Fotso Fonkam

Effort de guerre et gueule de bois

Le Cameroun est en guerre depuis plusieurs mois, et la guerre, ça coûte cher. Alors, il me paraît tout à fait normal que les citoyens contribuent à l’effort de guerre pour soutenir leur armée qui se bat au front. C’est dans cette optique que depuis hier, 16 février 2015, le gouvernement camerounais a procédé à une augmentation du droit d’accises sur les boissons alcoolisées*. Désormais, le prix des bières sera majoré de 100 francs pour les bouteilles de 65cl et de 50 pour celles de 33cl.

Je me demande si les décideurs n’ont pas un peu forcé sur l’alcool avant de prendre cette décision. Car s’ils avaient eu un seul moment de lucidité, ils n’auraient certainement pas choisi ce moyen pour nous faire contribuer à l’effort de guerre. S’ils l’ont crue salutaire, ils se rendront vite compte que cette décision est suicidaire.

Que tout le monde paie !

Les Camerounais aiment trop la mbinda bière. C’est un fait. Mais ce ne sont pas tous les camerounais qui consomment la bière ou bien l’alcool – la faute aux églises réveillées. C’est la raison pour laquelle prélever l’effort de guerre dans les prix des boissons alcoolisées est une démarche vouée à l’échec. Oui, car ceci revient à dire que tous les Camerounais ne contribueront pas. Quel est donc le sens du terme effort de guerre si seules certaines personnes payent ?

D’ailleurs, tel que c’est parti, il n’y a que les pauvres qui contribueront à l’effort de guerre – normal, ce sont les pauvres que Boko Haram égorge sans pitié. Oui, car qui boit la bière au Cameroun, à part les pauvres ? Avez-vous déjà vu un boss dans un bar ? Eux, c’est les snacks et autres boîtes de nuit où, s’ils ne consomment liqueurs et vins rouges, ils achètent la bière à beaucoup plus que 600 ou 650 francs.

Qu’on sache où va l’argent !

Le Camerounais est mauvais. On dit que la malhonnêteté est dans ses gènes, ça coule dans ses veines comme le sang. Donc, quand des gens en qui personne n’a confiance – on les convoque au tribunal criminel spécial tous les jours – estiment que l’effort de guerre doit être prélevé d’une taxe dont on ne peut calculer le montant exact, je pense qu’il y a lieu de s’inquiéter.

Pourquoi ne pas utiliser un moyen qui facilite la traçabilité des fonds cotisés ? On pourrait aussi bien demander aux citoyens de déposer un certain montant à certains points prévus pour la collecte des fonds ? Car ainsi il sera plus facile de savoir qui à donné quoi. De cette façon, il sera plus facile de savoir comment notre argent a été utilisé. Affaire nkap…*

Qu’on fasse des efforts pour soutenir l’armée !

La guerre coûte cher, très cher. Ainsi pour soutenir efficacement nos soldats engagés au front, il est indispensable de faire le maximum d’efforts  engranger le plus d’argent possible. Et si on en croit nos décideurs, il faut que les Camerounais battent tous les records d’alcoolisme – autrement, comment aurons-nous suffisamment d’argent pour secourir nos valeureux soldats ?

Crédit photo: cameroun24.net
Des patriotes en pleine contribution à l’effort de guerre – Crédit photo: cameroun24.net

Ok, nous seront tous des ivrognes, c’est pour la bonne cause. Mais ont-ils pensé aux retombées sur les autres aspects de la vie socio-économique ? Car si  nous devenons tous des disciples de Bacchus, c’est clair que le pays tournera au ralenti, s’il tourne même encore.

Qu’on dessoûle avant de prendre certaines décisions !

Il est nécessaire que les décideurs prennent des décisions après y avoir réfléchi quelques secondes. S’il faut que les Camerounais contribuent à l’effort de guerre, qu’au moins ce soit fait de façon réfléchie ! La mesure actuelle va soit encourager l’ivrognerie chez certains compatriotes, sans garantir la bonne utilisation des sous récoltés, soit elle aura l’effet inverse, c’est-à-dire que la consommation des boissons alcoolisées connaîtra un baisse vertigineuse (cette hypothèse est cependant très improbable). Mais dans tous les cas, ce sera un danger pour le Cameroun, où la consommation de l’alcool est déjà excessive.

L’effort de guerre, je le pense, n’est pas seulement la contribution financière. Alors, pourquoi nous obliger à contribuer financièrement ? Et puis, pourquoi limiter (à 100 francs) les dons que les gens peuvent faire, tout en excluant certains de cette collecte ? Il existe certainement d’autres possibilités pour nous de soutenir notre armée, sans forcément se réveiller le lendemain avec la gueule de bois.

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* Selon Delor Magellan Kamseu Kamgaing, président de la Ligue des Consommateurs Camerounais (LCC), « il s’agit (…) de l’effort de guerre des consommateurs pour combattre Boko Haram » (interview publiée dans le quotidien Le Jour, édition du 17 février 2015, page 2)

* Affaire nkap: expression populaire utilisée pour signifier que quand il s’agit d’argent, tout le monde prend l’affaire très au sérieux.


Appel à l’opposition camerounaise : devenez des CM* !

Au Cameroun, on a pendant longtemps estimé que notre opposition, si elle n’était pas inexistante, était moribonde, corrompue et affamée. Les leaders de l’opposition se sont toujours défendus, justifiant leur difficulté à se faire connaître par le fait que le parti au pouvoir s’est accaparé des caisses de l’État et des chaînes de radio et de télévision, ce qui ne leur facilite pas la tâche. Tout ceci est vrai, bien que cela ne justifie pas l’inertie de certaines formations politiques qui n’émergent que pour « battre campagne », et retournent en hibernation juste après la proclamation des résultats.

De nos jours, cependant, l’excuse donnée plus haut a de moins en moins de poids, car il existe d’autres moyens plus simples et au moins autant efficaces que les chaînes de radio et de télévision pour se rapprocher de l’électorat : les réseaux sociaux

Crédit photo: franceinfo.fr
Les réseaux sociaux – Crédit photo: franceinfo.fr

Les politiciens camerounais ne semblent pas accorder aux réseaux sociaux l’importance qu’ils devraient. Dans la plupart des cas, c’est à peine si ces derniers ont un compte sur Facebook ou sur Twitter ! Si on s’amuse à les chercher sur les réseaux sociaux, on se rendra vite compte, déçus, que les rares qui ont pensé à ouvrir un compte ne les utilisent presque pas. En tout cas, pas à bon escient.

Pourtant, le moyen le plus sûr, le plus efficace de se rapprocher de la population aujourd’hui reste bel et bien les réseaux sociaux, n’en déplaise au Roi Lion. Sur Facebook, il suffit de créer une page (le nombre d’amis pour les comptes personnels étant limité), et de la vulgariser – ce qui n’est pas compliqué non plus. Maintenant, tout dépendra de la pertinence de ce qu’on y poste. Un politicien qui a des choses à dire au peuple verra les abonnements à sa page exploser. Et il lui sera facile de vulgariser ses programmes politiques, ses opinions et ainsi de gagner l’estime des électeurs.

Sur Twitter, c’est encore plus facile. Les comptes les plus pertinents sont suivis par un grand nombre de personnes. Mais, même sans suivre un compte, il suffit qu’un membre de notre « tweet list » retweete quelque chose pour qu’on y ait accès. Et voilà comment l’info va se propager, sans censure ni intimidation possible.

Je l’ai toujours dit, un politicien astucieux et populaire est capable se tenir un meeting sur tweeter. Il suffit de choisir un hashtag pour une séance de « live-tweet ». Aussi simple que ça. Et là aucun besoin de demander une autorisation de se réunir aux préfets, qui ne l’accorderont certainement pas. Sur Twitter, aucun policier ne viendra intimider la foule. En même temps, il sera facile pour les leaders politiques d’avoir l’opinion de la population sur le sujet débattu. Un vrai dialogue, quoi – et non les monologues télévisés du monarque de Mvomeka’a !

En 2015, les politiciens camerounais, et plus précisément les leaders de l’opposition, doivent se mettre à jour, s’approprier les réseaux sociaux pour se rapprocher des populations – en plus des autres approches. Si certains l’ont compris et font déjà des efforts dans ce sens, d’autres tardent encore à intégrer que l’avenir politique du Cameroun peut aussi passer par les réseaux sociaux.

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CM : Community Manager


Des écoles pour combattre Boko Haram #StopBokoHaram

Le Nigéria, l’un des poids lourds du continent, combat depuis des années les terroristes de la secte Boko Haram. Même si aujourd’hui l’engouement de l’armée nigériane a disparu et qu’ils ont désormais plus tendance à opérer des replis stratégiques qu’à faire face à l’ennemi, il reste vrai qu’à l’entame des hostilités, ces derniers se battaient avec hargne. Cependant, ils n’ont pas pu éliminer la menace.

Aujourd’hui que la secte a grandi, elle s’attaque déjà à d’autres pays. Le Cameroun, la deuxième victime, se défend bien pour le moment (comme le Nigéria, au début) et inflige de lourdes pertes aux assaillants. Pourtant, les attaques des islamistes n’ont pas cessé. C’est à se demander si les méthodes utilisées par ces différents États sont efficaces. La riposte armée suffira-t-elle pour vaincre les terroristes ?

Des adolescents en première ligne

Si enfants et adolescents sont les principales victimes de Boko Haram dans sa croisade contre l’éducation occidentale, ce sont également eux, ces enfants et ces adolescents, qui en sont l’arme la plus redoutable. Il n’y a qu’à voir les corps des malheureux qui périssent sous les balles de l’armée ; il n’y a qu’à regarder ceux qui sont faits prisonniers. Dans la majorité des cas, ce sont encore de jeunes enfants. Il n’y a pas longtemps, on citait un élève du secondaire parmi les membres de Boko Haram arrêtés à Mora. C’est tout dire.

Un jeune garçon, soupçonné d'être un indic de Boko Haram au Nigéria - Crédit photo: i24news.tv
Un jeune garçon, soupçonné d’être un indic de Boko Haram au Nigéria – Crédit photo: i24news.tv

Lors des affrontements et pour les missions-suicides, ce sont des jeunes enfants qui font les frais. Si, malgré les combattants abattus par centaines à chaque attaque, les assaillants reviennent toujours aussi nombreux, c’est simplement parce que Boko Haram possède une main d’œuvre inépuisable : les jeunes africains, les jeunes Camerounais, les jeunes Nigérians. Que ce soit l’endoctrination, la menace ou bien le lavage de cerveau, la méthode que les terroristes utilisent pour faire de ces enfants des guerriers farouches – mais sans expérience, Dieu merci – semble efficace.

L’armée en première ligne

La menace Boko Haram, vu le danger qu’elle représente pour chaque État attaqué, doit être combattue avec tous les moyens dont on dispose, d’où l’envoi rapide des forces armées pour contrer l’envahisseur. Mais deux constats évidents sont à faire :

– Ce sont nos enfants, frères, amis qu’on tue tous les jours au front.

– Malgré les pertes qu’ils subissent, les assaillants n’en démordent pas et reviennent toujours à la charge plus nombreux qu’avant – de vrais cancers !

Ceci semble indiquer que la solution militaire est moins efficace qu’on l’aurait voulu. À moins qu’elle ne soit secondée par d’autres mesures d’accompagnement.

L’éducation et l’emploi en deuxième ligne

La question qu’on doit se poser, c’est « Pourquoi Boko Haram parvient-il toujours à recruter parmi les jeunes ? » La réponse évidente est que ce sont des adolescents ignorants ou alors des jeunes désœuvrés. Les jeunes qui se laissent berner par les islamistes, je le dis et le répète, sont des ignorants. Ce sont des jeunes sans éducation ou bien à l’éducation mal faite, des jeunes à qui on n’a pas eu l’occasion d’enseigner la liberté d’opinion, de religion. Ce sont des jeunes qui ne savent pas ce que signifie le respect de l’autre, de la vie humaine. Ces enfants qu’on embarque dans le fanatisme religieux, j’en suis certain, sont des enfants qui n’ont jamais lu et compris un livre – même pas le Coran. Ils n’ont pas l’ouverture d’esprit nécessaire pour apprécier les autres cultures.

Ou alors, ce sont des jeunes qui n’ont pas d’emploi, pas de revenu, et partagent leur quotidien avec la misère et le dénuement. Un auteur l’a dit fort à propos, « le travail éloigne de nous trois grands maux… » Si ces jeunes avaient une occupation, ils éviteraient bien des pièges.

L’école, l’arme la plus efficace

Si nos gouvernements veulent couper la tête à Boko Haram, il faut simplement les empêcher de se réapprovisionner en combattants, car jamais Abubakar Shekau n’ira se jeter sur les balles des forces armées de défense. Non ! Trop intelligent, il préfèrera se rendre ou alors s’enfuir. La seule force de cet individu, ce sont nos frères qui acceptent d’aller se tuer pour lui.

Il devient donc impératif que les états songent à construire plus d’écoles dans les zones frontalières. Mais ce n’est pas tout. Il faudra également s’assurer que ces écoles soient fournies en enseignants et en infrastructures (on connait le Cameroun). Une fois que ce sera fait, le deuxième défi à relever sera de créer des emplois pour les jeunes de la région, pour que ces derniers ne soient pas appâtés par les promesses des terroristes.

Le duo gagnant

Combiner l’éducation à la riposte armée est à mon sens le moyen le plus efficace d’exterminer la menace terroriste chez nous. Si l’armée est capable de couper l’arbre au niveau du tronc, les écoles et l’emploi viendront déraciner la souche pour que plus jamais, plus jamais en Afrique, de tels groupes ne puissent voir le jour et s’étendre.

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Le logo de la campagne #StopBokoHaram  - Crédit photo: Collectif des Blogueurs Camerounais
Le logo de la campagne #StopBokoHaram – Crédit photo: Collectif des Blogueurs Camerounais

Cet article est une contribution au mouvement lancé par le Collectif des Blogueurs Camerounais dans la lutte contre Boko Haram. Dans cette optique, je vous invite à lire d’autres articles sur le même thème :

Pourquoi des blogueurs en temps de barbarie ?

Au bout de l’insoutenable barbarie, je dis #StopBokoHaram

Nino, 10 ans. Je veux vivre et écrire… #StopBokoHaram

Education is Queen – #StopBokoHaram

Rien ne vaut la Paix – #StopBokoHaram

Mon engagement pour la campagne #StopBokoHaram


Nos universités ne fabriquent pas de «Prince Aimé»

Il y a une dizaine d’années environ, l’artiste musicien camerounais Prince Aimé créa la surprise avec sa chanson intitulée « Viviane ». Ce qui rendait la surprise encore plus agréable, c’est que cet artiste était aveugle. Ça faisait plaisir de voir un handicapé faire autre chose que mendier. En réalité, on a cru pendant longtemps que le dénuement dans lequel vivent certains handicapés était causé par leur manque de volonté de se battre. Et pourtant…

Dans nos universités, on rencontre un grand nombre de handicapés qui s’en sortent plutôt bien. Je me souviens que le meilleur étudiant de ma promotion en lettres bilingues à l’Université de Yaoundé 1, à l’époque, était aveugle. Cependant, s’occuper d’un enfant handicapé nécessite beaucoup de sacrifices et implique beaucoup de dépenses.

C’est dans l’optique de soulager les familles modestes dont l’un des membres est handicapé que la loi n°2010/002 du 13 avril 2010 portant protection et promotions des personnes handicapées a été adoptée et promulguée.

D’après cette fameuse loi, dans toutes les universités d’État, les étudiants handicapés doivent être dispensés du paiement des frais de pension. « Gloire à Paul Biya, pourfendeur des inégalités sociales » ? Que nenni ! Jusqu’à présent cette loi n’a JAMAIS été appliquée tout simplement parce que son décret d’application attend toujours la signature du président de la République – avec la loi anti-manifestations antiterroriste, il n’a pourtant pas tardé à signer ce décret, et ce malgré les contestations.

Voilà donc cinq ans, cinq bonnes années, que le gouvernement envoie systématiquement dans la rue tout étudiant handicapé qui aurait la prétention de s’instruire dans l’espoir de se forger un avenir radieux, loin des carrefours et autres lieux où foisonnent mendiants et indigents. Un handicapé n’est pas un mendiant. Pourquoi donc, dans les universités, on essaie de les forcer à en devenir ? Quand on sait que même les diplômes n’assurent plus l’emploi, est-il normal qu’on empêche à certains d’en avoir ?

Le handicap n'est pas un handicap! - Crédit photo: ge.ch
Le handicap n’est pas un handicap! – Crédit photo: ge.ch

Il n’y a pas deux semaines, des étudiants handicapés étaient expulsés des amphis, la veille des examens semestriels pour défaut de paiement des frais de scolarité. Que faut-il pour que le Roi Lion, Sa Majesté Paul Biya, l’homme du renouveau et blablabla, prenne quelques secondes de son précieux temps pour signer le décret d’application de cette loi qui redonnera de l’espoir à des milliers de Camerounais ?

Dès l’université, on fait déjà des étudiants handicapés des mendiants. Ces derniers sont obligés de mendier l’indulgence des recteurs ou du ministre des Enseignements supérieurs pour ne pas être expulsés pendant les examens. Et tandis que le roi fait ses voyages onéreux en Suisse ou ailleurs en Europe, nos frères sont expulsés des salles de classe pour un paiement qu’ils ne sont pas censés faire.

Comment ne pas s’indigner devant l’insensibilité des autorités universitaires qui ne semblent pas avoir du temps pour traiter les demandes d’aides qu’elles ont elles-mêmes transmis aux étudiants ? Est-il normal que, depuis l’année académique passée, les demandes d’aide déposées par les étudiants handicapés au niveau des universités n’aient pas encore été traitées jusqu’à nos jours ?

L’administration universitaire a carrément décidé de mettre à l’écart ceux des étudiants handicapés qui n’ont pas les moyens de payer. Car en attendant que les dossiers soient « traités », l’administration promet aux étudiants qui ont besoin d’aide de payer la pension pour être remboursés plus tard, si leur dossier aboutit. Ainsi, à ceux qui ne peuvent pas « préfinancer » leur scolarité dans l’espoir d’un remboursement qui n’arrivera sans doute jamais, l’administration universitaire offre littéralement un bol en aluminium et un coin de rue. Pour mendier.

Mais quand en finira-t-on avec cette clochardisation systématique des handicapés ? Comment peut-on prétendre vouloir les aider, leur faciliter les choses, eux pour qui les choses sont déjà très compliquées, et en même temps être les obstacles qui les empêchent d’avancer ?

Le président de la République et les administrations universitaires DOIVENT prendre les mesures qui s’imposent pour que les étudiants handicapés soient enfin considérés comme des citoyens à part entière. Ces derniers ne demandent que cela. Notre gouvernement, apparemment, ne fait rien pour que les Prince Aimé, les Talla André Marie, les Coco Bertin (artistes musiciens, tous aveugles) soient nombreux dans ce pays. Ils ne veulent pas que d’autres Somb Lingom (mon camarade de fac, aveugle et aujourd’hui brillant journaliste) naissent et prospèrent. Ils semblent redouter que des Tchakounté Kémayou (étudiant handicapé, mondoblogeur et doctorant à l’Université de Douala) soient nombreux au Cameroun. Quelle injustice !

La place d’une personne handicapée n’est pas dans la rue. Un handicapé ne doit pas être voué à la mendicité. Cela doit être su.


Vendeur de « guéraadé* » à Maroua

Pendant mon séjour à Maroua, j’ai eu un élève dans ma classe de « Form One », dont je ne vais pas citer le nom ici, mais que j’ai remarqué après le premier devoir de français que j’ai administré dans leur classe. Ce qui m’a frappé chez lui, c’est qu’il écrivait mal, très mal. Je me souviens que même son nom était indéchiffrable sur sa feuille de composition. Et en plus, il avait de très mauvaises notes en français. Mais ce n’est pas ce qui lui vaut de figurer dans ce blog.

Les premières années que j’ai passées à Maroua, j’ai été à la fois étonné et choqué de voir ces enfants désœuvrés qui rodent autour des bars et des vendeuses de poisson braisé et qui, dès qu’un client finit son repas, se précipitent pour ramener son plateau à la vendeuse après l’avoir minutieusement nettoyé de ses restes. Même les os mâchés et crachés par le client étaient à nouveau mâchés – mais pas recrachés – par ces enfants dont on pouvait deviner le degré de misère par l’acharnement avec lequel ils se battaient à chaque fois qu’un client se levait, laissant soit la tête, soit l’arrête du poisson intacte.

Quand nous allions dans les bars, nous étions très vigilants au moment de nous éloigner de nos bouteilles. Même pour danser, il fallait tenir sa bouteille en main, ou alors garder les yeux rivés dessus : un petit moment de distraction, et vous retrouviez votre bouteille vidée par un de ces garnements, toujours à l’affut, qui supposait que le client est parti sans vider sa bouteille.

En attendant que les vendeuses de poisson s'installent - Crédit photo: leseptentrion.net
Enfants de la rue à Garoua – Crédit photo: leseptentrion.net

Un soir donc, des amis et moi étions dans un bar tranquille du lieu dit « Avion-me-laisse » à Domayo (quartier de Maroua célèbre pour son nombre impressionnant de bars) en train justement de manger du poisson braisé. Parmi nous, quelqu’un buvait un jus – je ne sais plus qui, mais ce n’étais pas moi… Nous avions presque fini, et nous nous apprêtions à aller faire la fête ailleurs.

Tout allait bien jusqu’à ce que j’entende derrière moi « Tonton je peux prendre le jus-là ? » Je me retourne et qui vois-je ? Mon élève. Mon élève de « Form One » ! Lorsqu’il me vit, il eut un peu honte. Je lui demandai ce qu’il faisait dehors à cette heure-là et il me sortit une explication dont je ne me souviens plus. Le propriétaire du jus lui céda le jus, qu’il n’allait plus boire de toute façon, et nous partîmes.

Peu de temps après, je le revis plusieurs fois dans les bars, même très tard la nuit. Certaines fois il vendait des œufs à la coque, d’autres fois des kleenex. Un jour, je l’aperçus dans l’après-midi, son alvéole d’œufs au bras. Quand il vint me saluer (il me saluait toujours quand il me voyait), je lui demandai pourquoi il n’était pas à l’école. Il me dit que désormais il faisait les cours du soir, car son père avait estimé que les cours du soir ne coûtaient pas aussi cher que les cours du jour. En plus, il me dit que son père l’avait inscrit en sixième c’est-à-dire en section francophone alors qu’il avait jusqu’ici évolué dans le sous-système anglophone !

Prenait-il réellement des cours du soir ? J’en doute. Car s’il prenait réellement les cours du soir, que faisait-il donc chaque soir dans les bars de Domayo, à boire les fonds de bouteilles des clients ? En plus, les cours du soir, d’après ce que je sais, commencent en troisième et ne concernent généralement que les classes d’examen et quelques fois la classe de 2nde.

Et s’il prenait réellement ces cours, quand étudiait-il ? A quelle heure faisait-il ses devoirs, lui que je rencontrais même à des heures très tardives dans certains bars ?

Si je parle de ce garçon ici, c’est parce que son cas m’a particulièrement marqué, peut-être à cause de la récurrence de nos rencontres. Cependant, son cas est loin d’être unique. Il m’est arrivé de rencontrer plusieurs autres de mes élèves, garçons comme filles, vêtus de haillons, en train de vendre soit dans la rue, soit au marché après – et parfois pendant – les cours.

Enfants de rue à Garoua - Crédit photo: leseptentrion.net
« Quel avenir peut-on espérer pour ces enfants ? » – Crédit photo: leseptentrion.net

Mais quels sont ces parents qui envoient leurs enfants dans la rue alors que ces derniers ont plutôt besoin de se consacrer à leurs études ? Quel avenir peut-on espérer pour ces enfants, si on ne leur permet pas de s’instruire ? Ces parents ont-ils pensé aux dangers possibles auxquels ils exposent leur progéniture ?

Que font les services sociaux, quand nos villes pullulent de jeunes enfants dont l’avenir est plus que sombre ? Les autorités administratives sont-elles aveugles ? Pourquoi ne pas mettre sur pied des programmes pour l’encadrement de ces enfants ? Pourquoi ne pas leur apprendre un métier, s’ils ne peuvent plus aller à l’école ? Mais que font les autorités face à ces jeunes qui n’ont plus de repères ?

Quelque chose doit être fait pour ces enfants. Quelque chose doit être fait, pour ceux-là qui sont aussi des jeunes et sur qui le pays doit pouvoir compter. Quelque chose doit être fait, pour que ces enfants soient encadrés et bien éduqués. La communauté toute entière doit s’impliquer parce que c’est notre responsabilité à tous.

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*Guéraadé : œufs à la coque (Merci Fady pour l’orthographe du mot 😉 ).


Si l’hypocrisie tuait, l’ONU ne serait plus

Dans une correspondance adressée à l’État camerounais le 31 décembre 2014, le chef du bureau de l’ONU pour l’Afrique centrale adressait ses félicitations à l’armée camerounaise pour sa bravoure dans la bataille qu’elle livre à Boko Haram depuis quelques temps déjà. Ici chez nous, on a bombé les poitrines, trop fiers pour voir que cette correspondance n’avait rien de sincère.

L’ONU ne peut pas être sincère quand elle félicite le Cameroun. Non. Car comment une institution telle que l’ONU, qui a pourtant une force armée et qui a pour mission, entre autres, de maintenir la paix et la sécurité dans le monde, au lieu de venir au secours d’un pays aux prises avec un fléau tel que le terrorisme, se contente d’observer la bataille à distance et de compter les points que chaque adversaire marque ?

Comment les Nations unies peuvent-elles observer, impassible, le massacre des populations à l’extrême Nord du Cameroun, la destruction des villages, l’exode des populations qui abandonnent tout sur place pour s’éloigner des lieux des affrontements. Et au lieu de prendre les mesures qui s’imposent pour que les droits de l’homme ne soient pas bafoués, cette institution se contente de féliciter le Cameroun qui se débat tout seul1 avec la vermine ?

Sont-ils sincères, à l’ONU ? Je me le demande. Parce que, au lieu d’apporter ne serait-ce qu’une aide alimentaire à ces Camerounais qui ne peuvent pas s’enfuir en emportant leurs champs de mil ou bien leur bétail, et qui, par désespoir, risquent même de rejoindre l’ennemi et de tomber sous les balles de l’armée, au lieu de leur venir en aide, l’ONU préfère féliciter le Cameroun pour avoir repris une base militaire que les terroristes occupaient !

Nos enfants, qui cette année n’ont pas pu aller à l’école dans certaines localités de l’extrême Nord, seront demain des adolescents à qui on lavera facilement le cerveau et qu’on enrôlera sans peine dans des groupes terroristes. C’est pour cela que nous avons droit à des félicitations. Pour tous nos enfants qui, ignorants, deviendront demain des terroristes…

M. Abdoulaye Bathily, le représentant du secrétaire général de l'ONU pour l'Afrique, centrale, par qui les félicitations nous ont été adressées - Crédit photo: dakaractu.com
Abdoulaye Bathily, le représentant du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique, centrale, par qui les félicitations nous ont été adressées – Crédit photo: dakaractu.com

Non, chers messieurs de l’ONU, ne nous félicitez pas, car vos félicitations ne sont pas sincères. Vous nous félicitez, mais tandis que vous le faites, moi je vois le sourire ironique qui se dessine sur vos lèvres.

Au lieu de nous féliciter, envoyez plutôt vos casques bleus soutenir notre armée au front, vous dont la mission est le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde.

Au lieu de nous féliciter, invitez plutôt d’autres pays à entrer dans le conflit2, vous dont l’objectif est le développement des relations amicales entre les nations.

Au lieu de nous féliciter, apportez une aide alimentaire aux populations qui fuient les zones de combat, vous dont la mission est de faire respecter les droits de l’homme.

Mais, si vous ne pouvez pas le faire, si vous ne pouvez pas nous aider quand nous en avons besoin, si vous attendez que notre pays soit complètement détruit et que le chaos s’installe pour créer une mission de l’ONU au Cameroun comme cela a été le cas en Centrafrique (Minusca), au Mali (Minusma), au Soudan (Minuss, en Côte d’Ivoire (Onuci) et dans beaucoup d’autres pays, au moins ayez la décence de ne pas nous adresser des félicitations empreintes d’hypocrisie.

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1 Au moment où les félicitations de l’ONU nous étaient adressées, le Cameroun combattait encore seul. Depuis, le Tchad nous a rejoints dans la bataille.

2 Les troupes camerounaises ne sont plus seules au front, mais ce n’est pas grâce à l’ONU.


Idriss Deby : sauveur ou visionnaire ?

Il y a deux jours, on apprenait que le président tchadien Idriss Deby Itno allait envoyer un contingent de l’armée tchadienne en renfort à l’armée Camerounaise qui depuis un bon bout de temps, est aux prises avec les membres de la secte islamique Boko haram dans l’extrême-nord du pays. Les Camerounais, champions des polémiques, ont immédiatement déclaré que le Cameroun avait perdu, ou allait perdre la guerre contre les terroristes, et…


Donc les Camerounais aussi sont Charlie ?

Ma mère nous racontait autrefois que sa grand-mère, après la mort de son mari, avait pris l’habitude pour le moins étonnante de s’arrêter systématiquement à chaque deuil qu’elle rencontrait et d’y aller pleurer le mort, qu’elle le connaisse ou pas. J’imagine la surprise des familles endeuillées en voyant débarquer une inconnue qui pleure leur mort plus fort qu’elles-mêmes. Nous en avions ri, à l’époque. Aujourd’hui, ça me fait moins rire, surtout quand je vois mes compatriotes se comporter comme mon arrière-grand-mère – ils font même pire qu’elle – avec la mort des journalistes de Charlie Hebdo.

« Nous sommes tous Charlie »

La réponse du monde entier a été fulgurante face à ce triste événement. Sur les réseaux sociaux, on a vu des photos de profil, des statuts, des tweets dans lesquels on pouvait lire « Je suis Charlie ». Même dans les journaux et sur les chaines de télévision, les marques de solidarité abondent. Au Cameroun, nous avons suivi la tendance, changeant nos photos de profil, écrivant des mots de condoléances, nous lamentant et maudissant les terroristes.

Ce qui est pourtant étonnant, c’est que, pas plus tard que la semaine passée, plusieurs Camerounais ont été égorgés à l’extrême-nord du pays par les terroristes appartenant, paraît-il, à la secte faussement islamiste Boko Haram. Combien de nos enfants, parents, amis, frères, sœurs, etc., combien de nos compatriotes ont été victimes d’attentats ? Combien de soldats sont morts au front, tombés sous les balles ou bien sous les lames des terroristes ? Combien ? Quelle a donc été la réaction du monde ? Quelle a été la réaction de l’Afrique ? Pire, quelle a été la réaction du Cameroun ?

Je ne suis pas Charlie

La grande majorité des Camerounais et même des Africains sont comme mon arrière-grand-mère : ils ont plus tendance à pleurer le deuil des autres, criant même plus fort que ces derniers, se lamentant avec plus de chagrin. Pourtant, leurs propres corps sont abandonnés, oubliés. Pourtant, leurs larmes coulent à peine à leurs propres deuils, et leurs corps sont enterrés dans l’indifférence totale.

Moi, je ne suis pas Charlie. Non. Je serai peut-être Charlie, après avoir été tous ces camerounais égorgés au nord de mon pays. Je serai Charlie, après avoir été ces enfants qui fuient avec leurs parents, de peur de recevoir une balle qu’ils ne méritent pas. Je serai Charlie, mais seulement si je peux avant tout être ces soldats qui périssent chaque jour pour leur pays. Je serai peut-être Charlie. Mais avant, je me dois d’être Kolofata, Achigachia, Amchidé, Fotokol.

Je serai Charlie si, après avoir été chaque Camerounais, chaque Africain qui souffre, j’ai encore un peu de place.


Charlie hebdo : fallait s’y attendre

Hier, un acte odieux a été commis à la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo. Bilan de l’attaque, 12 morts inutiles et 65 millions de blessés.  65 millions, en France seulement, car il serait faux de dire que le monde entier n’a pas été secoué par cet attentat qui a touché non seulement des familles mais pire s’est attaqué à la liberté d’expression. Au-delà des larmes qu’on a versées et de la douleur qu’on a ressentie, nous devons admettre que cet attentat était prévisible, et ce pour plusieurs raisons.

Le prophète sur la sellette

Dans le monde, s’il est une religion qui produit le plus de radicaux et de fanatiques violents, c’est bel et bien l’Islam. Il suffit de regarder les associations terroristes dans le monde. Les plus dangereuses sont liées à l’islam.

Le prophète indexé - Crédit photo: lepoint.fr
Le prophète insulté – Crédit photo: lepoint.fr

Je tiens à préciser que je ne suis pas en train d’associer les organisations terroristes à l’islam, je dis simplement que la plupart de ces organisations se fondent sur une interprétation radicale du Coran.

Et malgré tout, c’est le prophète Mohamed qui était l’un des personnages favoris dans les caricatures de Charlie Hebdo. Je me souviens encore de la polémique née d’une des caricatures parues dans ce journal, et qui représentait le prophète avec une bombe dans son turban. Inutile de dire que ça n’a pas fait plaisir aux radicaux pour qui tout se règle dans le sang, prétendument au nom d’Allah !

Personne n’est épargné

Charlie Hebdo, je le constate avec un pincement de cœur, ne s’est pas limité au prophète et aux Islamistes. Non, tout le monde en a eu pour son compte : le pape et l’église catholique en général, les chrétiens, les noirs (qu’ils appelaient « nègres » et qu’ils traitaient carrément de cons). On peut le dire, à Charlie Hebdo, ce n’était pas des tendres.

Autant que les dessins, les commentaires qui accompagnaient les caricatures étaient de nature à fâcher. « Ils sont cons, ces nègres » ai-je cru lire sur une de leurs caricatures. Sur une autre, on peut écouter le pape dire, avec une taupe qui lui dort de la soutane, « Ça me change des enfants de cœur » Allez comprendre l’allusion.

La liberté d’expression, oui mais du respect aussi

Charlie Hebdo, c’est un symbole. La liberté, le courage, c’était c’est Charlie Hebdo. Jamais ils ne se sont laissé démonter, ni décourager par les menaces de mort qui leur ont été proférées. Jamais. Ils ont toujours continué à faire ce qu’ils faisaient, avec autant de hargne, sinon plus encore.

Mais la liberté exclut-elle le respect ? Dois-je, homme libre que je suis, blesser volontairement et ouvertement d’autres personnes qui se veulent libres ? Je pense que la liberté c’est aussi éviter de nuire à autrui tant que ça ne nous nuit pas à nous-mêmes. Et quand on sait qu’en face il y a des gens qui règlent tout par le sang et qui vivent selon d’autres règles, le minimum de respect s’impose.

Des morts inutiles

Rien ne peut justifier la tuerie qui a eu lieu hier au siège de la rédaction du Journal Charlie Hebdo. C’étaient des hommes et des femmes qui faisaient que leur travail à leur façon. Mais c’est dommage de perdre autant de vies, autant de talents pour rien. Car, ces morts inutiles auraient pu être évitées, si les caricatures avaient été un peu plus respectueuses de la liberté, de la race et/ou des convictions des autres.

Crédit photo: metronews.fr
Crédit photo: metronews.fr

Aux douze de Charlie Hebdo qui ont péri hier à cause de l’intolérance, que vos âmes reposent en paix.


Les enfants 2.0, enfants des TIC

Quand nous étions petits, il ne fallait pas grand-chose pour nous distraire. À l’époque, rares étaient les maisons où vous pouviez trouver un poste de télévision. D’ailleurs, les programmes ne commençaient pas avant 18 heures et ne continuaient pas après minuit – c’est dire si les enfants regardaient beaucoup la télévision.

À cette époque, en termes de distraction, on avait quand même l’embarras du choix : on jouait aux billes ou aux bouchons (le jeu de billes, mais avec des capsules de bières ou de jus), ou encore aux petits goals (comme un match de foot, mais dans un espace plus étroit et avec des goals d’au plus 50 cm de longueur, matérialisés par deux pierres). D’autres jouaient à Bandit-police (le jeu consistait à former deux groupes, un constitué de policiers qui devaient poursuivre et arrêter les membres du deuxième groupe, les bandits) ou à cache-cache. Il y avait également ceux qui dessinaient, lisaient ou se racontaient des contes. En ce moment là, on nous appelait « les enfants de Paul Biya » parce que nous étions nés après son couronnement.

Aujourd’hui, on peut dire que les choses ont changé. Quand certains de mes amis voient mon fils de trois ans et demi manipuler mon smartphone

Allô? Oui, c'est le directeur...
Allô? Oui, c’est le directeur…

Android sans aucune difficulté, choisir les jeux qui lui plaisent, écouter la musique qu’il veut ou bien regarder les vidéos enregistrées dans l’appareil, ils semblent tomber des nues. Pourtant, ce n’est pas extraordinaire, ce qu’il fait. De nos jours, les enfants semblent avoir des aptitudes innées en TIC, contrairement à nous.

Généralement, c’est avant deux ans que les enfants découvrent le téléphone portable. Et pas en tant qu’objet, hein. Il est assez courant de voir un de ces lutins, encore incapable de marcher, mais tenant déjà maladroitement un téléphone à l’oreille. Avec le temps, les choses deviennent pires : laissez-leur votre téléphone pour quelques instants, et vous risquez de ne plus reconnaître l’appareil. Ces geeks hauts comme trois pommes, sont en effet capables de reconfigurer votre appareil de façon à vous empêcher de l’utiliser.

Laissez votre ordinateur à leur portée : ils s’empressent de lancer le fameux Zuma. Le clavier et la souris n’ont plus aucun secret pour ces enfants. Je me souviens que mon fils, encore incapable de marcher, avant même d’avoir prononcé son premier mot, pianotait systématiquement sur tout clavier qui passait à sa portée et portait instinctivement à son oreille tout objet ressemblant à un téléphone.

A peine trois ans, et pourtant déjà habitué à l'ordinateur
A peine trois ans, et pourtant déjà habitué à l’ordinateur

Plus futés que nous, et beaucoup plus précoces, les enfants d’aujourd’hui (on dit ici les enfants Android) sont capables d’interpréter, mieux que nous à leur âge, une scène « hot » dans un film. Plus curieux, ils sont plus facilement tentés de fumer ou boire, s’ils voient faire pareil.

Les enfants 2.0, enfants des TIC ou alors enfants Android si vous préférez, sont des êtres pleins d’intelligence et de perspicacité. Cependant, ils ont besoin de plus d’attention de la part de leurs parents, tuteurs et éducateurs car leur potentiel, s’il n’est pas bien canalisé peut rapidement devenir nocif autant pour eux que pour la famille ou bien la société toute entière.


Quand les malheurs des uns font la joie des autres

On dit dans la bible que Cham, fils de Noé, fut maudit par ce dernier après qu’il ait vu la nudité de son géniteur qui était ivre. Toujours d’après la bible, Cham, dont la malédiction a été en réalité proférée contre son fils Canaan, est l’ancêtre des peuples noirs d’Afrique (Genèse 9, 22-27). Cette malédiction est-elle la cause des malheurs de l’Afrique noire ? Je n’en suis pas certain. Mais ce dont je suis à peu près sûr, c’est que nos malheurs viennent aussi et surtout du manque de solidarité flagrant, de l’inimitié sans fondement et d’une stupide rivalité sans enjeu qui existe entre certains peuples d’Afrique.

Dernièrement, en me baladant sur les réseaux sociaux, j’ai été sidéré de lire un post dans un forum ivoirien, post relatif au Cameroun, suite à une nouvelle attaque de la secte pseudo-islamique Boko Haram à l’extrême-nord du pays. Dans le post intitulé « Bonne nouvelle », un frère africain originaire de Côte d’Ivoire, un Ivoirien donc,  (et par ailleurs administrateur dudit forum) se félicitait de ce que Boko Haram ait pris un camp militaire camerounais.

Capture d'écran
Capture d’écran du post original

Si le post, bien que choquant, laissait encore planer le doute sur les raisons ayant motivé sa publication, les commentaires par contre étaient sans équivoque :

Ils auront de quoi s’occuper maintenant

D’après ce que j’ai compris, le ressentiment de nos frères ivoirien part du fait que les Camerounais s’occupent trop des affaires de leur pays (la Côte d’Ivoire), tout en négligeant ce qui se passe chez eux-mêmes au Cameroun. L’insurrection terroriste, selon certains membres de ce forum, est donc une bonne occasion pour les Camerounais de s’occuper de leurs propres affaires.

Si on peut comprendre que certains ivoiriens n’apprécient pas le fait que des Camerounais « donneurs de leçons » mettent le nez dans leurs affaires, on peut quand même s’étonner de constater que cette querelle parte de déclarations faites sur la chaîne télévision panafricaine  (et non camerounaise) Afrique Média. D’ailleurs, ces propos n’engagent que son auteur qui, je suis sûr, ne parlait pas au nom du peuple Camerounais. Par la suite, le ton des commentaires est monté d’un cran :

Bonne nouvelle. Vive Boko Haram au Cameroun

Puis, on est passé aux louanges et à l’apologie de Boko Haram. En parcourant les commentaires, on pouvait lire des choses de plus en plus graves. « Le Cameroun va prendre feu tôt ou tard », pouvait-on lire en commentaire, comme un avertissement funèbre. D’ailleurs l’un des membres du forum a suggéré, « Prions tous cette nuit pour Boko Haram pour qu’ils arrivent à Yaoundé ».

Être en joie lorsque ton ennemi pleure est devenu un crime ?

Jusqu’à maintenant, je n’ai pas pu cerner exactement le différend qui oppose le Cameroun à la Côte d’Ivoire, hormis les matches de foot – si on peut parler de différend dans le cadre du sport. C’est pour cela que j’ai sursauté en lisant ce commentaire de l’auteur du post en réponse aux nombreux Ivoiriens qui, comme moi, s’étonnaient de ce qu’on puisse se réjouir du malheur d’autrui alors qu’on n’en tire rien : « As-tu vu ici que j’ai parlé d’une télé camerounaise ?…ou bien être en joie lorsque ton ennemi pleure est devenu un crime ? » Ton ennemi ! Depuis quand sommes nous en guerre contre la Côte d’Ivoire ? De quand date cette inimitié ? Quelles en sont les motifs ?

Je ne veux pas dans ce billet (seulement) indexer les Ivoiriens, mais plutôt dénoncer le manque de solidarité qui nous caractérise tous en Afrique. Au début de l’expansion de la secte que je me refuse de qualifier d’islamiste Boko Haram, le Nigéria seul en souffrait. Les terroristes, cependant, se repliaient au Cameroun pour se dérober aux poursuites de l’armée nigériane. À cette époque, les Camerounais, qui dans un élan de solidarité auraient pu s’allier au Nigéria pour décimer ce mouvement malsain, ne s’en sont pas mêlés, ne se sentant pas menacés. Aujourd’hui, la secte a pris des galons, et actuellement fait la guerre aux deux pays en même temps. Il est désormais très difficile de s’en débarrasser.

Si l’Afrique ne se décide pas à faire bloc face à ses difficultés elle ne pourra jamais sortir du sous-développement. Tant que le problème de mon voisin ne devient pas le mien comme l’esprit de solidarité africaine l’exige, il n’y aura jamais progrès. L’Union Africaine (en tant qu’organisation) a-t-elle encore un sens si le simple sentiment de compassion n’existe même plus en Afrique ? La voilà, la vraie malédiction des descendants de Cham.


La pire journée de l’année

Il y a quelques jours encore, dans le monde entier ­– ou presque –, c’était liesse, joie, allégresse. C’était la fête, c’était Noël. Que célébrait-on exactement ? Je ne saurais le dire avec exactitude. Ici chez nous, tandis que les uns voient en la Noël la fête des enfants, d’autres lui donnent une connotation religieuse (le 25 décembre représenterait la naissance de Jésus Christ). Quelle que soit la raison de la célébration, il reste vrai qu’en principe, c’est une journée de réjouissances. En principe. Car en pratique, la journée du 25 décembre, censée être une journée heureuse, peut s’avérer être la pire de l’année pour certains, pour beaucoup.

Insécurité

Je ne sais pas si c’est spécifique au Cameroun, mais chez nous, la nuit du 24 au 25 décembre a toujours été l’une des plus dangereuses. Je me rappelle qu’à l’époque dans mon quartier, il y avait des routes interdites et des coins proscrits à partir d’une certaine heure pendant cette période précise (à partir du 23 décembre). Ceux qui s’y hasardaient seuls ou en petit nombre courraient le risque de se faire détrousser et/ou blesser par les petits voyous du quartier et des environs – il fallait bien que les gars aient assez d’argent pour fêter la naissance du Christ !

Même quand on s’éloigne des coins sombres des sous-quartiers, on n’est pas pour autant plus en sécurité. Les soirs de Noël, « le dehors est plein » : dehors, des gamins surexcités et abandonnés dans la nature par leurs parents compréhensifs pour une fois dans l’année (c’est la fête tout le monde doit en profiter), se baladent en nuées bruyantes, une bouteille dans une main et parfois un bâton de cigarette dans l’autre, insultant tous ceux qu’ils croisent, bousculant ceux dont les têtes ne leur reviennent pas, prêts à se battre pour affirmer on ne sait quoi.

Premières fois

Il m’est arrivé, plus jeune, de sortir en compagnie de mes petits camarades un de ces fameux soirs. Mes potes avaient une activité qu’ils affectionnaient particulièrement : toucher les seins des jeunes filles qu’ils croisaient. Moi, j’étais sidéré par ce comportement que je ne connaissais pas chez eux – ce sont des gars très sérieux en journée. Trop peureux, je n’ai pas essayé de faire comme eux, mais j’avoue que je les enviais.

Les soirs de Noël sont, pour beaucoup d’adolescents, les jours des premières fois. C’est le soir où on va goûter la bière, boire le whisky. C’est le soir où on fume sa première cigarette. C’est le soir où on couche avec sa copine ou bien son copain. La plupart des jeunes de mon époque ont eu leur première expérience sexuelle un 24 ou un 25 décembre, avec un copain autant expérimenté – si ce n’est moins – qu’eux. Pire, certaines filles ont été forcées à avoir des rapports parce que trop saoules pour protester. Il n’était pas rare non plus de voir des potes trainer l’un des leurs chez les prostituées.

Dévergondage

La première fois que je suis allé en boite de nuit, c’était un 24 décembre. J’étais déjà étudiant – je n’étais pas précoce, j’avoue. Ce qui m’a frappé, c’est la tranche d’âge des jeunes qui s’y trouvaient. On atteignait difficilement les 14 ans ! J’ai pourtant été horrifié par ce que je voyais ces enfants faire dans la salle. Je ne vous ferai pas de dessin.

Les lendemains de fête, après avoir cuvé son vin et être revenu du septième ciel – si on y a seulement été –, le retour à la réalité est parfois brutal : MST, grossesses précoces et indésirées, accidents de la route et j’en passe. Pendant ce temps, je m’interroge sur le bien-fondé de la fête de Noël, sur sa signification. Car, si on dit que la Noël c’est la fête des enfants, comment se fait-il que ces enfants-là en profitent pour adopter des comportements qui n’ont rien à voir avec leur âge ? Des enfants qui sont dehors jusqu’à très tard, qui boivent, qui fument, qui se droguent, qui agressent et violentent d’autres enfants, ce n’est pas à mon avis une façon enfantine de célébrer une fête.

Crédit photo: eklablog.com
Le petit Jésus dans sa crèche, bien en sécurité tandis que nos enfants s’exposent dans les rues – Crédit photo: eklablog.com

Si la Noël représente la fête de la Nativité c’est-à-dire l’anniversaire de la naissance de Jésus Christ, on s’attend plutôt à voir tout le monde, jeunes et vieux, dans les églises ou au moins en prière et non au dehors en train de faire tout ce contre quoi Jésus s’est battu.

Au finish, la nuit Noël est l’une des pires journées dans l’année. C’est vrai, les accidents surviennent tous les jours, mais la vérité est que ces jours-là le nombre d’accidents, agressions, viols, vols, bagarres etc., croît de façon horrifiante.


La Francophonie : une malédiction pour l’Afrique ?

Il y a quelques jours, se tenait à Dakar au Sénégal le XVe sommet de la Francophonie, ce regroupement de pays ayant le français en partage. Parmi ces pays, bien entendu, figurent un bon nombre de pays africains. Ces pays, quand on regarde de près, sont pour la plupart des pays dans lesquels les présidents sont soit des vieillards croulants, soit de jeunes héritiers à qui le trône a été légué ou qui sont arrivés au pouvoir par des coups d’état. En fin de compte, qu’est-ce que la Francophonie nous apporte donc de positif ? Devons-nous nous réjouir de faire partie d’une telle organisation ?

En Afrique, la majorité des pays membres de la Francophonie sont des anciennes colonies françaises. Que ce soit le Cameroun, le Togo, la Côte d’Ivoire ou bien le Mali, tous ces pays ont été, à un moment de leur histoire, sous administration ou alors sous tutelle française. La majorité des dirigeants, pour ne pas dire tous, ont été à l’école française. Mais à quelle école, pourrait-on se demander ? Était-ce l’école de la démocratie ou bien celle de la tyrannie ? Oui, car si nous sommes d’accord qu’en règle générale les pays Africains membres de la Francophonie sont mal gouvernés, alors on peut conclure que, soit l’OIF n’accorde pas beaucoup d’importance à la réputation de ses états-membres, soit la Francophonie a des visées autres que le bien-être des populations ayant le français en partage.

A qui s'adressait réellement Hollande?
Ces chefs d’Etat que l’OIF approuve par son silence complice

Mais, le paradoxe c’est que si on se réfère aux objectifs de cette organisation, on apprend que  « L’OIF a pour objectif de contribuer à améliorer le niveau de vie de ses populations en les aidant à devenir les acteurs de leur propre développement ». En se basant sur ce que j’observe au Cameroun où je vis, j’avoue qu’il m’est difficile de citer contributions de l’OIF à l’amélioration des conditions de vie. D’ailleurs, plus le temps passe, et plus ces conditions se détériorent : hausse des prix des denrées de première nécessité, détérioration des routes, vieillissement des infrastructures étatiques, chômage, régression progressive du niveau scolaire et j’en passe.

Au sommet de nos états, quand on ne retrouve les mêmes hommes ou bien les mêmes noms de famille, on retrouve des dirigeants sans légitimité, mais avec dans la plupart des cas le sang de leurs prédécesseurs sur les mains. Pourtant, il semble que l’OIF a pour mission, entre autres, de « promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’Homme ». De quelle paix s’agit-il donc ? Rares sont les pays membres de la francophonie qui n’ont pas été en guerre récemment. RCA, Mali, Côte d’Ivoire, RDC… Dans les autres pays, ceux qui ne sortent pas fraîchement d’une guerre, l’instabilité est flagrante. Pourtant, ces chefs d’Etats sont toujours membres de l’organisation à l’exception de la RCA qui a été temporairement suspendue pour non respect de la déclaration de Bamako.

« Map-Francophonie Afrique-fr » par Augusta 89 — Zoom sur la mise à jour de Image:Map-Francophonie organisation 2008-fr.svg (Bourrichon) sur le fond Image:BlankMap-World6, compact.svg (domaine public). Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons - https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Map-Francophonie_Afrique-fr.svg#mediaviewer/File:Map-Francophonie_Afrique-fr.svg
Pays africains membres de la francophonie – Crédit photo: wikipedia.org

Dernièrement, le peuple Burkinabé a dû se débarrasser de leur ancien président, Blaise Compaoré qui, après 27 ans de pouvoir, s’apprêtait à modifier la constitution pour s’y éterniser. Tout ceci se passait au nez et à la barbe de l’OIF dont le Burkina Faso est membre. Idem pour le Cameroun. En 2008, des jeunes ont été injustement abattus et molestés par l’armée, avec la complicité silencieuse de la francophonie. Malgré les violations flagrantes de l’une des missions les plus importantes de l’OIF l’organisation n’a pris aucune mesure répressive efficace.

Que fait donc la francophonie, au juste, pour aider l’Afrique Noire à émerger, à se développer, à se démocratiser ? L’Afrique a-t-elle intérêt à continuer avec cette organisation alors qu’elle n’en tire visiblement rien de positif ?

Dernièrement, je n’étais pas le seul à m’offusquer du discours de Monsieur François Hollande (à qui j’ai adressé cette gentille lettre), président de la France et en quelque sorte le « père » de la francophonie, qui appelait officiellement à la rébellion, en annonçant son soutien total (en armement certainement) à l’opposition – d’ailleurs, notre nouvelle loi antiterroriste devrait le condamner pour incitation à l’insurrection, la prochaine fois qu’il mettra le pied ici au Cameroun. Au-delà de l’aspect scandaleux d’une telle déclaration, on peut y voir un aveu d’échec total et complet dans la tentative de promotion la démocratie et du respect des droits de l’homme, et partant, un échec dans sa mission d’améliorer les conditions de vie des populations dans les états membres.

Francois Hollande
François Hollande a ouvertement appelé à la rébellion dans les pays membres de l’OIF

Au lieu de continuer à materner les pays d’Afrique membres de l’OIF, cette dernière, qui ambitionne d’autonomiser ses membres afin qu’ils se développent, gagnerait à encourager l’Union Africaine qui à mon avis est à l’agonie car n’a en réalité aucune autorité.

Depuis la période coloniale, les pays d’Afrique noire francophone sont toujours restés influencés de la France à travers des associations comme la Francophonie. Depuis l’époque de la colonisation, l’Afrique noire régresse plus qu’elle ne progresse. À croire que la langue française a été – et continue d’être – pour nous une sorte de malédiction qui tend à ralentir notre avancée.


Cameroun : bientôt 20 millions de terroristes ?

Cela fait déjà plusieurs années que le Cameroun subit des attaques attribuées à la secte dite islamique Boko Haram. Je me souviens qu’au tout début de ces attaques, certains observateurs qui se voulaient avisés ont laissé entendre que ces attaques n’étaient pas le fait de Boko Haram, mais qu’il s’agissait plutôt de certains compatriotes qui essayaient de profiter du cafouillage pour tirer les marrons du feu – chez nous, on dit « profiter de la pluie pour chier dans le torrent ».

Après la riposte acharnée de l’armée camerounaise, et la capture de certains assaillants, il devenait évident que le Cameroun devait se doter d’une loi permettant de réprimer efficacement les actes de terrorisme, qu’ils soient perpétrés par des ennemis extérieurs ou bien ourdis par des Camerounais. On l’a notre loi, depuis jeudi dernier. Mais depuis que cette loi a été adoptée, et même avant, elle a suscité moult débats et échanges houleux entre camerounais autant sur les réseaux sociaux que sur les plateaux de débats radio et télévisés.

L’article 2 de la loi camerounaise anti-terroriste dit ceci :

« Est puni de la peine de mort celui qui, à titre personnel, en complicité ou en coaction, commet tout acte ou menace d’acte susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique, d’occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages aux ressources naturelles à l’environnement ou au patrimoine culturel dans l’intention :

a) d’intimider la population, de provoquer la terreur ou de contraindre la victime, le gouvernement et/ou une organisation nationale ou internationale, à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ou à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes ;

b) de perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation des services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations ;

c) de créer une insurrection générale dans le pays. »

Sur les média, il y a les pourfendeurs de la nouvelle loi, ceux qui la trouvent liberticide, barbare, inique. Ceux-là se fondent principalement sur l’alinéa b) de l’article 2 cité plus haut. Car, pour perturber le fonctionnement normal des services publics, il suffit juste que des fonctionnaires fassent grève. Pour perturber la prestation des services essentiels aux populations, il suffit simplement que les bayam sellam1 ferment leurs boutiques ou bien que les agents d’Enéo (Société nationale d’électricité) ou bien de Camwater (Société nationale de distribution d’eau) s’abstiennent de venir au travail. Et c’est fait, ils deviennent des terroristes. Pire encore, si des étudiants qui manifestent en bloquant les routes ou bien en barricadant les amphis !

L’alinéa c), quant à lui apparaît comme bâillon qui vise à museler la presse et les leaders de l’opposition qui seraient tentés d’appeler le peuple au soulèvement ou bien à la révolte. Une disposition anti-burkina, en quelque sorte.

Je dois avouer que dès la première heure, je me suis insurgé contre ce texte, je l’ai combattu bec et ongles. Mais en rédigeant ce billet, j’ai dû revenir sur certaines de mes positions. Car en réalité il est indispensable de lier le début de l’article aux alinéas qui posent problème : pour qu’un acte soit considéré comme un acte terroriste, il faut au préalable que ce soit un acte « susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique, d’occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages aux ressources naturelles à l’environnement ou au patrimoine culturel ». Sur ce point, les défenseurs de la loi marquent un point.

Si les enseignants manifestent, si les étudiants barricadent les amphis, leurs actions ne seront qualifiées d’actes terroristes que si des vies ou bien des ressources sont en danger. On voit clairement dans ce texte une volonté d’empêcher les manifestations violentes. Cela pose tout de même un problème, car pourquoi se servir d’une loi antiterroriste pour essayer de réprimer les manifestations ? La faute au Burkina, je vous dis.

Le véritable problème que pose cette loi, à mon humble avis, c’est celui de compétence des autorités juridiques à déterminer l’intention d’un individu. « Dans l’intention de… », dit la loi. On risque  dès lors d’assister à des procès d’intention, intentions qu’on aura prêtées aux accusés.

Cependant, là ou le bas blesse, et des juristes avertis l’ont souligné, la loi ne définit pas clairement ce qu’elle entend par « actes de terrorisme ». Parler d’actes  susceptibles de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique, d’occasionner des dommages corporels ou matériels, etc., à mon avis reste encore vague. Car ici aussi, le terme « susceptible de… » donne lieu à une interprétation subjective qui pourrait, une fois de plus, donner lieu à des dérives.

Imaginons que le personnel de santé d’un hôpital public se mette en grève. Il est évident que cette décision, cet acte pourrait éventuellement occasionner des morts, puisque non seulement le service public sera perturbé, mais en plus la prestation des services essentiels aux populations sera ralentie (Article 2, alinéa b) . De plus, si la grève a pour but de forcer le gouvernement à agir d’une certaine façon (leur payer leurs salaires par exemple, intégrer des temporaires ou des stagiaires etc.), on sera bel et bien face un cas d’acte terroriste, au vu de la nouvelle loi antiterroriste (Article 2, alinéa a).

Il est difficile de faire la part des choses en ce qui concerne cette loi, vu que les deux camps ont des arguments crédibles. Que faire donc ? À mon avis, une petite modification de cette loi s’impose, pour lever toute ambigüité et éviter que d’honnêtes citoyens ne soient traités de terroristes, simplement pour avoir revendiqué leurs droits.

1Bayam sellam : femme qui achète des marchandises, généralement les denrées alimentaires, et les revend par la suite.


La paix du Cameroun, c’est dans la tête

Une fois, quand j’étais encore à  Maroua, un pote et moi avions « soif de la bière », comme on dit ici – il faut toujours préciser l’objet de la soif, pour éviter les confusions. Mais nous, on voulait la bière qui transpire – entendez « glacée ». Malheureusement, ce soir là, l’ancêtre d’Enéo (AES Sonel) avait fait ce qu’il savait faire de mieux. Conséquence, pas de lumière à Maroua. Après avoir flâné dans la ville, nous sommes tombés sur un bar qui avait un groupe électrogène. Nous espérions vraiment y trouver de la bonne bière bien fraîche. Cependant, là-bas non plus, la bière n’était pas fraîche. Résolu à ne pas rentrer la gorge sèche, mon pote prit une bière, pour voir si c’était quand même buvable. Il la vida d’un trait et dit : « La bière-ci est fraîche, dis donc. C’est dans la tête. »

« C’est dans la tête », pour dire que même si la bière n’est pas fraîche, on peut décider qu’elle l’est, et l’avaler goulûment, en imaginant qu’elle sort fraîchement d’un frigo. Cette expression, je la vois s’appliquer chaque jour au Cameroun ? Mais pas (seulement) avec la bière hein. Nous, on l’applique à la paix.

L'eau potable est rare dans un pays arrosé par plusieurs cours d'eau. mais on a la paix... - Crédit photo: lebanco.net
L’eau potable est rare dans un pays arrosé par plusieurs cours d’eau. Mais on a la paix… – Crédit photo: lebanco.net

« Le Cameroun est un pays de paix », entendrez-vous scander à longueur de journée sur les média et même dans la rue. Dites à un Camerounais que la jeunesse est désœuvrée, que le système éducatif est pourri, que les prix des denrées alimentaires connaissent des hausses régulières, dites-lui que des milliards sont détournés dans tous les ministères du pays tandis que les fonctionnaires misèrent et que le pays régresse ; il vous répondra invariablement, « Mais au moins, on a paix ». Les routes sont de véritables mouroirs ; les hôpitaux sont même pire… « Mais au moins, on a la paix. »

Je me suis toujours demandé de quelle paix on parle exactement. Sérieux, Je me demande si nous vivions dans le même Cameroun.

Dernièrement, notre Roi adoré Paul « Le-Faiseur-de-Paix » Biya a déclaré la guerre à un ennemi qu’il ne connaissait même pas (normal, puisqu’il réside en Suisse). Les populations des zones frontalières de l’Extrême-Nord du pays sont régulièrement massacrées, enlevées, terrorisées par Boko Haram – paraît-il. Nos soldats trouvent la mort au front, nos enfants ne peuvent plus s’instruire car soit les écoles sont  détruites, soit elles servent d’abri aux déplacés. Mais non, nous à Yaoundé et Douala ont ne voit que la Paix. Partout où on regarde, c’est la paix inventée par le renouveau qu’on voit. C’est dans la tête, je vous dis.

Stigmates des attaques ennemies en terre camerounaise (malgré la paix) - Crédit photo: cameroun24.com
Stigmates des attaques ennemies en terre camerounaise (malgré la paix) – Crédit photo: cameroun24.com

Allez à l’Est voir. Enlèvement, assassinats, rackets… Les rebelles centrafricains font la loi, impunément. Tout le monde s’en fout. On a la paix. Quelle paix, au juste ? Ne savons-nous pas que la paix ne se limite pas à la sécurité des frontières. La paix ce n’est pas seulement l’absence de guerre – déjà que nous n’avons ni l’une ni l’autre au Cameroun.

La paix, c’est aussi la paix du ventre… Quand on n’a rien à se mettre sous la dent – et encore moins dans le gosier – on ne peut pas être en paix. Alors, la jeunesse camerounaise qui est sans emploi, sans ressources, sans espoir, peut-elle être en paix ? Je me le demande. Sauf bien sûr si cette paix, c’est dans la tête.

Un homme qui a faim est capable de tout, mais surtout du pire. La jeunesse camerounaise a faim. C’est une bombe à retardement qui peut exploser à tout moment. Sommes-nous en paix si on se balade avec une grenade dégoupillée à la main ? Non, car la grenade explosera si on ne la jette pas très vite, c’est une question de temps.

Nos écoles sont pourries, surpeuplées. Nos enseignants sont mal formés. Notre système éducatif ne cadre pas avec nos besoins économiques et culturels. Comment espérer être en paix un jour quand on a la tête vide, ou bien bourrée d’inutilités ? Sans les connaissances qui nous assurent paix du ventre, sans l’éducation nécessaire pour avoir un emploi, sans l’honnêteté indispensable pour faire son travail sans avoir besoin de corrompre ou bien d’être corrompu, peut-on estimer qu’on est en paix ?

Crédit photo: Desy Danga (kalangoo-84.blogspot.com)
Nos écoles ressemblent à des écuries. Mais on a la paix… – Crédit photo: Desy Danga (kalangoo.wordpress.com)

Un parent qui voit son enfant de 25 ou 30 ans dans la même maison que lui, alors que ce dernier a des diplômes, peut-il dormir en paix ? Non, il n’a pas la paix. Nous ne sommes pas en paix. Tout ça, c’est dans la tête.

On aura beau imaginer décider qu’une bière est bien fraiche ; si elle est tiède, elle le restera. Et elle aura sur nous les même effets que la bière tiède (on dit que la bière tiède saoule trop vite). On la boira sans appétit, et on sera très vite saouls. De même, on aura beau clamer haut et fort que nous sommes en paix, que le Nomtema1 mérite le Prix Nobel de la Paix, la réalité restera toujours que nous sommes dans un pays en guerre sur deux fronts, mais en même temps très instable à l’intérieur – les appels au soulèvement d’une certaine catégorie d’opposants le prouvent à suffisance.

1Nomtema : Le Lion, en Ghomala’. C’est un titre donné au Chef, au Roi en pays Bamiléké (à l’Ouest du Cameroun).


Lettre à Monsieur François Hollande

Cher monsieur Hollande,

Je prends aujourd’hui la peine de vous adresser cette lettre, suite à votre intervention lors de la cérémonie de lancement du sommet de la Francophonie qui s’est tenue à Dakar au Sénégal il y a quelques jours.

En effet, dans votre discours, vous avez jugé bon de rappeler aux chefs d’État des pays membres de la Francophonie qui seraient tentés de se maintenir au pouvoir en violant la constitution, et en faisant fi de la volonté du peuple, que vous apporterez tout votre soutien à la société civile et à l’opposition pour les déloger du pouvoir.

Je me trompe peut-être sur vos propos. Si c’est le cas, ignorez la suite de ma lettre, car elle sera sans objet. Mais si nous sommes d’accord sur la substance de votre message, alors, on peut continuer

Monsieur Hollande,

Depuis quand parlez-vous au nom du peuple Africain ? D’ailleurs, depuis quand vous souciez-vous du sort des populations d’Afrique ? Je vous le demande. Savez-vous seulement depuis combien d’années l’Afrique ploie sous le poids de ces dinosaures amoureux du pouvoir ? Où étiez-vous, lorsque ces derniers modifiaient la constitution pour faire de leurs pays des royaumes ? À quoi rêviez-vous, cher monsieur, lorsque certains de ces fossiles installaient leurs fils sur les trônes ? Personne ne vous a entendu, personne ne vous a vu. Au contraire, vous receviez les despotes chez vous, signe que vous approuviez leur statut de Roi.

Monsieur, certains chefs d’États en Afrique ont plus de 25 ans au pouvoir, le savez-vous ? Aujourd’hui, vous les accusez de se maintenir au pouvoir de façon illégitime. Pourtant, je me souviens qu’à chaque élection présidentielle, des observateurs internationaux venus superviser les scrutins se sont toujours déclaré satisfaits du déroulement des élections. Alors, en quoi sont-elles illégitimes ?

A qui s'adressait réellement Hollande?
A qui s’adressait réellement Hollande?

Vous, monsieur Hollande, qui semblez tant à l’écoute du peuple, avez-vous une seule fois prêté attention aux réclamations et aux protestations des membres de l’opposition quand ceux-ci criaient à la fraude ? Avez-vous seulement tenu compte des pourcentages irréels qui venaient sanctionner les scrutins dans certains pays ? Non, vous n’en aviez rien à faire.

Aujourd’hui, bizarrement, vous êtes prêts à soutenir la société civile et l’opposition.

Monsieur Hollande,

Pouvez-vous dire au peuple africain, que vous vous dites prêt à soutenir, de quelle aide vous parlez ?

Si vous êtes prêt à créer des entreprises en Afrique qui vont employer les jeunes diplômés sans emploi, construire des écoles pour que nos enfants soient mieux instruits ou bien construire des routes ou bien des hôpitaux pour que la prise en charge médicale des pauvres compatriotes qui meurent chaque jour soit plus efficace, alors votre aide sera appréciée par tous les Africains.

Mais, vu le taux de chômage qui est en hausse en France, je doute que vous soyez prêt à venir offrir le travail aux jeunes Africains. Alors, j’imagine que, comme pour la Libye, vous voulez parler de l’aide militaire. J’imagine que vous voulez parler du type d’aide que vous avez apportée à la Centrafrique (qui est aujourd’hui en train d’être divisée en deux états).

La Libye, après avoir reçu l'aide de la France - Crédit photo: myeurop.info
La Libye, après avoir reçu l’aide de la France – Crédit photo: myeurop.info

Monsieur Hollande, permettez-moi de vous dire que vous en avez déjà assez fait. Partout où vous avez apporté votre soutien, le résultat a été guerre,  désolation, chaos, division. Ai-je besoin de prendre des exemples ? La Libye n’est aujourd’hui qu’un champ de ruine, la RCA est toujours en guerre, et le Mali n’a pas encore retrouvé sa stabilité. Est-ce cette « aide » là que vous promettez d’apporter à l’opposition et à la société civile africaine, monsieur Hollande ?

Voulez-vous réellement mettre la population civile et désarmée face à des soldats ? Qui voulez-vous aider, monsieur Hollande ? Car, j’avoue ne rien comprendre à votre raisonnement.

De grâce, gardez vos soldats chez vous, nous n'en voulons pas - Crédit photo: lemonde.fr
De grâce, gardez vos soldats chez vous, nous n’en voulons pas – Crédit photo: lemonde.fr

D’ailleurs, de quel droit décidez-vous d’intervenir dans les affaires internes d’un autre pays ? Avec quelle autorité prétendez-vous dicter leur conduite à vos homologues ? Consultez-vous parfois les chefs d’État africains avant de prendre des décisions dans votre pays, la France ? Si tel n’est pas le cas, évitez également de leur donner des conseils.

Cher Monsieur, l’Afrique n’a pas besoin de votre aide

Le peuple burkinabé n’a pas attendu vos soldats et vos armes pour revendiquer sa liberté. De la même manière, le Cameroun, le Togo, la RDC, le Tchad ou bien le Bénin sauront prendre leur destin en main.

Monsieur Hollande,

Je ne voudrais pas être trop long, de peur de mettre en mots toute la colère et toute l’indignation que je ressens. Je vais donc abréger ici ma lettre, en espérant que vous en avez saisi la substance.

Salutations distinguées.


La petite Fadimatou

J’ai rencontré Fadimatou il y a quelques années ; j’étais alors un jeune enseignant fraîchement affecté au lycée bilingue de Maroua. Cette année-là, j’avais parmi les classes que j’enseignais une sixième spéciale. Pour ceux qui sont étrangers à cette appellation, les classes spéciales sont des classes réservées aux élèves les plus brillants. On y accède à l’issue d’un concours organisé au sein de l’établissement, parmi les élèves de la classe de sixième.

C’est pour vous dire que Fadimatou était intelligente. Dans leur classe de seulement 60 élèves, elle se distinguait de la masse, avec quelques autres plus ou bien brillants. J’avoue que j’avais du plaisir à enseigner dans cette sixième. Les enfants étaient attentifs, curieux, braves… Je me souviens que les vendredis, après notre heure de cours, il y en avait une autre, creuse. Eh bien, les élèves de sixième spéciale insistaient pour que le cours d’anglais dure deux heures !

Crédit photo: planbelgique.be
Une élève brillante – Crédit photo: planbelgique.be

Pour en revenir à Fadimatou, j’avais remarqué qu’elle était souvent absente des cours. Parfois, je passais toute une semaine sans l’apercevoir en classe. La première fois que j’ai remarqué cela, je me suis renseigné auprès de ses camarades. « Fadimatou est malade », m’a-t-on dit. Mais ses absences se faisaient de plus en plus récurrentes. Il a fallu que je lui pose des questions à elle-même pour qu’elle me donne la raison de ses absences répétées.

« Monsieur, m’a-t-elle dit, parfois je ne peux pas venir à l’école parce que ma mère m’envoie vendre le hoyoro1 pour acheter la nourriture. »

– Pourquoi ta mère t’envoie vendre ? Elle-même fait quoi, pendant que tu vas vendre ?

– Elle reste à la maison avec mes petites sœurs.

– Et ton père, où est-il ?

– Mon père est à la maison… »

Je n’insistai pas, préférant ne pas trop m’immiscer dans la vie de cette jeune demoiselle que je plaignais déjà. L’année suivait son cours, et Fadimatou continuait à s’absenter des cours. Durant les évaluations de la première séquence, Fadimatou ne se montra pas. Elle revint après, prétextant la maladie. Moi, je n’y ai pas cru. Mais je n’ai pas voulu en savoir plus.

Crédit photo: reuters
Vendre le hoyoro pour acheter à manger – Crédit photo: reuters

Au deuxième trimestre, elle disparut encore. Cette fois-ci la raison était officielle : ses parents n’avaient pas pu (ou voulu ?) payer la totalité de sa pension. Elle  a dût faire quelques semaines à la maison – à vendre le hoyoro pour sa mère, je suppose. Quand elle revint en cours, ses camarades m’informèrent que sa pension n’avait toujours pas été payée, mais qu’elle essayait de se faufiler, de se cacher, pour échapper aux contrôles des surveillants généraux. Elle était restée à la maison, juste le temps que les contrôles soient moins réguliers, moins rigoureux. Cependant, de temps en temps elle était purement et simplement mise à la porte.

Ce manège dura presque tout le deuxième trimestre. Vers la fin du trimestre, elle disparut complètement du lycée. À croire qu’elle n’y avait jamais mis le pied. J’étais très anxieux. Chaque fois que j’avais cours en sixième spéciale, j’espérais la revoir en classe, la revoir assise au cinquième banc de la troisième rangée, au fond, à coté d’Oumoul Koulsoumi et de Khalimat Mohamadou avec qui elle se chamaillait à longueur de journée. Mais non, rien. Pas de Fadimatou en classe, pas de dispute avec ses camarades de banc. Rien…

Un jour cependant, alors que je faisais l’appel, j’eus la réponse à mes interrogations. Dès que je lus son nom, j’entendis ses camarades répondre en cœur « Mariée », en pouffant de rire. Après avoir rempli le cahier de textes, je reposai la question aux élèves, et ils me racontèrent l’histoire : Fadimatou avait été mariée de force à un homme âgé. Son père avait estimé qu’elle perdait son temps à l’école, et en plus elle lui coûtait de l’argent, au lieu de lui en rapporter.

Jeune mariée - Crédit photo: pressafrik.com
Mariée pour réduire les dépenses de la famille – Crédit photo: pressafrik.com

Ce soir-là, je ne fis pas mes autres heures de cours. Je rentrai directement chez moi, choqué par cette nouvelle. J’étais abattu, découragé. J’avais de la peine pour cette petite demoiselle qui ne demandait qu’à s’instruire. J’admirais le courage de cette petite qui s’entêtait, qui ne se laissait pas démonter par les expulsions dont elle faisait l’objet. Bien que jeune, elle avait compris que son seul salut se trouvait dans l’éducation. Mais elle se battait seule contre le monde. Le combat était inégal, elle l’a perdu. Que pouvait-elle faire contre les mentalités rétrogrades ?

Parfois, je repense à Fadimatou. Je me demande ce qu’elle est devenue, combien d’enfants elle a déjà. Je me demande si elle songe à reprendre ses études un jour, si elle travaille, si elle est heureuse, si elle est même en vie. Des soirs comme celui-ci, je repense à Fadimatou, à son calvaire, à ses espoirs déçus. Mais je garde espoir.

J’espère qu’un jour, toutes les Fadimatou du Cameroun, d’Afrique et du monde auront droit à l’éducation. J’espère qu’elles pourront dire NON à certaines pratiques, qu’elles pourront se battre pour leurs droits. J’espère qu’elles auront leur mot à dire et qu’elles se feront entendre par la société.

1Hoyoro : jus d’oseille communément appelé foléré.


Appel à l’opposition camerounaise : il sera bientôt trop tard !

Ces derniers temps au Cameroun, on entend de plus en plus d’appels à la violence, au soulèvement. Sortie de nulle part, une nouvelle « race » d’opposants a pris en otage les réseaux sociaux et y injectent le venin de la désobéissance civile et de la révolte. Armée de claviers et de souris, cette e-opposition basée en Europe et aux USA, espère faire du Cameroun une réplique du Burkina Faso. Oublie-t-elle que les Camerounais ne sont pas des hommes intègres, mais plutôt des lions ? Ont-ils pensé aux conséquences qu’une révolution pourrait avoir sur la population camerounaise ? Ont-ils oublié février 2008 ? Mais non, déconnectés des réalités socioculturelles que nous vivons ici, ces derniers ne pensent qu’à remplacer Paul Biya sur le trône.

Je ne peux pas m’empêcher de rire, chaque fois que je lis leurs slogans creux sur facebook. « BIYA DÉGAGE », « TROP C’EST TROP »… Sombres imitateurs dénués de tout esprit d’initiative, a-t-il fallu que le Burkina Faso se batte pour sa liberté pour que vous sachiez que le peuple camerounais est entravé depuis plus de trente ans ? Pourquoi continuez-vous à résider en Europe ou aux USA ? Pourquoi ne venez-vous pas conduire la révolution que vous essayez d’organiser, tapis derrière vos ordinateurs ? Non, les Camerounais n’ont pas besoin de marcher, de casser, de brûler… D’autres recours sont possibles, plus pacifiques, plus faciles, et surtout moins coûteux en larmes, en sang.

Slogan des e-opposants - Photo chipée sur facebook
Slogan des e-opposants – Photo chipée sur facebook

En 2018, nous irons aux élections présidentielles. Voilà la meilleure occasion de descendre dans la rue. En 2018, le peuple camerounais devra noircir les rues, vider les domiciles… Pas pour casser, ni pour manifester, mais pour aller voter. Oui, si on en a vraiment marre du régime en place, voilà ce qu’il faut faire : aller voter pour le meilleur candidat. Et c’est là tout le problème : aucun candidat n’aura jusqu’ici réussi à s’imposer. Aucun ne s’est montré rassembleur. Aucun n’a semblé faire passer l’intérêt du peuple avant le sien propre.

2018, c’est dans un peu plus de 3 ans. Le temps vous tient à la gorge, chers leaders de l’opposition. Mais il n’est pas encore trop tard. Au lieu d’envoyer vos sbires infester les réseaux sociaux et essayer d’envoyer le peuple à l’abattoir, mettez ce temps à profit pour vous implanter. Utilisez ce temps pour gagner les cœurs des Camerounais. Nous ne demandons que ça. Donnez-nous des raisons de voter pour vous. Sinon, ne vous étonnez pas de vous retrouver avec des pourcentages ridicules à l’issue du scrutin. Si vous ne montrez pas au peuple camerounais qui a soif de changement qu’il peut compter sur vous, si vous ne lui prouvez pas que vous combattez en son nom, et qu’il peut s’en remettre à vous, eh bien évitez de crier à la fraude après le verdict des urnes.

Manifestation à Paris pour déloger... Paul Biya - Photo chipée sur facebook
Manifestation à Paris pour déloger… Paul Biya (et non F. Hollande) – Photo chipée sur facebook

Au lieu d’appeler à la révolte, chers leaders de l’opposition camerounaise, cherchez les voies et moyens d’éviter que les résultats des élections soient truqués. Cherchez à éviter le bourrage des urnes. Non, ne cherchez plus, je vous dirai comment faire : gagnez la confiance du peuple, parlez en son nom, et parlez-lui. Dites au peuple l’enjeu, apprenez-lui à refuser de l’argent. Et ce jour-là, sachez que le peuple s’assurera de la transparence du scrutin.

Je lis partout des gens dire que Paul Biya ne doit plus se présenter en 2018. D’autres exigent même qu’il quitte le pouvoir avant les élections de 2018 ! Je me demande comment ces gens comptent être pris au sérieux ! Paul Biya, chers opposants, a le droit de se représenter s’il le décide. La loi le lui permet. Clamer partout qu’il ne doit plus se présenter aux élections c’est, à mon avis, faire preuve d’incapacité. C’est prouver son manque de confiance en soi. Car si vous pensiez que vous aviez une seule chance de le battre, vous ne lui exigeriez pas de ne plus se présenter. Vous ne voudriez pas qu’il quitte le pouvoir sans délai. D’ailleurs, si le 31 décembre Paul Biya annonçait sa démission, qui, chers opposants, serait à même de le remplacer, de diriger le pays ? Personnellement je ne vois encore personne.

Kah Wallah, Maurice Kamto
Kah Wallah, Maurice Kamto et tous les autres leaders de l’opposition, le temps vous tient à la gorge

Pensez-vous réellement que ceux qui acceptent de truquer les élections iront dans la rue avec vous ? Pensez vous sérieusement que ceux qui ne votent jamais parce qu’ils n’ont plus confiance en vous écouteront votre appel ? Moi, j’en doute. Je lance donc cet appel à l’opposition camerounaise, pour qu’ils mettent le peu de temps qu’il leur reste à profit pour que sans heurts, sans violence, sans que la rue n’aie à s’en mêler, en 2018 au lendemain du scrutin le Cameroun aie du sang neuf à sa tête.