Jule

En interview pour Die Frenchies

©Le Berlinographe

Interviewée par Julie des Frenchies de Berlin :

Un petit coup de foudre. Une décharge littéraire. Un amourachement à distance, entre les pixels et les kilomètres. C’est l’effet que m’avait fait le Berlinographe. De retour dans l’existence monochrome et légèrement névrotique parisienne, je scrutais au loin, en filigrane, la blogosphère berlinoise. Au loin et avec défiance, évitant la violence des souvenirs, Berlin c’était quand même ubercool, et je n’avais pas exactement choisi de la quitter; de ces fins de relation nécessiteuses, où il aurait fallu se perdre consciencieusement pour que cela «fonctionne », et où l’on a – malheureusement ou non – à demi joué. Une fin parasitée et précipitée par un environnement laborieusement inutile. Donc scrutage. Et puis il y a eu Jule.

Il y a déjà eu ce nom – on est toujours au moins inconsciemment attiré par ce qui nous ressemble. Il y a eu ce nom, associé à cette chevelure blonde. Curiosité et sourire piqués au vif; l’archétype du féminin moderne surmonté d’un patronyme de conquérant couillu, ça en jette. Et même s’il est de bon ton de feindre l’indifférence face au « trouble dans le genre », trouble en frenchies signifie aussi bien la confusion que le fait d’avoir des ennuis. De l’importance du jeu. Jule semble joueur, et j’aime jouer: en avant la lecture. Dans le premier texte qui me choisissait, Jule épiait un loup. Plus aux aguets que lui ne devait l’être, elle attendait qu’il daigne sortir de son bois. L’acuité de la figure filée m’avait violemment frappée, parce que j’adore cet animal et puis parce qu’à ce moment sûrement, moi aussi j’épiais, avec la patience stupide de l’amoureuse transie, un loup. Le juste de l’image irisée par cette écriture poétique, la tristesse du réel magnifiée par la beauté des formules. De là je dévorais le blog, me baladant entre la froideur de l’asphalte humide, la chaleur des rayons de Friedrichshain, ou la moiteur bariolée des errances claustro au sein des salles du Renate. Et à nouveau, dans le frisson de quelques lignes, je frôlais Berlin.

Dans le Berlinographe, pas vraiment de bonnes adresses veggie ou de conseils pour selfiser au Berghain. Jule prend la température du décor et personnage principal Berlin au gré d’aventures glanées au fil de ses pas. La ville jaspée s’y dévoile subtilement, elle transparaît entre les caractères de récits ou la poésie étreint allègrement le trivial, la légèreté de promenade estivale embrasse la lourdeur industrielle du son de club, la fraîcheur des liqueurs se rompt sur la brûlure du sang. Jule est multiple, cynique, drôle, mélancolique, belle, timide, garce, masculine et maligne. Comme Berlin. Je ne vis plus dans la ville, mais le Berlinographe m’y ramène implacablement, d’une bien belle manière. Dans mon souvenir, comme j’adore me plaindre, Berlin peut être rugueuse, faussement honnête mais vraiment méchante, difficile et froide. Jule, avec son romanesque rythmé et son surprenant phrasé réchauffe ma mémoire, et y substitue une image bien plus exacte que ce que le spleen se plait à me faire croire.

L’intégralité de l’interview est à retrouver sur le site des Frenchies ici


Pourquoi je rentre demain

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©Le Berlinographe

Berlin, ma ville mon amour, je te retrouve demain, je rentre demain. Je quitte cette ville de fous. Je quitte cet homme qui m’éloigne de toi. Je te reviens.
Je te promets que je te suis restée fidèle ces trois dernières semaines. Oui, je l’admets, j’y ai pensé. J’y ai pensé une seconde. Te quitter pour elle. J’y ai songé, mais tu me connais, je suis une rêveuse, une foutue rêveuse, une aventurière. Je pourrais dire oui à n’importe qui, n’importe quand, pour partir n’importe où. Cela ne m’excuse pas je le sais bien. Mais je suis comme cela voilà. Je donne tout à mes passions, je donne tout à mon cœur… Comme je t’ai tout donné, toi ma belle, la première que j’ai tant aimée.
Pardonne-moi si mon cœur a tressailli pour une autre.

Elle a su jouer avec mon cœur, tu sais… Toutes ces tours érigées vers le ciel, de mille couleurs. Oui bien sûr que j’avais déjà vu des tours avant ! Pas dans mon village du sud de la France… Mais pas bien loin. Mais là tu sais ce sont des tours qui respirent la grandeur, pas la misère. Ce sont des tours vivantes, bleues, dorées, roses même pour certaines ! Et tu connais mon amour des couleurs… Des choses qui brillent… Elle m’a dévoilé ses lumières aux heures de la nuit que je préfère. Elle m’a fait traverser des routes labyrinthiques, des virages sur trois hauteurs, et dans les taxis filant dans la nuit mon cœur a tourné lui aussi, les yeux aveuglés par la vitesse.

Elle a su jouer avec mon cœur. Elle s’est fait miroir de moi. Duale elle aussi. Quand je marchais dans ses rues calmes, à l’ombre des platanes, dans le chant des oiseaux, contemplant des maisons de bois clairs, le linge qui pendait aux fenêtres. Elle a su me rappeler mon village, mon propre village ! Quand je marchais dans ses avenues surréelles, ivres de la folie consumériste. Des lumières dans tous les sens, de la musique, des cris, des hommes et des femmes qui marchent, courent, rient dans tous les sens. Elle a su me rendre mon énergie de battante, mon énergie de femme qui veut dévorer le monde. Elle m’a fait sourire, beaucoup, et marcher droit. Droite comme la ligne qui me mène à mes désirs, mes folies, ce que je vais accomplir, pour sûr.

Elle a su jouer avec mon cœur. Elle m’a rappelé mes amours, tous ceux et celles pour qui je suis tombée. Des souvenirs en cascade. Des parcs d’attractions espagnols, des journées aux lits, des cafés de bois… Tes cafés de bois.

Elle a su prétendre que je serai bien ici. Enfin reconnue dans ma complète dualité. Elle m’a entourée de cette chaleur moite que j’adore, elle a fait souffler le vent de la mer dans mes cheveux, elle a fait tomber les feuilles des arbres sur mes épaules. Elle a couvert mon corps d’un homme aux mille frissons, elle a mis dans ma bouche de nouveaux mots, aux délicieuses sonorités, elle a mis dans mes narines les odeurs du monde, du monde entier, des ananas trop mûrs, de la viande qui pourrit sur les étals, des poissons séchés sur de la glace fondue, des magasins surclimatisés, de l’air surpollué, des pollens et des fleurs sauvages, des Macdos et des pigeons sur broche. Tout ce que j’ai connu s’est retrouvé sous mes yeux, à quelques rues. Comme si toute ma vie défilait sous mes yeux. Les senteurs, les images, les textures sous mes doigts.

Elle m’a fait pleurer. Elle m’a fait marcher dans la nuit, seule, dans des rues vides où j’avais peur. Elle m’a fait jouir. Elle m’a fait monter à des centaines de mètres au-dessus du sol. Elle m’a fait rire.

Berlin mon amour, je rentre demain. Parce que malgré tous ses efforts, elle ne gagnera jamais mon cœur. Tu es la seule qui ne m’a jamais déçue. Tu es celle dont l’âme me protégera toujours. Tu es celle qui sait m’envoyer loin vers le ciel et me garder fermement sur terre. J’arrête de jouer l’oiseau et rentre me poser sur ton arbre, promis.

Berlin ma belle, je rentre demain. Les yeux lourds et le cœur fatigué. Sécheras-tu mes larmes de ton soleil neuf ? Caresseras-tu ma peau ? Me serreras-tu contre toi ? J’ose croire que oui. Cette fois encore. Et les prochaines aussi. Toi et moi, à la vie.


Parce que je suis duale

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©Le Berlinographe

Je suis duale. Je me rends compte ce soir que ce qui cloche chez moi c’est ma dualité. Ce qui a toujours cloché, devrais-je dire. Ce qui clochera toujours. Ma dualité. Mes multiples dualités. Pour ce soir, disons la personne et… l’autre. Je ne sais même pas comment me nommer. Personnage. Oui, personnage.
Duale emmêlée. A travers ma personne vit mon personnage. A travers moi passent ces sensations, émotions, intuitions qui se meurent en mots. Ces histoires, ces romans. Ces autres personnages. Tous nés de moi, de ma personne, m’arrachant une partie de moi, de ma personne. Je respire pour eux. Avance pour eux. Je suis leur femme, leur mère, leur pire ennemie.

Je suis duale. La personne et le personnage. Il y a quelques années, au temps du théâtre et des poèmes, tout était mélangé. Textes magnifiques, passion solitaire d’une noirceur merveilleuse, d’une profondeur abyssale. Mais on ne peut pas vivre longtemps ce genre d’état. Pas en Homme libre en tout cas. Alors j’ai séparé. Ma vie. L’écriture. Sans être parfaitement heureuse dans l’une ou dans l’autre. Parce que la réalité m’ennuie, je cours après l’émotion. Et je fais de ma vie des aventures. Et l’écriture m’avale, me bouffe toute entière, me recrache en sueur, en larmes. Pas viable.
Je ne suis heureuse que dans la fusion des deux. Quand l’émotion s’adresse aux deux. A la personne, au personnage. J’aime ça.

Avec cet homme j’ai connu ça. Une émotion duale pour un ego dual. Avec cet homme j’ai connu ça. Magie d’un instant parfait. Ecrite, décrite, vécue. Et qui ne sait revenir. J’y ai cru. J’ai espéré. J’y ai travaillé mais en vain. Cette émotion n’est plus assez forte pour remplir ma personne. Est-ce sa faute ou la mienne je n’en sais rien.
Cette émotion n’est plus assez forte pour remplir ma personne. Mon personnage lui se satisfait du décor, mais lorsqu’il me quitte et que je ne suis plus que « personne », je me noie dans cette trop connue solitude.
L’homme dort près de moi. Je ne suis donc pas seule, mais solitaire ça oui. Aux doux rêves amers.

Je suis duale. Mon problème c’est ma dualité. Heureuse dans la fusion de l’instant, mais condamnée à la continuité, pour l’éternité. De ces dons qu’on maudit. Du genre tragédie grecque.

Je suis duale. Je suis la mère de mon personnage, lui donne mon énergie, mon souffle, mon air, tout. Et j’oublie d’en garder, de l’air, de l’énergie, du souffle, je m’oublie. Sauf quand quelqu’un s’adresse à moi. Ma personne.
Cet homme s’est adressé à moi, ma personne.
Cet homme ne s’adresse plus à moi, ma personne.
Alors je devrais donner à mon enfant à nouveau, mais je réalise que je ne l’ai pas pris dans mes valises. Je suis venue sans lui, sans mon personnage. Je suis venue seule, en personne. Me nourrir moi. Ma seule personne.

Je suis là.
En terre étrangère.
Face à un étranger
Et meurs de faim.


Parce que mes départs sont des aventures

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©Le Berlinographe

L’avion tourne et je bascule vers l’océan. Par la fenêtre un soleil rayonnant, les vagues grises, le Pacifique, vraiment ? Et ces bateaux. Des petits, des gros, sûrement des gros en fait, l’avion est encore haut. J’ai claqué la porte il y a seize heures maintenant, je n’ai pas fermé l’œil une seconde, quatre heures du matin pour moi, dix heures ici, épuisée mais voilà que je souris. Soudain regain d’énergie. Je ne savais pas que les bateaux me faisaient cet effet-là. Sûrement parce que ce ne sont pas de simples bateaux. Ils ne ressemblent pas aux bateaux que je connais. Pas de barque marseillaise, pas de ferry pour la Corse, pas de petite chose pointue sur la Spree non… L’avion pivote à nouveau et me voilà face à cette fameuse skyline, immeubles hallucinants. Je souris encore, épuisée pourtant, soudain regain d’énergie. Ces bateaux, ces immeubles inconnus, nous sommes en avril, année 2015, encore une aventure. Je réalise que ma vie est une succession d’aventures. Parce qu’il ne s’agit pas de venir en vacances, faire du tourisme je ne sais quoi. Une aventure, encore, émotionnelle, toujours. Pourquoi quand l’un part à l’autre bout du monde on lui souhaite bon voyage, mais quand moi je pars c’est tout une histoire, des promesses d’écriture, des étoiles dans les yeux de ceux qui me harcèlent de questions. Je ne me sens pas plus importante, plus intéressante qu’un autre non. D’ailleurs quand je pars en vacances tout le monde s’en fout. Mais là je ne pars pas en vacances. Et tout le monde le sait. S’interroge. M’interroge. Attend mon récit, mes mots. Toute une histoire oui. Parce qu’au fond vous et moi on le sait. Mes départs sont des aventures, émotionnelles, toujours. Des vagues de sentiments, des courants de surprise, des successions de sourire, de larmes, de corps meurtri, d’orgasmes aussi, de solitude, de craintes et d’angoisse. Je manque souvent de m’y noyer, et puis je reviens. Je reviens vous conter tout cela. Les mots s’étalent par tartine, pour peu que je vous écrive bientôt un troisième roman.

Le taxi slalome entre les voitures. Affalée sur la banquette arrière, le nez vers la fenêtre ouverte, le vent finit d’emmêler mes cheveux, chaleur moite, délicieuse chaleur moite. Grands immeubles et coups de klaxon, centre-ville, jungle urbaine. Arrivée. Porte, grille, appartement, homme. Arrivée. Que l’aventure commence, que l’aventure commence.


Parution de « Revenante », mon premier roman

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©Le Berlinographe

Revenante a été écrit entre le mois de novembre 2012 et le mois de février 2013, entre Berlin, Grenoble, Paris, Saint-Zacharie, dans le train beaucoup, dans des cafés à Berlin surtout, au Macondo, au Hannibal, dans l’appartement de ma cousine qui m’hébergeait, dans mes différents lits, à mes différents bureaux, mais jamais dans l’avion (trop peur!).

Il est sorti le 6 février 2015. C’est mon premier roman. Bien avant la naissance du Berlinographe et de ses histoires courtes, avant mes films, mes projets radio, mais après mes débuts théâtraux. Une parution nécessaire, pour me prouver quelque chose sans nul doute, et pour commencer le deuxième. J’avance bien, j’ai intérêt, je pense déjà au troisième!

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Dans les coulisses de la photo de couverture, par Chloé Desnoyers

 Comme tout premier roman, il est intéressant d’y voir la naissance de quelque chose, les bribes de quelque chose, les choses à garder, à jeter. Vous avez un style bien à vous, c’est indéniable (…) imagé et poétique – il flirte vraiment avec la poésie en prose par moments. C’est ce que m’a écrit le Dilettante après lecture de mon manuscrit. Bon, ils ne l’ont pas pris (et c’est bien normal, je suis ma première critique, et sans aucun doute la plus terrible), mais quel bonheur de se voir reconnaître son propre style. Un auteur qui a un style bien à lui, c’est quelque chose! Qu’il plaise ou pas, je m’en fous bien. Au moins je suis auteur, et unique. Ça devrait me promettre un avenir.

Je vous laisse lecteur de ce premier jet, cette première pierre, ses qualités et ses défauts, prenez tout, c’est ça qui fait son charme.

Disponible en papier et en e-book sur les principaux sites internet.

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Pourquoi la lumière

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©Le Berlinographe

Je viens du sud. Provence. J’ai grandi à l’huile d’olive et au chlore de la piscine. Et depuis toujours j’entends : ah tu viens du sud, quelle chance, quelle lumière ! Bah euh… Non. Le soleil ouais si vous voulez. Oui le soleil mais la lumière surtout ! Euh… la piscine ? Oui oui la piscine, mais la lumière ! Les cigales ? La lumière. Les pins ? La lumière, cette lumière si particulière du sud de la France. Ok. Si vous le dites. La « lumière ». Pour moi c’est devenu une réflexion de vieux. De vieux nordiste (comptez au-dessus d’Orange pour l’appellation « nordiste »). Oui oui mon vieux, la lumière.

J’ai du vieillir. J’ai emmené Martin dans mon sud. Il est dix-neuf heures, nous filons sur l’autoroute entre Cassis et Aix, nous rentrons de la plage, de la calanque de Port d’Alon, son eau turquoise et ses galets dorés. Et je m’extasie. Oh Martin, cette lumière, quelle lumière ! C’est tellement bon de la revoir. Tu veux dire le soleil Jule non ? Non non, le soleil on l’a à Berlin, non cette lumière là ! Le ciel bleu ? Non ! La lumière. La chaleur dans cette lumière intense, dorée, qui n’écrase pas, ne ternit pas, révèle chaque aiguille de pin, chaque senteur de romarin, chaque olive, chaque morceau de vigne. Cette lumière Martin… Ouais la mer quoi. Non. Ni la mer, ni le ciel, ni le soleil. La lumière. La lumière du Sud…


Pourquoi j’ai remis mon manteau d’hiver

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J’ai ressorti mon manteau d’hiver. J’ai ouvert mon placard, je l’ai enlevé de son cintre.
Je l’ai posé sur le dossier du fauteuil, j’ai refermé le placard, je me suis plantée là, face à lui. Mon visage froid, fermé. J’ai ressorti mon manteau d’hiver.
Parce qu’il fait froid. Gris.
Parce que le soleil n’a pas brillé longtemps.
Suffisamment pour me faire sourire, de mes sourires soleils, de ceux que je réserve à ceux qui font battre mon cœur.
Parce que le soleil a brillé, il a même brillé fort. De quoi rougir de coup de soleil. Coup de soleil. Coup de chance. Coup de foudre. Frappant, le plaisir a une étrange façon de se montrer.
Quoiqu’il en soit le soleil s’est couché un soir il y a une semaine, dix jours peut-être, et ne s’est jamais vraiment relevé. Il s’est relevé ailleurs. Il est allé frapper quelqu’un d’autre.
Berlin est sous la pluie. La tempête, la neige, l’ouragan. On a tout eu ces derniers jours. Et moi j’ai ressorti mon manteau d’hiver.
J’ai glissé mes bras dedans, j’ai remonté la fermeture éclair, j’ai pressé les boutons. J’ai accroché les attaches. J’ai même caché mon visage sous sa capuche. Au chaud, serrée dans ce blindage de plumes, plastique, matières inconnues. Parce que le soleil ne brille plus, j’ai ressorti mon manteau d’hiver. Et j’y ai renfermé mon cœur.

Image d’illustration : Simon, licence CC.



Parce qu’écrire

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©Le Berlinographe

Parce qu’écrire est un terrain glissant, on devrait toujours écrire avec des bras protecteurs dans un coin. Merde, j’ai perdu les miens.

Parce qu’écrire est un passage, on devrait toujours avoir quelqu’un qui nous tienne une lanterne, au cas où. Mais je suis dans le noir.

Parce qu’écrire transforme, on devrait toujours avoir des yeux qui nous regardent quelque part, histoire de s’assurer que tout va bien. Je suis polymorphe.

Parce qu’écrire est une route, on devrait toujours avoir quelques rochers familiers sur la sienne. J’ai beau chercher, je n’en vois pas.

Parce qu’écrire me fait peur, je m’y mets tard, je finis tard, et je sursaute dans les bruits de la nuit. Je cherche celui qui pourrait éclairer le chemin de mon lit. Allumer une bougie. Me murmurer quelque chose.

Parce qu’écrire fait frissonner ma peau, je devrais toujours faire en sorte d’avoir chaud. J’ai froid. Mes mains gelées tapent en tremblements.

Parce qu’écrire épuise, on devrait toujours être sûr de pouvoir dormir tranquille. Mais moi je ne sais plus dormir sans ma tête contre sa poitrine.

Parce qu’écrire est une tempête, ça s’annonce doucement, ça souffle violemment, et ça ne s’en va pas vraiment, j’attends. Eveillée, j’attends. J’attends qu’il se passe quelque chose.

Parce qu’il devrait toujours se passer quelque chose quand j’arrête d’écrire. Sinon je tourne en rond. Je fais n’importe quoi. J’ai peur de faire n’importe quoi alors je fais des choses qui me semblent sensées mais qui se révèlent être n’importe quoi.

J’écris en anaphore des textes qui ne veulent plus rien dire. Perdue dans les émotions d’un monde qui n’existe qu’en moi, et celles d’une fille qui devrait être moi. Connaît des choses hors de ce corps, qu’on a touché une fois.
Qu’on a touché. Une fois.

Parce qu’écrire c’est se perdre, et que je meurs d’envie qu’on me trouve.


Comment je joue au billard

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Je suis allongée dans des boules de billard. Des boules de billard. Des rouges, des jaunes, des pleines, des bicolores. Vous voyez le genre quoi. Des boules de billard. Avec la noire là, la 8, que j’ai envoyée trois fois dans le trou quand même. Elle est là, là près de mon poignet. Je l’attraperais bien mais ça bouge trop. Autour. Pas moi. Moi je bouge plus trop. Je ris en fait. Je me marre total. Des boules de billard. Je suis allongée dans des boules de billard. Je ris parce qu’il y a quoi, quatre heures de cela j’étais allongée dans des gros coussins. Des gros coussins. Des rouges, des jaunes, des longs, des bicolores. Je crois même que le tapis était vert lui aussi. J’étais allongée dans des gros coussins. Et maintenant dans des boules de billard. Mêmes couleurs. Même état semi-comateux. Il y a quatre heures j’étais allongée dans des gros coussins de couleurs, je respirais profondément, moment oblige. Je respirais en tenant les positions, j’inspirais, j’expirais, je retenais l’air, bien, maintenant lève les bras et expire dans la torsion. Voilà, j’expire dans la torsion. Et maintenant j’inspire et j’expire dans des boules de billard. Enfin j’inspire, j’essaie. J’ai un peu de mal, je ne sais pas si c’est parce que je ris en même temps ou si c’est le sang dans ma bouche qui me gêne, ou le coup à la poitrine. Bref, j’ai plus de mal à inspirer et expirer profondément que quand j’étais dans des gros coussins. Mais dans les gros coussins je ne me marrais pas autant. Les yeux fermés, les bras de chaque côté du corps, les jambes en tailleur, méditation bienvenue. Quoiqu’il en soit j’étais un peu ailleurs, un peu comme maintenant. Je sens mon esprit qui part un peu ailleurs. Je suis allongée dans des boules de billard aussi il faut dire. Je vois bien un visage au-dessus de moi, celui du gros chauve plein de testostérone qui nous a pris pour des cons Pascal et moi à la première partie. Celle où on a commencé à parier de l’argent disons. Gros chauve gros con qui nous a pris pour des débiles. Ouais, ouais on fait un contre un, tiens 10 €, et puis finalement ah ben non on avait dit deux contre deux, et voilà, je me retrouve la queue entre les jambes, avec la responsabilité de la partie sur mes épaules. Heureusement Pascal n’est pas du genre à me foutre la pression et on a bien joué. On a perdu mais de peu, j’ai tiré trop fort et la boule blanche a suivi la noire. D’ailleurs cet après-midi en fin de séance je crois bien que j’enlaçais des gros coussins gris et noir. Coïncidence hein… haha non bien sûr on s’en fout, et gris c’est pas blanc donc aucun rapport. Je suis allongée sur des boules de billard. Des boules de billard. Des rouges, des jaunes, des pleines, des bicolores. Vous voyez le genre quoi. Des boules de billard. Je les sens sous mes reins, je les sens contre ma joue, contre ma main. Je suis en train de me dire qu’à force de pisser le sang je vais tacher la table verte. Ah tiens, le chauve a disparu, au bruit ambiant je pense qu’il vient d’exploser la tête du petit blond dans le mur. Pourtant s’il y a bien une tête que je pensais qu’il exploserait c’est bien celle de Pascal. Mais non, comme quoi il faut s’attendre à tout. En tout cas moi je ne m’attendais pas au petit blond. Comme je ne m’attendais pas à me retrouver allongée dans des boules de billard. Surtout après avoir passé la journée allongée dans des gros coussins. Une journée binaire on pourrait dire. Binaire. Ca y est ça me reprend. Binaire : se dit d’un processus dont la représentation symbolique ne comporte que deux symboles. Alors disons que un processus tel que « je suis debout je passe allongée », on peut utiliser le symbole boule de billard et le symbole gros coussin. Marrant. Ca y est ça me reprend, je me marre, mais là je tousse en même temps, je crache trop de sang. Quand tu te sens prête tu pourras sortir de la posture. Inspire profondément, roule sur le côté, prends appui sur ta main gauche et reviens t’asseoir en tailleur. Bon, rouler sur le côté ça devrait le faire, en plus je suis entourée de boules de billard, si ça roule pas qu’est-ce qui roule ! La main gauche ça va aussi, elle va bien, s’asseoir en tailleur on oubliera, mais c’est déjà pas mal. Je cherche Pascal des yeux, je crois que c’est lui qui gît là-bas au fond. Le petit blond est en train de se faire virer du bar, ah ben tiens le gros chauve aussi, mais lui ça a l’air d’aller. Putain Pascal lève toi on a une partie à finir, si on gagne celle-là c’est 100€ chacun. Je suis sûre que je peux tout remettre en place, j’ai bien rangé les gros coussins tout à l’heure ! Pourtant c’était le bordel avec les tapis, les blocs, les couvertures… Allez relève-toi je remets tout en place et on continue. Merde allez, on va pas tout arrêter parce qu’un petit con t’a éclaté les dents. Et puis non je t’en veux pas, je t’en veux jamais tu sais bien. Et arrête de t’excuser, depuis qu’on se connaît tu m’as plus souvent dit excuse-moi Jule… que Salut Jule comment ça va! Et je sais bien que j’étais pas sensée prendre ton coude dans le nez et la queue de billard dans la poitrine. Je m’en doute bien ma foi ! Allez viens relève toi on se casse, de toute façon c’est un bar de merde ici. Viens on rentre à la maison. C’est cool de te voir. C’est toujours cool de te voir. En plus j’ai récupéré des gros coussins, viens on va s’allonger là-dedans on sera mieux. Attends je récupère une boule en souvenir, la rouge là, comme ça on voit pas trop qu’elle est tâchée.
Non parce que trop drôle, tu vois là je me suis retrouvée allongée dans les boules de billard mais cet après-midi j’étais allongée dans des gros coussins, mêmes couleurs dis-toi. Mêmes couleurs. Y a des journées comme ça, binaires.

Source image : billard-collection.fr


Parce que je suis une spirale

©Le Berlinographe

Cercle : ensemble C des points M d’un plan euclidien tels que ΩM = R, où Ω est un point fixe appelé centre, ΩM la distance euclidienne de Ω à M et R un réel positif donné, appelé rayon. [On note en abrégé C(Ω, R).]
Soit : courbe plane fermée dont tous les points sont à égale distance d’un point intérieur appelé centre. (Larousse)

Je suis un cercle. Je suis l’oiseau qui chante sur la branche quand vient l’été. Je suis l’oiseau qui frémit sous les rayons de ce premier soleil. L’oiseau là, sur la branche de l’arbre près de moi, qui chante au-dessus de ma tête, me fait de l’ombre. Douce ombre délicate de ce premier jour de printemps. Pas d’écharpe, pas de gants, pas de veste non, un pull et un thé, il est treize heures, je prends mon petit déjeuner, en terrasse, Graefekiez. La brise est chaude. Incroyable magie du printemps qui s’annonce.
Je suis un cercle. Je suis l’oiseau qui chante sur la branche quand règne l’été. L’oiseau qui grossit quand vient le gris. Rentre sa tête dans ses plumes. Attend. Attend que revienne l’été. Pour chanter à nouveau. Obéissant à un immuable. Attiré par son destin. Attiré par ce point intérieur, ce centre. Qui l’aspire et le maintient à distance. L’oiseau suit les saisons, les saisons partent et reviennent. Les saisons se succèdent. Tournent. Et l’oiseau tourne avec elle. L’oiseau est sur le cercle. L’oiseau est le cercle.

Spirale : courbe plane que décrit un point M, dont la distance ρ à un point fixe O croît ou décroît, en même temps que croît , où [O x) est une demi-droite fixe. (Autrement dit, ρ est une fonction monotone de θ.)
Soit : suite de circonvolutions, d’enroulements. (Larousse)

Je ne suis pas un cercle. Je suis une spirale. Ça sonne moins bien déjà. Ça ne sonne même pas du tout. Je suis sur une spirale. Pas stable comme truc. Une spirale. Pas stable une spirale. Ça ressemble à un cercle. Mais en moins stable.
Je suis une spirale. Je suis l’arbre sur lequel se pose l’oiseau. Je suis l’arbre qui accueille l’oiseau. Son arrivée comme son départ. L’arbre qui accueille l’été, l’hiver. Qui les accueille. S’en souvient. Les connaît, les reconnaît, leur obéit, prend des risques. Prend le risque de geler parfois, de se dévoiler trop vite, prend le risque de s’assécher, de crever. Prend des risques, en connaissance de cause, sans bouger vraiment. Observe. Je suis l’arbre qui observe, grandit. Et chaque année se fait courbe. Une autre courbe. Encore une autre. Je suis l’arbre. Celui qui vit toujours la même chose mais jamais de la même façon. Qui apprend. Comprend. Affine. Je suis une spirale.

Pas d’écharpe, pas de gants. Juste un pull et un thé. Il est treize heures, je suis assise sous la brise chaude et la caresse d’un soleil brûlant. Le printemps s’annonce et je ne m’en émerveille pas. Parce que je ne m’émerveille plus de ce que je connais déjà. Je m’émerveille du détail. Je me fous du soleil qui brûle et de la brise chaude. Je me fous de ce thé au gingembre, de la rue qui s’anime, des sourires des autres. Spirale. Et pour tout dire je me fous de lui. Je me fous qu’il soit dans ma vie. Ici ou ailleurs quelle importance, un homme, un autre. Le printemps qui revient, toujours. De ces choses circulaires qui seront toujours là, qui me passent devant le nez à une distance Ω plus ou moins longue. Je suis le centre, il est le M. L’autre était A, l’autre T.
Je me fous de tout ça. Et pourtant je souris.

Parce que je suis une spirale. Et ce qui m’intéresse n’est ni ce qui a été, ni ce qui sera, ni même vraiment ce qui est. Ce qui m’intéresse c’est ce qui est et qui n’était pas là la fois d’avant. Spirale. Croissance et décroissance. Je mûris.
Je me fous peut-être de lui mais je ne me fous pas de ce que je sens quand je suis avec lui. Je me fous de ces sourires soleil que je lui offre, je ne me fous pas de mon sourire quand j’entends sa voix à 8 396 km de moi. Parce que c’est un nouveau sourire. De ces sourires apaisés que je ne connaissais pas. Je ne me fous pas de ce sourire apaisé qui m’accompagne sous la douche. Qui m’accompagne toute la soirée. Qui m’accompagne encore à treize heures, Graefekiez, petit-déjeuner.
Je ne me fous pas de ce calme quand je pense à lui. Cette absence de larmes. Cette absence de frustration. Je ne me fous pas de ce qu’il me dit, de ce qu’il ressent, de ce qu’il voit. Je ne me fous pas de lui. Je m’intéresse à lui, parce qu’il n’est pas moi. Nouveau. Ne me moque pas de lui quand il n’est pas moi. Nouveau. Ne me moque plus de moi, je crois. N’utilise pas ses yeux comme miroir, ses mains comme fenêtre, ne l’utilise pas. Nouveau.

Je suis une spirale. Je grandis. Je suis ce point M, je décris une courbe plane, je danse, je danserai encore, toute ma vie, écrit sous ma peau ça aussi, je plane aussi c’est vrai, je m’éloigne de ce point fixe, dans un sens ou dans l’autre, mais quoiqu’il arrive je mûris, toujours, danse autour de ce point fixe, mon cœur, mon arbre, cet arbre de l’éternel, connaissance et vie réunies, je danse, m’éloigne, tourne et retourne, danse autour de cet arbre immobile et vivant à la fois, mûris, attrape ses fruits, profite, vis et grandis. Et dans mes voiles des points, des oiseaux sur des cercles, des lettres.

Quand les cercles se croisent et s’emprisonnent, ensembles fermés, la spirale tourbillonne et frôle, ouverte. Toujours ouverte. Toujours libre.

Je suis une spirale et j’aime danser sur la sienne. Etre un point de la sienne. Découvrir des sourires depuis cet autre bout du monde.
Fais-moi danser, encore, fais-moi sourire oui, fais-moi sourire.


Atmosphère Berlinoise #7 – Mars

It’s time to say goodbye. Atmosphère Berlinoise a été une belle aventure, qui a apporté de beaux projets! Vous pouvez désormais retrouver ma voix tous les mois sur 88.4FM à Berlin, ou sur Alex Radio en streaming dans l’émission Passez le Mur.

Il s’agit donc du dernier numéro de ma petite création chérie. Faite avec amour. Des gros bisous.

Au programme, A l’écoute / Auf dem Programm

Best of des 6 dernières Atmosphères Berlinoises.
Musiques/Musik:
-Ernst Petermann / Dann wird’s Frühling in Berlin – 1929
-Psycho and Plastic/ Cell – 2015
-Alle Farben / She Moves – 2004


Parce que l’onde est trop longue

ondes

Longueur d’onde : distance sur laquelle une répétitivité de l’ondulation (ou oscillation complète) se produit (c’est la distance parcourue par l’onde pendant une période).

Le blanc des draps, le moelleux du matelas. La lourdeur de ta couette. Délicieuse couette comme jamais je n’ai eu sur mon corps, cette lourdeur, cette douceur, ce blanc immaculé, toile de création toujours, le blanc virginal, appel à une lacération de sueurs en or et noir. Mon corps nu dans le blanc des draps, sous le soleil, mes cheveux en bataille, mes bras qui cherchent les tiens. Et l’ondulation de mes hanches. Une oscillation faible, discrète, immédiatement repérée car tu es là, tout à côté, tu sens le frémissement des draps, tu sens le frémissement de ma peau, sa texture qui change, mon regard qui change, mes lèvres qui s’entrouvrent, tu sens tout ça, et ta main se pose sur ma hanche, me bloque. Je n’oscille plus je frémis, ma peau sur la tienne, ton torse, tes lèvres, mes mains dans tes cheveux, t’embrasse.
Distance : courte.
Répétitivité : faible.
Ondulation : lascive.

Le gris de mes draps, le moelleux du matelas. La chaleur de ma couette, ma douce couette que je retrouve. Sa légèreté, sa chaleur, ses caresses sur ma peau nue. Les rideaux me protègent de la pluie, mes cheveux en bataille, mes bras qui cherchent les tiens. Et l’oscillation de mes hanches. Une oscillation faible, discrète, qui s’amplifie doucement, qui s’amplifie. Doucement. C’est tout mon corps qui oscille, mes seins caressent le matelas, mes pieds se crispent, mes bras s’agitent, ma tête s’enfonce dans l’oreiller, je te cherche, oscille, les draps frémissent d’un souvenir, tes mains.
Distance : 8396km.
Répétitivité : frustrante.
Ondulation : insipide.

Tu vois la lune. Moi le soleil.
Tu es parti. Je suis restée.
Tu m’envoies des photos. Je te parle de nous.
Tu me parles de la ville. Je te parle de ta couette.
J’ondule. Tu ne vois rien.
J’oscille. Tu n’entends rien.
Je souris. Tu regardes ailleurs.
Tu me parles. Je m’en fous.
Je te veux. Tu t’en vas.
Distance : 8396 km.
Répétitivité : pour un moment.
Ondulation : terrifiante.

Peurs : identiques.
Pensées : identiques.
Accord : identique.
Et pourtant un terrible problème de longueur d’ondes.

Image d’illustration : « ondes de lumières sur canal » de Benoit Theodore. Licence CC. Modifiée par Le Berlinographe.



Pourquoi mes rires sont des sanglots de joie

prague

Je ne changerais de corps pour rien au monde. Voilà les mots qui sont sortis de ma bouche. Enfin. Après dix, quinze minutes de silence peut-être, le silence de mes lèvres, et un silence total. Plus de voiture, plus de vent, de cris, d’oiseaux, arrêtés, stoppés au vol. Et pourtant non. Le temps lui ne s’est pas arrêté. Me voilà seulement sourde au reste du monde. Mon oreille savoure le seul frémissement du soleil sur les briques, les murs, leurs frissons, leurs murmures de plaisir, et le mien.

Des murmures qui ne sont pas les miens. Mes yeux ne clignent plus. Je sais que j’ai quitté mon corps, ou plutôt non, je sais que je n’y suis plus seule. Plus aux commandes. Pas de fiction, pas d’embellie, aucune poésie là-dedans. Une émotion c’est tout. Moi, Prague, un pont. Des murmures, regarde, là, ce bleu, ce rose qui pâlit, et là, la brume sur le fleuve, regarde là Jule, et je regarde, j’ouvre grand mes pupilles qui s’agitent en tous sens, observent et bruissent. C’est Cézanne qui me guide, c’est Cézanne qui me conte sa Sainte Victoire peinte mille fois. C’est Cézanne oui, et tous les autres avant moi qui ont pleuré devant la beauté d’un lieu. Ni d’un film, ni d’un livre ni d’un texte, ni d’un fait, ni d’un Homme. La beauté d’un lieu. La beauté d’un moment. Un paysage piégé par le temps.

Car oui je pleure. Sous les yeux d’un amant amusé, maintenant déconcerté je pleure. Mes larmes coulent et je ris. Ma bouche ne répond plus de rien. Les dents au vent je frémis sous ses baisers. Soupir, je ris.

Mes rires sont les sanglots de ma joie.

Le soleil se cache, dernières larmes. Le temps est tu. L’instant ne reviendra jamais. Les murmures s’apaisent. Mes maîtres me quittent, me laissent seule avec mon corps, ma main, ma plume. A mon tour messagère du Beau, chargée de rendre au monde ce qu’il me donne et qu’il ne saurait voir.

L’artiste, distillateur d’un Beau bien trop pur. Derniers mots sur mon cahier, tourne les yeux vers celui qui me tient par le bras pour m’éviter de tomber alors que j’écris. M’arrête. Je sens mon cahier me glisser des doigts, tomber à mes pieds. Je lève les yeux vers lui, souris, et dans ses bras, je m’évanouis.


Parce qu’il s’en va… et je viens

mathematiques
©Le Berlinographe

Il s’en va. Dans une semaine il s’en va. C’est court une semaine. Et si long à la fois. Relativité du temps que l’on étire à l’extrême lui et moi. Relativité d’un temps dans un monde qui n’existe qu’entre nous, pour nous, créé une nuit dans la neige. Et comme la neige, le temps file et fond, parce qu’il s’en va. Dans une semaine il s’en va. Une semaine. « Une » c’est rien, c’est court. Mais pourtant des milliers de secondes. Plus long d’un coup. Sauf qu’entre nous le temps n’existe pas. Un monde créé une nuit les pieds dans la neige. Un temps relatif, un autre temps. On ne choisit pas son univers, certes, solaire, mais on peut définir son système. A l’infini.
Notre système, à lui et moi, a comme abscisse un verre de vin rouge, en ordonnée de doux flocons de neige. Un système où la variable temporelle n’est plus la seconde, car une en vaut mille non, mais la caresse. Où les dimensions ne sont plus trois mais cinq, la chaleur de la couette, la douceur de la peau. Un système sans force de gravité, car dans ses bras je suis bien loin du sol. Je flotte. M’élève. Et de là-haut qu’importe qu’il s’en aille.

Je le connais depuis six mille sept cent vingt-deux caresses, nous avons voyagé à plus de mille frissons de hauteur, une éternité à notre échelle. La nôtre.
Il s’en va. Dans un million de frissons il s’en va. Un peu plus loin dans notre système qui ne connaît de limite. La courbe de mes reins danse vers l’inconnu, qui n’est pas vide, loin de là.

Il ne s’en va pas. Dans notre système il ne s’en va pas non. Il va c’est tout.
Tu vas et je vais. Voilà à quoi je pense, à demi nue dans ta couette, te regardant travailler. Tu vas et je vais. Je viens. Dans un système que j’aime définir, avec toi, créateurs sans limite. Tu vas et je viens. Embrasse-moi. Embrasse-moi encore, pour quelques frissons de plus…


Parce qu’il s’en fout

s'enfout
©Le Berlinographe

D’habitude j’écris après. Quand le roman m’emporte. Trop loin. Quand je ne sais plus redescendre. Quand c’est trop dur de reposer mes pieds sur terre. Seule dans mon appartement. Près du chauffage là sur le tapis.

Ce soir est différent. Ce soir je ne suis pas chez moi. Ce soir je suis contre l’autre radiateur. Là-bas à quelques kilomètres. Je ne suis pas chez moi. J’écris avant. A toute vitesse. Là dans le noir, je viens de claquer la porte, envoyer foutre en l’air tout mon sac, mes vêtements, tout. Coussins. Couette. Pas mes coussins. Pas ma couette. Moment angoissant du pétage de plombs. Pas chez moi. Vieux souvenirs. Pas de piscine où se noyer. Pas de mur où se frapper. Une chambre, un appartement. Pas le mien. Et lui dedans.

Pourquoi lui ? Pas de hasard. J’ai le don pour les trouver ces mecs-là. Et me voilà enfermée dans sa chambre, dans le noir, la musique à fond. Ma musique à fond dans les oreilles. Enfermée. Dans sa chambre à lui. Pourquoi lui ? Parce que je sais qu’il comprend. Je sais qu’il comprendra. Que de l’autre côté de la porte il n’en a rien à foutre que j’ai balancé tous mes vêtements à travers la chambre. Il n’en a rien à foutre que je me sois enfermée dans sa propre chambre. Il ne tentera pas de me rejoindre. Il ne tentera pas de venir se coucher. Et si je laisse la porte fermée, et si j’écris toute la nuit, il dormira ailleurs. Il s’en fout. Parce qu’il comprend. Pas de hasard finalement.

Je ne suis clairement pas prête pour lui, pour ça. Mais c’est bien comme ça au fond. Lui non plus. Quand il aura enlevé son alliance peut-être. Quand j’arrêterai de claquer des portes qui ne sont pas les miennes. Peut-être que ce jour-là on sera prêt tous les deux. Mais clairement là non. Alors on profite. On boit du vin. Du bon vin. Du putain de bon vin. Comme ce soir. On boit du vin, on mange du fromage, on fait l’amour. Tout ce que j’aime. Tout ce qu’on aime. Parce qu’il s’en va dans trois semaines. Et qu’on s’en fout. Oui on sera triste mais au fond c’est bien. Parce que s’il ne partait pas on ne serait pas en train de vivre ça. S’il ne partait pas, je ne lui donnerais pas tout ça. Au fond il n’est ni dépressif, ni drogué, ni noir, ni trop abîmé. Pas mon genre donc. Et en même temps tellement mon genre. Ce que j’apprends au jour le jour avec lui. Chaque jour je décide que c’est le dernier, et chaque jour je reviens sur son canapé. Parce qu’au fond ça me fait du bien. Il me fait du bien. Les pieds sur terre. Et en même temps pas du tout. Peut-être le seul mec qui me comprend un peu depuis mille ans. Partir à deux heures du matin dans la neige. Parler fin du monde, existence humaine, Platon. Caverneux. Le seul finalement. Et j’adore ça. J’adore ça. Je grandis. Je sais que je grandis. Et donc pas prête encore. Un jour sur deux disons. Alors qu’il s’en aille, c’est bien. Très bien. Je grandis. Et j’écris, toujours j’écris. Ca ne changera pas. Vieille habitude. Au dixième « oui en ce moment je vais super bien » bam ça part en couille, je cours, je danse, je ris, je vomis, je cours, je saute, je pleure, je bois de l’eau et j’écris. J’écris. Parce que la machine est lancée. Ça y est je m’y suis mise. Et mon corps ne me laissera pas de répit. 10 jours sans écrire. Beaucoup trop. Alors je m’enferme dans sa chambre. Un jour de plus et je sautais du balcon. Heureusement il comprend et ne me fera pas attendre. Je ne sauterai pas du balcon. Assise au sol, le dos au mur, la musique à fond dans mes oreilles. Jusqu’à pas d’heure s’il le faut. Je m’en fous. Il est là. Je l’oublie mais je sais qu’il est là. C’est bien. C’est ça. Et me voilà qui me calme. Il est temps. Il est temps de reprendre mon deuxième roman.


Atmosphère Berlinoise #6 – Février

Février! Des gros bisous aux cousins verseau et aux frères poissons 🙂 Une atmosphère berlinoise toute en musique ce mois-ci! Entre nouveau roman et nouvelle émission, AB se fait plus cool ^^ Mais pas moins fwesh. Surtout que Malte passe au niveau 2 : Berliner Schautze A bis Z pour encore plus de vocabulaire berlinois. Des bisous.

Au programme, A l’écoute / Auf dem Programm

Partie 1 : Ton pire date ?
1. Folge : Dein schlimmste Rendez-vous ? 
Musique/Musik : Wir sind Helden / Nur ein Wort / Wir sind Helden – 2006

Partie 2 : Ta chanson allemande préférée?
2. Folge : Dein deutsches Lieblingslied ?
Musique/Musik : Alle Farben / She Moves – 2004
Rainald Grebe / Brandenburg 2014 / Berliner Republik – 2014
— les boulettes berlinoises : https://gramofon.fm/?p=460
Im Cwazy – Fur Elise (DUBSTEP REMIX)
Ludwig van Beethoven – Für Elise
Alle Farben / Drauf und Dran – Für Elise
Alle Farben / Sometimes – 2014

Partie 3 : Berliner Schnauze A bis Z
3. Folge : Berliner Schnauze
Musique/Musik :
– Sido / Mein Block / Maske X – 2005
– FL Studio 9 Remake of Sido’s track “Mein Block” – 2010