Fotso Fonkam

« Cher collègue, bienvenue en enfer » (Quatrième partie)

Le trajet Mengong – Melane est beaucoup plus long que ce à quoi je m’étais préparé. Ça fait plus de 45 minute qu’on est partis de Mengong, et on n’est pas encore arrivés. Après avoir subi la pluie, après avoir plus d’une fois failli glisser, mais surtout après avoir traversé plusieurs villages, on semble près du but. Le moto-taximan vient de me dire en désignant des élèves qui rentraient des classes : « Voila les élèves de ton lycée. »

Il nous faut pourtant traverser trois autres villages avant d’arriver enfin à Melane. Quand nous sommes arrivés, je n’y croyais plus. Je commençais même à désespérer d’y arriver un jour. Quand le moto-taximan me dit « Voici ton lycée » en désignant une plaque sur laquelle c’était écrit « Lycée de Melane », je suis surpris. Surpris de trouver des bâtiments si bien construits dans un coin pareil. Je suis surpris de retrouver des constructions en « dur » au milieu de cases délabrées en poto poto. C’était comme si on me servait du champagne dans un verre en inox ou bien en plastique. Ça dénature le goût du breuvage, et ça enlève jusqu’à l’envie de boire.

Quelques élèves traînaient encore dans la cour. Traduisant une phrase que je n’ai pas prononcée, le moto-taximan leur demande si le proviseur est encore au lycée, et me donne leur réponse : non, le proviseur n’est pas au lycée. Personne ne l’a vu depuis lundi. Continuant dans la même lancée, mon interprète de circonstance leur demande si elles connaissent sa maison. Elles lui indiquent le lieu. Il les remercie et nous, on repart.

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Des élèves que nous avons croisées sur le chemin

Les élèves n’ont pas dû être précises dans leurs instructions, car on se trompe une première fois. Le lieu où nous sommes est désert, mais ne ressemble pas à une maison d’habitation. Moi, je propose qu’on rentre, mais mon compagnon de voyage ne l’entend pas de cette oreille. On redescend et il se renseigne encore. On lui dit que le proviseur n’est pas à Melane, mais que sa maison est juste à côté.

Arrivés au deuxième lieu qu’on nous a indiqué, c’est le moto-taximan qui appelle, « Il y a quelqu’un ? » tonne-t-il. Aucune réponse. Il insiste, en bulu, cette fois. C’est au troisième appel qu’on entend enfin des bruits de pas. Un jeune homme se présente à nous. Le moto-taximan le salue en bulu toujours, et engage la conversation. Puis, le garçon me dit, « Le proviseur n’est pas là, il est à Yaoundé. Mais le surveillent général est ici. » Il a à peine fini de parler que le surveillant général se pointe à son tour. C’est également un jeune homme, au teint très foncé. Il est mince et porte un jeans kaki et une chemise violette.

Après que je lui aie exposé ma situation, il me dit « Ah, tu es un nouveau collègue ? » Puis avec un large sourire, il ajoute, « Bienvenue en enfer ! » Je souris, légèrement, et je réponds « L’enfer, c’est les autres… » J’ai très envie de lui dire « Va te faire foutre », mais à quoi bon ? Il me demande si j’ai vu les censeurs au lycée. Je lui dis non, que c’est le proviseur que je suis venu voir, et non les censeurs. Avant de partir, je lui demande le numéro du proviseur que je note sur un papier (mon téléphone est éteint depuis très longtemps).

« Bon, on repart », dis-je au moto-taximan. Et tandis qu’on s’éloigne, je jette un dernier coup d’œil au lycée, en regrettant qu’on l’ait placé dans un coin pareil. Le chemin retour n’est pas plus aisé que l’aller. La route a été plus ou moins utilisée, donc elle est devenue plus glissante. Mais bon, vu que je suis déjà couvert de boue, je n’ai même plus peur de tomber.

En route, le moto-taximan et moi on bavarde. Je lui explique la difficulté de la situation dans laquelle je me trouve, et les dépenses que ça va engendrer. Surtout que je n’ai vu aucune boutique sur le trajet. Lui, il m’écoute et essaie de m’encourager à rester à Melane. On roule pendant un temps, puis, apercevant un forage, je lui demande, « Est-ce qu’il y a des problèmes d’eau ici ? »

­– Non, répond-il. Il y a des ruisseaux presque partout.

– Je parle de l’eau à boire, hein.

– Oui, insiste-t-il. C’est ça qu’on boit ici… »

Je suis resté sans voix. Pendant un instant, j’ai repensé à tous les slogans de politiciens qui parlent d’émergence en 2035 et qui ne sont même pas foutus de donner des routes ou bien de l’eau aux populations ! Quand on parle d’émergence, on parle de développement. Et le meilleur moyen de développer un coin, c’est justement d’y construire des routes. Le tout n’est pas d’implanter une école dans un coin perdu à l’accès difficile et aux conditions de vie insupportables. On se dit au Cameroun que c’est le 31 décembre 2034 qu’on va développer le pays…

En passant devant un autre village, je demande au conducteur, « Comment font donc les élèves des autres villages qu’on a traversés, puisqu’il n’y a pas de motos sur cette route pour les porter. Comment font-ils pour aller à l’école ? » Il m’explique que la plupart des familles envoient leurs enfants à Ébolowa ou bien à Mengong, où ils leur louent des chambres. J’imagine les sacrifices que ces parents, que j’imagine peu nantis, doivent faire pour que leurs enfants soient instruits. J’imagine tous les dangers auxquels les jeunes camerounais originaires de cette contrée  peuvent être confrontés en allant vivre seuls dans des villes comme Ébolowa, sans aucune autorité, sans aucun guide. Quel gâchis !

Après moult dérapages, moult glissades, je sens le sol plus ferme, plus régulier. On est de nouveau sur le « goudron ». Quelques minutes plus tard, j’aperçois le centre-ville de Mengong. On est de retour. Je suis soulagé, malgré la douleur atroce que je sens dans mon dos. Je demande au moto-taximan, « Quel est le moyen le plus rapide pour aller à Yaoundé à partir d’ici ? » Il m’explique que ce n’est pas nécessaire que je rentre jusqu’à Ébolowa, que je ferais mieux de ressortir jusqu’au goudron – le vrai, cette fois – et que de là-bas je peux intercepter les bus pour Yaoundé. « En moins de 30 minutes, tu seras parti », me rassure-t-il.

On est arrivés. Je le paye, après l’avoir sincèrement remercié. Lui, me souhaite bonne chance et s’en va. Je me dirige immédiatement chez ma grande sœur de Mengong. Elle n’est malheureusement pas chez elle. Je décide de rentrer. Je ne veux en aucun cas passer la nuit à Mengong. Je repars donc vers les motos et j’en emprunte une pour le péage.

Presque tout les fonctionnaires de Mengong vivent dans ce camp
Presque tout les fonctionnaires de Mengong vivent dans ce camp

Arrivé au péage, je retrouve la dame avec qui j’ai fait une partie du chemin. Elle attend toujours que le véhicule dans lequel elle a oublié son bagage passe. Je ne suis pas prêt à bavarder, donc je m’éloigne un peu.

Le temps passe, mais aucun véhicule ne se pointe. Je commence à me demander si je n’aurais pas mieux fait d’aller à Ébolowa. Tout près, il y a une voiture qui semble en panne. Les occupants sont en train de la réparer. Le type qui vend les tickets au péage me suggère de leur demander de m’emmener. Je suis sceptique, mais voyant qu’aucun véhicule ne passe, j’attends qu’ils finissent et je leur demande s’ils peuvent m’emmener. « La voiture-ci est en panne, hein. On ne peut pas vous emmener », me dit l’un d’eux. Ok, bonne chance…

Je n’ai pas eu à attendre trop longtemps encore, un bus aux trois-quarts plein arriva au péage et je pris place au fond.

Sur le chemin retour, je dors jusqu’à Mbalmayo. Le reste du chemin se passe sans problème. Trente minutes plus tard, on arrive à Mvan. Sans perdre de temps, j’emprunte un taxi pour Nsiméyong (le quartier où je réside, à Yaoundé). Il est 21 heures moins quand j’entre enfin chez moi avec une seule envie, me coucher et dormir.


New Era Publishers, l’histoire d’un rêve

Mercredi dernier s’est tenu à l’Institut Français du Cameroun (IFC) à Yaoundé la conférence pour le lancement d’une nouvelle maison de publication dédiée à la BD (bande dessinée), New Era Publishers. Lorsque j’ai été convié à cette cérémonie, j’avoue avoir été un peu surpris, ne sachant pas trop ce que j’allais y faire exactement. C’est vrai, quoi : je ne suis pas journaliste, juste blogueur – un blogueur sceptique, de surcroît. Et puis, je me suis dit que j’allais assister à l’évènement, puis en parler si j’y trouvais un quelconque intérêt.

L'équipe jeune et dynamique de New Era Publishers
L’équipe jeune et dynamique de New Era Publishers

Au commencement était le rêve…

L’histoire de New Era Publishers part d’un rêve, d’un rêve d’enfant. Il était une fois, un petit garçon qui rêvait de construire un parc d’attraction. Il y crut tellement fort que vingt ans plus tard, il était à un pas de le réaliser. Entouré d’une équipe jeune et dynamique, ce Camerounais, jeune lui aussi, a mis sur pied une structure à même de faire la promotion des artistes dessinateurs Camerounais, pour le plus grand plaisir des jeunes et des moins jeunes.

On n’oublie personne

La structure compte lancer dès décembre 2014 deux magazines qui seront produits mensuellement.

AfroChibeez, pour les jeunes enfants
AfroChibeez, pour les jeunes enfants

Le premier, AfroChibeez, est destiné aux enfants. C’est un magazine qui, en plus de la bande dessinée, comportera d’autres rubriques telles que le coloriage, les jeux et la découverte d’un élément du pays : ville, tradition, culture… Et pour chaque numéro, un poster collector. De quoi ravir les enfants.

Puis, il y a AfroShonen, pour les plus adolescents. Ici aussi, le contenu sera varié : non seulement les BD seront de différents styles (action, romance, heroic fantasy), mais en plus les jeunes auteurs y apparaîtront dans des interviews. Le magasine comprendra également un atelier de dessin pour ceux qui adorent dessiner, ainsi qu’un jeu concours.

Se divertir… mais en apprenant

L’aspect le plus intéressant de cette initiative peu commune, c’est sans doute l’aspect pédagogique des publications. En effet, chaque magazine comporte une partie qui enseigne le dessin. Dans AfroChibeez, il s’agit du coloriage. Pour les enfants, un tel exercice peut s’avérer doublement utile : non seulement les enfants de la maternelle seront plus à l’aise leurs coloriages en classe, mais en plus ont va carrément assister à la naissance de nouveaux talents ! Pour les plus grands, la rubrique « Atelier de dessin » sera aidera certainement les dessinateurs en herbe à s’améliorer.

En plus la rubrique « Découverte » d’Afrochibeez viendra combler les lacunes de certains (petits et grands) sur le plan culturel.

Un pas devant l’autre

En 2015, le rêve de Brice Ludovic Bindzi, le petit garçon d’autrefois qui est à la source de ce projet, ne sera pas réalisé. Pas encore. Les magazines Afrochibeez et AfroShonen ne sont que la première étape vers la création de ce parc d’attraction à lui si cher. En réalité, il nous a été donné de constater que le projet était déjà bien ficelé et que, un pas après l’autre, les choses se évolueraient inexorablement vers la réalisation de ce parc.

Entre 2015 et 2020 – on n’attendra pas 2035 pour voir ce parc émerger – on aura successivement la plateforme de production et de distribution des BD, la fabrication et la commercialisation des jouets et autres goodies, la création des dessins animés, et enfin la construction du parc d’attraction. Est-ce trop brusque, trop audacieux ? Peut-être. Mais de l’audace, ils en ont à revendre, chez New Era Publishers.

« Art in Schools » pour la culture et la créativité

Voici un autre volet de cette structure qui n’est pas passée inaperçue lors de la conférence de presse. Art in schools, c’est le projet social de New Era Publishers qui a pour but de « promouvoir l’usage des activités artistiques et culturelles dans les établissements scolaires comme appui à l’éducation des élèves et comme support de transmission des connaissances ».

Arts In Schools, le projet Social de New Era Publishers
Arts In Schools, le projet Social de New Era Publishers

Tout enseignant le sait, l’apprentissage est plus aisé quand on se sert d’images, de photos, etc. Cette initiative peut donc être une occasion de faciliter l’enseignement et une fois de plus développer l’esprit créatif des jeunes apprenants à travers les ateliers de peinture et de dessin.

Ça fait rêver

Dans un Cameroun où la jeunesse n’aspire pour la plupart qu’à entrer dans la fonction publique, ce genre d’initiative est à encourager. Cette startup, avec quelques rares autres, mérite d’être mise à avant, d’être donnée en exemple aux jeunes qui croupissent dans le chômage. Oui, il suffit de rêver. Il suffit de croire en ses rêves, il suffit d’essayer.

Ce billet, c’est pour que d’autres jeunes, prenant exemple sur ceux que j’ai rencontrés à cette conférence de presse, gardent en mémoire ces paroles de Walt Disney : « if you can dream it, you can do it* ».

*Si vous pouvez en rêver, alors vous pouvez le faire.


« Cher collègue, bienvenue en enfer » (Troisième partie)

Il est 14 heures 30 environ, quand je quitte Mengong pour Melane à bord d’une moto, et en compagnie du chauffeur et d’un autre passager. D’après ma Big ressé qui vit à Mengong, on y sera au plus tard à 15 heures (elle m’a dit que le trajet se faisait en 25 minutes). Moi, je suis sceptique. Vous le seriez également, si vous étiez à ma place. Car si on doit payer 2.000 francs pour 25 ou 30 minutes de route alors qu’on paye la même somme pour 2 heures 30 (Yaoundé – Ébolowa), il y a lieu de se poser des questions. Bon, qui vivra verra.

Après que notre chauffeur ait fait le plein, nous voila en route pour Melane. On emprunte la seule route qui existe dans ce coin du pays que je refuse d’appeler ville, en direction du centre-ville (le petit carrefour-là devant). Quelques centaines des mètres après le carrefour, il n’y a plus aucune trace de bitume. On roule sur la terre rouge caractéristique de cette partie du pays. « C’est l’état de la route qui rend le voyage long », m’explique le chauffeur. « On ne peut pas rouler à grande vitesse, de peur de tomber. » En effet, la route a l’air très glissante, mais surtout, elle est accidentée. On roule prudemment. « D’ailleurs, quand il pleut, aucune moto n’accepte de faire ce trajet », dit-il pour terminer. De mieux en mieux. Des deux cotés de la route, la verdure caractéristique des zones tropicales encadre un tronçon de terre qui s’enfonce dans l’inconnu.

« Un tronçon de terre qui s’enfonce dans l’inconnu... »
« Un tronçon de terre qui s’enfonce dans l’inconnu… »

Notre moto file tout droit. Je suis assis derrière l’autre passagère, une femme d’une quarantaine n’années qui vivrait à Melane. Le chauffeur et elle bavardent continuellement, en langue vernaculaire. J’ai l’impression, malgré tout, que la moto roule à une vitesse satisfaisante. En regardant l’heure sur mon téléphone, j’essaie de chronométrer le nombre de temps qu’il me reste avant d’arriver dans le fameux lycée. Environ 20 minutes encore.

Les villages défilent rapidement au bord de la route. Assis à l’arrière de la moto, je scrute chaque plaque espérant lire « Melane » sur l’une d’elle. Surtout qu’on a dépassé  les 25 ou 30 minutes qu’on m’a annoncées comme étant la durée du trajet ! Nous sommes donc là sur la moto, moi cherchant Melane comme on cherche l’entrée de la caverne d’Ali Baba, et mes compagnons de voyage conversant paisiblement, comme des gens qui ne sont pas pressés d’arriver.

À un moment, on croise des élèves en tenue de classe, sur le chemin du retour. Je respire : « Enfin, on n’est plus loin. » Mais bizarrement, personne d’autre ne semble les avoir vus. La moto continue sa course vers Dieu sait où. Je remarque que le chauffeur et la dame devant moi discutent très sérieusement. Je ne sais pas ce qu’ils se disent, mais je devine que ça doit être sérieux. La dame semble même contrariée. Ne venez pas faire votre sorcellerie là ici hein. Allez d’abord me déposer à Melane.

On roule encore. Pendant longtemps. Très vite le temps se couvre, et en moins de 10 minutes, il se met à pleuvoir. D’abord de petites goutes, puis la pluie, la vraie. Sur notre moto, on ralentit. Puis, la pluie ayant encore augmenté d’intensité, le moto-taximan décide carrément de s’arrêter. J’ai envie de protester, de lui expliquer que je ne peux pas courir le risque d’être en retard ; mais je dois me rendre à l’évidence que continuer sous une telle pluie peut s’avérer dangereux, à cause de la route qui glisse de plus en plus.

On s’abrite donc tous, sauf la moto resté garée au bord de la route, sous la pluie. Notre abri est une baraque délabrée en poto poto. Une famille y vit. D’ailleurs, la mère de famille revient des champs, nous adresse ses salutations et entre chez elle. La femme avec qui nous voyageons semble la connaître, car elle va s’entretenir avec elle, me laissant espérer que nous sommes presqu’arrivés.

Quand la pluie commence, on n'a d'autre choix que de s'abriter...
Quand la pluie commence, on n’a pas d’autre choix. Il faut de s’abriter…

Tandis qu’elle cause avec notre hôtesse, j’en profite pour demander au moto-taximan si nous sommes presque arrivés. « La route est encore là », me dit-il. Puis, il m’explique que la dame qui fait chemin avec nous a oublié un de ses sacs dans la voiture qui l’a transportée d’Ébolowa pour Mengong et donc qu’elle ne va pas continuer avec nous. Elle va attendre une autre moto ici, pour repartir à Mengong et essayer de retrouver son sac.

La pluie s’est calmée, donc on reprend la route, mais à deux cette fois-ci. On a laissé l’autre dame et ses sacs à l’endroit où on s’est abrités. La route n’a pas beaucoup changé, juste qu’elle est un peu plus glissante à cause de la boue. Nous, on roule aussi vite qu’on peut. Les villages défilent, et moi je cherche toujours la plaque sur laquelle je pourrai lire « Melane ». De temps en temps, on traverse quelques cours d’eau, de petits ruisseaux aux eaux rougeâtres et sales.

À un niveau, le chauffeur me dit, « C’est ici que le goudron finit. » Hein, père ! Donc depuis là on roulait sur le goudron ? La route est devenue vraiment plus accidentée. Et la pluie de tout à l’heure n’a pas arrangé les choses. Plus d’une fois, je me retrouve en train de poser les pieds par terre, pour empêcher la moto de tomber. D’autres fois, j’abandonne carrément le navire quand il penche trop d’un côté ou de l’autre. Je comprends pourquoi le type m’a dit que le goudron était fini.

Pendant plusieurs minutes, nous sommes aux prises avec la route. La boue, rancunière, s’incruste sur mes vêtements. Mes chaussures quant à elles sont carrément dégoutantes. On parvient enfin à traverser ce tronçon compliqué. « Heureusement que beaucoup de véhicules ne sont pas passés ici avant nous », me dit encore mon chauffeur.

Le voyage continue. On va tantôt vite, tantôt très lentement, selon l’état de la route. Les villages défilent, mais aucune trace de Melane. J’ai même renoncé à lire les noms des villages sur les plaques. Mais chaque fois qu’on traverse une école ou bien qu’on croise des élèves (ce qui est rare) j’ai espoir qu’on ralentisse, qu’on s’arrête. Mais non. La moto roule à la même vitesse. Je remarque que la route n’est pas très fréquentée. Durant tout ce trajet, on a croisé moins de trois motos qui reviennent de Melane !

En causant avec le conducteur, j’apprends qu’à Melane, le réseau téléphonique est instable et  qu’il n’y pas de maison à louer. « Mais un villageois peut t’héberger chez lui pour rien », ajoute-t-il. Dans les maisons en poto poto-là ? Non merci. Mais comment faire donc, puisqu’il sera difficile de vivre à Mengong et d’aller faire cours à Melane. Si en même temps il est impossible de s’installer à Melane parce qu’il n’y a pas de maisons, comment faire ?

On roule encore pendant un certain temps. Puis, impatient, je demande au chauffeur si on est encore loin de Melane. « Non, dit-il. On encore environ 5 villages à traverser avant d’arriver. » J’ai recommencé à compter les villages qui défilaient. Après deux ou trois villages, on croise des enseignants et quelques élèves qui rentrent des classes. « Voila les élèves de ton lycée », dit-il. Mon lycée ? Calmas, mon gars. En tout cas, je suis soulagé qu’on ne soit plus loin. Je suis pressé de découvrir ce fameux lycée qui me cause tant de douleurs au dos…


Homosexualité en Afrique : la pilule difficile à avaler

Dans plusieurs pays d’Afrique, s’il est une question qui divise, c’est bien celle de la légalisation de l’homosexualité. Si les avis des uns et des autres divergent sur la question, il n’en demeure pas moins vrai qu’une bonne partie de la population jeune se pose encore beaucoup de questions sur l’attitude à adopter face à ce phénomène (Lisez les articles des blogueurs Gilbert Lowossou et Judith Gnamey sur le sujet). Selon les standards européens, condamner ou réprimer l’homosexualité constitue une atteinte aux droits de l’homme et à la liberté des individus. Mais nous, en Afrique, devons-nous adopter ces standards ? Au vu du contexte Camerounais (et par extension africain), peut-on traiter l’homosexualité de la même façon qu’en Europe et en Amérique ?

L’Afrique sous pression

De nos jours, il devient de plus en plus difficile pour les pays africains de maintenir leurs positions en matière d’homosexualité. Avec la pression de la communauté internationale et l’aliénation culturelle qui caractérise certains africains, beaucoup ne savent plus trop où donner de la tête. Les États-Unis ont par exemple menacé de couper les vivres suspendre leur aide au Nigéria si la loi anti-homosexualité était votée. Même discours venant du Royaume Unis, qui promet de réduire l’aide octroyée au Nigéria. Des menaces similaires on été proférées contre l’Ouganda qui venait également de voter une loi similaire (en février dernier).

La souveraineté des États africains remise en question

Ce qui est étonnant, c’est le fait de voir l’Europe et les États-Unis essayer d’imposer des lois, ou bien des opinions aux pays africains, sans tenir compte du fait que ce sont des lois, et qu’elles sont débattues et votées par une assemblée souveraine d’un pays autonome ! Aucune loi n’est idéale. Chacune s’adapte simplement au contexte socioculturel du pays ou bien de la région dans laquelle elle est promulguée, en tenant compte de la culture et des mentalités des gens qui y vivent – fussent-elles barbares. Ce sont de simples conventions qu’un groupe humain se donne pour pouvoir cohabiter.

D’où vient-il donc que certaines personnes ayant des cultures, des mentalités différentes, vivant des réalités différentes des nôtres se croient plus qualifiées que nous pour savoir ce qui nous sied ou pas ? Même si ces lois ne font pas l’unanimité, je crois bien qu’en démocratie, c’est la majorité qui domine.

Tout État étant donc régi par un certain nombre de règles conventionnelles – les lois, si vous voulez – auxquelles les individus qui y résident doivent se soumettre, il est inadmissible que certaines voix s’élèvent pour encourager un acte considéré comme une infraction au code pénal.

Ça existe en Afrique subsaharienne depuis longtemps

Dans le rapport d’Amnesty International sur la criminalisation des relations entre personnes de même sexe en Afrique subsaharienne intitulé Quand aimer devient un crime, il est mentionné que l’homosexualité n’est pas une pratique occidentale importée en Afrique (page 14). Ces pratiques feraient donc partie intégrante des coutumes de certaines régions d’Afrique où certaines femmes se mariaient entre elles, et où il existait des hommes-femmes qui pouvaient se marier avec d’autres hommes. Admettons. Il n’est cependant indiqué nulle part que ces personnes étaient considérées comme des citoyens à part entière, ou bien le faisaient de leur propre gré.

Quand aimer devient un crime, rapport publié par Amnesty International
Quand aimer devient un crime, rapport publié par Amnesty International

L’Afrique a toujours eu à fonctionner avec le système de castes. Et certaines de ces castes étaient composées de personnes qui avaient parfois moins de valeur que du bétail. À ces personnes, il était parfois imposé des pratiques (interdiction de se couper les cheveux, interdiction d’inscrire les enfants à l’école, etc). Il est donc très possible que les cas cités dans le rapport d’Amnesty International ne parle en grande majorité que de ces personnes qui étaient pour la plupart des « intouchables » c’est-à-dire des êtres mis au ban de la société et qui ne choisissaient pas ces statuts de leur plein gré. Pour les sociétés dans lesquelles les mudoko dako (hommes-femmes) vivaient, ces derniers n’étaient pas considérés comme des hommes, mais bel et bien comme des femmes.

Même si la pratique homosexuelle existe en Afrique depuis longtemps, elle était réservée ou mieux, imposée à certaines personnes probablement considérées comme des sous-hommes. D’ailleurs, le rapport d’Amnesty International souligne que ces pratiques étaient seulement « tolérées », pas acceptées. De même que la sorcellerie, ou bien l’adultère qui sont des pratiques qui existent en Afrique depuis, mais sans pour autant être légalisées.

Rien à voir avec l’amour

Dans le contexte camerounais, la pratique homosexuelle est d’autant plus honnie qu’elle est parfois la condition sine qua non d’accès à certains emplois. Oui, il faut parfois accepter de se laisser percer (le derrière) pour percer (dans la vie). Il n’est absolument pas question d’amour – du moins, dans la majorité des cas. Il s’agit de domination, d’avilissement. Certains parlent même de pratiques occultes.

Dans un contexte où la misère sévit, où le travail est une denrée rare, où l’éducation laisse à désirer, on peut aisément comprendre la frustration, voire l’hostilité de la population face à l’homosexualité qui, en plus d’être contre-nature, constitue un frein à l’épanouissement des masses.

Voici les pays africains qui condamnent l'homosexualité - Crédit photo: stophomophobie.com
Voici les pays africains qui condamnent l’homosexualité – Crédit photo: jeuneafrique.com

Laisser du temps au temps…

En Europe ou en Amérique, l’homosexualité n’a pas toujours été légale – sauf erreur de ma part. Il a fallu du temps. Il a fallu que les mentalités évoluent, que les habitudes changent. Jusqu’aujourd’hui, il existe toujours des personnes hostiles à l’homosexualité dans ces pays-là.

Alors, au lieu d’essayer de forcer pays africains à adopter des lois qui vont à l’encontre de ce que la majorité de la population veut, il serait mieux de laisser les mentalités africaines évoluer, lentement, progressivement. Il faudra que les réalités socioculturelles soient différentes, que la misère intellectuelle soit combattue. Après, on pourra remettre la question sur le plateau.


« Cher collègue, bienvenue en enfer » (Deuxième partie)

Malgré les efforts que j’ai faits pour arriver à la gare très tôt, je n’ai pas pu voyager immédiatement. Ce n’est que vers 9 heures que le bus qui me conduit vers Ébolowa dans le Sud Cameroun quitte enfin la gare de Yaoundé. Malgré ma position très inconfortable, je parviens tout de même à m’endormir. Pas pour longtemps.

Quand j’ouvre les yeux, nous sommes au niveau de Nsimalen. Le bus va vite, les passagers sont assez calmes. Ma voisine veut faire la conversation, comme si ça ne lui suffisait pas de m’aplatir contre la vitre de la voiture ! Je réponds de mauvaise grâce, pressé de me rendormir. Je suis sur le point de me rendormir lorsqu’une voix s’élève : c’est un client assis à l’avant qui réclame la musique, tandis que les autres n’en veulent pas. « Chauffeur, baisse ta maman-là ! Tu veux nous casser les tympans ? » Ça vient du shaba1. Le chauffeur s’exécute. Il baisse le volume, puis il lâche : « Sachez que si je m’endors au volant on va tous y passer ! » Euye ! Mon sommeil est d’abord fini. « Pardon grand, remets ta musique. On veut arriver en un seul morceau. »

Avant que le chauffeur ne puisse en placer une, voilà un type assis juste devant moi qui prend à partie le passager qui avait demandé qu’on hausse le volume (ou quelque chose comme ça, moi je dormais quand ça a commencé). Ça chauffe entre les deux. « Quelle éducation avez-vous reçue ? Vous exigez de la musique au détriment de tous les autres passagers du bus ? Je me demande si vous avez même fréquenté ! » Les éclats de voix continuent, d’autres passagers s’en mêlent, le bus est en l’air. Jusqu’à ce que le passager mélomane s’exclame : « Monsieur Zogo, c’est vous qui me parlez comme ça ? »

Voilà Monsieur Zogo qui se confond en excuses. « Pardonnez-moi, je ne savais pas que c’était vous qui étiez là bas. Vraiment, je suis désolé. » Monsieur le mélomane ne veut rien entendre. Il s’indigne, il parle fort. Un autre monsieur du devant se joint au mélomane, et les deux passent un savon à monsieur Zogo, qui continue à s’excuser.

Moi, je suis déçu. D’ailleurs, tout le monde est déçu dans le bus. On voulait le clash. Tandis certains passagers essaient tant bien que mal d’attiser l’inimitié entre les deux hommes, notre voiture est stoppée. Contrôle de police.

Contrôle de police
Contrôle de police après Nsimalen. Les passagers attendent que le bus traverse pour embarquer

Tout le monde descend, présente sa carte d’identité et traverse le barrage à pied. Ma voisine vient encore me parler. La mère-ci a vu quoi sur moi noor ? Cette fois-ci, je lui réponds poliment. On arrive au niveau de notre bus. Les gens s’y engouffrent et reprennent leurs places. On repart. Monsieur Zogo et le mélomane se sont réconciliés durant le contrôle de police, sous l’œil éberlué de ma voisine. Je la comprends, elle aussi espérait un deuxième round.

Le chauffeur a remis la musique, mais avec un volume raisonnable, à peine audible même. Après quelques minutes de silence, les gars du shaba1 comprennent que monsieur Zogo et son ami ne vont pas continuer à se chamailler. Alors, l’un d’eux lance : « Chauffeur, tu es lâche ! Tu as encore mis la musique là ? » Certains ricanent, jusqu’à ce que le chauffeur s’enflamme : « Cessez de m’abuser, vous comprenez non ? Cessez de m’abuser ! » Le gars est vénère2. Il ralentit et serre sur le côté, pour bien mettre tout le monde en garde. Tout le monde est calme. Même le shaba1.

On repart. J’essaie de me rendormir, mais c’est impossible. C’est comme si ma voisine a pris du poids pendant la dernière halte – je l’ai aperçue en train de déchiqueter le soya lors du dernier contrôle. Comme je n’ai pas le choix, je deviens touriste. Par la fenêtre vitrée, j’observe le paysage qui défile à toute vitesse. De la verdure des deux cotés du goudron, avec de temps en temps une case isolée qui apparait et disparait aussitôt.

Les villes et villages défilent, notre bus avale les kilomètres. On est à Ngoulemakong. Je ne sais pas à quelle distance d’Ébolowa on se trouve, mais je m’impatient déjà. Ekié, on n’est pas encore à Ébolowa depuis là ? À un niveau, je vois un groupe d’élèves en train de rentrer des cours (je suppose que c’est des cours qu’ils reviennent), et quelque part je parviens à lire « CETIC de Mengong ». On n’est plus loin.

Puis, on arrive à un petit carrefour. Il y a un péage juste devant, avec des riverains qui y vendent des produits variés, allant de l’eau en sachets plastiques (non-biodégradables, mais on s’en fiche) aux brochettes de viande (il paraît qu’ébola n’attaque pas les chiens errants, donc c’est sans danger) en passant par le mbitacola3, bonbons et autres oranges. Certains passagers achètent des trucs et commencent à manger. Moi, j’admire leur courage. Les commerçants-là ne donnent pas très envie de consommer leurs produits.

Ma voisine m’informe qu’on est presque arrivés, qu’elle a vécu à Ébolowa pendant des années, et qu’elle s’y rend pour un workshop. Moi quoi là-dedans, la mère-ci ? Ma part est venue hein… Elle me questionne sur les raisons de ma visite à Ébolowa, me demande si je connais un certain hôtel (l’hôtel où son workshop est organisé). On est enfin dans la ville.

Ébolowa. La ville est belle – pour le peu que j’ai vu. Et malgré la chaleur qu’il y fait, je sens que je vais m’y plaire. Bon, trêve de rêveries. Je me rends immédiatement à la Délégation Régionale des Enseignements Secondaires pour le Sud. Là, je tombe sur un type qui dit me connaître à Maroua – décidément… Lui aussi vient d’être muté, et il va à Mengong. C’est sur ma route, donc on décide de faire chemin commun.

Notre paperasse en main, on se dirige vers la gare routière de Mengong. Une voiture est presque pleine. On s’y installe. À l’arrière, nous sommes quatre. J’ai du mal à respirer. Et cette chaleur ! Je me demande comment ils font pour s’asseoir à  quatre devant ! Bref, on prend la route pour Mengong. Une quarantaine de minutes plus tard, nous y sommes.

En descendant de la voiture, je me demande si je ne suis pas à Ntui. Les deux villes se ressemblent un peu : des lambeaux de goudron, quelques rares boutiques, quelques bars. L’école publique et le lycée de Mengong sont juste en face des bars. Rien d’encourageant. Et encore plus décourageant, ce n’est pas ma destination !

Le centre-ville de Mengong
Le centre-ville de Mengong. C’est le petit carrefour qu’on aperçoit là devant

J’appelle une big ressé3 à moi qui vit et travaille à Mengong. Elle me rejoint non loin du centre-ville (c’est en réalité un carrefour pas très loin de l’endroit où les voitures qui viennent d’Ébolowa garent le temps de prendre les clients). « Voilà les motos qui vont à Melane », me dit-elle en pointant quelques motos garées à quelques mètres de là. « Mais il faut que tu manges quelque chose avant de prendre la route. » Il est bientôt 14 heures. J’essaie de protester, expliquant que je préfère aller à Melane d’abord. Mais elle insiste. « La route là secoue hein, il faut manger avant d’aller » Hein ? Je cède. Mieux je mange, on ne sait pas ce qui se passer en route.

Stationnement des motos pour Melane
Stationnement des motos pour Melane. On peut apercevoir les murs de l’école primaire à droite.

Pendant que je mange – de la viande de brousse – elle va se renseigner sur le tarif pour aller à Melane. Quelques minutes plus tard, elle revient et me dit : « J’ai négocié avec la moto. Il va t’emmener. C’est 2.000 francs. » J’ai d’abord laissé ma fourchette tomber. 2000! Il va me ramener à Ébolowa une fois ? Avant que je pose la question, elle ajoute en souriant, « On va te bâcher4 hein, donc apprête-toi. » J’ai d’abord perdu l’appetit : donc, non seulement je vais payer 2.000 francs pour arriver à Melane, mais en plus on sera deux sur la moto ! L’affaire-ci sent le roussi.

Sans conviction, je termine mon morceau de viande de brousse, je bois rapidement mon jus et je rejoins le gars de la moto dehors. Une femme est déjà avec lui, son sac est attaché à l’arrière de la moto. Il est 14 heures 30 quand on quitte Mengong pour Melane. On m’avait dit que c’était à 20 minutes de Mengong. Je l’espère bien…

1 Le shaba : le derrière, le fond. La rangée du fond.

2 Vénère : Énervé, en verlan.

3 Mbitacola : Sorte de fruit très amer, réputé pour ses vertues aphrodisiaques surtout quand il est combiné à la Guinness (la grande, de préférence)

4 Big réssé : une grande sœur, une personne généralement plus âgée que soi et qu’on respecte beaucoup (sans aucun lien de parenté, la plupart su temps).

5 Bâcher (dans un véhicule) : surcharger.


J’accuse le peuple camerounais !

Les 30 et 31 octobre derniers, le peuple burkinabé, comme un seul homme, se soulevait contre une dictature qui durait depuis « seulement » 27 ans. Au Cameroun, on a parlé, polémiqué, menacé le régime en place. Des gens cachés derrière leurs ordinateurs en Europe et en Amérique ont organisé des manifestations et des marches de protestation auxquelles ils n’allaient jamais pointer le bout de leur nez. « Le 06 novembre » disaient-ils, « nous allons manifester à la poste pour dénoncer le régime de Paul Biya ! Sa dictature a assez duré. »

Vous voulez manifester contre la dictature de Paul Biya ? Laissez-moi rire. Si cette « dictature » a pu fêter son 32ème anniversaire ce 06 novembre, c’est bien notre faute à tous. Oui, le peuple camerounais est coupable. J’accuse le peuple camerounais !

J’accuse le peuple camerounais d’avoir accepté de prendre de l’argent à chaque élection présidentielle pour voter pour un certain parti politique

Les camerounais sont en grande partie des personnes égoïstes qui ne pensent qu’à leur ventre. Ce sont des poltrons qui ne peuvent jamais se mettre en première ligne. Peu de Camerounais accepteraient de se sacrifier pour le bien de la communauté. Alors, on se dit : « Pié gô hela* ? On va faire comment ? » Le Camerounais lambda n’a pas confiance en son compatriote. Il se dit, « Si je refuse les 5.000 francs-là, mon voisin va sûrement les accepter. Et je serai perdant. » Troquer 7 ans de souffrance, de misère et d’abus contre 5.000 francs ! Seuls les Camerounais en sont capables.

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Les « appels du peuple » commencent à être lancés – Photo chipée sur facebook

J’accuse le peuple camerounais d’avoir fait preuve de découragement et de laxisme à chaque scrutin

Beaucoup de Camerounais, lors des scrutins, ne se donnent pas la peine d’aller voter. « Le résultat est déjà connu, les élections seront truquées. Que je vote ou pas, ça ne changera rien. » Non, cher compatriote. Ta voix compte, et ta vigilance est nécessaire pour qu’aucune urne ne soit bourrée, pour qu’aucun votant ne vienne voter plusieurs fois. Si on abandonne cette lourde tâche aux autres, si on l’abandonne tout court, jamais rien ne changera au Cameroun.

J’accuse le peuple camerounais d’avoir négligé l’éducation de ses enfants

La jeunesse camerounaise est déroutée, sans repères : à l’école, on privilégie les diplômes, pas la formation. On préfère le papier au savoir. Combien de parents sont venus « négocier » pour que leurs enfants récalcitrants soient acceptés dans des écoles d’où ils avaient été renvoyés ? Combien d’enfants sont venus proposer de l’argent à enseignants pour avoir de bonnes notes ? Combien d’enseignants jouent à ce jeu dangereux ?

Voici où nos enfants s'instruisent - Photo chipée sur Facebook
Voici où nos enfants s’instruisent – Photo chipée sur Facebook

Ici, on cultive la paresse, la facilité. Pourquoi se plaint-on alors quand notre jeunesse, une jeunesse sans aucune conviction politique autre que la politique du ventre, s’allie avec les oppresseurs, dans l’espoir d’en obtenir les faveurs ? Pourquoi les indexons-nous quand ils proposent ou acceptent de l’argent pour voter un nombre incalculable de fois ? Les jeunes font exactement ce qu’on leur a enseigné.

J’accuse enfin le peuple camerounais d’abandonner le pays à son triste sort

La plupart des Camerounais n’ont qu’un rêve : s’expatrier, quitter le pays, le laisser sombrer dans la corruption, le favoritisme, le chômage et l’ignorance. Qui va donc se battre pour libérer le pays ? Si nous allons tous en Europe, aux USA, qui restera au pays ? Ah oui, les pauvres, les défavorisés et les illettrés. Ceux qui ne peuvent pas tchoko* pour avoir un passeport, ceux qui ne peuvent pas s’offrir un billet d’avion. Ceux là qui misèrent tellement qu’ils accepteront facilement de l’argent pour voter pour x ou pour y. Et après, on ira inonder les réseaux sociaux avec des appels au soulèvement.

Voilà ceux qui aimeraient le roi-lion. Cherchez l'erreur - Photo chipée sur facebook
Voilà ceux qui auraient lancé un appel au roi-lion. Cherchez l’erreur – Photo chipée sur facebook

Le changement que nous voulons, c’est ici au Cameroun qu’il aura lieu. Le changement que nous réclamons, c’est dans les écoles qu’il prendra racine. Se soulever, marcher, casser, donner des coups et en prendre, tout ça n’est pas la solution. Ca peut se faire autrement, tout dépend du peuple, tout dépend de nous.

J’accuse le peuple camerounais qui pense que la solution viendra des autres. Mais à quoi bon l’accuser car comme on dit ici le Cameroun c’est le Cameroun.

Pié gô hela ?: On va faire comment ? (Ghomalà)

Tchoko : Corrompre


« Cher collègue, bienvenue en enfer » (1ère partie)

Quand mon nom est apparu sur la liste des enseignants mutés pour le compte de l’année scolaire 2014 – 2015, j’étais ivre de joie. Oui, car quand on a sa famille à plus de 1000 km de soi, c’est clair qu’on n’est pas à l’aise. Bref, passons. Sur la liste donc, mon nom apparaissait deux fois, et j’étais muté dans deux régions différentes. Puisque dans ma demande de mutation j’avais sollicité la région du centre, j’ai naturellement ignoré la note qui m’envoyait dans la région du Sud. J’ai donc fait un voyage pour mon lieu d’affectation au Centre, le lycée bilingue de Nguila. Expérience bouleversante (racontée ici). Par la suite, ayant appris que j’avais également été envoyé dans un lycée dans la région du Sud, j’ai jugé bon d’y aller, pour pouvoir effectuer un choix par la suite. Voici le récit de mon périple dans le Sud-Cameroun.

Mardi, 6 heures. Je me réveille difficilement – ok, j’avoue, ma sœur a encore dû me secouer sans ménagement pour que j’ouvre les yeux. Donc, je me lève, je fais un tour rapide à la douche, je ramasse mes effets et me voilà en route. Direction Mvan. Arrivé à Mvan, je me précipite au guichet pour acheter un ticket. Un peu perdu, je demande aux guichetières si le bus pour Ébolowa est déjà prêt. « Attendez l’annonce », fait l’une d’elles, sèchement. « Merci, madame », lui dis-je. Elle ne bronche pas. Impolie comme ça !

Je commence alors à attendre l’annonce. Le temps passe. Il est déjà 7 heures 30 et on ne fait que charger les bus pour d’autres destinations. Heureusement, il y a une salle d’attente. Je n’assois donc, et pour faire passer le temps, je commence à manipuler mon téléphone. Je suis très absorbé par cette tâche, jusqu’au moment où, je ne sais pas pourquoi, je regarde près de moi. Une demoiselle est assise en mini-jupe et haut décolleté, attendant certainement un départ, avec ses bagages près d’elle.

Sa chevelure attire cependant mon attention : elle est ébouriffée, négligée. Et ses sacs alors… Vieux, sales, usés. Elle était là, très calme, avec en main un papier écrit en chinois qu’elle semblait lire et traduire, parce que de temps en temps elle notait quelque chose dans ce qu’il m’a paru être une bible. Curieux, j’ai jeté un coup d’œil à ce qu’elle notait sur les parties non imprimées de sa Bible. C’était peut-être du russe, car ça n’avait aucun sens. Je m’éloigne d’abord un peu d’elle. En jetant un coup d’œil furtif sur son visage, je crois apercevoir… une moustache ! C’en était trop pour moi. J’ai abandonné le siège immédiatement. Avec tous les bancs qu’il y a dans cette salle, il a fallu que j’aille partager celui d’un(e) dérangé(e) mental(e) ! C’est comme ça que la malchance commence souvent.

Je me lève donc, et je commence à vadrouiller dans la salle, non sans avoir vérifié que ma voisine était bien barbue – elle l’était bel et bien. En passant devant le guichet, la dame de tout à l’heure me demande d’aller m’asseoir. Je ne la gère même pas. Mouf ! Chassez d’abord toutes les folles que vous hébergez ici !

8 heures. On charge toujours les bus, mais pas celui d’Ébolowa. Certains passagers commencent déjà à manifester leur impatience. Apparemment, on nous a écoutés. Une trentaine de minutes plus tard, un bus « gros porteur » vient garer et les clients s’y précipitent. Rapidement, on embarque et chacun choisit sa place. J’entre parmi les premiers, et je m’installe sur la rangée de droite, qui n’a que deux rangées de chaises. Mal m’en prend : quelques minutes après, je vois une ndjim mémé* s’avancer vers le siège d’à côté. En s’asseyant, elle occupe son siège plus la moitié du mien. Vraiment, ce voyage s’annonce plaisant. Je songe à changer de siège, mais je ne bouge pas.

Tout le monde est à bord, et le bus quitte lentement la gare. Serré contre la vitre, obligé de regarder le paysage, je prie pour qu’on arrive très vite. Puis, comme d’habitude, je m’endors tandis que nous prenons la route d’Odza, à la sortie de Yaoundé. Cap sur Ébolowa…

Ndjim mémé : Femme de forte corpulence


Le jour où j’ai failli me faire braquer dans un taxi à Yaoundé

Chez nous au Cameroun, les taxis sont devenus très dangereux : quand ils ne causent pas des accidents sur la voie publique, ils se transforment carrément en pièges à rats. Plus d’une fois on a entendu parler de passagers agressés et dépouillés dans des taxis. Dernièrement, j’ai emprunté un taxi et le trajet n’a pas été de tout repos.

À Yaoundé, quand on est un simple piéton comme moi – et Dieu sait si nous sommes nombreux au Cameroun – il n’est pas rare de se sécher au soleil pendant plusieurs heures, dans l’attente d’un taxi. À certaines heures, c’est carrément mission impossible d’en emprunter un : il faut se bagarrer pour avoir une place assise ! Donc, ce jour funeste, j’avais un rendez-vous en ville. En m’alignant au bord de la route pour attendre un taxi, je me félicitais d’être sorti à une heure où les élèves sont encore en classe. Quand ceux-là sont dehors, les chances de trouver un taxi se divisent au moins par quatre !

Après m’être fait ignorer par quelques taxis à qui je proposais ma destination, j’ai enfin entendu le bruit du klaxon. Sauvé ! En me dirigeant vers la voiture qui avait garé quelques mètres plus loin, je me suis dit que ce modèle de voiture n’était pas commun, pour les taxis. J’ai aussi remarqué que le véhicule était en très bon état, bien entretenu. Me voilà donc qui embarque, et le taxi repart.

Dans le taxi, il y a déjà trois autres passagers, plus le chauffeur.  Les quatre sont en train de discuter bruyamment. Je ne sais plus trop de quoi ils parlent, mais ça semble drôle. Ils bavardent, ils rient. Dès que je m’asseois, j’ai un mauvais pressentiment. C’est vrai, ces choses-là se sentent parfois. Et puis, ils sont vraiment suspects, à bavarder comme ça. Cette familiarité entre eux n’a rien d’ordinaire.

Comme s’ils m’ont écouté, ils se taisent, sauf le chauffeur et le passager assis à côté de lui qui recommencent à bavarder après une courte pause. C’est à ce moment que je regarde même bien la voiture-là. L’intérieur est encore pégna pégna* avec des sièges nickels. Le chauffeur même est très bien habillé – chemise près du corps. Il n’a rien d’un taximan. Mais pire encore, il n’a pas de badge professionnel d’identification ! Je commence sérieusement à m’inquiéter. Surtout que les faces des autres passagers ne me disent rien qui vaille.

On avance encore. Vers le CHU de Yaoundé les embouteillages commencent. On roule très lentement. Je vais être en retard  à mon rendez-vous, mais je suis quand même soulagé par l’embouteillage. On a vu des cas où, après avoir dépouillé leur victime, les malfrats ouvrent la portière et la balancent à l’extérieur. Au moins je suis sûr que les bougres n’oseront pas me jeter dehors en plein embouteillage.

Tandis que la voiture chemine lentement, j’essaie d’évaluer la situation : le malabar qui est assis à côté de moi peut à tout moment me tomber dessus avec ses gros bras – le t-shirt qu’il porte est suffisamment moulant. Je dois le surveiller de près. Et puis, avec  le chloroforme qu’ils utilisent déjà pour agresser, il faut que je respire prudemment. Surtout que j’ai remarqué que le chauffeur m’observe de temps en temps à travers le rétroviseur, tout en continuant à parler avec son complice de droite. Ils s’expriment maintenant en patois, ce qui augmente mon inquiétude.

Plusieurs fois, je suis tenté de prétexter un oubli, ou bien de décrocher un appel fictif me rappelant à la banque d’où je venais. Mais allaient-ils me laisser sortir après avoir vu mon téléphone – un Nexus 5, quand même ? J’en doute. Donc, je ne bronche pas, j’observe le dehors par les vitres relevées, en me demandant si je peux les briser d’un cou de coude, au cas où les choses commencent à chauffer. En attendant, je révise lentement mes techniques de judo – comme si on pouvait placer une technique juste en y pensant !

Nous continuons à avancer. Au niveau de CIRCB (Centre International de Référence Chantal Biya), il y a plein de personnes au bord de la route qui attendent un taxi. Je me dis, « Ok, s’il prend un autre passager, c’est bon signe ». Mais le gars passe en flèche. « Ça a cuit le tour-ci ! », je me dis. Maintenant, la route est plus dégagée, et le taxi prend de la vitesse.

Carrefour EMIA, on tourne à gauche et on engage la descente. Chaque fois qu’on croise un taxi, je ne peux m’empêcher d’envier ceux qui sont dans les vrais taxis. Même ceux qui attendent au bord la route font l’objet de mon envie. S’ils n’ont pas encore trouvé de taxi, au moins, ils ne sont pas tombés dans un guet-apens ! Vers le lac, on vire à droite. C’est une route peu fréquentée. Je sens que c’est ici que les gars vont me jeter après m’avoir pris téléphone, argent, et ordinateur – j’ai mon laptop dans mon sac à dos !

Faut que je révise bien mes ukémi (les techniques de chute, en judo) ! L’autre type qui est devant est au téléphone. Il parle de cotisation, d’argent. Peut-être que les gars-ci trafiquent les organes humains hein ? La prochaine fois (s’il y a une prochaine fois), je vais me balader avec des bâtons de cigarette et des whiskies en sachet pour leur montrer que mes organes sont de mauvaise qualité.

Mais non, on continue tranquillement notre route. On déjà est au centre-ville, je respire mieux, sans pour autant cesser de surveiller le Mike Tyson qui est assis à mes côtés. Arrivé à la Pharmacie du Soleil, je descends en poussant un ouf de soulagement. Ce n’est qu’une fois hors de la voiture que je me rends compte que ce n’est même pas un taxi ! La voiture est verte, avec les ailes peintes en jaune, mais ce n’est pas un taxi.

Tandis qu’ils s’éloignaient dans leur piège à clients, je me suis mis à la recherche d’un bar, pour évacuer mes émotions.

Pégna pégna : flambant neuf


Mondoblog, je ne vous félicite pas !

Novembre. Ça fait environ un mois et demi que la quatrième saison de l’aventure mondoblog a commencé. Depuis plusieurs semaines, 150 nouveaux blogueurs passionnés d’écriture postent chaque jour dans leurs blogs, partageant expériences et opinions avec des milliers de lecteurs à travers le monde. L’aventure s’annonçait belle, palpitante. Mais voilà, après quelques mois de familiarisation avec la plateforme, après plusieurs visites assidues sur le site mondoblog.org, je me suis rendu compte qu’il y a plusieurs facteurs de nature à décourager ou tout au moins à démotiver certains blogueurs qui ne demandent pourtant qu’à se faire entendre.

On prend les mêmes et on recommence

La page d’accueil du site mondoblog.org met en avant certains articles des blogueurs. Si vous y alliez de façon assidue, vous vous rendriez compte comme moi que certains noms reviennent. C’est comme dans le gouvernement de Paul Biya au Cameroun : les ministères changent, mais pas les ministres. Et le plus mauvais c’est que c’est parfois ceux qui n’en ont pas besoin qui sont mis en avant !

Un David Kpelly, par exemple, n’a plus besoin de publicité pour ses billets. Pourtant, je me rappelle que les sept parties de son billet « Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux » se sont relayées ici à la une. Un Florian Ngimbis (dont le récit du voyage à la tombe de Um Nyobè a séjourné ici longtemps) n’a plus besoin d’être mis en avant.

Je ne dis pas que les anciens n’ont pas droit à la page d’accueil, mais je pense qu’un certain équilibre doit être observé dans la mise en avant des publications. Car même lorsque les publications des nouveaux blogueurs sont mises en avant, tandis que celles des uns n’y font qu’une brève apparition (quelques heures parfois), celles des autres y passent carrément des semaines entières.

Avec ça, on ne doit pas être étonnés que, une fois ce que mon ami Gilbert Lowossou a appelé « la fièvre de la sélection » est passé, certains blogueurs se retrouvent avec une poignée d’articles seulement publiés. Oui, car quand après la sélection, et malgré vos efforts, vous passez le temps à voir les articles des autres à la une, sans jamais y voir aucun des vôtres, vous vous sentez parfois un peu lésés, vous perdez confiance en vous. Et vos publications en souffrent !

On écrit pour être lu. Et quand aucun de nos articles n’est mis en avant sur la plateforme, on a l’impression que personne ne nous lit. Alors, pourquoi écrire ?

Au nez et à la barbe des administrateurs !

En plus de la gestion que je juge injuste de la page d’accueil, j’ai également remarqué en lisant les billets des autres mondoblogueurs, qu’il y a plein de fautes qui se glissent dans les articles. Moi-même, il m’est arrivé d’en faire plein. N’eut été la vigilance de certains amis et blogueurs qui ont eu la bonté de me signaler les fautes que dans la précipitation – ou par ignorance – je laissais passer, plusieurs de mes billets seraient restés pleins de fautes (grand merci, à Armelle Nyobe et à Akep Hpesoj).

Et pourtant, l’équipe mondoblog est censée relire et corriger les billets (ce n’est pas moi qui le dis hein, c’est écrit dans la charte des blogueurs sur mondoblog). L’équipe est supposée faire des corrections, et des suggestions aux blogueurs. Je ne sais pas si certains en ont reçu (corrections, suggestions), mais je continue à voir et à faire des fautes dans les articles postés, même ceux qui ont été publiés il y a longtemps. Alors, s’il n’y a aucune édition ni aucune assistance des administrateurs de la plateforme, qu’au moins les articles des blogueurs soient mis en exergue pour que les lecteurs et les autres blogueurs puissent au moins donner leurs avis, faire des suggestions ou bien des conseils !

Même dans les profils des blogueurs, j’ai eu à retrouver des fautes. Ces profils sont pourtant manuellement ajoutés à ce qu’il paraît. Alors, pourquoi aucune lecture, aucune correction n’est faite avant ajout ?

Les évangiles non canoniques

Pour terminer, en lisant sur la plateforme, je me suis rendu compte que certains articles n’en sont pas, en réalité : certains blogueurs postent des articles sans titre, tandis que d’autres postent des titres sans contenu.

C’est vrai qu’il existe des tutoriels sur comment rédiger, mais tous ne lisent pas ! Il revient donc aux administrateurs de remettre les pendules à l’heure ! Je le pense, du moins.

Mondoblog est une référence, et doit continuer à l’être. Si certains seulement sont entendus ou lus, si les publications sont truffées de fautes et de coquilles c’est évident que la réputation de cette plateforme que nous aimons tous s’en trouvera ternie.

Ce billet part d’un constat plutôt que d’un ressentiment personnel, car je tiens à préciser que plusieurs de mes billets ont déjà eu à faire la une dans Mondoblog. J’écris donc pour décrier une situation et non pour parler de mon cas précis


Ces Zones d’Éducation Prioritaire (ZEP) où l’éducation n’est pas une priorité

La dernière fois quand je suis allé à Nguila (en réalité je me suis arrêté à Ntui), j’ai eu à m’entretenir avec un enseignant à la Délégation Départementale des Enseignements Secondaires (DDES) du Mbam et Kim, qui me conseillait de rester dans ce département – rappelez-vous, j’ai eu deux mutations dans deux régions différentes – parce que c’était une Zone d’Éducation Prioritaire (ZEP). Plus tard, j’ai été un peu intrigué par les fameuses ZEP. Vu l’enclavement du Mbam et Kim et les conditions de vie qu’on m’a décrites difficiles, j’ai décidé d’examiner ce concept de près.

« Donner plus à ceux qui en ont le plus besoin »

Dans le système éducatif, les ZEP désignent les « zones dans lesquelles sont situés les établissements scolaires dotés de moyens supplémentaires et d’une plus grande autonomie pour faire face aux difficultés d’ordre scolaire et social » (wikipédia). Si on s’en tient à cette définition, on s’attend à ce que les établissements scolaires situés dans les ZEP soient mieux construits, mieux équipés, mieux fournis en personnel que les autres établissements. Mais il semble que ce ne soit pas exactement ça en pratique.

Les ZEP sans personnel, ou bien avec du « mauvais » personnel

Quand j’allais à Nguila, j’ai rencontré une amie, enseignante elle aussi, qui me disait avoir été affectée au lycée bilingue de Ntui, établissement situé dans la ZEP qu’est le Mbam et Kim. Mais en bavardant avec cette dernière, j’ai appris qu’qu’il s’agissait en réalité d’une affectation disciplinaire. Donc, dans une zone où on devrait affecter les meilleurs éléments du corps enseignant, on y envoie plutôt les plus récalcitrants, et les plus indisciplinés.

Crédit photo: Desy Danga (kalangoo-84.blogspot.com/)
Une salle de classe au Cameroun – Crédit photo: Desy Danga (kalangoo-84.blogspot.com)

Si on prend le cas du lycée bilingue de Nguila, on verra que c’est encore pire : l’établissement, selon les dires de la DDES du Mbam et Kim, n’aurait actuellement pas de proviseur, depuis que l’ancien a été muté (ou promu, je ne sais plus). Comment un établissement scolaire peut-il, jusqu’en mi-octobre (quand j’y étais), rester sans proviseur ? Et c’est encore pire s’il est situé dans une ZEP !

La vie dans les ZEP : un vrai calvaire

En causant avec mon oncle qui vit à Ntui, j’ai appris que là bas, l’électricité est discontinue. Mon oncle m’a d’ailleurs fait savoir que depuis environ un mois, le courant était interrompu chaque jour dès 18 heures dans la ville. Sachant qu’en journée enseignants et élèves sont à l’école et que c’est le soir qu’ils peuvent faire leurs préparations et leurs révisions, on se demande comment le niveau scolaire peut être relevé ! Comment les enseignants feront-ils pour préparer leurs cours sans lumière ? Un cours préparé dans l’obscurité, c’est-à-dire sans possibilité de faire des recherches et des vérifications supplémentaires sur internet, est-il un bon cours ? Et puis, à quel moment les enfants vont-ils réviser leurs leçons ? Autant de questions dont les réponses ne laisseront aucun doute sur le fait que dans les ZEP, l’éducation est loin d’être une priorité.

Crédit photo: Desy Danga (kalangoo-84.blogspot.com)
Une école dans une ZEP au Cameroun – Crédit photo: Desy Danga (kalangoo-84.blogspot.com)

À cause de ces difficultés certains des enseignants affectés dans ces zones préfèrent résider dans d’autres villes plus accueillantes. Mais ça n’arrange pas le problème : quand on voit l’état de la route qui mène à Ntui, on se demande si un être humain peut l’emprunter deux fois par jour et pendant ne serait-ce que deux jours… En conséquence, les cours sont délaissés, les élèves abandonnés – malgré le caractère prétendument prioritaire de l’éducation dans la zone.

Portant, « c’est le fond qui manque le moins »

Il est quand même étonnant que les ZEP soient aussi délaissées, surtout que des financements sont parfois attribués au projet d’appui à la scolarisation des ZEP ! En juin dernier, un prêt de 5 milliards a été accordé par la BID (Banque Islamique de Développement) pour l’aménagement des ZEP dans le pays, plus un don de 7,4 milliards !

Crédit photo: Desy Danga (kalangoo-84.blogspot.com)
A quoi ont servi les financements de la BID ? – Crédit photo: Desy Danga (kalangoo-84.blogspot.com)

En attendant que cet argent soit utilisé à bon escient, on peut quand même décrier le manque de volonté et le laxisme des autorités camerounaises et de la communauté éducative qui ne font rien pour que l’éducation soit une priorité dans les ZEP.


Nexttel, l’operateur interdit aux pauvres

Annoncé depuis fin 2013, le troisième opérateur téléphonique camerounais, Viettel, était attendu par les utilisateurs tel un messie. Après la déception causée par le report incessant du début effectif de ses activités, Nexttel a enfin pu poser ses valises au Cameroun, le 18 septembre dernier. Chez nous, on a jubilé, certains ont même carrément cassé les puces des autres opérateurs qu’ils avaient ! Actuellement, on revient lentement à la réalité. Et elle n’est pas belle à voir : Nexttel, c’est pour les riches…

La 3G dans nos murs

Au Cameroun, on s’est longtemps plaint de la connexion internet que les opérateurs de téléphonie nous fournissaient. Orange Cameroun et MTN Cameroun, ces frères jumeaux, nous en faisaient baver. Donc, quand Viettel (Vietnam Télécom, commercialisé au Cameroun sous le nom Nexttel) a pointé son nez, on a dit « ouf ! », surtout que c’est un opérateur 3G. Cependant, le Camerounais moyen peut-il se procurer un téléphone 3G sans faire des sacrifices (financiers) surhumains ? Combien savent même ce que c’est que la 3G ?

La 3G a des avantages incontestables, mais le Camerounais lambda est-il familier à ces technologies ? Les appels vidéo, les appels skype, c’est pour les mouna de tété*. Nous, les pauvres, on n’en a cure. À la rigueur, on utilise whatsapp et viber. En plus de facebook et twitter. Et pour cela, point besoin de 3G. C’est ce que je me disais, avant le coup de grâce : les tarifs.

« Nul ne surfe ici s’il n’est nanti »

La première fois que j’ai vu les prix de Nexttel, j’ai cru que je rêvais. Oui, car comment peut-on espérer faire payer 50 francs par Mégabit aux Camerounais ! Personnellement, j’utilise en moyenne 1000 Mo par jour. En faisant un calcul simple, au lieu de payer 1.000 francs pour 1 Go comme c’est le cas actuellement, je me retrouverais (si j’avais à Nexttel), en train de payer… 50.000 francs par jour. Rien que ça. Je n’ose pas faire le calcul de ma dépense mensuelle.

Oui, ce n’est pas la seule offre que Nexttel propose, mais les autres ne sont pas plus avantageuses. Voici les offres internet des Vietnamiens :

Offres internet de Viettel AKA Nexttel
Offres internet de Viettel AKA Nexttel. C’est presque le tarif de la dot chez nous au Cameroun

Rien d’encourageant, je vous dis.

Quels avantages donc ?

Avec Nexttel, le net est réservé aux kapo**. Alors, quel intérêt à adopter le nouveau venu ? Pour les appels, me direz-vous. Jetons donc un coup d’œil à leur tarification :

Nexttel prix appels
Tarifs des appels chez Nexttel. Aucune différence avec Orange et MTN

En bref, les vietnamiens, qui par ailleurs avaient promis une réduction d’environ 25% des tarifs, ne proposent rien de nouveau en termes de tarifs de communication. À peine arrivés, ils alignent leurs prix à ceux déjà existants, à quelques francs près

Oui, leurs puces coûtent 100 francs, mais le temps mis dans les rangs pour pouvoir en avoir une compense suffisamment le prix.

Doit-on abandonner nos abonnements actuels pour suivre l’évolution du monde, et s’arrimer à la 3G ? À chacun de juger ­– selon ses moyens. Mais en ce qui me concerne, la 2G me satisfait encore largement en attendant début 2015, quand les autres opérateurs auront eux aussi la possibilité d’exploiter la 3G.

* Mouna de tété: enfants de riches

** Kapo/tété: personne nantie, riche


Mais qu’est-ce qui se passe donc dans la tête des ministres camerounais ?

Si la récente sortie suicidaire du Ministre de la Communication en a surpris plus d’un tant par l’imprudence dont il a fait montre que par le nombre de révélations qu’on pouvait en tirer, il n’en demeure pas moins vrai qu’au Cameroun, c’est une habitude chez nos chères Excellences de dire ou de faire n’importe quoi : on tire d’abord, et ensuite on (se) pose des questions. Voici quelques déclarations ou actions d’éclat que ces derniers ont dites ou menées et qui ne rendent service ni à leur image, ni à la population, ni à l’image du pays.

Le ministre des Transports, le prof de « danse bafia* » qui avait raté le train des informations

Suite à l’accident qui a eu lieu le 16 octobre dernier à Yaoundé au quartier Biyem-Assi Superette, Robert Nkili, ministre des transports, n’en aurait été informé que le lendemain (obsèques nationales obligent ?). Comme si ça ne suffisait pas, Monsieur le Mintransports a dernièrement déclaré qu’il n’y avait eu que trois morts dans l’accident, malgré le fait que certains journalistes, présent sur le théâtre du drame, étaient allés jusqu’à citer les noms des victimes !

Sortant de sa léthargie, Monsieur le Mintransports a pris la décision pour le moins étonnante d’interdire la circulation des camions entre 6 heures et 21 heures, oubliant que cette décision paralyserait plusieurs autres secteurs économiques. Désormais, ceux qui ont besoin de sable pour des constructions par exemple, attendront 21 heures pour chercher à se ravitailler. De même, les camions transportant le gaz domestique, du bois, du matériel de construction, bétail, etc. auront un arrêt forcé aux portes de chaque ville. Donc, pour quitter de Maroua à Yaoundé avec des marchandises, un transporteur verra la durée de son voyage doublée, voire triplée, puisqu’il faut s’arrêter à chaque ville !

Circulaire mintransports
Première circulaire du ministre. Bizarrement, elle a été signée le 16 octobre, le jour du drame – Image chipée sur facebook

Heureusement, un éclair de bon sens a illuminé ce ministre qui a annulé la décision qu’il a prise seulement 48 heures plus tôt.

* Au Cameroun, la danse bafia (peuple du centre Cameroun) s’effectue en faisant un pas en avant et deux en arrière. « Faire la danse bafia » signifie donc revenir sur ses décisions.

Le ministre de la promotion de la femme et de la famille, et ses batailles perdues d’avance

Dans une sortie qu’elle a effectuée dernièrement, en compagnie de plusieurs autres ministres, et sous le fallacieux prétexte de « combattre l’indécence vestimentaire chez les jeunes filles », Marie Thérèse Abéna Ondoa et son équipe ont promis une répression sans merci aux tenues sexy : arrestations, amendes, peines de prison, etc.

Si on veut bien croire que cette décision part d’un bon sentiment (soyons indulgents), on se rend compte que c’est purement utopique de vouloir empêcher les jeunes femmes de mettre un certain type de tenues alors que c’est ce qu’on retrouve en majorité chez les commerçants ! Le ministre du commerce qui était présent à la conférence de presse, aurait pu interdire l’importation de ces tenues tout simplement.

Aujourd’hui, des mois après, on n’a plus jamais entendu parler de cette interdiction qui n’a d’ailleurs jamais été prise en compte par les jeunes filles.

Les ministres du Commerce et de la santé, prêts à empoisonner tout le monde

Au sujet de la dangerosité des emballages plastiques utilisés pour conditionner les whiskies en sachet, le Mincommerce et le Minsanté ont trouvé bon de donner deux années supplémentaires aux fabricants et importateurs de ce poison pour, disent-ils, « écouler leurs stocks », sans tenir compte des ennuis de santé que ces liqueurs auront certainement sur le peuple. De peur de me répéter, je vous renvoie à ce billet qui développe plus longuement la question.

Que ce soit par manque de tact ou bien par défaillance de leur entourage, le constat général est que les ministres camerounais se distinguent par des sorties médiatiques discutables. J’ai encore en mémoire la déclaration du Ministre de l’Enseignement Supérieur, le Pr. Jacques Fame Ndongo, qui disait en 2010 être « une créature de Paul Biya »


Koh Lanta c’est rien, nous on a Ilomba…

On dit souvent que pour évoluer, il faut s’inspirer des autres, copier ce qu’ils ont de bon. Les Camerounais l’ont compris, et ce depuis longtemps. Donc chez nous, on copie ce qu’on voit les autres faire. Juste que nous, on le fait à notre manière, en y ajoutant nos propres ingrédients.

Koh Lanta, à la sauce camerounaise

Koh Lanta, cette émission de téléréalité qui oppose deux groupes (les clans) abandonnés sur une île déserte, en a certainement accroché plus d’un. Les épreuves de survie, de force, d’adresse, de résistance ont dû inspirer certains Camerounais. On a donc créé pour nous de Koh Lanta, mais avec un nom plus original : Ilomba.

Certains Camerounais n’on jamais vu un seul épisode de cette émission – elle n’a pas fait long feu sur les antennes ­– mais ceux qui ont eu cette chance vous le diront : tout était pourri dans cette émission : les décors, les épreuves, les présentateurs… Même les candidats étaient un genre. Chaque fois que mes sœurs et moi regardions ce programme, on était morts de rire. Il fallait voir les aventuriers essayer de courir dans l’eau, ramper dans la boue, grimper aux lianes… Si vous n’avez pas eu l’occasion de regarder ce chef-d’oeuvre, voici un aperçu de que vous avez manqué :

Les Z’amours, made in Cameroon

Je me souviens à l’époque, le câble venait de faire son arrivée chez nous, et la chaîne CFI TV existait encore. Le soir, nous regardions assidûment Les Z’amours (inspiré aussi de l’émission américaine The Newlywed Game). Le principe était simple : trois couples qui s’affrontent dans un jeu de questions-réponses avec, à la clé un voyage pour deux dans un coin paradisiaque. On a aimé, on s’en est inspiré, et on a sorti pour nous : Tropik Love.

Tropik Love, c’est Les Z’amours, mais avec l’humour de Tex en moins, des questions aux tournures humoristiques douteuses, des cartons-réponses écrits à la main et effacés au fur et à mesure, et mon préféré, des candidats qui forcent la mop* après chaque réponse correcte. Et ne parlons même pas de la présentatrice… On croirait avoir devant nous un robot, tellement elle fait son boulot sans enthousiasme ! On peine à croire qu’elle imite Tex !

En bonus…

Voici quelques réactions à chaud ou à froid de nos compatriotes sur l’émission (désolé, je n’ai pas pu me retenir).

Tandis que certains s’indignaient:

D’autres étaient verts de colère:

Mais pour la plupart des camerounais, c’est une bonne occasion de se détendre:

Et d’oublier le stress du boulot:

Une pléthore de copies, mais en fake**

Des émissions telles que celles citées plus haut, il y en a beaucoup d’autres ici chez nous, toutes de pâles copies. Ce que nous ne comprenons pas, c’est qu’il ne suffit pas de copier un concept et d’essayer de le reproduire. Il faut bien plus que cela : il faut des écoles pour former des animateurs du calibre de Tex ; il faut des infrastructures et du matériel technique pour produire des émissions de qualité acceptable ; il faut des techniciens capables de mettre à profit le matériel de pointe. Après ça, si on donne la chance aux concepteurs talentueux que nous avons parmi nos compatriotes, il ne fait aucun doute que nous produirons des émissions qui seront imitées par les autres.

* La mop : le fait de s’embrasser sur la bouche (en camfranglais).

* ‘Copier en fake’ (fake = faux) est une expression que j’ai copiée sur le mur facebook du blogueur Desy Danga (kalangoo.wordpress.com), qui est la source d’inspiration de ce billet.


N’allez surtout pas à Nguila avec du Champagne ! (Troisième partie)

Je viens d’arriver à Ntui, épuisé, secoué par un voyage interminable. Mieux on prenait même le bac hein. Actuellement, je dois me dépêcher d’aller à Nguila, car on est mercredi, et les cours s’arrêtent à 12h30 ! Mon oncle, qui m’a rejoint il y a quelques minutes, me conduit à la gare de Nguila (qui est en réalité juste en face de la gare de Yaoundé !).

« Tu vas à Nguila ? C’est 3.000 francs »

Malchanceux comme je suis, j’arrive à la gare juste au moment où une voiture est entrain de partir pour Nguila. La prochaine voiture est là, désespérément vide. Et il est presque midi ! Mon oncle me propose d’y aller à moto. Au point où j’en suis, même à cheval je serais prêt à y aller…

La ville de Ntui
La ville de Ntui, chef-lieu du département du Mbam et Kim

On ressort de la gare. Dehors, il y a des motos garées. Certains refusent carrément d’aller à Nguila. L’un d’eux est d’accord. Mais il me dit : « Pour que je t’emmène à Nguila, il faut que tu payes 3.000. » J’hallucine ! J’ai payé 2.000 de Yaoundé à Ntui. En passant par Sa’a, ça fait environ 120 km. Et celui-ci veut me prendre 3.000 pour parcourir 35 km ? Bref, on ne s’entend pas.

Je commence à désespérer, lorsque je me souviens que mon amie de Maroua avec qui j’ai voyagé en venant m’avait proposé de me rendre à la Délégation Départementale des Enseignements Secondaires (DDES) du Mbam et Kim. Mon oncle accepte de m’y conduire. Là-bas, on prendra le contact téléphonique du proviseur et on pourra l’appeler pour savoir s’il est ou non au lycée.

Pas d’intérimaire !

Nous voici à la DDES. Nous sommes accueillis par deux messieurs sympas et volubiles. À chacune de nos questions, ils répondent et enchaînent avec des anecdotes. Les pères-ci doivent vraiment s’ennuyer dans le bureau-ci, hein. De notre conversation, je retiens que le lycée bilingue de Nguila n’aurait pas de proviseur actuellement ! Après la récente promotion l’ancien proviseur, le ministère n’aurait nommé aucun remplaçant. Même pas un intérimaire !

L’affectation est annulée

Je pose une autre question aux deux messieurs. « Est-il vrai qu’en cas de double affectation, la plus récente annule la plus ancienne ? » Ils ne semblent pas me comprendre, donc je m’explique : « Le 28 août dernier, j’ai été muté. Et dans la même note, mon nom apparaissait deux fois, mais dans deux régions différentes : le Centre et le Sud. Alors, étant donné que le Centre a déployé depuis le 30 septembre et que le Sud vient juste de déployer (j’en ai été informé à mon arrivée à Ntui), cela signifie-t-il que je dois plutôt aller au sud ? »

La ville de Ntui
La ville de Ntui (à défaut de photos de Nguila…)

Ils me répondent que « Oui », mais que je peux choisir un lieu, qu’il suffit que j’envoie une note à l’une des délégations régionales pour leur signifier que j’ai déjà été muté ailleurs. L’un d’eux renchérit en expliquant que le Mbam et Kim est une Zone d’Éducation Prioritaire (ZEP) et que j’aurai plein d’avantages à y rester – du bluff, quoi. Je l’écoute d’une oreille distraite, me demandant dans quel coin on pouvait encore bien m’avoir jeté, là-bas au Sud.

Réussissant enfin à prendre congé des deux moulins à paroles, mon oncle et moi allons à son bureau pour bavarder un peu, car j’ai décidé de ne plus continuer jusqu’à Nguila. Non seulement il était déjà 14 heures passé, mais en plus il n’y a pas de proviseur là-bas. Et puis, il ne faut pas oublier que je suis censé aller au Sud, et non au Centre.

Retour à Yaoundé

Vers 15h30, je me retrouve à la gare. Peu de temps après on embarque pour Yaoundé. Le chemin retour est plus ennuyeux que l’aller. Mon smartphone éteint (ma pote de Maroua m’avait prévenu) et mes deux voisins qui me reprochent continuellement d’être endormi n’arrangent pas la situation. Pour couronner le tout, celui de gauche a une haleine qui n’encourage vraiment pas le dialogue…

Le tour-ci, même les dos de dromadaire et les nids d’autruche – « âne » et « poule » sont petits pour ce que j’ai vu sur la route-là – ne m’ont pas empêché de dormir…

Je suis arrivé à Yaoundé vers 20h30, fourbu, éreinté, épuisé… mais également, j’étais légèrement déçu de n’avoir pu découvrir le fameux village de Nguila (ce n’est que partie remise), et un peu énervé d’avoir à faire un autre voyage pour Melane, le village du Sud où on m’a également affecté.

P.S. : Tellement de personnes autour de moi m’on demandé le compte-rendu de mon périple à Nguila, que j’ai décidé d’en faire un billet vers lequel je renverrais automatiquement ceux qui voudraient tous les détails. J’étais loin de me douter qu’il m’en faudrait 3 pour en parler (et encore, j’ai dû laisser de côté certains détails !). J’en ferai peut-être autant pour Melane…


N’allez surtout pas à Nguila avec du Champagne ! (Deuxième partie)

Mercredi. Dès 6 heures, je suis débout, réveillé par ma sœur qui s’est pourtant couchée vers 3 heures du matin. Après le voyage manqué de la veille, elle ne veut me laisser aucune chance de rester à Yaoundé aujourd’hui encore. De mauvaise grâce, je me lève. Après une douche froide qui me remet les idées en place, j’empoigne mon sac de voyage, je vérifie que j’ai des sous sur moi, et me voilà en route pour la gare routière.

Un visage familier

Arrivé à la gare, je tombe sur une dame que j’ai rencontrée à Maroua. Je me détends un peu. Le voyage ne sera pas aussi triste que je l’avais imaginé. En attendant que le car fasse le plein de passagers, nous bavardons. Elle n’apprend qu’elle travaille à Ntui. J’en profite pour la questionner sur le coin : l’état de la route, le prix des maisons, la disponibilité d’internet… Acculée de questions, elle me répond cependant de façon évasive : « La route n’est pas plus mauvaise qu’ailleurs » fait-elle. « En tout cas, tu découvriras par toi-même. »

En voyant mon téléphone, elle me donne un conseil bizarre : « Si tu as un smartphone, pense à acheter le genre de téléphone dont la batterie dure une semaine-là. Parce que ton smartphone ne te servira à rien à Nguila. » Euye ! Ma part est venue hein.

Le chemin de croix

Vers 8h10, notre car quitte enfin la gare. « On va contourner par Sa’a », me dit encore mon guide improvisé. « Le bac est en panne depuis près de quatre mois. Et en plus, c’est la saison haute,  le préfet a interdit la traversée de la Sanaga par bac » Merci, m’sieur le préfet.

Durant le trajet Yaoundé-Sa’a, je m’assoupis, histoire de récupérer mon sommeil. Tout se passe bien, jusqu’à ce qu’on arrive l’école publique à Sa’a. Cette école est comme une limite naturelle entre la route bitumée et la route « semi-bitumée ». Dès cet instant, c’est l’enfer dans la voiture. Nous sommes secoués comme la tempête secoue des cocotiers. Par moments, notre voiture tangue tellement que j’ai l’impression qu’elle va se retourner.

En réalité, la route, jadis bitumée, avait encore des îlots de bitume éparpillés ça et là, rendant difficile la progression. D’ailleurs, depuis que nous avons dépassé l’école publique de Sa’a, la voiture va à pas d’escargot.

Sans savoir pourquoi, je me dis qu’il serait difficile d’emprunter cette route avec une bouteille de champagne. Oui, car elle serait tellement secouée que le bouchon sauterait tout seul !

Quelques kilomètres plus tard, on reprend un peu de vitesse, les morceaux de bitumes ayant presque disparu. Dans mon coin, je recommence à somnoler. Sérieux, je me serais cru enceinte si je n’étais pas un homme !

Pause matango

Arrivé à un niveau, la voiture s’arrête. Sortant de ma somnolence, je me dis qu’on est déjà à Ntui. Eh bien non. Je me rends compte avec stupeur que le chauffeur s’est offert une pause matango ! Tandis que nous sommes parqués comme des sardines dans la voiture, le bon monsieur est sous un hangar en train de vider un verre de vin de palme (ou de raphia).

Dans la voiture, certains s’indignent tout bas, d’autres sont du coté du chauffeur. « Il a besoin d’un remontant » argumentent-ils. Moi, je suis pressé d’arriver.

Ntui, nous voici…

On repart. La route, désormais non bitumée, est plus ou moins inégale.  À un niveau, mon cœur fait un bond dans ma poitrine : je viens d’apercevoir de l’eau ! Mais… mais… N’est-ce pas le préfet a interdit le bac ? Fausse alerte, c’est juste un pont sur la Sanaga (le Pont de l’Enfance).

La ville de Ntui. On venait à pein d'arriver dans la ville
La ville de Ntui. On venait à peine d’arriver dans la ville

Bientôt, on aperçoit une plaque Express Union sur laquelle je parviens à lire « Guichet de Ntui ». Une quinzaine de minutes plus tard on arrive enfin à une station service à droite de laquelle se trouve la gare routière. On est enfin arrivés. Je regarde ma montre (une application Android en réalité, je n’ai pas de montre). Il est 11h30 déjà, et on est mercredi. Les cours s’achèvent à 12h30, j’espère rencontrer le proviseur. Je ne veux surtout pas dormir à Ntui.

Rapidement, j’appelle mon oncle qui arrive presque immédiatement et me conduit à la gare de Nguila.


N’allez surtout pas à Nguila avec du Champagne ! (Première partie)

En août dernier, j’ai été muté de la région de l’extrême-nord pour la région du centre Cameroun. Ce fut un grand soulagement pour mes proches et moi (Maroua, où j’enseignais avant, est devenue une ville militarisée avec couvre-feu à 18 heures, depuis que les attaques de la Boko Haram sont devenues récurrentes dans la région). Cependant, la bataille n’était pas encore gagnée. Il fallait maintenant espérer qu’on ne me « balance » pas dans un village invivable de la région du centre. J’ai prié croisé les doigts, et même les orteils. Mais il faut croire que Dieu n’est pas sourd qu’aux prières des chrétiens… Il ne m’écouta pas. Le verdict tomba le 30 septembre dernier tel un couperet : j’étais affecté au lycée bilingue de Nguila, dans le département du Mbam et Kim.

Je ne suis pas en avance !

À l’heure où je prenais connaissance de la note de service qui l’envoyait à Nguila, j’avais déjà dépassé délai de 10 jours qu’on accorde aux enseignants pour prendre service. Dépité (par le lieu de la mutation hein, pas par le retard), je fis demi tour et rentrai, me demandant où diable pouvait se situer cette fameuse ville. Il était plus qu’impératif que je m’y rende pour au moins prendre service.

« Il y a aussi de la vie à Nguila »

En rentrant, j’étais tellement impatient que j’essayai de localiser ce village que j’imaginais perdu dans un coin de brousse, à

Nguila - Crédit photo: dania.mondoblog.org
Nguila – Crédit photo: dania.mondoblog.org

l’aide de Google Maps. Rien. Même Google qu’on disait le meilleur espion de la terre, ne put localiser Nguila. Mon anxiété monta d’un cran… Alors, en faisant d’autres recherches sur le web cette fois-ci, j’ai enfin une réponse venant d’un article posté sur… Mondoblog.org.

Frénétiquement, j’ouvris l’article. En découvrant l’auteur et le titre de l’article, je compris que je ne devais pas espérer que ce village soit un paradis. Faites un tout sur le blog de Dania (dania.monboglog.org), et vous comprendrez : la majorité de ses articles parlent de coins perdus du Cameroun (Moutourwa, Minawao, Moulvoudaye, etc.), d’enfants malnutris, de réfugiés etc. Son billet sur Nguila acheva de me démoraliser : « Il y a aussi  de la vie à Nguila » titrait-il. Tout a ne présageait rien de bon…

De nouvelles informations

Arrivé à la maison, j’apprends de mon frère aîné qu’un oncle à nous réside à Ntui, chef lieu du département du Mbam et Kim, et également la ville la plus proche de Nguila (35 kilomètres d’après la carte routière que mon frère a tôt fait de consulter). En outre, j’apprends que pour se rendre à Ntui, il faut emprunter le bac – ça a cuit ! J’ai une sainte crainte de l’eau, et cette histoire de bac ne m’encourageait pas beaucoup. Mais la vérité était que je n’avais pas le choix. Il fallait y aller.

Panne de réveil ?

Lundi dernier donc, après avoir récupéré les documents administratifs nécessaires à la Délégation Régionale des Enseignements Secondaires (DRES) du Centre, je programmai donc mon voyage pour le lendemain mardi, non sans avoir prévenu mon oncle de mon arrivée.

Le lendemain, c’est à 7 heures 30 que ma sœurette me réveille, étonnée que je sois encore endormi ! Rapidement, je me lève, je fais un brin de toilette et je m’habille. Quinze minutes plus tard, je suis prêt à y aller. Mais voilà mon frère qui me conseille de voyager le lendemain. « Tu risques de prendre le deuxième bus si tu y vas à cette heure ; tu vas arriver à Ntui trop tard, et tu seras obligé d’y passer la nuit. »

C’était vrai. Lentement, je repris ma place au lit, et le sommeil m’emporta en quelques minutes. « Demain, je me lèverai plus tôt », me dis-je avant de m’assoupir.


La femme est un loup pour la femme

Dans presque toutes cultures au monde, les femmes sont à plaindre. Marginalisées, maltraitées, violentées, elles sont la plupart du temps victimes des lois autant que de la tradition. Si ces dernières ont pour principaux bourreaux les hommes, il n’en demeure pas moins vrai que dans la certains des cas, les femmes elles-mêmes sont les premières à s’attaquer à leurs congénères.


Quand Yaoundé respire, le Cameroun agonise

On le dit très souvent, « À quelque chose, malheur est bon » ; samedi dernier, j’ai eu l’occasion de m’en rendre compte. Vous avez certainement encore en mémoire les polémiques créées par le choix du lieu d’inhumation de madame Mboutchouang Rosette, la belle-mère du Nkunkuma*. Eh bien, cet événement malheureux m’a permis de comprendre un certain nombre de choses sur l’avenir du Cameroun, suite à la sortie du griot ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, Issa Tchiroma Bakary.

Dans sa réaction visant à apporter des éclaircissements à ceux qui fustigeaient la décision royale d’enterrer la femme d’autrui dans un village qui n’est ni celui de la défunte, ni celui d’aucun de ses deux maris, M.Issa Tchiroma Bakary a clairement expliqué pourquoi le Cameroun ne sera jamais un pays développé – il croyait justifier son salaire en explicitant les faits et gestes du Nomngui*.

Le plaidoyer du Mincom, c’était en réalité un aveu d’échec du gouvernement du renouveau. Quand par exemple il dit que Bangou (la commune dont Badenkop, le village du mari de la défunte dépend, à l’ouest du pays), Nanga Eboko (le village de la défunte, dans le centre du pays) et même les villes environnantes ne sont pas en mesure de recevoir 10 000 personnes, car n’ayant aucune infrastructure hôtelière où le chef de l’État et ses invités peuvent passer la nuit, il semble ne pas se rendre compte qu’il accuse le président d’avoir passé plus de 30 ans au pouvoir sans jamais penser à mettre en place des structures pouvant accueillir des visiteurs (la CAN 2019 est proche), des touristes par exemple. Sauf si le Mincom voulait dire que le nombre d’étoiles des hôtels du coin ne valent pas ceux où le roi dort d’habitude en Suisse…

Crédit photo: camer.be
Crédit photo: camer.be

Continuant dans la même lancée, le Mincom accuse le président de n’avoir pas construit de route convenable pouvant relier Yaoundé à l’ouest et même à d’autres coins du centre ! Il avoue sans honte que pour que le président aille à Badenkop pour l’enterrement de sa belle-mère, il faut « améliorer les routes. » Le président n’accorderait-il que peu d’importance à la vie des Camerounais qui voyagent chaque jour par milliers, risquant de mourir sur des routes périmées ? Doit-on attendre que le président voyage pour construire des routes ? Si la réponse c’est « oui », alors on comprend pourquoi le roi vit plus en Suisse qu’au Cameroun.

La prochaine révélation que le Mincom fait est aussi inattendue que les précédentes : « Où allons-nous trouver de l’argent pour investir ou réhabiliter les aéroports, construire peut- être un hôtel, améliorer des résidences, améliorer les routes ? », demande-t-il. En bref, on n’a pas d’argent. Et pourtant, il y a quelques jours, on versait joyeusement quelques milliards de francs à Boko Haram pour libérer une poignée d’otages (sans compter les armes dont ils se sont servis à Amchidé mercredi passé).

Cependant, je ne peux m’empêcher d’être d’accord avec le Mincom : si on additionne tout ce qu’on a déjà dépensé pour libérer les otages français abandonnés par leur propre gouvernement qui ne négocie pas avec les terroristes, je crois que ce sera suffisant pour réhabiliter l’aéroport de Bafoussam sans lequel le Roi ne peut se déplacer. Si on compte tous les milliards détournés par nos ministres et directeurs depuis 30 ans, ce sera plus qu’assez pour construire et réhabiliter des routes. Si on accumule tous les millions décaissés et détournés par certains maires pour participer aux obsèques de Maman Rosette, je parie qu’on peut construire des hôtels dans quelques villes du pays.

En écoutant le Mincom, j’avoue que je me suis demandé s’il s’écoutait parler. Ou mieux, s’il se comprenait. Sans le vouloir, il a simplement prouvé que le Camerounais n’a rien à espérer de la politique des grands chantiers, si ce n’est plus de problèmes, plus de misère.

Extrait de la réaction du Mincom, Issa tchiroma Bakary :

Issa Tchiroma - Crédit photo: leseptentrion.net
Issa Tchiroma Bakary a raté une bonne occasion de se taire – Crédit photo: leseptentrion.net

« Quand le chef de l’État se déplace, c’est toute la République qui se déplace. Est-ce que Bangou est en mesure de recevoir 10 mille personnes ? Est-ce que Bangou offre des possibilités pouvant permettre au  chef de l’État d’y passer la nuit ? Est-ce que vous savez que pour qu’il aille là-bas, il faut réhabiliter l’aéroport de Bafoussam ? N’oubliez pas que nous sommes en guerre contre Boko Haram et c’est une source budgétivore. Où allons-nous trouver de l’argent pour investir ou réhabiliter les aéroports, construire peut-être un hôtel, améliorer des résidences, améliorer les routes ? Où aurions-nous trouvé de l’argent alors que nos compatriotes sont en train de livrer bataille, et pour certains perdre la vie ? Ce que je dis de Bangou, l’est tout autant pour Nanga Eboko. C’est pour cette raison que la résidence du chef de l’État à Mvomeka’a, qui offrait un minimum, était tout indiquée. Donc, tous ceux-là qui font ce procès sont de très mauvais procureurs… »

* Nnomngui, Nkukuma : chef traditionnel