Yves Tchakounte

Cameroun : Les conséquences du déclin de l’engagement citoyen

20790_812079115535013_6124794667341583308_nLe Cameroun souffre cruellement d’une crise de la citoyenneté. Nos villes font chaque jour les frais d’un sabordage, d’une irresponsabilité criarde de ses populations du fait de son désintérêt qu’elles ont de sa préservation, de sa protection. Ce désengagement finit par être considéré comme une désinvolture qui devient à son tour assimilable à un vandalisme tout court.

Un homme bien fringué et surpris en train de jeter les peaux de banane dans la rue ou de pisser dans la broussaille sont des images banalisées et considérées désormais comme naturelle. Inutile de préciser que cet homme sort d’une maison où se trouvent une poubelle et des toilettes. Il préfère se soulager dans l’environnement puisque c’est devenu naturel de faire pipi à-tout-vent, de jeter la saleté à même le sol en présence d’un bac à ordures, de brûler vif un homme juste pour soupçon de vol, de donner un billet de banque à un agent de police pour défaut de pièces, de saborder les espaces publics comme l’éclairage et les jardins public, etc.

La population jeune, à tort ou à raison, est ici la plus concernée dans cette histoire de vandalisme qui lui est attribuée. La jeunesse, constituée à plus de 75% de la population camerounaise de moins de 30 ans, est indexée par la société pour sa désinvolture caractérisée de la chose publique. C’est elle la plus concernée puisqu’elle est la couche de la population la plus désœuvrée, la plus clochardisée et la plus malfamée. Exactement comme le fait souvent la France quand elle veut trouver un bouc émissaire sur ses maux en doigtant les banlieusards. Je m’interroge juste pour cette jeunesse un peu hagarde ; pour cette jeunesse à qui l’on fonde tout espoir et qui à leur tour ne montre aucun signe pour nous donner des raisons d’espérer. Je vais, dans ce billet, me limiter juste à trois exemples de faits pour vous montrer comment, malgré le vers qui est dans le fruit, il faut toujours se garder de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Une école qui ne rassure plus les enfants

Pulchérie Menegueu est cette camerounaise qui s’active, comme beaucoup de ses compatriote, à la formation des jeunes enfants. Cette activité d’institutrice-formatrice lui donne la possibilité de côtoyer la fine couche de cette catégorie de personnes qui représente l’avenir d’une nation. Au cours d’une curieusement conversation engagée avec une fillette de la classe du CE2 ne sachant ni lire, ni écrire, il en ressort ceci :

– Que veux-tu devenir quand tu seras grande ?
– Rien.
– Comment ? Tu ne veux pas devenir institutrice, ou médecin ?
– Non.
– Mais, que feras-tu donc, une fois grande ?
– Je ne sais pas.

Il devient évident qu’une enfant ayant atteint le niveau du Cours élémentaire, doit avoir environ 7 à 9 ans et par conséquent doit au moins savoir lire et écrire ne serait-ce que son nom. Cette enfant est-elle responsable de ce qui lui arrive ? Bien sûr que oui, elle en est responsable. Puisque lorsqu’elle sera grande et qu’elle sera confronté aux vicissitudes de la vie, la société lui reprochera toujours d’avoir négligé ou fui l’école pour se lancer dans la débauche. Les arguments de ce genre sont facilement entendus de nos jours de la bouche de ceux qui pensent que la jeunesse ne doit s’en prendre qu’à elle-même. Nous sommes dans une société où l’anormalité devient la norme, où la corruption devient un système de gouvernance, où la course effrénée à l’abondance matérielle est un signe de bien-être absolu, bref une société où la vertu a foutu le camp. Dans un contexte comme celui-là, comment alors réveiller l’imagination de ces jeunes qui manquent de tout et ne rêvent qu’au jour où ils pourront se coucher avec le ventre plein ?

Comment peut-on être au CE2 sans savoir ni lire, ni écrire ?

11143151_818956091513982_8270930712245090724_nBonne question. Ici se trouve résumer toute la peine et la douleur qui me suffoquent chaque fois que je pense à mon pays. Ici est décrit avec une truculente simplicité, le mal camerounais. Au Cameroun, le rêve est puni par la peine de prison pour les adultes, sinon par l’assassinat pour les enfants. Voilà pourquoi en 2015, une petite fille du CE2 à Yaoundé, préfère ne rien rêver, et en conséquence ne sait ni lire ni écrire. Comme la plupart des enfants de ce pays, elle est réaliste, très réaliste même, sinon elle va mourir.

Nous sommes en 2015 et voici par exemple une école maternelle à Yaoundé et située plus précisément à Ekié où fréquentent les enfants âgés entre 4 et 5 ans. Madame le maire d’Ekié à Yaoundé IV a envoyé cependant 20 millions de Fcfa à l’Extrême-Nord pour dit-on encourager le chef de l’Etat dans sa lutte brave et courageuse contre Boko Haram. Au sommet, pendant ce temps, le chef de l’Etat, selon le quotidien Le Messager du 20 avril dernier, dépense un milliard de Fcfa pour « un bref séjour à l’étranger » dans un luxueux hôtel genevois, on arrête tous ceux qui rêvent de devenir présidents de la république, et les met en prison. « Ciel de boue », disait Césaire. Dans ce pays, la petite est déjà sage de rêver de ne pas rêver ; de rêver de ne rien devenir, ce serait sans doute encore mieux si elle n’apprenait ni à lire, ni à écrire.

En conclusion, savoir lire et écrire c’est mettre le régime, le système et le pouvoir politique en danger. C’est se tirer soi-même une balle dans le crâne. Donc, en 2015 c’est le résumé parfait du rêve de la grande majorité des enfants au Cameroun. Pour le voir il suffit juste de descendre dans les chaumières qui les abritent, de s’assoir à même le sol avec eux, et de bavarder, simplement bavarder. En cessant de rêver, ils ont, malgré leur âge, tout perdu, pour la plupart. Ils veulent juste manger car les repas et ne rien faire d’autre. Juste manger, boire et dormir en toute tranquillité même sans avoir travailler.

On ne force pas la citoyenneté

Douala vit, depuis presque un an au rythme des journées de propreté instituées par les sous-préfets et les maires d’arrondissement et programmées les jeudis ou les mercredis selon les arrondissements de la ville. L’insalubrité criarde de la ville et l’incivisme de la population furent les motifs majeurs de ces journées instituées pour susciter chez tout le monde cette propension à la protection et à la préservation de l’environnement immédiat. Pendant deux ou trois heures, de 7H et 10H, chaque commerçant doit venir comme d’habitude, pas pour ouvrir, mais pour faire la propreté devant son magasin et autour de son environnement. Ces journées imposées en grande pompe de publicité n’ont eu pour seul effet que de permettre aux commerçants de se donner un congé sabbatique en prolongeant leur grâce matinale. Ils débarquent juste à 10H pour ouvrir boutiques et magasins en ignorant éperdument ces mesures instituées pour la bonne cause.

Aujourd’hui, on en est à se demander quel est même le sens de ces journées de propreté ? Peut-on imposer le service civique ou la citoyenneté à un peuple qui n’a plus confiance à ses leaders politiques, à ses autorités administratives ? Peut-on imposer la conscience civique à un peuple qui n’a seulement que trois soucis : Manger, boire et dormir ? Un peuple qui évite de penser politique, de mener des actions en faveur de la bonne gestion, la bonne gouvernance de sa cité, bref de penser à son avenir, de rêver, a-t-il conscience des enjeux de sa société ? Car dans ce pays-ci, il suffit justement d’avoir des ambitions politiques et hop, vous vous retrouver en interrogatoire serré à la gendarmerie. Et ça se passe comme un jeu d’enfant.

C’est par crainte que les camerounais évitent de se mêler de la politique, donc de se mêler des affaires de la cité à tel enseigne que la désinvolture a pris le pas sur la citoyenneté, l’engagement civique et politique. C’est comme si on avait affaire à un peuple désespéré qui a fini par avouer son incapacité à se défaire de cette vermine de la tyrannie en disant : « Si votre souci c’est de rester au pouvoir, Eh bien, faites du Cameroun ce que vous voulez. Mais laissez-nous manger, boire et dormir. Juste ça ». Même les alertes des journalistes, des syndicalistes et des défenseurs des droits de l’homme sur les risques de la dérive ne font plus frémir ce peuple si hagard qu’on aurait dit fébrile, nonchalant et inerte. Ce peuple-là oublie justement que, bien que ce soit la conservation du pouvoir qui est le but de la tyrannie, la disette en est la conséquence la plus retentissante : Remember février 2008.

Idées et texte : Tchakounté Kemayou, Patrice Nganang, Bernard Takou, Samuel Ndong


L’hypocrisie et l’orgueil démesuré des chrétiens (2)

desous… Il est courant de voir ce chrétien mener une vie au-dessus de la moyenne. Il oublie justement qu’il a une vie privée à gérer, des ressources familiales à conserver pour le bien de tous. Il est obnubilé par des promesses fallacieuses et est prêt à demander la bénédiction pour la bonne marche de son business alors que…

… Ses employés n’ont pas de salaire depuis des mois

Comme il m’arrive souvent d’assister aux cultes les dimanches quand ça me chante, je rigole toujours devant des situations de pures hérésies. Parfois c’est un jour de culte spécial fait au nom d’une élite qui demande une prière pour le succès de son business, ou alors d’un simple culte qui se termine par la remise des dons pour la rénovation, la réhabilitation ou la construction d’un édifice pour, disent-ils, « le bon fonctionnement de la paroisse ». Parfois c’est la maison du pasteur qu’il faut construire, le forage à aménager, l’électricité ou la peinture à faire ou même la voiture du pasteur à acheter. Tout un tas de trucs dont les pasteurs ont l’art d’imager pour mener une vie douillet au détriment des pauvres ouailles. Généralement se sont des jeunes désespérés à qui on promet mont et merveilles par la grâce de Dieu et non pas par le combat pour affronter les dures réalités du chômage.

Pour être plus explicite, j’ai un jour eu l’honneur de voir un patron que je connais bien déposer en don un pactole de quelques millions alors que quelques jours ou quelques heures auparavant, les employés de sa PME faisaient du sit-in devant ses bureaux pour réclamer leurs salaires non payé depuis quelques mois. Un simple coup de fil à la police ou à la gendarmerie a réglé l’affaire en dispersant les grévistes par des intimidations du type : « troubles à l’ordre public ». Parfois même, le grand boss n’a pas besoin de ces forces de l’ordre. Il suffit qu’il brandisse une probable menace de licenciement du genre : « Si vous ne voulez plus travailler, démissionnez tous, j’ai plein de demande d’emplois sur ma table ». Cela suffit aussi pour que tout le monde se jette à la besogne craignant de se retrouver dans la rue un de ces quatre matin. Il va même jusqu’à corrompre les inspecteurs du travail qui vont à leur tour tenter d’intimider aussi les grévistes en brandissant les lois que lui seul sait manier malicieusement. Que faire sinon que de cesser le sit-in ? Dans une société où la corruption est érigée en vertu et où l’emploi est une mine d’or qui ne tient que sur un fil d’Ariane, le choix est vite fait : supporter et travailler même sans salaire. La situation pourrait changer un jour. On ne sait jamais. Pendant ce temps, les pasteurs sont aux anges et ignorent souvent que les dons qu’ils reçoivent sont les fruits du travail des pauvres qu’on a exploité pour venir faire le « m’as-tu vu ? » à l’église. Le pire est qu’il y a même des pasteurs qui le savent et ne se soucient pas de ceux pour qui ils servent l’église au point d’oublier même les enfants. Alors que…

… Jésus a montré lui-même l’exemple

Raphaël est un petit garçon de six ans. Toujours jovial comme personne n’aurait imaginé. C’est le fils du voisin, Marcel, pour qui j’ai un profond respect de par sa stature de magistrat. L’assiduité aux activités paroissiales a fini par rapprocher ma famille et quelques voisins les plus proches. Rapha, de son petit nom, est un habitué des visites inopportunes. Chez nous, il est devenu presque un enfant de la famille. Même chez d’autres voisins, c’est pareil. Un jour de l’après-midi très ensoleillé, allongé à même le sol pour ressentir la fraîcheur des carreaux, je suis surpris par un cri trident provenant de chez Marcel. Ce cri ne m’était pas habituel depuis que j’habite ce quartier résidentiel de Douala. Je viens aux nouvelles et j’apprends curieusement que Rapha pleure pour un poisson braisé qui lui a été refusé. Que s’est-il passé ?

Comme d’habitude, Rapha a atterri par hasard chez un voisin, le prénommé Benoît. Celui-ci avait eu la visite surprise du curé de la paroisse du coin. Lors du déjeuner servi à son hôte, il a fait fi de remarquer la présence du petit garçon qui observait tranquillement. Nul doute qu’il espérait quelque chose. Après que le pasteur ait vidé tout le couvert, sans oublier la bouteille de vin rouge qui était bien au frais, Rapha est sorti et a donc déclenché ce cri qui m’a fait sursauter. Il hurlait et courait dans tous les sens. Dès qu’il arrive à la maison, sa pauvre maman veut s’enquérir sur ce qui arrive à son fils en vain. Olivier, le fils de Benoît, qui suivait Rapha dans sa course folle, débarque aussi et crie à tue-tête en s’adressant à son copain de voisin en disant : « Rapha, vient, papa t’appelle. Viens manger » et au pleurard de répondre avec une colère démesurée : « Laisse-moi, laisse-moi ». Sur le coup, tout le monde a compris ce qui s’était passé. Il a fallu l’intervention de Benoît qui a plutôt choisi de venir lui-même avec un plat bien garni pour calmer le petit Rapha qui, selon moi, avait raison.

Ces attitudes banales sont loin d’être anodines et cette manie de réserver les choses les plus juteux aux hommes de Dieu est récurrente chez les chrétiens. Une sœur aînée pour qui j’ai le respect pour son engagement dévoué et passionné à la religion catholique a désormais pris le plaisir de recevoir les hommes de Dieu chez elle en les mettant au petit soin. Je ne suis pas contre le fait de réserver ce qu’on a de meilleur dans son grenier aux hôtes qui vous sont chers. Il serait inutile d’attendre la bénédiction du Très Haut si vous êtes incapables d’accorder à vos proches la même attention. Le pasteur qui mange en présence des enfants et qui ne les invite pas à sa table est-il digne d’être considéré comme un homme de Dieu ? Pourquoi les chrétiens pensent-ils naïvement que Dieu bénira cet acte aussi ignoble ? Pourquoi sont-ils si aveuglés par cet homme de Dieu qui n’est d’ailleurs qu’un simple homme ? Pourquoi pensent-ils que la bénédiction du pasteur qui a bien mangé et bien bu les amènera tout droit au Paradis, s’il existe même ? La réponse à ces questions, est toute simple. Elle se trouve dans notre histoire. Oui, oui, encore l’histoire coloniale. Elle nous suit et nous suivra toujours, coûte que vaille.

Le mythe de l’homme Blanc, homme tombé du Ciel

Je me rappelle d’une histoire que nous avaient contée mes instituteurs de l’école primaire et qui faisait allusion au nom que les autochtones Douala et premiers à avoir aperçu les Blanc dans un bateau donnaient à ces étrangers. Ces paysans prirent d’abord peur et avec le temps, et par naïveté, ils se rendirent compte que ces hommes à peau blanche étaient des hommes extraordinaires, des « hommes de l’eau », après ils les appelaient des « hommes tombés du Ciel ». Cela est compréhensible surtout pour ces paysans qui n’avaient jamais imaginé qu’il existe des êtres humains de peau blanche, encore moins des êtres humains qui pourraient venir de l’autre côté du fleuve. Cette situation a heureusement été favorable à ces blancs donc l’objectif était justement de dompter ces paysans en leur donnant l’impression d’être vraiment des hommes exceptionnels. C’est de cette manière que les prêtres catholiques ont réussi à pénétrer les contrées les plus reculées pour s’implanter. Ces pasteurs n’ont donc pas fait de miracle pour extorquer, oui je pèse bien mes mots, extorquer des centaines d’hectares de terrains aux camerounais qui pensaient et pensent toujours bien faire. Pas de surprise donc à constater que, après l’État, les catholiques sont les plus grands propriétaires fonciers. Pourtant l’accès dans les écoles, les dispensaires et autres dont les capitaux viennent des dons et des dîmes des chrétiens et des des paysans, n’est pas du tout gratuit. Je vous fais fi de toutes les conséquences néfastes que cette religion a faites et continue de faire au Cameroun, et même en Afrique. Cet esprit de supériorité de l’homme en soutane demeure ancrer dans les esprits jusqu’aujourd’hui à tel enseigne que le mythe de l’homme Blanc a traversé les frontières de la race pour que même les Camerounais se confondent dans la nasse pour être considéré, à la limite, comme des demi-dieux.

Ces pasteurs et églises ont toujours bénéficié des privilèges à n’en point finir et qui s’avèrent aujourd’hui être la source des frustrations de certains fidèles qui pensent que ces pasteurs des religions chrétiennes ne sont simplement que des escrocs qui utilisent la naïveté des uns et l’hypocrisie des autres pour assoir leur hégémonie de la philosophie judéo-chrétienne.

… et le mythe de la croyance judéo-chrétienne

L’hypocrisie la plus criarde des chrétiens Camerounais demeure dans les pratiques religieuses qui veulent que le chrétien ne doit, en aucune façon, se plier aux injonctions de la coutume ancestrale qui est considérée comme des pratiques sataniques. A la lumière du billet d’un petit écolier qui emmerde les chrétiens, je me souviens avoir entendu de la bouche d’un pasteur au cours d’un culte que le bon chrétien ne doit pas se mettre au service des rituels traditionnels comme « le culte des crânes » comme le fait le peuple Bamiléké de l’Ouest du Cameroun. Pourtant, beaucoup de chrétiens le pratiquent le jour comme la nuit, au vu et au su de tout le monde. Certaines élites qui se disent chrétiens sont des notables de la cours royal de leur village d’origine. Que va-t-on alors dire du Roi qui est lui-même un chrétien alors que les lois coutumières stipulent qu’il est le gardien de la tradition ? Que vont devenir ces religions africaines qui se voient délaissées, je dirais même hantées par ceux qui sont supposés les garder, les protéger ? Hypocrisie, comme tu nous tien.

Tchakounté Kémayou


L’hypocrisie et l’orgueil démesuré des chrétiens (1)

dyn003_original_350_234_pjpeg_2623717_2ae56e93d3e67fef47120c7eae66f372Qu’il me soit ici permis, après une semaine pascale d’euphories et bien remplie et chargée de symboles bibliques, de condamner véhément ces contradictions récurrentes dans la vie quotidienne que mènent les chrétiens. Ces comportements qui ne dateraient pas d’aujourd’hui, sont malheureusement liés à cette tendance doctrinale qui inhibe toute rationalité pour laisser la place à l’émotion. Selon la Bible, Dieu -le créateur du Ciel et de la Terre et même de l’Univers- nous a créé à son image et nous a doté du libre arbitre. Quel est le sens que nous devons alors donner à nos actions ? En d’autres termes, quel doit être le mobile de nos actions, ou encore qu’est-ce qui doit commander nos actions : Dieu ou la pensée ? La réponse à ces questions paraît évidente chez les chrétiens pour qui c’est la spiritualité qui sauve l’âme. Elle est donc libératrice. Mais, paradoxalement…

…« Si vous cherchez le meilleur endroit où règne la dictature, aller dans les églises »

Il faut d’emblée signaler que le présent billet vise en général toutes les religions sans distinction même si ce sont les chrétiens et plus particulièrement les catholiques, les protestants et les nouvelles églises dites de réveil, les enfants d’un même père bien qu’ayant les mères différentes, qui vont faire l’objet de ma diatribe. Il s’agira pour moi de dénoncer avec force des attitudes quotidiennes qui ont l’air d’être banales et dont les conséquences allient, à la fois, de l’indifférence au mécontentement, de la pitié à la frustration et de la déception à la démission voire à l’athéisme total des partisans invétérés de l’esprit critique. Ne peut-on pas alors rejoindre K. Mars pour qui « la religion est l’opium du peuple » ?

Ces actes banals et quotidiens révèlent au grand jour comment la spiritualité est opposée à la rationalité. Quel est même ce Dieu des chrétiens qui interdit à ses créatures de mieux le connaître ? En d’autres termes, comment peut-on le connaître sans raisonner ? A quoi servirait la raison dont il nous a fait grâce pour affronter les défis spirituels en ces temps modernes où les dangers peuvent se retrouver même dans des endroits les plus insoupçonnés ? Pour couper court à ces lancinantes interrogations, j’ai fini par comprendre, sans être prétentieux, les raisons pour lesquelles la religion est devenue le lieu où se cachent les gens malintentionnés. C’est là tout le fondement de la religion, à mon avis. C’est aussi ici que les concepts d’extrémisme et de terrorisme, avec les dernières actualités à l’Université kényane de Garissa, trouvent toute son importance. Cette rationalité qu’on interdit en milieu religieux, est probablement, la source de l’extrémisme dont les conséquences, à la lumière de Guillaume Djondo dans un billet fort captivant intitulé « L’amour, moi et la foi », trouvent leur nid dans l’intolérance :

Aucun droit de réponse, aucun droit de critique, aucun droit de soulever le voile sur des contre-vérités, aucun droit de contester les décisions qu’on vous impose, aucun droit de se soustraire aux cotisations même si vous n’en avez pas les moyens. Bref… Il n’y a aucun droit existant. Il n’y a que des devoirs dans les ministères. Ce qui est regrettable, c’est que ces façons de museler les fidèles les abêtissent, leur ôtent tout discernement, les rendent fanatiques.

On est prêt à tout pour l’église au nom de Dieu au point, non seulement, de se donner la mort, mais pire de la donner aux seùblables au nom de celui dont on est sensé servir.

Les plaies sociales sont tellement profondes à tel enseigne que la solution la plus efficace et la plus urgente ne viendra pas seulement en amont comme l’a si bien souligné fort opportunément Jean Hubert dans « Kenya : nouvelle folie des shebabs, 147 morts », mais aussi en aval dans le changement des comportements des ouailles par l’éducation ou la formation de ce que j’appellerai « Le nouveau type de religieux ». L’objectif de ce billet n’est pas de développer toute une théorie philosophique sur cette problématique, mais de présenter, comme les sociologues savent si bien le faire, quelques exemples non exhaustifs de comportements atypiques, caractériels et contradictoires qui m’horripilent au plus haut point quand j’y pense en cogitant sur les maux de notre société. Mais, avant d’y arriver, un petit mot sur le concept du sacré.

Les ministres de cultes sont-ils des hommes ordinaires ?

Pour répondre à cette question, je vous propose une autre qui faciliterait mieux ma démarche : La religion chrétienne est-elle une institution sacrée ? Sans hésiter, la réponse est toute simple comme la question elle-même : Oui, puisqu’elle est divine, comme toutes les religions, d’ailleurs. En même temps, qu’allons-nous dire du mariage ? Qu’il n’est pas aussi sacré ? Pourtant, il l’est, justement. Pourquoi la religion chrétienne s’opposerait-elle à la rationalité alors que dans le cas du mariage, il revient à chacun de choisir librement, en toute âme et conscience, son ou sa partenaire, son régime matrimonial, son lieu de domicile, le nombre d’enfants, etc. ? Bref, sauf si je me trompe, je ne trouve pas de décisions prises dans le cadre du mariage et qui ne feraient pas appel à un jugement de valeur, petit soit-il.

En Afrique, et peut-être aussi ailleurs, la religion est donc, par excellence, un domaine sacré où ceux qui tiennent le rôle de guides des ouailles, de ministres de culte chez –peu importe le nom qu’on donnerait à ces gens que j’appelle des prédicateurs– sont considérés comme des hommes infaillibles, pour ne pas dire des hommes « parfaits ». Cette règle, ou mieux cette coutume qu’ont des églises de considérer les affaires de Dieu comme des choses taboues, des choses auxquelles aucune opinion n’est permise, me laisse toujours perplexe. Les hommes de Dieu, les ministres de cultes, les pasteurs, ou les prêtres ont toujours été ces personnes à qui une âme en peine ou un secret peuvent être confiés sans crainte et pire encore des personnes à qui tous les privilèges, du plus luxueux aux plus sacrés, sont accordés parfois au détriment de ceux pour qui leur mission pastorale doit s’exercer. Et cette question qui est toujours restée sans réponse me hante l’esprit chaque fois que je cogite : la religion confère-t-elle ses attributs de sacré aux hommes qui les dirigent ? Autrement dit, les hommes de Dieu sont-ils des personnes moins infaillibles que les hommes ordinaires ? Pour faire simple, prenons la citation célèbre d’un philosophe qui disait à juste titre : « Les hommes sont mortels, Socrate est un homme, donc Socrate est mortel » et faisons maintenant une digression et nous obtenons la citation suivante : « Les hommes sont faillibles, les pasteurs sont des hommes, donc les pasteurs sont faillibles ». Même comme cette vérité paraît évidente pour tout le commun des mortels, pour les chrétiens par contre, dans les faits, ce n’est pas du toujours le cas.Tenez par exemple : le verset biblique selon lequel…

…« Qui donne aux pauvres prête à Dieu »…

… Ne trouve pas toujours un écho favorable chez ces chrétiens qui préfèrent tout donner, même leur vie, au pasteur au nom de l’église, donc de Dieu. Pour les habitués des milieux chrétiens comme moi, il devient très courant d’être confronté aux comportements et agissements de ceux dont la prétention est d’être plus juste. Les chrétiens ont rarement cette culture de la distanciation de leurs activités religieuses avec celles liées à leur vie professionnelles et familiales ou privée. La confusion est telle que la religion devient une priorité pour eux. Loin de moi la prétention de les juger, mais juste que ce comportement donne à penser que secourir un malade, un orphelin, un handicapé ou soutenir un jeune ambitieux qui veut sortir du chômage ou je ne sais qui d’autres, est moins important que donner la dîme à l’église.

Un chrétien aisé aime se faire courtiser par ceux qui ont besoin de son coup de pouce. Cet orgueil malicieux semble faire son affaire car ça lui donne l’impression d’être un homme important voire indispensable. Au lieu de s’en tenir à ce confort psychosociologique que lui confère la théorie des besoins de Maslow, il en profite par exemple pour montrer son muscle buccal par un coup de gueule à son jeune frère cadet venu solliciter son soutien :

Tu crois que je ramassage l’argent-là ? Vous les jeunes d’aujourd’hui, vous ne voulez rien faire et vous croyez que la vie est facile ? Lorsque grand-mère était hospitalisé tu n’as pas eu le temps de lui rendre visite et comme si ça ne te suffisait pas, tu as bouffé son argent de tontine qu’elle t’avait supplié d’aller remettre à sa copine. Voilà encore sa tension qui a recommencée depuis l’autre jour, tu es même au courant ? Brice (le fils de l’homme chrétien, ndlr) a appelé hier pour dire qu’il faut renouveler sa carte de séjour en France et sa rentrée académique me coûte 2 millions de Fcfa chaque année… On ne voit ta grosse tête que quand tu as besoin de sous. Fainéant. Quitte devant moi. Ne t’hasarde même plus à m’approcher. Sorcier.

Bref, tout un tas de trucs blablablas dans le but de rabrouer le pauvre petit qui finit par comprendre qu’il a cogné à la mauvaise porte et qui, le dimanche suivant, est surpris de voir ou d’entendre les nouvelles selon lesquelles son frère aîné qui se plaignait de manquer des sous a fait un don au pasteur. On refuse le soutien à ce jeune parce qu’il a commis des fautes graves comme si le pasteur ne pourrait être coupable de rien. On ferme les yeux sur les fautes graves du pasteur qui rackette sous le couvert de l’église mais on les ouvre pour voir celles de son frère, son voisin, l’inconnu et je ne sais qui d’autres. Des comportements de ce type sont légions et je suis chaque fois amusé de voir des scènes spectaculaires où un chrétien donateur s’exalte et s’exhibe devant l’autel pour que le public sache que c’est lui qui a donné plus ou encore c’est lui qui est le préféré du pasteur. Celui-ci, à son tour, ne tarde pas à prendre le micro pour lui rendre la politesse en l’élevant par des louanges à travers un message que seul un escroc a le secret : « Chers frères et sœur en christ, voici un homme exemplaire. Faite comme lui pour mériter la grâce du Seigneur ». Et pourtant…

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Tchakounté Kémayou


Nigeria : la leçon de Jonathan à Laurent

Pour la première fois dans l’histoire, la plus grande puissance économique africaine vient de connaitre une alternance politique démocratique : un président en exerce est « chassé » du pouvoir par les urnes. Cette alternance qui est la chose la moins partagée en Afrique est saluée par beaucoup d’observateurs.Le désormais ex-président du Nigeria vient d’administrer, comme rarement savent le faire ses pairs africains, une leçon mémorable à ceux-ci qui pensent qu’une défaite est synonyme du chaos, de fin de l’existence.

Au fait, selon les décomptes officiels provisoires proclamés par la Commission électorale indépendante du Nigeria (INEC), le candidat de l’opposition coalisée, Muhammadu Buhari est élu président de la fédération dès le premier tour. Il a réalisé une confortable avance face à son principal rival, le président sortant et candidat du PDP, parti au pouvoir, Goodluck Ebéllè Jonathan qui est même déjà ridiculisé dans les réseaux sociaux par les partisans de Laurent Koudou Gbagbo pour avoir soutenu l’adversaire de celui-ci lors de la crise post-électorale ivoirienne. En effet, les partisans de l’ex-président ivoirien polluent l’air avec cette boutade selon laquelle leur leader, à la suite de son arrestation, avait prédit la chute de ses pairs détracteurs en ces termes : « Si je tombe, vous tomberez aussi ».

Depuis hier matin, des Elders (un groupe d’anciens chefs d’État africains) conduits par l’ancien président ghanéen John Kufuor, a rencontré plusieurs fois le président sortant. Objectif : lui faire admettre le verdict des urnes dont les tendances officieuses le donnaient déjà largement perdant. Les démocrates africains, en le faisant, espéraient que le président Goodluck se montrerait à la hauteur de sa responsabilité d’homme d’Etat en acceptant rapidement le verdict des urnes pour éviter à ce grand pays des violences post-électorales. Ce qu’il n’a d’ailleurs pas manqué de faire.

En reconnaissant dès le 1er tour la victoire de son adversaire, Goodluck Ebéllè Jonathan, au contraire de Laurent Koudou Gbagbo, entre positivement dans l’histoire des jeunes démocraties africaines. Nombreux sont les Camerounais qui, adeptes des leçons aux autres, sauf dans leur propre pays, essaient de racheter une bonne conduite à Laurent Koudou Gbagbo. Malheureusement, ils doivent se rappeler les similitudes des parcours présidentiels des deux dirigeants de ces deux États qui semblent mieux les intéresser que le sort du leur propre pays.

Jonathan-Buhari

Laurent Koudou Gbagbo et Goodluck Ebéllè Jonathan étaient quasiment arrivés au sommet du pouvoir d’État par défaut. L’Ivoirien, à la suite d’une élection présidentielle calamiteuse où l’essentiel de l’opposition (RDR et PDCI), exclue par un militaire félon, le feu général Robert Guei, l’avait néanmoins soutenu pour qu’il prenne le pouvoir par la rue, avec le soutien du gouvernement socialiste de Jospin. Le second, Goodluck Ebéllè Jonathan, arrivé accidentellement à la suite du décès en cours de premier mandat du déjà malade président élu Umaru Yar A Dua, installé par le général Obasanjo, le fondateur du PDP, au détriment de son propre vice Atiku Abubakar qui s’était ligué contre son projet de modifier la Constitution pour un 3e mandat, n’a jamais eu, de même que Koudou Gbagbo toute la légitimité qu’une élection propre comme celle d’aujourd’hui confère.

Ainsi l’un et l’autre se sont vus contester violemment, par des oppositions à la fois politiques et armées notamment les Forces nouvelles de Guillaume Soro et le RDPH en Côte d’Ivoire et Boko Haram de Yusuf puis Abubakar Shekau et l’APC au Nigeria. Mais à la différence du boulanger d’Abidjan, le démocrate d’Abuja ne s’est pas servi de la guerre qui lui était imposée pour tenter de renvoyer éternellement les élections et ainsi s’accrocher au pouvoir. Tandis que Goodluck Ebéllè Jonathan reconnait sa défaite après seulement six ans de pouvoir, sans alléguer de fraudes éventuelles au nord du Nigeria dont une grande partie qui lui échappait a creusé la différence, comme le nord de la Côte d’Ivoire à Koudou Gbagbo (après 10 ans de présidence soit l’équivalent de 2 mandats de 5 ans chacun), ce dernier avait préféré demander à la Cour constitutionnelle de le proclamer vainqueur puis prêté serment à la hussarde alors même que la Commission électorale indépendante avait proclamé son principal adversaire, Allassane Ouattara (allié à Henri Konan Bedié et le PDCI arrivé 3e au premier tour) vainqueur à l’issue du second tour. S’accrochant, après son coup de force politico-électoral – un coup d’Etat constitutionnel – de décembre 2010 sur une prétendue demande de recomptage, Koudou Gbagbo dont l’essentiel des observateurs, qui l’avait vu perdre toutes les élections intermédiaires depuis son arrivée au palais de Cocody en 2000, s’était vu naturellement opposer une fin de non-recevoir par son adversaire Allassane Ouattara. En fait personne de sérieux, en dehors de ses partisans, ne croyait plus à sa parole ni à sa prétendue stature d’homme d’État. Il était simplement perçu comme un piètre manœuvrier qui ne mesurait pas le risque qu’il faisait courir à son propre peuple se servant de la crise politico-militaire durable, dont il était au moins en partie responsable (reconduction de l’ivoirité; adoption de la loi sur le foncier rural qui excluait les binationaux africains de la propriété foncière). Pis, il faisait en sous-main les affaires les plus sordides avec la France (contrats de gré à gré à Bolloré, Bouygues, et valises d’argent à Chirac selon l’avocat intermédiaire) et l’Occident tout en poussant les jeunes à attaquer violemment cette puissance pourtant alliée de toujours de sa Côte d’Ivoire.

Goodluck Ebéllè Jonathan, qui vient d’infliger une leçon de grand homme d’État non seulement aux prétendus politiciens africains et, mais plus particulièrement à Laurent Koudou Gbagbo, rentre ainsi dans l’histoire et coulera des jours paisibles au Nigeria comme ses prédécesseurs. S’il le veut, il peut continuer à s’engager en politique et se présenter à nouveau en 2019. Qui sait ? Si Buhari ne répond pas de manière satisfaisante aux nombreuses attentes sociales et sécuritaires du grand peuple nigérian, mais surtout si l’économie de ce pays ne se maintient pas au moins sur la pente ascendante sur laquelle Jonathan la laisse aujourd’hui, comme tous les peuples, très amnésiques en contexte de réelle démocratie, il sera toujours le bienvenu à Asso Rock Palace d’Abuja. Ce même scénario risque se produire avec un certain Nicolas Sarkozy actuellement en route pour le palais de l’Élysée en France.

Moralité : en contexte de véritable démocratie, il n’y a pas d’homme indispensable. A moins que le peuple, par son vote large, transparent et reconnu tel par les observateurs, n’en décide ainsi.

AGA


Je mange, donc je suis

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L’autre jour, en conversation avec un diététicien-nutritionniste, j’ai appris, avec beaucoup de peine à y croire, que plus de 70% de nos maladies sont dues à notre mauvaise alimentation. Tout de suite, j’ai pensé à la boulimie qui semble être, selon l’opinion collective, la marque déposée des africains. Les pauvres ont la mauvaise habitude de considérer qu’avoir le ventre plein est synonyme de bien manger. Que nenni. Mais plus grave encore, « ceux dont la qualité de l’alimentation est irréprochable mangent aussi mal, et très mal même » s’écrit-il.

Selon cet expert, si l’obésité est une maladie qui touche aussi bien les riches que les pauvres, c’est la preuve suffisante que la mauvaise alimentation n’est pas une question de richesse ou de pauvreté. Il faudrait aller voir le mode d’alimentation des gens. Ce qui est en cause, ce n’est ni la qualité ni la quantité d’aliments que chacun de nous consommons tous les jours. Ce qui est en cause, justement, c’est notre façon de manger. Il ne suffit pas de bien manger ou de manger beaucoup. Il suffit juste de savoir manger. Manger n’est donc pas un simple et banal geste biologique, c’est un phénomène de société. C’est même un fait cultuel et culturel. En ce sens, il devient même possible de définir une personne, un peuple par sa culture de l’alimentation. Et l’Afrique, plus particulièrement subsaharienne, a justement fait l’objet d’une étude qui a défrayé la chronique et a bouleversé le monde scientifique africain en son temps. Pour moi, cette question reste d’actualité.

La « politique du ventre » comme mamelle nourricière de la gouvernance

L’anthropologue français Jean-François Bayart, connu du grand public comme un africaniste pour ses travaux consacrés à l’Afrique subsaharienne, et notamment pour son ouvrage « L’État en Afrique. La politique du ventre », publié en 1989, a été l’un des premiers penseurs, avec le politologue Camerounais Achille Mbembe, à avoir théorisé le système de gouvernance des pays d’Afrique noire en le qualifiant de « l’afropessimisme par le bas ». Pour lui, « la politique du ventre » désigne ce système politique caractérisé par des fibres entremêlées de cooptations, de clientélismes, d’alliances, d’amitiés et de parentés qui malheureusement guident le mode d’accès au pouvoir et donc, à la richesse matérielle. La corruption est donc au centre des sphères du pouvoir politique en Afrique et contrairement à Bertrand Badié qui la considère comme une pathologie, Jean-François Bayart trouve plutôt qu’elle fait partie des mœurs, donc pour lui, c’est une normalité. Depuis les indépendances africaines, les hommes du pouvoir que Bayart appelle « les gens d’en haut », sont dans une logique de conservation du pouvoir. Pour ce faire, la corruption deviendra alors l’outil central de la gouvernance. Elle devient, par l’insatiabilité des « gens d’en haut », non seulement un moyen efficace pour la conservation de ce pouvoir mais aussi et surtout un moyen de reproduction, non de la classe sociale, mais de l’ethnie et se manifeste alors par l’achat des consciences.

Beaucoup, comme moi d’ailleurs, ont métaphorisé cette théorie pour montrer l’ampleur des dégâts de la dictature en Afrique subsaharienne. En effet, la pauvreté étant considérée comme la conséquence d’une mauvaise gouvernance du politique, est d’ailleurs vue comme un système bien pensé et bien huilé dans le but de créer, à dessein, un grand fossé entre les « gens d’en haut » et les « gens d’en bas », c’est-à-dire entre les hommes de pouvoir, les riches, et le bas peuple, les pauvres. Ceux-ci sont perçus comme du bétail électoral en temps opportun. Dans certaines situations, cet achat des consciences est donc une occasion, pour ces gens d’en haut, de gaver de nourriture ceux qui ne demandent que le pain quotidien. Affamé qu’ils sont, les gens d’en bas ne se feront pas prier pour se servir en chantant les louanges dédiés au donateur qui est justement le responsable de leurs maux. Au Cameroun, la politisation de l’ethnie a aussi ceci de fâcheux que les hommes du pouvoir vont toujours dans leur village amadouer les siens avec du riz, du poisson, les boîtes de sardine, des bouteilles de bière et quelques billets de banque pour avoir le soutien du peuple. En ce sens, la clochardisation du peuple a ceci d’avantageux que les gens du pouvoir n’auront qu’un seul effort à faire pour se maintenir au pouvoir : corrompre le peuple et ses leaders en bourrant leur ventre? C’est dans la même logique l’ancien Premier Ministre Simon Achidi Ashu faisait une boutade restée célèbre aujourd’hui et qui disait en langage populaire  « Politik na ndjangui » qui signifie « la bouche qui mange ne parle pas » ?

Des faits sarcastiquement drôles qui parlent d’eux-mêmes

Ce comportement politique a toujours été considéré par beaucoup d’analystes et de théoriciens de la politique comme des pratiques primaires qui ne conduisent pas le peuple vers la modernité et la modernisation. Ce peuple-là est ici considéré comme celui dont la vie n’est limitée qu’à la nourriture, ce par quoi on corrompt. Ainsi, l’abondance et la boulimie sont devenues des maître-mots du bien-être en Afrique. Le matériel et par ricochet la nourriture est cet outil qui gouverne la politique du ventre à tel enseigne qu’elle devient comme un objet précieux que tout le monde convoite : qu’on soit parmi les gens d’en haut ou ceux d’en bas. Au Cameroun, les moments de réjouissances dans une localité villageoise sont considérés comme des festins où les tables seront garnies. C’est l’occasion, pour les gens d’en bas, de se déporter vers les lieux et de prendre part aux festivités. Ici, l’invitation n’a aucun sens, ce qui importe c’est d’être aussi là où il y a de l’ambiance. Malheur à vous si vous avez prévu un vigile à la porte pour filtrer les entrées et anéantir les récalcitrants. Les plus courageux réussiront à s’infiltrer dans la salle tandis que d’autres vous garderont dent si ce n’est la malédiction qu’ils vous prédiront. D’ailleurs, beaucoup de camerounais aujourd’hui refusent d’aller au village en période de vache maigre de peur d’être victime d’une malédiction d’un vieillard qui ne serait pas content de ne pas recevoir un paquet d’un fils du terroir en provenance de la ville ou de l’étranger. Ne pensez donc pas que ceux qui s’invitent aux manifestations, comme le mariage, viennent pour les beaux yeux du couple marié. Ils bravent parfois la pluie, le froid, le contrôle des vigiles à l’entrée juste pour la nourriture. Au moment des repas, ils se servent à n’en plus finir. Ils mangent gloutonnement à tel point que qu’on aurait même cru qu’il mourrait de disette. Sans billet d’invitation, personne ne sait comment ces personnes réussissent toujours à s’infiltrer dans la salle. Les grandes villes comme Douala et Yaoundé ont connu, et connaissent même jusqu’à présent, ces phénomènes appelés vulgairement « les-je-m’invite » : ce sont ceux qui viennent aux mariages, aux anniversaires, sans jamais avoir été invité. D’ailleurs, ils ne connaissent même pas les concernés.

Curieusement, même les gens d’en haut ne sont pas en reste. Des témoignages crédibles me révèlent même qu’à chaque cérémonie de réception au palais présidentiel (Palais de l’Unité) à Yaoundé (Quartier Etoudi), certains billets d’invitation sont vendus au marché noir. Pourquoi ? Beaucoup de camerounais, hommes politique ou hommes d’affaires ambitieux, achètent à prix d’or ces billets pour accéder à ce somptueux palais présidentiel. Certainement vous me direz que c’est dans le but de décrocher un rendez-vous avec un ministre ou un ambassadeur difficile d’accès ou mieux, d’échanger des cartes de visite. Soit. J’ai eu plusieurs témoignages dignes d’importance que je me fais le plaisir de vous conter un seul. Le Prof Nga Ndongo, chef de département de sociologie à l’université de Yaoundé 1, lors d’un séminaire doctoral qu’il nous avait dispensés, racontait d’ailleurs cette anecdote qui frise le ridicule. Invité au palais présidentiel pour assister à la réception lors de la fête nationale un soir du 20 mai, il avait été bousculé et s’est retrouvé à plat ventre à même le sol. Que s’était-il passé ? Le Prof se trouvait, malheureusement, non loin d’un des nombreux buffets bien garnis pour la circonstance lorsque le maître de cérémonie a donné l’assaut pour l’ouverture du buffet. Convaincu que les gens d’en haut devraient se comporter comme des gens civilisés, il a été surpris par la bousculade qui est survenue à la suite de l’ordre donné par le maître en chef qui a soufflé : « Mesdames, Messieurs, Chers invités, veillez-vous servir s’il vous plaît ». Vous avez dit miracle ? C’est la bousculade que vous voulez voir ? Le Prof s’est remis debout. Toute honte bue, accompagné de son épouse qui le suivait, s’est dirigé vers la sortie avec la ferme promesse de ne plus jamais y revenir. « Nos dirigeants-là sont des sauvages à col blanc », nous a-t-il révélé en substance et avec beaucoup d’amertume. Pourtant c’est ce même professeur qui, quelque temps auparavant, avait fustigé cette thèse de « La politique du ventre » de Bayart pour dénoncer cette tendance d’enfantillage que ces théoriciens occidentaux veulent coller à l’Afrique noire. Comme Dieu sait faire ses choses… Le pauvre !

Qu’est-ce que la politique du ventre a à voir avec le problème d’obésité ? Me diriez-vous. C’est une lapalissade que de dire que la culture de la bouffe de quantité est pour l’Afrique ce que la bouffe de qualité est pour l’Occident. Cette culture n’est pas seulement liée à un simple exercice d’achat de conscience, mais elle est ancrée dans nos mauvaises habitudes alimentaires. En faveur de la mondialisation des échanges, nous pensions résoudre les problèmes de mal nutrition comme l’obésité par l’importation des produits dits de qualité venue d’Occident, justement. Malheureusement, cet Occident est aussi confronté à cette maladie ravageuse qui n’est que la conséquence de nos mauvaises habitudes alimentaires.

Que peut-on alors espérer pour l’avenir de l’Afrique ?

La réponse est toute dans l’aspect physique de nos enfants, sevrés de l’immédiateté qui nous reliait avec la nature dans notre passé rural mais aussi orphelins des attentions parentales dans les jungles que nous appelons villes où nos rejetons ont pour alimentation légion les conserves, contrefaçons que d’aucun trouvent “fashion ».

Nous nous cachons les réalités de notre quotidien en nous appuyant sur les valeurs que nous avons encore certainement (Solidarité et culture gastronomique par exemple) mais celles-ci sont travesties par la vie compétitive, le progrès et la frénésie qui nous ôtent du temps. Même l’alimentation traditionnelle a capitulé devant les adjuvants venus de l’étranger et nous lui volons du temps outre que de l’espace. La caractéristique bio qui faisait le charme de notre gastronomie a perdu du terrain. C’est vrai que nos aïeux ont eu le bonheur d’être agriculteurs et personnellement je ne me souviens pas avoir fréquenté des paysans obèses pour la simple raison que l’alimentation génuine qui caractérise leur environnement épouse bien leur activité qui est plus que du simple sport. “Villageois” et “vis-la-joie” sont des homophones qui décrivent avec charge poétique le doux bonheur du mariage de l’Homme et de la Nature.

Selon un rapport proposé l’an dernier par un avocat bénévole Camerounais et partagé sur la plateforme de discussions qui réunit le plus de ses compatriotes sur Facebook, il ne fait plus de doute que dans nos tournedos (Fast-Food à la Camerounaise), devenus véritables ventes de dégustations du bonheur-horreur, nous consommons avec appétit d’authentiques poisons, moisson de notre insouciance. Nos poissons sont fumés à la toxine des poubelles transformées en combustibles. Presque tous nos aliments sont importés : riz, poisson, farine, sel, sucre, levure, etc. Et les produits que nous cultivons ne sont plus bios à cause des engrais chimiques que nos paysans utilisent maintenant. Si nous ne prenons garde, nous perdrons les enfants avant les parents. Les ordures médicales sortent clandestinement des hôpitaux pour se retrouver dans nos chambres ou nos ventres en faisant escales à la cuisine ou dans la salle de bains. Chacun de nous sait les ravages que sont en train de faire les maladies que nous ne lisions que dans les livres des autres et qui, par la suite, ne se sont pas gênés pour nous envoyer les déchets toxiques que nous employons dans tous les secteurs (alimentaire, vestimentaire, habitat, énergie, électroménagers) avec la fierté de nous être modernisés.

Les gestes qui sauvent sont pourtant restés les mêmes et sont simples. L’attention et aussi la rigueur dans l’alimentation, le mouvement, les contrôles sanitaires, l’équilibre des heures de repos, la distance ente les heures de repas, l’abolition du grignotis, la rationalisation des ressources. Les bonnes mères ne sont pas celles qui gavent les enfants de chocolats et hamburger pour les envoyer à l’école brioches et chips dans le sac pendants qu’elles vont se coiffer ou encore meublent leur temps avec les feuilletons Brésiliens, Films Nigérians ou Ivoiriens. On trouve toujours du temps pour ses priorités et au sommet de celles-ci se trouvent les enfants qui sont un investissement pour le futur qui lui, commence aujourd’hui et ne peut se défaire de la santé, elle-même sujette aux meilleurs remèdes qui sont le savoir manger et l’éducation aux soins physiques.

En attendant que le chef de l’État fasse de ses vœux un programme rigoureux où il sera imposé à chaque citoyen de distribuer les calories qu’il consomme selon ses exigences sans plus et à chaque travailleur ou entreprise d’insérer dans son programme hebdomadaire du temps d’arrêt pour le sport avec contrôle strict dans nos écoles aussi pour en vérifier le respect scrupuleux, vous pouvez déjà vous considérer vous-mêmes comme votre meilleur coéquipier car je suis ce que je suis par mon mode d’alimentation, par ma façon de manger : je mange, donc je suis.

Tchakounté Kémayou & Mougoué Mathias LiønKïng

 


Moi, je serai polygame

Il ne se passe pas un week-end sans mouvements dans les rues de la capitale économique. Il est souvent courant d’apercevoir un cortège de voitures avec en tête une luxueuse berline, Lexus, ou limousine ayant à son bord deux jeunes mariés assis derrière avec des klaxons et des cris de joie qui les accompagnent. La cote du mariage est-elle en hausse à Douala ? La réponse paraît évidente. Mais, ce que les gens ignorent parfois, c’est qu’avant d’aboutir aux festins proprement dits, il y a quelquefois eu, en coulisse, une bataille féroce autour d’une question fondamentale qui, souvent, a fini par diviser le couple et les familles avec. Cette question, digne d’intérêt et que le maire demande toujours, est liée à l’option du régime matrimonial, nœud gordien des cérémonies nuptiales.

Les jeunes garçons qui se marient adorent tellement signer l’option « Monogamie », à la mode aujourd’hui. Il paraît qu’être monogame c’est entrer dans le monde de la modernité. C’est la mondialisation, quoi. Curieusement, en observant de très près, le jeune garçon qui choisit la monogamie était pourtant un opposant farouche à cette option pendant son célibat. Il avait l’habitude de crier au quartier à qui voulait l’entendre que pour rien au monde il signera, coûte que coûte, l’option « Polygamie ». Il faut vraiment le voir gueuler partout pour prouver sa grande fierté d’être capable de pouvoir gérer deux, trois voire quatre femmes à la fois. Il est souvent intéressant d’assister aux causeries de quartier où les garçons, pour démonter leur virilité et leur pouvoir de maso, s’évertuent à faire des bruits sur leurs conquêtes féminines pour s’en vanter. L’homme le plus fort est celui qui sait séduire plus de filles, qui est passé et repassé sur toutes les filles du quartier. Bref, celui qui peut les « embastiller ». Voilà où les gars bâtissent leur réputation. Et ainsi, il est célébré et anobli. Il est donc presque un héros.

Ce qui est bizarre pourtant, c’est la société qui ne dit rien sur cet écart de comportement de ces garçons. Au contraire, le garçon fidèle sera considéré, par ses paires, comme un homme faible et pas courageux du tout. Dans les bandes de copains, lorsqu’on vous dénie des meilleurs qualificatifs propres aux hommes, cela signifie qu’on vous renie votre identité. Alors, autant faire comme tout le monde pour « mériter » une place parmi les gens de « sexe fort ». C’est ce qu’on appelle « identité masculine » : il faut faire preuve de maturité. Il faut s’arrimer à la donne : celle de montrer que vous êtes capable d’affronter les épreuves de la vie, surtout celles de la vie de couple où il faut savoir affronter les crises liées aux dures réalités de l’infidélité. C’est avant la vie de couple ou le mariage que ça s’apprend, pas après.

Ce qui m’a inspiré pour la rédaction de ce billet, c’est justement cette interrogation autour de la tendance très récurrente qu’ont les hommes en âge de se marier, à faire le choix de la monogamie qui était pourtant considérée comme leur bête noire. D’où pourrait venir cette manie qu’a un homme de changer aussi facilement d’avis en prenant une décision qui reste quand même centrale dans la vie de couples mariés ? Et pourtant, il a passé tout son temps de jeunesse et de célibat à faire du bruit, à courir dans tous les sens pour dire haut et fort comment personne ne pourra l’empêcher d’être polygame. Il le dit avec une certaine ferveur qui peut faire frémir quiconque tenterait de l’en empêcher. S’il a la chance de trouver une épouse, l’engagement reste toujours le même jusqu’au jour du mariage où vous êtes surpris d’entendre le maire dire solennellement : « Régime monogamique ». C’est à cet instant précis que vous entendez des youyous dans la salle, pas pour féliciter les mariés justement, mais plutôt pour féliciter le jeune marié pour son courage. Oui, vous avez bien lu : de nos jours, signer l’option « Régime monogamique » au Cameroun relève du courage. Que s’est-il donc passé entre-temps pour que ce jeune marié qui hier était farouchement opposé à la monogamie, fasse subitement un revirement à 360° le jour de la signature de l’acte de mariage ?

Certainement et malicieusement, il s’est passé beaucoup de choses pour qu’on en arrive là. La première chose qu’il faut signaler ici ce sont les effets du miracle qu’un amour fort peut produire. Ne dit-on pas que « le cœur a ses raisons que la raison ignore » ? L’hypothèse la plus plausible est que le jeune homme soit « aveuglé » par l’amour à telle enseigne qu’il perd sa raison. Il arrive même que le jeune homme renie ses convictions au nom de cet amour qu’il croit contrôler, voire dominer.

La deuxième hypothèse plausible viendrait du fait que la femme, comme preuve d’amour, exigerait à son homme cette option. Comme le gars, aveuglé par l’amour, tient beaucoup trop à sa fiancée, pour le lui prouver et aussi lui faire savoir qu’elle est la seule au monde, il se croit plus malin que le lièvre en signant « monogamie ». Il oublie toujours, et malheureusement, que la femme est le seul être au monde qui ne perd jamais la raison, même au plus fort de sa jouissance. Quand elle sait là où elle peut vous « coincer » et surtout pendant que vous vous emportez, elle vous « calcule » et vous dépouille. C’est surtout sur ce piège où les acteurs ont souvent l’habitude de trébucher. C’est le jour où elle sait que l’homme n’est plus en possession de sa clairvoyance habituelle, qu’elle enfonce ce clou : « chéri, jure-moi que c’est la monogamie ». Et à lui de répondre en croyant être sûr de lui : « Je te jure chérie, c’est ta volonté qui compte pour moi ». Il vient là, lui-même, de signer sa peine de mort. Cette sentence va le suivre jusqu’au mariage. Il sera coincé et sera obligé d’être honnête envers lui-même lorsqu’il entendra : « Chéri, s’il te plaît, ne me déçois pas, tu me l’as promis ».

La troisième hypothèse plausible, c’est la pression de la famille de la fille. Cette situation a souvent lieu dans des familles pieuses où les parents de la fille sont des chrétiens pratiquants. Là, la monogamie, on ne badine pas avec dèh. La famille estime que l’option de la monogamie est un signe que le garçon est « sérieux ». Ça a toujours été un élément pour « juger » et « apprécier » les hommes qui viennent « toquer » à la porte ou demander la main de la fille. Il est vrai qu’il sera difficile pour les parents de la fille de savoir le choix du jeune garçon au moment de la dot. Le climat avec lequel l’homme sera accueilli chez sa future belle-famille, les discours et les messages codés que lui enverront son futur beau-père ou sa future belle-mère seront tels que le garçon sera intimidé. C’est une pression sournoise et mesquine parfois sur la forme de blagues ou de taquineries. De toutes les façons, le garçon ne fera aucun effort pour comprendre ce genre de message. Dans ce genre de situation, quelques jours, juste avant le mariage, le beau-père ou la belle-mère entretiendra le beau-fils pour savoir la décision qu’il a prise. C’est à ce niveau que la pression devient réelle. Les blagues, c’est fini. Malheur à celui qui fera semblant de ne pas comprendre. Il apprendra à ses dépens.

En quatrième hypothèse, l’environnement aussi y est pour beaucoup. Le « qu’en-dira-t-on » est un monstre froid qui est synonyme de celui-là qui vous observe et vous juge. Ainsi, l’opinion collective donne à penser que l’option « Polygamie » c’est pour les hommes incapables de se fidéliser à une femme ; incapables de maîtriser leurs instincts, incapables de stabilité psychologique, bref, c’est pour des hommes « voyous ». La fille, de son côté, veut prouver à ses copines qui ont eu le privilège de faire partie de la liste très serrée des invités qu’elle a réussi son mariage. Car, dit-on aussi, un mariage où l’homme a accepté l’option monogamique est un mariage réussi pour deux raisons : la première raison est que la mariée ne « partagera » pas son homme avec une autre femme et la seconde est qu’un mariage monogamique donnerait droit à l’option « Communauté des biens ». Alors, lorsque l’homme lui « appartient » à elle seule, c’est une sécurité psychologique et matérielle pour elle et ses futurs enfants. On ne sait jamais, il faut toujours prévoir le pire. Voilà pourquoi il y a toujours des « youyous » dans la salle lorsque le maire dit, pendant la lecture solennelle de l’acte de mariage : « Régime monogamique ». Pour féliciter l’homme et pour dire à la femme : « Tu as gagné le jackpot ». Et le contraire, « régime polygamique » suscitera des interjections telles que : « hum ! » ; « Ah ! », etc. Il y a comme une suspicion dans l’air comme pour s’interroger sur le sérieux de ce jeune marié : « pourquoi ne choisit-il pas alors la monogamie s’il aime vraiment sa femme ? », et la réponse apparaît donc évidente : « il semblerait qu’il a d’autres femmes dehors qu’il « gère » ».

Faites cette expérience comme je le fais souvent. Si vous avez la chance d’être invité à un mariage, allez à la mairie et pendant toute la cérémonie observez bien ce que je viens de vous décrire. Si le jeune homme marié a choisi l’option monogamie sous la pression et surtout à la dernière minute : son sourire est toujours un genre, un genre pour ceux qui savent lire les expressions profondes des visages de près ou de loin. Il fait toujours semblant d’être heureux alors que… On a souvent l’habitude d’attribuer à cette expression du visage le poids des dettes contractées pour l’organisation du mariage afin de faire plaisir à sa dulcinée. On oublie malicieusement cette question du régime matrimonial discutée d’abord en coulisses et qui relève souvent d’une bataille féroce. C’est l’une des coulisses du mariage la plus mouvementée et la plus discrète. Parfois, ça rejaillit dehors quand la situation est ingérable. Auparavant, j’avais maintes fois assisté à des mariages où le maire a été obligé de mettre fin à la cérémonie en invitant les deux familles à régler d’abord ce cas litigieux. Le mariage, dans ce cas, était annulé purement et simplement et les dégâts, vous en doutez bien, étaient farouchement énormes. Aujourd’hui, pour éviter des dégâts je jour du mariage, cette option est d’abord réglée avant la cérémonie civile.

Loin de moi de justifier la gamophobie des hommes par la monogamie. Ma petite expérience d’observateur averti me montre que quand un gars signe l’option « Polygamique » il est tout heureux et ça se voit. Pourquoi cette fâcheuse habitude de considérer le mariage comme une prison pour les hommes, comme une chaîne qu’il s’est nouée lui-même au cou ? C’est justement à cause de cette option monogamie que les hommes qui ne sont pas convaincus de son importance, choisissent. Voilà pourquoi le mariage a toujours été considéré comme le jour le plus merveilleux pour la femme et non pour l’homme. Vous me voyez en train de me mettre une chaîne au coup ? Non. La solution efficace que j’ai trouvée pour éviter cette chaîne, c’est justement en signant la polygamie qui donne la trouille à beaucoup de femmes. Ça représente pour moi une épée de Damoclès dont le message à ma future femme serait : « Tu as intérêt à ne pas être possessive » ou encore : « Tu n’es pas indispensable ». En polygamie, il n’y a pas de « communauté de biens » et c’est une victoire pour l’homme, car ça limitera les ambitions démesurées de la femme. Si vous voulez, prenez ça comme un chantage, cela m’est égal.

Une femme qui connaît bien son gars et qui sait le garder n’aura aucunement peur de la polygamie. Avis donc à toutes ces femmes qui pensent que « signer l’option polygamique signifie que l’homme aura forcément une deuxième femme » ou encore que « signer l’option monogamique signifie forcément que l’homme n’aura pas d’amandes et d’enfants naturels », c’est se donner de la peine pour rien. Je n’aimerais pas que ma famille vive ce spectacle désolant que je vois chez mes voisins quand après leur décès, le partage des biens se fait au tribunal parce que les enfants naturels sont venus réclamer leur part. Vous voyez où l’hypocrisie peut mener ? Autant laisser le marié choisir, sans pression, l’option qui lui sied au lieu d’être monogame en entretenant des amandes. Autant aussi le dire pour prévenir les casse-pieds, ma décision est déjà prise : « Moi, je ne suis pas hypocrite, je serais polygame ».

Tchakounté Kémayou


Santé : Une sécurité sociale au Cameroun est-elle (encore) possible ? (2)

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Les résultats de la commission Abolo Mbendi créé par le chef de l’État pour trouver l’équation de la sécurité sociale maladie au Cameroun restent attendus. Dans l’exposé de Basile Ngono qui propose l’adoption d’une loi des finances sur les externalités négatives inspirée par Pigou en vue de financer la santé au Cameroun, beaucoup de griefs ont été soulevés quant aux compétences disponibles pour gérer ces fonds. Pour avoir une idée précise sur les fondements de la théories des externalités de Pigou, un détour sur le précédent billet est un préalable avant de lire la suite ici consacrée aux implémentation des nouvelles taxes et à leurs effets pervers.

Les mesures d’application et le système de recouvrement sur les externalités négatives

Tant qu’il y aura la vie, il y aura des produits polluants et la sécu sera financée. Il n’est point ici question de prôner l’État providence car l’État n’assume rien, sinon en partie. Ce sont les pollueurs qui prennent en charge la santé de la population. Ainsi, au bas mot, on prévoit 4 milliards de Fcfa de prélèvement pour financer la sécu et dans l’intuition fondamentale, le gouvernement devait y contribuer à hauteur de 2 milliards de Fcfa. Les taxes pigouviennes ne sont donc pas comme les autres. C’est un moyen efficace et efficient de s’attaquer à des problèmes majeurs tout en fournissant des rentrées fiscales pouvant être utilisées au choix pour baisser les impôts, équilibrer le budget, rembourser la dette ou augmenter les ressources allouées à la santé, à l’éducation ou au transport collectif ?

Que taxe-t-on réellement ? On taxe les sociétés et les produits dangereux pour financer la santé des pauvres et ceux qui sont nantis se prennent eux-mêmes en charge. L’exemple type des externalités négatives sont celui des dommages environnementaux causés par l’exploitation des ressources ou par l’activité manufacturière : les usines brassicoles et de tabac. Étant donné les diverses pathologies qu’elle génère, la mauvaise alimentation constitue aussi une externalité qui contribue au gonflement des coûts du système de santé. Ainsi, une étude fort remarquée parue récemment dans le journal JAMA Internal Medicine concluait que la surconsommation de sucre augmente sensiblement la probabilité de mourir de maladie cardiaque (« Addedsugarabundant in U.S. dietslinked to death », Reuters, 3 février 2014). Cette étude n’était que la dernière d’une longue série qui a mis en lumière les méfaits du sucre, non seulement en ce qui concerne les maladies cardiaques, mais aussi l’obésité, le diabète, les troubles de l’attention et le mauvais état des dents, entre autres. La même logique pourrait s’appliquer aussi à la consommation excessive de sel, à laquelle on associe non seulement l’hypertension artérielle, et donc les accidents vasculaires cérébraux (AVC), mais aussi l’ostéoporose, l’insuffisance rénale et des problèmes dermatologiques. Or les consommateurs désireux de limiter leur consommation de sel se trouvent devant une mission quasi impossible, tellement celui-ci fait maintenant partie intégrante de la grande majorité des aliments vendus en épicerie. Comme Dieu, le sel est partout : dans le pain, le fromage, les viandes froides, les conserves, les céréales à déjeuner et, évidemment, dans les plats préparés.

Le but recherché de ce système est clair : le résultat probable de l’imposition d’une taxe pour compenser les nuisances générées est que l’exploitant devra augmenter ses prix et réduire ses activités. Une taxe bien calibrée aura pour effet que le gain de bien-être des tiers fera plus que compenser la perte de bénéfice subie par l’exploitant. Les recommandations de Pigou permettent aux gouvernements de faire d’une pierre deux coups en instaurant des taxes qui contribuent à la fois à l’équilibre des finances publiques et à la solution des problèmes sociaux ou environnementaux préoccupants : Instaurer une taxe visant à réduire les émissions de gaz carbonique à l’origine des changements climatiques. Comme l’a rappelé récemment le Groupe intergouvernemental d’Experts sur l’Évolution du climat (GIEC), si rien n’est fait pour endiguer la progression de ces émissions de carbone dans l’atmosphère, des conséquences dramatiques risquent de survenir par suite de la rareté de l’eau potable, des rendements réduits de l’agriculture, des pêcheries et de la multiplication des événements climatiques extrêmes.

La mal gouvernance au centre de l’inefficacité d’une sécurité sociale pigouviènne

Ces nouvelles taxes inspirées par Pigou et proposées par Basile Ngono ne sont pas exemptes de limites. Elles ont fait l’objet des critiques qui soulèvent de multiples effets pervers. La première contradiction relevée dans ce système de financement de la sécurité sociale n’est pas, comme le soulignerait quelques-uns, le revirement à l’État providence, car pour Pigou l’argent ne viendra jamais de la poche de l’État. Ce sont les entreprises polluantes qui seront, par un mécanisme de taxation, soumises à financer la santé publique. La question ne se poserait donc plus sur la provenance de l’argent. Il n’en demeure pas moins vrai que, les entreprises trouveront aussi des stratégies moins contraignantes pour ne pas subir les coûts supplémentaires de la production. La nécessité, pour elles, de trouver des mécanismes d’adaptation de sa comptabilité aboutira, à coup sûr, à l’imputation de ces coûts supplémentaires sur le prix de la production. Ainsi, il faut éviter de jubiler trop tôt, car : 1-offrir les soins de santé gratuits sans faire de coupes dans les autres services publics et sans alourdir le fardeau des contribuables risquerait d’être un leurre si, 2-L’État organise lui-même les prélèvements sur des secteurs comme les brasseries, les industries de tabac, les exploitants forestiers, les vieilles voitures et les industries polluantes foncièrement capitalistes.Pour me répéter en français facile, cela veut dire que pour financer la sécurité sociale maladie, il faut prendre l’argent quelque part : les entreprises et les produits polluant. Ces entreprises polluantes imputeront ces dépenses-là à quelqu’un, et donc aux contribuables à partir des produits vendus ou en réduisant par exemple leurs charges sociales. En conclusion ces entreprises vont tout faire pour compenser ces nouvelles taxes quelque part : les consommateurs.

La deuxième limite repose inévitablement sur les questions de la bonne gouvernance. Cette limite, que semble botté en touche Basile Ngono lui-même pour la simple raison qu’il n’y a que des imbéciles qui ne changeraient pas, ne doit pas être prise à la légère. Si le gouvernement mettait en application ne serait-ce que le quart de la loi existante cadre sur l’environnement (loi N° 96/12 du 5 Août 1996) notamment le principe du pollueur-payeur qui ne sont pas trop loin des externalités pigouviennes, les fonds obtenus par les gouvernements liés a la pollution des industries et personnes physiques suffiraient en partie pour une subvention des soins de santé des citoyens. Comment feraient-on pour gérer alors les fonds issus de ces nouvelles taxes si celles qui existent déjà ne sont pas appliquées pour deux raisons : les taxes sont prélevées en aval et détournées en amont ; soit ne sont même pas prélevées pour la simple raison que les entreprises polluantes et les fonctionnaires chargés de faire respecter la loi se livrent aux pratques de la corruption.

La meilleure solution pour résoudre ce problème de corruption est de commencer par mettre l’accent sur l’exactitude des données démographiques en matière du nombre d’habitants, et donc de la population camerounaise. A combien s’élève-t-elle exactement ? Combien y a-t-il de travailleurs au Cameroun ? Quel est le nombre réel de contribuable ? Et enfin, quel le nombre de cotisants d’une part et le nombre d’assurés d’autre part ? Certains experts affirment que ces chiffres de la démographie ne reflèteraient pas la réalité pour la simple raison qu’ils sont, d’une part désuets et d’autre part subissent des modifications pour des intérêts de clientélisme politique. Pour illustration : En France, l’augmentation du prix du savoir est une donnée prévisionnelle qui entre dans le domaine bien précis de la lutte contre les maladies pulmonaires. Comment pourrait-on, par exemple, gérer efficacement la prise en charge des victimes des maladies pulmonaires si les données sont faussées dès la base ? Ce sont des préalables qu’il faut d’abord résoudre avant la mise sur pieds des recommandations de la commission Abolo Mbendi.

Une autre limite et pas la moindre, c’est l’hypothèse d’un soulèvement populaire face à la montée excessive des taxes. Les taxes sur la pollution, comme définies plus haut, obligeraient des entreprises pollueuses à imputer les surtaxes sur les prix des marchandises vendues. La population serait alors fondé de descendre dans la rue contre la vie chère comme on l’a vécu ici en février 2008. Mais, cette limite ne semble pas convaincre beaucoup qui pensent que les Camerounais n’ont pas encore une culture de la revendication. Pour preuve, la plupart d’augmentations des prix des produits de première nécessité sont passé comme une lettre à la poste sans réaction de la population comme cela se voit ailleurs, généralement au Maghreb et en Afrique de l’Ouest.

En conclusion, pourquoi les résultats de la commission Abolo Mbendi restent encore dans les tiroirs s’il reste que cela pourraient être une panacée à la sécurité sociale maladie au Cameroun ? En attendant donc, le débat reste ouvert.

Tchakounté Kémayouavec Olivier Arnaud, Basile Ngono, Jean-claude Owona Manga, Herve Arsenal Ngakeu, Jean-baptiste Bikai, et Hyacinthe N. Ntchewòngpi (Débat sur le forum Le Cameroun C’est Le Cameroun)


Santé : Une sécurité sociale au Cameroun est-elle possible ? (1)

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Immeuble siège de la CNPS à Yaoundé

Comment le gouvernement peut-il faire pour offrir les soins de santé gratuits à tous les Camerounais sans distinction, sans faire de coupes dans les autres services publics et sans alourdir le fardeau des contribuables ? Cette question, qui avait fait l’objet d’une commission depuis quelques années, présidée par le Prof Abolo Mbendi, chargée de trouver une solution afin de pallier à l’absence criarde d’une sécurité sociale au Cameroun, reste encore d’actualité. Malgré le bienfondé de ce système ô combien urgent, des interrogations subsistent toujours quant à son efficacité compte tenu des pesanteurs sociaux et moraux.

Le Cameroun a-t-il réellement connu une sécurité sociale maladie ?

S’il est vrai que c’est à partir de 1967, à travers la loi N°67/LF/07 du 12 juin 1967, que la sécurité sociale a été instituée au Cameroun, il est aussi vrai que le Cameroun, depuis 1960, n’a jamais connu un système d’assurance-maladie. Par contre, il existe un décret, comme celui du N°91-330 du 9 juillet 1991 et qui n’est réservé qu’à une minorité de privilégiés. Il fixe les conditions et les modalités de prise en charge sur le budget de l’État des dépenses liées à l’évacuation sanitaire des personnels civils de l’État et de 60% des frais de santé des fonctionnaires. Des exemples et des témoignages tirés à bonne sources affirment que dans les faits, ces textes ne sont appliqués que pour des pontes du régime politique au pouvoir.

Pour ce qui concerne l’assurance publique, la loi N°67/LF/08 du 12 juin 1967 a vu la naissance de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) et ce n’est qu’en 1999 que le gouvernement camerounais a adopté une stratégie de réforme globale de la Sécurité Sociale. Cette même stratégie de réforme, en réhabilitant la CNPS au statut d’établissement public jouissant d’une autonomie financière, lui donne aussi le statut d’un établissement au régime de prévoyance sociale. Il doit donc prendre en compte, en plus du personnel de la fonction publique, les salariés relevant du code de travail. Ce n’est qu’en 2014 qu’une autre réforme viendra élargir le champ des assurés en y introduisant le secteur informel. Cependant, parmi les trois type de de prestations sociales délivrées par la CNPS à savoir : les allocations familiales, les pensions d’assurance vieillesse (pension retraite), et le service de prévention et de réparation des accidents et maladies professionnelles, le volet maladie reste inexistant. Par contre, pour ce qui concerne l’assurance privée, les entreprises d’assurance régies par le code CIMA (Conférence Inter-africaine des Marchés d’Assurance) sont les mieux indiquées. Ceux qui sollicitent ce type d’assurance, ont la possibilité de souscrire à une assurance maladie. Mais cette population qui ne représente que moins de 20% des travailleurs du secteur formel ne comporte qu’une proportion de moins de 5% d’assurés.

A côté de ces deux types de société d’assurance, grâce à la coopération internationale, il existe également une autre forme de système de protections sociales réservées aux groupes minoritaires et marginaux. Ce sont des structures appelées « mutuelles de santé » ou « micro-assurance santé ». Parmi les expériences de mutuelles existantes, on peut citer : la mutuelle ASIPES (Association Islamique pour la Promotion de l’Éducation et de la Santé), appuyée par la Coopération Suisse ; les mutuelles d’entreprises et les organisations traditionnelles de solidarité (mutuelles de type ethnique ou clanique appelées aussi « tontines »). Le fait que ce dernier type de mutuel soit de plus en plus sollicités est un signe qu’il y a un besoin urgent. Et leur incapacité à résorber tous les besoins est aussi un signe qu’il y a un vide à combler dans ce domaine.

Une solution plus efficace au problème de santé publique : La sécurité sociale

C’est désormais devenu courant au Cameroun, la mort dans les hôpitaux fait partie des banalités les plus absurdes. Loin de moi de considérer la mort comme une surprise, il reste tout de même fonder de nous interroger sur sa régularité, sa fréquence permanente. La précarité, de prime abord, est pointée du doigt : les malades meurent dans nos hôpitaux faute d’argent ; le personnel soignant, pour arrondir leurs fins de mois, instaurent des pratiques non orthodoxes en imposant des frais supplémentaires aux malades et l’État, faute d’un budget suffisant, subventionne de moins en moins la santé publique. Selon les experts, le constat est pourtant clair : l’argent, même en étant le nerf de la guerre, est bel et bien disponible quelque part. Le seul problème cependant est qu’il faut trouver une méthode rigoureuse et objective pour l’immobiliser et le mettre à la disposition de la santé de la population.

Plusieurs méthodes, trouvées par des experts, ont déjà fait l’objet d’une étude appropriée. Parmi les nombreuses méthodes passées en revue, celle qui a particulièrement retenu mon attention est celle de la mise en place d’un système de sécurité sociale. Après la lecture de l’ouvrage La Sécurité sociale au Cameroun : Enjeux et perspectives d’Étienne Ntsama paru en 1997, l’histoire dans ce domaine nous renseigne sur la pratique de la sécurité sociale maladie qui n’était réservée qu’aux employés et cadres des entreprises parapubliques, privées et multinationales et sur des effets positifs qu’elle a eu et qu’elle pourrait avoir au sein de la population : C’est ce qu’on appelait, à l’époque, « l’État providence ». Cela signifie que l’État et les entreprises finançaient, sous fonds propre, la prise en charge à travers la N°91-330 du 9 juillet 1991. Pourquoi actuellement ce système a-t-il disparu alors dans un contexte de pauvreté ? L’une des raisons évoquée, par l’opinion et certains experts, pour expliquer cette disparition est la suivante : Dans les années 1990, après la crise socio-politique liée au vent de l’Est et la dévaluation du Fcfa, le pays a connu un délabrement de son système de santé qui persiste jusqu’aujourd’hui à tel enseigne que l’environnement ne serait pas propice à une application saine de la sécurité sociale. Par contre, des experts de la commission, présidée par le Prof Abolo Mbendi, qui se sont penchés sur la question affirment mordicus qu’il est possible de redonner le sourire aux camerounais. La solution miracle, selon eux, serait que, bien que les méthodes connues soient déjà dépassées, le système de la sécurité sociale doit être actualisé pour redonner à nos hôpitaux leur vocation d’antan. La question qui me préoccupe dans ce billet est donc celle de savoir comment une sécurité sociale serait-elle encore possible dans un contexte où l’environnement du système de santé qui l’a fait disparaitre existe encore ?

Les principes théoriques d’une sécurité sociale au Cameroun

Pour répondre à cette question « comment le gouvernement peut-il faire pour offrir les soins de santé gratuits à tous les Camerounais sans distinction, sans faire de coupes dans les autres services publics et sans alourdir le fardeau des contribuables ? », l’anthropologue Camerounais Basile Ngono, par ailleurs membre de ladite commission, nous livre ici, les principes théoriques qui devraient guider les législateurs sur le bienfondé de ce système de sécurité sociale en faisant appel à un penseur américain Arthur Cecil Pigou qui aurait su quoi proposer pour réaliser ce qui, à première vue, s’apparente à la quadrature triangulaire du cercle. Bien que moins connu que John Maynard Keynes, son élève à Cambridge, Pigou (1877-1959), a apporté des contributions majeures à l’avancement de la science économique, dont certaines conservent toute leur actualité et leur pertinence. Animé de préoccupations sociales et favorables aux transferts de richesse en faveur des plus pauvres, il rejoindrait sans doute les rangs de ceux qu’indigne la montée des inégalités économiques.

Dans son œuvre principale, The Economics of Welfare, parue en 1920, Pigou se penche sur les relations entre la production et le bien-être des sociétés. Il s’intéresse notamment aux « externalités », soit aux effets collatéraux, positifs ou négatifs, des actions des entreprises ou des individus sur les tiers. Ces externalités sont assimilables à des déficiences des marchés puisqu’elles ne comportent pas de contrepartie financière reflétant la valeur accordée à ces effets. Pigou a attiré l’attention sur le fait que les externalités peuvent faire en sorte qu’une activité, bien que générant un bénéfice ou un déficit privé pour un individu ou une entreprise, peut se solder au net par un déficit ou un bénéfice social pour la collectivité si l’on prend en compte les effets positifs ou négatifs sur les tiers. Ce rendement social net doit être pris en considération si l’on vise un maximum de bien-être pour l’ensemble de la société. Ainsi, à son avis : « Il peut arriver […] que des coûts soient imposés à des personnes non directement concernées par le fait de dommages non compensés […]. De tels effets — certains seront positifs, d’autres négatifs — doivent être inclus dans le calcul du bénéfice social net découlant de l’emploi de ressources pour quelque usage ou en quelque endroit. » (The Economics of Welfare, partie II, chapitre II, part. 5 ; traduction libre.)

Aussi, pour assurer qu’une activité privée se traduise par un bénéfice social net, le gouvernement est justifié d’agir pour faire en sorte de réduire l’écart entre les rendements privés et publics d’une activité : « Il est toutefois possible pour l’État […] d’enlever les divergences dans tout domaine par des “incitations extraordinaires” ou des “restrictions extraordinaires” aux investissements dans ce domaine. Les formes les plus évidentes que peuvent prendre ces incitations ou restrictions sont, bien sûr, les subventions et les taxes. » (The Economics of Welfare, partie II, chapitre IX, par. 13 ; traduction libre). Dans le cas des externalités positives, le gouvernement devrait donc subventionner les individus ou les entreprises s’adonnant à des activités qui, bien qu’elles leur occasionnent des frais ou d’autres inconvénients, produisent des bénéfices pour la communauté sans que celle-ci ait à débourser quoi que ce soit pour les obtenir. Par exemple, le gouvernement peut être justifié d’aider des individus à poursuivre leurs études compte tenu des services qu’ils seront en mesure de rendre à la société une fois qu’ils auront acquis des compétences utiles.

Pour passer de la théorie à la pratique, d’une manière concrète, quels sont les mécanismes qui peuvent mettre en exergue des moyens de prélèvement de ces taxes de Pigou ? Et l’une des critiques des détracteurs de ces nouvelles formes de taxes formule qu’il faut aussi prendre en compte le fait que que la surabondance des taxe n’entrainera que des effets pervers.

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Tchakounté Kémayou avec Olivier Arnaud, Basile Ngono, Jean-claude Owona Manga, Herve Arsenal Ngakeu, Jean-baptiste Bikai, et Hyacinthe N. Ntchewòngpi (Débat sur le forum Le Cameroun C’est Le Cameroun)


Pourquoi au Cameroun Internet a-t-il du mal à décoller ?

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Voici l’entreprise responsable de la décadence au Cameroun

Internet, véritable outil actuellement au centre de toutes les révolutions des nouvelles technologies dans le monde n’est malheureusement pas la chose la plus partagée au Cameroun malgré les progrès réalisés. Même les nouvelles modifications des habitudes de la population devenue de plus en plus exigeante laissent les autorités dépassées. Les consommateurs, abandonnés à eux-mêmes, épanchent quotidiennement leur bile vers les opérateurs incapables de s’arrimer à la nouvelle donne, expriment leur profonde déception aux offres apparemment alléchantes. Mais, que se passe-t-il au juste pour que le Cameroun, comparativement aux autres pays, soit si médiocre en matière de couverture et de flux en réseau Internet ?

Le marché de la téléphonie mobile en baisse

L’arrivée du nouvel opérateur vietnamien Nextel Cameroun a eu un effet positif après son acquisition de la 3G qui est sa principale priorité depuis plus d’un an.Voilà pourquoi la nouvelle bataille des opérateurs de téléphonie est pratiquement concentrée dans l’Internet. Par exemple, l’opérateur MTN Cameroon a, à lui tout seul, engrangé 25 milliards de revenus générés sur uniquement le service Internet en 2014. Par contre, Orange Cameroun, dans ce domaine vient juste de lancer une offre low-cost. Pour ce qui concerne Camtel, seul opérateur public et leader dans le domaine de l’ADSL, on espère qu’il pourra se positionner dans cette bataille des éléphants avec sa branche mobile dans de brefs délais.

Pour revenir à MTN, il faut noter que malgré une baisse de la clientèle, le marché se porte toujours bien : cette entreprise a perdu 1,6 million de clients au quatrième trimestre 2014, mais ce n’est pas grave. Il a mobilisé pendant toute cette année, 1,5 million de clients de plus comparé à l’année 2013. Et son chiffre d’affaires, en hausse de 6 %, a atteint 300 milliards de FCFA (2014). Ce n’est pas le bénéfice net il faut faire attention. Sur ce chiffre, il faut tenir compte de la marge de 42, 5 % qui est le résultat opérationnel, enlever les charges salariales et les autres notamment les investissements et enfin tenir aussi compte de 35 % de l’impôt sur les sociétés.

Qu’en est-il du marché d’Internet ?

En 15 ans, les offres de connexions Internet ont véritablement eu un impact sur les volumes et l’évolution de la clientèle. En 2014, le nombre d’internautes africains a augmenté de 9 %. Malgré la multiplication des offres et des stratégies des entreprises, le taux de pénétration d’Internet en Afrique n’est que de 26 %. Ce qui signifie qu’il y a encore un gros gap à combler. Pour ce qui est du Cameroun, il faut relever qu’en 2000, le nombre d’internautes était seulement de 20 000 et aujourd’hui ce nombre a atteint 1, 4 million (chiffre du 30 juin 2014).

La dernière actualité est celle du renouvellement, par MTN Cameroon, de sa licence d’exploitation de la téléphonie mobile. L’opérateur ISP vient de signer, mardi dernier (10 mars 2014), un nouveau contrat avec le gouvernement qui lui concède, à hauteur de 75 milliards FCFA, l’exploitation en plus de la 2G, de la 3G et la 4G. Avec un projet d’investissement de près de 4 000 milliards, l’entreprise panafricaine de la téléphonie mobile compte d’abord déployer les réseaux 3G et 4G sur plus de 700 sites dans près de 16 villes du Cameroun. L’objectif primordial est de couvrir au moins 75 % de la population.

Ce qui est par contre regrettable, ce sont les coûts d’accès à internet qui sont encore élevés. Selon le journaliste Idriss Linge, deux raisons peuvent expliquer cela : 1-au contraire des services d’appels téléphoniques qui reposent sur des infrastructures déjà amorties, les services des données (surtout les nouveaux) reposent sur des infrastructures qui, soit viennent d’être construites, soit sont encore en construction ; 2-le management de la concurrence coûte excessivement cher. Les opérateurs sont donc encore contraints de pratiquer des prix élevés parce que les volumes de données consommées ne sont pas suffisamment critiques pour couvrir pleinement les charges et les amortissements de l’infrastructure. Ces explications suffisent-elles à convaincre l’opinion sur l’incapacité technique et managériale du Cameroun à satisfaire la demande Internet ? Comment la présence de trois multinationales et d’une entreprise publique, acteurs majeurs, en forte concurrence sur le marché ne donne-t-elle pas la possibilité de faire des offres alléchantes et grand public ? Pourquoi, malgré ce boom démographique du marché, Internet est et reste toujours considéré comme un produit de luxe ? En 2009, le ministre d’Etat des Postes et Télécommunications d’alors, l’avait bien compris et avait même proposé une solution.

La nécessité de la construction et de la gestion d’une fibre optique (FO) s’impose

Le 26 janvier 2009, sous la présidence du premier ministre, Inoni Ephraim, Bello Bouba Maïgari, ministre d’État des Postes et Télécommunications, plaide pendant le Conseil de ministres pour la création d‘une structure en charge des infrastructures des télécommunications au Cameroun et plus particulièrement de la fibre optique. Le ministre avait donc saisi l’occasion pour présenter l’état des lieux du réseau des télécommunications en ces termes :

Le pays présente donc une section transport de signaux entre villes et vers l’international, appelée backbone, combine généralement trois éléments : le faisceau hertzien, le satellite et la fibre optique. Pour le moment, notre backbone national est constitué en grande partie par le faisceau hertzien qui non seulement est éclaté, chaque opérateur ayant son propre réseau, d’où le prix élevé des communications, mais en plus offre de très faibles capacités au regard des besoins nationaux. Le satellite est très coûteux pour le transport interurbain des signaux de télécommunications. […]. La fibre optique est le meilleur moyen de transport de communication en termes de qualité, de communications, de capacités offertes, de coût d’exploitation et de durée de vie. […]. Pour réaliser ce réseau de manière économique et efficace, il est nécessaire de créer une société d’infrastructure qui aura la responsabilité de construire et d’exploiter cette infrastructure. C’est pourquoi la création de Sitelcam qui assumera ce rôle revêt pour moi un caractère essentiel. Les études de faisabilité afférentes montrent la rentabilité de cette entreprise. Sitelcam donnera à l’État le moyen de contrôler les communications internationales et donc de mieux assurer sa sécurité et sa souveraineté, ce qui est observé par ailleurs dans les pays aussi libéraux que les États-Unis.

La problématique de la fibre optique (FO) au Cameroun

L’État, via Camtel, son bras séculier dans le secteur, en l’absence d’une véritable société de patrimoine (Sitelcam) a choisi de botter en touche les conseils du ministre Bello Bouba. Il faut le préciser ici : Camtel, opérateur de téléphonie au même que MTN, Orange et Nextel, est l’entreprise qui est de fait censée gérer la FO en construction. Sitelcam avait été pourtant pensé à dessein afin d’éviter une probable concurrence déloyale. L’impressionnant niveau de pénétration de la fibre optique, plus particulièrement à Douala et à Yaoundé, peut constituer actuellement un atout très positif en vue de développer une connexion internet à haut débit et de masse. Mais alors, qu’est-ce qui fait problème ?

Beaucoup d’experts en informatique et en télécommunication sont formels sur ce point : le blocage n’est pas technique, mais plutôt politique. Le politique est seul à avoir la capacité et le pouvoir de prendre la décision qui s’impose pour démocratiser l’accès à l’internet. Le salut de ce secteur va – nécessairement – passer par la levée de la mainmise de Camtel sur la FO au profit d’une entité (ad hoc) plus neutre et la refonte des tarifs d’accès à la bande passante pour les ISP. Pourquoi n’opterons-nous pas vers la création d’une coopérative ou d’une société commune chargée de gérer la FO avec présidence tournante ? Ce ne sont donc pas les idées qui manquent. Il faut le dire pour le décrier, les « gens proches du dossier », supposés être des conseillers avisés auprès de nos gouvernants, sont de véritables pêcheurs en eau trouble. Ils ont réussi à faire prospérer la thèse selon laquelle « l’ouverture » de la FO allait entraîner le chaos sur le plan sécuritaire. C’est une théorie qui prospère depuis plusieurs années, et à laquelle nos dirigeants semblent être malheureusement sensibles. La vérité est que ces « gens proches du dossier » tirent des dividendes de cette surenchère sécuritaire et ce statu quo les arrange. En conclusion, soit le politique se fiche de l’essor d’Internet au Cameroun, soit il a compris qu’Internet amplifie de trop la revendication démocratique et met en danger son pouvoir. Et pourtant…

… Quand la fibre optique passe, le développement suit

Quand la route numérique passe (la FO), le développement numérique suit. Quel développement, personne ne peut le prédire, tout comme personne ne prédisait le prépayé en Afrique, ni le mobile money, ni le SMS banking. Tous ces usages ont apparu avec la disponibilité de la bande passante.Tant qu’on aura l’Internet vendu « au kilo », au « volume », quelle qu’en soit la nature de l’offre, ça restera cher et ça ne permettra pas d’entrer dans l’ère du service, est celle qui permet de véritablement tirer profit de la technologie, et surtout, de faire éclore les talents. La disponibilité de la bande passante libère la créativité et par conséquent, crée les usages. Si le client est stressé par le « crédit » chaque fois qu’il se connecte à l’internet, alors, que peut-il y faire de bon, si ce n’est de papillonner ici et là et repartir très vite ? On a souvent parlé du génie et de l’inventivité des Camerounais et en ce domaine, leur potentiel n’est même pas encore effleuré. Avec toutes les offres que nous avons sur le marché en ce moment (excepté l’ADSL de Camtel), impossible de faire du streaming musique et vidéo (regarder la télé ou un film et écouter de la musique en ligne et en direct). Même si certains ISP le proposent, ont-ils réellement la bande passante pour cela ?En tous les cas, au Cameroun, même avec l’ADSL, il faut « saigner » vraiment financièrement pour avoir droit à une connexion de qualité.

Il faut libérer la bande passante, et permettre à la jeunesse d’exprimer sa créativité. Rien de pire que de devoir stresser par rapport à son crédit, par rapport au débit, par rapport aux coupures, etc. Pour créer, inventer, on doit avoir l’esprit libre qui est nécessaire et vital pour que la jeunesse, constituant plus de 60 % de la société, puisse donner le meilleur d’elle-même. C’est l’une des solutions majeures pour résoudre le problème de chômage, car les nouvelles technologies sont, à l’heure actuelle, considérées, comme le soulignait encore le ministre Bello Bouba, « la deuxième industrie mondiale, juste après le pétrole ».

NB : Ce billet est une synthèse des interventions des journalistes spécialisés et experts du domaine à la suite d’une discussion dans le forum camerounais 237Média entre Lydie Seuleu, Idriss Linge, Tane Rostand, Eric Dibeu, Jean-Vincent Tchienehom et Nino Njopkou.

Tchakounté Kémayou


Cameroun : Le scandale de l’IRIC ébranle la république

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Un adage populaire dit toujours« 99 jours pour le voleur et 1 seul jour pour le grand patron ». Ce qui se passe actuellement à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC)pourraient ressembler étrangement à ça : « 99 jours pour le ministre Fame Ndongo et 1 seul jour pour le peuple ». Depuis plus d’une semaine, le Cameroun est secoué par ce que d’aucun appellerait « scandale » où le ministre de l’enseignement supérieur (MINESUP) a été attrapé en flagrant délit de tripatouillage de liste d’admis dans cette prestigieuse école.

L’opinion populaire murmurait toujours, pour s’en plaindre, que l’entrée dans des grandes écoles du Cameroun comme l’ENAM, l’IRIC, les Ecoles Normales, les Facultés de médecine et de sciences pharmaceutiques, des écoles de polytechnique, etc. sont d’abord privilégiée aux enfants des « grands du pays ». Les jeunes avaient donc l’habitude de dire: « Pour passer à un concours dans ce pays, il faut avoir les réseaux, être de la famille des grands du pays ». Ces genres de discours de victimisation, tout le temps récurrents dans les quartiers et les chaumières,étaient, dit-on, réservés aux enfants qui ne voulaient pas faire des efforts, aux enfants faibles qui cherchent absolument des bouc-émissaires pour justifier leur fainéantise. C’était finalement devenu une affaire d’enfants voyous et jaloux de la réussite des autres.

Les publications de listes d’admis étaient des occasions idoines pour la presse et la société civile, de dénoncer, chaque fois, un certain laxisme au niveau des choix des admis qui, visiblement, étaient considérés comme des privilégiés. Certains leaders de la société civile prenaient même le risque de démontrer justement, à base de la consonance des patronymes des admis, faute d’éléments à conviction, cette politique de favoritisme qu’on met sur le dos de « l’équilibre régional ». En fait, de quoi s’agit-il, pour le cas précis de l’IRIC ?

Les faits ainsi relatés, par le journaliste Cabral Libii, frisent le ridicule

Le 27 février 2015, les résultats du master en diplomatie (seul master à l’IRIC dont l’accès conduit automatiquement à un recrutement dans la fonction publique) sont affichés, visés à la fois par les membres du jury des délibérations et par le Chancelier des ordres académiques (MINESUP, Prof. Fame Ndongo),où figurent 15 admis définitifs et 7 noms sur la liste d’attente. Le 28 février, le même Ministre signe et fait afficher une seconde liste de 15 noms sans liste d’attente. Constat patent :Les deux listes sont différentes. Pourquoi ? Parce que :

1. Certains noms disparaissent,d’autres apparaissent,
2. Beaucoup de noms sur la première liste (du 27 février) et surtout ceux de la deuxième liste (du 28 février)sont portés par les rejetons de quelques « grands du pays ».

La polémique qui est alimentée de façon soutenue par la presse oblige le MINESUP à sortir de sa réserve. De ses sorties médiatiques accompagnées d’un communiqué, l’on retient les justifications suivantes : La première liste (celle du 27 février) comportait des vices qu’il fallait corriger afin que les résultats soient conformes aux lois et règlements régissant les concours officiels au Cameroun. Le vice en question (puisqu’il s’agit d’un seul) c’est :

1. Le caractère pléthorique des ressortissants d’une seule région (celle du Centre) parmi les admis. Ils sont 6 sur 15 ;
2. Et, par voie de fait, l’absence des candidats originaires des régions de l’Adamaoua, de l’Est, du Nord et du Nord-Ouest.

Mais, curieusement parmi les nouveaux noms introduits dans la deuxième liste (celle du 28 février), il y a encore des ressortissants de la région du Centre en remplacement d’autres noms de la même région. A la différence que les nouveaux noms sont ceux des enfants des « grands du pays ». Plus curieux, la seconde liste n’est pas visée par les membres du jury des délibérations comme cela avait été le cas pour la première liste.

99 jours pour le voleur, 1 seul jour pour le grand patron

10388195_10204995210976758_1607649746351404129_nCe dysfonctionnement structurel de l’administration camerounais a soulevé l’opinion, les partis politiques et la presse qui ont vite fait de crier au scandale. Seulement voilà : ce que les jeunes murmuraient sous cape, ce qui était considéré jadis comme des rumeurs, des cris d’orfraies, a été mis au grand jour. Avant, tout le monde, y compris la société civile, le martelait, même sans preuve objectives, que les concours officiels au Cameroun sont truffés de tripatouillages. Et la réponse idoine que les autorités donnaient pour calmer les esprits, c’était que la réussite aux concours officiels n’étaient pas seulement basé sur la « méritocratie nationale », il y avait aussi la « méritocratie régionale »qu’il fallait prendre en compte (Dixit Fame Ndongo). C’est ce que nous appelons ici « Équilibre régionale » en vigueur depuis l’indépendance. A quoi renvois cette politique ?

Depuis les indépendances donc, et surtout suivant les textes de loi et règlements de la République, notamment la loi de 2001 organisant l’enseignement supérieur qui interdiraient toute discrimination négative à l’encontre de jeunes Camerounais, les autorités ont pris cette mauvaise habitude de justifier les discriminations jugées négatives longtemps remarquées à l’égard des candidats par le sceau de « l’équilibre régional ». Il consiste à réserver un quota précis pour chaque région afin d’éviter un déséquilibre qui pourrait faire l’objet des frustrations. C’est ce que le ministre lui-même a appelé la « méritocratie régionale » qui, sur le plan de son application, consiste à prendre « les meilleurs dans chaque région » et ainsi concevoir une liste de consensus. Bien que cette politique de l’équilibre régional soit condamnée et décriée par beaucoup d’observateurs qui estiment qu’elle ne serait pas la panacée à l’égalité d’accès à la fonction publique pour tous, elle constitue un cache-sexe de la « reproduction sociale » des élites. Depuis fort longtemps, ces pratiques malsaines faisaient l’objet des critiques qui avaient fini par rendre l’opinion pessimistes sur les compétences supposées des candidats retenus aux concours officiels. Il a fallu quelques minutes d’inattention du ministre où les consignes du clan n’ont pas été respectés dans la première liste et que les manœuvres clientélistes soient mises au grand jour après la publication de la deuxième liste: le tripatouilleur a été pris la main dans le sac.

Biya au secours de l’incurie : la bouillabaisse incarnée par Fame Ndongo (Alex G. Azebaze)

Samedi 7 février, Fame Ndongo prétendait, dans une interview à la radio nationale (CRTV) avoir privilégié la « méritocratie régionale » pour remplacer d’autorité 6 candidats – pourtant déclarés admis par un jury censé souverain et publiés la veille par lui-même – par 6 autres candidats non retenus par ledit jury.Maintenant, le 9 février, dans la même chaîne, il revient et explique, pince sans rire, en déclarant désormais admis tous les 22 de la 3ème liste qui est la combinaison des deux premières listes pour un concours ouvert légalement pour 15 places dans la filière diplomatie de l’IRIC. Respecte-t-il toujours les textes de loi et règlements de la République ? Notamment la loi de 2001 organisant l’enseignement supérieur qui interdiraient toute discrimination négative à l’encontre de jeunes Camerounais quand bien même il mélange toute cette forfaiture avec de supposées instructions présidentielles. Comme si le Président de la République pouvait être considéré par des observateurs censés comme un acteur universitaire qualifié. C’est de la basse politique tropicale. Qui ne s’appuie sur aucune valeur. Ni principe. La débrouille quoi comme à la Fecafoot qui serait passé comme lettre à la poste s’il n’y avait pas eu d’intervention internationale, notamment le Tribunal arbitral du Sport (TAS).

L’affaire IRIC, en moins d’une semaine, a fait plus de mal à l’image des produits de l’enseignement supérieur que tout rating national ou international. Et dire que tout cela s’est passé en public, de la propre initiative des responsables compétents qui ont décidé de salir le Cameroun, comme des… grands. Et ils ont le toupet de venir raconter des bobards sur la Crtv comme si cette affaire ne concernait que le gouvernement. Voici en effet ce que M. Fame Ndongo dit au présentateur Alain Belibi au journal de 17h après avoir déculotté le Cameroun : « Les produits du système universitaire camerounais sont bons.La preuve allez en Allemagne, Belgique, France, Etats-Unis, et voyez comment sont nombreux les médecins formés au Cameroun ». Il n’y a plus que le grand père président pour croire à de telles balivernes si tant qu’il s’en occupe vraiment encore.

Au Cameroun, la honte ne fait plus parti du vocabulaire.

Tchakounté Kémayou


8 mars : L’« autonomisation des femmes »à la camerounaise

8-mars-2014-ambiance-yaounde-cameroun-bambinosLe 8 mars de chaque année est célébré l’International Women’s day dans tout le monde entier. Il y a 20 ans, une Déclaration avait été signée à Beijing par 189 gouvernements. C’est une feuille de route axée sur 12 domaines où l’accent est mis sur « les droits de la femme ». Parmi ces droits donc, il y a « l’autonomie » de la femme qui est le thème central de cette année : « Autonomisation des femmes – Autonomisation de l’humanité : Imaginez ! ». Une petite observation du comportement quotidien des femmes camerounaises révèle leur limite à s’approprier ce concept compte tenu des habitudes et des mœurs qui leur collent à la peau jusqu’aujourd’hui. La mauvaise perception de ce concept les conduit donc à penser que « autonomie » signifie « absence de devoir ».

« L’autonomisation de la femme »est un concept révélateur de ce que les féministes appellent « responsabilité sociale de la femme » : c’est donc l’« autonomisation de l’humanité ». Le 21ème siècle est fondamentalement celui de l’ère moderne où chaque individu, en fonction de ses capacités, doit être capable de répondre aux défis de son environnement. Il s’agit ici de donner à tous, y compris à la femme, les moyens intellectuel et moral pour affronter le monde moderne. Ce sont donc des défis trop exigeants sur le plan du travail. Le sens premier de ce concept renvoie plus à l’économie : « l’autonomie financière ». Pour que la femme jouisse d’une « autonomisation », elle doit avoir des sources de revenus qui lui permettent d’alléger les charges liées aux besoins personnels et familiaux jusqu’ici mises sur le dos de son partenaire. Une femme autonome est un gage de la survie de la famille, de la société.

On peut débattre sur le thème de « L’autonomie de la femme » à longueur de journée, mais il est nécessaire de savoir que pour les femmes camerounaises,autonomie signifie « mon argent, c’est mon argent ». Comprenez bien qu’il ne s’agit plus ici de « responsabilité sociale », mais de « jouissance personnelle ». Il suffit juste de créer un groupe de discussion avec elles pour comprendre le scandale de leur déviation. Pour elles, il n’est pas question de prendre la « responsabilité » de la gestion de quoi que ce soit. Elle n’assume rien. Tenez : au resto, c’est l’homme qui paie la note, à la maison, le loyer, l’électricité, l’eau, la ration, le pagne du 8 mars, les cadeaux du 14 février, l’anniversaire de sa grand-mère, de sa tante, de son chien, et que sais-je encore ? C’est toujours l’homme qui doit payer. Et la femme, de quoi s’occupe-t-elle donc ? De ses bijoux, de ses cheveux, de sa garde-robe, de ses séances de gym, de ses tontines.Bref, elle ne doit s’occuper que de ce que vous savez comme gadgets personnels, de tout ce qui lui appartient à elle. Pour elle, c’est déjà une autonomie puisque sans boulot, c’est son homme qui aurait eu la charge de tout. Voilà le sens de son autonomie.

Comment comprendre alors ce concept ? Les Camerounaises ne veulent même pas s’étaler sur cette philosophie qui pourrait leur embrouiller le cerveau déjà surchargé. Le 8 mars est une journée très révélatrice pour comprendre le sens que les femmes camerounaises donnent à ce fameux concept de l’ONU. D’ailleurs, vous ne verrez jamais les femmes aussi mobilisées toute une journée durant. C’est leur journée non ? C’est le quartier libre. Elles s’en ont approprié et en ont fait une journée de réjouissance à gogo. Ne prenez jamais un rendez-vous avec la femme camerounaise le 8 mars. Pardon, elles ont leur « autonomie » le jour-là. Elles n’ont donc pas attendu les Nations Unies pour la décrété. Chaque 8 mars, leur journée commence au pas de course et non-stop. C’est sa liberté à elle : pas de cuisine, pas de ménage, rien. A la première heure, elle fonce à la douche, puis enfile son cycliste et elle porte son Kaba-Ngondo. La voilà dehors en partance pour le défilé à la place du 20 mai à Yaoundé ou au Boulevard Joss à Douala. En compagnie de ses copines, elles commencent le kongossa en route :

– Ma co’o comment tu vas ?
– Ma co’o laisse-moi comme ça. N’est-ce pas le type-là a failli me refusé le pagne !
– Ekié ma co’o, ton gars est aussi chiche comme ma part-là ?
– Aka je n’ai plus son temps. J’avais mes pauvre dix milles. Ça m’a aidé. Et toi ? Tu as fait comment ?
– Donc tu ne connais pas le secret ? Je n’ai pas libéré toutes les nuits pendant deux semaines. J’ai fait comme si j’avais le palu. Pour finir, il a mis les mains dans sa poche et m’a remis un petit 20.000F. En me donnant, il pleurait comme un gamin. Je n’avais plus son temps.
– Maaaaama ! Ma co’o, le pays-ci, c’est pour vous. Tu as le foléré à l’œil.
– Tu dors, ta vie dort ma co’o. Je ne donne pas le lait hein.

L’autonomie c’est donc ça. Avoir le pouvoir de dompter son mari par le chantage. C’est le pouvoir du « sexe faible » non ? Le kongossa était tellement intéressant que les copines ne se sont même pas rendu compte qu’elles étaient déjà en place pour le défilé en tenu d’apparat. Ici, les couleurs des pagnes et les modèles conçus par les stylistes aguerris pour les femmes de grands milieux et par les couturières de la basse classe pour les autres se rivalisent dans les rangs. C’est comme un gigantesque défilé de mode grand public. Elles sont de tous les gabarits : minces, potelées, grandes, petites, naines, handicapées, et j’en passe. En tous les cas, le public masculin, plus nombreux, n’a jamais été déçu. Suivez mon regard.

Après le passage de chaque groupe de femmes, elles prennent la direction d’un lieu de festin.Tout est prévu avant. Les gargotes, les bars, les restaurants sont les lieux privilégiés, si ce n’est le domicile bien huppé d’une d’entre elle. Généralement, l’après-midi du 8 mars, ne perdez pas votre temps à entrer dans un bar au resto occupés par ces femmes en tenue. Elles ont tout réservés : boissons, brochettes de porc, de poulet, de bœuf, de mouton. Même la musique, aux sonorités locales, est mise à contribution pour une ambiance de folie. Laissez-les se trémousser et changez tout simplement de bar, sinon vous risquez de subir la foudre d’une femme qui, dans son ivresse, viendra vous envelopper dans son grand Kaba-Ngondo. Si elle ne soulève pas carrément cette grande robe-là pour vous coincer, faites votre signe de croix et dites : « chance » en prenant immédiatement la sortie. Sinon, vous risquez donc d’étouffer à l’intérieur par asphyxie. Imaginez un peu les odeurs de toute la transpiration amassée durant tout le défilé. C’est l’autonomisation des femmes non ? Que voulez-vous encore ? Elles ont l’argent. Elles peuvent se payer ce luxe.

La journée ne s’arrête pas là. Autre lieu, autre ambiance. Les boîtes de nuit prennent donc le relais à partir de 19 ou 20 heures. Ici, pas question de VIP. Tout le monde est convié s’il veut bien entrer. Mais, ne demander pas plus que ce qu’on vous donne parce que les chères femmes ont tout commandé à l’avance. N’est-ce pas vous avez dit que « femmes capables » ? Ici, le menu du programme de la soirée est aussi alléchant : concours de chant, concours de karaoké, concours de meilleure tenue du 8 mars, etc. et surtout sans oublier le concours de danse. Ah, c’est vrai qu’en boîte de nuit on vient pour danser, mais beaucoup de chose s’y passe. Ces soirées dansantes sont des occasions de nouer les rendez-vous coquins les plus perfides. La plupart ne loupent aucunement des occasions pareilles. Le cantonnement dans le cancan familial où l’homme règne en maître ne leur permet généralement pas de s’aventurer à la découverte du monde de la nuit. Les missions effectuées hors de la ville par le mari sont, à certaines circonstances, une perche pour découcher avec des risques que vous pouvez certainement imaginer. Le 8 mars, journée sans contrôle, se révèle alors être une occasion idoine pour se la couler douce par une partie de plaisir.Elles reviennent donc à la maison, à la même heure de la veille lors de son départ, toute épuisée, éberluée. Le mari n’a pas le droit à la parole. Le 8 mars c’est leur journée consacrée à la femme, tandis que le reste des 364 jours de l’année appartient aux hommes qui se défoulent tous les jours, rentrent aussi tard et quelques jours après. Elles ont donc le droit de faire de cette journée ce qu’elles veulent : C’est l’autonomisation de la femme non ? Que voulez-vous d’autre ?

Il y a plus de trois ou quatre ans, quand ce genre de comportement était légion chez les femmes camerounaises,les maris furieux administraient une bastonnade légendaire à leur femme à défaut de balancer leurs valises dehors en criant :

– Tu sors d’où, Madame ?
– J’ai encore fais quoi ? Pardon, laisse-moi aller me reposer, je suis fatiguée.
– Sorcière. Je ne t’ai pas doté pour venir faire la loi chez moi. Rentre rapidement chez tes parents.

Vous imaginez une femme encaissée l’humiliation sans réagir ? Elle répond aussi :

– Sorcier toi aussi. C’est toi qui es venu me chercher chez mes parents. Je ne bouge pas d’ici. C’est le Caterpillar qui viendra m’enlever.
– Ah bon ? Tu veux voir ma colère ?
– …

Ce genre de scènes de ménage faisait la une des journaux le lendemain du 8 mars. Les dégâts étaient insupportables et aujourd’hui, on en entend plus parler.
Les femmes camerounaises n’ont donc pas attendu les Nations Unies pour exercer leur « autonomisation ». Elles ont leur propre définition de ce concept qui est loin de ce qu’on peut imaginer. Vous trouverez difficilement des femmes laissées leur commerce, leur ménage pour aller se cultiver dans les séminaires de sensibilisation sur la connaissance de leurs droits. Non. Que le kongossa est fini ? Elles vont vous répondre en disant qu’elles ne font pas la politique. Les hommes sont de gros menteurs, la politique c’est pour eux. D’ailleurs, elles ont mieux à faire : tourner le couscous pour leur mari au risque de recevoir de celui-ci une mémorable raclée le soir. Pour elles, les féministes sont des femmes intellectuelles et instruites qui veulent faire la révolution de foyer : concurrencer ou dominer l’homme. Pour elles, c’est l’homme qui est le chef de famille, et par conséquent la femme doit être sous son autorité. Il est donc la personne à tout faire.

Pour ce qui concerne le cas des femmes qui portent toute une famille sur leurs épaules, c’est un autre débat non moins important et digne d’intérêt.À méditer.

Bonne fêtes, Mesdames !

Tchakounté Kémayou


SOUVENIR – DOUALA :La révolte populaire de Février 2008 telle que je l’ai vécue

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Je me souviens de ces journées mémorables des 25, 26, 27 et 28 février 2008 au Cameroun. Douala, capitale économique, ville tout à fait particulière de par son organisation et sa composition, est considérée comme la ville rebelle. C’est elle qui était la principale une de l’actualité si ce n’était la seule. Il y a donc sept ans, pour une des rares fois dans ce pays, les jeunes avaient fait entendre leur voix en criant leur ras-le-bol face à la vie de plus en plus chère à travers leur seul moyen d’expression : la rue. Mais, au lieu de la bouffe, les réactions immédiates des autorités furent sanguinaires : la sépulture.

Plus tôt avant et à la veille du 25 février 2008, Douala sentait déjà du roussi. Les informations venaient de tous les côtés appelant la population à rester chez elle. D’où venaient ces informations et qui en était l’émissaire, je veux dire le ou les leaders ou même l’organisation qui en revendiquaient la paternité ? Je n’en sais rien. Tout s’est passé comme un éclair au point où personne n’y comprenait rien. Le 24 février, de la maison, les informations me parvenaient que quelques manifestations sporadiques avaient été réprimées dans un autre quartier de plus de 10 km plus loin de moi. La répression policière a fait un mort sur le coup. De là jusqu’au centre-ville, l’émoi était déjà perceptible. Mais, les quartiers résidentiels comme Bonanjo, Bonapriso, Bonamoussadi, Maképé et Kotto où je réside, le climat était serein. Tout laissait à penser que ce n’était qu’une gesticulation de « petits vandales », comme nous avaient laissé croire les autorités qui n’avaient pas sans doute mesuré le danger. « Tout ira bien, que chacun vaque à ses occupations » : cette ritournelle a toujours été leur refrain préféré pour rassurer la population qui prenait déjà cette affaire au sérieux. Les tracs en circulation étaient rares et les nouvelles ne circulaient que de bouche à oreille : ville morte, pas d’ouvertures des boutiques et des marchés, pas de travail, pas d’école à compter de demain.

Le lundi 25 février, à la première heure, je suis debout et comme d’habitude mon poste récepteur n’était pas mon premier réflexe. Je me dirige plutôt directement vers le carrefour de mon quartier où je ne vois pas l’ombre d’un individu. Tout était calme et semblait présager une journée d’intenses activités. Subitement, quelques badauds et voisins débarquèrent de, je ne sais d’où. Le carrefour commence à faire foule petit à petit, car les gens venaient prendre la température avant de décider d’ouvrir leur boutique pour les uns ou de sortir avec leur voiture pour les autres. Mais, la première curiosité c’était l’absence des taxis et des ben-skin. Après quelques minutes seulement, un membre du parti au pouvoir habitant à quelques jets de pierres de là et qui voulait jouer au courageux, est retourné mali militari en faisant une marche-arrière en catastrophe au bord de sa belle Prado. Des jeunes venaient vers lui avec des pierres, des lattes et des vielles roues de voitures. C’est en ce moment précis que j’ai dit : « Donc, même l’acteur est mort dans son propre film ? ». A cet instant, tout a commencé à changer dans ce carrefour Kotto Bloc. Tout allait dans tous les sens. Un grand feu est immédiatement allumé à cet endroit avec ces vielles roues de voitures. Elles étaient destinées à la Prado de l’expert-comptable Samuel Moth, fuyard et faux courageux. Il avait sûrement dit à sa femme qui ne voulait pas sortir de laisser sa petite voiture et de monter à bord de la sienne pour voir comment il est fort et puissant, comment les « vandales » ont peurs de lui. Quand un homme du RDPC veut jouer le faux héros devant sa femme, voilà ce que ça donne.

A cet instant, je retourne à la maison avec la certitude que, si c’est arrivé à Kotto c’est que tout Douala est paralysé. En mettant donc mon poste récepteur, Radio Équinoxe, chaîne urbaine très populaire, en concurrence avec RFI (Radio France Internationale) avec son correspondant permanent ici, j’écoutais anxieusement les journalistes qui nous gavaient d’informations de première main. La ville était donc minée. C’est le jour où j’ai compris le véritable rôle d’un journaliste. Tout le monde était sur ses gardes en attendant, je ne sais quoi. Le moindre dérapage pouvait tout embraser. Au fond de moi, même s’il était tôt pour y penser, je comprenais que quelque chose allait se passer. Du coup, je recevais des coups de fils de partout, des frères, sœurs, amis, cousins, etc. du Cameroun et à travers le monde pour me demander : « Gars, c’est comment au Mboa ? ». Je ne cessais jamais de répondre : « Gars, c’est fort, mais c’est pas grave ».

Le mardi 26 février, je ne faillis pas à mes habitudes, cette fois-ci : mon récepteur allumé, les nouvelles ne sont pas rassurantes. Merde. Un autre tour au carrefour me donne froid au dos sur la gravité de la situation. Rien n’a changé. Mais, voilà que les habitants de mon quartier avaient oublié quelque chose de très fondamental : se ravitailler en nourriture. Il faut le dire ici tout de même, les dernières révoltes, qui dataient des années 1990 et 1991 avaient laissé des mauvais souvenirs dans la conscience collective en matière de répression. La première élection présidentielle multipartiste de 1992, à l’ère de la démocratie, avait été spectaculaire. Le vieux Dipanda Mouele avait proclamé la victoire de Paul Biya à la place du vainqueur Ni John FruNdi, leader du parti de l’opposition SDF. C’est un souvenir qui avait encore laissé un goût amer chez les Camerounais qui espéraient enfin la fin du régime de dictature depuis 1956. Le chairman Ni John Fru Ndi, appelant au calme de la population, a certainement-là, trouvé la meilleure solution à la crise que traversait le pays depuis trois ans, mais ne réussira pas à calmer les esprits de ceux qui voulaient en finir avec ce régime. Ces tueries pendant les villes mortes de 1990 et 1991 et le holdup électoral de 1992 ont finalement donné cette certitude et la confirmation que le régime de Biya est une dictature. Depuis cette période, ce régime n’a jamais cessé de s’exercer à son jeu favori : réprimer la population dans sa soif de liberté. Cette liberté, systématiquement réprimée par le BIR à tel enseigne que le peuple, jusqu’ici, manque de culture de la liberté, d’exercice de la démocratie. Les éventuels appels à la marche des partis politiques et des syndicats pour des revendications quelconques sont jusqu’ici considérés comme des « troubles à l’ordre public » par des préfets et des sous-préfets qui les interdisent systématiquement. La population avait donc commencé à s’y habituer. La déculturation et la dégradation de la citoyenneté causée par des répressions tout azimut avaient donc commencé à avoir ses effets : la désaffection, le découragement et le désintérêt de tout ce qui relève de la politique. Personne ne voyait donc le danger venir en février 2008. Mais alors, qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur de cette révolte surprise ?

En 1996, la constitution promulguée, issue de la tripartite (Gouvernement, partis d’opposition et société civile) qui est l’une des solutions de sortie de crise des années de braise, limitait désormais le mandat présidentiel à 7 ans au lieu de 5 ans et renouvelable une fois. Ce qui n’était pas le cas avant. Du coup, une lueur d’espoir se dessinait à l’horizon. Biya devrait donc avoir théoriquement 14 ans maxi au pouvoir. Que nenni. C’est en 2008, avec ses 76 ans, que le vieux tyran a compris que 14 ans étaient trop petits pour un si vieux lion. L’élection présidentielle de 2011 venant à grand pas, il fallait faire quelque chose. Quoi ? Vous en doutez bien. Le plat préféré des tyrans africains : changer la constitution en remplaçant « renouvelable une fois » par « renouvelable ». Comment peut-on changer seul un article, point focal, qui est le résultat d’un compromis de sortie d’une crise ? Et pendant ce temps, le climat social avait aussi pris un coup avec une inflation des prix des produits de première nécessité qui étaient passé du simple au double : riz, farine, sel, viande, lait, huile, poisson et que sais-je encore ? Les camerounais avaient donc très mal vécus les périodes de fêtes de fin d’année et 2008 ne présageait pas une année facile. Comme si cela ne suffisait donc pas, le vieux tyran pris le risque de promulguer, en janvier 2008, cette constitution taillée à sa mesure pour le permettre de se représenter en 2011. Ajouté à cette vie devenue de plus en plus chère, cela avait été considéré comme un défi. Jusque-là, personne ne voyait rien venir même comme le ciel s’obscurcissait.

C’est donc au deuxième et au troisième jour de la révolte, les 26 et 27 février, que beaucoup de mes voisins ont compris qu’ils avaient fait l’erreur de la minimiser. Les seules solutions qui nous restaient étaient donc de foncer vers les boutiques et les échoppes du coin. Les commerçants n’ouvraient pas. Il fallait être un client connu et résidant au quartier pour que le malien d’en face daigne vous servir à l’arrière-boutique. La prudence était de mise. En un clin d’œil, revenu au troisième jour, tout était vide. Les inconditionnels de la bière prenaient place derrière les bars pour se consoler du vide de la panse. La nourriture avait tari partout et les plus courageux m’avouaient avoir parcouru plus de 5 km à la recherche du pain. Quand on dit au Camerounais de faire le sport, ils pensent toujours que c’est un jeu. Ce sont les frottements que vous voulez voir ? Le gros ventre de bière et les cuisses graisseuses ont donné la sueur froide à mes compatriotes qui ont compris l’importance du sport. La famine, la soif, les moustiques, la chaleur, les frottements,… Non, les camerounais n’en pouvaient plus. Le tapioca appelé « sauveur » qui est un repas délaissé ici était subitement devenu « paradis ». Il fallait avoir les couilles en place pour réussir à trouver une seule maigre petite boîte de 50Fcfa vendu ce jour-là entre 100 et 200Fcfa ou parfois plus et pour ne même pas être rassasié.
Le jeudi 28 février, tout le monde était KO. Même les robinets ne coulaient plus. Les jeunes qui manifestaient font déjà parler d’eux. La colère et la sauvagerie ont donc pris le dessus. Les stations-services Total et les kiosques du PMU Cameroun, entreprises françaises sont particulièrement ciblés. Les boutiques de luxe et les boulangeries sont passé au crible par ces jeunes donc la raison avait certainement quitté leur réflexion. Pour certains, c’était la preuve que c’étaient des vandales, comme l’avaient mentionné les autorités au début : « voyez comment ils se comportement. C’est irresponsable. Ce sont des vandales, des voyous ». La réaction violente de Biya, à travers son discours, n’avait laissé personne indifférent. Jusqu’à présent je ne comprends pas pourquoi il accusait les opposants d’être des « apprentis sorciers » et d’être tapis dans l’ombre pour déstabiliser le pays en instrumentalisant la jeunesse alors que lui-même avait donné raison à cette jeunesse en créant un régulateur des prix des produits de première nécessité. Le déploiement du BIR et le discours violent de Biya ont presque mis le pays en situation d’effroi. Comme un coup de baguette magique, le vendredi 29 février, lendemain du discours, tout s’est arrêté comme par enchantement. Vient maintenant l’heure des bilans : plus de 140 jeunes assassinés par le BIR, plus de 3000 arrestations qui ont été déférés au parquet pour « troubles à l’ordre public et casse » et soit amnistiés, soit libérés quelques années après.

Par ce billet, je voudrais ici rendre hommage à ces jeunes assassinés qui, pour la plupart, avaient moins de 20 ans dont les photos circulent partout sur les réseaux sociaux. Ils n’étaient donc pas nés pour les uns ou étaient encore enfants, donc innocents, pour les autres au moment où leurs aînés se levaient aussi comme un seul homme dans les années 1990 et 1991 pour dire « ça suffit ». Devons-nous encore attendre une autre génération de jeunes de 20 ans, donc en 2018 année électorale au Cameroun, pour voir encore les jeunes dans la rue ? Tout laisse à le croire. Parce que du haut de ses 83 ans, Biya et son BIR doit affronter Boko Haram qui risque d’être le prétexte ou la goutte d’eau qui va déborder le vase.

10929574_10206058455883174_3820215702366769514_n1.Jacques Tiwa, tuéaBonanjo alors qu’il sortait de son bureau le 28 février 2008. Jacques était de ceux qui pensaient qu’il faut retourner au pays pour apporter sa contribution pour la reconstruction du Cameroun. Il avait acquis une expertise comptable au Sénégal, et s’était installé à Douala avec son épouse et ses deux enfants (Brice Nitcheu).

 

10995935_10205305772699118_1252816587732141209_n2.Le jeune Junior Mbeng a été abattu le 26 février 2008 àBonabéri par l’armée de Paul Biya.Junior avait tout juste 18 ans. Le 26 février 2008, comme de nombreux jeunes de son âge, il était descendu dans la rue pour dire NON à la modification de la constitution. Il était le fils unique à sa mère, Mme Essome, qui vivait à Bruxelles au moment du crime. Ce jeune (sur cette photo que tient sa mère) Camerounais rêvait d’un Cameroun meilleur (Brice Nitcheu).

 

TchakountéKemayou


Immigration : la voix du cœur ou celle de la raison ?

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Malgré tout ce qu’on peut dire des méfaits de l’immigration : racisme, chômage, sans papier… partir pour l’Occident représente encore pour ces jeunes Africains un espoir, un gage de succès personnel et professionnel. Il ne se passe donc plus une minute sans que des amis, frères, cousins et collègues n’en parlent et n’en rêvent avec passion et émotion.

Fin novembre, Albert venait à peine de demander la main de Nicole quand sa fiancée lui annonça qu’elle venait d’avoir  la« green card » encore appelée DV-LOTTERY. Cette nouvelle a suffi pour mettre les membres de la famille de Nicole en émoi. Chacun voyant déjà le privilège d’avoir une personne proche vivre en Occident. Paradoxalement, cette nouvelle ne semblait pas réjouir Albert. Albert, cadre supérieur dans une banque avait un salaire lui permettant de fonder une grande famille. Ce projet qui lui tenait à cœur venait donc d’être brisé par sa fiancée qui tenait à devenir américaine, son rêve depuis trois ans qu’elle jouait à cette loterie. Conséquence : une dispute entre les deux familles

La question d’immigration est véritablement un serpent de mer ici au Cameroun. Entrer dans le ventre de l’oiseau volant est devenu une obsession chez les jeunes. Leur rêve : aller chez le Blanc et tenter sa chance. Je ferais une digression ici en rappelant, à ceux qui l’aurait déjà oublié ou qui ne le savent pas, que l’Occident aujourd’hui, c’est comme les grandes capitales africaines d’autrefois, vers les années 1960. Je me rappelle de la célèbre chanson d’André Marie Tala intitulée « Je vais à Yaoundé ». A cette époque, je veux dire à l’époque du lendemain des indépendances, les capitales africaines étaient des lieux de destination par excellence pour ces jeunes qui voulaient réussir. Plus de 90 % de la population étant rurale, les grandes villes, et les capitales bénéficiant des infrastructures, hôtels, hôpitaux de référence, universités et grandes écoles, lycées prestigieux, autoroutes, banques, aéroports, etc., étaient considérées comme des destinations privilégiées. D’ailleurs, la plupart de nos dirigeants qui ont vécu cette époque ont immigré vers les villes : c’est ce qu’on appelait « l’exode rural » qui n’est même plus d’actualité. Les campagnes se vidaient inexorablement et les villes devenaient désespéramment surchargées et encombrantes, d’où les bidonvilles. La mauvaise organisation et l’absence d’une politique urbaine présageaient le désordre que nous vivons aujourd’hui. Les autorités se plaignaient alors de cet exode massif qui avait pour risque l’abandon des plantations, seule source de richesse de la plupart de nos familles. L’immigration, aujourd’hui, s’inscrit dans la même problématique. Mais, à la seule différence près que même ceux qui ont un emploi, pour des raisons personnelles ou professionnelles sont tentés par l’aventure.

Ce conflit entre Albert et Nicole n’a pas fini de déchaîner des passions et des émotions à tel enseigne que le fiancé a avoué mettre un terme à la relation si celle-ci venait à partir. Pour la famille de Nicole nantie d’un BTS, il n’est pas question de renoncer à l’immigration, car c’est l’occasion ou jamais d’en profiter aussi comme les autres. « Profiter comme les autres », oui vous avez bien lu, profiter comme les autres : voilà où réside le drame des familles. Cette idée  de belle vie, du « m’as-tu vu ? » est bel et bien l’objet principal de ce projet d’immigration. A peine le voisin, l’ami, le cousin, ou la nièce ont immigré, ils ont changé la vie de leur famille : envoi d’argent par Western Union ou Monney Gramm, reconstruction de la maison familiale, etc. grâce à la position envieuse de ces immigrés. On veut être comme eux, comme les autres, avec cette illusion que cet autre ne soufrerait pas car il vit dans une société moderne où il y a plus d’opportunité pour les bosseurs et les battants. L’image que les autres présentent à leur environnement le plus proche, en famille, au quartier, etc. est celle de celui qui a réussi dans sa vie. Aller en Occident, c’est donc avoir réussi dans sa vie. Rien à voir avec ce qui se cache derrière cette réussite. La conscience collective est loin d’avoir l’impression que quitter d’une zone de pauvreté vers une zone riche ne garantirait pas une réussite. Il serait donc illogique de démontrer, par des calculs ou des équations simples, qu’il fait beau vivre ou encore qu’on peut réussir sa vie à Douala ou à Yaoundé qu’à Paris ou New-York où il y a des plus prestigieuses universités et écoles du monde, des hôpitaux de référence, des plus grands championnats de sports, bref, des infrastructures de rêve comme je venais de le dire pour ceux qui résidaient dans les campagnes et qui rêvaient voir la ville capitale. Il serait vain de convaincre un jeune qu’un pays de dictature est mieux qu’un pays de liberté et de démocratie. Les modèles de vie dans ces pays de démocratie font que ceux qui y vivent regardent de haut ceux qui vivent la dictature au quotidien. Seuls les personnes privilégiées ou celles bénéficiant d’un réseau social et des entre jeans bien solides réussissent à avoir une place au soleil. Ainsi, les valeurs des sociétés occidentales sont érigées en exemple. Immigrer aujourd’hui est devenu une fixation et une obsession chez les jeunes à tel point qu’ils sont prêts à tout abandonner, oui je dis bien, à tout abandonner pour aller jouer sur un terrain inconnu même en l’absence d’une famille d’accueil.

Cette illusion, est entretenue par les aînés, c’est le fait même des autorités. Les pays africains, au lendemain des indépendances, ont été pris en otage par des tyrans dont l’objectif et le programme politique n’avaient rien à voir avec un développement endogène. Leur seule ambition était la conservation du pouvoir à tous les prix. Pour preuve, aujourd’hui, les bourses pour des études dans les grandes universités occidentales n’existent plus que de nom, alors qu’elles, ces autorités des régimes de dictature en ont profité. Aujourd’hui, pour une moindre maladie comme la grippe ou le palu, nos gouvernants préfèrent, par leur position de pouvoir, s’octroyer des avantages des évacuations sanitaires vers ces hôpitaux de luxe sis en Occident. Idem pour leurs vacances princières : l’Occident est devenu la destination privilégiée de ces tyrans. Comment, avec ce genre de comportement, comment ne pas entretenir l’illusion sur le bien-fondé de l’immigration ? Ces mêmes dirigeants qui tiennent un discours sur le patriotisme que les jeunes auraient tendance à perdre sont-ils mieux placés pour être des exemples lorsqu’ils envoient leurs propres progénitures dans les plus prestigieuses écoles en France, en Angleterre ou aux États-Unis ?

Évidemment, il serait difficile de convaincre Nicole sur la nécessité de rester au pays parce que son fiancé a une position sociale enviable d’autant plus que cette position ne saurait être une assurance suffisante dans un pays où par un coup de tête, vous vous retrouvez dans la rue. Pardon, ne me parler par surtout des syndicats des travailleurs, ni de l’inspection du travail, ni même de notre justice où la corruption a son siège social. La pérennité de l’emploi est devenue incertaine. Dans un pays où 80% des sous-emplois règnent en maître, comment ne pas avoir la peur au ventre en tentant de ne pas suivre la voix de la raison : immigrer ? La raison c’est que dans une société moderne, la femme est appelée à s’assumer. L’industrialisation et le capitalisme ont fait de la femme un être à part entière. C’est même là l’objectif du combat du féminisme. Il n’est donc plus question qu’elle compte sur les ressources ou le salaire de son époux pour exister. La participation et la contribution de la femme dans le ménage sont devenues une exigence voire une priorité et une nécessité à cette ère contemporaine. La place de la femme n’est donc plus au foyer comme jadis. Elle doit se battre, autant que son époux, pour la réussite du ménage. L’indépendance de la femme, pour celles qui en sont conscientes, est une exigence dans une société moderne. C’est ce que Nicole a compris en décidant d’immigrer coûte que vaille. Albert, loin d’être contre l’indépendance de sa fiancée, a plutôt un problème : la peur de la perdre, et pour toujours. Oui, il l’aimait tellement qu’il avait peur de la perdre pour toujours. Il est avéré que la plupart des africains qui immigrent, ne respectent pas leur promesse de départ qu’ils ont tenu à leur partenaire amoureux. Comme pour dire : loin des yeux, loin du cœur. La voix du cœur serait de suivre son amoureux avec le risque que cela pourrait entraîner. Le moindre échec ou même la moindre dispute de la vie du couple, va faire remonter à la surface ce regret de n’avoir pas suivi la voix de la raison. Les femmes sont comme ça, malheureusement. Sa volupté ne la quittera jamais pour démontrer à qui veut l’entendre qu’elle a tout sacrifié, qu’elle a abandonné ses rêves par amour et pour le plaisir de son homme, et que pour ça seulement, celui-ci lui doit du respect. Ça deviendra une rengaine et un leitmotiv de chaque instant au moindre pépin. Pour aller plus loin, même si Albert lui offrirait une situation d’autonomie grâce à son salaire, cette rengaine sera toujours brandie comme une épée de Damoclès. Albert y a-t-il pensé ? Je ne le crois pas. Parce que pour ceux qui connaissent la femme, la première réaction lorsqu’elle vient vous dire « Chéri j’ai gagné la green card », serait de lui répondre : « pardon ma chérie, pars-toi oh ! Je suis encore très jeune pour mourir d’un AVC ».

Tchakounté Kémayou


Pourquoi Goodluck Jonathan se moque-t-il de Paul Biya ?

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La Session Extraordinaire de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernements du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Afrique Centrale consacrée à la lutte contre le groupe terroriste Boko Haram s’est achevée hier (lundi 16 février 2015) à Yaoundé. Au total, six présidents de la république des Etas de l’Afrique centrale étaient-là : Biya du Cameroun, Bongo du Gabon, Sassou Nguésso du Congo, Deby du Tchad, Samba Panza de la Centrafrique, et Obiang Nguéma de la Guinée Équatoriale. Ils ont tous fait le déplacement de Yaoundé sauf Goodluck Jonathan du Nigéria qui est le pays concerné au premier chef par cette guerre infernale contre la secte islamique. Comment peut-on analyser ou interpréter cette absence ?

Une déclaration de « guerre totale » sans objet

Depuis mai 2014 que la guerre a été déclarée à Paris par le président Biya, celui-ci semble perdre toute la légitimité du contrôle de cette guerre contre Boko Haram. Comment comprendre que les chefs d’Etat des pays comme le Tchad, le Bénin et plus récemment encore le Niger décident d’abord de consulter leurs députés avant de mobiliser leur troupe pour la guerre et pas Biya ? Celui-ci n’a donc pas trouvé nécessaire d’inscrire la légalité de la guerre par un vote a l’Assemblée nationale et au Senat sur l’envoi de soldats et le budget de guerre.Il serait convenu de l’avouer : cette méthode de fonctionnement et de direction du pays ne rassure pas tous ceux qui voudront prendre au sérieux le président Biya. Une déclaration de guerre qui vient en direct de l’Elysée, loin de sa terre patrie, est un signe, il ne fait aucun doute, que le peuple camerounais n’a rien à y voir et par conséquent, ça ne le regarde pas.

Une guerre dont le BIR est le principal acteur et non l’armée camerounaise

Il n’y a qu’à voir les images du front provenant de nos télévisions : seul le BIR (Bataillon d’Intervention Rapide), perçu par l’opinion nationale comme une milice du président de la république, est considéré à tort comme l’armée au détriment des autres éléments du corps de l’armée proprement dits. Même les chaînes internationales comme RFI, TF1 et autres se retrouvent en train de faire des reportages pour démontrer le professionnalisme des éléments du BIR, question de propagande médiatique, dirait-on. Cette propagande exhibitionniste des médias nationaux et internationaux sur les prouesses du BIR participe-t-il à une stratégie efficace de guerre ? Une réponse négative pourrait donc laisser Jonathan sceptique sur la sincérité de Biya.

Biya ne souhaite pas que Yaoundé soit dans un état de guerre

Le mutisme du président Biya depuis sa « guerre totale » contre Boko Haram ne finit pas d’étonner l’opinion quant à sa volonté de s’y impliquer à fond. Le fait qu’il ne se soit jamais présenté à l’aéroport de Yaoundé pour accueillir les soldats camerounais de plus en plus nombreux mourant au front est peut-être excusable, mais de là à ne jamais allé au Mess des Officiers à Yaoundé s’incliner devant le cercueil de ces soldats-là est tout de même scandaleux pour ne pas dire affreux. Je ne saurai personnellement jeter l’opprobre sur des soldats supposés aller défendre notre territoire malgré ce qu’on peut leur reprocher. C’est Biya qui est à craindre. Que dire alors sur le fait que le président Biya, ni même son ministre délégué à la défense qui n’ont jamais posé leurs pieds au front des opérations dans le Nord du pays ? Que dire des soldats camerounais blessés couchés à l’hôpital militaire à Yaoundé qui ont reçu le président Idriss Deby hier alors que le président Biya, dont le palais se trouve à quelque mètre de là, n’a même pas daigné aller leur serré la main ? Comme pour boucler la boucle, la communication de guerre qui est généralement l’affaire de l’état-major de l’armée et de son chef, est confiée ici au gouvernement, donc, à la propagande. Evidemment, c’est le chef de la propagande gouvernementale Issa Tchiroma qui s’en sort « majestueusement ». Il est donc convenu, de tout cela, que le président Biya ne souhaite pas ameuter la république pour faire croire qu’elle est en guerre. Ça attirerait l’attention du peuple sur lui car la propagande sur le concept de « président grâce à qui le Cameroun est en paix » pourrait battre de l’aile et son bilan d’homme de paix serait ainsi détruit.« Biya ne veut pas mobiliser le peuple, parce qu’il gagne plus en trafiquant avec les otages occidentaux, en censurant la presse qui ainsi est livrée totalement à sa propagande, et en montant sa milice tribale au front pour tirer les lauriers et le länder encore plus haut. La guerre telle qu’elle se passe, sans une mobilisation populaire, est une affaire juteuse pour lui. C’est ce qu’il se dit jusqu’ici ».

L’absence d’une émotion collective contre Boko Haram

Le 7 février dernier, en guise de soutien aux forces armées camerounaise et tchadienne au front dans l’Extrême-Nord contre BokoHaram, Awa Fonka Augustine, gouverneur de la région de l’Ouest, ancien gouverneur de l’extrême-nord s’adresse à la foule, en treillis. Mais de quelle foule s’agit-il ? Il est déshonorant, et même pathétique de constater comment un gouverneur de région, haut commis de l’Etat qui est l’un des bourreaux qui ont empêché l’émergence de la société civile force maintenant les écoliers, les élèves, les collégiens, les lycéens pour une marche de soutien à l’armée camerounaise pour la lutte contre BokoHaram. « Les gouverneurs qui, avec les préfets et sous-préfets, se sont toujours définis comme les soldats du renouveau, interdisant, saquant, détruisant tout ce qui est associatif, veulent soudain que les Camerounais sortent de chez eux pour marcher pour une cause nationale. Ils découvrent ahuris que quand on coupe et sarcle, il n’y a plus d’herbes, qu’a côté des associations des handicapés, des sportifs, des je ne sais trop quoi, il n’y a dans ce pays que des associations tribales – les tontines. Les soi-disant associations de la société civile sont si attaquées dans leur travail qu’elles ne peuvent pas faire le travail de base qui est nécessaire a leur survie: le recrutement des gens, bref, l’investissement humain. Et le gouverneur de l’Ouest, et les marcheurs de Yaoundé, de Douala, et le Mindef (Ministère de la défense), de retomber sur ce qui reste, la seule chose qui reste encore dans ce pays ou les Camerounais se réunissent au-dessus de la tribu : les écoles, les lycées. Encore heureux qu’il ne soit pas allé dans les églises de réveil, car elles sont le deuxième lieu ou les Camerounais se rencontrent par-delà la tribu. A cote des bars, bien évidemment, et des stades de football. On revient donc sur le sport. Seulement, les Lions ont été éliminés de la CAN ».

L’impuissance camerounaise et la réaction de la communauté internationale

Ici, nous nous retrouvons devant le même scénario classique du Mali d’une part et celui de la Côte d’Ivoire d’autre part. Comme au Mali parce que l’entrée des troupes Tchadienne à Kousseri a été saluée et ovationnée par la population camerounaise qui les attendais à la frontière des deux pays. C’est ce même scénario que les maliens ont vécu lorsque les troupes français sont arrivées. Comme en Côte-d’Ivoire, parce que le conseil de sécurité de l’Union Africaine s’y est mêlé et la décision de solliciter l’ONU pour l’envoie de 8.700 soldats a été prise à l’unanimité, c’est-à-dire près de la moitié de toute l’armée camerounaise, près du double du nombre du BIR qui n’a que 5.000 hommes. Le Nigeria et le Tchad devraient apporter chacun entre 3.200 et 3.500 hommes, tandis le Cameroun et le Niger y mettront 750 soldats chacun. La contribution du Bénin est de 700 soldats.La France va payer le carburant, mais veut un mandat de l’ONU. Eh oui, le scenario classique, comme en Côte-d’Ivoire, commence donc. Le Cameroun aura droit à sa résolution No XXX du Conseil de sécurité.

De tout ce qui précède, eh bien, le président nigérian se moque pas mal, non seulement des présidents francophones de l’Afrique centrale, mais plus particulièrement de Biya. Il sait que Biya n’est pas dans une logique de guerre et que la décision ne vient pas de Yaoundé sur les stratégies à mettre en place. Il sait que tous ces gars-là, les présidents des pays de l’Afrique centrale n’ont qu’un seul chef : François Hollande.Il sait aussi que cette session extraordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernements du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Afrique Centrale consacrée à la lutte contre le groupe terroriste Boko Haram est un théâtre tout monté, tout fait. D’ailleurs, comment expliquer que la première dame du Cameroun, pour une photo de famille, se soit retrouvée au milieu des chef d’État d’autres pays qui ont mieux fait de laisser leur épouse au palais ? Comment ne pas donner raison à Goodluck Jonathan qui a plutôt sollicité l’aide des Etats-Unis qui ont aussitôt refusé ? Pour Goodluck, il est complètement certains que le problème de Boko Haram n’est pas du ressort des seuls Africains. Il semble donc que c’est l’efficacité de son armée face à cette nébuleuse qui lui donne cette certitude. La solution de la guerre contre Boko Haramn’est-elle pas entre les mains des occidents qui ne trouvent pas encore d’intérêt à agir ? L’avenir nous en dira plus.

Wait ans see !

Tchakounté Kemayou


14 février : mon coup de gueule de la Saint-Valentin

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Crédit photo: Facebook

Ne serait-il pas opportun, dans les circonstances d’une célébration, de nous poser souvent des questions dignes d’intérêt ? Il m’est toujours arrivé de considérer, loin de faire une polémique sur les concepts, que la relation de couple (un homme et une femme) marié ou non est basée sur la domination. Cet instinct de domination est loin d’être naturel ou spontané : c’est véritablement une construction.

Cette construction est le fait des hommes qui veulent à tous les prix avoir la primauté sur la pérennité, j’allais dire la destinée du couple. Tenez : quand un homme vit aux dépends d’une femme, on l’appelle « gigolo ». Existe-t-il un terme en français pour désigner une femme qui vit aux dépendx d’un homme? NON. Pas du tout! Pourquoi? Parce que la société considère que c’est normal qu’une femme soit nourrie, vêtue, blanchie, soignée, bref entretenue par son homme. Il faut préciser que ce n’est que dans le cadre du mariage que cela s’impose, car l’institution qu’est le mariage donne le droit, je dis bien le droit, à la femme d’être entretenue par son époux. C’est la loi de la famille camerounaise qui l’exige parce qu’elle considère l’époux comme le chef de ménage. C’est lui qui choisit le lieu de domicile et son épouse qui a le devoir de le suivre partout où il va ne peut s’y opposer. Il est donc responsable, mieux il porte l’entière responsabilité de la destinée de la famille qu’il construit. C’est la loi de la construction de la lignée, du clan. C’est le système patriarcal. Dans ce système, le fondateur de la famille, le père, est celui qui est à l’origine des grandes fratries qui pourront devenir plus tard des villages. C’est comme ça que se sont construites la plupart des familles patriarcales. Dans ce cas, l’utilisation du terme gigolo aurait donc un sens.

Il est important de signaler ici que cette loi de la famille camerounaise ne correspond plus aux réalités actuelles. A l’époque de la promulgation de cette loi, les femmes mariées étaient presque toutes considérées comme des ménagères. D’ailleurs, dans la plupart des cartes  nationales d’identité de ces femmes et même de celle des enfants majeurs, il était marqué « Ménagère » dans l’espace réservé à la profession de la mère. Les femmes, au Cameroun et comme la plupart des pays en Afrique, sont donc considérées comme des personnes essentiellement réservées pour faire le ménage et être baby-sitters.

Ce phénomène n’était visible qu’en zones urbaines comme Yaoundé, Douala et autre chefs-lieux de province. En campagne, les femmes s’exercent quotidiennement aux travaux champêtres, aux cultures vivrières. Ce système traditionnel donne donc plus de pouvoir à la femme qui est appelée à assumer ce dont les hommes ont le pouvoir en ville. C’est même une pratique qui est la conséquence de la polygamie, d’où la séparation des biens. Ainsi, chaque femme doit avoir ses propres champs qui lui permettront d’élever sa progéniture dont la moitié de la charge, presque, lui revient.Ici, il serait impossible de trancher sur la notion de chef de ménage d’autant plus que les deux partenaires ont des revenus et prennent en charge le ménage. Malgré tout, la famille reste patriarcale et par principe, l’homme reste chef du ménage. C’est donc une réalité qui n’existe pas dans la loi camerounaise où toute la charge du ménage incombe à l’homme. Dans certains villages, le système matriarcal est de primeur. Dans ce cas de figure, rien à voir avec le terme « gigolo ».

Qu’en est-il du cas où la loi, comme celle qui a été votée en Côte-d’Ivoire, qui stipule que les deux partenaires (l’époux et son épouse) sont des chefs de ménage ? Eh bien, il est donc clair, par cette loi, que aucun d’eux ne détient exclusivement le monopole des décisions en ce qui concerne l’avenir de la famille. En ce sens, même le choix du lieu d’habitation est un accord commun. Pas de dictature, pourrait-on dire. L’épouse, comme l’époux, est un donc considéré comme partenaire, comme chez les économistes. Ce terme prend donc tout son sens ici. Cela veut dire que la responsabilité des charges du ménage incombe aux deux partenaires. Ici encore, comme dans les campagnes, le terme gigolo n’a pas sa raison d’être.

Supposons un tant soit peu que la loi sur la famille venait à être abrogée pour laisser place à la responsabilité mutuelle, comme le stipule la nouvelle loi rédigée fort longtemps et tapie dans les tiroirs des autorités de Yaoundé, qu’adviendrait-il donc de ce terme gigolo ? Aurait-il alors un sens ? Non, me direz-vous. Comme en Côte d’Ivoire, la société deviendrait ainsi, par ce fait, une égalité parfaite ? Est-ce ce que recherche le féminisme ? Qu’est-ce que le féminisme, d’ailleurs ? C’est un mouvement idéologique qui vise la libération de la femme. Vous avez bien lu, libération de la femme. Qu’est-ce à dire ? Libération ici supposerait que la femme n’est pas épanouie, elle mène une vie de seconde zone. Selon ce mouvement, la loi en vigueur au Cameroun n’est pas propice à l’épanouissement de la femme de notre génération. Je me suis toujours posé la question de savoir d’où viendra cette libération de la femme si celle-ci se considère, consciemment ou non, comme une charge pour l’homme. Ainsi, une société où seul l’homme qui a une autonomie financière peut jouir de cet épanouissement personnel.

Voilà pourquoi c’est le lieu ici de dire en le déplorant, que la conscience collective africaine considère l’homme comme celui qui a « le dernier mot ». Car en Afrique et au Cameroun en particulier, c’est l’homme qui doit faire « le premier pas » : draguer ; c’est lui doit aller voir les parents de la fille : doter ; c’est lui qui épouse, donc il fonde la famille et ainsi il donne son nom à sa femme et à sa descendance, etc. Cette pratique a donc comme conséquence numéro 1 que si un homme est dragué par une femme, il sera considéré comme un homme faible, nul et non viril, bref sans valeur, voire il sera considéré comme une femme. La conséquence numéro 2 est que cet homme sera le dominé au lieu d’être le dominateur. La conséquence numéro 3 est que, comme je le disais plus haut, il sera considéré comme un gigolo. Pourquoi le dit-on ? Parce que l’expérience a montré que les femmes qui draguent les hommes sont des personnes de très forte personnalité, d’un caractère qui impose le respect. Les hommes ont l’habitude de les appeler « les femmes difficiles ». Comme pour dire que ce sont des femmes qui ne se laissent pas faire. Cette catégorie de femmes a la poisse.Au Cameroun, elles vivent malheureuses, car n’ayant pas connu de véritable amour. Elles sont pour la plupart, des femmes bien dans leur peau, cadres moyens ou supérieurs, à l’abri du besoin, donc. Elles ont la malchance de vivre dans une société masochiste, où les hommes ont peur d’être dominés. Même celui qui a un revenu haut de gamme a toujours peur de ce genre de femmes et préfère aller dans les sous-quartiers, les banlieues, ou même au village chercher sa femme, considérée, à tort ou à raison, comme celle qui est plus naïve, celle qu’on va « manipuler ». Evidemment, cette situation va entraîner la débauche où ces hommes joueront la belle vie avec ces femmes de caractère avec qui ils feront des enfants. Oui, ces femmes, pour la plupart, qui ne souhaitent mourir sans enfants acceptent facilement ce deal.

De l’autre côté les hommes « pauvres » acceptent rarement et difficile ce deal pour ne pas se faire stigmatiser de gigolo. C’est donc cet état de choses qui a inspiré ce billet que je voudrais participatif. Sans oublier qu’il y a des cas exceptionnels, pourquoi est-il considéré, par la société, que l’homme ne doit pas être pris en charge par une femme ? Si nous revenons au cas de la Côte d’Ivoire, que se passera-t-il si l’un des partenaires n’a aucune source de revenus ? Probablement et naturellement, me diriez-vous, il incombera à l’autre de prendre la charge de la famille. Mais, ceci ne peut s’envisager que lorsque c’est l’épouse qui a perdu son emploi. Par contre, lorsque c’est l’époux qui perd son emploi, les revenus de l’épouse doivent-ils automatiquement servir pour la survie de la famille ? Là, je suis convaincu qu’il ne serait pas facile de répondre par l’affirmative. L’époux doit se dépêcher de trouver une occupation le plus tôt possible s’il ne souhaite pas voir sa femme lui manquer de respect un de ces jours. En Afrique, un homme sans pouvoir financier est un homme sans caleçon. Il deviendra la risée de la société. D’ailleurs, son égocentrisme et son orgueil peuvent lui attirer les foudres de son épouse qui risquerait de « verser tout sur le marché ». Ne dit-on pas, comme l’artiste, que quand la femme se fâche le secret est dehors ?!Impossible donc d’imaginer un mariage avec un homme démuni, car la femme c’est l’argent d’abord. Je ne me souviens même plus où j’avais lu qu’il faudrait désormais désigner la femme par le terme « cameruineuse ».

Comment ne pas rêver d’une société où il sera possible de voir une femme « porter » un homme sans prétention de domination ? Vous me direz qu’il serait impossible de concevoir une société où celui qui finance ne domine pas. Par conséquent, dans un ménage la femme (celle qui finance) ne saurait subir les humeurs de l’autre. Normal. Mais, que dire alors de cet adage populaire qui stipule que seul l’Amour n’a pas de frontières et qu’il peut soulever les montagnes. Pourquoi la femme ne fermerait-elle pas les yeux sur l’orgueil de l’homme au lieu d’aller crier par-dessus le marché ? Si ce geste avait pour finalité d’amener son homme à la raison, cela ne pourrait même pas se justifier. Le linge sale se lave en famille. La plupart des cris d’orfraie c’est pour alerter le quartier et exposer son époux aux regards moqueurs de la meute.
Pour dire vrai, les femmes sont aussi à l’origine de ce masochisme, car elles participent également à le construire. Celles qui sont démunies entretiennent cette conscience collective selon laquelle « c’est l’homme qui doit assumer ». Pour elles, avoir un copain c’est un emploi qu’on a décroché. L’heureuse élue exige d’être aux petits soins. L’exacerbation de ce comportement a même poussé les hommes à considérer celle-ci comme des « femmes matérialistes ». De l’autre côté, celles qui jouissent de l’autonomie financière sont craintes par ces hommes-là qui les considèrent comme des « femmes difficiles ». Dans ce méli-mélo où la femme est malmenée comme une calebasse, les hommes jouent bien leur jeu macho. Contrairement à ce qu’on pense souvent, les femmes s’y plaisent.

Pardon, ne me tapez pas oh. Versez vos billes dans les commentaires.

Tchakounté Kemayou


Mon amour, comment ne pas te faire confiance

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Je me souviens du premier jour
Je me souviens de ce jour où le soleil illuminait ton visage
Je me souviens de ce moment fort palpitant, de l’instant de grâce immémorial
Je me souviens encore de ce premier coup de choc émotionnel que je maitrisais à peine
Oui, je me souviens très bien d’avoir été impressionné par ce regard innocent, oh que le temps passe si vite !

J’ai été obnubilé par ta prestance
Sublimé par ta silhouette pour une si petite femme
J’ai eu comme une sensation de te connaitre depuis belle lurette
Ton visage illuminant me semblait familier comme celle d’une mère attentionnée
Comment ne pas me réjouir de cette présence, de cette grâce un dimanche ensoleillé ?

Tu étais si pâle et curieuse ce jour-là
Tu t’obstinais à dévoiler ce que je ressentais
Peut-être l’avais-tu deviné, j’étais envahi d’enthousiasme
J’étais encore loin de savoir ce qui moussait en moi comme la limonade
J’étais quand même sur mes gardes au moindre dérapage de mes gesticulations

Je me souviendrais encore pour longtemps
Oui, la personnalité que j’avais vu en toi ne pouvais m’échapper
Ton caractère de femme intègre est resté le même malgré le temps qui passe
J’étais sûr d’être tombé sur le bon chemin tant espéré et tant manqué. Chanceux, dirait-on
Combien sont celles qui changent et grimassent après la première impression d’elles du premier jour ?

Oui, Adriana, ta saine vie t’auréole
Ton mérite est d’être aujourd’hui celle que tu as été hier
Comment te quitter malgré les vicissitudes de la vie qui veulent avoir raison de toi ?
J’ai longtemps épilogué sur des raisons de tes manquements pour te détourner de ta ligne
Ta forte personnalité qui me tenait en haleine a été l’un des catalyseurs de mon découragement

Il serait donc hypocrite de ma part de ne pas te dévoiler du fond du cœur ce qui y est caché
Mon loyalisme m’impose du respect pour ta fidélité ô combien constante et indéfectible
Prends-moi dans tes bras et reçois-moi dans ton cœur dont le mystère reste encore intact
Pour avoir su dompter mon cœur, je te l’offre en signe de notre Amour en espérant que tu en feras bon usage

Comment ne pas te faire confiance ?

En ce 14 février, voici mon vœu le plus cher
Je rêve d’être au milieu d’un jardin perdu dans un coin de la Terre
Entourés d’arbres dont les fruits sont prêts à être consommés dans un soleil d’aplomb
Je rêve de cet instant où seuls, nous n’aurons que la nature autour de nous, que des fruits
Que ces pommes bien vertes et rayonnantes et qui n’attendent que la main d’une princesse pour les cueillir

Mon amour, comment ne pas te faire confiance ?

Charlot Malin


Au-delà du luxe, un tricycle pour le droit à l’existence

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A la Maison du Cycle à Douala. Je venais de recevoir mon deuxième tricycle offert par Jean-Claude SHANDA TONME

Les moyens de locomotion les plus utilisés par les personnes en situation de handicap moteur au Cameroun sont soit le fauteuil roulant, soit le tricycle, en dehors des commodités habituelles que sont les béquilles, les cannes et les prothèses. Mais, le tricycle a ceci de particulier et de spécial qu’il est non seulement un outil indispensable pour la mobilité, mais surtout un outil nécessaire pour la santé, voire la survie des personnes handicapées. Mon histoire est un témoignage vivant des émotions ressenties lors de l’acquisition de mon premier tricycle. C’est l’illustration de tout un pan du tableau pathétique de la vie d’un handicapé au Cameroun.

Je me souviens d’avoir reçu en don un tricycle de la part d’une personnalité ou mieux, d’une autorité administrative de Yaoundé. C’était en 1989 à la case sociale d’Akwa, à Douala, non loin du carrefour dit « Feu rouge Bessengue ». C’était pour moi comme une libération. Un an auparavant, j’avais eu mon concours d’entrée en classe de 6ème au lycée de New-Bell (actuellement « Lycée Bilingue de New-Bell »), le lycée le plus proche de chez moi, à Douala. J’avais donc trinqué pendant toute l’année de 6ème à faire plus de 6 km de marche, du domicile jusqu’au lycée, chaque matin et chaque soir, avec des prothèses aux pieds. Ces prothèses-là, considérés comme des pieds supplémentaires pour me maintenir debout et en équilibre, ne me rendaient plus service pour parcourir une si longue distance finalement. Conçus avec du fer et de l’acier, non seulement ils me fatiguaient, mais ils me causaient aussi de graves blessures. J’avais plutôt pitié de mes parents qui n’en pouvaient plus d’être désarmés face à mes souffrances. Je songeais même à demander au proviseur de m’octroyer la permission de squatter une salle de classe durant ma scolarité. Que non. Il fallait se battre tout de même.

Un mercredi matin de décembre 1989, alors que je m’apprêtais à aller en cours, mon père m’annonça que j’étais convoqué au service social d’Akwa le samedi, pour une cérémonie d’arbre de Noël réservée aux enfants indigents et qui sera présidée par le gouverneur de la province du Littoral (aujourd’hui nommée « Région du Littoral »). Lorsque j’étais pensionnaire au Centre de Rééducation des Personnes Handicapées de Etoug-Ebé, à Yaoundé, pendant plus de 3 ans, mes paires et moi recevions la première dame tous les mois de décembre pour une cérémonie d’arbre de Noël. Mais, depuis que j’ai quitté ce centre pour rejoindre ma famille à Douala, je n’ai plus jamais bénéficié de ce privilège. J’étais donc surpris par la nouvelle que mon père venait de m’annoncer, au point que je lui ai suggéré d’aller bien vérifier sa source. La confirmation me vint le vendredi qu’il faudra s’apprêter pour la cérémonie de samedi. Excité par l’envie de savoir ce qui pourrait être la surprise de l’année, je ne me fis pas prié pour suivre mon père, qui avait décidé d’y aller. C’était une cérémonie brève, où le protocole était réduit à sa plus simple expression. Et à ma grande surprise, le gouverneur Luc Loé (si mes souvenirs sont bons) est venu spontanément vers moi, avec le soutien de sa garde, me prendre par la main et me porter carrément, afin de me poser sur un des dix tricycles installés dans la cour.

Il serait difficile pour moi de me souvenir encore des effets de l’émotion qui m’ont envahi à ce moment précis. Je me suis senti soulagé des peines, des douleurs, qui feraient désormais partie de mes tristes souvenirs. La manipulation de ce tricycle neuf me semblait si naturelle que j’ai surpris plus d’un : on ne cessait de me demander où et quand j’avais appris à en faire. Pour moi, c’était un paradis terrestre. C’est comme si l’on m’avait sorti de l’enfer. Je gesticulais comme un chien qu’on venait tout juste de libérer de sa cage. C’était surtout mon père qui se tordait à me rappeler à l’ordre.  Seuls les gardes du gouverneur, qui se trouvait encore à l’intérieur pour un dîner d’au-revoir, ont réussi à me tranquilliser.

Ce tricycle me rappelle donc plein de souvenirs. J’ai même envie de sourire en pensant à toutes ces idées sottes qui me hantaient l’esprit avant son acquisition. La souffrance des 6 km de marche et des blessures causées par mes prothèses me confortaient finalement à l’idée que la seule solution pour moi était de rester à la maison. J’étais loin d’imaginer que j’allais sortir de cette situation, jusqu’au moment où le désespoir est devenu insignifiant. Je me résolus à penser que tout changement devait venir uniquement de moi, par mes efforts inlassables, par ma témérité infaillible. C’est ce qui m’a donné la force de continuer mes études malgré tout. Qui sait, peut-être aurais-je abandonné en cours de route si ce tricycle n’était pas venu à ce moment précis.

L’un des avantages du tricycle pour personnes handicapées est aussi -et surtout- lié au fait qu’il n’exige pas une somme d’argent conséquente pour son entretien. Les crevaisons, les pneus et chambres à air défectueux sont au plus les seuls casse-têtes chinois que ces personnes vivent. Quelques pièces de monnaie suffisent pour tout mettre à jour. La galère commence au comment où une pièce vient à exiger son remplacement.

Mais le challenge reste et restera toujours celui de l’acquisition de ce tricycle au Cameroun. Entre 170.000 francs CFA et 190.000 francs CFA à la Maison du Cycle, ce bijou n’est pas à la portée du pauvre handicapé qui ne reçoit d’ailleurs aucune pension alimentaire de l’Etat. Les handicapés qui sont seuls à la charge de leur famille ne peuvent qu’attendre la manne qui tombera du ciel un de ces jours, peut-être. L’un des défauts et pas le moindre, c’est que le tricycle pour personnes handicapées est fatiguant. Il demande beaucoup d’énergie et de robustesse. Une ville comme Douala, bien que située sur une plaine, possède des pentes qui ne sont pas du tout aisées à gravir. A chaque coin de rue, les handicapés doivent faire appel à la robustesse de leur bras à défaut de solliciter l’aide d’un passant prompt à répondre favorablement. La ville de Yaoundé, surnommée « ville de sept collines » est réputée pour être hostile à ce genre de mode de locomotion. Les pentes de Yaoundé sont plus raides encore et il sera difficile de voir un handicapé circuler avec son tricycle sans l’aide d’une tierce personne.

A la différence des tricycles, les fauteuils roulants que l’on trouve aussi au Cameroun sont adaptés pour l’intérieur. Inutile de sortir avec son fauteuil si la distance s’avère longue. Le tricycle pour personne handicapée joue donc un rôle social. En l’absence d’une véritable politique de transport urbain qui faciliterait aussi par ricochet le déplacement des personnes handicapées, le tricycle devient la solution idoine dans un contexte de pauvreté. Il libère, il fait rêver, il cristallise les espoirs pour ces personnes handicapées, ces laissées-pour-compte, ces stigmatisés, ces individus que les autorités, probablement trop préoccupées pour leur avenir professionnel, ne considèrent même plus comme des citoyens. Le tricycle, par sa commodité, par la simplicité de son entretien, a presque sauvé mon éducation, ma scolarité, mon instruction de 1989 à 2009. Vingt ans d’existence, donc. Je l’avais finalement abandonné parce qu’il avait pris de l’âge*. Du lycée jusqu’à l’université, les aides pour étudiants handicapés n’existent que sur du papier. Dans un pays où les lois n’existent que pour mater et opprimer, la notion de liberté est si large et si complexe qu’il serait absurde de la limiter seulement à l’expression. Donnez un tricycle à un handicapé qui passe le clair de son temps à ramper, vous allez voir par vous-même ce que ça signifie d’être libre. Condamner un handicapé à l’immobilisme, c’est de l’empêcher de jouir de sa liberté de bouger, de circuler, et donc d’exister.

Que c’est dur de vivre toute sa vie cantonné entre quatre murs parce qu’on est physiquement paralysé ! C’est l’occasion de dire que le tricycle pour les personnes en situation de handicap moteur est loin de constituer un luxe comme beaucoup le pensent, et surtout  pour des adolescents et des enfants. Ceux-ci ont toujours cette envie de s’y installer. Le fauteuil qui le constitue est confortable. Je me rappelle que le lundi suivant, après ladite cérémonie de Noël, mon premier jour de classe a presque été comme un jour de gloire. J’étais comme un héros que mes camarades enviaient. J’étais loin d’imaginer que beaucoup rêvaient être à ma place. Oui, beaucoup voulaient être à ma place, je vous le dis. Moi qui croyais être le dernier, le plus banni de la Terre. Mon tricycle était donc devenu, pour mes camarades, un objet de jeu pendant la récréation. Même les avertissements du proviseur n’ont pas intimidé ces gamins, qui m’en voulaient tellement de ne pas les laisser prendre du plaisir. Comment ne pas vous le dire : c’est la première fois de ma vie où j’étais heureux. Je me suis senti homme, enfin ! J’étais donc devenu la risée des gamins et surtout de mes paires qui peinaient de ne pas avoir une place au soleil.

*Je ne saurai clore ce témoignage sans remercier celui qui m’a redonné le sourire en 2011 en m’offrant un second tricycle que j’ai fini par offrir aussi à un étudiant handicapé. Mon inscription en thèse ne donnait plus l’occasion de faire des déplacements quotidiens. Mon aîné et frère Jean-Claude SHANDA TONME, juriste et Médiateur International et président de l’ONG COMICODI, puisqu’il s’agit de lui, est, jusqu’ici, mon soutien intellectuel incommensurable dans la poursuite de mon parcours académique. Que ça libère, le tricycle !

TchakountéKemayou


Drame passionnel à Douala : Je te tue et je meurs au nom de l’argent

Douala, ville cosmopolite, ne se réveille jamais sans drame. C’est devenu une coutume d’entendre ou d’être témoin d’une histoire. Les polémiques à n’en plus finir ont meublés les commentaires dans tout le quartier Maképé situé en banlieue à la suite d’un assassinat suivi d’un suicide.


Dans la nuit du 1er au 2 février dernier, le sommeil a été long comme d’habitude après un week-end bien chargé. Il n’était pas festif du tout cette fois-ci. Je venais de la région de l’Ouest-Cameroun où j’ai assisté aux obsèques d’un journaliste qui avait avalé sa plume deux semaines plus tôt. C’est aussi pour ça que mon réveil a été pénible ce jour-là et il fallait bien que je m’efforce de mettre mon récepteur radio en marche.Radio Equinoxe, ma chaîne privilégiée, est le choix habituel pour les infos locales du matin. Une nouvelle terrifiante fut la une : « Drame passionnel à Maképé où une dame a été poignardée par son copain qui la soupçonnait d’entretenir une relation avec un autre homme. Malgré leur séparation, l’homme n’a pas supporté la trahison et a débarqué dans le lieu de service de la jeune femme avec un poignard. Après avoir planté plusieurs coup de poignard dans le corps de la femme la population s’est rué sur lui, l’a bastonné avant de mettre le feu sur son corps déjà presque inerte ». C’est ainsi que je peux résumer l’information qui avait captivé mon attention ce jour-là et qui m’a aussi presque sorti de mon sommeil. Les nouvelles de ce genre, il y en a chaque matin à vous couper le souffre.

Il est aussi de coutume que cette défaillance de la justice camerounaise qui a développé ce phénomène de justice populaire était seulement appliquée sur des voleurs qu’on attrapait en flagrant délit de vol ou même qu’on soupçonnait seulement d’en être l’auteur ou le commanditaire. Comme d’habitude, à la fin du journal, il faut penser à la panse et le lieu de repère pour un rendez-vous de bol de bouillie qui se trouve au carrefour du quartier et proche de ma maison est déjà bondé de monde lorsque j’arrive pour mon petit déjeuner matinal. Je m’installe en donnant ma commande qui retarde quelques minutes en attendant mon tour. Ici, c’est à chacun son tour dans l’ordre d’arrivée. Et pendant que les beignets étaient au feu, il fallait alors attendre. Cette affluence faisait même dire à d’aucun que c’est Tanty Simone qui a inventé les beignets. Eh oui, « Tanty Simone », comme beaucoup ici aiment l’appeler gentiment, qui exerce de main de maître ici est la maman de ce carrefour lieu-dit « Entrée Johannesburg » à Kotto. Oui, vous avez bien lu. C’est bel et bien un lieu célèbre à Douala où 4, non, près de 6 bars se côtoient tous les jours et rythment le coin le jour comme la nuit. C’est aussi un lieu de tous les ragots où les désœuvrés, les va-nu-pieds, les vendeurs à la sauvette, les conducteurs de moteurs taxi (les benskineurs), les tenants de tous les commerces environnants et lointains et mêmes les spécialistes en chômage avancé comme moi-ci, viennent se ressourcer.

Mon tour était donc arrivé et à peinej’ai commencé à mijoter ma bouillie chaude que j’entends les murmures qui révélaient la découverte d’un corps d’homme brûléexposé encore sur la voie publique. Ces éternelles découvertes ne retinrent même pas mon attention, car je suis déjà fatigué t’entendre les drames abracadabrants tous les jours :

– Gars, tu as appris qu’on a brûlé un bandit hier ?
– Quoi ?
– Je te jure ! La population est sortie et a mis le feu sur lui et il est die catch (mort sur le champ, ndlr)
– Qu’a-t-il volé ?
– La moto. Elle était encore toute neuve.
– Non, rétorque un autre, ce n’est pas pour la moto, il est entré dans un salon de coiffure pour cambrioler et dépouiller les clients. Et à la fin du vol il n’a pas supporté qu’une fille lui fasse la riposte. Il a poignardé et le crie des nga(« Fille », « copine » dans la langage populaire, ndlr) qui retentissaient par un « ô bandit ! ô voleur… !) a alerté les gens qui sont sorti pour voir ce qui se passe. La population a tabassé le jeune homme à mort et l’a brûlé vif.

Je me suis, à l’instant, dis qu’il ne s’agissait pas de la même histoire suivie à la radio. Mon attention était focalisée sur mon bol de bouillie. Les commentaires s’enchaînent et les versions de l’histoire se succèdent dans un brouhaha indescriptif et interminable. Il ne me restait plus qu’à finir rapidement mon gros bol et continuer mon programme de la journée. J’entends comme une voix qui vient de loin :

– Non, c’est un crime passionnel, c’est un jaloux.

Je me suis résolu à ma décision de partir. Celle-ci prit une intensité pas moins passionnante elle aussi. Je tendis bien mes oreilles pour ne pas échapper à une bride d’info. Le gars, comme un messie venu annoncer la bonne nouvelle, continua :

– Le gars qu’on a brûlé-là n’a pas supporté que sa nga le quitte pour un autre. Il a débarqué dans le salon de coiffure où travaille son ex-copine pour poignarder la nga-là. La population est alors sortie pour rendre le pareil.

Et un autre de répliquer :

– Oui, oui, même moi j’ai suivi ça à la radio ce matin.

Vous comprenez donc que la plupart des discussions qui ont eu lieu dans la rue et les gargotes sont de diverses sources. Il suffit de ne pas faire attention, et vous risquez d’en prendre de la graine. Cette version me semblait donc plus crédible et il ne me restait plus qu’à continuer ma grâce matinale auprès de ces « reporters » de circonstance. La journée est passée sans que le ciel ne sombrât pour changer le cours de l’histoire. Avec des empoignades et des micmacs à n’en plus rompre, je pris congé d’eux sans justement avoir la vraie version et décida de ne plus m’y mêler.

Et le soir venu, assis galamment dans une terrasse de la rue d’en face la villa de mon ami Aladji, le vigile vint comme d’habitude me tenir compagnie en rompant ma solitude. La chaleur étouffante et les moustiques en nombre illimité ne donnaient envie de rester cloîtrer dans la maison. Les salamalecs de coutume se ponctuassent par « Comment ça a été, la journée ? ». La réponse du vigile s’accompagna d’un froncement du visage qui ne dit pas son nom. Sans attendre ma question pour savoir ce qui ne va pas, il entama :

– Kapo (c’est mon petit nom), tu as suivi la radio ce matin ?
– Oui. Qu’y a-t-il ?
Wantafoulpalaba ! (interjection pour marquer son étonnement, en langage populaire) Un gars-là a poignardé sa copine ce matin et il s’est aussi poignardé.
– Ah ! M’écriais-je.
– Donc tu n’as pas suivi ça ?
– Si, j’ai suivi. Mais, la radio annonce plutôt que c’est la population qui l’a lynché.
– Non, c’est faux.

J’ai commencé à comprendre que je vais bientôt avoir une autre version provenant de la rue. Il attire plutôt mon attention en affirmant avec insistance que cette histoire d’amour qui s’est achevé en drame avait commencée à se gâter à cause d’un problème d’argent que personne n’a vu venir, même les journalistes de la radio n’y ont vu que du feu. Il entama le récit que je résume :

Mon ami Karibou m’a appelé un soir, il était à peu près 19h pour venir assister en tant que témoin à une transaction de prêt d’argent. Mon ami Karibou devait donner une rondelette somme de 200.000FCFA comme prêt à Hamed qui s’était promis de rembourser dans un mois. Hamed était amoureux de Solange qui avait besoin de cet argent pour un « business », disait-elle. Elle avait promis la lui restituer après un mois, car ce business en question devrait rapporter le double. L’amoureux n’hésita pas de solliciter Karibou pour un prêt et celui-ci, par mesure de précaution, appela le vigile Samy pour être témoin que Hamed détient 200.000FCFA remboursable à Karibou dans un mois. Pendant un an cette histoire d’amour avait déjà fait long feu et les deux concubins vivaient en harmonie jusqu’au jour où une soudaine histoire d’infidélité survint. Solange ne supportait plus le climat délétère et décida de rejoindre ses parents.Le temps s’est vite écoulé. Le délai du remboursement était déjà passé de 3 mois sans que Solange n’ait eu la politesse de restituer la somme d’argent promise malgré l’insistance de Hamed. Hamed prit son courage et rend chez ses ex-beaux-parents pour trouver une solution. Le père de Solange qui semble être le bénéficiaire de cet argent surprend Hamed qui reçoit une fin de non-recevoir. Pour le père de Solange, il faut que Hamed considère cet argent comme la compensation d’une perte de temps à Solange :« Pour avoir « utiliser » ma fille pendant un an et sans suite, dit-il, il faut bien que tu paies pour ton vandalisme ». Hamed a considéré cette réponse comme un affront et a donc décidé, sous cape, de se venger.

La colère qui emportait Hamed n’avait pas de limite. Il décida de créer l’actualité ce jour du dimanche 1er février dernier en se rendant au salon de coiffure où travaillait Solange. En entrant, il sort le poignard à double tranchant qu’il avait bien limé au préalable. Il assène des coups de poignards mortels à Solange. Dans la furie totale des filles du salon et des clients, il planta un coup de poignard dans son ventre. Les populations, sorties en masse, se précipitèrent sur le corps d’Hamed déjà ensanglanté, le ruèrent de coups de bâtons mortels. Comme si cela ne suffisait pas, Hamed qui respirait encore, a fermé définitivement les yeux lorsqu’il a été immolé.
Voilà ! Puisque c’est un témoin, pourquoi ne pas donner du crédit à cette version ? Une histoire d’argent confondue avec une histoire d’amour. A la question de savoir s’il s’agit d’un crime passionnel ou d’un règlement de compte, la réponse n’est pas aussi facile qu’on pourrait l’imaginer d’emblée. Facile donc, pour quiconque de se méprendre dans ce tourbillon de version rapportées par les ragots. Les journalistes qui s’exercent dans des faits de société comme celle décrite ci-dessus, semblent être considérés comme ceux qui s’occupent des faits de ragot. Ils sont souvent et généralement considérés comme des journalistes des faits secondaires, donc relégués au second plan. Ainsi, les journaux qui choisissent de faire de ces drames des scoops doivent achever des recoupements dans les secondes qui suivent. Sinon, il va se retrouver deux jours après qu’ils ne sont plus d’actualité, car les drames à Douala, on en compte presque tous les jours.

Ainsi va la capitale économique au quotidien !

Tchakounté Kemayou