bonne conscience.

Et ton slip, il ne serait pas fait par un enfant au Bangladesh, par hasard?

Mais bon, je me taisais, sachant fort bien que ce genre de propos renforcerait ma réputation de Française chercheuse de noise dans ce Neukölln un peu trop bien peigné, qui commence à me filer de sérieuses pulsions de distribution de claques.

Ma pelisse et moi, on fend la bise en toute amitié, le poil brillant dans les rues de Berlin, et que celui qui vienne me faire la nique aille s’acheter des vêtements polaires polluants plus loin! Et tiens, puisque la provocation était réussie, j’ai ressorti la toque en fourrure, vraie celle-ci, héritée de mon aïeule polonaise. Et toc! Berlin au poil!


Berlin à poil

La fourrure et la hype berlinoise ne font pas bon ménage. J’ai justement le malheur de posséder un manteau en fausse fourrure qui me vaut bien des mésaventures…


Berlin à la baguette

Le sushi peut-être une madeleine de Proust. C’est en découvrant une bonne adresse de restaurant de sushis à Berlin qu’un flot de souvenirs assez ridicules a affleuré à la surface de ma conscience. La mémoire est une eau dormante et profonde dans laquelle pataugent plein de sushis, pardon de soucis, et de choses un peu pathétiques qu’on aimerait bien avoir oubliées pour de bon.

J’adore les sushis et Berlin n’en est pas la capitale. Mon ami Auguste, qui a récemment passé un mois à Berlin, est un Francais sushivore. En quête du meilleur sushi de la ville, il a testé une bonne demi-douzaine de restaurants à makis spongieux, à sashimis élastiques et à wasabi neurasthénique. Tout comme à Paris, la plupart des restos de sushis berlinois sont tenus par tout sauf par des Japonais. Dans la cuisine, la patronne engueule son chef en coréen et dans la salle, n’essayez pas de parler nippon au serveur: il est vietnamien de cinquième génération et a oublié où se trouve Hanoi sur la carte du monde.

Quelle joie, donc, de découvrir le merveilleux petit restaurant Tabibito, où m’ont emmenée deux charmants Berlinois la semaine dernière. C’est derrière une vitrine qui ne paie franchement pas de mine, dans un quartier populaire de Neukölln où l’on s’attend à tout sauf à trouver un resto de sushis vraiment authentique, que loge Tabibito* et son aimable cuisine du Pays du Soleil Levant. Celle-ci ne se limite d’ailleurs pas aux classiques assortiments de sushis, offrant au gourmet amateur de saveurs astringentes et sucrées-salées des poissons cuits, des légumes frits ou marinés et des salades d’algues tous plus sympathiques les uns que les autres. Le service, familial et charmant, opère prestement depuis vingt ans (!!!) dans un décor cosy de petites tables entourées de murs de papier de riz.

Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez utilisé des baguettes ? Et de celle où l’utilisation de ces mêmes baguettes était destinée à forcer l’entrée d’un nagiri de la taille d’une baleine dans votre bouche délicate ? Moi, je m’en souviens comme si c’était hier.

J’avais vingt ans et un milliardaire américain s’était mis en tête de me faire goûter à la cuisine de tous les meilleurs restos de Paris. Nous nous étions rencontrés à la terrasse d’un café. Il m’avait abordée parce que je lisais en anglais La trilogie new-yorkaise de Paul Auster. Bien que ses intentions fussent certainement peu recommandables pour une damoiselle de si jeune âge, il savait les dissimuler avec une facilité redoutable derrière d’innocentes invitations à dîner. Patron d’une grande banque de fonds de pension (sic), il s’emmerdait ferme l’été à Paris. Moi aussi. J’étais en stage dans le bureau vide d’une grande maison d’édition, mon amoureux parti au pays chez ses parents de Transylvanie, tous mes amis sur la plage.

Mes premiers sushis, c’était donc en sa compagnie, dans l’un des meilleurs restaurants japonais de Paris. Drapée dans une robe de soirée empruntée à ma mère, je frissonnais d’épouvante devant le plateau de sushis et son absence flagrante de fourchette. Le milliardaire me montra la technique qui consistait à attraper le sushi avec adresse entre deux baguettes et à l’enfourner d’une pièce dans le gosier. Enfer et damnation ! Lorsque, tremblante, je saisis le pauvre saumon allongé sur son lit de riz collant, la bête glissa entre mes baguettes et  fut propulsée à travers la salle avec un léger bruit gluant… Un sushi à trente-cinq balles, bon sang !

Plus tard cet été là, l’éditrice chez laquelle je faisais mon stage m’invita à déjeuner dans un petit resto de sushis près de l’entreprise. Ayant appris à manier la baguette avec un peu plus d’assurance grâce aux démonstrations du milliardaire ricain, j’acceptais l’invitation avec panache. Au moment délicat de discuter de mon souhait d’être embauchée par cette maison prestigieuse, je m’emparai de toute la boulette de wasabi et l’engloutis d’un coup (pourquoi ai-je fait cela ? je me le demande encore). L’éditrice, femme du monde, me regarda avec des yeux ronds comme des billes mais ne commenta pas. Ce n’est que lorsque je devins de la couleur du soleil levant lui-même qu’elle fit apporter en urgence une carafe d’eau que je dus intégralement boire sous ses yeux, en proie à une tachycardie assortie de petits cris de hamster, qui réduisait mes efforts pour prouver ma valeur professionnelle à néant.

C’est pour oublier ces souvenirs gastronomiques peu reluisants que je me suis consolée à coups de saké chaud chez Tabibito, pendant que mes compères descendaient du saké froid dans des tasses en bois carrées, à la bordure recouvertes de sel. Le jeune serveur, devant notre engouement croissant pour sa cuisine familiale, nous fit le grand plaisir de nous offrir un plateau de sushis supplémentaire. Nous avons quitté cette adresse on ne peut plus recommandable en zigzagant dans la nuit berlinoise, des accords de shamisen plein les oreilles et les neiges éternelles du Fuji dans les yeux.

*Tabibito, restaurant japonais, Karl-Marx-Strasse 56, 12043 Berlin, +43 30 6241345